imagibilité de la résilience urbaine
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Mémoire de recherche de fin d'étudeTRANSCRIPT
Master Génie Urbain, spécialité Développement Urbain Durable
Université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEMLV) Institut Francilien des Sciences Appliquées (IFSA)
Imagibilité de la ville résiliente. S'initier au concept de résilience urbaine par la prisme de l'imagibilité du risque.
Mémoire préparé sous la direction de Monsieur Youssef DIAB
Présenté et soutenu par Bruno MORLEO
Année universitaire 2010-2011
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A Pauline pour qui le réalisme est source d'imaginaire et d'inspiration.
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Remerciements.
Je remercie tout d’abord mon Directeur de Mémoire, Youssef Diab, pour avoir accep-
té de m’accompagner dans ce mémoire. Merci de m’avoir conseillé dans un moment
crucial de la préparation de cet exercice pas toujours facile à gérer.
Je remercie tout particulièrement M. Gilles Hubert et le doctorant Serge Lhomme, de
m'avoir donné de très bons conseils aussi bien sur le thème de mon sujet que dans ma
méthodologie de recherche. Merci de m'avoir si bien épaulé avec sympathie et pro-
fessionnalisme. Sans ces rencontres, ce travail n’aurait pas été possible et je les re-
mercie donc pour leur accueil et leur initiation scientifique sut le thème de la rési-
lience.
Ma reconnaissance va également vers les enseignants-chercheurs, du département
Génie Urbain de l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée, qui ont accepté de répondre
à mes questions. Je remercie alors Mme Katia Laffréchine, M. Serge Bethelot et M.
Bruno Barocca de m'avoir accordé un peu de leur temps.
J’ai également une pensée pour l'agence Composante Urbaine et son directeur M.
Christian Piel pour m'avoir accueilli dans sa structure dans le cadre d'un stage, sans
quoi je n'aurai pas pu réaliser à quel point l'eau pouvait jouer un rôle fondamental
dans la conception du paysage urbain. Je remercie tout particulièrement Marie Pire,
Eddie, Jade, Alice, Philippe, Sandra, Stéphane, Eddie et Laurent pour leur bonne
humeur, leur soutien et leurs qualités professionnels qui m'ont toujours apporté un
plus dans mon apprentissage.
Je remercie très sincèrement mes amis proches Antoine, Brice, Maxime, Alpha, Mor-
gane, Jacopo et Fabien qui ont toujours su m'apporter une aide précieuse et fondée,
de véritables stimulateurs d'idée et moteurs de "remise en question". Je remercie éga-
lement toute la promotion 2010-2011 Master 2 Génie Urbain, avec qui j'ai pu passer
d'excellents moments depuis le début du parcours.
Une grande pensée vers Pauline qui m'a accompagné et soutenu tout au long de ce
travail et permis de réaliser ce que je suis aujourd'hui.
Enfin, je remercie ma mère de m'avoir épaulé dans les "hauts" et "bas" moments de
mes parcours universitaire et humain.
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Résumé. Le terme "résilience" renvoie à lui seul une quantité impressionnante de défi-
nitions possibles, si bien que la plupart du temps on en retient qu'une vague interpré-
tation personnelle. On peut le retrouver à la fois comme synonyme ou antonyme de
résistance, synonyme ou antonyme de persistance, synonyme ou antonyme de stabili-
té ou de flexibilité, d'adaptation, d'absorption, de changement du comportement ini-
tial, capacité de retour rapide à la normal, renaître de ses cendres, etc. En résumé,
c'est un concept qui induit plusieurs définitions possibles conduisant à plusieurs ana-
logies et raisonnements scientifiques différents.
L'angle d'attaque de ce mémoire est de chercher un élément déclencheur pour qu'un
système atteigne un état de résilience. Nous choisissons l'hypothèse que l'élément
déclencheur serait celui de l'imagibilité. Nous verrons à quel point l'imagibilité peut
contribuer comme outil fondamental de mitigations face aux risques par le fait de
permettre une culture du risque. Autrement dit, notre hypothèse se battra autour du
principe que l'imagibilité est vecteur de culture du risque qui est lui-même catalyseur
de résilience urbaine.
Mots Clés : Résilience - Imagibilité - Culture - Risque - Mitigation.
Abstract. The word of "resilience" generate just by itself a very large field of senses
and possible significations. The first consequence is hat most of the time, we only get
a vague personal interpretation of this word. It comes up as a synonymous or anto-
nym of resistance, persistance, stability, flexibility, adaptation, changing shape, re-
born, rise from ashes, etc. In summary, it is a concept that allow a lot of significa-
tions possible generating few contradictoring analogies and differents scientific's ar-
gumentations.
The present memoire extent to seek for a system overcoming in order to reach a resi-
lience condition. We choose the hypothesis of the resilience initiative power of "ima-
gibility". In other words, our hypothesis aims to defend the principle that imagibility
is vector of risk culture so that it could make possible to reach an urban resilience
condition.
Key Words : Resilience - Imagibility - Culture - Risk - Mitigation.
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Sommaire.
REMERCIEMENTS.
RÉSUMÉ / ABSTRACT.
SOMMAIRE.
PREFACE (par Antoine Talon).
INTRODUCTION.
CHAPITRE I : A la Recherche de la Résilience Urbaine.
I. La résilience, une thérapie polysémique.
1. Enjeux d'un tel concept.
2. Les sens de la résilience urbaine.
II. Des écoles à l'université de la résilience.
1. L'école des structures déformables.
2. De l'école de l'ingénierie à l'école de l'écologie.
3. Interpréter le cycle adaptatif perçu par la "Resilience Alliance".
4. La notion de panarchie.
5. Vers une université de la résilience... urbaine.
III. La révélation du paradoxe des sens.
1. Hypothèse #1.1 : résilience urbaine = renaissance.
2. Hypothèse #1.2 : résilience urbaine = rebondissement.
3. Hypothèse #2 : résilience urbaine = décroissance.
4. Hypothèse #3 : résilience urbaine = flexibilité imposée.
CHAPITRE II : Imagibilité et culture du risque, facteurs de résilience urbaine ?
I. Phénoménologie de la culture du risque.
1. Sociologie et culture du risque.
2. La culture traditionnelle et celle du risque.
3. Les degrés de perception du risque.
II. L'école du risque.
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1. Les communications.
2. Acceptabilité
3. Prendre le risque.
III. Les valeurs de l'imagibilité dans la culture du risque.
1. De la sérendipité à la sécurité émotive.
2. L'importance des compositions urbaines.
3. Les éléments de l'imagibilité et l'imagibilité des éléments.
CHAPITRE III : Imagibilité de l'eau, catalyseur de résilience urbaine.
I. Les temps et les vertus de l'eau urbaine.
1. Les vertus de l'eau dans la ville.
2. Aquosité, ou la valeurs sociale de l'eau urbaine
3. Aquosité de Sienne : les "bottini".
II. L'eau active de Venise.
1. Le paysage urbain par le paysage de l'eau.
2. Reportage : Comment fonctionne Venise aujourd'hui ?
3. Les imaginaires de Venise.
CONCLUSION.
OUVERTURE.
SOURCES
1. Bibliographie.
2. Articles.
3. Sources Internet.
4. Entretiens.
ANNEXES #1
ANNEXES #2
ANNEXES #3
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Après l’affrontement.
Pour habiter la menace, Alors que l’idée d’affronter nos propres Gestes nous dépasseNous bousculerons nos imaginairesnous explorerons des scenariosRésilience entre renaissance, rebond, flexibilité et décroissance Venise, Détroit, Sienne Los Angeles Et si le modèle de résilience venait des pasteurs sahéliens,De la diversité ils tirent flexibilité et opportunisme Adapter ses mouvements Et conserver son équilibreSe protéger des perturbations Ou préparer sa réorganisationDépassés par la portées de nos actions, Mieux que de léguer une dette écologique Transmettons une pleine conscience carN’oublions pas que se dressent, rêveurs, derrière chaque sciencesdes hommes.Le discours ici tenu paraît simple, Du mur à la conscience.
Antoine TalonMaster 2 génie-Urbain
UMLV
Oublie l’équilibre équitable
Pour que les uns soient libres,
Il faut que les autres soient stables
[...] On joue les funambules sur un câble invisible
On jongle avec des bulles, on défie l’impossible
J’ai beau tendre les bras je ne trouve pas l’équilibre
Oxmo Puccino-Equilibre-
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Introduction.
L'humanité est désormais plus urbaine que rurale. Les villes détiennent plus
de la moitié de la population mondiale et rassemblent l'essentiel des richesses éco-
nomiques, commerciales, culturelles, politiques et sociales. Cette croissance urbaine
est d'autant plus frappante du fait qu'il lui aura fallu à peine deux siècles pour renver-
ser la tendance urbain-rural.
Durant plusieurs décennies, l'exode rural, ou le phénomène de partir "à la recherche
de l'Eldorado urbain", a été le principal moteur de la croissance urbaine. Faute d'être
maîtrisée, celle-ci constitue un défi majeur pour l'humanité. A différentes échelles, et
dans des temps plus ou moins longs, l'évolution urbaine est proportionnelle à celle de
l'eau en ville. Ainsi, le développement du réseau hydrographique, qu'il soit à ciel ou-
vert ou bien enterré, est synonyme de croissance et de puissance urbaine.
L'explosion urbaine est bien souvent à l'origine de dysfonctionnements et de crises.
Dans les villes du Nord, où le tissu urbain est inscrit dans le territoire depuis long-
temps et où les aménagements sont déjà très structurés, les évolutions toucheront, en
priorité, aux modes de vie, de consommation et de déplacement. Elles imposeront
d'adopter des politiques publiques locales de plus en plus astreignantes visant à mo-
difier les comportements à la faveur d'un développement que l'on veut durable.
Mais cette politique de restriction n'est pas très intéressante, d'autant plus qu'il
n'existe pas aujourd'hui de véritable études quant à l'efficacité de sa mise en oeuvre.
Peut-être n'est-ce qu'un paradigme urbain supplémentaire, du même ordre que l'urba-
nisme des réseaux d'antan.
Quoi qu'il en soit, le développement durable est une notion intéressante. D'un côté on
a la "durabilité", qui est la capacité de créer, tester et entretenir une capacité d'adapta-
tion. De l'autre, celle de "développement" qui est en fait le processus de créer l'adap-
tation et de saisir les opportunités pour atteindre cet objectif. Un joli pléonasme dont
on arrive pas bien encore à manipuler, si bien qu'on en retient souvent qu'une vague
interprétation personnelle, nous ne savons pas réellement ce que cela implique ni ce
que cela veut dire. Néanmoins, ce concept se démocratise de plus en plus et tend à
une définition commune. C'est une machine enrôlée dans le système-ville, dont les
mécanismes et connexions permettent de répondre à des problématiques urbaines de
façon transversale, c'est-à-dire combiner à la fois différents sens appliqués à différen-
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tes disciplines qui font la ville. Ainsi, par la "machine développement durable" on
s'intéresse à une problématique à la fois par la prise en compte des valeurs sociales,
économiques, techniques, politiques, géographiques, culturelles, environnementales,
écologiques, tout ce qui touche de près ou de loin à l'urbain. Ainsi, il est intéressant
de comprendre comment ces mécanismes fonctionnent.
Dans le cadre de ce mémoire, nous allons traiter la problématique du traitement des
risques auxquels l'expansion urbaine s'expose davantage chaque jour. Ceux-ci sont
des éléments de dysfonctionnements de la ville pouvant perturber à différentes échel-
les et sur des temps plus ou moins longs le fonctionnement de la ville. Ainsi, plus les
enjeux matériels et immatériels d'une ville sont nombreux, plus ceux-ci sont sujets à
des risques et augmente ce que l'on appelle la vulnérabilité de la ville.
Tout système a rencontré à un moment où à un autre de son existence, à différentes
échelles de temps et d'espaces, une perturbation quelconque qui ait provoqué un dys-
fonctionnement de son système. De ce fait, tout système est considéré comme fragile
et vulnérable aux menaces qui le concernent. Est vulnérable tout système exposé aux
blessures qui seraient la cause d'un dysfonctionnement. La vulnérabilité représente
aussi le caractère d'un individu très susceptible aux attaques morales, aux agressions
extérieures. Certains le sont plus que d'autres.
Afin de se forger un caractère plus "résistant", le système étudié, qu'il soit un
homme, un matériau, un territoire, une planète ou tout autre entité intéressante d'ana-
lyser, doit pouvoir et savoir trouver des capacité d'adaptation aux aléas qui le mena-
ces. Tout l'enjeu réside dans le processus de capacité d'adaptation.
Alors, plusieurs études tentent de découvrir les processus de mise en oeuvre afin de
déterminer comment s'adapter aux risques plutôt que de s'en défendre par la résis-
tance. L'histoire a démontré que la résistance n'était pas inhibitrice de vulnérabilité,
et la notion-même de vulnérabilité est remise en cause.
Les interrogations tournent autour de comment arriver à un état assez stable pour
persister et assez malléable et adaptatif de façon à pouvoir encaisser les agressions
extérieures sans ressentir d'effets indésirables et un arrêt de fonctionnalité. Le pro-
cessus qui amène à un tel état est appelé "résilience". Ainsi, un système résilient tan-
gue mais ne sombre pas car il en a les moyens et les qualités d'apprentissage suffi-
sants pour atteindre cet état.
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Ce qui nous intéressera tout particulièrement dans ce mémoire c'est l'aspect "qualité
d'apprentissage" de la notion de résilience, c'est-à-dire comment réussir à inculquer
une sorte de "culture du risque" aux habitants afin qu'ils puissent non seulement en
prendre conscience mais surtout l'accepter et mieux l'appréhender. La résilience est
une forme de prévention, mais vue sous l'angle de la culture du risque elle une véri-
table urbanité, un fait de vivre la ville autrement.
Bien que la résilience et le développement durable soient dans un même continuum,
l'un peut être à la fois l'antonyme ou le synonyme de l'autre. Tout l'intérêt de cette
étude est là, quelle est la limite d'étude du concept de la résilience urbaine ? A quelle
moment pouvons-nous prétendre que ses différentes significations et applications ne
génèrent pas de véritables paradoxes urbains ?
Nous introduirons alors une notion propre à l'urbanisme et à l'image de son paysage
urbain, celle de l'imagibilité. L'imagibilité est la qualité pour un objet physique de
pouvoir véhiculer une image forte à un observateur, si bien qu'il va se forger une re-
présentation mentale, ancrée dans sa mémoire et qui participe à sa culture générale.
Ainsi, l'un des objectifs de ce mémoire sera d'analyser si l'imagibilité peut-être appli-
cable pour cultiver le risque et, ainsi, initier l'observateur à la résilience urbaine.
L'objet de ce mémoire est de vérifier l'hypothèse que l'imagibilité peut jouer le rôle
d'outil fondamental de mitigations face aux risques par le fait-même de permettre une
culture du risque. Autrement dit, notre hypothèse se battra autour du principe que
l'imagibilité est vecteur de culture du risque qui est lui-même catalyseur de résilience
urbaine.
D'où la problématique suivante :
En quoi l'imagibilité du risque génère-t-elle un processus de capacité d'adaptation, si bien qu'elle
renverse les paradoxes de la résilience urbaine ?
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Le plan.
La première partie exploitera avec grand intérêt chaque sens de la polysémie
et de la pluridisciplinarité du terme "résilience", nous verrons que celui-ci représente
une véritable thérapie pour un ensemble de système et de sous-systèmes déterminés.
Puis nous émettrons trois hypothèses différentes dans le but d'explorer des applica-
tions de la résilience en urbanisme. Quand la résilience devient urbaine elle génère
des significations différentes parfois contradictoires, parfois paradoxales mais tou-
jours complexes. Alors, la dernière sous-partie consistera à réaliser une synthèse de
ces hypothèses afin de n'en choisir qu'une seule, qui sera détailler au cours des deux
chapitres suivants.
La deuxième partie sera entièrement consacrée à l'étude de la conscience du risque et
aux qualités d'apprentissage et d'acceptation de celui-ci. Il faudra alors comprendre
ce que représente le risque et comment celui-ci est-il perçu par la société. Puis, nous
aborderons la résilience urbaine par le prisme de l'imagibilité, approche expérimen-
tale par analogie aux recherches menées par le sociologue et urbaniste américain Ke-
vin Lynch. Cette approche nous permettra de déterminer si la théorie de l'imagibilité
du risque facilite, voire catalyse, le processus de résilience urbaine proactive.
Enfin, le dernier chapitre aura pour but d'effectuer un tour d'horizon historique pour
comprendre les mécanismes de l'eau urbaine et introduire ses activités liées à l'urba-
nisme. Autrement dit, nous comprendrons en quoi est-il intéressant d'intégrer l'eau en
ville et d'en faire sa variable de forçage pour la composition urbaine. Puis, nous ana-
lyseront cette eau urbaine avec le cas complexe de la ville de Venise, ville répandue
pour ses phénomènes d'inondation réguliers et pour sa nécessité d'entretien perma-
nent pour prospérer. Nous conclurons la partie par un tour d'horizon prospectif sur les
nouveaux imaginaires que la ville italienne véhicule.
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I
A la recherche de la résilience urbaine.
Au cours de cette partie nous exploiterons avec grand intérêt chaque sens de
la polysémie et de la pluridisciplinarité du terme "résilience", nous verrons que celui-
ci représente une véritable thérapie pour un ensemble de système et de sous-systèmes
déterminés.
Puis nous émettrons trois hypothèses différentes dans le but d'explorer des applica-
tions de la résilience en urbanisme. Quand la résilience devient urbaine elle génère
des significations différentes parfois contradictoires, parfois paradoxales mais tou-
jours complexes.
Enfin, la dernière sous-partie consistera à réaliser une synthèse de ces hypothèses
afin de n'en choisir qu'une seule, qui sera détailler au cours des deux chapitres sui-
vants.
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I. La résilience, une thérapie polysémique.
1. Enjeux d'un tel concept.
Le terme "résilience" renvoie à lui seul une quantité impressionnante de défi-
nitions possibles, si bien que la plupart du temps on en retient qu'une vague interpré-
tation personnelle. On le retrouve dans les textes à la fois comme synonyme ou anto-
nyme de résistance, synonyme ou antonyme de persistance, synonyme ou antonyme
de stabilité ou de flexibilité, d'adaptation, d'absorption, de changement du compor-
tement initial, capacité de retour rapide à la normal, renaître de ses cendres... En ré-
sumé, c'est un concept qui induit plusieurs définitions possibles conduisant à plu-
sieurs analogies et raisonnements scientifiques différents.
Qu'un terme soit polysémique et touchant à plusieurs domaines de compétences, si
ses sens renvoient à un chemin ou à un autre, n'est pas gênant. En revanche si les hy-
pothèses sont les mêmes au départ et qu'elles aboutissent à des conclusions opposées
voire contradictoires, là c'est un véritable problème. Ainsi, il est indispensable, dans
un premier temps, de "choisir" en amont de ses recherches une définition construite
autour d'une hypothèse précise, qui orienteront la suite des théories. D'où la difficulté
d'utiliser les valeurs de ce terme là, il faut nécessairement un socle théorique pour
pouvoir fructifier ce concept. Une sorte de besoin de mériter ces valeurs. Chose que
l'on a pas encore, ou plutôt qu'on ne prend pas encore le temps d'acquérir car un des
objectifs de la résilience est de le rendre opérationnel, de le mettre à la portée des
praticiens, alors même qu'il n'est pas stabilisé dans le milieu scientifique. Paradoxa-
lement, on veut rendre opérationnel quelque chose qui n'est pas encore stabilisé.
D'où, les discours contradictoire.
Par conséquent, il est intéressant de réaliser une sorte de "tour d'horizon" de ce que
certains appellent les écoles de la résilience afin d'analyser ses sens avant d'appliquer
une hypothèse à système socio-technique défini.
Cependant, l'approche ne peut être exhaustive, sinon holistique. Aborder le concept
de la résilience par une approche "holistique" entend de prendre en compte chaque
sens de sa polysémie et de sa pluridisciplinarité comme formant un tout solidaire.
Car c'est ainsi que le concept prend tout ses sens et ne peut se comprendre véritable-
ment que de cette façon. Le grand enjeux est d'explorer dans chaque école comment
est enseigné le concept de la résilience et d'en tirer, à travers les nombreuses diver-
gences, les ressemblances pouvant aboutir à la conception d'une sorte d'université de
la résilience.
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✴
2. Les sens de la résilience.
D'après le Centre National de Ressources Textuelles (CNRTL), si l'on se ré-
fère à l'origine étymologique du mot résilience, du latin resilio, resilere, il en ressort
deux termes aux significations différentes. Une première renvoie au verbe "résilier",
à savoir le fait de renoncer "annuler un acte " [G. De Lhomel, 1641] ou bien de "se
dédire d'un contrat" [Savary, 1675]. D'ailleurs, deux synonymes frappants sont "dé-
truire" et "abolir". Une seconde signification amène au fait de "sauter en arrière, re-
bondir, rejaillir, se retirer" [Gaffiot]. La notion en commun est peut-être l'idée de
choisir volontairement de passer à autre chose suite à une perturbation quelconque.
Pourtant, si une perturbation peut être prévisible et donc "gérable" on ne peut choisir
volontairement et exactement l'impact de ses effets indésirables diffusés de façon
aléatoire. L'étymologie n'étant pas révélatrice d'une définition valable, la lexicogra-
phie du mot est sans doute plus appropriée.
En mécanique physique, on parle de "coefficient de résilience" d'un matériau indi-
quant sa résistance à au choc. Par exemple, dans la construction d'une machine quel-
conque, on n'utilisera que des matériaux dont le coefficient de résilience est suffisant
au fonctionnement pérenne de la machine. Elle renvoie à l'idée de stabilité des équi-
libres d'un système.
En biologie, la résilience est "la capacité de reproduction d'une espèce animale in-
employée en raison d'une ambiance susceptible d'une expansion soudaine si cette
ambiance s'améliore" [Husson, 1970]. Elle renvoie au phénomène d'adaptation à un
milieu pourtant hostile à une espèce donnée. La résilience s'apparente donc aux idéo-
logies du naturaliste anglais Charles Darwin : "l'adaptation est à la portée des espè-
ces qui peuvent et qui savent s'adapter". C'est ni plus ni moins une question de sélec-
tion naturelle dont il s'agit ici.
Au sens des sciences humaines, la résilience est définie comme une force morale, la
qualité d'un individu qui ne se décourage pas, ne se laisse pas abattre.
Mais comment unifier ces définitions ? Comment leur donner une cohérence collec-
tive ? Comment trouver les clés qui ouvriraient les portes de la capacité d'adaptation
à un système ? N'existent-elles pas déjà dans certaines écoles de la résilience ? Et si
l'université existe réellement, comment fructifier ses valeurs ? On se demande si ces
définitions ont réellement un sens commun. Pourquoi est-il si délicat d'appliquer un
tel concept ?
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Au delà de ses sens, et il est fondamental de le souligner, la résilience peut se rencon-
trer sous deux formes. L'une, dite "proactive", va s'intéresser au système avant une
perturbation, il va offrir des opportunités et accumuler des ressources matérielles et
immatérielles dans le but de prévenir le risque. L'autre, dite "réactive", va permettre
de réorganiser le système à la suite d'une crise ou d'un dysfonctionnement quelcon-
que afin que celui-ci retrouve un état fonctionnel. Ces deux états sont complémentai-
res et la résilience n'est totale que si ces deux paramètres sont vérifiés.
✴
II. Des écoles à l'université de la résilience.
L'expression "écoles de la résilience" est tirée de l'entretien que j'ai pu avoir
avec Serge Lhomme, doctorant à l'Ecole des Ingénieurs de la Ville de Paris (EIVP).
Sa thèse repose sur le concept de la résilience urbaine et sur l'approfondissement de
ses sens.
1. L'école des structures déformables.
Une expérience appelée "le mouton de Charpy" consistait à observer la résis-
tance d'un barreau entaillé à l'aide d'un outils appelé le mouton-pendule. On parle de
coefficient de résilience du matériau, proportionnel à sa capacité de résistance. On
discerne assez mal la frontière entre les notions de résilience et de résistance des ma-
tériaux, si bien que l'amalgame est souvent fait entre l'un et l'autre. On définit pru-
demment le coefficient de résilience d'un tel acier comme étant une caractéristique
intrinsèque du matériau capable de résister plus ou moins à choc. On parle de "ducti-
lité" d'un matériau subissant une déformation élastique ou bien plastique suivant sa
"ductilité". Elastique, le matériau se déforme mais a la fonction de revenir à son état
initial à la suite d'un choc -c'est le module de Young- . Plastique, le matériau ne re-
vient pas à son état initial à la suite d'un choc mais ne se rompt pas nécessairement. Il
peut avoir subit une déformation mais retrouver un état stable de sa structure. Plus un
matériau va être ductile, plus il sera considéré comme résilient face à un choc. Par
exemple, lorsque le béton est comprimé il en ressort plus résistant, jusqu'à un point
trop brutal, auquel cas le béton se tord et se rompt. 1
L'enjeu de la résilience dans l'école des structures déformables est donc d'identifier le
point de rupture d'un matériau afin de lui permettre de l'éviter et de rester stable. On
1 LHOMME S., SERRE D., DIAB Y., LAGANIER R., Les réseaux techniques face aux inondations ou comment définir des indicateurs de
performance de ces réseaux pour évaluer la résilience urbaine. Article publié dans "Bulletin de l'Association de géographes français. Géo-
graphie (2010) 487-502.
18
dira alors qu'un matériau est résistant ou non à un choc et qu'il est plus ou moins rési-
lient. Il y a dans le terme résilience une notion de nuance que l'on ne trouve pas dans
le terme résistance. Un objet déformé qui, par conséquent, ne retrouve pas sa forme
initial n'est pas considéré comme résistant, mais peut être estimé résilient si celui-ci à
trouver un état stable. Autrement dit l'école de l'ingénierie et des structures déforma-
bles traduiraient de résilient un objet à un état de stabilité.
Figure 1 : Les sens de la résilience par le prisme de l'école des structures déformables.
✴
2. De l'école de l'ingénierie à l'école de l'écologie
L'écologie est une science qui étudie les relations entre les êtres vivants et le
milieu organique ou inorganique dans lequel ils vivent. Cette discipline incombe
d'observer et tirer des conclusions quant aux conditions d'existence et des comporte-
ments des êtres vivants en fonction de l'équilibre biologique et de la survie des espè-
ces. Autrement dit, par une approche relevant plutôt du domaine des sciences humai-
nes, c'est aussi l'étude des relations réciproques entre l'homme et son environnement
moral, social et même économique. Crawford Stanford [Buzz] Holling 2 , père de
l'application de la résilience à l'écologie, défini la résilience comme étant "la mesure
de la persistance d'un système et ses capacités à absorber des perturbations et à
maintenir les mêmes relations entre les populations ou les différents états du systè-
me"3. Ainsi, il n'est plus question d'étudier des écosystèmes de façon isolés mais en
relation avec des systèmes sociaux. On parle alors de système socio-écologique.
2 HOLLING C.S. "Buzz" Docteur en sciences écologiques, professeur à la Ecological Sciences de l'Université de Floride.
3 HOLLING C.S. "Buzz" Adaptive environmental assessment and management. (Editor) London: John Wiley & Sons. 1978.
19
La définition s'avoisine de la notion de "retour à l'équilibre" des forces de la physique
du monde naturel [Pimm 1984]4. Son champs d'application est limité aux systèmes
linéaires ou non linéaires au voisinage d'un équilibre stable. C'est l'école de l'ingénie-
rie, la "resilience engineering", considérant qu'envisager, concevoir et contrôler un
système possédant un équilibre global relève de l'ingénierie5. Ses travaux étaient ju-
gés comme non opérationnels et sa définition de la résilience trop vague. Holling
continue ses recherches et s'intéresse aux différents états d'équilibre des écosystèmes
comme étant des systèmes dynamiques en associant la résilience à la persistance.
Mais cette approche prétendait, à tort, de juger un écosystème résilient par rapport à
la persistance de ses espèces et non à leur prospérité. La prospérité apporte la notion
de croissance harmonieuse et en abondance en milieu favorable pour la prolifération
des espèces avec succès. En effet, si à la suite d'une perturbation, un système persiste
sans prospérer c'est qu'il a changé sa nature, alors le système n'est plus considéré
comme étant résilient mais comme ayant subit une simple bifurcation [Holling,
1995].
Le leitmotiv de l'école de l'ingénierie est de commencer par envisager une action, la
concevoir puis la contrôler.
Figure 2 : Les sens de la résilience par le prisme de l'école de l'ingénierie.
✴
Holling met à jour de sa définition : "la résilience correspond à la capacité
d'un système à absorber des perturbations, ou à l'ampleur maximale d'une perturba-
tion qui peut être absorbée par un système avant que celui-ci change sa structure en
modifiant les variables et les processus qui contrôlent son comportement" [Holling,
4 PIMM S.L. The Complexity and Stability of Ecosystems. Nature volume 307, 1984 - page 321 à 326.
5 HOLLING C.S., Barriers and bridges to the renewal of ecosystems and institutions. Edited with L. Gunderson and S. Light (editors) New
York, NY: Columbia University Press. (1995)
20
1995]. L'objectif est de maintenir le système non plus en un point stable mais entre
certaines bornes malléables, telles des membranes souples.
Dès lors, le concept de résilience n'est plus assimilé à l'idée de retour à l'équilibre
mais plutôt d'adaptation dans le but d'évoluer. La résilience tend à s'intéresser essen-
tiellement aux capacités adaptatives et de flexibilité des systèmes non plus linéaires
mais dynamique, c'est-à-dire propice au changement, au mouvement.
Figure 3 : Les sens de la résilience par le prisme de l'école de l'écologie.
✴
Ainsi soit-il, dans l'école de l'écologie, est résilient tout système ayant une
grande capacité de se "re-configurer" sans provoquer l'effondrement de sa fonction-
nalité en relation à sa productivité, son cycle hydrologique, les relations sociales et la
prospérité économique. Ne pas "être résilient" est le fait de ne pas disposer des op-
portunités nécessaire pour enclencher rapidement un processus de "ré-organisation"
et de retour à un état fonctionnel. Un des effets indésirables est que, durant cette
phase de "ré-organisation", la population ne soit pas averti ou n'est pas conscience de
ce qu'implique une telle oscillation, et entraîne, non pas une résilience, mais une to-
tale reconversion ou bien une simple bifurcation du système.
✴
3. Interpréter le cycle adaptatif perçu par la "Resilience Alliance".
La "Resilience Alliance" est une organisation composée de plusieurs cher-
cheurs internationaux qui se préoccupe des valeurs attribuées à la résilience. On peut
dire que leurs études suivent plutôt les idéologies de l'école de l'écologie. D'ailleurs,
la tête pensante de la resilience alliance n'est autre que CS. Holling, mentionné plu-
21
sieurs fois plus haut et réputé pour la qualité de ses recherches en écologie de la rési-
lience. Selon la "resilience alliance", le modèle du cycle d'adaptation d'un système
est dérivé des études comparatives avec les dynamiques des écosystèmes. C'est un
outil de pensé qui attire l'attention sur le processus de perturbation, crise et réorgani-
sation, qui sont généralement négligés en faveur de la croissance et de la conserva-
tion. En tenant compte de ces processus, le cycle adaptatif offre une représentation
plus complète des dynamiques qui lie l'organisation du système, la résilience et les
dynamiques. Traditionnellement, l'écologie s'est toujours concentré sur le concept de
la succession, qui décris la transition d'un milieu d'un état d'exploitation vers un état
de conservation. L'application sur un système urbain consiste à considérer l'état d'ex-
ploitation comme étant l'état de "perturbation" dans lequel on va "exploiter" ses res-
sources pour survivre au déclin. L'état de conservation est celui dans lequel on va
accumuler assez de ressources en prévision d'une catastrophe. Ressources pouvant
être à la fois matérielle qu'immatérielle, une digue ou un plan marketing de préven-
tion des inondations, par exemple.
Le cycle doit se comprendre par une représentation spatiale mais aussi temporelle.
En effet, le cycle d'adaptation se déroule en deux grandes phases (ou transitions). La
première est souvent comparé à un effet de "foreloop"6 (ou pro-action) de l'état de
croissance et d'exploitation à l'état de conservation. C'est une phase lente et progres-
sive dans laquelle le système va "croître" et accumuler des ressources. La seconde
phase est plus rapide, c'est celle du "backloop"7 (ou ré-action) depuis l'état de pertur-
bation ou déclin à l'état de réorganisation et de retour à la fonctionnalité.
Ainsi, il apparaît que les cycles d'adaptation se caractérisent dans une hiérarchie mê-
lant le temps et l'espace. C'est pourquoi les systèmes adaptatifs peuvent, pour un bref
moment, générer de nouvelles recombinaisons testées successivement durant la
phase proactive de croissance et d'accumulation. Ainsi, cette phase de proaction peut
s'avérer très prolifique et déterminante pour un système en quête de résilience.
6 traduction littérale approximative, foreloop = boucle antérieure, ou proactive
7 traduction littérale approximative, foreloop = boucle de contre réaction, ou réactive.
22
Figure 4 : Schéma représentant le cycle adaptatif simplifié.
En un sens, cette phase, nous l'avons vu plus lente dans la hiérarchie, fourni un histo-
rique permettant un rétablissement, un redressement de la situation de crise. Cette
logique de hiérarchie un peu particulière est appelée "panarchie".
✴
4. La notion de panarchie.
La panarchie, aujourd'hui, est utilisé dans les recherches autour de la rési-
lience pour rationaliser les interactions entre le changement et la persistance, entre le
prévisible et l'imprévisible [Resilience Alliance]. Le chercheur américain Holling,
déjà cité plusieurs fois, évoque avec pertinence que la notion de panarchie est en
quelque sorte une antithèse de la hiérarchie au sens propre du terme, c'est-à-dire
comme un ensemble de "règles sacrées". La panarchie ne veut pas dire pour autant
"transgresser les règles sacrées", c'est plutôt l'idée de croiser à plusieurs échelles de
gouvernance, de temps et d'espace ses règles afin de rendre un système non plus li-
néaire mais dynamique.8 Dynamique renvoie au fait qu'elles soient en mouvement,
malléables, en perpétuelle évolution et se justifient au cas par cas d'un système à un
autre. Son étymologie renvoie au Dieux de la Nature Pan de la Grèce antique. Nature
qui était définie, dans son sens primaire, comme étant une image d'un changement
imprévisible. Notion d'image qui sera reprise très largement au cours de la partie II
de ce mémoire.
8 HOLLING C.S., Panarchy: understanding transformations in human and natural systems. Edited with L. Gunderson, (editors) Washing-
ton, DC: Island Press. (2002)
23
Ce qui distingue la représentation d'une panarchie par rapport à celle d'une hiérarchie
traditionnelle, c'est l'importance accordée au cycle adaptatif et les connections entre
chaque niveau de compétence. La hiérarchie est linéaire, la panarchie est systémique
et cyclique. Les connections sont illustrées par deux cercles de révolution et de sou-
venir.
✴
Hastà siempre la (r)evolucion !
Quand on entend le mot "panarchie" on pense "anarchie". En quelque sorte, si l'on
considère que la panarchie est une politique qui regroupe toutes les politiques et que
l'anarchie est celle qui n'en adopte aucune, quelque part c'est la même volonté que de
réduire la politique à son sens primaire, celui des interactions entre l'homme et la na-
ture, et les hommes entre-eux. On retrouve très fortement la marque de l'école de
l'écologie et de l'étude des socio-écosystèmes dans la panarchie. Mais, selon la "Resi-
lience Alliance", le terme panarchie renvoie plutôt à un modèle évolutionnaire que
révolutionnaire. Elle se représente par un schéma "Revolt and Remember" que l'on
pourrait traduire par "crise-mémoire" ou plutôt par "proaction-réaction". Ainsi, l'en-
semble de la panarchie est à la fois une question de création et de conservation.
Figure 5 : Schéma représentant le cycle adaptatif sous panarchie.
Le système à l'étape "r", c'est l'étape de la croissance et de l'exploitation des ressour-
ces. L'étape K est celle de la conservation, état stable qui va emmagasiner et accumu-
ler un certain capital de ressources nécessaires pour subvenir à ses besoins. Oméga
représente le système à son état de déclin, de crise ou tout simplement perturbé tandis
que Alpha est le moteur d'expérience, c'est la phase de réorganisation.
Le schéma représentant deux cercles de révolutions représentant chacun un niveau
différent de la hiérarchie spatio-temporel. Le "petit" est le niveau où l'on invente, ex-
24
périmente et teste, tandis que le "grand" représente le niveau où l'on applique les
expériences, stabilise, conserve et fructifie dans sa mémoire l'historique de ces expé-
riences successives.
Deux genres de connexions sont particulièrement importants dans la durabilité des
capacité adaptative d'un système. Le premier est celui de la "perturbation" qui va agir
au moment où le système est dans sa phase oméga et qui va induire une montée en
cascade vers un niveau plus "large" et plus "lent", autrement dit vulnérable. Au mo-
ment de sa "résilience", le système empreinte la connexion du cycle panarchique de
la "mémoire" qui va agir pour que le système retrouve à nouveau son état d'équilibre.
Cet état est atteint d'autant plus rapidement si l'historique lié aux épreuves endurés
est riche afin de fournir les éléments nécessaire pour retrouver un état fonctionnel.
Ainsi, le plus haut niveau hiérarchique de la panarchie contribue à la fabrication et
l'accumulation de la mémoire du plus bas [Holling, 2002].
✴
5. Une université en faveur de la résilience... urbaine.
Quand le concept de résilience est appliqué à la ville on parle de résilience
urbaine. C'est un argument rhétorique, un terme qui fait "érudit" sous lequel, comme
il est polysémique, ses sens peuvent être contradictoires. Le concept de la résilience
urbaine serait en quelque sorte une université qui accueillerait les différentes écoles
détaillées plus haut. A l'instar de la ville et de ses caractéristiques socio-techniques
complexes, la résilience urbaine est un concept complexe assez difficile de mettre en
oeuvre si ce n'est en lui accordant une approche holistique par une vision systémique
de la ville. Notre système est à présent celui de la ville.
Précédemment, nous avons vu qu'il y avait plusieurs écoles de la résilience. Je suis
parti de l'hypothèse que la résilience appliquée à l'urbanisme pouvait jouer le rôle
d'université de la résilience dont le but étant d'en sortir des théories auxquels les con-
clusions ne seront pas contradictoires les unes envers les autres.
L'université, dans laquelle on retrouve nos écoles des structures déformables, de l'in-
génierie et de l'écologie détaillées plus haut, aurait pu être la clé qui ouvre la porte au
processus de capacité d'adaptation. Mais, il s'est avéré que, d'une base de l'école de
l'écologie, l'université tend à d'autres significations encore. Ce que je pensais être
l'addition des prismes des écoles précédentes, l'université de la résilience apparaît
comme vecteur de nouvelles notions jusqu'ici encore non exploités (cf. Figure 6).
25
Ainsi, on voit apparaître la nouvelle notion d'imagibilité. Celle-ci appartiendrait à
une toute nouvelle école de la résilience que nous pourrions appeler "l'école de la
prise en compte du risque". Par conséquent, cette notion fait partie intégrante de
l'université de la résilience, dont nous prendrons le soin de la détailler au cours de la
partie II de ce mémoire, consacrée à l'hypothèse que l'imagibilité du risque soit un
facteur de résilience urbaine.
Finalement, si l'on devait ne retenir qu'une seule définition de la résilience : est con-
sidéré comme résilient, tout système capable de réagir à une situation de crise et
d'être conscient des perturbations auxquels il est susceptible d'être touché. Autre-
ment dit, la résilience est une thérapie polysémique suivie par un système qui cher-
che à retrouver ses moyens de prospérité ou bien à faire en sorte de ne jamais être
perturbé. C'est à l'homme de trouver les outils de mitigation, des techniques et des
usages, nécessaires à la prise en compte d'un ou de plusieurs risques déterminés.
Figure 6 : Les sens de l'université de la résilience.
✴
III. La révélation du paradoxe des sens.
1. Hypothèse #1.1 : résilience urbaine = renaissance.
Bien plus que l'on ne peut l'admettre, l'humanité n'est pas engagée à changer
le monde a une fin déterminée. L'humanité s'adapte, répondant à des forces extérieur
26
au delà de notre contrôle, cherchant à survivre, dans le but de préserver quelque
chose, de maintenir une certain niveau de fonctionnalité et de confort, un cadre de
vie agréable ou du moins propice à la vie urbaine. En réalité, le management adapta-
tif est pour la planification urbaine la méthode la plus répandue si l'on se place sur un
temps long.
En effet, lors de notre entretien, Serge Lhomme affirmait : "si l'on dit que la rési-
lience en fin de compte c'est s'adapter sur le temps long et persister, alors toutes les
villes sont résilientes. Elles ont toutes à différentes époques et sur des temps plus ou
moins longs dues affronter des séismes, des incendies, pratiquement toutes, des aléas
industriels maintenant. Et finalement elles sont toujours là, certaines décroissent, la
plupart continue leur croissance. (...) Afin de définir une ville résiliente, il faut plutôt
commencer à trouver des villes qui ne sont pas persistantes, pour procéder par éli-
mination en quelque sorte. Elles sont rares pour celles qui ont disparus mais très
nombreuses pour celles qui n'ont pas prospéré."
✴
i. A la recherche des cités perdus.
De l'an 1100 à 1800, il n'y aurait eu que 42 villes disparues. Car si le nom
d'une ville a un jour été inscrit sur une carte ou mentionné dans des ouvrages ou hié-
roglyphes etc. c'est qu'elle appartient à une certaine histoire. Parmi les rares cités dis-
parues, hormis les villes fantastiques oxfordiennes de JRR Tolkien, L. Carroll ou en-
core P. Pullman, on retient des noms de cités tels que Zeleia, Tamnum, Novioregum et
Saticula. Souvent située chronologiquement avant JC et dans l'espace entre l'empire
Byzantin, Gallo-Romain, Perse ou Assyrien, ces villes étaient considérées comme de
fortes puissances belliqueuses. Pourtant il n'en reste rien, si ce n'est quelque part
leurs noms inscrit dans des ouvrages. D'après de récentes études fascinantes à la re-
cherche des cités perdus, certains pensent que la ville actuelle de Sant'Agata de Goti,
en Campanie (Italie), serait bâtie sur les ruines de Saticula.
Alors, ville disparue ou ville remplacée ? Le remplacement et la persistance sont-ils
des formes d'adaptation et de résilience ? Qu'en est-il de la renaissance d'une ville
après une très forte perturbation, est-ce-que le simple fait de renaître de ses cendres
permet de prétendre à une ville résiliente ?
Les villes persistent quoi qu'il arrive, que ce soit dans les textes, dans les arts pictu-
raux ou plastiques, dans les souterrains, dans les ruines, dans les âmes et mémoires,
mais se renouvelle continuellement. Est-ce une question d'adaptation que de se re-
27
nouveler ? Le renouvellement par tabula rasa n'est pas une adaptation dans la me-
sure où il n'y a absolument plus rien à adapter, si ce n'est que des ruines. Si le sol est
une ruine et que ses habitants ont tous déserté les lieux ou morts par la guerre ou au-
tres perturbations, alors on ne peut pas parler de phénomène de résilience. Il y aura
certes une mémoire du site, comme c'est le cas pour l'île de Delos dans les Cyclades
grecques qui est aujourd'hui un immense site archéologique. Néanmoins, comme
tous les sites archéologiques, Delos est dédiée au tourisme et à la mémoire d'une
époque glorieuse. La persistance est-elle réellement synonyme de résilience quand il
s'agit de cité ? La réponse est non.
Quoi qu'il en soit, cette île des Cyclades est particulière car il y était interdit de naître
ou de mourir. Longtemps inhabitée, on pourrait penser que sa nouvelle vocation tou-
ristique lui donne un second souffle. Elle persiste dans l'imaginaire des touristes. La
résilience urbaine implique-t-elle une "habitation" ou une simple occupation dès lors
que le territoire est considéré comme "fonctionnel" ?
Dans la même lignée, nous pourrions citer le site archéologique de Troie Hissarlik en
Turquie, le sanctuaire historique de Machu Pichu au Pérou et même Auschwitz en
Allemagne considéré comme terre pour le "devoir de mémoire". Tous sont inscrit au
patrimoine mondial de l'UNESCO et sont aujourd'hui déserté de la population mais
envahit par les touristes. La résilience d'une cité est-elle réelle si le site n'est pas habi-
té, ou le simple fait qu'il fonctionne lui permet de prétendre à une résilience ?
Être au patrimoine de l'UNESCO n'est pas seulement un label, c'est tout un processus
de renouvellement urbain qui est mis en jeu. Le tourisme grandissant il faut prévoir
les infrastructures pour les accueillir. Cela implique routes, hôtels, restaurants, équi-
pements, loisirs, etc. L'UNESCO serait donc une sorte de promoteur de la résilience
urbaine à la faveur de la mémoire d'un site. (cf. Figure 7)
✴
ii. Pompei 79, Londres 1666 & Chicago 1871
Pompéi, ville dans la province de Naples (Campanie, Italie) est sans doute
l'exemple le plus merveilleux d'une ville qui a su renaître de ses cendres. En 79 la
cité rayonnante de Pompéi, alors appelée "Terre des Dieux" pour sa fertilité, sa situa-
tion géographique stratégique proche de la mer, est entièrement ensevelie par les
cendres de l'éruption volcanique spectaculaire du Mont Vésuve. Pourtant, aujourd'hui
Pompei est une ville moyenne d'un peu plus de 25.000 habitants.
28
Plus tard, on a vu Londres renaître de ses cendres après l'incendie ravageant la ville
entière en 1666. La ville prestigieuse en profitera pour monter un empire faste et glo-
rieux mais respectant les anciens plans de la cité avant la crise.
Un autre exemple répandu, celui de Chicago, après le violent incendie de 1871. Son
centre-ville et des quartiers nord jusqu’à cinq kilomètres de la rivière disparaissent
littéralement de la ville. Tout est à reconstruire. À l’image de Babylone, Rome et
Londres, Chicago va aussi renaître de ses cendres en se servant de cette catastrophe
comme levier de développement urbain, une opportunité incroyable pour redessiner
la ville et expérimenter de nouvelles techniques constructives 9. De cette reconstruc-
tion naît "l'Ecole d'architecture de Chicago", véritable laboratoire d'expériences ar-
chitecturales et urbaines, où techniques innovantes et architectures vont se combiner
afin de réaliser les premières constructions en hauteur. Ce ne sont pas uniquement
des expériences architecturales, comme le font penser l’apparition des hauts buil-
dings, mais aussi urbaine notamment avec la conception d’un boulevard à étages, des
réseaux souterrains, etc. Ainsi, c'est la catastrophe qui a entraîné un bouleversement
non seulement dans les mentalités mais aussi dans les pratiques techniques et l'envie
de faire "mieux qu'avant".
Autrement dit, c'est le désir profond de rebondir et ne pas simplement sauter sur soit-
même. Il y a l'idée cachée d'avancer derrière le verbe "rebondir" qu'il n'y a pas dans
le verbe "sauter". Est-ce que rebondir et renaître de ses cendres sont synonyme de
résilience ? Pas tout-à-fait, ou en tout cas ces sens ne sont qu'une partie de la défini-
tion holistique de la résilience.
✴
iii. "Hiroshima Mon Amour" [Alain Resnais, 1959]
Les villes japonaises de Hiroshima et Nagasaki sont tristement célèbres pour
leur bombardement atomique. Les villes anéantis, réduites à néant. Ses habitants ont
été emporté par l'impact direct de la bombe ou sur le temps long par les expositions
radioactives. Néanmoins, elles n'ont pas été abandonnées, au contraire, à l'instar
d'une Chicago incendiée et totalement renaît de ses cendres, Hiroshima et Nagasaki
compte aujourd'hui respectivement 1.171.640 et 442.399 habitants !
En 1940, le recensement indiquait 344.000 habitants pour Hiroshima. C'est une véri-
table renaissance exponentielle, Hiroshima est la capitale de la préfecture du même
9 CASTEX Jean, Chicago 1910-1930 : le chantier de la ville moderne - ed. La Villette - Paris, 2009 - p. 34 et 35
29
nom, des projets de reconstructions dès l'après Seconde Guerre Mondiale et sera pro-
clamée "Cité de la Paix" et patrimoine mondiale de l'UNESCO. La renaissance de
Hiroshima est d'autant plus frappante qu'aujourd'hui la ville représente l'un des prin-
cipaux centres industriels et portuaires de l'ouest du pays. Notamment grâce à l'im-
plantation des usines automobile Mazda et l'expansion urbaine par la méthode de
"polders" très prisée au Japon.
De même, Nagasaki suit le même sort. Une incroyable histoire de cité portuaire et
d'explosion urbaine par les chantiers de polders et des industries Mitsubishi Heavy,
fort pôle mondial de la construction navale. Ses "parcs de Paix" et ses sauvegardes
de décombres et de ruines sont les signes que Nagasaki a encore besoin de se souve-
nir de l'attaque. Ils sont aussi "labélisés" patrimoine mondial de l'UNESCO. On
pourrait voir ces décombres comme les trophées de sa renaissance. Un devoir de
mémoire ou plutôt un devoir d'oublier car jamais ces deux japonaises ressuscitantes
n'auraient pu s'éteindre atomisées.
✴
Ainsi, ces deux villes dévastées ont bien rebondi, c'est une histoire tristement
belle de renaissance urbaine et de désir profond de persistance. Mais de là à en con-
clure que Hiroshima et Nagasaki soient résilientes on en est très loin. Les villes ont
été littéralement dévastées, réduis à néant supprimant la totalité de ses habitants !
Une véritable tabula rasa. Evidemment, les villes avaient perdus toutes traces de leur
fonctionnalité si ce n'est quelques réseaux et infrastructures de-ci de-là, des brigues
de ressources, une poignée de survivants. Cet exemple visait plutôt à souligner la
motivation ultime du gouvernement japonais a se relever de l'attaque américaine sans
précédent. Le Japon a prouvé sa "non-vulnérabilité" en révélant sa force morale, sa
qualité est de ne pas s'être découragée, ne pas se laisser abattre.
Ces notions sont propres à l'école de l'écologie de la résilience. En quelques sortes,
c'est plutôt une belle histoire de résilience urbaine réactive tout simplement. Le Ja-
pon a réagit post-crise mais en même temps, qui aurait pu penser qu'un jour un pays
soit assez fou pour attaquer un autre par l'équivalent de 70.000 tonnes de TNT ! Au-
cun pays ne peut-être résilient, au sens "invulnérable", à cette menace. Ainsi, n'est
pas invulnérable tous pays résilient et vice versa.
30
Figure 7 : Possibilité de cycle adaptatif correspondant à l'hypothèse #1.
✴
2. Hypothèse #1.2 : résilience urbaine = renaissance endogène.
"Grow ,Grow like tornado
Growing from the inside,Destroying everything through,
You destroy from the inside. " (Jonsi, 2010)
New-Orleans Betsy 1965 & Katrina 2005
Betsy est un ouragan des années 1965 qui a causé la mort de 76 personnes,
coûté 1,42 milliards de dollars à l'époque, ce qui reporté à l'inflation actuelle cela
correspond entre 10 et 12 milliards de dollars (2005 USD). En tout, près de 165.000
logements sont inondés dont l'intégralité du quartier français populaire de Tremé.
Le Programme de Protection des ouragans de la U.S. Army Corps of Engineers s'est
créé en réponse à Betsy. Le Génie Militaire a construit de nouvelles digues et restau-
ré les canaux de la Nouvelle-Orléans qui étaient conçus et dimensionnés pour résis-
ter à une tempête plus forte et plus rapide que Betsy de catégorie 3. Mais ceux-là ont
échoués face à le récent ouragan dévastateur de Katrina en août 2005. Plus de 1800
personnes sont emportées sous les effets de l'ouragan et les inondations n'ont jamais
31
eu un tel impact économique pour le pays, s'élevant à 81 milliards de dollars (2005
USD). Plus de 140.000 personnes ont dès lors choisi de quitter la ville.
D'après S. Lhomme, concernant la Nouvelle-Orléans, "étant en déclin avant et après
le passage de Katrina, certains pensent que la catastrophe, aussi dramatique
soit-elle, serait une opportunité pour que les choses bougent enfin. Cela est dramati-
que de réfléchir ainsi, mais d'une certaine façon... la pensée est légitime." Persister et
renaître de Katrina, voilà le leitmotiv de nombreux chercheurs à travers le monde
entier qui observent la Nouvelle-Orléans comme dans un laboratoire pour expéri-
menter les valeurs de la ville résiliente. Les capacités résilientes de la ville sont très
intéressante à analyser d'autant plus qu'elle détient une très forte identité culturelle.
Elle a bénéficié d'une incroyable solidarité des "survivants" de la tempête, car c'est
ainsi qu'on les nomme, ce sont des rescapés.
Afin de comprendre les mécanismes mis en oeuvres pour la renaissance de la Nou-
velle-Orléans, une série télévisée américaine 10 est consacrée au quartier français de
Tremé.
Pour le synopsis rapide, l'histoire commence trois mois après la catastrophe, un ti-
ming parfait qui correspond pratiquement à l'arrêt de diffusion d'information des mé-
dias sur les blessures de la ville. Entre reportage et fiction reconstitués, c'est sans
doute le meilleur témoignage qu'il puisse être fait concernant la gestion post-crise.
Du moins, c'est un rapport suivi et complet, en temps réel et au plus proche de la po-
pulation de Tremé. Tous les détails comptent tout comme tous les sens du terme "ré-
silience" sont importants à considérer. Le quartier, mondialement reconnu pour ses
brass band et leur musique soul/jazz/funk, sa nourriture, ses traditions de défilés "Se-
cond Line" pour les mariages, funérailles ou juste pour faire la fête lors d'occasions
en tous genres. Ce sont tous ces détails qui font la force des habitants rescapés qui,
par un élan naturel de solidarité, vont vouloir reconstruire la ville. Coûte que coûte,
l'ambition est de continuer, même sur une terre dévastée, à défiler pour le meilleur et
pour le pire et pour rien au monde ils ne laisserait leur filer sous les doigts une telle
richesse culturelle qui n'a pas son pareil.
Parmi les nombreux témoignages, on retient la toute première de la série Tremé, celle
d'une interview réalisée par une chaîne anglaise et recueille les propos précieux d'un
fervent défenseur des valeurs de la Nouvelle-Orléans. (cf. Annexe #1).
10 TREME, créée par David Simon en 2010, série américaine diffusée sur la chaîne ABC.
32
Cette interview nous prouve à quel point il y a un détachement et un pragmatisme
lassent de la part d'une personne extérieure à la ville. L'anglais ne comprend pas un
tel amour et attachement pour une ville qui, de toute façon était en déclin depuis déjà
bien longtemps, alors pourquoi persister ? Parce-que c'est le propre de l'urbain que de
vouloir persister dans son identité, et plus celle-ci est forte et riche, plus on veut la
préserver.
Tous ces termes-là : "préservation", "persistance", "mémoire", "imaginaire", "renais-
sance", "ambition", "solidarité", "force", "adaptation", autant de sens qui participent à
la définition holistique de résilience. Mais ceux-ci ne sont pas de la résilience, ils
permettent sans doute une aide à la réaction de la population-même de vouloir s'en
sortir, mais encore faut-il le pouvoir, et la tâche est rude.
Finalement, si l'on se place sur une résilience, en terme de fonctionnalité, l'enjeux
n'est pas de persister sur le temps long mais c'est que durant ce temps long, suivant
les différents aléas auxquels la ville aura dû faire face, elle aura su et pu garder une
même identité, une même structure, et elle aura surtout continuellement assuré une
continuité de vie fonctionnelle à la suite d'une perturbation quelconque.
Figure 8 : Possibilité de cycle adaptatif correspondant à l'hypothèse #1.2.
✴
3. Hypothèse #2 : résilience urbaine = décroissance.
Si l'on choisit la définition de la résilience urbaine comme étant la capacité
d'une ville à s'adapter face aux perturbations intrinsèques auxquels elle est victime,
33
alors parfois la solution la plus saine est celle d'un retour en arrière pour mieux ap-
préhender l'avenir. La décroissance urbaine n'est pas nécessairement synonyme de
régression sociale ou technique. Au contraire, la désurbanisation d'une ville peut être
perçue comme un facteur d'aide à la résilience urbaine. Prenons une ville subissant
une perturbation quelconque, celle-ci réalise un naturel retour en arrière mais fructi-
fie cette prise de recul pour anticiper son avenir. Un bel exemple de résilience, mais
est-il envisageable à toutes les échelles et à tous les systèmes ? Quels territoires peu-
vent-ils sortir plus forts d'une crise ? Et quels sont ceux qui n'en sortiront jamais ?
Cette hypothèse n'est, de fait, pas applicable à n'importe quel système ni à n'importe
quelle perturbation de ce système. D'une façon générale, les causes de la décrois-
sance urbaine sont multiples : désindustrialisation, immigration, crise financière, le
couple faible taux de natalité et vieillissement de la population, les instabilités géopo-
litique, économique et sociale, catastrophes naturelle et technologique, etc. Autant de
dysfonctionnements et perturbateurs des faits urbains, des urbanités.
"Think less but see it growLike a riot
I'm not easily offendedIt's not hard to let it go
From a mess to the masses." (Lisztomania - Phoenix, 2009).
On s'intéresse ainsi de plus en plus au phénomène dit de "shrinking cities",
littéralement traduisible par "les villes rétrécissantes". Ces cinquante dernières an-
nées, d'après les dernières recherches de l'alliance shrinking cities 11 , on estime que
370 villes de plus de 100.000 habitants ont perdu chacune 10% de leur population.
Ce phénomène est d'autan plus important car il ne cesse de croître. On retient depuis
leur site Internet : "entre 1950 et l'an 2000, le nombre de shrinking cities a augmenté
de 330%, parmi lesquelles celles de plus de 100.000 habitants ont augmenté de
240%." 12Ainsi, contrairement à n'importe quels scénarios prospectifs, la tendance de
croissance urbaine n'est pas globale. Elle n'est, pour certaines villes, ni constante ni
accélérée mais décroissante. D'ailleurs, on décompte plus de villes rétrécissantes que
de "boomtown". En réalité, tout dépend du référentiel dans lequel on se place, par
exemple en Inde ou au Bangladesh, le phénomène d'explosion urbaine représente
l'unique préoccupation des pays (cf. Annexes #1).
11SHRINKIG CITIES, disponible sur Internet via l'url : www.shrinkingcities.com. [consulté en sept. 2011]
12 OSWALD P., REINIETS T., Atlas of Shrinking Cities - Ed. Hatje Cantze, (2006)
34
Etats-Unis, Allemagne et Italie sont sur le podium du nombre de villes en rétrécisse-
ment. Depuis 1990, ce phénomène touche également la Russie, l'Ukraine et le Ka-
zakhstan, puis, plus tard le Japon et l'Afrique du Sud. Il touche aujourd'hui la plupart
des villes occidentales, dont Saint-Etienne et bientôt Mont-de-Marsan. La France a
pourtant a un solde migratoire positif et un taux de natalité assez élevé pour lui per-
mettre un renouvellement démographique (2,1). 13
✴
Detroit, Michigan (USA)
Richard Florida, chercheur-géogrpahe et professeur en urban studies dans plusieurs
université du nord américain, a réalisé une étude 14 à la fois passionnante et désorien-
tée sur le thème des bienfaits cachées des perturbations sur plusieurs villes du nord
américain telles que New York, Charlotte, Détroit et Las Vegas.
Est-ce-que la ville industrielle américaine dispose au XXIe siècle d'assez de ressour-
ces pour faire preuve de résilience et retrouver son dynamisme ?
L'idée est de dire que les villes en déclin peuvent rebondir en se rétrécissant est très à
la mode. On veut être plus autonomes et moins dépendants des fluctuations financiè-
res, reporter le niveau d'infrastructure et de logement par rapport à la population res-
tante. Mais la plupart du temps, ces concepts de planification de rétrécissement ont
apporté plus de préjudice que d'amélioration du cadre de vie. Des initiatives menées
depuis les années 1950 pour "nettoyer" les quartiers, assembler et récupérer les ter-
res, et relocaliser la population au nom de la revitalisation ont été un vrai désastre.
D'après l'urbaniste Roberta Brandes Gratz : "now comes the theory that the salvation
of distressed cities is to once again shrink, as if shrinking had been tried before and
succeeded somewhere but who knows where ? Can anyone point to one city, just one,
where any of these 'renewal' schemes have worked to regenerate, rather than further
erode, a city ? Just one." En effet, aucun retour d'expérience n'existe pour prétendre
de la pertinence de tels méthodes. Des habitants jetés de chez eux, des quartiers dé-
truis, c'est tout un patrimoine architectural du début du XXe siècle qui est rasé. Cer-
tains habitants ne voulaient absolument pas quitter leur quartier, les écoles pour leurs
enfants, leur identité tout simplement était en jeu.
13 OSWALD P., Shrinking Cities : International Research. Ed. Hatje Cantz. (2005)
14 FLORIDA R., "How the Crash Will Reshape America, The Last Crisis of the Factory Towns", article publié par le magazine américain
The Atlantic. mars 2009.
35
Pourtant, la notion de shrinking cities était alors devenue une couverture pour les
promoteurs intéressés par un effet "top-down". Ce-dernier vise à répartir globalement
le portefeuille entre les différentes possibilités de placement, puis, à l'échelle de la
parcelle, sélectionner les titres qui conviennent le mieux. C'est une gestion du terri-
toire qui met l'accent sur le bénéfice à grande échelle macro-économique, avant de
s'intéresser à l'habitant. Ironiquement, la une du Telegraph, journal britanique, titrait :
"U.S. Cities May Have to Be Bulldozed to Survive." Cependant, les défenseurs du
concept de shrinking cities s'intéressent d'une toute autre façon aux anciennes villes
industrielles.
Les histoires du déclin et de la récente tentative de renaissance de la ville de Détroit,
Michigan (USA) sont un bel exemple. Pour le contexte, la ville, depuis 1970, a vu sa
population passer de plus de deux millions d'habitant à seulement sept cent mille.
Ainsi, elle a perdu l'équivalent de la population totale de ville comme Compiègne
(60), Saint-Ouen (93) ou Rosny-sous-Bois (93) chaque année pendant trente ans. Ces
quelques 43.000 habitants émigrent du fait de plusieurs phénomènes perturbateurs.
La fermeture des usines General Motors qui autrefois offraient à la ville le nom de
Motor-City, véritable capitale de l'automobile, le taux de criminalité très élevé (le
plus fort du pays), la périurbanisation, la ségrégation raciale, etc. Autant d'éléments
successifs propices au déclin d'une ville.
Les efforts de renouvellement urbain par le principe de rétrécissement ont un succès
auprès des anciens quartiers uniquement si projet est conçu en coopération avec les
habitants, sur le principe de communautarisme "à la hollandaise" (cf. Annexe #1). Si
bien qu'aujourd'hui on trouve énormément de jardins ouvriers sur Georgia's Street à
Détroit, le quartier de Greenwich Village à New York, la périphérie nord de Boston et
le village allemand Columbus, autant de projets qui ont permis aux habitants de con-
trer avec succès le schéma de renouvellement urbain de type "top-down". Ainsi, plu-
tôt que de laisser aux acteurs habituels la maîtrise d'ouvrage d'un projet, il semblerait
plus intelligent et approprié d'habiliter les résidents-mêmes d'en être les architectes et
de miser sur de l'auto-gestion basée sur un élan de communautarisme, offrant une
réelle qualité du renouvellement de l'espace.
D'après Jane Jacobs 15 , philosophe de l'architecture et de l'urbanisme des années
1950-1960, celle-ci prêchait déjà la bonne parole de ses nombreuses observations :
"It generates revitalization by empowering and harnessing the creativity of people
who live and work in the neighborhood. It does not cost an arm and a leg, and it
15 JACOBS J. Death and Life of Great American Cities - 1961
36
works." Et quand R. Florida lui demandait, à la suite de l'attaque terroriste du 11
septembre sur les Tours Jumelles de Manhattan, comment pensait-elle que la zone
serait reconstruite, Jane Jacobs repondait : "You're asking the wrong question. It's not
what I would do or anyone else would do for that matter. The key is to engage the
residents of the area, the business owners, the shopkeepers, the workers and the
commuters. They're the ones that can show the way to rebuild." Citation à laquelle
nous aurions pu rajouter : "And it'll works".
Figure 9 : Possibilité de cycle adaptatif correspondant à l'hypothèse #2.
✴
Néanmoins, selon Hervé Juvin et son ouvrage "L’occident mondialisé, controverse
sur la culture planétaire", si la décroissance urbaine permet d'atteindre une certaine
résilience urbaine, la société développerait une culture de l'individualisme. Un extrait
de son analyse : "la question de l’accès aux biens vitaux va dominer le monde qui
vient, avec la perspective raisonnable de biens réel rationnés, et d’une explosion des
prix de la vie (…) Nous en revenons au monde de la première mondialisation. La ri-
chesse des biens réels redevient la première richesse. Et la culture sera culture de la
rareté, culture de l’épargne et de la sauvegarde, culture du respect, de l’abstention,
de la modération. (…) Monde compté, petit limité ; il n’y a en aura pas pour
tous (…) La culture de l’individualisme, c’est-à-dire d’une extrême liberté dans
l’emploi de l’espace public et dans l’appropriation privées de biens communs, se
37
heurte à ce monde fini (…) La culture-monde adresse des désirs infinis à ce monde
fini, il est exclu que tous disposent des moyens de leurs désirs, il faudrait neuf planè-
tes pour faire vivre la population mondiale selon les standards californiens. En cela
aussi la culture monde est coupable de la disparition du monde."
Les conséquences d'une décroissance urbaine ne sont donc pas prévisible. Parfois,
elle va induire une prise de pouvoir de des promoteurs spéculant sur un top-down
avantageux, à d'autres c'est une culture de l'individualisme face au retour de la pau-
vreté et de la rareté des ressources et encore un scénario sera celui qui semble au-
jourd'hui fonctionner à Détroit, celui du communautarisme. Bien que l'école de l'éco-
logie ne cherche pas la stabilité des équilibres mais plutôt un système dynamique
malléable et flexible, peut-on considérer comme résilient tout système "instable" ?
L'instabilité, une sorte de flexibilité imposée, amplifiée, augmentée ?
✴
4. Hypothèse #3 : résilience urbaine = flexibilité imposée.
i. L'inspiration des modèles du Sud pour se rendre plus résilient ?
Les favelas brésiliens et autres bidonvilles indiens sont-ils les territoires les plus résilients au monde ? Leur instabilité politique, économique et social, basé sur
l'intelligence de la débrouillardise, de la magouille, une hiérarchisation de l'informel, leur vaut au moins le triste privilège d'être "flexible", mais sont-ils résilients pour autant ? Est-ce que le fait de baigner dans la vulnérabilité rend un système plus à-
même d'affronter une perturbation ? La réponse est oui, mais cela dépend de l'am-pleur de la perturbation. Tel un effet d'Archimède, les villes de l'auto-construction
sont immergées dans l'eau de la vulnérabilité et ne ressentent plus les effets et pres-sions des perturbations. Leur société est capable de s'adapter "à toute les folies" car ces dysfonctionnements font partis intégrantes de la fonctionnalité de leur quotidien.
Leur "état stable" est celui de l'instabilité.
Alors, cela fait-il de ces villes de l'informel une source d'inspiration pour nous autres
occidentaux avides de résilience ? Nous autres occidentaux qui ne cessons de com-plexifier nos systèmes et sous-systèmes socio-techniques, écologiques, économiques, géopolitiques, nos usages, nos mentalités. Tout y est toujours plus sophistiqué et
donc plus déréglable, l'avenir de nos villes serait-il entre les mains des prêcheurs de la décroissance ? Devons-nous envisager une démondialisation et appliquer un mo-
dèle basé suivant l'intelligence de la débrouillardise afin de décomplexifier notre sys-tème et rebondir ?
38
L'analyse de renversement radical de la situation mondiale de Hervé Juvin est-elle un
scénario à ne pas négliger, voire même sérieusement envisager ? Selon Serge Lhomme, c'est beaucoup plus compliqué que cela : "effectivement quand on com-
plexifie, on a tendance a créer, pas de la vulnérabilité intrinsèquement, mais on gé-nère des dépendances qui peuvent induire des événements majeurs. Le risque naturel étant un des éléments naturels qui peut alimenter tout ça, la probabilité de créer de
la vulnérabilité est faible. D'où l'intérêt d'analyser la ville en tant que système com-plexe. Mais justement, la résilience naît du paradigme de cette complexité. C'est-à-
dire qu'à partir de celle-ci, comment on fait pour lutter contre des événements qui sont imprévisibles ? Comment on peut persister en créant des choses qui reste com-plexe et aléatoire ?
Par contre, ce qui est juste c'est que c'est plus facile d'être résilient quand on est pas
complexe. La résilience n'est pas qu'un concept positif. L'exemple simple des pays en
développement. Economie instable, habitat moins résistants mais peuvent faire face à
des catastrophes. C'est pourquoi souvent on entend dire, si vous voulez voir une ville
résiliente, allez voir du côté des logements informels. Pour contrer la vision positive
de la résilience, elle parfois synonyme de décroissance. Des maisons sans portes ni
fenêtre facilite l'entrée et l'évacuation d'eau en cas d'inondation. On voit des exem-
ples d'architectes aujourd'hui qui s'inspirent de ça dans le dessin de leurs bâtiments
en France. Il y a pleins d'autres exemples du même type et tout ça constitue des for-
mes d'organisations résilientes.
La résilience est un concept complètement neutre qui dépend sur quel système on
l'applique. Mais du coup, ça ne veut pas dire qu'il faille privilégier tel ou tel système.
La résilience n'a pas de finalité, la résilience ne pose pas de question éthique. C'est
un questionnement sur la persistance des éléments et comment on peut persister face
à des événements extrêmes ou face à des événements complexes. Ce qui est différent.
On peut avoir quelque chose de tout petit mais de très complexe qui provoque quel-
que chose de fort ampleur de dysfonctionnement. La vulnérabilité représente-t-elle le
maximum de choc que l'on peut encaisser ou pas, la résilience est-elle l'inverse, on
ne sait pas. Tout dépend de l'échelle de temps à laquelle on se place."
39
Figure 10 : Possibilité de cycle adaptatif correspondant à l'hypothèse #3.
Ainsi, on peut continuer à croître avec un minimum de ressources. Imiter les méca-
nismes de la nature, les mécanismes de croissance économique, politique et sociale
"low cost - low tech - locaux" permettant plus facilement la résilience car le système
serait moins "complexe" et donc moins "déréglable". Mais cela ne veut pas dire que,
si ces imitations de la nature peuvent permettre la résilience, que les deux sont syno-
nymes. La résilience n'est pas toujours une question de mécanisme du cycle naturel.
Et surtout, la résilience n'est pas quelque chose de générique, elle ne s'applique pas
de la même façon n'importe où.
✴
ii. La résilience inattendue ?
La résilience se retrouve parfois dans les systèmes les plus inattendus comme le dé-
sert qui fluctue en rythme avec les précipitations et ce, sans tendance globale.16
Finalement, cette hypothèse pourrait nous conduire à l'idée que la résilience
urbaine est aussi une sorte de sauvetage d'une ville ou d'un pays entier in extremis.
Dans la mesure où Détroit était en déclin, il lui fallait un coup de pouce pour se rele-
ver, ce sont ses habitants qui aujourd'hui réinvestissent le territoire. La Nouvelle-Or-
léans est en déclin et pour elle aussi, dans un autre registre, son coup de pouce est
16 LAMBIN E. , Terre sur un Fil. Ed. Le Pommier (2004).
40
endogène, la ville renaît de l'intérieur par la solidarité de ses survivants et de ses ad-
mirateurs, de peur de perdre l'identité forgée à travers des épreuves communes durant
une histoire riche tant sur le plan culturel que humain. Sans doute l'avenir de la triste
faillite de la Grèce, des indignés Espagnols et autres shrinking cities d'Allemagne se
jouera entre les mains de grands investisseurs Quataris, des Emirats, de Chine ou
même d'Inde qui adorent "sauver le monde in extremis". De nos jours, ce sont eux
qui détiennent le portefeuille du monde. Et ils réinvestissent sur absolument tout et
n'importe quoi, on les voit racheter des clubs de football comme les clubs de Man-
chester City, Arsenal ou Paris Saint Germain, trois grands clubs qui étaient en déclin
et qui revivent en tête de leur championnat respectif aujourd'hui. Des banques, des
investissement immobiliers (hôtels, palaces), bref, tout ce qui aujourd'hui semble en
déclin, les quataris répondent présents pour un sauvetage in extremis.
Déclin puis renaissance, retour en arrière puis rebondissement, perturbation puis re-
tour à la fonctionnalité, etc. Nous pourrions citer tous les sens du concept de la rési-
lience et nous verrons que cette hypothèse est tout-à-fait "légitime". Mais une telle
hypothèse de "sauvetage in extremis" ne peut pas nous satisfaire. C'est encore une de
ces analogies que l'on pense pertinente mais uniquement parce-qu'on a pas voulu, ou
pas pu, essayer de la comparer avec d'autres hypothèses. Celle-ci étant en total con-
tradiction avec la première, qui nous le rappelons était le fait de "renaître de ses cen-
dres", on ne parlait absolument pas de rebondissement après déclin mais d'une véri-
table renaissance après tabula rasa. Une belle nuance, encore une fois.
Cependant, ces trois hypothèses conduisent à plusieurs points commun. Parmi les
plus récurrentes on recense les notions de solidarité, de ne pas s'être laisser abattre,
c'est le besoin de comprendre et de garder en mémoire un tel déclin pour mieux ap-
préhender l'avenir. C'est peut-être une sorte de "culture du risque" que la population
développe au fur et à mesure des épreuves communes de son histoire et qui participe
aussi à son identité. Plus un système emmagasine un historique lié aux perturbations,
plus il en a conscience et s'adapte en conséquence. (cf. Figure 10)
41
Figure 10 : Essai de somme des différentes hypothèses de cycle adaptatif, tentative de construc-tion d'une "courbe idéale" représentative de l'université de la résilience urbaine, elle-même symbole
de la culture du risque.
Quoi qu'il en soit, c'est la théorie que nous allons tenter de défendre durant le reste de
ce mémoire. Est-ce que l'image du risque permet de catalyser le processus de rési-
lience urbaine ? Une ville serait donc résiliente une fois qu'elle aurait pris connais-
sance du risque, d'en avoir conscience, de l'accepter et vivre avec son image ancrée
dans sa mémoire ?
Alors, existerait-il une école du risque ? Comment y enseigne-t-on la résilience ur-
baine ?
✴
42
I I
Imagibilité et culture du risque, facteurs de résilience urbaine ?
Cette partie sera entièrement consacrée à la conscience du risque et aux quali-
tés d'apprentissage et d'acceptation de celui-ci. Il faut alors comprendre ce que repré-
sente le risque et comment est-il perçu par la société. On parlera de "société du ris-
que" et de différents degrés d'appréhension du risque avant son acceptation. Autre-
ment dit, comment sont perçu les par la société ?
Enfin, durant la seconde partie, nous aborderons la résilience urbaine par le prisme
de l'imagibilité, approche expérimentale par analogie aux recherches menées par le
sociologue et urbaniste américain Kevin Lynch. Cette approche nous permettra de
déterminer si la théorie de l'imagibilité du risque facilite, voire catalyse, le processus
de résilience urbaine proactive.
Qu'est-ce que la société du risque ? Pourquoi est-il si hasardeux de s'immiscer dans
l'apprentissage du risque ? Et d'ailleurs qui, aujourd'hui, a-t-il envie d'une culture du
risque ?
43
I. Phénoménologie de la culture du risque.
Afin de comprendre ce que représente concrètement la culture du risque, il
faut aller puiser dans ses fondements, à savoir comment est appréhendé le risque par
la société. On s'intéresse alors à l'essor de la connaissance qui engendre de plus en
plus d'incertitudes et donc de risques. Aujourd'hui, l'explosion urbaine a déclenché
une politique de l'alerte dans le but de réveiller un civisme oublié. La politique et la
société du risque. Le professeur allemand Ulrich Beck a consacré une grande partie
de sa vie aux recherches sur la notion de sociologie du risque17. Pour comprendre la
pensée d'Ulrich Beck, il faut préciser avant tout des notions comme "modernité ré-
flexive", la "réelle" notion de risque et comprendre surtout leur articulation. La thèse
de la modernité réflexive est une interprétation théorique de la modernité fondée sur
une périodisation en trois grandes étapes de construction et de changements sociaux.
La première, la pré-modernité caractérisant la période féodale ; la deuxième, la mo-
dernité simple par la société industrielle ; la troisième la modernité réflexive celle de
la société actuelle, du toyotisme ou plutôt du post-taylorisme. Ces trois époques se
distinguent par le statut des risques.
✴
1. Sociologie et culture du risque.
Dans la société pré-industrielle, les risques sont surtout naturels au sens où ils
proviennent avant tout de famines, d'épidémies, de catastrophes naturelles, etc. Ils
apparaissent comme l'expression de la volonté divine, de la fatalité ; en bref, ils sont
externes à l'homme et, en tout cas, imprévisibles et à cet époque non maîtrisables.
Dans la société industrielle, fruit des progrès de la connaissance, de la science, les
risques sont avant tout produits par l'homme, et maîtrisable par le développement des
techniques et de la science. Apparaissent donc des systèmes de prédiction, de préven-
tion, d'assurance et de réparation des risques sociaux et naturels, autrement dit un
ensemble de protections sociales, de cadres sociaux qui protègent les individus. Il
s'opère une libération des nécessités naturelles, une forte différenciation par rapport
au monde antérieur des traditions et des religions, une "rationalisation de la traduc-
tion", pour reprendre les termes d'Ulrich Beck. Mais le progrès de la connaissance
continuent et vont contribuer à saper les principes et les modes de fonctionnement de
la société industrielle. Intervient alors "une rationalisation de la rationalisation " et,
17 BECK. U. La société du risque: sur la voie d'une autre modernité -2001 - réédition Flammarion 2008
44
avec elle, "non seulement les risques générés par l'homme s'accroissent, mais ils de-
viennent plus qu'une menace, ils deviennent la mesure de notre propre action."18
Dans la société moderne avancée, celle des hautes technologies, accélérations des
usages, du développement scientifique, tout se réalise à une vitesse exponentielle.
Alors qu'en réalité la production et la croissance des connaissances scientifiques sont
paradoxales. En effet, elles sont à la fois la source des richesses de la ville mais aussi
la cause d'une exposition toujours plus vulnérables aux risques. Ainsi, selon Ulrich
Beck : "alors que, dans la société industrielle, la logique de répartition des richesses
dominait la logique de répartition des risques, désormais cette logique s'inverse.
C'est la question de la répartition des risques qui devient centrale. Plus on produit
de connaissances et de développement scientifique, plus les risques augmentent, plus
il faut penser les moyens de s'en prémunir. Il s'ensuit une diminution de la confiance
dans la production de connaissance et dans le progrès lui-même ; la montée en puis-
sance de la problématique de l'incertitude, tout comme la montée des demandes de
sécurité témoignent de ces évolutions. Il y a réflexivité de la modernisation dans la
mesure où ce processus est à la fois objet de réflexion et de problème." 19
De plus, les risques sont d'autant plus élevés que la tendance mondiale des catastro-
phes, naturelles et technologiques, est en croissance exponentielle (cf. Annexes 2 :
tendances catastrophes naturelles). On peut voir sur le même graphique les rapports
sur le nombre de catastrophe, de personnes affectées et décédées. On se rend compte
que, si les personnes décédées sont en constante baisse pour les catastrophes naturel-
les, le taux de personnes affectées est proportionnel à la quantité des catastrophes.
Ainsi, cela implique qu'à l'échelle mondiale de temps et d'espace, l'homme est tou-
jours plus vulnérable aux risques majeurs.
En quelque sorte, l'évidence est vecteur de l'imprévisible et de l'incertitude. Du plai-
sir à l'inquiétude et de la peur à l'angoisse, la perception agit comme un miroir dé-
formant qui peut influencer des individus comme des populations dans leur choix en
société. Les organisations sont aujourd'hui prises au piège du risque : accident, inci-
dent, simplement mauvais temps, mais aussi risque social, commercial, financier,
terroriste, naturel ou technologique.
18 BEQUET V. , DE LINARÈS C., ION J. Quand les jeunes s'engagent: Entre expérimentations et constructions - 2005 citation p.57
19 BECK. U. La société du risque: sur la voie d'une autre modernité -2001 - réédition Flammarion 2008
45
✴
2. La culture traditionnelle et celle du risque.
Nous l'avons vu, les individus contemporains n'ont jamais été autant vulnéra-
bles, au sens où leur exposition aux risques naturelles, technologiques ou économi-
ques visent un bon nombre de leurs biens matériels et valeurs immatérielles. La no-
tion de "culture de risque" pourrait très bien s'assimiler à : "la culture traditionnelle
des citadins de la source de risque alors que cette dernière ne contient parfois nulle
trace des dangers potentiels dénoncés, dont l'existence relève alors peut-être davan-
tage d'une production d'experts (études, travaux, discours, etc.)"20
Ainsi, autant que sa culture cinématographique, sportive, musicale, littéraire, pictu-
rale et autres, la culture du risque est une affaire personnelle. La grande différence
réside dans le choix. Les cultures dîtes traditionnelles sont cultivés d'une initiative
personnelle tandis que celle du risque est imposée. On ne choisi pas de se faire inon-
der ou d'être soumis aux fluctuations boursières ou autres crises financières et atta-
ques terroristes. En revanche libre à quiconque d'être fan ou non de football et de
préféré une équipe ou une autre. Peut-on être fan de risque ? Peut-on être fan d'in-
cendie ou d'inondation sans être perturbé mentalement de pyromanie ou de maso-
chisme ?
La culture du risque est-elle une valeur dont nos sens ne peuvent tout simplement pas
considérer dans une telle société stigmatisée et conditionnée à l'équilibre et la stabili-
té de ses sous-systèmes ? Est-ce que la culture du risque ne devrait pas représenter, à
l'instar des Beatles ou des blockbuster hollywoodien, une culture qui soit présente
dans la mémoire collective ? Si bien intégrée qu'il n'y a absolument pas besoin d'y
prêter attention pour entretenir ses souvenirs. Par exemple, en écoutant un air des
Beatles on est tous capables de fredonner quelques notes, ou du moins reconnaître la
voix et le style particulier, tout comme l'image de John Travolta représente les Etats-
Unis à l'époque du rêve américain.
"Imagine all the people Living for today."
(John Lennon, 1971)
Si l'appréhension du risque est une affaire personnelle, l'épreuve de la perturbation
est commune à toute une société. La perception est personnelle mais l'épreuve est
20 DUCHENE F., MOREL-JOURNEL C. De la Culture du Risque, Paroles Riveraines à propos de deux cours d'eau périurbains - 2004
46
commune. D'ailleurs, l'identité personnelle est une valeur qui se forge avec le temps
suivant les actions et les épreuves rencontrées tout au long de sa vie. Son identité on
la forge avec le temps. Une identité commune à un groupe d'individu est possible si
ceux-ci ont vécu la même histoire à différentes échelles et sur des temps plus ou
moins longs. C'est ainsi que la culture du risque peut s'avérer collective à certains
moments de l'histoire. Mais tout l'enjeu de la résilience urbaine proactive, nous
l'avons vu, est d'inculquer des qualités d'apprentissage afin de prévenir les risque, ne
pas attendre le choc pour en avoir conscience et l'accepter. Car au moment du choc
on a plus le temps d'accepter la catastrophe, on est dépité, ou bien décédé ou très for-
tement affecté. Bien sûr, tout dépend de la gravité et de l'ampleur de la catastrophe et
le schéma représentatif des courbes de Farmer le montrent bien (cf. Figue 11).
Figure 11 : Représentation de la courbe de Farmer, la probabilité d'un risque en fonction de sa gravité. On note trois degrés d'appréhension des risques plus ou moins importants.
✴
3. Les degrés de perception du risque.
Le risque est approchable par différents moyens et selon notre "culture" on va
le percevoir. On appréhende le risque avec inquiétude, on le craint avec peur et on le
tourmente avec angoisse. Tout dépend de notre "bagage" culturel. S'il y avait une
hiérarchie de perception du risque, l'inquiétude est le premier degré de perception du
47
risque, la peur le second et l'angoisse le troisième. Le degré supérieur étant certaine-
ment la "phobie", mais il relève de l'ordre de la médecine de traiter ce symptôme.
i. L'inquiétude.
Chacun est inquiet pour une raison ou pour une autre, on inquiet pour ses en-
fants, son avenir, son entretien, son mémoire, c'est une pensée naturelle. Il est même
positif de s'inquiéter d'une chose plutôt que de s'en moquer. Toute la nuance est là,
l'inquiétude est le moteur de notre levée du matin. L'inquiétude peut donc être consi-
dérer comme un levier par lequel il est possible de faire passer un individu à l'acte :
en cela, l'inquiétude est positive et utile. Cette sensation nous permet d'accepter des
réponses rationnelles. Il s'agit de soulever les obstacles qui s'opposent au choix d'un
appartement, d'un travail, d'une destination qui soit "hors zone vulnérable" pour ne
laisser place qu'au plaisir. L'inquiétude entre parfaitement dans une dynamique évo-
lutive, pousse par stimuli l'individu à s'extérioriser tout comme la société à évoluer.21
ii. La peur.
La peur est différente de l'inquiétude dans la mesure où elle est beaucoup
plus liée à la perception du risque. Si l'inquiétude est un état naturel, la peur est nour-
rie par l'histoire de toute une vie. Si un individu a peur il va se mobiliser afin de met-
tre en oeuvre des actes qui modifient les éléments à l'origine de la peur. Un enfant a
peur du noir, il va allumer la lumière point. Un adulte a peur de l'inondation, que
fait-il ? Il court parce-qu'il a peur. Il ne cherche pas forcément de solutions rationnel-
les, la peur possède une part d'instinct. La peur est personnelle et il est d'autant plus
difficile de la combattre car elle est justement fortement liée à des perceptions indi-
vidualisée, des mauvaises expériences dans tel ou tel domaine. La plupart du temps
on a peur de quelque chose qu'on ne maîtrise pas ou qu'on connaît peu. Par exemple,
si l'on prend l'avion pour la première fois, on va instinctivement penser au pire. La
vitesse du décollage et l'effet sont impressionnants et très sujets à crainte. C'est la
peur. Dans ce fait, la peur dépend de l'histoire de chaque individu, pour certains elle
est une motivation, pour d'autres, moins préparés, elle laisse place à l'angoisse.
Dans le but d'en savoir davantage autour du thème de la peur du risque, j'ai pu réali-
ser un entretien avec M. Gilles Hubert, chercheur au LEESU et professeur à l'Uni-
versité de Marne-la-Vallée dans le département Génie Urbain. La discussion portait
sur la question première suivante : "Pour inculquer une culture du risque, faudrait-il
faire peur à l'habitant ?" (La discussion complète en Annexe #2).
21 BEQUET V. , DE LINARÈS C., ION J. Quand les jeunes s'engagent: Entre expérimentations et constructions - 2005 citation p.57
48
"Freak out ! Le freak, c'est chic."
(Le Freak, 1978)
iii. L'angoisse.
L'angoisse est le degré le plus négative de l'appréhension du risque car cette
sensation s'entretient avec l'imaginaire. Cela peut être une accumulation d'inquiétu-
des d'un ou de plusieurs faits redoutable à affronter seul. Il est souvent l'origine d'ac-
tes irrationnels, voir cliniques et particulièrement résistant à l'argumentation. La pho-
bie est une sorte d'angoisse et il en vient aux études de l'esprit, de la psychologie ou
psychiatrie en médecine, de "raisonner" le "patient" afin que celui-ci puisse "com-
battre" sa "maladie". La panique est une autre forme d'angoisse et souvent collective.
On parle de panique général quand une perturbation influe sur la totalité d'un groupe
d'individu.
iv. Synthèse et modélisation de l'appréhension sociétale des risques.
Il y a donc une part d'imaginaire, voire même de créativité, qui entre dans la percep-
tion du risque. Cela renvoie à notre définition de la sérendipité. Le risque est une
question de hasard, d'imprévisible, on ne sait pas ce qui nous attend exactement. Ce-
pendant, il est possible de dessiner des tendances.
L'inquiétude, la peur et l'angoisse ne peuvent exister que face au risque. Ainsi, lors-
que Beck parle de culture du risque dans la société post-moderne, il est rarement fait
état du risque individualisé. Par exemple, si l'on prend le cas des incidents d'inonda-
tion, celui-ci soulève plus d'émotions que les morts, pourtant répétés, sur les routes
d'un week-end pascal. Moins un risque est quotidien, plus un incident lié à ce risque
provoquera une émotion forte dans l'opinion. Pourquoi ? Parce-que l'accident de voi-
ture est familier, bien plus que d'autres accidents. La prise de risques non familiers
est plus propice à provoquer la peur. De plus, la peur est un facteur émotionnel fort,
transmissible de proche en proche, dont l'entretien est aisé. La puissance psychologi-
que et sociale de la peur est tel que certains politiques peu scrupuleux et spécialistes
de la manipulation de masse n'hésitent pas à bâtir leur pouvoir par la promotion de la
peur. (voir Annexe #2).
49
Figure 12 : Schéma croisant les statistiques22 liées aux risques socio-économiques, technologi-ques, naturels, de sécurité et de santé en fonction de l'opinion public. On note quatre zones d'in-fluence : la clairvoyance, l'incompréhension, l'indifférence et l'insouciance. Champs : France.
✴
II. L'école du risque.
On veut réduire la vulnérabilité d'un territoire face à un certain aléa en mon-
trant à la population que le risque existe bel et bien. C'est une sorte de sagesse que
l'on veut inculquer. Mais comme toute sagesse, elle s'acquiert par l'expérience et se
forge avec le temps. D'où, la nécessité de l'école du risque. Comment y enseigne-t-on
la résilience ?
22 Sources : Statistiques croisées depuis les analyses de l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE), Emergen-
cy Events Database (EM-DAT), Ministère de l'écologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement (MEDDTL 2011,
MEEDAT 2007), Centerfor Research on the Epidemiology of Disasters (CRED), IRSN (baromètre 2011 sur la perception des risques et de
la sécurité par les français), SOeS-Tns-Sofres (Enquête sur le sentiment des risques majeurs en France, 2007) ...
50
1. Communiquer.
i. Les médias.
Les médias y sont pour beaucoup dans la perception du risque. Ils sont l'uni-
que intermédiaire entre la catastrophe et le reste du monde, dans la mesure où rende
virtuel le risque réel ce qui génère une perte partielle de conscience du risque, donc
l'absence de confrontation et de reconnaissance des véritables risques auxquels nous
devrions faire face. De plus, cette virtualité du risque réel se fait au profit de risques
mineurs ou lointains capables de cristalliser des émotions très fortes. On se dit : "en-
core heureux que ce ne soit pas arrivé chez nous, oh les pauvres..." Or, on ne peut
agir sur ces risques perçus comme une réalité à laquelle nous serions confrontés, ce
qui génère des inquiétudes, des peurs et des angoisse sur lesquelles aucune action
individuelle n'est possible. Et l'angoisse est véhiculée par l'imaginaire. En fabricant
une société angoissée, il serait donc possible de détourner son imaginaire de la réali-
té. Agir sur la perception du risque demande d'autres leviers que celui de la commu-
nication médiatique ou politique. La peur et le risque ne peuvent et ne devront être
que des sujets d'inquiétude à maîtriser pour les acteurs de l'inondation.
ii. Le marketing.
On peut distinguer différents types de "marketing" pour la "promotion" du
risque. Il y a d'un côté la diffusion d'images chocs dont la campagne de pub pourrait
s'apparenter à différentes images déjà connues du spectateur via les médias par
exemple. Donc des images réelles mais qui, bout à bout, ont un impact très fort, voire
de dégoût qui conduisent rapidement à l'inintéressement. C'est un peu comme cette
campagne marketing pour prévenir des risques du tabagisme actif. Sur chaque paquet
de cigarettes il y a inscrit en noir sur blanc encadré en gras l'écriteau "Fumer tue", ou
bien "Fumer peut provoquer des maladies cardio-vasculaires" ou encore "Fumer rend
impuissant". Le message passé derrière est : "tenez, on vous vend ces cigarettes par-
ce-qu'elles nous rapportent énormément, mais on vous aura prévenu, fumer tue". Le
"on vous aura prévenu" est très répandu dans le milieu du marketing. On se dédaigne
de toutes responsabilités, c'est à l'individu d'assumer ses actes. Quelque part c'est une
bonne chose mais le moyen par lequel est communiqué l'information reste douteuse.
D'autant plus que, désormais, en plus du message d'alerte une image choc d'une opé-
ration chirurgicale ou bien d'une maladie infectieuse grave ou autres sont imprimés
sur chaque paquet. Autant dire qu'on a envie de vomir plutôt qu'autre chose. Pour-
quoi autant de pessimisme ? Si bien qu'une "contre-campagne" de "cache-paquet"
51
existe pour tous ceux qui ne veulent pas s'imposer le fardeau de mirer ses images
horribles. Pourquoi ne pas plutôt imprimer des images de tout ce que l'on peut faire
en plus de bénéfique pour sa santé si l'on ne fumait pas. Par exemple, un homme ou
une femme faisant du sport ou même faisant l'amour pourquoi pas ? Fumer rend im-
puissant mais arrêter de fumer rend fertile ! Voilà une campagne qui fonctionnerait
sans doute davantage qu'une telle ignominie.
C'est dans cet optique que j'ai voulu comparer ce qu'il en était des risques liés à la
ville. Par exemple, le cas des inondations. (cf. Annexe #2) Une campagne marketing
très jouissive nous dévoile comment on peut faire réagir la population autrement que
par le pessimisme d'images. Bien sûr, ces-dernières sont nécessaires, mais ne doivent
pas être omniprésentes dans l'esprit de l'humanité. Si nous avons besoin d'image du
risque pour se cultiver dans ce domaine, autant qu'elles soient optimistes. Encore une
fois c'est un avis subjectif, car rappelons-le, la culture du risque est une question de
point de vue et de perception personnelle (cf. Annexe #2, la discussion sur le sujet
avec M. Gilles Hubert). Par conséquent, un observateur va être plus ou moins récep-
tif et sensibilisé par une image de communication empathique 23 ou anempathique 24.
iii. Les stratégies réglementaires
Les stratégies sont nombreuses et opèrent à différentes échelles de gouver-
nance (cf. Annexe #2 stratégies réglementaires). Ce sont les variables de forçage
d'une composition urbaine. Des projets urbains peuvent donc se dessiner en fonction
de ces règles ou bien se voir modifier à "cause" de ses règles. Et bien sûr, l'effet in-
verse est possible aussi, à savoir des projets ou des pressions sociales, écologiques et
techniques vont faire en sorte de "modifier" les règles, une sorte de transgression lé-
gale.
La résilience urbaine n'induis pas forcément de créer d'autres lois ou bien
d'autres plans de prévention des risques. Ceux-ci existent bel et bien, même s'il fau-
drait toutefois les modifier quelque peu mais ce n'est pas par le concept de la rési-
lience proactive, comme nous pourrions le penser, que ces lois passeront. La rési-
lience va plutôt offrir, à travers de projets de conception urbaine, de composition en-
tre les paysages et la société, de qualité d'apprentissage par l'image du risque. C'est
par la composition urbaine qu'il sera possible de dessiner des tendances et des modes
23 Empathique : qui se soucie de l'identité et de l'histoire.
24 Anempathique : qui ne se soucie ni de l'identité, ni de l'histoire, Quentin Tarantino est le maître de la mise en scène cinématographique
en utilisant le concept de musique anempathique. Par exemple, une musique douce sur fond de scènes violentes est une situation anempa-
thique.
52
d'usages que l'habitant va pouvoir choisir et naturellement il aura intégré l'image du
risque participant à sa propre culture. L'ambition de la culture du risque n'est pas de
dicter fermement des idéologies ou doctrines dictatoriales, mais plutôt un courant de
penser, une philosophie que l'on choisi d'adopter ou bien de rejeter.
Par conséquent, depuis les années 1980, les termes urbanisation et risque tendent à
une réconciliation et à la possibilité de fournir à la société les connaissances néces-
saires afin de prendre conscience du risque et de mieux pouvoir l'appréhender puis
l'accepter. Par exemple, concernant le risque inondation, on assiste à l'émergence
progressive des techniques alternatives de gestion des eaux pluviales, intégrées au
paysage urbain. On ne place plus le risque d'inondation sur un système linéaire mais
bien dynamique, à l'instar de l'école de l'écologie que nous avons détaillé plus haut.
L'un des principes phares étant de réduire l'imperméabilisation des sols. Mais ne
nous ne détaillerons pas ces principes, nous les considérons comme acquises par le
lecteur.
En France, combattre les risques consomme environ 20 à 30% des ressources. 25
Mais si tant d'efforts sont consentis pour contingenter les risques, peut-on accepter
que les individus prennent des risques en bénéficiant d'un permis de construire en
zone inondable ? Quoi qu'il en soit, il semblerait, que les habitants en zones vulnéra-
bles soient plus conscients du risque que ceux qui ne le sont pas. Mais en être con-
scient ne signifie pas forcément l'avoir accepter, et non plus de savoir comment l'ap-
préhender de façon naturelle (cf. Annexe #2 ).
✴
"La conscience est la dernière et la plus tar-
dive évolution de la vie organique, et par con-
séquent ce qu'il y a de moins accompli et de
plus fragile en elle." (Friedrich Nietzsche)
2. Acceptabilité.
Dans les faits, le risque imposé peut aussi s'avérer consenti et acceptable. Les
risques acceptables se veulent évalués, maîtrisés, y compris par les individus. Par
exemple, l'achat d'une habitation en zone inondable coûte bien moins cher qu'en zone
constructible. Cependant, les coût pour l'entretien en cas d'inondation ne sont pas en-
25 MEDDTL - Commissariat général au Développement durable. Statistiques publiées sur Internet, disponibles via l'url :
[www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/]
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tièrement remboursés par l'assurance. Considéré comme une prise de risque volon-
taire. Pire, lors d'accidents, les médias rentre dans le jeu du "tout sécuritaire", qui
tend à interdire toute prise de risque. On parle facilement "d'irresponsabilité", "d'in-
conséquence". Il en reste pas moins que les médias sont un miroir de notre société et
notre société un miroir des médias. L'effet de raisonance qui en découle produit un
larsen suffisamment bruyant pour rendre inaudible toute l'idée contraire à la pensée
commune, entre autres, l'acceptabilité du risque qui devrait être un espace individuel,
voir collectif de liberté.
Serge Lhomme affirme avec pertinence : "on ne peut pas insuffler une culture du ris-
que à la société par l'appréhension d'une catastrophe naturelle mais en lui faisant
comprendre qu'elle est humaine. Les catastrophes naturelles sont bel et bien naturel-
les mais ce qu'elles génèrent comme dégâts sont à cause de l'homme. La population,
même si elle n'agit pas directement dessus, elle le trouve foncièrement intolérable.
Pour les gens, le risque technologique est anthropologique et donc humain et il est
intolérable qu'une création humaine puisse faire du mal à l'humain. L'occurrence
d'un risque technologique est de l'ordre de 10-6 en probabilité. Tandis que de l'autre
côté, l'occurrence d'une inondation est de l'ordre du 10-2.
Pour que la population on ne s'en soucie pas, car c'est considéré comme normal, on
l'accepte plus en terme de... parce que c'est naturel, le risque n'est pas de la faute de
l'homme. Alors qu'on est d'autant coupable sur un risque naturel qu'un risque tech-
nologique. Mais l'appréhension est totalement différente.
C'est justement du fait qu'on se protège de chose qui sont pratiquement indolores
qu'on est amené à subir de tel dommage. Si l'occurrence d'inondation serait amenée
à être plus élevée, la réaction des habitants serait totalement différente. Elle ne serait
pas ignorante en tout cas."
Ainsi, il y aurait une grande différence de perception et d'acceptation du risque qu'il
soit naturel ou technologique. La population est soit indifférente, soit insouciante en-
vers les risques naturels (cf. Figure 12). Cependant, en ce qui concerne les risques
générés par l'homme tels que le risque de précarité, de chômage, de retraite ou autre
criminalité et autres attentats terroristes, la population est clairvoyante concernant
ces sujets. Clairvoyante et inquiète, elle n'est pas forcément "angoissée", selon l'indi-
vidu le degré d'appréhension fluctue (cf. Sous-partie précédente) mais elle le prend
en considération. Elle ne l'accepte pas. Personne n'a envie d'être précaire, personne
ne veut dormir sous les ponts, etc.. On trouve ces risques intolérables. Bien sûr, les
sources de préoccupations diffèrent d'un pays à un autre.
54
Par conséquent, pour accepter de "prendre un risque", de l'apprendre, d'en avoir con-
science, il faudrait réussir à le rendre "humain" et non simplement "naturel". Un ris-
que naturel n'en est pas moins "sur-naturel" et donc il est envisageable de le com-
prendre, de le saisir.
✴
3. Prendre le risque.
Le fait de prendre un risque est une attitude presque vitale et dont chacun a
fait au moins une fois dans sa vie, c'est un besoin essentiel à l'âme. Si cela est vrai
lorsque l'on prend le risque de commencer un cours de danse ou de tout quitter et
partir faire le tour du monde. Ce sont des risques, mais egocentrés et prudent vis-vis
de l'ampleur que pourrait représenter un risque de catastrophe naturelle. Autrement
dit, si le risque est choisi comme une volonté de "partir à l'aventure", alors il est ac-
cepté car désiré. En revanche personne ne fait le choix d'affronter une catastrophe
naturelle car une telle perturbation est imprévisible, involontaire, imposée et inaccep-
table.
Les professions de pompier ou de militaire, par exemples, sont des métiers dits "à
risques". On choisi sans doute un jour de devenir pompier, on étudie, on s'entraîne
physiquement et mentalement à prendre un engagement décisif, celui de "risquer sa
vie" pour sauver celle des autres. C'est un acte de foi qui n'est pas à la portée de tout-
à-chacun, nous ne voulons pas tous devenir pompiers. Mais nous avons tous du bon
sens. Aider son prochain est un acte qui relève de la bienveillance envers autrui et de
la clairvoyance, ou du bon sens, envers soi-même. Mais comment communiquer le
bon sens qui de fait, est un apprentissage suivi durant toute une vie. Le bon sens ne
s'improvise pas, il ne peut d'ailleurs pas non plus s'instruire, cependant il peut se cul-
tiver. Toute l'ambition de la culture du risque réside sans doute dans l'aptitude à en-
seigner le bon sens.
Certaines dictatures ont réussi à inculquer de nouvelles idéologies et doctrines à
l'échelle de tout un peuple. Mais bien sûr, c'était une culture imposée, difficile à as-
sumer. La culture du risque doit plutôt pouvoir se cultiver comme celle de la musi-
que, on commence par le solfège, puis on compose en attendant de devenir une star
du rock ! Le solfège est à la musique ce que les stratégies réglementaires et de com-
munication sont à la gestion des risques, la composition représente celle que l'on réa-
lise en dessinant le paysage urbain et la star du rock ce sont nous autres, les usagers.
55
✴
Concrètement, qu'est-ce que la culture du risque ? Prendre un maillon du système,
voir une étude de cas qui existe, quel regard critique ? Après la catastrophe, est-ce
que la ville a besoin de résilience pour renaître de ses cendres ? Exemple de la Nou-
velle-Orléans. Est-ce qu'elle va profiter de la situation pour changer totalement
l'image de la ville des brass band jazz et de la nourriture ou pire ne rien faire, l'aban-
donner et en faire une légende ? La ville persisterait dans l'imaginaire mais ne survi-
vrait pas matériellement. Elle serait comme ce lac mystérieux d'Ecosse dans lequel
un monstre étrange appelé Loch Ness y hanterait encore les lieux. La légende peut
être un très fort facteur de persistance pour une ville. Certaines légendes sont très
bien ancrée dans notre mémoire. Depuis les contes pour enfants jusqu'aux mythes
légendaires de L'Illiade et l'Odyssée de Homère, le Minotaure, Hercule, les pharaons
magnifiques d'Egypte. On pourrait écrire des milliers de pages à citer toutes les cités
et personnages qui doivent leur valeur à une histoire, une légende. De fiction ou de
science-fiction, on leur doit nos images profondément ancrées dans notre mémoire.
C'est l'image de la ville dont il est question et non son identité. L'image serait alors
vecteur de culture.
Finalement, la résilience urbaine proactive pourrait s'apparenter à développer une
imagibilité du risque et de faire en sorte de l'entretenir. Ainsi, si le risque est assez
"visible" dans la composition du territoire, il serait aisé de le comprendre de façon
naturelle et aléatoire. Cette "visibilité" dépend de l'imagibilité d'un site, dont nous
allons enfin détailler les principes ci-après.
Figure 13 : La résilience urbaine vu par le prisme de l'école de la culture du risque.
56
✴
III. Les valeurs de l'imagibilité dans la culture du risque.
Le terme d'imagibilité est tiré de l'ouvrage du philosophe urbaniste américain
Kévin Lynch26 intitulé "L'image de la cité"27. L'étude de Lynch met l'accent sur l'en-
vironnement physique en tant que variable indépendante. Au cours de cet ouvrage on
parcours ses recherches concernant la qualité physique qui soit en rapport avec
l'identité et la structure, attributs de l'image mentale. C'est ainsi qu'il développe le
concept de "l'imagibilité" : "c'est, pour un objet physique, la qualité grâce à laquelle
il a de grandes chances de provoquer une forte image chez n'importe quel observa-
teur. C'est cette forme, cette couleur ou cette disposition, qui facilitent la création
d'images mentales de l'environnement vivement identifiées, puissamment structurées
et d'une grande utilité." [K. Lynch, 1960].
En quelque sorte l'imagibilité, en plus des notions de "lisibilité" et de "visibilité", of-
fre une valeur ajoutée qui permet à l'observateur de se forger une image forte, qu'il
pourra facilement interpréter mentalement. L'étude de l'imagibilité est en réalité
l'étude de ce qui va pouvoir émouvoir, capter l'intention, laisser des souvenirs et tout
simplement rester dans le quotidien d'un individu. Ce qui caractérise la qualité d'une
imagibilité d'une autre, c'est la capacité d'un objet physique d'apparaître comme "bien
formé", distinct, remarquable ; doit pouvoir attirer l'oeil et l'oreille à augmenter son
attention et sa participation. C'est faire en sorte que l'image permette une représenta-
tion mentale.
L'imagibilité dans la culture du risque ne serait pas "d'enjoliver" une catastrophe,
mais plutôt de la rendre plus acceptable par le biais d'images proactives, propice à la
résilience urbaine. Ces images proviendraient alors de la qualité des compositions
urbaines, de la communication, de la sérendipité, de la sagesse, de la malléabilité du
système, autant d'éléments propices à diffuser une image forte dans l'esprit de l'ob-
servateur participant chacun à l'héritage culturel du risque d'un individu. Finalement,
l'imagibilité du risque renvoie à l'étude de la résilience urbaine par le prisme de
l'école du risque (cf. Figure 13).
26 LYNCH K. (1918-1984) philosophe de l'architecture et de l'urbanisme, était professeur à la prestigieuse MIT School of Architecture and
Urban Planning.
27 LYNCH K., L'image de la Cité. Ed. MIT Press (1960).
57
✴
1. De la sérendipité à la sécurité émotive.
La qualité de l'image se note si celle-ci persiste dans la mémoire d'un individu
sans se déformer. Une image du risque entretenue par le fait qu'elle serait fortement
liée à l'objet de la perturbation visé et, tant que la perturbation opère, l'observateur va
la comprendre, la saisir et s'en faire sa propre représentation mentale pour mieux
l'appréhender, être plus dans un état de sérénité.
Les techniques de compositions doivent pouvoir inciter le regard et facilité la recon-
naissance des éléments et de les organiser en un schéma cohérent. L'observateur por-
tera spécialement son attention sur une qualité visuelle particulière , on l'appelle
"clarté apparente" ou "lisibilité" du paysage urbaine [K. Lynch 1960].
Bien que la clarté, ou lisibilité, ne soit pas l'unique propriété importante de la culture
du risque, elle devient essentielle lorsqu'on se place à l'échelle de la ville, du point de
vue de la taille, de la durée et de la complexité, pour examiner l'environnement. Au-
trement dit, il ne faut pas considérer le risque comme une chose en soi, mais en tant
que perçu par ses habitants.
Ainsi, par le concept d'imagibilité on va bannir la notion d'instinct de la culture du
risque. Ce n'est plus de l'instinct mais une utilisation et une organisation logiques des
indications sensorielles fournies par l'environnement extérieur. En ville, par exemple,
s'égarer peut s'avérer chose courante au vue de la complexité de certaines villes, mais
en réalité le fait de s'égarer est très rare pour un individu qui aurait scruter les lieux
plusieurs fois. Il va reconnaître la signalétique, le mobilier urbain, le nom des rues, le
sens de circulation, les odeurs, des points de repères, autant d'éléments du quotidien
du citadin qui font partis de sa mémoire auxquels il ne pense certainement plus, mais
le guident tout au long de son parcours. Ce n'est pas de l'instinct, c'est le fait de réali-
ser une expérience sérielle 28 qui le conduit à se comporter ainsi [Gordon Cullen,
1961]. Mais si par malheur il arrive de se tromper de chemin, c'est l'inquiétude qui
prend place à la sérénité. L'inquiétude peut rapidement tendre vers l'anxiété ou l'an-
goisse si l'individu est réellement perdu, désorienté. K. Lynch le dit bien : "le mot
même de 'perdu' signifie, dans notre langue, bien autre chose qu'une simple incerti-
tude géographique : il comporte un arrière goût de désastre complet. Dans l'opéra-
tion qui consiste à trouver son chemin, le maillon stratégique est l'image de l'envi-
ronnement, la représentation mentale généralisée qu'un individu se fait du monde
28 CULLEN G. Concise Townscape. 1961, réedition Architectural Press 1994.
58
physique extérieur. Cette image est produite à la fois par les sensations immédiates et
par le souvenir de l'expérience passée, et elle sert à interpréter l'information et à
guider l'action." Et, la désorientation amène à la sérendipité, autrement dit au don de
trouver la solution sans la chercher.
Ainsi, la sérendipité participerait énormément à la culture du risque. On peut préve-
nir le risque mais pas le prévoir. Le hasard fait partie intégrante du risque. C'est
pourquoi, sa culture pourrait se cultiver par le hasard, la chance. On ne retient jamais
assez l'importance de la notion de chance quand il s'agit de sujet qui touche au ha-
sard. Pourtant, si au détour d'un chemin initial on se retrouve, par chance, face à une
découverte merveilleuse, on en sera que d'autant plus satisfait. La sérendipité est l'art
de trouver la bonne information par hasard. Si par sérendipité on cultive sa culture du
risque, alors on aura saisit le moment, on le respectera, l'entretiendra dans sa mé-
moire parce-qu'on aura la sensation intuitive de mériter cette découverte, c'est un
gain moral. Si l'on arrivait d'une manière ou d'une autre à cultiver sa culture du ris-
que par sérendipité, cela serait un grand pas vers son acceptation, du moins il me
semble, et d'ailleurs rien ne le prouve. Il faudrait pouvoir réaliser plusieurs expérien-
ces successives et analyser les résultats, comparer avec d'autres tests. Mais partons de
ce principe. La culture du risque renvoie à l'acceptabilité du risque.
Aussi, il apparaît dans ses recherches, qu'un environnement intégré, capable de "pro-
duire" une image forte, joue aussi un rôle social. Par exemple, lorsqu'on rencontre
pour la première fois une personne dans un contexte nouveau et qu'on se rend compte
que celui-ci vient de la même ville que soit, alors des liens se créés directement. On
se raconte des anecdotes sur telle ou telle situation dans tel ou tel endroit atypique.
D'où la pertinence aussi de réaliser une analogie avec le risque, celui-ci est commun
à tous et donc quelque part, permet de créer des "affinités" et donc du lien social. Le
risque est inhibiteur de ségrégation ou autres discriminations. Plusieurs films de ca-
tastrophe en use comme tribune politique. Le moment où le "monstre" attaque la
ville, les individus ne sont ni blancs, ni noirs, ni jaunes, ni pauvres, ni riches, ils sont
tous sous la même menace, ils sont vulnérables au même endroit, au même moment.
Cette sensation d'égalité est très forte, elle renvoie à une image collective du risque et
du besoin mutuel de tendre vers, ce que Lynch appelle la sécurité émotive.
La sécurité émotive est atteinte par un individu s'il possède une bonne image de son
environnement. D'après Lynch : "Il peut établir des relations harmonieuses avec le
monde extérieur : c'est l'opposé de la peur née de la désorientation. Ceci veut dire
que c'est au moment où la maison est non seulement familière mais aussi distincte,
59
que l'agréable impression de 'foyer' est la plus forte." En effet, cette capacité de dis-
tinguer et lire l'environnement via des repères personnels, va à la fois procurer une
sensation de sécurité et augmenter la "profondeur et l'intensité potentielles de l'expé-
rience humaine". De ce fait, il est important de rappeler à quel point les qualités
d'adaptabilité de l'humanité sont grandes. Avec un peu d'entraînement, d'exercice,
bref d'expérience et de culture, le cerveau humain est malléable et libère toujours de
la place pour de nouvelles instructions. C'est sans doute dans cette notion de "quête
de la sécurité émotive" que la définition de la résilience urbaine par l'école du risque,
et de sa culture, est la plus propice. Ainsi, un individu va avoir conscience du risque
s'il le côtoie de façon répétitive, s'il en acquiert une satisfaction émotive, une ossature
pour la communication ou pour l'organisation conceptuelle, nouveaux approfondis-
sements éventuels de l'expérience quotidienne.
Finalement, on peut constater que la qualité de la culture du risque est proportion-
nelle à celle de l'imagibilité des milieux matériels et immatériels dans lesquels réside
un individu (cf. Figure 15).
Figure 15 : Essai d'interprétation des courbes de Farmer en remplaçant l'axe d'occurrence d'un risque par celle de la culture du risque et l'axe de la gravité par celle de l'imagibilité des éléments. On note trois degrés de culture du risque différents. Mais plus l'imagibilité est de qualité, plus la culture
du risque est bonne.
60
✴
2. L'importance des compositions urbaines.
Lynch poursuit son analyse théorique en se demandant de quels outils dispo-
sent l'observateur afin de "bâtir son image". Il en vient à la conclusion que : "les
images de l'environnement sont le résultat d'une opération de va-et-vient entre l'ob-
servateur et son milieu. L'environnement suggère des distinctions et des relations et
l'observateur - avec une grande capacité d'adaptation et à la lumière de ses propres
objectifs - choisit, organise et charge de sens ce qu'il voit. L'image ainsi mise en va-
leur limite et amplifie alors ce qui est vu, tandis qu'elle-même est mise à l'épreuve
des impressions sensorielles filtrées, en un processus constant d'interaction.
La qualité d'une image est en quelque sorte "floutée" si sa présence physique n'est
pas clairement identifiable. Néanmoins, et cet aspect n'est pas négligeable, une image
peut être perçue comme plus "nette" lorsque l'observateur est sujet à un désordre. Par
exemple, le bruit, les nuisances olfactives, l'afflux de population, les lumières aveu-
glantes, autant d'éléments qui attirent l'attention et qui reste marquées dans la mé-
moire. Ainsi, le désordre peut parfois se révéler plus "clair" qu'une répartition carté-
sienne des rues ou des bâtiments. Cela renvoie encore une fois à la notion de séren-
dipité.
Ainsi, dans un labyrinthe, par sa forme infinie et volontairement propice à la dés-
orientation, et donc à la peur de se perdre, va obliger l'observateur d'apporter un tout
autre regard à son environnement. Son objectif ultime étant de retrouver son chemin
sans savoir par où commencer. Le labyrinthe est le test préféré de l'exercice de la sé-
rendipité, dans l'école du risque. Le "cobaye" de cette expérience va remarquer dans
les moindres détails la structure et s'en souvenir. Il pourra alors reconnaître facile-
ment s'il est déjà passer par un point ou par un autre et, par processus d'élimination,
va rétablir mentalement le schéma cohérent vers la liberté. C'est donc par un entraî-
nement en temps réel du regard, de la perception et de la capacité de s'en faire une
représentation ancrée dans sa mémoire que l'observateur va, non plus avoir peur,
mais acquérir une sécurité émotive.
De même, il apparaît que plus un environnement est complexe, plus il va devoir
fournir un effort à l'observateur de le saisir, cela prendra plus de temps sans doute
que si l'environnement est rectiligne, mais tous les détails de sa complexité n'en se-
ront que des facteurs supplémentaires pour forger sa conscience du site. Rappelons
que la culture du risque est fonction de son imagibilité.
61
Par conséquent, en appliquant le concept de sérendipité, la personne se cultive du
risque en réalisant des expériences personnelles répétées de prise de connaissance du
risque par une perception nouvelle, en cherchant à tout prix ses repères et en asso-
ciant ce risque à une image déjà ancrée dans sa mémoire et qui le renvoie à une im-
pression de sécurité émotive. C'est pourquoi, avant d'accepter le risque, il faut un mi-
nimum de connaissance de celui-ci.
✴
3. Les éléments de l'imagibilité et l'imagibilité des éléments.
Puisque l'image se développe suivant un "processus de va-et-vient entre l'ob-
servateur et l'objet observé", selon Lynch, il est donc possible de la renforcer soit en
utilisant des moyens symboliques, soit en rééduquant celui qui la perçoit, soit en re-
façonnant son environnement. Trois entités pour cultiver son imagibilité du risque :
moyens symboliques, communication via une campagne marketing ou écoles de
formation et la composition urbaine (urban design). Cela ne viendrait donc pas d'un
unique objet ou panneau de signalisation mais de ces trois entités complémentaires.
Puis, Lynch poursuit en développant l'idée fascinante qu'il existerait une image col-
lective qui représenterait l'enveloppe d'un grand nombre d'images individuelles. Se-
lon lui : "peut-être y a-t-il une série d'images collectives correspondant chacune à un
groupe nombreux de citadins. De telles images de groupe sont nécessaires à tout in-
dividu qui doit efficacement dans son milieu, et agir en commun avec ses compa-
gnons. Chaque représentation individuelle est unique, une partie de son contenu
n'est que rarement, ou jamais, communiquée, et pourtant elle rejoint l'image collec-
tive, qui, suivant l'environnement, est plus ou moins contraignante, plus ou moins
enveloppante. " Ainsi, le véritable leitmotiv de Lynch est le fait de dire qu'il faille
utiliser la composition urbaine comme force et la mettre à disposition et à la portée
de tout-à-chacun plutôt que de la nier et que tout le monde suive le pas, sans trop
vraiment savoir comment user et fructifier l'environnement.
Les éléments favorisant la qualité de l'imagibilité.
Lynch insiste sur cinq éléments qui peuvent être à la fois physique ou symbolique et
qui seraient en quelque sorte les paramètres de mesure de l'imagibilité. Ce sont les
voies, les limites, les quartiers, les noeuds et les points de repère.
62
i. Les voies.
Les voies sont les passages par lesquels l'observateur va se déplacer de façon
ponctuelle ou suivie ou potentielle. Ce sont des rues, des canaux, des allées, des ré-
seaux souterrains, des voies de chemins de fer. L'image véhiculée est celle d'une con-
tinuité, qu'elle soit linéaire ou zigzagante, l'individu observe l'environnement en cir-
culant sur ces voies.
ii. Les limites.
Les limites sont aussi linéaires mais sont perçu par l'observateur comme im-
praticable. Parfois une voie peut-être une limite et vice-versa, un canal peut-être une
voie de circulation pour la marchandise, mais un obstacle pour un piéton, de même
pour toutes infrastructures routières et ferroviaires. Il faut se représenter ses limites
comme étant des bornes entre lesquelles l'individu sait qu'il va pouvoir se déplacer.
Autrement dit, on circule sur des voies entre deux limites. Ils façonnent le paysage, la
qualité de l'image d'un paysage urbain sera plus "lisible" si celle-ci est "limitée". Au
sens où l'imagibilité d'une ville entourée d'eau ou cernée par un mur est plus forte.
iii. Les quartiers.
Les quartiers se représentent comme un espace à deux dimensions. Un quar-
tier se reconnaît d'un autre par ses caractéristiques générales faciles à identifier. On
assimile souvent un quartier à un autre parce-que l'on trouve qu'il répondent aux
mêmes "critères" de visibilité. La rue Oxford Street de Londres ressemble étrange-
ment au Boulevard Haussmann de Paris, de même que certains quartiers chinois de
Paris ressemblent comme deux gouttes d'eau aux quartiers chinois de Londres. C'est
l'identité et les symboliques fortes qui façonnent le quartier.
iv. Les noeuds.
Les noeuds sont les points de rencontres, ce sont les lieux où l'on se donne
rendez-vous car nous savons que la personne connaît cet endroit. Ce peut être un
croisement de rues, endroits de jonction entre deux stations de métropolitains par
exemple, la terrasse d'un café particulier. Un noeud peut aussi être symbolique, on se
souvient d'un endroit comme étant "notre première rencontre" ou bien "la première
fois que j'ai vu un homme jongler avec ses pieds c'était ici", cela participe au façon-
nement de la mémoire.
63
v. Les points de repères.
Les points de repères sont des points remarquables et qui attirent l'oeil, se
sont souvent des objets physiques d'une grande hauteur. C'est, en général, le choix
d'un élément unique au milieu d'une multitude de possibilités. La différence entre un
point de repère et un noeud c'est qu'il n'est pas forcément accessible, un noeud oui.
Un point de repère peut aussi très bien renvoyer à une histoire, ce banc, ce réverbère,
cette tour, cette église, ses quais, ce monument.
vi. Leur combinaison.
Finalement, chaque élément peut amener à la conclusion qu'un point de re-
père peut être aussi un noeud, qu'un noeud est la jonction de plusieurs voies, que les
voies peuvent être des limites etc. Les combinaisons entres ces éléments sont multi-
ples et tout l'intérêt de l'imagibilité est là. Plus les éléments sont de "qualité", plus ils
peuvent s'apparenter à différentes représentations mentales chez l'observateur. Par
exemple, les quais de Jemmapes dans le 10e arrondissement de Paris sont à la fois
une limite par le canal, une voie par les quai, un point de repère par ses nombreux
ponts et singularité du paysage, un noeud car tous les soirs d'été on y rencontre des
"apéros sauvages" d'une forte convivialité et enfin un quartier car l'atmosphère de ce
site se ressent sur plusieurs kilomètres de long, créant une entité et une imagibilité
collective.
De plus, l'image d'un élément ou d'un autre peut-être déformée quand les circonstan-
ces de vision sont troublées. Ainsi, on ne se rappellera pas de la même façon un pay-
sage sous la neige que sous la pluie ou par beau temps. Autant qu'un quartier d'un
village peut ne représenter qu'un noeud à l'échelle métropolitaine. Encore une fois,
tout est une question de point de vue et de référentiel dans lequel on se place.
✴
L'imagibilité des éléments forgeant la culture du risque.
Nous effectuons donc notre analogie et tentons de voir, non pas les éléments qui ca-
ractérisent l'imagibilité d'un lieu, mais l'imagibilité-même de plusieurs éléments ca-
pables de forger une culture du risque. Ceux-ci sont les compositions du paysage ur-
bain, la sérendipité, les communications, les réglementations, la sagesse et les entre-
tiens.
64
i. Compositions urbaines.
La composition du paysage urbain pourrait s'apparenter à lui seul aux cinq
éléments de Lynch citées plus haut. La composition relève d'une attention particu-
lière à l'intégration de la gestion du risque dans le paysage urbain. Des techniques
dîtes "alternatives" de gestion des risques sont de plus en plus utilisées dans le but
précis de prévenir plus efficacement des inondations. Ce sont des moyens qui parti-
cipe à la résilience proactive et réactive d'un territoire.
ii. Sérendipité
La sérendipité est le fait de trouver par hasard un objectif nouveau. C'est une
sorte de "vagabondage utile et bénéfique" à partir duquel on va en sortir plus "culti-
vé". C'est en réalisant plusieurs expériences sérielles de sérendipité que l'on connaît
de façon la plus holistique les compositions du paysage urbains. Ainsi, les risques
iii. Communications
La communication joue un rôle déterminant dans la perception du risque. Les médias
par lesquels l'information va être diffusée sont les éléments clés de la fabrication de
la culture du risque et de sa mémoire. Un observateur va être plus ou moins réceptif
et sensibilisé par une image de communication empathique ou anempathique. L'en-
tretien de son "historique" mémoriel du risque est enrichi par ces types de communi-
cations.
iv. Stratégies réglementaires
Les stratégies réglementaires sont les variables de forçage d'un projet de composition
urbaine. Elles vont rendre opérationnel ce qui est immatériel comme la sérendipité ou
la sagesse à travers des projets matériels. Ces stratégies vont jouer un rôle détermi-
nant dans la réglementation de l'entretien et de la maintenance de ceux-ci. Elles sont
les limites de l'imagibilité sans qui l'image véhiculée serait trop souvent floue et dif-
ficile d'accepter.
v. Sagesse
La sagesse est une philosophie conduite suivant la raison et les expériences. Elle est
atteinte par un individu capable de discerner parfaitement le réel de l'imaginaire.
Ainsi, elle représente la synthèse d'une multitude d'expériences de sérendipité. En
quelque sorte, elle est le pragmatisme de l'utopie.
65
vi. Les entretiens
L'entretien peut se révéler sous plusieurs formes et agir dans plusieurs domaine. Il y
a l'entretien comme synonyme de maintenance des ouvrages de composition urbaine,
l'entretien de la mémoire par accumulation de communication et d'expériences de
sérendipité et enfin l'entretien comme source de sagesse. Ainsi, l'entretien est la pièce
maîtresse du puzzle. Sans entretiens, il y a rarement de "persistance de l'image" et
donc la culture du risque est modifiée. Cependant, l'absence d'entretien peut aussi se
révéler utile à la perception d'un risque, c'est le cas, par exemples, des friches ou au-
tres Tiers-Paysages qui invitent à la biodiversité, à la nature sauvage en ville vecteurs
de "communications naturelles" et empathiques de la réalité du paysage.
A présent, toujours dans l'optique de comprendre comment atteindre la résilience ur-
baine par le biais de l'imagibilité, nous allons étudier le cas concret d'un élément na-
turel qui semblerait propice à l'effervescence d'une culture du risque, à savoir l'eau
urbaine. L'eau explorée en tant qu'élément actif en ville, participant à la fois au des-
sin du paysage urbain et aux valeurs sociales de la ville.
✴
IV. Synthèse.
Figure 16 : Les sens de l'imagibilité par le prisme de la culture du risque.
66
Figure 17 : Détail des différents éléments de l'imagibilité facteurs de la culture du risque.
67
I I I
Imagibilité de l'eau, élément catalyseur de résilience urbaine.
Tout comme la résilience urbaine proactive et réactive, on peut émettre l'hy-
pothèse qu'il existe deux états de l'eau urbaine, l'un positif et l'autre négatif. La ma-
tière de l'eau a un effet positif lorsqu'elle favorise l'économie et les liens sociaux.
L'autre, plus complexe a un effet négatif dans la mesure où l'eau va nuire au paysage
urbain. Cependant, ce sont dans les mécanismes et processus d'opération que ces
deux-là se distinguent.
Dans un premier temps, cette partie aura pour but d'effectuer un tour d'horizon histo-
rique pour comprendre les mécanismes de l'eau urbaine et introduire ses activités
liées à l'urbanisme Autrement dit, nous comprendrons en quoi est-il intéressant d'in-
tégrer l'eau en ville et d'en faire sa variable de forçage pour la composition urbaine.
Puis, nous analyseront cette eau urbaine avec le cas complexe de la ville de Venise,
ville répandue pour ses phénomènes d'inondation régulière et pour sa nécessité d'en-
tretien permanent pour prospérer. Nous conclurons la partie par un tour d'horizon
prospectif sur les nouveaux imaginaires que la ville italienne véhicule.
68
I. Les temps et les vertus de l'eau urbaine.
Pendant des siècles, et encore aujourd'hui, les usages de l'eau ont appelé l'oc-
cupation urbaine des bords de rivières. A vrai dire, jusqu'au XIXe siècle, l'eau n'est
pas une chose singulière et universelle. Elle est, au contraire, plurielle et générale-
ment dotée d'un "e" final, comme s'il fallait confirmer sa densité féminine [A.
Guillerme 29]. On parle des eaues dont chacune est unique et possède les caractéristi-
ques d'un milieu géographique localisé. Elles revêtent de multiples formes non seu-
lement dans les états solides, gazeux et liquide, mais aussi dans l'animation de la ma-
tière. Les philosophes, théologiens, conteurs, tout le monde s'accorde à répéter de
façon générique la maxime les eaues sont vitales, elles ont donné naissance à la
Terre, et permis la vie sur terre. Les astro-physiciens de notre époque ne sont-ils pas
à la recherche d'eau sous n'importe quel état dans l'univers, à la quête d'une vie extra-
terrestre ? Etrangement, cette métaphore hors-champs terrestres permet de bien assi-
miler en quoi l'eau est fondamentale à la vie. Pour comprendre les rapports que l'ur-
bain entretient avec l'eau, ou plutôt les eaues, c'est-à-dire à la fois les rivières, les
fleuves, canaux infrastructures créés par l'homme, il est préférable voire essentiel de
reprendre connaissance de l'héritage aquatique trop souvent oublié par la société, les
décideurs et acteurs de la planification urbaine et d'amélioration du cadre de vie.
1. De l'eau dans la ville.
La quête de l'eau est évidente pour assurer le développement des premières
terres urbaines. Les vallées, du fait de leur particularité à offrir en permanence de
l'eau en surface ou à faible profondeur, ont donc logiquement attiré les premiers rive-
rains. L'eau décide de la prospérité et de l'influence de la cité sur la scène du com-
merce international à plusieurs échelles et sur des temps différents. D'ailleurs, la plu-
part des grandes villes médiévales ont prospéré encore à ce jour. Elles ont eu raison
des phénomènes naturels perturbateurs, telle que l'inondation, en choisissant une im-
plantation stratégique : un centre urbain doit à la fois être aux bords d'un cours d'eau
et à proximité d'emplacements élevés, à l'abris de toutes menaces. Sans doute, un tri
sélectif fait à l'expérience, a permis la prospérité ou non des cités, par abandon des
terres les plus menacées ou par expansion des terres les moins "vulnérables".
Ainsi, les fossés pouvaient aussi jouer le rôle de défense contre les menaces "naturel-
les" telles que les inondations en se remplissant naturellement, canalisent les eaux de
pluie, évitant la diffusion chaotique au sein de la cité. C'est l'émergence de la notion
29 GUILLERME A. professeur au Centre National des Arts et Métiers à Paris (CNAM) en histoire des techniques
69
"d'eau urbaine" au sens où elle n'est plus laissée à son état sauvage. Sa pente, son
profil et ses dimensions ont été imaginés par l'homme tout au long de l'histoire et dès
le déclin de l'Empire romain à des fins militaires. Si bien que la grande force des
contrées occidentales était proportionnelle à leur capacité de défense et d'attaque mi-
litaires. La ville, véritable berceau fédérateur des hommes belliqueux, trouve moyen
de se protéger derrière de solides fortifications par l'avènement des fossés et glacis,
talus inclinés servant à masquer et couvrir les ouvrages d'art des approches ennemies.
Ceux-ci pouvaient s'étendre sur plusieurs hectares.
L'autre grande caractéristique des cités médiévales, qui valait leur réputation glo-
rieuse, est le système de ramification artificielle des écoulements d'eau, communé-
ment appelé "réseau hydraulique". Ce réseau distribué en canaux et aqueducs était
vital pour la prolifération et la pérennité d'industries comme la draperie et le cuir. Ces
techniques, encore aujourd'hui, acheminent l'eau d'un point où elle est disponible et
de bonne qualité, la source, à un point où elle est nécessaire, ici la ville. Un siècle et
demi a suffi à élaborer ces infrastructures fondamentales à la puissance, la popularité
et l'affluence d'une cité et demeureront inchangées sept siècles durant. La cité est
alors entourée de larges fossés et pénétrée de multiples canaux sur lesquels se con-
centrent les activités artisanales et portuaires.
✴
2. Aquosité, ou les valeurs sociale de l'eau urbaine.
L'eau est une base topographique, militaire, économique mais aussi sociale
dans la mesure où elle accueille les "métiers de la rivière" et les points nodaux de
l'eau urbaine révèlent souvent l'union des bourgeois contre l'aristocratie gouvernante.
Les canaux et plus généralement l'eau urbaine représentent un véritable melting-pot 30avant-gardiste pour les citadins. Ils sont la matérialisation d'une eau domestiquée,
sécurisante, reposante, changeante, saisonnière, favorisant un égaiement de part son
esthétisme plaisant.
Finalement, l'eau est une urbanité à part entière et sa valeur sociale porte le nom de
"aquosité". Terme francisé depuis Aquositas au XVIe siècle, il est défini par "l'ex-
pression qualitative d'une société à l'égard de son milieu sensible" [A. Guillerme, G.
Hubert, M. Tsuchiya Aquosité Urbaine 31].
30 Brassage d'éléments humains variés; ville, pays où ces éléments se mêlent et fusionnent. L'expression est apparue lors de la formation
des Etats-Unis.
31 GUILLERME A. HUBERT G. TSUCHIYA M. Aquosité urbaine: la mise en valeur du patrimoine hydrographique francilien par réfé-
rence aux rivières de la préfecture de Tokyo - Laboratoire des mutations urbaines, Institut Français d'Urbanisme (IFU) 1992.
70
Ainsi, la densité du réseau hydraulique témoigne de la richesse urbaine : les plus
grandes villes médiévales sont celles qui possèdent le plus vaste réseau. Cette pros-
périté transparaît dans les "Bourgs-Riches", édifiés non loin des canaux, sur des sites
aérés, en arrière des "métiers vils", isolés au milieu d'une verdure irriguée [A.
Guillerme]. On y souligne le bon air de la ville, l'air sanitaire mais aussi "salutaire",
et la vivacité des rivières qui les entourent ou la pénètrent. Toute la richesse de la
ville vient de là. L'eau marque de façon indéniable la ville médiévale. Elle la soumet
à sa puissance, l'habille à sa mesure, elle est la variable de forçage fondamentale dans
la conception des fonctions urbaines. Autrement dit, l'eau contraint les rues, le bâti, et
les infrastructures à épouser ses sinuosités. Le paysage urbain -urbanscape- se des-
sine par le paysage de l'eau -waterscape- et de la terre -landscape.
Landscape + Waterscape = Urbanscape.
✴
3. L'aquosité de Sienne : les "bottini"
Sienne est l'exception des villes influentes du Moyen-Âge car elle échappe à
la règle du jackpot de la zone géographique de vallée car elle a pu assurer sa gloire et
sa prospérité sans aucun cours d'eau à proximité. Son expansion est d'autant plus sur-
prenante car la ville est tourmentée par une pénurie d'eau chronique car aucun fleuve
ne traverse la ville. L'hydrographie du pays Senese, aujourd'hui province, présente
une série de fleuve, à savoir le Merse, Ombrone, Elsa et l'Arbia, qui sont soit à trop
grande distance du centre urbain, soit incapables de garantir, du fait de leur faible
portée, les besoins exigeants de la population citadine" entière. D'ailleurs, pour
l'anecdote, n'y trouvant ni fleuves ni rivières, il serait incorrecte de parler de la popu-
lation Siennoise comme étant des "riverains", les siennois sont de pures "citadins".
La recherche d'eau était pour Sienne une réelle quête de l'Eldorado, jusqu'à en pro-
voquer une certaine paranoïa, si bien qu'une légende urbaine s'était diffuse par l'in-
termédiaire de ses citadins. La légende racontait qu'un fleuve se cacherait non loin du
couvent Carmine, un fleuve souterrain qui s'appellerait : La Diana. La mairie a libéré
des fonds impressionnants permettant de développer des projets de "fouille d'aquosité
urbaine", qui auraient dû porter La Diana à la lumière du jour. Evidemment, après
acharnement et plusieurs recherches vaines des années 1100 à 1300, les travaux s'ar-
rêtent, non pas sans conséquences. Sienne est alors la cible de plusieurs moqueries
dont la plus célèbre reste celle du très populaire poète, homme politique et écrivain
italien Dante Alighieri et sa Divina Commedia dans le Chant XIII du Purgatoire.
71
Tournée à la dérision de façon successive par ses voisines italiennes et européennes,
la ville va finalement réussir à tirer profit de ses fouilles souterraines. En effet, le
problème ancestral qui hantait de tous temps la ville, à savoir l'approvisionnement
hydraulique de la ville, est résout par un ouvrage d'ingénierie unique au monde et
qui, encore aujourd'hui est source d'extase pour la précision avec laquelle il a été
conçu, malgré les outils rudimentaires à disposition. Cet ouvrage est appelé "Bottini",
qui pourrait se définir par un ensemble d'aqueducs médiévaux creusés dans le sous-
sol et capables de mettre en réseau environ vingt-cinq kilomètres de canaux et déri-
vations. Du fait de leur grande dimension, les galeries souterraines sont entièrement
visitables, certains prétendent même que les sous-sol siennois sont encore plus beaux
que la ville en surface. Pour avoir une idée de leur aspect, le terme "bottino" doit son
origine à sa forme similaire à celle d'un tonneau, botte en italien (cf. Annexe #3). La
réalisation d'un tel aqueduc a été rendu possible grâce à la nature du sous-sol sien-
nois, à savoir une matière gréseuse. La particularité de cette roche est qu'elle est à la
fois assez compacte pour garantir la stabilité des souterrains et assez perméable pour
laisser l'eau s'y écouler par phénomène d'égouttement. L'eau est ensuite canalisée par
un aménagement simple appelé le "gorello" (cf. Annexe #3), qui termine son parcours
se déversant dans les fontaines et lavoirs de la ville.
Ainsi, tels de véritables aqueducs, les bottini sont un système de transport d'eau po-
table par des "gorelli", servant à mener, sans pompe ni pression, l'eau d'un endroit où
elle est disponible et de bonne qualité vers un endroit où elle est nécessaire, i.e. les
fontaines et lavoirs. Ceux-ci jouent à la fois le rôle de déversoirs mais aussi, in fine,
de source de l'eau urbaine de Sienne puisque toutes les fontaines de Sienne sont rac-
cordées entre-elles par le réseau des bottini. Les entrées et sorties du flux d'eau dans
la ville suivent donc les mêmes mécanismes que celui du cycle naturel de l'eau. Une
sorte d'avant-garde du métabolisme de l'eau urbaine.
La ville de Sienne a démontré qu'il était possible d'avoir un réseau de canaux souter-
rains tout en gardant un caractère "urbain" au sens où les bottini sont à la fois une
prouesse technique mais aussi une base sociale pour la ville. Les bottini ne sont ali-
mentés par aucune source, sinon plusieurs entrées diffuses, recueillant à la fois les
eaux pluviales filtrées par égouttement et des petites veines individuelles du sous-sol.
Ainsi, la population s'approvisionnait en eau potable pour la boisson, la laverie et
l'artisanat par les nombreuses fontaines et lavoirs publics et ce jusqu'à la fin de la Se-
conde Guerre Mondiale. L'eau des bottini a été remplacée par celle de l'aqueduc du
Vivo. La ville détient dès lors un réseau d'assainissement "classique".32
32 Association "La Diana", article disponible sur Internet, via l'url : www.ladianasiena.it - [Consulté en sept. 2011].
72
Quoi qu'il en soit, le réseau bottini est resté étonnamment fonctionnel encore aujour-
d'hui et les siennois ont su garder une culture de l'eau pluviale exceptionnelle. Si elle
n'a (toujours) pas de fleuve, Sienne détient encore (et toujours) aujourd'hui une quan-
tité folle de fontaines toujours en activité et raccordées les unes avec les autres via les
fameux bottini, majoritairement opérationnels. Malgré le fait que certains soient re-
couverts d'une couche de calcaire, comme celui de la Fontanella, l'eau arrive tou-
jours à se déverser dans les fontaines opérationnelles dans les bonnes proportions
mais beaucoup d'eau est gâchée par sa non utilisation par la population. C'est pour-
quoi les collectivités locales ont consentis l'utilisation de l'eau à des fins divers
comme l'approvisionnement du Campo Scuola, le Centro Elettronico del Monte dei
Paschi, les laboratoires Nanini Conca d'Oro ou encore le grand stade, etc. Autant
d'équipements situés sur le cheminement d'un ou plusieurs bottini de Sienne. Il serait
dommage de ne pas l'exploiter d'avantage.
Cependant, dans la zone périphérique nord de la ville, les infiltrations continues, la
pénétration des racines de la végétation en surface, la négligence et l'accumulation de
calcaire dans les "gorelli" entraînent un encombrement partiel et rendent la situation
peu rassurante pour la pérennité de ces bottini. Ces dysfonctionnements montrent
bien que sans interventions adéquats et régulières de l'homme, les bottini risquent de
s'enterrer, ce qui est déjà arrivé à certaines rame devenue désormais impraticable.
Beaucoup d'entre eux n'auraient pourtant eu besoin que de petites interventions de
manutention ordinaire qui, jusqu'en 1994, étaient quasiment impossibles du fait que
les agents "bottiniers" de la commune n'étaient que deux à se départager tout le tra-
vail. De plus, ces galeries souterraines étant toujours visitables, ces deux-là devaient
en plus assurer en tant que guide touristique durant les visites pédagogiques des éco-
les municipales, de simples touristes, des habitants, des acteurs de la planification
urbaine, etc. dont l'affluence était toujours plus importe.
C'est ainsi qu'est née l'association "La Diana" qui a pour but de continuer la trans-
mission de cet héritage exceptionnel aux générations siennoises futures, mais aussi
aux touristes et autres visiteurs curieux avides de spectaculaire, de différence et d'al-
ternative. On pourrait presque penser que les touristes partent à Sienne à la recherche
d'une aquosité urbaine perdue et ce, de façon presque involontaire, inconsciente.
Souvenez-vous du sens de l'Aquositas, mentionné plus haut, qui défini la valeur so-
ciale de l'eau en ville et son impact dans la culture de l'eau, au sens où on la voit dif-
féremment qu'à la sortie de son robinet, ou en bouteille. Sienne offre, encore aujour-
d'hui une alternative à l'image commune de l'eau en ville. Le siennois, ainsi que le
touriste, entretiennent un rapport à l'eau totalement différent que celui des francilien
73
par exemple. Fière de son héritage et de son aquosité, comme pour se venger de
Dante Aligheri et de sa Divine Comédie moqueuse, la ville a su entretenir une sorte
de culture, la transmettant de génération en génération.
L'association aide aussi dans la modélisation SIG de ces galeries souterraines et de
tous les bottini existants de façon à savoir exactement pourquoi, où, quand et com-
ment intervenir. Les membres de l'association disent réaliser ces interventions uni-
quement par pur "amour envers la ville de Sienne, envers ses fontaines et ses bottini
qui, même cachés, en sont ses artères ; envers l'eau, symbole de vie plus que n'im-
porte quel autre élément qui a conditionné la vie de population entière et sur laquelle
est basée le développement de l'humanité, vers laquelle ils s'augurent que les visi-
teurs se sensibiliseront et commenceront à acquérir, contrairement à aujourd'hui, au
respect qu'elle mérite".
C'est ainsi que se résume la phénoménologie de l'eau urbaine à Sienne. Très rapide-
ment, en tant que francilien de naissance, j'ai voulu comparer les bottini aux réseau
parisien.
✴
II. L'eau active de Venise.
Venise, ville italienne de la région du Veneto ayant encore aujourd'hui conser-
vé son paysage urbain d'antan et fait parti de ces villes où l'eau y est toujours aussi
"active". La ville est un archipel lagunaire qui lutte depuis toujours contre l'abon-
dance de ses eaux.
1. Le paysage urbain par le paysage de l'eau.
Selon Guillerme, beaucoup de villes du nord de la France comme Beauvais,
Amiens, Provins, Senlis, Châlon, Rouen, Troyes, Caen, Etampes et Noyon témoi-
gnent d'une organisation du paysage urbain par rapport à leur réseau hydraulique (cf.
Figure 18). Jusqu'au XIXe siècle, que ce soit pour leur défense ou pour subvenir aux
besoins de l'artisanat et de l'industrie, le réseau d'eau urbaine de ces villes françaises
du nord est particulièrement dense et participe aussi bien à leur prospérité qu'à leur
influence sur la scène du commerce européen. Le réseau se déploie et aura la fonc-
tion de desservir les moulins, drainer les marais et pourvoir aux besoins de l'artisanat
urbain. Guillerme amorce une analyse comparative avec Venise, affirmant qu'un tiers
des villes françaises de l'époque médiévale possédaient, intra-muros, un paysage
aquatique comparable à celui du modèle vénitien. Plus intéressant encore, en appli-
74
quant ce résultat à tout le Bassin Parisien, près de la moitié des villes s'assimilent à la
Venise du XIIIe siècle. L'expression de "petite Venise" est même employée par le roi
Louis XI en s'adressant à la ville d'Amiens [Guillerme]. Venise n'est pas uniquement
un modèle, elle est aussi une réalité tangible que l'on retrouve dans beaucoup de vil-
les européennes à cette époque.
Figure 18 : Héritage de l'eau : comparaison des réseaux hydraulique à ciel ouvert entre plusieurs villes françaises du nord et Venise, à l'époque médiévale. Source : "Les Temps de l'Eau, par André
Guillerme".
Aujourd'hui, l'héritage de l'eau urbaine a Venise est intacte tandis que celui des villes
françaises du nord l'est beaucoup moins. On peut voir sur la figure 18 l'importance
des canaux à l'époque médiévale et la construction de fossés comme moyens d'enca-
drer la ville afin d'en assurer sa protection. De nos jours la plupart de ces canaux
n'existent plus dans les grandes villes de Rouen, Amiens et Caen (cf. Figure 19). Les
villes de Provins et Noyon ont quasiment gardés le même réseau hydraulique tandis
que les autres villes en ont enterré une partie mais préservé la majorité. La ville de
Troyes, notamment, a la particularité d'avoir conservé se fossés de protection. (cf.
Figure 20).
75
Figure 19 : Héritage de l'eau : comparaison des réseaux hydraulique à ciel ouvert entre plu-sieurs villes françaises du nord et Venise, de nos jours (2010). En noir la tâche urbaine uniquement du
bâti des villes et en bleu sont réseau hydraulique à ciel ouvert.
76
Figure 19 : Héritage de l'eau : Zoom sur la ville de Troyes.
Seule Venise semble "intacte" au sens "inchangée" du terme. C'est aussi la seule qui
ne s'est pas étendue de façon spectaculaire et garde la même échelle d'étude. En effet,
en plus de la disparition de quelques canaux à ciel ouvert, on peut remarquer le
changement radical d'échelle qui réside dans cette comparaison des tâches urbaines.
Venise ne représente que 631 hectares, soit un peu plus du centre-ville du Rouen uni-
quement. Les échelles sont totalement différentes surtout en ce qui concerne les vil-
les d'Amiens, Caen et Rouen.
Pourquoi Venise ne s'est pas étendue plus que cela ? Elle aurait très bien pu se déve-
lopper en polders comme aux Pays-Bas ou plus récemment à Shenzen et Dubaï (voir
annexe 3). Comment l'imagibilité de l'eau de Venise participe-elle à la culture, non
seulement artistique, architecturale etc, mais aussi à celle du risque ? Notamment les
77
risques d'inondations et d'érosion du sol tous deux générés par la présence perma-
nente de l'eau urbaine.
✴
2. Reportage : Comment fonctionne Venise aujourd'hui ?
Indication : les illustrations correspondant directement aux propos du texte
se localisent en Annexe 3 de ce mémoire.
i. Acqua alta et le tourisme.
Venise, se trouve au milieu d'une lagune, c'est une ville-archipel. Chaque jour,
la lagune se rempli et se vide d'eau deux fois par jour à travers les trois pénétrantes
des ports. Ainsi, l'eau entre et sort 60 fois par mois, soit 730 fois par an. Mais Venise
n'est pas une unique île, c'est un ensemble de 124 îles sur 631 hectares qui se sont
plus tard raccordées entre-elles et peuplées au fur et à mesure des années. Chaque île
a au moins une église, un campo (place de l'église) et au moins un ou deux puits pour
l'eau. Chaque île est contournée de canaux et si toutefois on ne voit pas de canal, c'est
qu'il a été enterré pour servir de chemin piéton. (Annexe 3 : images 1, 2 et 3).
L'humidité, l'érosion, le terrain et les murs poreux sont tous dû aux effets négatives
de la lagune, cette eau active. La ville est entièrement soumise à la singularité de la
lagune contre laquelle les vénitiens ont toujours dû se confronter. Pour continuer
d'habiter dans un environnement aussi malléable, ils ont su savoir comment s'adapter
aux changements et répondre aux inévitables dégradations avec une manutention
continue et un bon usage de la ville. Venise est le résultat de 1500 ans de transforma-
tion continue du propre paysage urbain. Uniquement de cette façon, à travers un trai-
tement constant, elle s'est conservée au cumul des siècles, mais pourra-t-elle conti-
nuer de prospérer pour les siècles à venir ?
Tout le monde s'accorde à penser que Venise disparaîtra avec la montée des eaux.
Une ville comme aucune autre au monde a des problème comme aucune autre au
monde. C'est Venise, mais le danger c'est qu'elle risque de n'avoir aucun futur. Parce-
que ce sont pas uniquement les phénomènes très connus de Aqualta qui endomma-
gent la ville, ce sont surtout les érosions, l'humidité, l'ensellement des murs poreux,
les sols fragiles etc. (Annexe 3 : images 12 à 20).
Elle représente aussi 16 millions touristes en moyenne par an soit un peu plus de l'af-
fluence de Disneyland Paris. En 2007, un pic de 21 millions de touristes dont 80.000
78
pour le simple mois de mai. Cela représente une économie officielle à 1,5 milliards
d'euros, un montant sans doute sous-estimé par le marché noir très présent dans la
ville. (Annexe 3 : images 4 à 6 et 21).
La ville n'est pas qu'un nid à touriste, c'est aussi une ville utilisée et usée par 270 884
habitants, soit un peu plus seulement que l'unique 15e arrondissement de Paris
(230.000 habitants). Ainsi, les quelques 32 millions de pieds qui parcours la ville en-
fonce la chaussée en profondeur et effrite la trachéite. D'ailleurs, la piétonisation des
chaussées vénitienne est en partie un succès car elle utilise le matériau "Trachéite"
qui est à la fois très résistant et assez poreux pour laisser s'infiltrer l'eau et l'évacuer
plus facilement. A Venise, même la chaussée à une histoire. Un pavé non entretenu
peut causer d'énormes dégâts en cas d'inondation. Parce-que la ville a un grand pro-
blème, qui fait aussi sa réputation, c'est l'acqua alta, inondation par débordement des
canaux de Venise. Il y en a 183 canaux dans la ville, il ne suffit donc que d'une marée
plus haute de quelques centimètres de la normale pour inonder d'entières aires urbai-
nes. Quelques centimètres en plus ou en moins peuvent être déterminant pour la po-
pulation qui choisissent de sortir ou de rester "à l'abris" chez eux. En en 1966, le
phénomène de l'acqua alta a connu un record de 194 cm par rapport au niveau moyen
des canaux et 156 cm en 2008. (Annexe 3 : images 7 à 11).
ii. Contre les effets de l'eau active.
Le véritable enjeux pour la survie de Venise dépend de sa maintenance et de
son entretien suivis. Il y a une quinzaine d'années, où la maintenance avait été arrêté
pendant 30 ans, Venise était en chute libre, en pleine "décomposition". Une décom-
position qui se rapproche plus du déclin auquel elle a dû faire face. Effondrement des
murs de soutènement des rives, des talus érodés, fissurés, les bâtiments étaient dans
un piètre état, certains implosaient par le bas. Des ponts à escalader, un réseau d'as-
sainissement dans un état critique, beaucoup de canaux n'étaient plus navigables à
cause des nombreux sédiments accumulés sur le sol.
En effet, les vénitiens ont toujours dû conquérir le terrain de la lagune et le défendre
de l'eau. En marges des îles la protection contre l'eau se fait par des murs de soutè-
nement en brique. Mais avec les années, ces briques deviennent de moins en moins
imperméables et résistant et il incombe de les restaurer. Par conséquent, il est indis-
pensable de fermer les entrées d'eau pour un des canal, vu que chaque île est plus ou
moins indépendante, la ville peut décider de quelle voie verra son canal "couler" ou
non. Ainsi, en l'absence de l'eau il est beaucoup plus aisé de restaurer les briques. De
79
ce fait, on retire les sédiments qui se sont formés au cumul des années dans le canal.
(Annexe 3 : images 1 à 3).
Les ouvrages de renforcement des fondations des mur et des ponts sont en contact
permanent avec l'eau. Cela implique un effritement constant des les briques et la
fonte du ciment entre chaque brique. De plus, nous l'avons vu, l'eau est échangée
deux fois par jour, ainsi, les marées qui montent et descendent tous les jours provo-
quent la chute des briques alors non cimentés. Et quand les hélices des bateaux ac-
centuent les "va-et-viens" de l'eau, cela augmente les érosions des murs de soutène-
ment, des talus et des fondations des bâtiments, provoquant à long terme de forts
dommages. Dans les cas les plus "graves", certains murs sont entièrement recons-
truis. Parfois on "réinjecte" même du ciment par les fissures des murs. Quand le ci-
ment se fond, l'eau pénètre dans les murs jusqu'à s'infiltrer et emporter la terre de
l'autre côté des briques. (Annexe 3 : images 4 à 9).
Venise, par ses murs poreux, est une véritable "ville éponge". Mais le grand inconvé-
nient est que lorsque l'eau, par capillarité, atteint les murs de soutènement elle se
transforme en NaCl, car l'eau de Venise est de l'eau salée, et épaissi la pierre. Si l'eau
s'évapore du mur, le sel, lui, se cristallise et peut augmenter son volume jusqu'à 12
fois sa taille grignotant les briques. L'eau agresse aussi le bois en provoquant des
champignons et bactéries nocives pour l'homme. Une solution antique était de mettre
entre chaque brique une rangée de pierre très imperméable pour empêcher l'eau salée
de monter trop haut dans les murs. Mais l'eau étant plus haute qu'à l'époque médié-
vale, aujourd'hui cette méthode n'est plus efficace. (Annexe 3 : images 10 à 12 et 15)
Néanmoins, il existe beaucoup de solution pour les montées d'eau salée. Une pre-
mière est de ne pas enduire la partie inférieur de l'édifice, la rendre plus "transpi-
rante". Un autre est dite "taglio dei muri", pour "coupe des murs" par une membrane
très imperméable capable d'empêcher l'ascension de l'eau salée. Encore une autre,
chimique, par l'injection de résine entre les briques qui réduisent aussi sa perméabili-
té. Il est intéressant de constater comment même juste au dessus du "taglio", le mur
n'est pas du tout imprégné de sel, il semble neuf. (Annexe 3 : images 13 à 17)
iii. Les réseaux techniques.
Venise est une cité antique détenant des problèmes de fonctionnalité de cité
moderne, à savoir les besoins en électricité, eau potable, assainissement, téléphone,
gaz, transports, etc... Mais où passent les réseaux ? Et bien ils font le même parcours
que les piétons, donc sous la chaussée, et quand il faut franchir un canal ils passent
80
par le pont. A Venise on compte 438 ponts, ce qui représente autant d'opérations de
manutention régulière aussi bien pour les réseaux que pour la structure-même des
ponts. Et quand se restaure la chaussée on en profite pour faire une remise à jour de
tous les conduits des réseaux, remplacer ou réadapter les infrastructures vétustes.
(Annexe 3 : images 1 à 6).
Venise n'a pas de système d'égout complet de type "moderne" comme à Paris, par
exemple. La plupart du temps l'assainissement de Venise est assuré par les chenaux
antiques qui se déversent soit directement dans les canaux, soit dans des fosses scep-
tiques ou bassin de rétention. Ce sont la plupart du temps des ouvrages de traitement
des eaux directement sur place de sorte a restituer l'eau directement dans les canaux
de meilleure qualité. Mais comme l'eau entre et ressort deux fois par jour, elle est
perpétuellement "renouvelée", on peut penser qu'elle n'est pas nocive pour l'homme.
iv. Insula Spa.
Tous ces travaux de restauration et d'entretien quotidien de Venise participe
en quelque sorte à sa résilience en temps réel. Pour résoudre cette situation critique,
la commune engagea le projet INSULA SPA qui est une véritable organisation de su-
per héros déterminée à relever la tête de Venise de l'eau. Un travail coordonné et
complet. Plus tard, d'autres collaborations avec les collectivités locales ont fait énor-
mément pour Venise, mais il reste encore beaucoup à faire : 340.000 m2 de chaussée
à rénover, 160 ponts à restaurer, 20 km de canaux à rénover et 41 km de talus et rem-
blais à régénérer. Un grand Plan de planification urbaine tire les corde d'un tel projet,
chef d'orchestre qui dirige un tel opéra. Il en reste un principe fondamental : restaurer
est plus efficace que de reconstruire. pour que Venise conserve sa beauté et sa réputa-
tion. (Annexe 3 : images 1 à 17).
✴
3. Les imaginaires de Venise.
Venise est un bel exemple de ville qui persiste sans lutter contre ses inonda-
tions. Sa population est consciente du risque car il est régulier, elle l'a accepté car elle
a une forte imagibilité de l'acqua alta. Les touristes l'acceptent aussi très bien, peut-
être même que ceux-ci se retrouveraient déçus au cas où ils seraient rentrés dans leur
pays d'origine sans avoir vécu de phénomène "acqua alta". La mémoire de l'eau est
indéniablement ancrée à Venise. Elle fait partie intégrante de son identité. Depuis
1500 ans les vénitiens se forge cette culture transmise de génération en génération. Il
n'est pas étonnant que le monde entier s'intéresse à Venise pour sa capacité d'intégrer
81
les eaux dans sa ville. Combien de fois avons-nous pu entendre cette comparaison
avec Venise, presque agaçante, dès lors qu'une ville détient plus d'un ou deux canaux
sur son territoire. Bruges et Amsterdam sont les petites Venise du nord, Ayouthia
avant son déclin et Bangkok appréhendant le sien sont les Venises asiatiques, le Ve-
nezuela est la Venise d'Amérique Latine. (cf. Annexe #3). Il y en a des centaines des
"petites ou des grandes Venises" dans le monde. Il y en aura certainement davantage
au regard des estimations prospectives liées à l'occurrence des tempêtes, ouragan et
autres pluies exceptionnelles. Aussi, la montée des eaux des océans et mers provo-
queront une submersion partielle de plusieurs villes des littoraux du monde entier. Il
est fort à parier que ces villes s'inspireront du modèle de gestion des eaux intégrée au
fonctionnement de la ville de Venise qui n'a pas son pareil dans le monde. (cf. Annexe
#3 : Aqualta). Ainsi, Venise représente certainement un modèle de gestion de son pa-
trimoine rongé par l'eau mais elle n'est pas un modèle de planification urbaine et
d'urbanités en tous genres.
Finalement, quand on regarde de près la ville, elle concentre plus de touristes par
jour que d'habitants. Beaucoup de logements sont vacants, beaucoup ne sont utilisés
que par de riches investisseurs étrangers y venant parfois le week-end. La ville est
très chère, elle n'est pas accessible à tout-à-chacun. C'est peut-être une ville pour pri-
vilégié, ce qui contribue sans doute à l'entretien de son prestige. Car plus qu'un entre-
tien quotidiens de ses murs de soutènements, réseaux, chaussées, ponts, etc. Venise
souhaite entretenir dans la mémoire de ses habitants et surtout du monde entier son
identité-même qui est celle de la ville qui a su prospérer en s'étant bâtie sur des ma-
rais. Exploit dont rares peuvent prétendre de nos jours.
Enfin, Venise est un idéal car elle inspire de nombreux artistes et architectes a penser
le futur de certaines villes à son image. Autrement dit, on pense le futur en s'inspirant
d'une des villes les plus vieilles au monde et ce, depuis plusieurs siècle. Déjà en
1899, on imaginait une Londres sous les eaux qui s'inspirerait de Venise pour la ges-
tion de ses eaux. En 1910, le grande crue parisienne renvoyait à des images mentales
de celle de Venise. Cette-dernière a le pouvoir de véhiculer une imagibilité si forte
qu'elle a su inspirer les imaginaires utopiques et dystopiques du monde entier. La
ville est en quelque sorte utopie pragmatique, celle qui évoque l'imaginaire par le
réalisme de ces exploits. Elle est en quelque sorte l'espoir de Bangkok, le souvenir
d'Ayouthia, le futur de New York et le présent de Rotterdam.
✴
82
83
Conclusion.
Nous l'avons vu, le terme "résilience" renvoie à lui seul une quantité impres-
sionnante de définitions possibles, si bien que la plupart du temps on en retient
qu'une vague interprétation personnelle. On l'a retrouvé à travers nos hypothèses à la
fois comme synonyme ou antonyme de résistance, synonyme ou antonyme de persis-
tance, synonyme ou antonyme de stabilité ou de flexibilité, d'adaptation, d'absorp-
tion, de changement du comportement initial, capacité de retour rapide à la normal,
renaître de ses cendres, etc. En résumé, c'est un concept qui induit plusieurs défini-
tions possibles conduisant à plusieurs analogies et raisonnements scientifiques diffé-
rents.
Qu'un terme soit polysémique et touchant à plusieurs domaines de compétences, si
ses sens renvoient à un chemin ou à un autre, n'est pas gênant. En revanche si les hy-
pothèses aboutissent à des conclusions opposées voire contradictoires, là c'est un vé-
ritable problème. Ainsi, il s'est avéré indispensable de trouver une définition "holisti-
que" construite autour de plusieurs hypothèses différentes, qui orienteront la suite des
théories. Holistique car elle devait regrouper à elle-seule un ensemble de sens qui
convergerait vers une unique hypothèse.
D'où la difficulté d'utiliser les valeurs de ce terme là, il faut nécessairement un socle
théorique pour pouvoir fructifier ce concept. Une sorte de besoin de mériter ces va-
leurs. Chose que l'on a pas encore, ou plutôt qu'on ne prend pas encore le temps d'ac-
quérir car un des objectifs de la résilience est de le rendre opérationnel, de le mettre à
la portée des praticiens, alors même qu'il n'est pas stabilisé dans le milieu scientifi-
que. Paradoxalement, on veut rendre opérationnel quelque chose qui n'est pas encore
stabilisé. Et les discours n'en sont que plus contradictoires.
Cependant, la recherche de ce sens holistique nous a conduit vers une autre définition
encore, un autre "enseignement" suivi par une nouvelle "école de la résilience". En
effet, en rassemblant quelques éléments des "écoles traditionnelles" de la résilience
urbaine, nous avons découvert la nécessité d'une école plus générale, qui agirait dans
plusieurs domaines en ne s'intéressant qu'à la prise en compte du risque. Un des
maillons de cette école était celui de la culture du risque et de comment se forger sa
propre culture. Ainsi, le concept de résilience urbaine a été traduis simplement par le
fait de tenir compte d'un risque et d'entretenir dans sa mémoire ce qu'il représente
84
afin d'en être constamment conscient et de l'accepter. Une façon plus saine d'appré-
hender le risque.
Puis, la recherche nous a pousser à voir un peu plus loin dans la notion de perception
et d'appréhension du risque par analogie avec l'imagibilité, issue des analyses de Ké-
vin Lynch.
L'imagibilité du risque ne consistait absolument pas à "enjoliver" une catastrophe,
mais plutôt de la rendre plus acceptable par le biais d'images proactives, propice à la
résilience urbaine. La synthèse des deux premières parties nous a révélé deux choses
fondamentales. L'une a justifier le fait qu'il fallait trouver un moyen de renverser les
significations contradictoires, voire paradoxales du concept de résilience urbaine.
L'autre est celle que l'imagibilité a un rôle déterminant dans le processus de capacité
d'adaptation d'un territoire et que certains éléments matériels et immatériels du terri-
toire participaient pleinement à l'initiation de la culture du risque. Ces images prove-
naient alors de la qualité des compositions urbaines, de la communication, de la sé-
rendipité, de la sagesse, de la malléabilité du système, autant d'éléments propices à
diffuser une image forte dans l'esprit de l'observateur participant chacun à l'héritage
culturel du risque d'un individu. Finalement, l'imagibilité du risque nous a amené à
étudier de la résilience urbaine par le prisme de l'école du risque.
Enfin, en ciblant notre théorie sur l'analyse de l'eau urbaine depuis l'époque médié-
vale et à différentes échelles d'espaces, nous avons réaliser à quelle point cet élément
pouvait être vecteur d'une image forte en ville. Si bien que l'eau urbaine constitue à la
fois une image sociale, par l'aquosité et technique via ses réseau.
Le plus important était de voir à quel point l'entretien était une pièce maîtresse du
puzzle de la résilience urbaine. Sans entretien il n'y a pas de "prospérité". La ville de
Venise existe bel et bien aujourd'hui et son imagibilité est si forte qu'elle véhicule de
nouveaux imaginaires à travers le monde dans la prise en compte du risque inonda-
tion notamment. Autrement dit on imagine l'avenir depuis l'une des villes les plus
anciennes du monde. Un joli paradoxe, allez comprendre.
✴
85
Ouverture.
Finalement, plus qu'un système complexe regroupant à la fois les sciences
humaines et les sciences techniques, la ville est un véritable paradoxe. A la fois
grande détentrice de richesse et grande consommatrice d'écosphère, elle détient au
fur et à mesure de sa croissance à la fois les nuisances et les clés de sauvegarde de
son évolution. Les paradoxes urbains ont toujours suscité bien d'interrogations mais
n'ont jamais cessé de diffuser de nouvelles imagibilités à la société. Parfois utopi-
ques, parfois dystopiques, d'un temps éphémères ou bien durable, les villes, vues par
le prisme du Génie Urbain, se décomplexe et assume sa nature active.
Ainsi soit-il, appliquée à la ville la résilience devient urbaine et comme toute urbani-
té, elle est bien plus qu'un concept complexe, polysémique et pluridisciplinaire, c'est
un vecteur de paradoxes urbains.
L'interrogation sous-jacente aux valeurs de la résilience urbaine, est certainement une
remise en cause de la condition naturelle de ce cher Charles Darwin. Si pour la sélec-
tion naturelle l'évolution est à la portée de ceux qui savent et qui peuvent s'adapter,
qu'en serait-il de la condition urbaine ? Devons-nous répondre à l'ordre de la rési-
lience urbaine afin d'évoluer ? L'évolution, nous l'avons vu, peut-être aussi à l'origine
d'une décroissance urbaine, d'une tabula rasa, d'une augmentation de la conscience
collective du risque, de l'entretien perpétuel de son environnement dans le but de le
prospérer, etc. Existerait-il alors une sorte de sélection urbaine quelque part dans nos
urbanités ? Et si oui :
L'adaptation est-elle indispensable à l'évolution ?
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"Le risque est un besoin essentiel de l'âme. L'absence de risque suscite une espèce d'ennui qui paralyse autrement que la
peur, mais presque autant. (...) Le risque est un danger qui provoque une réaction réfléchie ; c'est-à-dire qu'il ne dépasse pas les ressources de l'âme au point de l'écraser sous la peur.
Dans certain cas il enferme une part de jeu ; dans d'autres cas, quand une obligation précise pousse l'homme à y faire face,
il constitue le plus haut stimulant possible. La protection des hommes contre la peur et la terreur n'implique pas la sup-pression du risque ; elle implique au contraire la présence permanente d'une certaine quantité de risque dans tous les
aspects de la vie sociale ; car l'absence de risque affaiblit le courage au point de laisser l'âme, le cas échéant, sans la
moindre protection intérieure contre la peur.
Il faut seulement que le risque présente dans des conditions tel-les qu'il ne se transforme pas en sentiment de fatalité."
Par Simone Weil, "L'Enracinement".
Crédits : Sarah Harvey.
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