la recherche n°473 - comment notre cerveau décide

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Comment notre cerveau décide. Sommes-nous vraiment rationnels. > Fourmis : Les gènes qui régissent l'organisation sociale. > L'exploitation des gaz de schiste.

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Page 1: La Recherche n°473 - Comment notre cerveau décide
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A Recherche

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actualités

4 • La Recherche | mars 2013 • nº 473

Ce numéro comporte un encart La Recherche sur les ventes France et export (hors Belgique et Suisse) ; un encart Edigroup (ventes Belgique et Suisse).

3 Éditorial

6 Courrier

nnn

12 astresAstrophysique : >

le ballet des galaxies autour d’Andromède

La naissance de >

planètes géantes saisie sur le vifnnn

14 matièreUne lentille >

qui concentre le champ magnétique

Thermodynamique : >

comment définir une température absolue négative ?nnn

16 TerreClimatologie : >

l’intensité d’El niño est imprévisible à long terme

La plus précise >

des cartes des roches à la surface des continents

nnn

18 mathématiquesL’estimation >

du nombre de points rationnels sur des surfaces

nnn

20 VieLe bacille >

de la lèpre reprogramme les cellules qu’il infecte

Évolution : >

la sélection naturelle testée avec des poissons des Bahamas

nnn

22 archéologienéolithique : >

de très bons charpentiers dès les débuts de l’agriculture

La recette >

d’un collyre grec

nnn

24 CerveauUn diurétique >

réduit les troubles autistiques

nnn

26 PopulationsTous victimes >

de l’illusion de la fin de l’histoire

nnn

28 santéUn médicament >

restaure partiellement l’ouïe de souris

Leucémie : >

rémission après une immunothérapie

nnn

30 TechnologieVers un >

ribosome artificiel ?

32 À surveiller

34 acteurs

Offre d’abonnement : p. 95

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8 L’événement

L’organisation sociale codée par les gènesPour la première fois dans le règne animal, des chercheurs ont montré que l’organisation sociale de fourmis était gouvernée par un ensemble de gènes indissociables.

La Recherche est publiée par sophia publications, filiale d’Artémis.

En couverture : © BIGSTOCK.COM

n° 473 Mars 2013

Page 3: La Recherche n°473 - Comment notre cerveau décide

nº 473 • mars 2013 | La Recherche • 5

savoirs idées

52 archéologie La trompette gauloise ressuscitée par Christophe Maniquet et Joël Gilbert

55 Géologie Un séisme historique revu à la hausse par Christophe Larroque, Oona Scotti, et Mansour Ioualalen

58 Technologie La Chine développe les tissus biologiques artificiels par Mara Hvistendahl

62 Psychologie Pensée sans analogie n’est que ruine de l’âmepar Douglas Hofstadter et Emmanuel Sander

66 Portrait Jane X. Luu « L’astronomie est tout sauf glamour, seule la patience est récompensée » par Marie-Pier Elie

36 Dossier

Comment notre cerveau décide

38 Thomas Boraud : « Nous décidons souvent sans le savoir » Propos recueillis par Cécile Klingler

42 Quand la logique n’est pas au rendez-vousPar Mathias Pessiglione

47 Nos achats sont-ils sous influence ? Par Anne Debroise

69 Cahier spécial : chercheurs d’énergie

La géothermieréalisé avec le soutien de la direction scientifique de Total.

78 L’entretien du mois� avec Jean Claude Ameisen« Éthique : chacun doit avoir les éléments pour un choix libre et informé »propos recueillis par nicolas Chevassus-au-Louis

82 Déchiffrage

Une croissance de 0,8 % en France en 2013par Pablo Jensen

83 Le grand débat

Faut-il envisager d’exploiter les gaz de schiste ? avec Robert W. Howarth et Bruno Goffé

86 L’invité Patrick DevilleJe ne suis pas scientifique mais…propos recueillis par Lise Loumé

92 His�toire de s�cience

Descartes, Galilée et l’Inquisitionpar Éric Sartori

87 Les� livres�

96 L’agenda

98 Curios�ités�

Page 4: La Recherche n°473 - Comment notre cerveau décide

Vie

actualités

20 • La Recherche | mars 2013 • nº 473

MICROBIOLOGIE

Le bacille de la lèpre se propage dans l’organisme de façon inattendue : il reprogramme les premières cellules infectées, qui deviennent alors capables de fusionner avec d’autres tissus.

A l’origine de plus de 200 000 nouveaux cas de lèpre chaque

année à travers le monde, la bactérie Mycobacterium leprae reste mal connue. Il y a peu de temps encore, on ignorait comment elle se disséminait dans les organismes infectés, passant des cellules nerveuses, les premières touchées, aux

En brefLE ChaMpIGnOn tuEuR d’aMphIBIEns à L’aBRILe champignon Batracho­chytrium dendrobatidis décime les amphibiens partout dans le monde. Depuis qu’il a été identi-fié en 1998, on pense qu’il aurait d’autres hôtes que les amphi-biens, lui permettant, même en l’absence de ces derniers, de persister dans les étangs. Une étude menée en Louisiane et au Colorado en apporte aujourd’hui la preuve. Quand les amphibiens meurent, les spores du champi-gnon colonisent les parois intes-tinales d’écrevisses. Les crusta-cés en sont affectés, puisqu’une partie d’entre eux meurent. Mais les survivants deviennent une source de contamination pour les amphibiens.T. A. McMahon et al., PNAS, 110, 210, 2013.

du sExE ChEz LEs MOIsIssuREsL’industrie pharmaceutique n’a jamais réussi à faire pousser le pénicillium, moisissure produi-sant la pénicilline, autrement que par voie asexuée. Celle-ci possède pourtant les gènes per-mettant la reproduction sexuée ! Une équipe internationale vient de trouver comment la forcer à utiliser ces derniers. Pour cela, le champignon doit être cultivé dans l’obscurité, en présence d’une vitamine (la biotine), et sans oxy-gène. La voie sexuée est poten-tiellement intéressante, car en favorisant la recombinaison des gènes, elle pourrait accroître la production de pénicilline.J. Böhm et al., PNAS, 110, 1476, 2013.

sur le webhttp://tinyurl.com/EFsa-neonicotinoides-abeillesLe rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, publié le 16 janvier, répertorie les risques que les insecticides néonicotinoïdes font courir aux abeilles.

Le bacille de la lèpre reprogram me les cellules qu’il infecte

Des cellules de Schwann infectées par le bacille de la lèpre et revenues au stade de cellules souches (en vert) sont ici en train de fusionner avec des cellules musculaires (en rouge). © cell, MAsAki et Al

cellules musculaires. Avec son équipe de l’université d’Édim-bourg, en Écosse, le spécialiste

mondial de la lèpre, Anura Rambukkana, vient de le décou-vrir, chez la souris. La bactérie

QuEstIOns à L’ExpERt

Pierre-Alexandre Gagnaire est spécialiste de génétique

évolutive à l’université Montpellier-II.

Deux biologistes de l’université de Californie ont testé l’influence de l’environnement sur l’évolution des espèces, en étudiant des poissons appelés cyprinodons. Pourquoi ce choix ?

P.-A.G. Christopher Martin et Peter Wainwright étudient les cyprinodons de San Salvador, aux Bahamas, pour une raison bien précise : cette île abrite trois espèces de cyprinodons qui co existent dans des lacs salés apparus il

ÉVOLUTION La sélection naturelle testée avec des poissons des Bahamasy a seulement 10 000 ans. Ces trois espèces ont une forme de mâchoire, et un régime alimentaire différents. L’une mange des algues, l’autre des gastéropodes, et la troisième des écailles de poissons. Dans le contexte qui est celui de ces lacs, il est très probable que ces espèces résultent d’un phénomène de « radiation adaptative » : il y a 10 000 ans, il n’y avait qu’une seule espèce qui s’est ensuite fortement diversifiée ; puis la sélection naturelle a fait son œuvre, et seules les trois espèces les plus adaptées à leur niche écologique ont survécu. Il existe dans le monde plusieurs exemples d’espèces ayant ainsi évolué. Mais rares sont celles où le phénomène de « radiation adaptative » est récent, et où le nombre d’espèces qui

en a résulté est faible. Les cyprinodons étaient donc de bons candidats [1].Quelle hypothèse ont-ils testée ?

P.-A.G. Le fait que la compétition pour la ressource alimentaire aurait joué un rôle essentiel dans la spéciation. Les chercheurs ont d’abord entrepris de reconstituer une population diversifiée. Pour cela, ils ont prélevé dans les lacs des individus de chacune des trois espèces. Puis, par croisement au laboratoire, ils ont obtenu des hybrides fertiles. Ils ont ensuite croisé ces derniers. Après trois années de travail, ils ont obtenu 3 000 hybrides de deuxième génération présentant, entre autres, une gamme de formes de mâchoire. Les chercheurs

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nº 473 • mars 2013 | La Recherche • 21

20 nanomètres

Le bacille de la lèpre reprogram me les cellules qu’il infecte

zoom Un virus très mobileLes bactériophages, virus qui infectent les bactéries, ne pénè-trent pas dans leur cible : ils s’y fixent par des « pattes » et lui injectent leur matériel génétique. Pour la première fois, une équipe de l’université du Texas, à Houston, a étudié cette phase d’infection en recourant à une technique d’image-rie à très haute résolution, la cryo-électrotomographie. Les images obtenues après reconstitution informatique mon-trent que le virus se comporte différemment de ce qu’on pensait : ses « pattes » (en jaune) ne sont pas déployées en permanence. D’abord collées à l’enveloppe virale (en bleu), elles se déploient pour entrer en contact avec la membrane bactérienne (en vert). Le virus se déplace ensuite sur cette dernière, jusqu’au moment où il s’immobilise et injecte son ADn. B. Hu et al., Science, doi:10.1126/science.1231887, 2013.

reprogramme les cellules ner-veuses en « cellules souches » capables de migrer vers d’autres tissus et de fusionner avec eux, leur délivrant alors leur car-gaison de Mycobacterium [1]. C’est la première fois que ce type de manipulation est mis en évidence.

Mycobacterium leprae est transmise essentiellement par des sécrétions nasales contami-nées. Son mécanisme de péné-tration dans l’organisme est mal compris, mais on sait que les premières cellules infectées sont les cellules de Schwann, qui forment la gaine isolante des nerfs du système nerveux périphérique. Par ailleurs, des travaux de recherche n’ayant rien à voir avec la lèpre ont

ÉVOLUTION La sélection naturelle testée avec des poissons des Bahamas

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les ont ensuite relâchés dans les lacs, mais en les mainte-nant dans des enclos. Dans certains enclos, la densité des poissons – et donc la compétition – était faible. Dans d’autres, elle était élevée. Après trois mois, ils ont récupéré les survivants.Ont-ils observé une différence selon que les poissons étaient ou non en compétition ?

P.-A.G. Dans les enclos où la densité de poissons était forte, le résultat a été spectaculaire : les hybrides ayant le taux de survie le plus élevé étaient ceux qui ressemblaient le plus aux trois espèces que l’on trouve dans ces lacs. Alors que dans les enclos où la densité était faible, certains hybrides avaient un taux de survie légèrement supérieur aux

autres, mais sans que ce soit marquant. Ces résultats illustrent deux points majeurs de la radiation adaptative, à savoir que les chances de

survie des individus sont liées à leur capacité à exploiter des ressources environnementa-les distinctes – ici la nourri-ture –, et cela, d’autant plus

montré que, dans certaines circonstances, ces cellules per-dent leurs caractéristiques de cellules de Schwann : elles retournent à un stade de cellu-les souches indifférenciées, et sont dès lors capables de quitter les gaines nerveuses.

Expression des gènes. Sachant cela, Anura Rambukkana et ses collaborateurs ont supposé que Mycobacterium mettait peut-être à profit cette propriété. Pour le vérifier, ils ont prélevé des cellules de Schwann de sou-ris, et les ont infectées avec le bacille de la lèpre. Ils ont alors constaté un changement dans l’expression des gènes de ces cel-lules, certains devenant silen-cieux, d’autres s’activant. Les

cellules de Schwann infectées par Mycobacterium leprae sont devenues des cellules souches aptes à évoluer, in vitro, notam-ment en cellules musculaires.

Dans un second temps, les biologistes ont cherché à voir si cela pouvait expliquer le deuxième stade d’infection observé chez l’homme. Ils ont alors injecté les cellules sou-ches précédemment obtenues à des souris, directement dans les muscles. Et ils ont constaté qu’elles fusionnaient avec les cellules musculaires, leur transmettant la bactérie. Des plus, ils ont découvert que ces cellules souches étaient aussi capables de se différencier en cellules du système immuni-taire, mobiles, et donc capables

de propager le pathogène par-tout dans le corps.

« Il est assez courant qu’une cellule infectée par un patho-gène joue le rôle de cheval de Troie en le transportant ailleurs, indique Jacqueline Marvel, spé-cialiste d’immunité infectieuse à l’université Claude-Bernard, à Lyon. En revanche, le fait que la bactérie reprogramme sa cellule hôte en une cellule souche qui se différencie ensuite en un autre type cellulaire est un mode d’ac-tion inédit. » La biologiste pense qu’à l’avenir on le trouvera chez d’autres pathogènes. « Les pre-miers résultats d’autres équipes suggèrent que ce serait le cas de certains virus, poursuit-elle. Mais leurs résultats sont pour l’instant bien moins complets que ceux de l’équipe d’Anura Rambukkana. » n Marine Cygler

T. Masaki[1] et al., Cell, 152, 51, 2013.

que ces ressources sont limitées. n Propos recueillis

par Caroline Depecker

C.H. Martin et P.C. Wainwright, [1] Science, 339, 208, 2013.

Page 6: La Recherche n°473 - Comment notre cerveau décide

nº 473 • mars 2013 | La Recherche • 23

La reconstitution en 3 dimen-sions de ce puits dévoile des techniques sophistiquées de charpenterie néolithique : cer-taines pièces étaient assem-blées avec des tenons et des mortaises. © Thomas ReuTeR/

aRcheological heRiTage office saxony

zoom Cacao dans l’UtahLa présence de traces de cacao dans ce bol daté de 770 apr. J.-C. suggère que les Anasazis, seule population d’Amérique du nord à avoir laissé une architecture de pierre et de terre crue, étaient peut-être liés aux civilisations d’Amérique centrale comme les Toltèques ou les Mayas. Car cette détection, réalisée par des chimis-tes américains dans plusieurs bols du même site, est une surprise : le cacaoyer ne peut pousser dans les régions arides de l’Utah où les bols ont été découverts. Les Anasazis entretenaient donc des liens avec l’Amérique centrale, où il pousse naturellement. Les dif-férentes civilisations qui y vivaient à l’époque consommaient le cacao sous la forme d’une boisson rituelle. En outre, la décoration inhabituelle de ces bols suggère que leurs propriétaires étaient d’origine étrangère, venant peut-être d’Amérique centrale.D. Washburn et al., JAS, 40, 2007, 2013.

La recette d’un collyre grec

planches utilisées dans les puits permettent une datation précise. Ainsi, la plupart des chênes qui ont servi à fabriquer les planches du puits de l’aéroport de Leipzig ont été abattus lors

Antiquité

Du zinc, de la cire d’abeille, du blé… L’analyse du contenu d’une boîte en étain découverte sur une épave grecque révèle la fabrication d’un remède gréco-romain.

Q u’était en mesure de soigner la médecine gréco-romaine ? Les

historiens et les archéologues disposent de textes abondants sur de nombreux remèdes de l’Antiquité. Mais les découver-tes archéologiques de ces pré-parations pharmaceutiques sont rares. Il y a une vingtaine d’années néanmoins, dans la cargaison d’une épave grecque du IIe siècle av. J.-C., au large de la côte toscane, des archéologues ont trouvé l’équipement d’un médecin ou d’un pharmacien. Des chercheurs viennent d’ana-lyser le contenu d’un des remè-des, préservé dans une boîte hermétiquement fermée [1].

Cette boîte en étain contenait six boules de pâte, de 4 centimè-tres de diamètre empilées. Leur forme était connue. Il s’agit d’une des principales classes de remèdes de l’Antiquité : les collyres, sorte de baumes desti-nés le plus souvent au soin des yeux. Ils sont en général secs, parfois appliqués tels quels, mais d’ordinaire malaxés avec divers liquides − eau de pluie, vin, vinaigre, lait de femme, selon les textes.

Ces remèdes sont connus par les cachets d’oculiste, des sceaux en pierre qui servaient à en étiqueter le contenu. La principale découverte jusqu’ici, publiée il y a une vingtaine d’années, est un ensemble de collyres mis au jour à Lyon dans

le coffret d’un oculiste gallo-romain du IIe siècle apr. J.-C., et dont le contenu avait été analysé. Mais l’étude de l’épave toscane bénéficie des derniè-res techniques, associant des méthodes utilisant rayons X, infra rouges, etc. « C’est l’analyse la plus détaillée à ce jour », indi-que Philippe Walter, du CNRS.

Mélange complexe. Pour le moment, les chercheurs n’ont analysé que la composition d’un des collyres, choisi parce qu’il était cassé. Son ingrédient principal est un composé de zinc, vraisemblablement issu de la métallurgie du cuivre. Les auteurs grecs et latins lui attri-buaient la capacité d’assécher, de resserrer et de réparer les tissus de l’épiderme. Le prépa-rateur grec l’avait mélangé avec de la cire d’abeille, de la résine de pin, des graisses animales et végétales, et sans doute de la farine de blé cuite. Les chercheurs ont aussi retrouvé des pollens de divers végétaux comme la pimprenelle, l’ortie ou l’aulne. Des fibres de lin, ainsi que l’empreinte d’un tissu sur un autre des collyres indi-quent que ces derniers étaient probablement empaquetés.

« Ces résultats montrent que les préparateurs grecs et romains savaient formuler des mélanges complexes, explique Philippe Walter. En outre, la découverte est exceptionnelle. » Car le maté-riel médical de l’épave promet d’autres analyses. En plus des collyres, les archéologues ont mis au jour une sorte de ven-touse médicale en bronze, un mortier en pierre, et plus d’une centaine de fioles en bois de contenu inconnu. n n.C.

g. giachi[1] et al., PNAS, doi:10.1073

/pnas.1216776110, 2013.© c

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de l’hiver 5102-5101 av. J.-C. En outre, nous avons retrouvé dans ces puits plus de deux mille tessons et une ving-taine de poteries intactes. Ils nous permettront de corréler les dates des puits aux différents styles de ces céramiques. Nous dispose-rons ainsi d’une chronologie applicable à d’autres sites sans bois. n Propos recueillis

par nicolas Constans

W. Tegel [1] et al., PloS one, 7*,

e51374, 2012.

Page 7: La Recherche n°473 - Comment notre cerveau décide

Populations

actualités

26 • La Recherche | mars 2013 • nº 473

psychologie

Quel que soit notre âge, nous avons l’illusion que nous changerons moins dans le futur que nous n’avons changé dans le passé.

N o u s p r e n o n s parfois des déci-sions que nous

regrettons des années plus tard. Se faire tatouer, par exemple. Comment expliquer ces erreurs de jugement ? Aurions-nous des difficultés à imaginer la personne que nous serons demain ? Oui, selon des psychologues américains et belges. Leur étude montre que nous sous-estimons les chan-gements à venir dans notre personnalité, nos valeurs et nos goûts. Nous considérons que notre personnalité actuelle cor-respond à celle que nous aurons à vie, un phénomène que les auteurs appellent l’« illusion de la fin de l’histoire ».

Daniel Gilbert, de l’uni-versité Harvard, et ses col-lègues ont mené une série d’expériences avec plus de

Tous victimes de l’illusion de la fin de l’histoire

Des volontaires ont estimé à quel point leurs goûts allaient changer dans les dix ans (courbe violette). D’autres, de dix ans plus âgés, ont noté à quel point leurs goûts avaient changé dans les dix ans précédents (courbe rouge). Le changement a été transformé en score de –1 (aucun) à 1 (changement maximal). La comparaison montre qu’on pense moins changer dans l’avenir que l’on a changé dans le passé, illusion qui s’estompe avec l’âge. source : science

19 000 personnes âgées de 18 à 68 ans, recrutées via le site Internet d’une émission de télévision [1]. Dans chaque expérience, ils ont demandé à la moitié des volontaires d’imaginer comment ils chan-geraient dans les dix ans, et à l’autre moitié de dire à quel point ils avaient changé en dix ans. Puis ils ont comparé les réponses des personnes du même âge sur leurs change-ments futurs, avec les répon-ses données par les personnes ayant dix ans de plus à propos de leurs changements passés.

Traits de personnalité. En suivant cette méthode, les chercheurs ont d’abord demandé à 7 500 volontaires de décrire leur personnalité présente, passée ou future, à partir des cinq traits princi-paux de personnalité définis en psychologie : la stabilité émotionnelle, l’extraversion, le fait d’être agréable, l’ouver-ture vers l’expérience (ima-gination, créativité), le fait d’être consciencieux. Or, quel que soit l’âge des sujets, les changements de personnalité

envisagés pour le futur étaient moins importants que ceux rapportés pour le passé.

Les chercheurs ont ensuite demandé à d’autres volontai-res de se prononcer sur des valeurs comme l’hédonisme, le succès ou la sécurité. Et là aussi, les changements prévus pour l’avenir étaient moindres que ceux du passé.

Afin de vérifier que cette illusion n’était pas due à la difficulté à se remémorer sa personnalité et ses valeurs passées, les psychologues se sont intéressés à un domaine où la mémoire est plus fiable : celui des préférences et des goûts. Ils ont donc demandé aux volontaires quel était leur plat préféré il y a dix ans ou s’ils pensaient que leur groupe de musique préféré serait le même dans dix ans. Là encore, les changements imaginés pour le futur étaient moindres que ceux décrits pour le passé.

« Ces résultats suggèrent que, quel que soit notre âge, nous nous sentons parvenus à un point d’aboutissement, et que cela peut avoir un impact sur notre prise de décision », explique François Ric, du labo-ratoire de psychologie de l’uni-versité de Bordeaux-Segalen. Selon les auteurs, cette illusion serait due à la vision positive que les individus ont d’eux-mêmes, d’où leur difficulté à concevoir une évolution de leur personnalité ; par ailleurs, imaginer le futur serait plus dif-ficile que se souvenir du passé, cela conduirait à considérer les changements comme peu probables. n Jacques Abadie

J. Quoidbach [1] et al., Science, 339,

96, 2013.

En brefpoids moyensPour estimer l’épidémie de surpoids qui frappe une popu-lation, il ne suffit pas de regar-der l’évolution du poids moyen de cette dernière ou le pourcen-tage de personnes obèses : il est nécessaire d’étudier l’évolution des petits poids (au-dessous du 5e percentile) et des poids importants (au- dessus du 95e percentile). C’est ce que concluent des chercheurs amé-ricains et canadiens, à par-tir de l’analyse de l’indice de masse corporel – le rapport du poids sur la taille au carré – de 730 000 femmes de 37 pays à faibles et moyens revenus, entre 1991 et 2008. L’équipe montre ainsi que l’augmenta-tion du poids moyen n’est pas liée à un gain de poids identi-que chez toutes ces femmes : il découle d’une hausse impor-tante de l’obésité et d’une dimi-nution du nombre de femmes présentant un indice de masse corporel normal.F. razak et al., PLoS Medecine, 1, e1001367, 2013.

sur le webwww.beingindigenous.orgCe site créé par une OnG propose une description des différentes cultures indigènes du Chili (langue, art, traditions…), classées par régions.

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PERCEPTION DE NOTRE CHANGEMENT À VENIR ET PASSÉ SELON L'ÂGEChangement

maximal

Changement réel

Changement prévuAucun

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36 • La Recherche | mars 2013 • nº 473

Dossier

savoirs

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nº 473 • mars 2013 | La Recherche • 37

Comment notre cerveau décide

Nous, les humains, disposons de notre libre arbitre ! Si vous en êtes convaincus, alors ce dossier va vous surprendre. Certes, nos actes sont presque tous

régis par des décisions, mais elles sont le plus souvent inconscientes. Dans notre cerveau, à notre insu, deux systèmes pèsent constamment le pour et le contre : l’un prend les décisions, l’autre évalue les options possibles, et le choix final. En outre ce dernier n’est pas aussi rationnel qu’on pourrait l’espérer. Comme le démontrent de nombreuses expériences d’économie comportementale et d’imagerie cérébrales. Heureusement, grâce à ces mêmes expériences, on commence à comprendre pourquoi il en est ainsi.

1 Thomas Boraud : « Nous décidons souvent sans le savoir » Propos recueillis par Cécile Klingler

2 Quand la logique n’est pas au rendez-vous Par Mathias Pessiglione

3 Nos achats sont-ils sous influence ? Par Anne Debroise

Dossier préparé par Cécile Klingler■■

Page 10: La Recherche n°473 - Comment notre cerveau décide

42 • La Recherche | mars 2013 • nº 473

Comment le cerveau décide • 2 >

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par Mathias pessiglione, neurospychologue, chargé de recherche Inserm à l’institut du cerveau et de la moelle épinière, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.

L’essentiel Les spéciaListes d’éconoMie coMporteMentaLe > ont

démontré que nos choix ne respectent pas les présupposés rationnels.

pour expLiquer ces déviations > par rapport aux choix rationnels, un premier type d’explication consiste à invoquer une influence négative des émotions.

cette hypothèse est discutée > , car des choix a priori irrationnels par rapport à un problème particulier peuvent se révéler très adaptés à l’environnement dans lequel nous vivons.

2 • Quand la logique n’est pas au rendez-vousDe nombreuses expériences le prouvent : nos décisions sont loin d’être aussi optimales que nous le pensons. Pourquoi ne sommes-nous pas plus rationnels ?

D ans ses Pensées, publiées en 1670, Blaise Pascal encourage le lec-teur à croire en Dieu par le rai-sonnement suivant. Reconnaissez d’abord que vos facultés ne vous

permettent pas de juger s’il est vraisemblable que Dieu existe. Autrement dit, l’existence et l’inexistence de Dieu ont la même probabilité : une chance sur deux. Si Dieu n’existe pas, vos choix de vie n’auront pas d’incidence sur votre futur bien-être, puisque vous retournerez au néant. Cependant si Dieu existe, alors vous avez tout à gagner en adoptant la foi – vous irez au paradis –, et tout à perdre en restant mécréant – vous irez en enfer.

Probalité et valeur. Pascal formulait ainsi le principe de maximisation, qui est toujours au centre des théories contemporaines de la décision. Ce principe affirme que, pour faire un choix, nous devons envisager les conséquences des différentes options, et assigner à chaque conséquence deux variables : une probabilité (combien cette conséquence est vraisemblable)

et une valeur (combien cette conséquence est plaisante). Le choix consiste alors à choisir l’op-tion pour laquelle le produit des valeurs et des probabilités est maximal. Dans le pari de Pascal, cela conduit naturellement à croire en Dieu.

Si ce principe a le mérite de définir ce qu’est un choix rationnel, il n’est pas certain qu’il décrive bien la façon dont nous, les humains, prenons des décisions. Et de fait, trois siècles après les Pensées, différents types d’expériences mettent régulièrement en évidence des situations où nos choix paraissent irrationnels.

Ce sont les spécialistes d’économie comporte-mentale qui, dès les années 1950, ont les premiers questionné expérimentalement la rationalité de nos choix – en l’occurrence, nos choix écono-miques. La démarche classiquement employée consistait (et consiste encore) à étudier la façon dont des volontaires choisissent entre plusieurs loteries, correspondant chacune à une certaine probabilité de gagner (ou de perdre) un montant monétaire. On leur demande par exemple de choisir entre gagner à coup sûr 40 € et une chance sur deux de gagner 100 €. L’espérance de gain (le produit de la valeur et de la probabilité) étant plus élevée dans le second cas, on imagine que la plupart des individus choisiront cette option. Or, ce n’est pas le cas : la majorité choisit la pre-mière option. Pourquoi ? Parce qu’elle comporte moins de risques. On voit ainsi que les humains ne sont pas de bons maximisateurs, en raison de leur aversion pour le risque.

Respect des règles. Pour éviter ce genre d’écueil, les théoriciens de la décision ont alors opté pour ne plus spécifier a priori ce que doivent être les préférences des individus. Après tout, on a le droit de ne pas aimer le risque, et certains pré-fèrent peut-être l’enfer au paradis. Dès lors, on a considéré que, pour être qualifié de rationnel, un

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2 • Quand la logique n’est pas au rendez-vous

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choix devait satisfaire un certain nombre d’axio-mes assurant sa cohérence. Par exemple, respec-ter la règle de transitivité : si je préfère les pommes aux bananes, et les bananes aux oranges, alors je dois préférer les pommes aux oranges.

Mais les tenants de l’économie comportemen-tale, avec à leur tête le psychologue et écono-miste américano-israélien Daniel Kahneman (Prix Nobel en 2002), ont, là encore, prouvé que ces axiomes de rationalité ne sont pas respectés dans les choix observés en laboratoire ! Dans le bêtisier des choix irrationnels qu’ils ont dressé au fil des ans, une catégorie bien connue est l’effet de cadrage : nous ne faisons pas les mêmes choix lorsqu’on nous présente un problème identique sous deux formulations différentes [1].

Reprenons l’exemple des loteries et mettons 100 € sur la table. Lorsque les volontaires ont le choix entre garder à coup sûr 40 € ou avoir une chance sur deux de garder les 100 €, ils choisis-sent l’option « certaine » (garder 40 €). Lorsqu’ils ont le choix entre perdre 60 € à coup sûr ou avoir une chance sur deux de perdre les 100 €, ils choi-sissent l’option « risquée » (une chance sur deux de perdre 100 €). Or, le choix offert est dans les

deux cas identique, quand bien même il est for-mulé différemment. Le fait de choisir une option différente contredit donc directement les axio-mes de la théorie classique de la décision.

Une autre catégorie tout aussi spectaculaire est l’effet d’ancrage. Dans une expérience réali-sée en 2003 par Daniel Ariely, au MIT à Boston, les volontaires devaient d’abord écrire sur une feuille de papier les deux derniers chiffres de leur numéro de sécurité sociale. On leur propo-sait ensuite plusieurs prix pour une bouteille de côte-du-rhône 1998, et ils devaient dire combien ils étaient prêts à payer. Il est apparu que le prix consenti par les sujets était d’autant plus grand que les chiffres (parfaitement arbitraires) de leur numéro de sécurité sociale étaient élevés [2].

Déviation irrationnelle. Il s’agit là d’une radi-calisation d’un effet bien connu des négocia-teurs : le premier prix annoncé sert d’ancrage pour la suite du marchandage et fait dévier le prix final, même chez des professionnels bien infor-més des prix en vigueur. Cet effet d’ancrage met en lumière la part d’irrationnel qu’il peut y avoir dans l’établissement des prix, due au fait que >>>

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Archéologie

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savoirs

E ntendre des sons d’instruments joués par les Gaulois était un rêve d’archéologue. La décou-verte sans précédent par notre équipe, en septembre 2004, de

carnyx, grandes trompettes gauloises à tête d’animal, datées du IIIe au Ier siècle av. J.-C., nous a permis de le concrétiser. Les carnyx étaient brisés, mais l’état quasi complet de l’un d’eux offrait la possibilité de l’étudier.

Après de longues années d’examen, d’in-

ventaire et de restauration, nous avons fait réaliser une réplique de l’un de ces instru-ments. Nous l’avons alors confiée à des acous-ticiens de l’université du Maine − Emmanuel Brasseur, Jean-Pierre Dalmont et l’un de nous, Joël Gilbert −, pour qu’ils en analysent la sono-rité. Résultat : le carnyx n’était pas très harmo-nieux… ou il lui manquait 10 centimètres [1].

Comme la plupart des peuples de l’Anti-quité, les Gaulois jouaient de plusieurs ins-truments de musique. Leur lyre, par exemple,

Des archéologues et des physiciens se sont associés pour reconstituer le son d’une trompette gauloise, le carnyx. Son acoustique est proche de celle d’un cor.

La trompette gauloise ressuscitée

par Christophe Maniquet, archéologue à l’Inrap,

et Joël Gilbert, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire d’acoustique de l’université du Maine, dans la Sarthe.

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La trompette gauloise ressuscitée

L’essentielDes archéologues > ont

retrouvé en 2004 pour la première fois des trompettes gauloises nommées carnyx assez complètes.

Ils ont faIt réalIser >une réplIque grandeur nature en laiton, et des musiciens en ont joué.

ces essaIs > ainsi que des modélisations numériques ont permis de préciser l’estimation de la longueur du tuyau, retrouvé incomplet.

était très réputée dans le monde anti-que, d’après les sources historiques. Mais nous ne savons que très peu de chose sur la forme exacte de ces instruments et sur la façon dont on en jouait.

Son effrayant. C’est le cas du carnyx. Plusieurs auteurs grecs le mentionnent, tels Polybe, au IIe siècle av. J.-C., et Diodore de Sicile, au Ier siècle av. J.-C. Ils indiquent que des carnyx étaient utilisés par les Gaulois lors des batailles, principalement au moment de l’assaut. La plupart insis-tent sur la puissance de leur son, rauque et effrayant. Mais ils ne décrivent ni leur aspect ni la façon dont on en jouait.

Nous ne connaissions en fait leur apparence que par des représentations sur des monuments et des pièces de monnaie. Ils ne sont montrés en action que sur le chaudron de Gundestrup, daté du Ier siècle av. J.-C. et découvert dans une tourbière au Danemark. On y voit trois personnages, marchant à la suite d’une sorte de procession militaire, qui portent des carnyx verticalement en soufflant dans leur embouchure.

L’archéologie peinait à éclairer ces questions. On n’avait retrouvé de ces instruments que quelques fragments métalliques, souvent contro versés. Le plus remarquable était un pavillon de carnyx mis au jour dans le Doubs, au XIXe siècle.

C’est dans la commune de Naves, en Corrèze, en fouillant l’un des plus importants sanctuaires des Lémovices, peuple gaulois qui vivait dans l’actuel Limousin, que nous avons découvert les carnyx. Ce sanctuaire abritait des réunions publiques et des cérémonies religieuses, où se succédaient sacrifi-ces d’animaux, libations et banquets. Près d’un petit bâtiment en bois qui était sans doute un temple, des hom-mes avaient creusé un trou peu pro-fond. C’est là qu’ils avaient enfoui les carnyx, ainsi qu’un grand nombre d’ob-jets, notamment des armes.

Il y avait en tout sept carnyx. Le pavillon de six d’entre eux figurait la gueule ouverte d’un sanglier, celle d’un serpent pour le septième. À l’origine, ils étaient vraisemblablement affublés de grandes oreilles plates en tôle de bronze, elles aussi retrouvées dans le trou.

Avant de les enfouir, les Gaulois les avaient brisés et partiellement démon-tés, comme la majorité des autres objets. Cette pratique, rituelle, est fréquente dans les sites archéologiques de l’âge du fer. Comme ils étaient corrodés et fragi-les, nous les avons d’abord confiés à un atelier de restauration toulousain. Aucun carnyx n’était entier. Mais l’examen de la forme des fragments nous a permis d’en reconstituer partiellement un, le plus complet. Nous avons estimé sa hauteur à 1,80 mètre, les autres étant vraisembla-blement de taille similaire.

Nous avons ensuite demandé à Jean Boisserie, artisan corrézien, de fabri-quer une réplique du carnyx le plus

Sept carnyx ont été découverts lors de la fouille d’un sanctuaire gaulois situé à Naves, en Corrèze. Brisés, partiellement démontés, ils reposaient au fond d’une fosse avec de nombreux autres objets, dont des armes. © FABIEN LOUBIGNAC

Une fois restauré, un des carnyx, le plus complet, a été reconstitué (à gauche). Un artisan en a ensuite réalisé une réplique en laiton. L’équipe a alors effectué les premiers essais (à droite). Comme les Gaulois, ils le tenaient verticalement pour produire les sons. © rEstAUrAtION : LABOrAtOIrE

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L’entretien du mois

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Jean Claude Ameisen est médecin, professeur d’immunologie à l’université Paris-VII-Denis-Diderot et chercheur spécialiste de la mort cellulaire. Il siège au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé depuis 2005, et le préside depuis novembre 2012. Il est notamment l’auteur de La Sculpture du vivant (Le Seuil, 1999) et Sur les épaules de Darwin (France Inter/ Les liens qui libèrent, 2012)

La RecheRche : Le comité consultatif natio-nal d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (ccNe) a pour mission de « donner son avis sur les problèmes moraux soulevés par la recherche » dans ces domaines. Quelle distinc-tion faites-vous entre éthique et morale ?JeaN cLaude ameiseN : Pour moi, il y a entre éthique et morale la même distinction qu’entre la recherche et les connaissances. La recherche est une démarche de remise en question des connaissances acquises, dans l’espoir d’en décou-vrir de meilleures. De même, l’éthique remet en question la morale, les règles de conduite, les lois, dans l’espoir de trouver de meilleures modalités de respect de la personne. Le législateur a pris en compte cette distinction : la loi de 2004 relative à la bioéthique ne mentionne plus les problèmes moraux, mais donne au CCNE pour mission de « donner un avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans le domaine de la biolo-gie, de la médecine et de la santé ». « Biologie, médecine, et santé ». N’est-ce pas aujourd’hui un périmètre trop restreint, eu égard à la montée des interrogations éthiques susci-tées, par exemple, par les nanotechnologies ?

J.c.a. Je ne crois pas. L’OMS a défini la santé comme un « état de bien-être physique, psychique et social ». C’est un champ extrêmement large, et le CCNE l’a pris en compte, publiant ces dernières années des avis sur les nanosciences et les nano-technologies ; sur « la santé et la médecine en pri-son » ; sur la « biométrie, les données identifiantes,

et les droits de l’homme » ; sur « la situation en France des personnes, enfants et adultes, atteintes d’autisme ». Et nous avons entamé une réflexion sur les questions éthiques concernant les liens entre santé, environnement et biodiversité.Ne s’agit-il pas là de questions plus politiques qu’éthiques ?

J.c.a. Ces questions, comme les questions concer-nant les déterminants socio-économiques de la santé et de l’espérance de vie, les problèmes de santé des deux millions d’enfants qui, dans notre pays, vivent sous le seuil de pauvreté, les problè-mes d’accès aux soins des personnes qui vivent dans la précarité, et dans le monde, les milliers d’enfants et d’adultes qui meurent chaque année de maladies que nous aurions les moyens de pré-venir ou de traiter, sont à la fois des problèmes de recherche, des problèmes éthiques et des problè-mes de société. On peut considérer qu’il s’agit de questions politiques, mais au sens le plus général, le plus noble du terme. Il y a une autre dimension de cet ordre dans les missions du CCNE : l’animation du débat public sur les questions d’éthique afin de permettre à chacun de s’approprier la réflexion et d’élaborer un véritable « choix libre et informé ». Ce processus de « choix libre et informé » est au cœur de la démarche éthique biomédicale. Il est aussi essentiel à la vie démocratique.Le rôle du ccNe est-il de recommander certai-nes évolutions législatives ?

J.c.a. Souvent, mais pas toujours, nos avis sont accompagnés de recommandations. Lesquelles ne sont pas nécessairement reprises par le >>> ©

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Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, créé en 1983 à la suite d’Assises de la recherche, célèbre son trentième anniversaire. Jean claude ameisen, son président, nous en explique les missions.

« Éthique : chacun doit avoir les éléments pour un choix libre et informé »

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