la poésie de la modernité : le peintre de la vie moderne...

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Objet d’étude Poésie (Groupement de textes) Problématiques retenues La poésie de la modernité : le peintre de la vie moderne En quoi Baudelaire, Apollinaire et Senghor sont-il à la fois les héritiers d’une tradition et les expérimentateurs de nouveautés ? En quoi leur poésie est-elle moderne ? Comment les poètes transforment-ils les paysages urbains modernes en objets poétiques ? Lectures analytiques - Texte 1 : Charles Baudelaire, « Le Cygne », Les Fleurs du mal (1857) Texte 2 : Charles Baudelaire, « Les yeux des pauvres», Le Spleen de Paris (1869) Texte 3 : Guillaume Apollinaire, « Zone» , du début à « l’avenue des Ternes » (vers 1 à 24), Alcools (1913) Texte 4 : Léopold Sédar Senghor, « New-York », Ethiopiques (1956) Etudes d'ensemble ▪ Le contexte historique : les transformations de Paris sous le Second Empire (les travaux haussmaniens) ; les constructions métalliques (l'exemple de Gustave Eiffel) ▪ La notion de recueil poétique : le sens du titre (exemples des Fleurs du Mal, du Spleen de Paris, d'Alcools et d'Ethiopiques); l’organisation d'un recueil ▪ Eléments de versification : le mètre, les rimes, le décompte des syllabes, les jeux de sonorités, etc. ▪ L’évolution de la poésie aux XIXème et XXème s. : le poème en prose, le vers libre. Documents complémentaires Groupement de textes 1 : quatre conceptions de la poésie : Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674) ; Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation » ; Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, dite « du voyant » (Charleville, 15 mai 1871) ; Guillaume Apollinaire, extrait de la conférence « L'Esprit nouveau et les poètes » (1917) ▪ Groupement de textes 2 : le thème de la ville en poésie : Arthur Rimbaud, « Villes II » et « Les Ponts », Illuminations (1875) ; Jules Laforgue, « Dans la rue », Premiers poèmes (vers 1880) ; Emile Verhaeren, « La Ville », Les campagnes hallucinées (1895) ; Emile Verhaeren, « Le Port », Les Villes tentaculaires (1895) ; Georg Heym, « Le Dieu de la ville » (1910-1911) ; Blaise Cendrars, « Les Pâques à New-York », Du monde entier, poésies complètes (1912- 1924) ; Blaise Cendrars, Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France (extrait), 1913 ; Guillaume Apollinaire, « La Tour Eiffel », Calligrammes (1918). ▪ Groupement de textes 3 : poésie et société : Victor HUGO, "Le Mendiant", Les Contemplations, livre V (1856) ; Charles BAUDELAIRE, "A une mendiante rousse", Les Fleurs du mal, LXXXVIII (1857) ; Emile VERHAEREN, "Les Mendiants", Les Campagnes hallucinées (1893). Histoire des arts : Le pont de l'Europe (1875) de Gustave Caillebotte. Document vidéo : Fritz Lang, Métropolis, 1927. Documents sonores : Grand Corps malade, « Saint-Denis », « Je connaissais pas Paris le matin », Midi 20. Activités proposées à la classe ▪ Ecoute en demi-classe de poèmes dans une salle obscure et recueil des impressions ▪ Le projet avec

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Objet d’étude Poésie(Groupement de textes)

Problématiques retenuesLa poésie de la modernité : le peintre de la vie moderneEn quoi Baudelaire, Apollinaire et Senghor sont-il à la fois les héritiers d’unetradition et les expérimentateurs de nouveautés ?En quoi leur poésie est-elle moderne ?Comment les poètes transforment-ils les paysages urbains modernes en objetspoétiques ?

Lecturesanalytiques

- Texte 1 : Charles Baudelaire, « Le Cygne », Les Fleurs du mal (1857)

– Texte 2 : Charles Baudelaire, « Les yeux des pauvres», Le Spleen de Paris (1869)

– Texte 3 : Guillaume Apollinaire, « Zone» , du début à « l’avenue des Ternes » (vers 1 à 24), Alcools(1913)

– Texte 4 : Léopold Sédar Senghor, « New-York », Ethiopiques (1956)

Etudes d'ensemble

▪ Le contexte historique : les transformations de Paris sous le Second Empire (lestravaux haussmaniens) ; les constructions métalliques (l'exemple de Gustave Eiffel)▪ La notion de recueil poétique : le sens du titre (exemples des Fleurs du Mal, duSpleen de Paris, d'Alcools et d'Ethiopiques); l’organisation d'un recueil▪ Eléments de versification : le mètre, les rimes, le décompte des syllabes, les jeux desonorités, etc.▪ L’évolution de la poésie aux XIXème et XXème s. : le poème en prose, le verslibre.

Documents complémentaires▪ Groupement de textes 1 : quatre conceptions de la poésie : Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674) ; Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation » ; Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, dite « du voyant » (Charleville, 15 mai 1871) ; Guillaume Apollinaire, extrait de la conférence « L'Esprit nouveau et les poètes » (1917)▪ Groupement de textes 2 : le thème de la ville en poésie : Arthur Rimbaud, « Villes II » et « Les Ponts », Illuminations (1875) ; Jules Laforgue, « Dans la rue », Premiers poèmes (vers 1880) ; Emile Verhaeren, « La Ville », Les campagnes hallucinées (1895) ; Emile Verhaeren, « Le Port », Les Villes tentaculaires (1895) ; Georg Heym, « Le Dieu de la ville » (1910-1911) ; Blaise Cendrars, « Les Pâques à New-York », Du monde entier, poésies complètes (1912-1924) ; Blaise Cendrars, Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France (extrait), 1913 ; Guillaume Apollinaire, « La Tour Eiffel », Calligrammes (1918).▪ Groupement de textes 3 : poésie et société : Victor HUGO, "Le Mendiant", Les Contemplations, livre V (1856) ; Charles BAUDELAIRE, "A une mendiante rousse", Les Fleurs du mal, LXXXVIII (1857) ; Emile VERHAEREN, "Les Mendiants", Les Campagnes hallucinées (1893).▪ Histoire des arts : Le pont de l'Europe (1875) de Gustave Caillebotte.▪ Document vidéo : Fritz Lang, Métropolis, 1927.▪ Documents sonores : Grand Corps malade, « Saint-Denis », « Je connaissais pasParis le matin », Midi 20.

Activités proposées à la classe ▪ Ecoute en demi-classe de poèmes dans une salle obscure et recueil des impressions

▪ Le projet avec

Lecture analytique n° 5 : « Un cygne » de Charles Baudelaire

LXXXIX - Le Cygne

A Victor Hugo

I

Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve,Pauvre et triste miroir où jadis resplenditL'immense majesté de vos douleurs de veuve,Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

A fécondé soudain ma mémoire fertile,Comme je traversais le nouveau Carrousel.Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une villeChange plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel) ;

Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flaques,Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.

Là s'étalait jadis une ménagerie ;Là je vis, un matin, à l'heure où sous les cieuxFroids et clairs le Travail s'éveille, où la voiriePousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,

Un cygne qui s'était évadé de sa cage,Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec

Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,Et disait, le coeur plein de son beau lac natal :"Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ?"Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,

Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,Vers le ciel ironique et cruellement bleu,Sur son cou convulsif tendant sa tête avideComme s'il adressait des reproches à Dieu !

II

Paris change ! mais rien dans ma mélancolieN'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorieEt mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

Aussi devant ce Louvre une image m'opprime :Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,Comme les exilés, ridicule et sublimeEt rongé d'un désir sans trêve ! et puis à vous,

Andromaque, des bras d'un grand époux tombée,Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,Auprès d'un tombeau vide en extase courbéeVeuve d'Hector, hélas ! et femme d'Hélénus !

Je pense à la négresse, amaigrie et phtisiquePiétinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,Les cocotiers absents de la superbe AfriqueDerrière la muraille immense du brouillard ;

A quiconque a perdu ce qui ne se retrouveJamais, jamais ! à ceux qui s'abreuvent de pleursEt tètent la Douleur comme une bonne louve !Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs !

Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exileUn vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor ! Je pense aux matelots oubliés dans une île,Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encor !

Charles Baudelaire, « Le Cygne », Les Fleurs du Mal (1857).

Lecture analytique n° 6 : « Les yeux des pauvres » de Charles Baudelaire

Ah ! vous voulez savoir pourquoi je vous hais aujourd'hui. Il vous sera sans doute moinsfacile de le comprendre qu'à moi de vous l'expliquer; car vous êtes, je crois, le plus bel exempled'imperméabilité féminine qui se puisse rencontrer.

Nous avions passé ensemble une longue journée qui m'avait paru courte. Nous nous étionsbien promis que toutes nos pensées nous seraient communes à l'un et à l'autre, et que nos deux âmesdésormais n'en feraient plus qu'une ; - un rêve qui n'a rien d'original, après tout, si ce n'est que, rêvépar tous les hommes, il n'a été réalisé par aucun.

Le soir, un peu fatiguée, vous voulûtes vous asseoir devant un café neuf qui formait le coind'un boulevard neuf, encore tout plein de gravois et montrant déjà glorieusement ses splendeursinachevées. Le café étincelait. Le gaz lui-même y déployait toute l'ardeur d'un début, et éclairait detoutes ses forces les murs aveuglants de blancheur, les nappes éblouissantes des miroirs, les ors desbaguettes et des corniches, les pages aux joues rebondies traînés par les chiens en laisse, les damesriant au faucon perché sur leur poing, les nymphes et les déesses portant sur leur tête des fruits, despâtés et du gibier, les Hébés et les Ganymèdes présentant à bras tendu la petite amphore àbavaroises ou l'obélisque bicolore des glaces panachées; toute l'histoire et toute la mythologie misesau service de la goinfrerie.

Droit devant nous, sur la chaussée, était planté un brave homme d'une quarantaine d'années,au visage fatigué, à la barbe grisonnante, tenant d'une main un petit garçon et portant sur l'autre brasun petit être trop faible pour marcher. Il remplissait l'office de bonne et faisait prendre à ses enfantsl'air du soir. Tous en guenilles. Ces trois visages étaient extraordinairement sérieux, et ces six yeuxcontemplaient fixement le café nouveau avec une admiration égale, mais nuancée diversement parl'âge.

Les yeux du père disaient : "Que c'est beau ! que c'est beau ! on dirait que tout l'or du pauvremonde est venu se porter sur ces murs." - Les yeux du petit garçon: "Que c'est beau ! que c'estbeau ! mais c'est une maison où peuvent seuls entrer les gens qui ne sont pas comme nous." - Quantaux yeux du plus petit, ils étaient trop fascinés pour exprimer autre chose qu'une joie stupide etprofonde.

Les chansonniers disent que le plaisir rend l'âme bonne et amollit le coeur. La chanson avaitraison ce soir-là, relativement à moi. Non seulement j'étais attendri par cette famille d'yeux, mais jeme sentais un peu honteux de nos verres et de nos carafes, plus grands que notre soif. Je tournaismes regards vers les vôtres, cher amour, pour y lire ma pensée ; je plongeais dans vos yeux si beauxet si bizarrement doux, dans vos yeux verts, habités par le Caprice et inspirés par la Lune, quandvous me dites: "Ces gens-là me sont insupportables avec leurs yeux ouverts comme des portescochères! Ne pourriez-vous pas prier le maître du café de les éloigner d'ici ?" Tant il est difficile de s'entendre, mon cher ange, et tant la pensée est incommunicable,même entre gens qui s'aiment !

Charles Baudelaire, « Les yeux des pauvres », Le Spleen de Parisou les petits poèmes en prose (1869).

Lecture analytique n° 7 : « Zone » de Guillaume Apollinaire

Zone

À la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennesLa religion seule est restée toute neuve la religionEst restée simple comme les hangars de Port-Aviation Seul en Europe tu n'es pas antique ô ChristianismeL'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie XEt toi que les fenêtres observent la honte te retientD'entrer dans une église et de t'y confesser ce matinTu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout hautVoilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journauxIl y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policièresPortraits des grands hommes et mille titres divers J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nomNeuve et propre du soleil elle était le claironLes directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographesDu lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passentLe matin par trois fois la sirène y gémitUne cloche rageuse y aboie vers midiLes inscriptions des enseignes et des muraillesLes plaques les avis à la façon des perroquets criaillentJ'aime la grâce de cette rue industrielleSituée à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes

Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools (1913).

Lecture analytique n° 8 : « New York » de Léopold Sédar Senghor

A New York (extrait)

New York ! D'abord j'ai été confondu par ta beauté, ces grandes filles d'or aux jambes longues.Si timide d'abord devant tes yeux de métal bleu, ton sourire de givreSi timide. Et l'angoisse au fond des rues à gratte-cielLevant des yeux de chouette parmi l'éclipse du soleil.Sulfureuse ta lumière et les fûts livides, dont les têtes foudroient le cielLes gratte-ciel qui défient les cyclones sur leurs muscles d'acier et leur peau patinée de pierres.Mais quinze jours sur les trottoirs chauves de Manhattan– C'est au bout de la troisième semaine que vous saisit la fièvre en un bond de jaguarQuinze jours sans un puits ni pâturage, tous les oiseaux de l'airTombant soudain et morts sous les hautes cendres des terrasses.Pas un rire d'enfant en fleur, sa main dans ma main fraîchePas un sein maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans sueur ni odeur.Pas un mot tendre en l'absence de lèvres, rien que des cœurs artificiels payés en monnaie forteEt pas un livre où lire la sagesse. La palette du peintre fleurit des cristaux de corail.Nuits d'insomnie ô nuits de Manhattan ! si agitées de feux follets, tandis que les klaxons hurlent des heures videsEt que les eaux obscures charrient des amours hygiéniques, tels des fleuves en crue des cadavres d'enfants.

Léopold Sédar Senghor Ethiopiques (1956).

Eléments de versification

Complète les pointillés, en essayant de t'appuyer d'abord sur tes connaissances (en bleu ou en noir), puis en faisant une recherche au CDI, sur internet (en rouge ou vert) :

1 Longueur des vers : le …............... est le nombre de syllabes dans un vers

2 Comment compter les syllabes ?· Prononcer ou non le e ?L’…............... est le fait de ne pas compter un son qu’on ne prononce pas :

« Pré/ten/dai/t a/rri/ver// san/s en/com/br[e] à/ la/ vill[e] » (La Fontaine) = 12 : 6 // 6 « J’im/plo/re/ ta/ pi/tié//, Toi,// l’u/ni/que/ que/ j’aim[e] » (Baudelaire) = 12 6 // 1 / 5

Règles :L’e muet + consonne …...............…...............…...............L’e muet + voyelle et en fin de vers…...............…...............

· Quand il y a un …............... (i + voyelle) : passion, lion, dieu, etc., on peut compter une ou deuxsyllabes :

« Sa/ bu/r[e] où /je/ voy/ais // des /cons/tel/la/ti/ons » (Hugo)« On/ n’est /pas /sé/ri/ieux // quand on a dix-sept ans » (« Roman » d’A. Rimbaud)…............... = on compte deux syllabes pour le hiatus : le mot est allongé, donc mis en valeur…............... = on compte une syllabe

1 Vers pairs et impairsLes différents types de vers peuvent être classés en fonction du nombre de syllabes qu’ils comportent. La longueur des vers leur donne leur nom.

Nom Longueur 8 syllabes10 syllabes12 syllabes

Les vers impairs sont moins fréquents. Verlaine préconise l’usage des vers impairs dans son « Artpoétique » (écrit en 1874, publié en 1882, et finalement inclus dans le recueil Jadis et Naguère, 1884) :

« De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l’Impair Plus vague et plus soluble dans l’air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. »

Le vers régulier : il repose sur le compte des syllabes (de une à douze) qui fixe son rythme ; c’est levers français classique, qui obéit de plus aux règles de la rime et de la césure. Le vers irrégulier : le vers moderne est libre ; on se libère à partir de la fin du XIX° des contraintesdes vers de même longueur et l’on fait se succéder des vers de longueurs différentes, mais onabandonne aussi les contraintes de la rime, voire la ponctuation.

Rimbaud, dans « les Effarés », emploie des vers irréguliers/ hétérométriques (c’est-à-dire de longueursdifférentes), mêlant octosyllabes et tétrasyllabes (4 syllabes) :

Noirs /dans /la / nei/ge et /dans/ la /brume,Au /grand /sou/pi/rail /qui /s'al/lume, Leurs/ culs /en /rond

Le …............... s’affranchit du décompte des syllabes et assemble des vers de longueurs variées à la fin duXIX°; cette pratique se généralisera après avoir été mise en œuvre par Arthur Rimbaud dans lesIlluminations (1874).Le …............... désigne un vers plus long, irrégulier, employé au XX° par Paul Claudel ou Saint-John Perse.

2 Le rythme du versLa coupe principale s’appelle la …............... (du latin : couper) et sépare les deux moitiés du vers que l’onnomme les …............... (qui signifie : demi-vers). La règle classique, définie par Boileau dans son Artpoétique, veut que la césure survienne après un mot, et non à l’intérieur :« Que toujours dans vos vers//le sens coupant les mots Suspende l’hémistiche,//en marque le repos »

Dans l’alexandrin romantique se sont développées parfois, au détriment de la césure, deux coupessecondaires qui en font un …...............Il est un Dieu qui rit// aux/ nappes damasséesDes autels, //à l'encens, //aux grands calices d'or (« Le Mal » d’A. Rimbaud)

· L’…............... indique que la phrase n’est pas contenue dans la limite du vers, qu’elle dépasse, et dont elle déborde sur le vers suivant,

« Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant commeSourirait un enfant malade, il fait un somme :» (Rimbaud)

· Si un élément qui dépend d’un vers ne peut y trouver place et est rejeté dans le vers suivant, il y a un…...............

« C’est un trou de verdure// où chante une rivière Accrochant follement// aux herbes des haillons D’argent ; // où le soleil, // de la montagne fière, Luit ; c’est un petit val qui mousse de rayons. » (Rimbaud)

· Si à l’inverse un élément anticipe sur la phrase qui se développe dans le vers suivant, on parle de…...............

« Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère, Haine, frisson, horreur, labeur dur et forcé, » (Baudelaire)« Ils atteindront le fond de l’Asturie, avant Que la nuit ait couvert la sierra de ses ombres » (Hugo)

· La musicalité du vers. Elle repose essentiellement sur la répétition de sons dans le but de créer un effet. La répétition significative d’un son consonne est une …............... la répétition significative d’un son voyelle est une …...............

L'…...............…............... consiste à évoquer par le son ce dont parle le vers :« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » Dans ce vers de Racine, l’allitération en [s] renvoie au son de la première lettre du mot « serpent » maisaussi au sifflement du reptile.

1 Les strophes· Les strophes sont des groupements de vers séparés par un blanc typographique qui constituent une

unité sonore et sémantique. Leur nom vient du nombre de vers qu’elles contiennent.Nom Longueur Nom Longueur

1 vers 7 vers2 vers 8 vers3 vers 9 vers4 vers 10 vers5 vers 11 vers6 vers 12 vers

2. Comment étudier les rimes ?1. Définir une rime· Elle obéit à des règles dans la poésie classique et régulière, qui alterne rimes …............... (le vers

s’achève sur un e muet, par exemple : aile/ éternelle ou joue/ loue) et rimes …............... (le verss’achève sur un autre son que e muet, par exemple : îlot/ flot).

Heureux qui, comme UlysseHeureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,Et puis est retourné, plein d'usage et raison,Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit villageFumer la cheminée, et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,Que des palais Romains le front audacieux,Plus que le marbre dur// me plaît l'ardoise fine :

Plus mon Loir gaulois,// que le Tibre latin,Plus mon petit Liré, // que le mont Palatin,Et plus que l'air marin// la doulceur angevine.

·· Une rime …............... indique que le mot situé en fin de vers fait écho à un terme placé à l’intérieur

du vers. Elle crée un effet de sens en rapprochant ces deux termes sur le plan sonore.Cet alexandrin de Ronsard présente une rime interne :« Cueillez dès aujourd’hui // les roses de la vie » · Si deux voyelles identiques sont suivies de consonnes différentes, il n’y a pas de rime mais une

…...............A /la /fin /tu /es /las // de /ce /mon/de an/ci/ienBer/gè/re ô /tour /Eif/fel /le /trou/peau /des /ponts /bê/le /ce /ma/tinTu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine

Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennesLa religion seule est restée toute neuve la religionEst restée simple comme les hangars de Port-Aviation

Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout hautVoilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux

Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventure policièresPortraits des grands hommes et mille titres divers

J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nomNeuve et propre du soleil elle était le claironLes directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémitUne cloche rageuse y aboie vers midiLes inscriptions des enseignes et des muraillesLes plaques les avis à la façon des perroquets criaillentJ'aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des Ternes Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools (1913)

2. La qualité des rimesRimes …............... un son en commun Exemple : aim/ons – pard/on

rimes …............... deux sons en commun Exemple : v/e/rts – m/e/ rs

rimes …............... trois sons ou plus en commun

Exemple : « Où, rimant au milieu des ombres fant/a/s/t/i/ques, Comme des lyres, je tirais les él/a/s/t/i/ques » (Rimbaud)

3. La disposition des rimes· Une rime …............... ou …............... fait se suivre deux vers terminés par le même son. On peut

faire se succéder plusieurs rimes plates. Le modèle est alors aabb, chaque lettre correspondant au sonrencontré à la fin d’un vers.

·Dans le vieux parc solitaire et glacéDeux formes ont tout à l’heure passé. Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont mollesEt l’on entend à peine leurs paroles.

·· Deux rimes …............... se mêlent en combinant quatre vers selon le modèle abab :

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipagePrennent des albatros, vastes oiseaux des mers,Qui suivent, indolents compagnons de voyage,Le navire glissant sur les gouffres amers.

·· Deux rimes …............... entourent de deux vers les deux autres vers selon le modèle abba :

Homme libre, toujours tu chériras la mer !La mer est ton miroir ; tu contemples ton âmeDans le déroulement infini de sa lame,Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Biographie des trois poètes : Baudelaire, Apollinaire, Senghor

Textes complémentaires : quatre conceptions de la poésie

Texte A - Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674)

Surtout qu'en vos écrits la langue révérée Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée. En vain vous me frappez d'un son mélodieux, Si le terme est impropre, ou le tour vicieux ; Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme, Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme1. Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse, Et ne vous piquez point d'une folle vitesse ; Un style si rapide, et qui court en rimant, Marque moins trop d'esprit, que peu de jugement. J'aime mieux un ruisseau qui sur la molle arène Dans un pré plein de fleurs lentement se promène, Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux, Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent, Des traits d'esprit semés de temps en temps pétillent. Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ; Que le début, la fin répondent au milieu ; Que d'un art délicat les pièces assorties N'y forment qu'un seul tout de diverses parties : Que jamais du sujet le discours s'écartant N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant. Craignez-vous pour vos vers la censure publique ? Soyez-vous à vous-même un sévère critique.

Texte B - Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation »

Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ; Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes, Les Méropes2, ayant le décorum pour loi, Et montant à Versaille3 aux carrosses du roi ; Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires4, Habitant les patois ; quelques-uns aux galères Dans l'argot ; dévoués à tous les genres bas, Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas, Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ; Populace du style au fond de l'ombre éparse ; Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas5 leur chef Dans le bagne Lexique avait marqués d'une F ; N'exprimant que la vie abjecte et familière,

1 Barbarisme, solécisme : incorrections.2 Personnages de tragédies.3 L'absence de la lettre "s" est volontaire.4 Inquiétants.5 Vaugelas : auteur des Remarques sur la langue française (1647). Il y codifie la langue selon l'usage de l'élite.

Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière. Racine regardait ces marauds de travers ; Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers, Il le gardait, trop grand pour dire : Qu'il s'en aille ; Et Voltaire criait : Corneille s'encanaille ! Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi. Alors, brigand, je vins ; je m'écriai : Pourquoi Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ? Et sur l'Académie, aïeule et douairière6, Cachant sous ses jupons les tropes19 effarés, Et sur les bataillons d'alexandrins carrés, Je fis souffler un vent révolutionnaire. Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire. Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier ! Je fis une tempête au fond de l'encrier, Et je mêlai, parmi les ombres débordées, Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées ; Et je dis : Pas de mot où l'idée au vol pur Ne puisse se poser, tout humide d'azur ! Discours affreux ! – Syllepse, hypallage, litote7, Frémirent ; je montai sur la borne Aristote8, Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs. Tous les envahisseurs et tous les ravageurs, Tous ces tigres, les Huns, les Scythes et les Daces9, N'étaient que des toutous auprès de mes audaces; Je bondis hors du cercle et brisai le compas. Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?

Texte C - Arthur Rimbaud, lettre dite « du voyant », à Paul Demeny - 15 mai 1871

Charleville, 15 mai 1871.[...] - Voici de la prose sur l'avenir de la poésie -

Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque ; Vie harmonieuse. - De la Grèce aumouvement romantique, - moyen-âge, - il y a des lettrés, des versificateurs. D'Ennius à Théroldus,de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloired'innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. -On eût soufflé sur sesrimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd'hui aussi ignoré que le premier venuauteur d'Origines. - Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans.

[...] Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long,immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, defolie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences.Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tousle grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant - Car il arrive à [...]Donc le poète est vraiment voleur de feu.

Il est chargé de l'humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter sesinventions ; si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c'est informe, il donne del'informe. Trouver une langue ; - Du reste, toute parole étant idée, le temps d'un langage universelviendra ! Il faut être académicien, - plus mort qu'un fossile, - pour parfaire un dictionnaire, dequelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l'alphabet, quipourraient vite ruer dans la folie !-

6 L'Académie Française, garante des règles ; "Douairière" : vieille femme.7 Figures de style.8 Aristote, philosophe grec, avait codifié les genres et les styles.9 Peuples considérés ici comme barbares.

Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la penséeaccrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d'inconnu s'éveillant en son temps dansl'âme universelle : il donnerait plus - (que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche auProgrès ! Enormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur deprogrès !

[...] Vous seriez exécrable de ne pas répondre : vite car dans huit jours je serai à Paris, peut-être.Au revoir,

A. Rimbaud.

Texte D : Guillaume Apollinaire, extrait de la conférence « L'Esprit nouveau et lespoètes » prononcée le 26 novembre 1917 au théâtre du Vieux-Colombier à Paris.

L'esprit nouveau qui dominera le monde entier ne s'est fait jour dans la poésie nulle partcomme en France. La forte discipline intellectuelle que se sont imposée de tout temps les Françaisleur permet, à eux et à ceux qui leur appartiennent spirituellement, d'avoir une conception de la vie,des Arts et des Lettres qui, sans être la simple constatation de l'Antiquité, ne soit pas non plus unpendant du beau décor romantique.

L'esprit nouveau qui s'annonce prétend avant tout hériter des classiques un solide bon sens, unesprit critique assuré, des vues d'ensemble sur l'univers et dans l'âme humaine, et le sens du devoirqui dépouille les sentiments et en limite ou plutôt en contient les manifestations.

Il prétend encore hériter des romantiques une curiosité qui le pousse à explorer tous lesdomaines propres à fournir une matière littéraire qui permette d'exalter la vie sous quelque formequ'elle se présente.

Explorer la vérité, la chercher, aussi bien dans le domaine ethnique, par exemple, que danscelui de l'imagination, voilà les principaux caractères de cet esprit nouveau.

Cette tendance du reste a toujours eu ses représentants audacieux qui l'ignoraient ; il y alongtemps qu'elle se forme, qu'elle est en marche.

Cependant, c'est la première fois qu'elle se présente consciente d'elle-même. C'est que, jusqu'àmaintenant, le domaine littéraire était circonscrit dans d'étroites limites. On écrivait en prose ou l'onécrivait en vers. En ce qui concerne la prose, des règles grammaticales en fixaient la forme.

Pour ce qui est de la Poésie, la versification rimée en était la loi unique, qui subissait desassauts périodiques, mais que rien n'entamait.

Le vers libre donna un libre essor au lyrisme ; mais il n'était qu'une étape des explorationsqu'on pouvait faire dans le domaine de la forme.

Les recherches dans la forme ont repris désormais une grande importance. Elle est légitime.

Comment cette recherche n'intéresserait-elle pas le poète, elle qui peut déterminer denouvelles découvertes dans la pensée et dans le lyrisme ?

L'assonance, l'allitération, aussi bien que la rime sont des conventions qui chacune a sesmérites.

Les artifices typographiques poussés très loin avec une grande audace ont l'avantage de fairenaître un lyrisme visuel qui était presque inconnu avant notre époque. Ces artifices peuvent allertrès loin encore et consommer la synthèse des arts, de la musique, de la peinture et de la littérature.

Il n'y a là qu'une recherche pour aboutir à de nouvelles expressions parfaitement légitimes.

Guillaume Apollinaire, «L’Esprit nouveau et les poètes», Œuvres en prose complètes, tome II,Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991.

Documents complémentaires : la ville en poésie

VillesL'acropole officielle outre les conceptions de la barbarie moderne les plus colossales.

Impossible d'exprimer le jour mat produit par le ciel immuablement gris, l'éclat impérial desbâtisses, et la neige éternelle du sol. On a reproduit dans un goût d'énormité singulier toutes lesmerveilles classiques de l'architecture. J'assiste à des expositions de peinture dans les locaux vingtfois plus vastes qu'Hampton-Court. Quelle peinture ! Un Nabuchodonosor norwégien a faitconstruire les escaliers des ministères ; les subalternes que j'ai pu voir sont déjà plus fiers que desBrahmas et j'ai tremblé à l'aspect de colosses des gardiens et officiers de constructions. Par legroupement des bâtiments en squares, cours et terrasses fermées, on a évincé les clochers. Les parcsreprésentent la nature primitive travaillée par un art superbe. Le haut quartier a des partiesinexplicables : un bras de mer, sans bateaux, roule sa nappe de grésil bleu entre des quais chargés decandélabres géants. Un pont court conduit à une poterne immédiatement sous le dôme de la Sainte-Chapelle. Ce dôme est une armature d'acier artistique de quinze mille pieds de diamètre environ.

Sur quelques points des passerelles de cuivre, des plates-formes, des escaliers qui contournentles halles et les piliers, j'ai cru pouvoir juger la profondeur de la ville ! C'est le prodige dont je n'aipu me rendre compte : quels sont les niveaux des autres quartiers sur ou sous l'acropole ? Pourl'étranger de notre temps la reconnaissance est impossible. Le quartier commerçant est un circusd'un seul style, avec galeries à arcades. On ne voit pas de boutiques. Mais la neige de la chausséeest écrasée ; quelques nababs aussi rares que les promeneurs d'un matin de dimanche à Londres, sedirigent vers une diligence de diamants. Quelques divans de velours rouge : on sert des boissonspolaires dont le prix varie de huit cents à huit mille roupies. A l'idée de chercher des théâtres sur cecircus, je me réponds que les boutiques doivent contenir des drames assez sombres. Je pense qu'il ya une police, mais la loi doit être tellement étrange, que je renonce à me faire une idée desaventuriers d'ici.

Le faubourg aussi élégant qu'une belle rue de Paris est favorisé d'un air de lumière. L'élémentdémocratique compte quelque cent âmes. Là encore les maisons ne se suivent pas ; le faubourg seperd bizarrement dans la campagne, le "Comté" qui remplit l'occident éternel des forêts et desplantations prodigieuses où les gentilshommes sauvages chassent leurs chroniques sous la lumièrequ'on a créée.

Rimbaud, Illuminations, 1875

Les Ponts

Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autresdescendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autrescircuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives, chargées de dômes,s'abaissent et s'amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autressoutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent et filent, descordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d'autres costumes et desinstruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, desrestants d'hymnes publics ? L'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. - Un rayon blanc,tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie.

Arthur Rimbaud, Illuminations, 1875

Jules Laforgue, « Dans la rue », Premiers poèmes (vers 1880)

Dans la rue

C'est le trottoir avec ses arbres rabougris.Des mâles égrillards, des femelles enceintes, Un orgue inconsolable ululant ses complaintes, Les fiacres, les journaux, la réclame et les cris.

Et devant les cafés où des hommes flétrisD'un oeil vide et muet contemplaient leurs absinthes Le troupeau des catins défile lèvres peintes Tarifant leurs appas de macabres houris.

Et la Terre toujours s'enfonce aux steppes vastes, Toujours, et dans mille ans Paris ne sera plus Qu'un désert où viendront des troupeaux inconnus.

Pourtant vous rêverez toujours, étoiles chastes,Et toi tu seras loin alors, terrestre îlotToujours roulant, toujours poussant ton vieux sanglot.

Emile Verhaeren, « La Ville », Les campagnes hallucinées (1895).

La Ville

Tous les chemins vont vers la ville.

Du fond des brumes,Là-bas, avec tous ses étages Et ses grands escaliers et leurs voyages Jusques au ciel, vers de plus hauts étages, Comme d'un rêve, elle s'exhume.

Là-bas, Ce sont des ponts tressés en fer Jetés, par bonds, à travers l'air; Ce sont des blocs et des colonnes Que dominent des faces de gorgones; Ce sont des tours sur des faubourgs, Ce sont des toits et des pignons, En vols pliés, sur les maisons; C'est la ville tentaculaire, Debout, Au bout des plaines et des domaines.

Des clartés rouges Qui bougent Sur des poteaux et des grands mâts, Même à midi, brûlent encor Comme des œufs monstrueux d'or, Le soleil clair ne se voit pas: Bouche qu'il est de lumière, fermée Par le charbon et la fumée,

Un fleuve de naphte et de poix Bat les môles de pierre et les pontons de bois; Les sifflets crus des navires qui passent Hurlent la peur dans le brouillard: Un fanal vert est leur regard Vers l'océan et les espaces.

Des quais sonnent aux entrechocs de leurs fourgons, Des tombereaux grincent comme des gonds, Des balances de fer font choir des cubes d'ombre Et les glissent soudain en des sous-sols de feu; Des ponts s'ouvrant par le milieu, Entre les mâts touffus dressent un gibet sombre Et des lettres de cuivre inscrivent l'univers, Immensément, par à travers Les toits, les corniches et les murailles, Face à face, comme en bataille.

Par au-dessus, passent les cabs, filent les roues, Roulent les trains, vole l'effort, Jusqu'aux gares, dressant, telles des proues Immobiles, de mille en mille, un fronton d'or. Les rails ramifiés rampent sous terre En des tunnels et des cratères Pour reparaître en réseaux clairs d'éclairs Dans le vacarme et la poussière. C'est la ville tentaculaire.

La rue – et ses remous comme des câbles Noués autour des monuments – Fuit et revient en longs enlacements; Et ses foules inextricables Les mains folles, les pas fiévreux, La haine aux yeux, Happent des dents le temps qui les devance. A l'aube, au soir, la nuit, Dans le tumulte et la querelle, ou dans l'ennui, Elles jettent vers le hasard l'âpre semence De leur labeur que l'heure emporte. Et les comptoirs mornes et noirs Et les bureaux louches et faux Et les banques battent des portes Aux coups de vent de leur démence.

Dehors, une lumière ouatée, Trouble et rouge, comme un haillon qui brûle, De réverbère en réverbère se recule. La vie, avec des flots d'alcool est fermentée.

Les bars ouvrent sur les trottoirs Leurs tabernacles de miroirs Où se mirent l'ivresse et la bataille; Une aveugle s'appuie à la muraille Et vend de la lumière, en des boîtes d'un sou; La débauche et la faim s'accouplent en leur trou Et le choc noir des détresses charnelles Danse et bondit à mort dans les ruelles. Et coup sur coup, le rut grandit encore Et la rage devient tempête: On s'écrase sans plus se voir, en quête

Du plaisir d'or et de phosphore; Des femmes s'avancent, pâles idoles, Avec, en leurs cheveux, les sexuels symboles. L'atmosphère fuligineuse et rousse Parfois loin du soleil recule et se retrousse Et c'est alors comme un grand cri jeté Du tumulte total vers la clarté: Places, hôtels, maisons, marchés, Ronflent et s'enflamment si fort de violence Que les mourants cherchent en vain le moment de silence Qu'il faut aux yeux pour se fermer. Telle, le jour – pourtant, lorsque les soirs Sculptent le firmament, de leurs marteaux d'ébène, La ville au loin s'étale et domine la plaine Comme un nocturne et colossal espoir; Elle surgit: désir, splendeur, hantise; Sa clarté se projette en lueurs jusqu'aux cieux, Son gaz myriadaire en buissons d'or s'attise, Ses rails sont des chemins audacieux Vers le bonheur fallacieux Que la fortune et la force accompagnent; Ses murs se dessinent pareils à une armée Et ce qui vient d'elle encore de brume et de fumée Arrive en appels clairs vers les campagnes.

C'est la ville tentaculaire, La pieuvre ardente et l'ossuaire Et la carcasse solennelle.

Et les chemins d'ici s'en vont à l'infini Vers elle.Emile Verhaeren, Les Campagnes hallucinées, 1893

Emile Verhaeren, « Le Port », Les Villes tentaculaires (1895)

Le port

Toute la mer va vers la ville !

Son port est surmonté d'un million de croix :Vergues transversales barrant de grands mâts droits.

Son port est pluvieux et suie à travers brumes,Où le soleil comme un oeil rouge et colossal larmoie.

Son port est ameuté de steamers noirs qui fumentEt mugissent, au fond du soir, sans qu'on les voie.

Son port est fourmillant et musculeux de brasPerdus en un fouillis dédalien d'amarres.

Son port est tourmenté de chocs et de fracasEt de marteaux tournant dans l'air leurs tintamarres.

Toute la mer va vers la ville !

Les flots qui voyagent comme les vents,Les flots légers, les flots vivants,Pour que la ville en feu l'absorbe et le respireLui rapportent le monde en leurs navires.Les Orients et les Midis tanguent vers elleEt les Nords blancs et la folie universelleEt tous les nombres dont le désir prévoit la somme.Et tout ce qui s'invente et tout ce que les hommes

Tirent de leurs cerveaux puissants et volcaniquesTend vers elle, cingle vers elle et vers ses luttes :Elle est le brasier d'or des humaines disputes,Elle est le réservoir des richesses uniquesEt les marins naïfs peignent son caducéeSur leur peau rousse et crevassée,A l'heure où l'ombre emplit les soirs océaniques.

Toute la mer va vers la ville !

Ô les Babels enfin réalisées !Et cent peuples fondus dans la cité commune ;Et les langues se dissolvant en une ;Et la ville comme une main, les doigts ouverts,Se refermant sur l'univers !

Dites ! les docks bondés jusques au faiteEt la montagne, et le désert, et les forêts,Et leurs siècles captés comme en des rets ;Dites ! leurs blocs d'éternité : marbres et bois,Que l'on achète,Et que l'on vend au poids ;Et puis, dites ! les morts, les morts, les mortsQu'il a fallu pour ces conquêtes.

Toute la mer va vers la ville !La mer pesante, ardente et libre,

Qui tient la terre en équilibre;La mer que domine la loi des multitudes,La mer où les courants tracent les certitudes ;La mer et ses vagues coalisées,Comme un désir multiple et fou,Qui renversent les rocs depuis mille ans deboutEt retombent et s'effacent, égalisées;La mer dont chaque lame ébauche une tendresseOu voile une fureur ; la mer plane ou sauvage ;La mer qui inquiète et angoisse et oppresseDe l'ivresse de son image.

Toute la mer va vers la ville !

Son port est parsemé et scintillant de feuxEt sillonné de rails fuyants et lumineux.

Son port est ceint de tours rouges dont les murs sonnentD'un bruit souterrain d'eau qui s'enfle et ronfle en elles.

Son port est lourd d'odeurs de naphte et de carboneQui s'épandent, au long des quais, par des ruelles.Son port est fabuleux de déesses sculptéesA l'avant des vaisseaux dont les mâts d'or s'exaltent.

Son port est solennel de tempêtes domptéesEt des havres d'airain, de grès et de basalte.

Georg Heym, « Le Dieu de la ville » (1910-1911)

LE DIEU DE LA VILLE

Sur un bloc de maisons il siège à son aise.Les vents campent noirs autour de son front.Rempli de rage il regarde les dernières maisons au loinSe perdre par la campagne dans la solitude.

Le soir fait luire le ventre rouge de Baal,Les grandes villes l’entourent en s’agenouillant.Les cloches des églises en nombre immenseDéferlent sur lui d’une mer de tours noires.

Comme une danse de corybantes retentit sonoreLa musique de ces millions de cloches par les rues.La fumée des cheminées, les nuages des usinesMontent dans sa direction, bleuâtres comme de l’encens.

Le temps se consume en ses sourcils.Le soir obscur s’assoupit dans la nuit.Les ouragans voltigent, regardant comme des vautoursDu haut de ses cheveux qui se hérissent de colère.

Il étend dans les ténèbres son poing de boucher.Il le serre. Une mer de feu courtPar une rue. Et l’épaisse fumée du brasier grondeEt la dévore, jusqu’à la percée tardive du matin.

Blaise Cendrars, « Les Pâques à New-York », Du monde entier, poésies complètes (1912-1924) ; Blaise Cendrars, Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France (extrait), 1913

Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le SacrificeEst ici, parquée, tassée, comme du bétail, dans les hospices.

D’immenses bateaux noirs viennent des horizonsEt les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.

Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols.

Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens.On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens.

C’est leur bonheur à eux que cette sale pitance.Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance.

Seigneur dans les ghettos grouille la tourbe des JuifsIls viennent de Pologne et sont tous fugitifs.

Je le sais bien, ils t’ont fait ton Procès;Mais je t’assure, ils ne sont pas tout à fait mauvais.

Ils sont dans des boutiques sous des lampes de cuivre,Vendent des vieux habits, des armes et des livres.

Rembrandt aimait beaucoup les peindre dans leurs défroques.Moi, j’ai, ce soir, marchandé un microscope.

Hélas! Seigneur, Vous ne serez plus là, après Pâques!Seigneur, ayez pitié des Juifs dans les baraques.

Seigneur, les humbles femmes qui vous accompagnèrent à Golgotha,Se cachent. Au fond des bouges, sur d’immondes sophas,

Elles sont polluées par la misère des hommes.Des chiens leur ont rongé les os, et dans le rhum

Elles cachent leur vice endurci qui s’écaille.Seigneur, quand une de ces femmes me parle, je défaille.

Je voudrais être Vous pour aimer les prostituées.Seigneur, ayez pitié des prostituées.

Seigneur, je suis dans le quartier des bons voleurs,Des vagabonds, des va-nu-pieds, des recéleurs.

Je pense aux deux larrons qui étaient avec vous à la Potence,Je sais que vous daignez sourire à leur malchance.

Seigneur, l’un voudrait une corde avec un noeud au bout,Mais ça n’est pas gratis, la corde, ça coûte vingt sous.

Il raisonnait comme un philosophe, ce vieux bandit.Je lui ai donné de l’opium pour qu’il aille plus vite en paradis.

Je pense aussi aux musiciens des rues,Au violoniste aveugle, au manchot qui tourne l’orgue de Barbarie,

À la chanteuse au chapeau de paille avec des roses de papier;Je sais que ce sont eux qui chantent durant l’éternité.

Seigneur, faites-leur l’aumône, autre que de la lueur des becs de gaz,Seigneur, faites-leur l’aumône de gros sous ici-bas.

Seigneur, quand vous mourûtes, le rideau se fendit,Ce que l’on vit derrière, personne ne l’a dit.

La rue est dans la nuit comme une déchirure,Pleine d’or et de sang, de feu et d’épluchures.

Ceux que vous aviez chassés du temple avec votre fouet,Flagellent les passants d’une poignée de méfaits.

L’Étoile qui disparut alors du tabernacle,Brûle sur les murs dans la lumière crue des spectacles.

Seigneur, la Banque illuminée est comme un coffre-fort,Où s’est coagulé le Sang de votre mort.

Les rues se font désertes et deviennent plus noires.Je chancelle comme un homme ivre sur les trottoirs.

J’ai peur des grands pans d’ombre que les maisons projettent.J’ai peur. Quelqu’un me suit. Je n’ose tourner la tête.

Un pas clopin-clopant saute de plus en plus près.J’ai peur. J’ai le vertige. Et je m’arrête exprès.

Un effroyable drôle m’a jeté un regardAigu, puis a passé, mauvais, comme un poignard.

Seigneur, rien n’a changé depuis que n’êtes plus Roi.Le Mal s’est fait une béquille de votre Croix.

Je descends les mauvaises marches d’un caféEt me voici, assis, devant un verre de thé.

Je suis chez des Chinois, qui comme avec le dosSourient, se penchent et sont polis comme des magots.

La boutique est petite, badigeonnée de rougeEt de curieux chromos sont encadrés dans du bambou.

Ho-Kousaï a peint les cent aspects d’une montagne.Que serait votre Face peinte par un Chinois ? ..

Elle dort.

Elle dortEt de toutes les heures du monde elle n'en a pas gobé une seuleTous les visages entrevus dans les garestoutes les horlogesL'heure de Paris l'heure de Berlin l'heure de St Pétersbourg et l'heure de toutes les garesEt à Oufa, le visage ensanglanté du canonnieret le cadran bêtement lumineux de GrochoEt l'avance perpétuelle du trainTous les matins on met les montres à l'heureLe train avance et le soleil retardeRien n'y fait, j'entends les cloches sonoresLe gros bourdon de Notre - DameLa cloche aigrelette du Louvre qui sonna la BarthélemyLes carillons rouillés de Bruges-la-MorteLes sonneries électriques de la bibliothèque

de New-YorkLes campagnes de VeniseEt les cloches de Moscou, l'horloge de la Porte - Rougequi me comptait les heures quand j'étais dans un bureauEt mes souvenirsLe train tonne sur les plaques tournantesLe train rouleUn gramophone grasseye une marche tziganeet le monde, comme l'horloge du quartier juif de Prague,tourne éperdument à rebours.

Effeuille la rose des ventsVoici que bruissent les orages déchaînésLes trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrésBilboquets diaboliquesIl y a des trains qui ne se rencontrent jamaisD'autres se perdent en routeLes chefs de gare jouent aux échecsTric - trac

Billard Caramboles ParabolesLa voie ferrée est une nouvelle géométrieSyracuse ArchimèdeEt les soldats qui l'égorgèrentEt les galères et les vaisseauxEt les engins prodigieux qu'il inventaEt toutes les tueriesL'histoire antique L'histoire moderne Les tourbillons Les naufragesMême celui du Titanic que j'ai lu dans le journalAutant d'images - associations que je ne peux pas développer dans mes versCar je suis encore fort mauvais poèteCar l'univers me débordeCar j'ai négligé de m'assurercontre les accidents de chemin de ferCar je ne sais pas aller jusqu'au bout

Et j'ai peur.

J'ai peurJe ne sais pas aller jusqu'au boutComme mon ami Chagallje pourrais faire une série de tableaux déments mais je n'ai pas pris de notes en voyage"Pardonnez-moi mon ignorancePardonnez-moi de ne plus connaître l'ancien jeu des vers" comme dit Guillaume ApollinaireTout ce qui concerne la guerre on peut le lire dans les Mémoires de Kouropatkine ou dans les journaux japonais qui sont aussi cruellement illustrésA quoi bon me documenterJe m'abandonneaux sursauts de ma mémoire...

Guillaume Apollinaire, « La Tour Eiffel », Calligrammes (1918)

Documents complémentaires : le poète et la société

Objet d'étude : La poésie.Corpus :Texte 1 : Victor HUGO, "Le Mendiant", Les Contemplations, livre V (1856).Texte 2 : Charles BAUDELAIRE, "A une mendiante rousse", Les Fleurs du mal, LXXXVIII (1857).Texte 3 : Emile VERHAEREN, "Les Mendiants", Les Campagnes hallucinées (1893).

Texte 1 : Victor HUGO, "Le Mendiant", Les Contemplations, livre V (1856).

LE MENDIANT

Un pauvre homme passait dans le givre1 et le vent.Je cognai sur ma vitre ; il s'arrêta devantMa porte, que j'ouvris d'une façon civile2.Les ânes revenaient du marché de la ville,Portant les paysans accroupis sur leurs bâts3.C'était le vieux qui vit dans une niche au basDe la montée, et rêve, attendant, solitaire,Un rayon du ciel triste, un liard4 de la terre,Tendant les mains pour l'homme et les joignant pour Dieu.je lui criai : « Venez vous réchauffer un peu.Comment vous nommez-vous ? » Il me dit : « Je me nommeLe pauvre. » Je lui pris la main : « Entrez, brave homme. »Et je lui fis donner une jatte5 de lait.Le vieillard grelottait de froid ; il me parlait,Et je lui répondais, pensif et sans l'entendre.« Vos habits sont mouillés », dis-je, « il faut les étendreDevant la cheminée. » Il s'approcha du feu.Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,Étalé largement sur la chaude fournaise,Piqué de mille trous par la lueur de braise,Couvrait l'âtre, et semblait un ciel noir étoilé.Et, pendant qu'il séchait ce haillon désoléD'où ruisselait la pluie et l'eau des fondrières7,Je songeais que cet homme était plein de prières,Et je regardais, sourd à ce que nous disions,Sa bure7 où je voyais des constellations.

1. givre : couche de glace.2. d'une façon civile : avec amabilité3. bâts : dispositif que l'on place sur le dos des bêtes pour le transport de leurs charges.4. un liard : très petite somme d'argent.5. jatte : bol.6. fondrières : trous dans un chemin défoncé.7. bure : manteau fait d'une grossière étoffe de laine:

Texte 2 : Charles BAUDELAIRE, "A une mendiante rousse", Les Fleurs du mal, LXXXVIII (1857).

À UNE MENDIANTE ROUSSE

Blanche fille aux cheveux roux,Dont la robe par ses trousLaisse voir la pauvretéEt la beauté,

Pour moi, poëte chétif1,Ton jeune corps maladif,Plein de taches de rousseur,A sa douceur.

Tu portes plus galammentQu’une reine de romanSes cothurnes2 de veloursTes sabots lourds.

Au lieu d’un haillon trop court,Qu’un superbe habit de courTraîne à plis bruyants et longsSur tes talons ;

En place de bas troués,Que pour les yeux des roués3

Sur ta jambe un poignard d’orReluise encor ;

Que des nœuds mal attachésDévoilent pour nos péchésTes deux beaux seins, radieuxComme des yeux ; […]

1. chétif : qui a peu de force.. 2 cothurnes : chaussures montantes à semelles épaisses. 3. roués : personnes débauchées.

Texte 3 : Emile VERHAEREN, "Les Mendiants", Les Campagnes hallucinées (1893).

Les jours d'hiver quand le froid serreLe bourg, le clos, le bois, la fange1,Poteaux de haine et de misère,Par l'infini de la campagne,Les mendiants ont l'air de fous.

Dans le matin, lourds de leur nuit,Ils s'enfoncent au creux des routes,Avec leur pain trempé de pluieEt leur chapeau comme la suieEt leurs grands dos comme des voûtesEt leurs pas lents rythmant l'ennui ;Midi les arrête dans les fossésPour leur repas ou leur sieste ;On les dirait immensément lassésEt résignés aux mêmes gestes ;Pourtant, au seuil des fermes solitaires,Ils surgissent, parfois, tels des filous,Le soir, dans la brusque lumièreD'une porte ouverte tout à coup.

Les mendiants ont l'air de fous.Ils s'avancent, par l'âpreté2

Et la stérilité du paysage,Qu'ils reflètent, au fond des yeuxTristes de leur visage ;Avec leurs hardes3 et leurs loquesEt leur marche qui les disloque,L'été, parmi les champs nouveaux,Ils épouvantent les oiseaux ;Et maintenant que Décembre sur les bruyèresS'acharne et mordEt gèle, au fond des bières4,Les morts,Un à un, ils s'immobilisentSur des chemins d'église,Mornes5, têtus et droits,

Les mendiants, comme des croix.

Avec leur dos comme un fardeauEt leur chapeau comme la suie,Ils habitent les carrefoursDu vent et de la pluie.

Ils sont le monotone pas- Celui qui vient et qui s'en vaToujours le même et jamais las6 -De l'horizon vers l'horizon.Ils sont l'angoisse et le mystèreEt leurs bâtons sont les battantsDes cloches de misèreQui sonnent à mort sur la terre.

Aussi, lorsqu'ils tombent enfin,Séchés de soif, troués de faim,Et se terrent comme des loups,Au fond d'un trou,Ceux qui s'en viennent,Après les besognes quotidiennes,Ensevelir à la hâte leur corpsOnt peur de regarder en faceL'éternelle menaceQui luit sous leur paupière, encor.

1. fange : la boue.2. âpreté : caractère dur et pénible.3. hardes : vêtements pauvres et usagés.4. bières : cercueils.5. mornes : tristes.6. las : fatigué.

I- Vous répondrez aux deux questions suivantes (6 points) :

1. De quelle manière les poètes évoquent-ils dans ces textes la misère des mendiants ? (3points).2. L'image du mendiant est-elle valorisée dans ces textes ? Par quels moyens ? (3 points).

II- Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (14 points) :

• Commentaire : Vous ferez le commentaire littéraire du texte d'Emile Verhaeren (texte C) en vous aidant du parcours de lecture suivant : - étudiez comment sont évoquées les conditions de vie des mendiants ; - montrez comment l'écriture poétique met en valeur les relations des mendiants avec les hommes et le monde.

• Dissertation : La poésie doit-elle être selon vous le reflet des préoccupations de la société ? Vous répondrez de façon argumentée et prendrez appui sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés en classe et sur vos lectures personnelles.

• Invention : Chargé de composer une anthologie1 de la poésie engagée, un auteur écrit à son éditeur pour lui proposer d'y faire figurer un ou deux des textes de ce corpus. Il rend compte de ses hésitations et explique les raisons de son choix.

1.anthologie : recueil de morceaux choisis.

Histoire des arts : Gustave Caillebotte, Le Pont de l'Europe(1875)

Documents sonores : deux chansons de Grand corps malade

Paroles Je Connaissais Pas Paris Le Matin

J'ai pris mon réveil de vitesse et ça c'est assez rareJe me suis levé sans lui sans stress, pourtant je m'étais couché tardJ'ai mis Morphée à l'amende en plus dehors y'a un pur tempsPas question que la vie m'attende, j'ai un rendez-vous importantCe matin mon tout petit dej' n'a pas vraiment la même odeurCe matin mon parking tout gris n'a pas vraiment la même couleurJe sors pour une occasion spéciale que je ne dois pas raterCe matin j'ai un rencard avec un moment de libertéC'est qu'après pas mal d'études et 4 ans de taf à plein tempsJe me suis permis le luxe de m'offrir un peu de bon tempsPlus d'horaires à respecter, finies les semaines de 40 heuresFinies les journées enfermé, adieu la gueule des directeursJ'ai rendez-vous avec personne, à aucun endroit précisEt c'est bien ça qui cartonne écoute la suite de mon récitAujourd'hui, j'ai rien à faire et pourtant je me suis levé tôtA mon ancienne vie d'affaires, j'ai posé un droit de vétoC'est un parcours fait de virages, de mirages, j'ai pris de l'âgeJe nage vers d'autres rivages, d'une vie tracée je serai pas un otageUn auteur de textes, après un point je tourne la pagePour apprécier demain et mettre les habitudes en cageJe sais pas où je vais aller je me laisse guider par mon instinctFasciné par cette idée je kiffe tout seul c'est mon instantLe soleil me montre la direction, ne crois pas que j'enjoliveC'est un moment plein d'émotion... attends j'avale ma saliveJe veux checker les éboueurs et aux pervenches rouler des pellesY'a du bon son dans la voiture quand j'arrive Porte de La ChapelleAlors je m'enfonce dans Paris comme si c'était la première foisJe découvre des paysages que j'ai pourtant vus 500 foisJe crois que mon lieu de rendez-vous sera cette table en terrasseCafé-croissant-stylo-papier, ça y est tout est en placeJe vois plein de gens autour de moi qui accélèrent le pasIls sont pressés et je souris car moi je ne le suis pasJe connaissais pas Paris le matin et son printemps sur les pavésMa vie redémarre pourtant on peut pas dire que j'en ai bavéLa route est sinueuse, je veux être l'acteur de ses tournantsC'est mon moment de liberté, je laisserais pas passer mon tour, nonC'est un parcours fait de virages, de mirages, j'ai pris de l'âgeJe nage vers d'autres rivages, d'une vie tracée je serai pas un otageUn auteur de textes, après un point je tourne la pagePour apprécier demain et mettre les habitudes en cagePuis je vois passer une charmante dans un beau petit tailleurElle me regarde comme on regarde un beau petit chômeurQuand je la vois elle m'esquive et fait celle qui ne m'a pas calculéJe réalise avec plaisir que socialement j'ai basculéIl est lundi 10h et j'ai le droit de prendre mon tempsMon teint, mon ton sont du matin et y'a personne qui m'attendY'a tellement de soleil qu'y a que le ciment qui fleurit pasIl est lundi 11h et moi je traîne dans Ris-PaLoin de moi l'envie de faire l'apologie de l'oisivetéMais elle peut aider à se construire, laisse moi cette naïvetéPuis de toute façon j'ai mieux à faire que me balader dans PanameDès demain je vois des enfants pour leur apprendre à faire du slamJe connaissais pas Paris le matin, voilà une chose de réparéeJe sais pas trop ce qui m'attend mais ce sera loin d'une vie carréeMoi j'ai choisi une voie chelou, on dirait presque une vie de bohèmeMais je suis sûr que ça vaut le coup, moi j'ai choisi une vie de poèmes.

Paroles Saint-Denis

j'voudrais faire un Slampour une grande dame que j'connais depuis tout petitj'voudrais faire un Slampour celle qui voit ma vieille canne du lundi au samedij'voudrais faire un Slampour une vieille femme dans laquelle j'ai grandij'voudrais faire un Slampour cette banlieue nord de paname qu'on appelle saint denis

prends la ligne D du RERet erre dans les rues sévèresd'une ville pleine de caractèreprends la ligne 13 du métroet va bouffer au MacDo, dans les bistrosd'une ville pleine de bonnes gos et de gros clandos

si t'aimes voyager, prends le tramway et va au marchéen 1h tu traverseras Alger et Tanger,tu verras des yougos et des romset puis j'temmènerai à Lisbonneet à 2 pas de New Delhi et de Karachit'as vu, j'ai révisé ma géographiej't'emmènerai bouffer du maffé à Bamako et à Yamoussoukro

ou si tu préfères, on ira juste derrièremanger une crêpe là où ça sent Kimperavec un petit air du Finistèreet en repassant par Tiziouzou, on ira aux Antilleslà où y a des grosses renoies qui font"toi aussi, là ka ou ka fé là, ma fille?"

au marché de Saint Denis, il faudra rester zik-phymais si t'aimes pas être bousculer, il faudra rester zenalors tu prendras des accents plein les tympans et des odeurs plein le zenaprès le marché on ira chez moi, rue de la Républiquele sanctuaire des affaires et des magasins pas chersla rue préférée des petites rebeues bien sapéesaux petits talons et aux cheveux blonds péroxydés

devant les magasins de zouk, je t'apprendrai la danseles après-midis de galère, tu connaîtras l'errancesi on va à la poste, je t'enseignerai la patience

la rue de la République mène à la basiliqueoù sont enterrés tous les rois de France, tu dois le savoir,après géographie, petite leçon d'histoire

derrière ce bâtiment monumental, j't'emmène au bout de la ruelledans un p'tit lieu plus convivial, bienvenue au café culturel!!!

on y va pour discuter, pour boire ou jouer aux damescertains vendredis soirs, y a même des soirées Slamsi tu veux manger pour 3 fois rienje connais bien tous les petits coins un peu poisseuxon y retrouvera tous les vauriens, toute la jet-set des aristos crasseux

le soir, y a pas grand chose à fairey a pas grand chose d'ouvertà part le cinéma du stade où les mecs viennent en bande,bienvenue à caille-ra land!ceux qui sont là rêvent de dire un jour "je pèse!"et connaissent mieux Kool Shen sous le nom de Bruno Lopez

c'est pas une ville toute rose mais c'est une ville vivanteil s'y passe toujours quelque chose, pour moi, elle est kiffantej'connais bien ses rouages, j'connais bien ses viragesy a tout le temps du passage, y a plein d'enfants pas sagesj'veux écrire une belle page, ville aux mille visagesSaint Denis centre, mon village

j'ai 93200 raisons de te faire connaître cette agglomérationt'as 93200 façons de découvrir ses attractionsà cette putain de cité, je suis plus qu'attachémême si j'ai envie de mettre des taquetsaux arracheurs de portable d'la place du Caquet

Saint Denis, ville sans égale,Saint Denis, ma capitale,Saint Denis ville peu banaleoù à Carrefour, tu peux même acheter de la choucroute Hallallà-bas, on est fier d'être Dieunisiens, j'espère qu't'es convaincuet si tu me traites de Parisien, j't'enfonce ma béquille dans l'c... non!

moi, j'voudrais faire un Slampour une grande dame que j'connais depuis tout petitj'voudrais faire un Slampour celle qui voit ma vieille canne du lundi au samedij'voudrais faire un Slam pourune vieille femme dans laquelle j'ai grandij'voudrais faire un Slampour cette banlieue nord de paname qu'on appelle Saint Denis