interview entre frédéric beigbeder et ashley harris
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Interview entre Frédéric Beigbeder et Ashley Harris
Harris, A. (2015). Interview entre Frédéric Beigbeder et Ashley Harris. Unpublished.
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Download date:18. Jun. 2022
InterviewwithFrédéricBeigbeder-27/03/15
AshleyHarris-VotreromanOonaetSalingervientdesortir.Dansquellesfaçons
êtes-vouscommeJDSalinger?Oucommentêtes-vousdifférentàSalinger?
FrédéricBeigbeder-Moi,jesuislecontrairedeSalinger.
Est-cequevousêtesl’anti-Salinger?
Jel’aimeparcequec’estmonopposéabsolu.Jepenseques’ilvivaittoujoursje
pense qu’il serait horrifié que quelqu’un commemoi puisse s’intéresser à lui.
Pourluijesuislecombledelaprostitution,jefaisdesémissionsdetélévision,je
m’occuped’un journalavecdes fillesnuessur lacouverture,c’est toutcequ’il
détestait.Mais,jesuisfascinéetattiréparmoncontraire.Aussi,àl’origine,c’est
quand-mêmelestextesdeSalingerquim’ontintéressé.Doncj’aicommencéàlire
lesnouvelles,FrannyetZooeyettoutça,c’estmerveilleux.Etaprèsquandj’aisu
qu’ils’étaitcachétoutesavie,commelesDaftPunkunpeu,c’estextraordinaire.
Et j’ai découvert qu’on avait des points en commun; le refus de la vieillesse,
l’attirancepourlajeunesse.
JenesaispassivousavezluDonJuan?VoyezDonJuan,dansl’opéra[deMozart],
DonGiovanniilestpuni,ilyaunestatuedecommandeur,c’estceluiquijugeDon
Juanetquilepunitpoursespéchés.Pourmoi,cettestatuedecommandeur,c’est
Salinger.Chaquefoisquej’écris,chaquefoisquejedonneuneinterview,ouque
jepublieunarticlejemedis«Jerryn’auraitpasfaitça».Ilmejuge.Ilesttoujours
au-dessusdemoi.
[FBimiteSalinger:]«Ilvaencoreàlatélévision!Çanevapas!».C’estterrible
maisc’estunpeucommeça.Madamnationc’estd’avoirleregarddescendantet
consternédeSalingersurmoi.
Pourquoivousavezchoisid’écriresurlecoupleJDSalingeretOonaO’Neill?
Ilfaitlongtempsquejevoulaisécrireunehistoired’amourmaisjenesavaispas
tropcommentfairesansêtremièvredoncquandj’aisuqu’ilavaiteulecœurbrisé
parcettejeunefille,qu’ellel’avaitlarguépourChaplin,etluiétaitpartiàlaguerre,
et qu’il avait écrit de longues lettres - tout ça est vrai - jeme suis dit: il y a
forcémentunromansureux.Alorsjesuisallévoirpartout,j’aimêmecherchéen
Amérique.Iln’yajamaiseuunromansurcettehistoire,cetamourimpossible.
Onatousdeshistoiresd’amourimpossible.Etjepensequeceshistoiressontles
plusbelles.Jesuisunpeuimmaturepourçamêmesijesuismarié.Leshistoires
quimarchentc’estintéressantmaispourécrireunlivrec’estchiant.Pourécrire
unlivreilfautqueçanemarchepas.Pourvousrépondre;jevoulaisécrireun
romand’amouretj’aiéchoué,c’estunromandeguerre.Doncenfaitceroman
d’amours’esttransforméenautrechose.
Vosderniersromans,commeOonaetSalinger,sontplussérieux,moinsfrénétiques,
est-cequevousvouliezunchangementdestyle?
Jecroisquec’estl’âge.J’aicommencéparécriredeslivresquiétaientdeslivres
d’unhommeinquietquiavaitpeurd’ennuyerlesgens.Alorsj’aifaitdeslivresqui
essayent d’être drôle (mais qui n’arrivent pas toujours), qui essayent de
démontrerleschoses.Deslivresviolents,pamphlétaires,rigoloavecbeaucoupde
plaisanteries.Etpuisengrandissantetenlisantbeaucoupjemesuisaperçuque
c’étaitpeut-êtrepourmoiunartsupérieurd’arriveràfairesourireetrigoleret
aussi faire pleurer calmement avec sobriété, simplicité. C’est peut-être la
vieillesse ou l’expérience mais j’aime lire les auteurs très simples, très purs
commeColetteeteffectivementHemingwayetFitzgerald;desauteursquin’ont
pasbesoind’ajouterpourintéresserleslecteurs.Cequ’ilyadepirec’estquand
l’auteurchercheàplaire.Çamedégoûte.Jepensequej’aiétécommeça,avecune
envie de séduire.Aujourd’hui quand-même il y a de la prostitutiondansmon
travail,maisj’essaiedediminuerladose.
DansOonaetSalingerilyala«faction»,est-cequevousvoulezqueleslignesentre
lafictionetlaréalitésoientfloues?
Oui,oui!Çam’intéressebeaucoup.Chaquefoisquejecommenceunlivrejeme
demandepourquoiécrireunlivredeplusdanslemondeactuelquis’enfoutdes
livres.Ilyaquand-mêmebeaucoupdegrandschefs-d’œuvreparmilesclassiques
doncçanevautpaslapeinedefaireunlivresupplémentairesic’estpourfairece
qui existe déjà en moins bien. Donc je cherchais effectivement prendre des
personnagesréelsetlessuivredansunroman.EnAmériquedanslesjournaux
vous avez les deux colonnes très séparées: non fiction et puis fiction. C’est
intéressantd’essayerdemélangerlesdeux.C’estcequ’ilafaitCapote,lemeilleur
amid’Oona.Avantlui,DonQuichottedeCervantes,etdansBalzacetdansVictor
Hugo, ilyadespersonnesréellesaussi.Ontrouvedespersonnesréellesdans
beaucoupderomansdanstoutel’histoireduroman.
Cequiestmarrantc’estqu’ilya,àlafois,pasd’imaginationdutoutcarjeprends
unehistoirevraiemaisenmêmetempspuisqueonnesaitpasgrandechosede
cettehistoire,toutestinventé.Parexemple,onsaitqu’HemingwayetSalingerse
sontrencontrésàParisle26août1944aubarduRitzmaispersonnen’ajamais
racontécequiaétédit.Doncpourunromancierc’estgénial.Onaunendroit,un
bel endroit, une date symbolique, des gens extraordinaire; le jeune auteur
inconnuetleplusgrandauteurdumonde.Ilsserencontrent,ilneresteplusqu’à
imaginerlaconversation.Ilyauncadre,laréalitédevientcommeuncadre,une
structure,maisleromanestcomplètementlibre.
MêmechosepourlarencontreentreOonaetCharlieChaplin.Danslabiographie,
onsaitquec’estchezMinaWallace.Ill’avueprèsd’unfeuselonlesmémoiresde
Chaplin,illadécritmaisenhuitlignes.C’esttout.Dequoiont-ilsparlé?Alorslà
encore,situationgéniale!Pasbesoind’avoird’imaginationmaismalgrétoutoui,
c’est quand-même imaginé. Je me suis dit qu’il parlait du Dictateur, de sa
moustacheetàpartirdelàChaplindit«ilm’avolémamoustache!»etc’estpeut-
êtrevrai!
Alors,c’estplutôtdelafactionquedel’autofiction?Avantc’étaitl’autofictionmais
maintenantlafaction?
Oui.Oui,maisl’autofictionc’estunefactionautobiographique.C’est-à-dire,ondit
au gens, je m’appelle Frédéric Beigbeder, je vais vous raconter ma vie mais
personnenepeutvérifiersic’estvrai.Beaucoupdechosesquej’airacontéesdans
mes livres lesplusautobiographiques sont complètementmythomanes. Donc
c’estunjeu.C’esttrèsmarrantdejoueravecça.Maisvoussavez,jecroisaussi
qu’onestdansunepériodedetournant,où lepubliccherchel’imagination au
cinémaoupeut-êtredans les séries-télémaisplusdans les romans. Il y ades
exceptions bien sûr comme les romans de vampires comme Twilight ou les
romansdescience-fiction,maismalgrétoutdansunlivreonaenviequeçasoit
vrai.Unmélangede journalismeetde littérature-cequ’onappelle le«Gonzo
journalisme»commechezHunterThompson,TomWolfeettoutça.C’étaitdes
livres autobiographiques où ils faisaient des expériences et racontaient ces
expériences.Maisl’étaped’aprèsc’estdefaireunesortedemélangedevraietde
fauxavecdespersonnesvraies,desfaitsréelsetdesévènementshistoriques,vu
subjectivement mais en même temps avec toute la technique d’un roman. Je
cherchetoujoursàfairedeschosesnouvelles.Ilyapasmaldegensquicherchent
àfairecegenredebiographiesromancées,JeanEchenozafaitunebonnetrilogie.
C’estunepistepossiblepourlasurvieduroman.
Est-cequevousessayezd’êtretransgressifouprovocateur?C’estquoivotrebut?
Jecherchetoujoursàécrirequelquechosequin’apasdéjàétéécrit.Evidemment,
sijeparledelaguerreilyadesmilliersdesromanssurcesujet.Qu’est-cequeje
peuxdirequelesautresn’ontpasdéjàdit?Quellessontleszoneslibres?Jene
saispassi j’ysuisarrivé.J’aiessayéd’écrireledébarquementdifféremment, la
libérationdeParisdifféremment,lalibérationdeDachau,avecdespetitsdétails
quej’aitrouvésdansladocumentation.Ladistancetemporellefaitqu’onregarde
ça avec une hallucination, avec horreur et avec une fascinationmalsaine. Par
exemple,ledébarquement,j’avaisluuntémoignaged’unsoldatquivoyaitqu’ily
avaitbeaucoupd’orangesdanslesvaguesquandilsontdébarquéenNormandie
parcequ’il y avaituncamionquiétait tombéavecde labouffeetdesmilliers
d’orangesquiflottaientdanslesvagues.Jen’avaispasluçaailleursalorsj’aimis
cela.
Vouscréezsouventdesnarrateursquisontfrancs,ambigus,etintenses.Vousvoulez
que vos narrateurs soient peu fiables? Ils sontmanipulateurs, parfoisméchants
mêmeavecleslecteurs.Pourquoivousfaitescela?
C’estunmélanged’identificationetdecomplicité.It’sagame!Pourmoi,quand
jelisd’autresauteursjen’aimepasqu’onmeprenneparlamainmaisqu’onme
tape sur lamain! Qu’onme fasse réagir. Çame parait tellement dingue que
quelqu’unpassedutempsàlireundemeslivresquejepensequ’ilfautqueje
l’accompagne. Jen’aimepas lesnarrateurshéroïques, jepréfère lesanti-héros.
J’espère,mêmesic’estparfoisprovocant,j’espèrequec’esthonnête,qu’onpeut
dire:«Tiens!Cettepersonnenesemoquepasdemoi,etnemementpas.»
Etvousvoulezqueceuxquilisentvosromanssoientd’accordaveccesnarrateurs,
aveclesopinionsdecesnarrateurs?Ouest-cequ’ilssontlàpourprovoquer?Par
exemple,avecdespersonnagescommeOctavequiontdesopinionstrèsfortes,est-
cequ’onestcenséêtred’accordaveccequ’ilsdisent?
Pasdutout,c’estpourfaireréagir,agiterdesquestions.Maispasdutoutpour
convaincre. C’est amusant parfois que les gens soient énervés, je trouve cela
intéressant.Toutsaufl’ennui,voilà!Enervéc’estbien,fairerire,fairepleurer,ce
quej’aimeleplusdanslesromansc’estl’émotion.Sionressentdelanostalgieou
sionestagacéourévoltéc’estréussi.Sions’emmerde,c’estraté.
Parfoisjelislescommentairesenlignequiparlentde99fetilyadesgensquidisent
«moijesuistoutàfaitd’accordavecOctave»maismoijepenseplutôtqu’ilfaut
s’enméfier.
Lepirec’estquemaintenantcelivreestétudiédanslesécolesdepublicité.On
m’appellepourfairedesconférences.Maismoijedis«attendez,j’aifaitcelivre
pouressayerde faire fermer lesécolesdepublicitéetque lapublicitén’existe
plus»!Doncc’estunécheccomplet.Etparfoisdesjeunesgensviennentmevoir
etdire«merci,grâceàvousjesuisentrédanslapublicité,j’ailuvotrelivreetça
m’adonnéenviedetravaillerlà.»Ilsn’avaientpascompris,pasdutout.
Lesopinionsdansvosromans,est-cequ’ellessontvosopinionsoulesopinionsde
notresociété?
Çadépend.Certainspersonnagesdisentdeschosesaveclesquellesjenesuispas
d’accord.Onnepeutpasgénéraliser.Cequej’essaiedefaire,c’estuntableaude
monépoque.Mêmequandj’aiécritOonaetSalinger,çaparleaussid’aujourd’hui.
Çaparled’unesituationvivantequiestprochedecelledesannéestrenteoùilya
lenationalismequimonte; les gensveulentdevenirdeshéros, ilsdeviennent
djihadistes.Ilyadespointsencommunavecl’ambiancedelacriseéconomique
del’avant-guerre.Donc,jeveuxtoujoursparlerd’aujourd’hui.Cequiestbienavec
leromanc’estqu’onpeutmentirtoutendisantlavérité.Oninventedessituations
mais ce que j’espère c’est que les lecteurs sentent quelque chose de juste, de
sincèreetdevraiderrièrelarigolade.
Est-ce que vous avez un genre? Vous faites du nouveau-nouveau roman ou de
l’hyper-réalisme ou unmélange de tout? Faites-vous quelque chose de nouveau
aveclegenre?
J’avais fait un texte un peu théorique qui s’appelait «Le Nouveau nouveau
roman»c’estvraimaisc’étaitpourdéfendreWindowsontheWorldàl’époque.
OonaetSalingeretWindowsontheWorldontbeaucoupdepointscommuns.Deux
grandsévènements tragiquesde l’histoirequisont fictionnalisés.Onprendun
personnageetonlesuitpourhumaniserlacatastrophe.Donc,onpeutl’appeler
unprojetde«faction»,ouromanréalistesurnotre temps,c’estceque faisait
Balzacaussi.
Après,j’aimeaussifairedessatires.99fcen’estpasunromansiréalistequeça.
C’estunesatire;àlafintoutlemondefaitsemblantd’êtremortsuruneîle.Je
diraisquec’estpluslacaricatured’unmétiertrèspuissant.EnFranceonaime
biensemoquerdesgenspuissants,encemomentc’estMahomet.Etlasatirec’est
important,c’estRabelaisquiétaitundespremiersàfairecela.
Cequej’aimebienchezvousc’estquelaformeetlefondsontliés.Parexemple,dans
99filyalespetitespublicités,dansL’Amourduretroisansilyaleslettresd’amour
etdansWindowsontheWorldilyalesdeuxhistoiresjumellesmisescôtéàcôté.
Jepensetoujoursquelefonddoitdicterlaforme.D’abordondoitdécider,quel
fond je vais raconter et puis ensuite il faut choisir une formequi correspond.
Donc, ça dépend des livres. Oui, c’est vrai je réfléchis beaucoup avant de
commenceràécrire;quelleseralaconstruction,quelseralestyle?Parexemple,
pourOonaetSalingerjemesuisditqu’avecunteltitreilmefallaitjouersurles
contrastesentreOona:lecinéma,Hollywood,lacélébrité,etSalinger:laguerre,
la souffrance, la solitude, la réclusion. C’est souvent l’histoire qui dicte
l’emballage.
Est-cequevouspensezquelesdestinéesdevospersonnagessontirréversibles?Est-
cequ’ilspeuventchangerleurdestin?
Çadépenddes livres. J’aimebienquandlespersonnagesévoluent. J’aisouvent
racontél’histoired’untypequitombeamoureuxetquisetransforme.Onconstate
cela dans pasmal demes livres: 99f, Au secours pardon, Egoïste romantique,
L’Amourduretroisans-c’esttoujoursl’histoired’ungroscon,unsalaudégoïste
quiestlâchequifinitparquand-mêmedevenirunpetitpeuplus…mignon!Ily
a d’autres histoires où on ne peut pas changer les choses -Oona et Salinger
évidemment,demêmequeWindowsontheWorld,onconnaîtlafin.Onsaitque
làcesontdesdestins.Etlesdestins,onnepeutpasleschanger.Danslerestaurant
WindowsontheWorldiln’yavaitpasdesurvivants.Àpartirdumomentoùon
ouvre le livre, on devrait connaitre la fin. Ils vont tous mourir. Ce qui est
intéressant, c’estd’essayerquand-mêmed’entrainer suffisamment le lecteurà
s’attacherauxpersonnagespourqu’iln’aitpasenviequeçaseterminecommeça
s’estterminé.Onaenviequ’ilss’ensortent,c’étaittrèsduràécrirecommelivre.
EtavecOonaetSalingeronsaitqu’ellel’aquittéetestpartieavecCharlie.Après
lamortdeCharliej’aimel’hypothèsequ’ilssesontvusmaisonnesaitrien.J’aurai
bienaiméqueçasetermineautrement.
Pourquoimettretantdeviolencedansvotreœuvre?
Jeveuxfaireunephotodumonderéeletviolent.C’estvraiqueparfoisj’enfais
beaucoup, notamment le meurtre de la vieille dame en Floride, un peu «too
much», cela a un côté Orange mécanique. Mais quand on s’attaque au onze
septembre ou à la deuxième guerre, il faut de la violence, sinon ce n’est pas
sérieux.Çadépenddusujet.Ilestvraiquedansmajeunesse,dansmespremiers
livressouventilyavaittendanceàchercherlescandale.Jedoisl’avouer.C’était
aussi une phase quand la littérature contemporaine… il y avait une phase
«trash». Il y avait cette phase où c’était bien d’avoir la drogue, le sexe, la
prostitution et du sang, des meurtres. C’est bizarre, on appelait cela le post-
naturalismeenFrance.
JepenseàBretEastonEllis
Oui!Cettepériode-là,peut-êtrec’étaitparcequelesromancierssesontrendus
comptequ’ilsétaienttouscommeSalinger[ilsavaientà]concurrencerlecinéma.
Ilfallaitarriveràdonneruneforceauromanqu’iln’avaitplus.Ilyadel’impact
dansunescènedeviolence,unescènedesexeoudedroguesdansleschiottes,le
côtérock-and-roll,underground.Tousleslivresdesannées90,ilsavaientça.On
en a marre que le cinéma et la musique soient fun et que les romans soient
chiants.Ducoup,lesauteursquiavaientvingtoutrenteansencesannéesavaient
trèsenviequ’ilexisteunelittératurepopetrock.
Est-cequec’estleMTVnovel,peut-être?
Jeneconnaissaispasl’expression,jecomprendsquecelapeutdénigrermaiselle
aunsens.EnAllemagneilsappellentça«pop-literatur»etmoiquandjesuisallé
fairematournéelasemainedernièreonmeprésentaitcommeun«pop-literatur-
star».Jesuisunesortedesymboledecettelittératurequiavoulurivaliseravec
toutecetteculturepop.Pourquoiilyalepop-artmaispaslepop-littérature?On
aAndyWarholetJeffKoons,cen’estpasnul,c’estdel’art.C’estunemanièrede
regarderlemondequiestsharp,vivante,sexy.Sinononécritquedesromansqui
sepassentdans lesmaisonsdecampagne, JaneAusten. JaneAustenc’estbien
maisaujourd’huipeut-êtrequ’elleécriraitunromansurl’histoired’unefillequi
seprostitueetquiprenddelacokedanslestoilettesd’uneboîtedenuitàlamode,
qui sait! Elle parlait des jeunes filles de son époque, les jeunes filles de cette
époqueellesnesontpluscommeça.
Commentestlareprésentationdesfemmesdansvosromansselonvous?
Laplupartdemesromansparlentplutôtd’unhommeavectoussesdéfauts,un
hommequiestunobsédésexuelouquiestunséducteurfoudesfemmes.Donc
peut-être lespersonnagesfémininsdemespremiers livresn’étaientpassuper
soignés,jedoislereconnaitre.Mais,encoreunefois,avecl’expérience,jeregarde
mespersonnagesfémininsdeplusenplusprécisément…
…CommeavecOona?Jetrouvesareprésentationintéressante.
Onvoitqu’elleestàlafoisunefillearrivistequiveutêtrecélèbre,quiestunpeu
Hit-girl un peu snob mais en même temps elle est touchante, timide,
mélancolique,abandonnéeparsonpèrelittéraire.Donc,j’essayaisdefairepour
une fois d’une femme un personnage qui ne soit pas trop misogyne ou
masochiste.
Vous avez mis Youtube dans Oona et Salinger, est-ce qu’il faut maintenant
mélangerlesmédiasetlalittérature?
J’aitrèspeurpourladisparitiondulivre.Ilyaundanger.Beaucoupdelibrairies
àParissontentraindefermer.C’estunpeuinquiétantmaispeut-êtrequ’ilya
unechoseàinventerquin’estpasencoreinventée,quiseraitunlivreavecdes
images,avecdesmusiquesouavecdesfilmsdedans.Ouonauraunfilmoùonlira
destextessurl’écran.Ilyaquelqu’un,unjour,quival’inventer.
Vous?
Peut-être!J’ypensebeaucoup.Lalecture,ilfautarrêterdelaséparer.Onestun
peupuritainaveclelivre.C’estpeut-êtreçaquirisquedecondamnerlelivre.J’ai
unefilledequinzeans,mafilleregardebeaucoupdesériesetellevasouventau
cinémamaisellenelitpasbeaucoup.Sionarrivaitàinsérerdestextesquelque
part,çaseraitbien.J’aivuqueNicolasRey,unauteurfrançais,faitdeslectures
avecunmusicienquifaitdelaguitarederrière.Illitunpeuetl’autrechante.Ça
marchaitbien.Ilfauttrouverdesnouvellesfaçonsdedonnerenvieauxgensde
s’intéresseràlalittérature.
C’estpourçaquevousavezfaitlefilmdeL’Amourduretroisans?
Ça m’a amusé de voir ce que ça allait donner. Après tout c’est une forme
d’écriture.Unscénarioc’estuneformed’écriture,onécritenpensantunpeuplus
aux images.Mais déjà dansmes livres il y a beaucoup d’images. J’écris d’une
manièrevisuellejecrois.
Vousavezchangél’histoiredansl’adaptationduroman;est-cequevousvouliezque
lefilmsoitindépendantoudissociéduroman?
C’est plus que ça m’emmerdait de faire la même chose… On m’a demandé
d’adaptermonlivre.Celaauraitvouludirepasserdeuxoutroisansàraconterla
mêmehistoirealorsj’aidécidéd’ajouterdeschoses.J’airajoutélepersonnagede
l’éditeur,touslespersonnagescommelecopainquidevienthomosexuel.C’était
plutôtquej’avaispeurdem’ennuyer.Apartletitreiln’yapasgrandechosede
commun…Jesuisentraindefairelamêmechose.Anouveauonm’ademandé
d’adapter Au secourspardon. Du coup je fais un film sur la Russie, sur les
mannequins,quiestassezéloignéduroman.Jetrouveçatellementdingue,pour
êtrefranc,qu’onmedemandedefaireducinémaquej’enprofitepourfairecequi
mepasseparlatête.
JepasseàHouellebecq, qui estHouellebecqpour vous: unami?Ungrand frère
littéraire?Vousêtessondisciple?
Ahoui, les trois!C’estquelqu’unque jeconnaisdepuis très longtemps,même
avantsonsuccès.Al’époqueonluiadonnélePrixduFlorepourlelivreLeSens
du combat. En parallèle du fait que c’est quelqu’un que je connais, j’aime
beaucoup l’auteur qui a remis le roman balzacien réaliste, le roman du dix-
neuvièmesiècle,aucentredelascènefrançaiseetpeut-êtremêmeinternationale.
C’estundesauteursquiontdonnéenvieauxlecteursetauxécrivainsdeparler
d’aujourd’hui,deregarderlemondeactuel,aveclesromanscommeLesParticules
élémentaires,Plateforme…Ducoup,moiquiécrivaisdespetitesautofictionsun
peu rigolotes et festives, ça m’a inspiré 99f. La lecture de Houellebecq m’a
clairementinspirécelivresurl’entrepriseetsurlapub’parcequedansExtension
dudomainedelalutteetdansLesParticules[élémentaires]ilparledumondede
travail. A l’époque je travaillais dans une agence de publicité et j’ai pensé
pourquoijeneparlepasdeça.Ilaeuuneinfluenceévidente.
Onluiademandédevousdécrireenunmot,iladitlagentillesse.Est-cequevous
pouvezdécrireHouellebecqenunmot?
La solitude. C’est une chose que j’admire et que j’envie presque, parfois, le
courage d’être seul. C’est quelqu’un qui se consacre à son œuvre. C’est la
personnequejeconnaisquiestlaplussolitaire.Ilaeudesfiancées,jecroisqu’il
estavecquelqu’unencemoment,maislasolitudeestlà.Sesparentsnesontpas
occupésdelui,toutel’existencedeHouellebecqesttrèstrèstrèsseule.Etc’est
assezrare;c’estàlafoistristemaisaussic’estradical.Ilaunelibertéimmense.
Lasolitudec’estcequecherchenttouslesécrivains,Salingerlepremier.Moiqui
suisincapabled’avoircettevie,quiaitoujoursenvied’êtreentouré,quiaimela
sociétéetsortirlesoir,jesuisadmiratif.Maisinquietaussi,c’esttrèsdurmaisil
ledécritdanstousseslivres.Dansledernierc’estparticulièrementmélancolique
ce personnage qui visite la France et qui revient à Paris. Il est complètement
abandonné. S’il y a un mot que caractérise Houellebecq, bon il est un grand
écrivainaussi,maisc’estlasolitude.
VousavezaiméSoumission?
Oui,beaucoup.Çam’afaitbeaucouprire,jetrouvaisçatrèsdrôle.C’estundeses
livreslesplusdrôleset,pourmoi,c’estcommeunesortedepied-de-nez.
DansLaCarteet le territoire,vous figurez commepersonnage, comment c’était
d’êtreunpersonnagedansundesromansdeHouellebecq?
Surtoutçafaitpeur!Ilmel’aditavant:«jetepréviens,tuesdansmonlivre»,
«tuveuxdireilyaunpersonnagequimeressemblemaisquineportepasmon
nom?»«Non,non,FrédéricBeigbederestdansmonlivre».Alorsjemesuisdit,
«merde!Jesuissûrqu’ilvamemettredansunclubdepartouzesentraindeme
droguer.»Alors,finalementquandj’ailulelivre,j’étaissoulagé.Jem’ensortais
bien,j’étaisgentil,pascomplètementridicule.Doncj’aibeaucoupdechance!
JemedemandaissicesreprésentationsdeHouellebecqetdevoussontcommevos
représentationsmédiatiques.Jelevoiscommeunesortedejeusatiriqueavecces
représentationsmédiatiques.
Çal’amusebeaucoup.Ouibiensûr,jecroisquec’étaitçaexactement.Onrevient
toujoursàSalinger,pourquoiilsecachait?Ilétaitexaspéréparlesmédiasetpar
l’imagequi s’interpose entre l’écrivain et le lecteur. Cequ’on aimerait en tant
qu’écrivainc’estjusted’êtrelu.Ondevraitpouvoircompteruniquementsurson
texte.Mais dans lemonde tel qu’il est c’est presque impossible.On est obligé
d’avoiruneimage,mêmeSalingerilavaituneimage.Jecroisqu’ilvoulaitfaireun
livresurça,ilplaisantaitavecleMichelHouellebecqqu’iltue.
C’estfascinantqu’ilassassinecetteimagedelui.ÇafaitpenseràlaMortdel’auteur.
Vousaussi,vousêtesmortàlafin.
C’estjuste.Ouimoijesuismortmaisquandjesuisvieuxetentourédesmiens.Ça
lefascine.Ils’imaginemortseulavecsonchienmaismoientourédegens.C’est
bienlasolitudequicaractériseMichel.
EnpensantàSoumission,selonvous,ceseracommentl’avenirdelaFrance?
Jesuismoinsparanoïaqueaveclesreligions.Jem’enfousunpeudelareligionet
jecontinueàessayerdem’enfoutre.Leproblèmec’estqu’onmédiatisetellement
chaqueévènementmaiscesontdesfaitsdivers.Untypetuedix-septpersonnes.
S’iltuecespersonnessanscrier«AllahAkbar»presquepersonnen’enparle,s’il
crie«AllahAkbar»,çadevientunphénomènedesociété.
J’ai l’impression que je suis plus Européen que Français. Je crois pas mal à
l’Europe.JemesensbienàBerlin,àLondres,àMadridouàRome.Jemesenschez
moilàaussi.
Est-cequevous incarnez le roman«globalisé»? Je veuxdire est-cequevousne
connaisseznidefrontièresnidelimitesentantqu’auteur?Est-cequelemondeest
unvillagepourvous?
J’aimeraisbiendireçamaisçaseraitfaux.Quand-même,monvillageestParisoù
j’écriset je travaille. J’aiunehistoire ici, comme je l’ai racontédansUnroman
français.Puis,j’aidesracines;j’aiunecultureetuneéducationfrançaises.Donc,
je ne suis pas déraciné mais je parle plus de l’Occident ou de l’Europe que
simplementdeParis.
Vousvousintéressezplusaupassé,auprésentouàl’avenir?Ousont-ilstousliés?
Quandj’étaispetitjelisaisbeaucoupdescience-fiction,j’étaisfascinéparl’avenir.
Maintenantquejesuisvieuxc’estlepasséquim’intéresse.C’estquelquechose
quiestliéàl’évolutiondelavie.Jemesuistournéverslepassé.Mais,cesontdeux
manièresdeparlerduprésent.Leslivresdescience-fictionparlentd’aujourd’hui
etleslivresd’histoireparlentd’aujourd’huiaussi.
Vous avez dit ailleurs que la philosophie de vos romans est que «nous sommes
perdus[…]lesêtreshumainssontpauméssuruneterredénuéedesens.»Vousdiriez
toujoursça?
Réponse dans la NRF! [Beigbeder a écrit l’article d’ouverture «Hé bien! La
guerre»dansLaNouvelleRevueFrançaise(n°612),Gallimard,Parution:02-04-
2015]
Pour vous, l’amour donne sens? Pour Oona quand elle rencontre Chaplin, elle
devient«utile»etelletrouve«lesensdesavie».
Jecroisqu’ilyal’amour,l’art,laquêtedelabeauté.Ilyaquand-mêmedesraisons
àvivre.Unefoisqu’onfaitdesenfants,çasimplifiecettequestion.C’estbête,c’est
animal,mais quand vous avez des enfants votre vie a un sens, vous avez une
responsabilitéetalorsvousneposezpluscettequestion.
Vousditesquelareligionnevousintéressepas…
Ellefaitpartiedemonéducation
Maislareligionestdansvosromans,elleesttoujoursdansvotretêtealors?
J’aieuuneéducationcatholique. Jevisdansunpays judéo-chrétiendoncc’est
omniprésent,dansle langageetdanslevocabulaire.Onparletout letempsde
DieuetdeJésus.DoncdirequeDieuestmortc’estparlerdeDieuencore.
Avez-vous une responsabilité comme écrivain? Etes-vous responsable de ce que
vousécrivezoupeutl’auteurdiretoutcequ'ilveut?
J’aimeraisbeaucoupêtre indifférentmais jen’arrivepas.Donc l’échecdemon
indifférence,c’estunemanièrededirequefinalementonnepeutpascontinuerà
setaireouàsefoutredetoutcequiarrive.Peut-êtreonn’apasunemissionmais
lemotresponsabilitén’estpasmal.
Ailleurs vous avez dit que vous avez des contradictions d’«écrivain-critique-
animateur»,c’estpossibled’êtreunécrivainsérieuxenmêmetempsquedejouerle
DJ,defairedesspectacles?
Jenesaispas,qu’est-cequevousenpensez?Suis-jeunécrivainsérieux?
Amon avis, oui, mais c’est vrai que pour certains ces activités ne sont pas des
activitésd’écrivain.
Enfait,çaatoujoursexisté.Molièreétaitunacteur,JeanCocteauafaitdesfilms,
des peintures, des poèmes. J’ai beaucoup de respect pour les écrivains qui se
consacrententièrementàleurœuvremaisjepenselesexemplesd’écrivainsun
peuplusdispersés,unpeupluscurieux.Colettequej’admirebeaucoup,j’adore
Colette, elle était strip-teaseuse! Ça ne l’a pas empêchée d’être un écrivain
sérieux,beauetgrandetquiabeaucoupfaitpourlalibérationdelafemme.Elle
était làbienavantSimonedeBeauvoir.C’estunexempled’unefemmelibérée.
Elleaquittésonmaripoursonfilsmême.C’estextraordinaire!Elleétaitavecson
mari,etpuisilétaittropvieuxalorsellel’aquittépoursortiravecsonfils,comme
WoodyAllenavecMiaFarrow!Elleétaitextraordinaire.Quandelle faisaitses
livres,elleavaitunelanguesimpleetbelle.
Au fait, je neme prends pas au sérieuxmais quand j’écris j’essaie de le faire
sérieusement.
Alors,dernièrequestion,quelletraceaimeriez-vouslaisser?
Jenepensepasqu’ilfautseposerlaquestiondanscetermeexactmaisjedirais
quesidansquelquesdécenniesaprèsmamortunejeunefilletrèsbelleouvreun
demeslivresetestémueourigoledansuncaféalorsçamesuffit!