la revue du praticien-hématologie

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HématologieA 31

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Dans les aires cervicales, il faut écarter une hypertrophied’une glande sous-maxillaire (par une palpation bidigi-tale) ou parotidienne (parfois siège d’une adénopathieintraparotidienne) ; une tumeur thyroïdienne (mobile àla déglutition) ; une masse d’origine vasculaire (battantesi elle est artérielle comme un anévrisme carotidien) ouun kyste vestigial du tractus thyréoglosse.Les aires axillaires peuvent être le siège d’une hidrosa-dénite (inflammation d’une glande sudoripare).Dans les aires inguinocrurales, il faut éliminer une her-nie (impulsive à la toux), une phlébite de la crosse de lasaphène (cordon induré), un anévrisme artériel (massebattante, expansive).

2. Ganglions palpables mais non pathologiques Chez l’enfant et le sujet maigre, il n’est pas rare de pal-per de petits ganglions (inférieurs à 0,5 cm) particulière-ment dans les aires cervicales et inguinales. En cas dedoute sur un aspect pathologique, une surveillance estde toute façon indispensable.

Éléments du diagnostic étiologique

1. Interrogatoire

Il permet de préciser la date et les circonstances dedécouverte, les modalités évolutives, le caractère dou-loureux ou non de l’adénopathie.On recherche des signes généraux : fièvre, sueurs noc-turnes, asthénie, anorexie, amaigrissement, prurit géné-ralisé.Les antécédents personnels seront également précisés :terrain alcoolo-tabagique, contacts sexuels non proté-gés, contage tuberculeux, contact avec des animaux(griffure de chat, morsure), prises médicamenteuses,voyages, ainsi que les antécédents familiaux (notam-ment de cancer).

2. Examen clinique • Il faut examiner méthodiquement l’ensemble desaires ganglionnaires afin de distinguer :– les adénopathies isolées : une seule adénopathie ou ungroupe d’adénopathies siégeant dans une seule aire gan-glionnaire ;– les polyadénopathies, siégeant dans plusieurs airesganglionnaires, qui peuvent être symétriques ou asymé-triques.

Démarche diagnostique

Définition et diagnostic positif d’uneadénopathie superficielle

C’est l’augmentation du volume d’un ganglion lympha-tique qui devient palpable. Ce ganglion peut siéger dansl’une des aires suivantes :– cervicale (sous-maxillaire, sous-mentonnière, prétra-gienne, occipitale, jugulo-carotidienne, sus-claviculaire,rétrospinale) ;– axillaire ;– inguinale et rétrocrurale ;– épitrochléenne, poplitée, intercostale.

Diagnostic différentiel

1. Nature ganglionnaire ou non de la tuméfactionQuelle que soit l’aire ganglionnaire, il faut éliminer unlipome, une tumeur maligne non ganglionnaire, unetumeur bénigne (fibrome, neurinome).

Adénopathie superficielleOrientation diagnostique

DR Olivier TOURNILHAC, PR Philippe TRAVADE

Unité d’hématologie clinique, Fédération maladies infectieuses-médecine interne-hématologie clinique adultes, Hôtel-Dieu, CHRU, 63000 Clermont-Ferrand.

• La découverte d’une ou plusieurs adénopathiessuperficielles n’est parfois qu’un élément d’undiagnostic évident ou déjà connu. En revanche,cette découverte est souvent le point de départde la démarche diagnostique.

• Il est important de préciser les caractéristiquescliniques de ces adénopathies : la distinctionentre adénopathie isolée et polyadénopathie est à la base du raisonnement diagnostique.

• Une adénopathie isolée doit faire rechercherune lésion (cancer, infection) dans le territoirede drainage avant d’envisager toute autre cause.

• Les polyadénopathies sont de causes multiples, dominées par les infections virales,mais elles révèlent parfois une hémopathie (leucémie, lymphome).

• La ponction ganglionnaire est un examensimple, fréquemment réalisé, qui apporte souvent une orientation diagnostique,mais ne peut remplacer la biopsie ganglionnaire qui reste indispensable pour affirmer le diagnostic de lymphome ou de maladie de Hodgkin.

Points Forts à comprendre

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• Il faut préciser les caractéristiques physiques de cesadénopathies :– localisation et taille (mesurée au mieux avec un pied àcoulisse) ;– consistance : molle, élastique, rénitente, dure, parfoispierreuse ;– existence d’une douleur à la palpation ;– aspect inflammatoire, rouge, chaud, fluctuant voire « présuppuratif » ;– mobilité ou adhérence aux plans profonds.• Il faut bien entendu effectuer un examen cliniquecomplet et rechercher tout particulièrement :– une splénomégalie et une hypertrophie amygdalienne ;– une lésion dans le territoire de drainage d’une adéno-pathie isolée ;– des signes indirects témoignant de la présence d’adéno-pathies profondes. Il s’agit essentiellement d’un syndromecave supérieur (œdème palpébral, facial et sus-claviculaire,turgescence jugulaire, circulation collatérale thoracique)ou d’œdèmes compressifs des membres inférieurs voirede complications thrombotiques.• Il est impératif de reporter ces constations sur unschéma daté.

3. Examens complémentaires • Certains sont simples et systématiques. Il s’agit de :l’hémogramme qui peut apporter des renseignementscapitaux : cytopénie, polynucléose, syndrome mononu-cléosique, présence de cellules lymphoïdes atypiques oude blastes, éosinophilie… ; la recherche d’un syndromeinflammatoire (vitesse de sédimentation, protéine C-réactive).• D’autres ne sont pratiqués qu’en fonction du contexte :la radiographie thoracique qui peut dépister des adéno-pathies médiastinales ou des nodules pulmonaires (latomodensitométrie est l’examen de référence pour lamise en évidence d’adénopathies profondes) ; l’électro-phorèse des protides sériques qui recherche un picmonoclonal ; les LDH (lactic dehydrogenase)(mar-queur de masse tumorale des lymphomes) ; les sérolo-gies virales (notamment la sérologie du virus d’immuno-déficience humaine) ; la ponction ganglionnaire (voir :Pour approfondir 1) ; la biopsie ganglionnaire (voir :Pour approfondir 2).

Diagnostic étiologique En fonction des renseignements obtenus lors de cettepremière étape, les orientations diagnostiques sont diffé-rentes s’il s’agit d’une adénopathie isolée ou d’unepolyadénopathie, et si le contexte de survenue est aiguou chronique.

Adénopathie isolée

Affirmer qu’une adénopathie est isolée implique commenous l’avons vu que toutes les aires ganglionnaires aientété examinées et qu’une splénomégalie ait été recher-chée. La démarche diagnostique s’appuiera essentielle-

ment sur la rapidité d’évolution, les caractéristiquesphysiques, l’examen très soigneux du territoire de drai-nage de l’adénopathie, et souvent l’abord du ganglionpar ponction voire biopsie.

1. Évolution aiguë Il s’agit généralement d’une infection dans le territoirede drainage de l’adénopathie. Le diagnostic est aisédevant une adénopathie manifestement inflammatoire :douleur à la pression, chaleur, rougeur, périadénite oumême ramollissement et fistulisation, s’accompagnantparfois de signes généraux (fièvre).• L’adénite infectieuse « à pyogène »est la plus fré-quente. Le foyer infectieux dans le territoire de drainagen’est pas toujours retrouvé. L’adénite peut s’associer àune lymphangite.Quelle que soit l’aire, il peut s’agir d’une infection cutanée.Selon la localisation, on recherche :– cervicale haute : foyer infectieux dentaire, facial, ocu-laire, oropharyngé dont angine, otite ;– prétragienne : infection oculaire ;– axillaire : lésions du membre supérieur et particulière-ment des doigts (panaris) ;– inguino-crurale : lésions du membre inférieur (érysi-pèle, panaris).La ponction ganglionnaire est souvent évocatrice par laprésence de pus qui doit être aspiré pour une étude cyto-logique et bactériologique. Il faut signaler que la ponc-tion d’un kyste du tractus thyréoglosse ramène un liquidepuriforme ; la cytologie rétablit le diagnostic.• D’autres causes sont à rechercher en fonction ducontexte :– les maladies aiguës d’inoculation font suite à des mor-sures, blessures, griffures animales dans le territoire dedrainage : il s’agit essentiellement de pasteurellose(plaie très douloureuse, récente – quelques heures –avec écoulement séreux, lymphangite, évolution rapi-de), et tularémie (morsure de rongeur – dont lièvre –incubation 4-8 jours) ;– les maladies vénériennes sont évoquées devant lanotion de rapports sexuels non protégés, d’ulcérationgénitale, anale ou pharyngienne. En effet, certaines deces affections peuvent s’accompagner d’adénopathied’évolution aiguë : l’herpès et le chancre mou(Hæmophilus ducreyi). Dans cette situation, la sérologiedu virus d’immunodéficience humaine et la recherchede gonocoques sont systématiques.– une adénopathie lymphomateuse peut parfois simulerune adénite aiguë. La ponction ganglionnaire orientealors le diagnostic.

2. Évolution chronique ou subaiguëUne métastase ganglionnaire ou une hémopathiemaligne sont les hypothèses à envisager en premier lieu,même si une cause infectieuse n’est pas à exclure.• Il faut rechercher une tumeur du voisinage :il s’agitd’adénopathies volumineuses fixées et de consistancepierreuse, mais ces caractéristiques ne sont pasconstantes.

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guin dans les lymphomes malins non hodgkiniens avecenvahissement médullaire et passage sanguin.La ponction ganglionnaire peut apporter des argumentscytologiques de grande valeur : présence de cellules deSternberg évoquant la maladie de Hodgkin, frottishomogène de cellules lymphoïdes évoquant un lympho-me malin non hodgkinien. Cependant, l’analyse cytolo-gique du frottis ganglionnaire n’a qu’une valeur indica-tive, et une biopsie ganglionnaire est indispensable pourconfirmer l’un de ces diagnostics.L’évolution de certains lymphomes malins non hodgki-niens de haute malignité peut être très rapide avectroubles métaboliques, atteinte neuroméningée, com-pression, et réaliser une urgence diagnostique et théra-peutique.• Certaines causes infectieuses peuvent également êtreévoquées devant des adénopathies isolées.Les adénopathies sont d’évolution chronique ou subai-guë, parfois associées à des signes généraux discrets(fièvre modérée).Adénite à mycobactérie :Mycobacterium tuberculosis(bacille de Koch) est le plus souvent en cause. On y pen-sera plus volontiers chez un patient originaire du tiers-monde ou issu d’un milieu défavorisé. Il s’agit d’une ouplusieurs adénopathies habituellement cervicales, deconsistance ferme puis d’évolution torpide vers leramollissement et la fistulisation. La biopsie ganglion-naire est nécessaire sauf si la ponction ganglionnairemontre un liquide puriforme contenant des bacillesacido-alcoolorésistants (BAAR) à l’examen direct aprèscoloration de Ziehl. Une culture sur milieu deLöwenstein est indispensable pour l’identification etl’antibiogramme. La recherche d’autres localisations estla règle, et une antibiothérapie sera prescrite pour 6 à 9 mois. Les autres mycobactérioses sont plus rares.Mycobacterium bovis se rencontre plutôt dans des loca-lisations axillaires. Les mycobactéries atypiques sevoient surtout chez l’immunodéprimé. La « bécégite »est une suppuration au niveau du site d’injection du vaccinassociée à une adénopathie axillaire satellite. La maladie des griffes du chat (lymphoréticulosebénigne d’inoculation) est évoquée devant la notion degriffure, parfois ancienne (incubation 7 à 60 jours) par unchat. L’adénopathie, faiblement inflammatoire, évoluelentement vers la suppuration (régression spontanée pos-sible). La ponction ganglionnaire avec coloration deWarthin-Starry peut mettre en évidence des coccoba-cilles. La sérologie de Bartonella henselaeet Afipia feliset surtout la recherche du génome bactérien (sur prélève-ment ganglionnaire) apportent le diagnostic de certitude.La primo-infection toxoplasmique se présente rarementsous la forme d’une adénopathie isolée. L’adénopathieest discrètement sensible et inflammatoire, habituelle-ment cervicale (notamment sous-mentonnière).Sont plus rarement évoquées, à la suite d’un contactvénérien, la syphilis et la maladie de Nicolas-Favre et àla suite de soins dentaires, l’actinomycose cervicale.

La tumeur est parfois évidente à l’examen clinique (ou àla radiographie thoracique) dans le territoire drainé parl’adénopathie :– mélanome, cancer épidermoïde cutané quelle que soitl’aire ganglionnaire ;– tumeur des voies aérodigestives supérieures (plancherde la bouche, langue, lèvres), nodule thyroïdien, pourune adénopathie cervicale ;– dysphagie, masse à la radiographie thoracique évo-quant un cancer de l’œsophage pour une adénopathiesus-claviculaire (surtout à droite) ;– tumeur du sein pour une adénopathie sus-claviculaireou axillaire ;– masse abdominale, nodules hépatiques suspects,tumeur testiculaire, pour une adénopathie sus-clavicu-laire gauche (ganglion de Troisier) ;– tumeur de la verge, de la vulve ou du canal anal pourune adénopathie inguinale ou crurale.Si la tumeur n’est pas évidente, la ponction ganglionnaireoriente le diagnostic en retrouvant des cellules métasta-tiques ; il est alors nécessaire d’effectuer rapidement unbilan à la recherche d’une néoplasie primitive qui serabiopsiée :– panendoscopie des voies aérodigestives supérieuresen cas d’adénopathie cervicale ;– mammographie en cas d’adénopathie axillaire ou sus-claviculaire ;– scanner thoracique et abdominal, fibroscopie œsogas-troduodénale, coloscopie en cas d’adénopathie sus-cla-viculaire.Si ce bilan est négatif ou si la tumeur est difficilementaccessible, une biopsie ganglionnaire sera décidée.Pour certains, la ponction d’un ganglion métastatiquefavoriserait la dissémination locale de la maladie. Ainsi,si le contexte clinique est très en faveur d’une métastase,un bilan à la recherche d’une lésion primitive sansrecours préalable à la ponction peut être entrepris.• Certains éléments peuvent orienter vers une hémopa-thie maligne, essentiellement maladie de Hodgkin oulymphome malin non Hodgkinien.Les adénopathies sont le plus souvent fermes et nondouloureuses, mais leurs caractéristiques cliniques sonten fait très variables. Ces hémopathies peuvent égale-ment être décelées devant une polyadénopathie. Les élé-ments orientant vers une maladie de Hodgkin ou unlymphome malin non hodgkinien, très inconstants, sont :– des signes généraux : fièvre, sueurs, amaigrissement ;– un prurit surtout dans la maladie de Hodgkin et dansles lymphomes malins non hodgkiniens de phénotype T ;– des douleurs ganglionnaires à l’ingestion d’alcool,très rares mais très évocatrices d’une maladie deHodgkin ;– une élévation des LDH, marqueur d’agressivité et demasse tumorale pour le lymphome malin non hodgki-nien (plus que dans la maladie de Hodgkin) ;– une éosinophilie dans la maladie de Hodgkin et danscertains lymphomes non hodgkiniens de phénotype T ;– des cellules lymphoïdes atypiques sur le frottis san-

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Polyadénopathie

Il faut toujours rechercher une splénomégalie associée.Les principaux éléments d’orientation devant une poly-adénopathie sont : les signes évoquant une infectionvirale, l’évolution (aiguë ou chronique), la répartitionsymétrique ou non des adénopathies, l’hémogramme,et la sérologie du virus d’immunodéficience humaine.Ces éléments vont conduire parfois facilement au diagnostic, dans les autres cas, seules la ponction et la biopsie ganglionnaire permettront de porter un diagnostic.

1. Causes infectieuses

• Évolution aiguë :les adénopathies sont souvent symé-triques et de petite taille. Elle peuvent s’accompagner designes d’infection virale aiguë (signes généraux, rash,pharyngite, angine, conjonctivite, syndrome grippal…) ;il faut rechercher une notion de contage. L’existence d’un syndrome mononucléosique à l’exa-men attentif du frottis sanguin oriente fortement le dia-gnostic. C’est la présence de grands lymphocytes hyper-basophiles d’aspect atypique, associés à des petitslymphocytes d’aspect normal et à des cellules d’aspectplasmocytaire. Il existe parfois une hyperlymphocytose.Ce syndrome est isolé ou associé à une thrombopénie(d’origine périphérique) et à une discrète neutropénie.Deux causes sont prédominantes, l’une par sa fréquence(la mononucléose infectieuse), l’autre par sa gravité (la primo-infection par le virus d’immunodéficiencehumaine).La mononucléose infectieuse est une infection d’instal-lation rapide qui associe habituellement une angine, uneasthénie très marquée, et parfois une fièvre. Un exanthè-me morbilliforme spontané ou déclenché par la prise depénicilline A est très évocateur. La polyadénopathie,habituellement de prédominance cervicale postérieure,peut prendre un aspect tumoral. Une cytolyse hépatiqueest fréquente. Le diagnostic repose soit sur la mise enévidence d’anticorps hétérophiles par test de la mononu-cléose infectieuse, très sensible (95 %), mais à contrôlerpar la réaction de Paul-Bunnell-Davidsohn, soit sur laprésence d’IgM anti-VCA (viral capside antigen)à lasérologie Epstein-Barr.La primo-infection par virus d’immunodéficiencehumaine peut être symptomatique. Le tableau est prochede la mononucléose infectieuse : fièvre, syndrome grip-pal, asthénie, pharyngite, rash déclenché parfois par lapénicilline A, cytolyse hépatique modérée. Ces manifes-tations sont transitoires, disparaissant en quelquessemaines. Il faut rechercher les facteurs de risque. Lediagnostic repose sur la sérologie du virus qui à ce stadepeut être encore négative, imposant alors la recherche del’antigène p24. En cas de forte suspicion, si l’antigènep24 et la sérologie du virus sont négatifs, l’étude de lacharge virale peut être demandée.

D’autres étiologies existent : toxoplasmose ; rubéole(souvent adénopathies cervicales postérieures de trèspetite taille) ; adénovirose ; primo-infection à cyto-mégalovirus.Le syndrome mononucléosique n’est pas toujours pré-sent et les adénopathies peuvent résumer la présentationclinique ; seules les sérologies permettront de porter lediagnostic.• Évolution chronique :il faut penser en premier lieu àla lymphadénopathie chronique généralisée associée auvirus d’immunodéficience humaine. Cette polyadénopa-thie est symétrique et parfois associée à des infectionsopportunistes. Le diagnostic repose sur la sérologie duvirus. Dans ce contexte, l’apparition d’adénopathiesasymétriques, de grande taille (> 2 cm), d’évolution plusaiguë, doit faire évoquer un lymphome associé au virusd’immunodéficience. La ponction peut montrer des cel-lules suspectes et la biopsie ganglionnaire s’impose.D’autres causes infectieuses sont plus rares, brucellose,syphilis secondaire, leishmaniose viscérale, tuberculoseganglionnaire [forme généralisée et (ou) hématopoïé-tique].

2. Causes malignes

• Une leucémie aiguëest évoquée, surtout s’il existeégalement une asthénie, un syndrome infectieux et unpurpura. La présence de blastes dans le sang, quelqu’en soit le taux, associée ou non à des signes d’insuf-fisance médullaire (anémie arégénérative, neutropénie,thrombopénie) est fortement évocatrice du diagnostic.Une pancytopénie sans blastose doit également faireévoquer le diagnostic de leucémie aiguë. Cette hypo-thèse doit être confirmée en urgence par un myélo-gramme, et impose une hospitalisation rapide. Il s’agitplus souvent d’une leucémie aiguë lymphoïde que myéloïde. • Le diagnostic de leucémie lymphoïde chronique(LLC) sera évoqué devant une hyperlymphocytose san-guine (lymphocytes > 4 G/L). L’examen du frottis san-guin montre des petits lymphocytes d’aspect banal, etdes cellules altérées (ombres de Gümprecht).L’hyperlymphocytose s’accompagne d’anémie et (ou)de thrombopénie dans les formes évoluées. La polyadé-nopathie est symétrique, évoluant dans un contexte « indolent ». L’étude immunologique (marqueurs) descellules lymphoïdes du sang périphérique est la clef dudiagnostic (cellules B, CD5+, CD23+ et faible densitéd’expression des Ig de membrane). • D’autres hémopathies lymphoïdes chroniques,proches de la leucémie lymphoïde chronique, maismoins fréquentes peuvent être évoquées sur la présencede cellules lymphoïdes atypiques sanguines. Il existesouvent une hyperlymphocytose accompagnée parfoisd’anémie, de thrombopénie, ou de neutropénie. Il peuts’agir d’un lymphome malin non hodgkinien de faiblemalignité (lymphome folliculaire, lymphome à cellulesdu manteau) avec dissémination sanguine, d’une leucé-mie prolymphocytaire, d’une maladie de Waldenström

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(association à une IgM monoclonale sérique > 5 g/L).L’étude cytologique et immunologique des celluleslymphoïdes du sang périphérique est là encore la basedu diagnostic. Ensuite, selon les cas, une biopsie gan-glionnaire, un myélogramme, une biopsie médullaire,un caryotype des cellules tumorales pourront êtredemandés.• Il existe parfois des signes très suspects de lymphomemalin non hodgkinien ou de maladie de Hodgkinparticulièrement devant une polyadénopathie asymé-trique avec éléments de grande taille (> 2 cm), d’évolu-tion chronique ou subaiguë voire plus rarement aiguë(dans les lymphomes malins non hodgkiniens de trèsforte malignité). Le résultat de la ponction ganglionnai-re renforce en général la suspicion. Mais la biopsie gan-glionnaire est indispensable pour affirmer le diagnosticet préciser le type du lymphome.• Plus rarement une polyadénopathie asymétriqued’évolution chronique ou subaiguë peut être révélatriced’un cancer métastatique. Le diagnostic fortement sus-pecté à la ponction ganglionnaire sera confirmé par ladécouverte d’une tumeur primitive ou par la biopsieganglionnaire.

3. Autres causes

• La sarcoïdoseest évoquée devant une polyadénopathiecervico-axillaire, parfois épitrochléenne. Les signesgénéraux sont peu marqués. La radiographie pulmonaireest évocatrice : adénopathies médiastinales hilaires,intertrachéobronchique et parfois syndrome interstitiel.Une atteinte systémique est possible. Le diagnosticrepose sur la mise en évidence d’un granulome épithé-lioïde et gigantocellulaire sans caséum à la biopsie gan-glionnaire.• Au cours des maladies systémiques,les adénopathieslorsqu’elles existent sont de petite taille. Elles sont ren-contrées dans le lupus surtout, mais aussi dans la poly-arthrite rhumatoïde, la maladie de Still, la dermato-myosite, le syndrome de Gougerot-Sjögren, la maladiede Kawasaki, la maladie de Whipple…• Une prise médicamenteusepeut induire la survenued’adénopathies (hydantoïnes, quinidine, bêtalactamines,anti-inflammatoires non stéroïdiens). Néanmoins, unetelle hypothèse ne sera retenue qu’après élimination desautres causes. La disparition de ces adénopathies à l’ar-rêt du médicament peut être lente, mais elle est indis-pensable au diagnostic.Certaines affections peuvent être responsables de poly-adénopathies parfois qualifiées de « dysimmunitaires »,mimant en tout point un lymphome. Il s’agit de la mala-die de Castleman, des adénopathies compliquant lesdéficits immunitaires constitutionnels, et de la maladiede Rosai et Dorfman. Dans ces situations, seule la biop-sie ganglionnaire permet d’écarter le diagnostic de lym-phome. ■

Hématologie

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• Il faut toujours considérer que la survenued'une adénopathie est pathologique.

• Les maladies infectieuses et néoplasiques sont les grandes causes des adénopathies.

• La biopsie ganglionnaire est un gesteindispensable lorsque qu'aucun diagnosticétiologique n'a pu être fait et pour préciser letype histologique dans les lymphomes malins.

Points Forts à retenir

1 / Ponction ganglionnaire

La ponction s’effectue à l’aide d’une aiguille fine sans aspiration. Aprèsmobilisation de l’extrémité de l’aiguille dans le ganglion, le suc ganglionnai-re monte par capillarité. Le contenu de l’aiguille est projeté sur une lame àl’aide d’une seringue, puis étalé pour analyse cytologique.

En cas de suspicion d’adénite purulente, on ponctionne en aspirant duliquide dont on demande une analyse bactériologique : examen directavec coloration de Gram et de Ziehl-Neelsen, culture sur milieux stan-dard de Löwenstein-Jensen. D’autres techniques peuvent être deman-dées selon l’orientation clinique (coloration de Warthin-Starry, etc.).

Si le frottis est suspect de lymphome (maladie de Hodgkin ou lymphomenon hodgkinien), une biopsie ganglionnaire est indispensable.

Si le frottis est suspect de métastase ganglionnaire, on recherche unetumeur primitive.

Si le frottis est polymorphe « d’allure réactionnelle », on pratique une sur-veillance, et une biopsie dans un second temps s’il y a persistance ou aug-mentation de volume, ou une biopsie immédiate si on trouve une adéno-pathie de grande taille ou une suspicion clinique de malignité.

2 / Biopsie ganglionnaire

Elle est décidée :

• lorsqu’aucune cause n’est évidente au terme des explorations, et quel’adénopathie persiste après une période de quelques semaines de sur-veillance ;

• quand un lymphome non hodgkinien ou une maladie de Hodgkin estprobable (ponction, clinique), afin d’apporter un diagnostic de certitude etde préciser le type du lymphome ;

• si on suspecte une tuberculose (non prouvée par la ponction ganglion-naire ou une autre méthode) ;

• si le frottis ganglionnaire est suspect de métastase et que la tumeur pri-mitive est indétectable ou inaccessible, (pour certains l’exérèse ganglion-naire est de toute façon indispensable).

Des précautions sont nécessaires :

• avant tout traitement (notamment par corticothérapie) ;

• il faut organiser le prélèvement pour que puissent être réalisés les exa-mens histologique, cytologique (empreintes), immunologique (immuno-histologie et cytométrie en flux), cytogénétique, et éventuellement bacté-riologique et étude en biologie moléculaire (prévenir les laboratoires). Letransport rapide et sans fixateur est impératif. Au mieux un échantillonsera congelé ;

• il faut prélever la totalité du ganglion (mais un curage n’est pas nécessai-re, excepté dans certains cas de métastase) : c’est une biopsie-exérèse.

POUR APPROFONDIR

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HématologieB 314

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Étiologie

Agranulocytoses médicamenteuses

Parmi les accidents hématologiques toxiques, elles sontles plus fréquentes. Elles sont cependant peu courantes(un peu moins de 5 cas par million d’habitants et paran). Il existe une très importante susceptibilité indivi-duelle et les cas sont essentiellement féminins. De nom-breuses familles de médicaments ont été incriminées.Leur recensement n’est pas définitif et il faut être attentifà toute nouvelle toxicité, souvent dépistée par l’inter-médiaire des centres de pharmacovigilance. Les agranulocytoses médicamenteuses relèvent de 2 méca-nismes possibles sans qu’un mécanisme puisse toujours êtreclair pour un médicament donné ou invariablement en causepour un même médicament (voir :Pour approfondir).

1. Mécanisme immunologiqueC’est le mécanisme probablement le plus fréquemmenten cause.L’accident médicamenteux est indépendant de la doseadministrée. Il nécessite un contact préalable avec lemédicament, l’accident ne survenant jamais après unepremière introduction. Le délai entre premier contact etréintroduction n’a aucune importance (passé un délai de8-10 jours nécessaire à la synthèse des anticorps). Lorsde la réintroduction du médicament, la disparition desneutrophiles est rapide en quelques heures.Un facteur génétique intervient et il a été démontré danscertains cas d’agranulocytose immunologique une asso-ciation avec certains haplotypes HLA (human leucocyteantigen)classe II.

2. Mécanisme toxiqueIci, la toxicité est dose-dépendante, apparaissant lors detraitements prolongés avec aggravation progressive lorsde la poursuite du traitement. Une seconde administra-tion du médicament n’entraînera pas de toxicité si lesdoses sont plus faibles, mais sera à nouveau toxiquelorsque des doses plus importantes seront atteintes.Il existe une susceptibilité individuelle (soit une sensibilitédes progéniteurs médullaires au médicament qui pour-rait révéler une anomalie latente, soit une perturbationdu métabolisme du médicament qui augmente sa toxicité).Le tableau indique les principaux médicaments pour les-quels une responsabilité est reconnue. La plupart de cesmédicaments sont susceptibles de toxicité sur les autreslignées hématopoïétiques (plaquettaire en particulier).

L’agranulocytose se définit comme l’absence totale depolynucléaires neutrophiles circulants. On groupe sousce terme les neutropénies sévères (polynucléaires neu-trophiles o 0,3 x 109/L), exposant aux mêmes compli-cations infectieuses.L’Organisation mondiale de la santé définit une neutro-pénie de grade IV lorsque le chiffre des polynucléairesest inférieur à 0,5 x 109/L.Les agranulocytoses aiguës ont pour la plupart une ori-gine médicamenteuse. Elles sont réversibles et leur pro-nostic, lié aux complications infectieuses, est améliorépar une réanimation bien conduite. C’est cependant uneurgence médicale du fait du risque d’infection systé-mique foudroyante.Sont exclus de cette étude, les cas comportant des cyto-pénies sur plusieurs lignées hématopoïétiques, les neu-tropénies sévères mais prévisibles liées aux chimiothé-rapies anticancéreuses.

Agranulocytoses iatrogéniquesÉtiologie, diagnostic, traitement

PR Gérard SÉBAHOUN

Service d’hématologie, CHU Nord, 13915 Marseille Cedex 20.

• L’infection bactérienne est le risque majeur en cas de neutropénie sévère. La guérisondépend exclusivement du traitement antibiotique qui n’est plus optimisé par la fonction phagocytaire des polynucléaires.

• Le pronostic de l’infection est déterminé par la profondeur et la durée de la neutropénie.

• La fièvre est le plus souvent le seul signe de l’infection, la neutropénie étant responsabled’une atténuation habituelle des signes locaux.Une infection à bacilles Gram négatifs,en particulier celle causée par Pseudomonasaeruginosapeut être fulminante.

• Le G-CSF, bien que coûteux, se justifie car l’accélération de la récupération hématopoïétique permet de réduire la mortalitéet la durée de l’hospitalisation. Par contre,il n’est pas indiqué en l’absence d’infection.

• Les tests in vitro permettent rarement de conclure à la responsabilité d’un médicament.Ils sont souvent réalisés avec le médicamentnatif et des faux négatifs peuvent être liés à l’activité immunogène d’un des métabolitesdu médicament.

Points Forts à comprendre

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A G R A N U L O C Y T O S E S I A T R O G É N I Q U E S

1356 L A R E V U E D U P R A T I C I E N ( P a r i s ) 1 9 9 9 , 4 9

Antalgiques et anti-inflammatoires

❑ noramidopyrine (Novalgine, Pyréthane,Viscéralgine forte, Salgydal, Optalidon)

❑ fénoprofène (Nalgésic) ❑ kétoprofène (Profénid)❑ ibuprofène (Brufen, Advil, Nurofen)❑ acide méfénamique (Ponstyl)❑ indométacine (Indocid)❑ phénylbutazone (Butazolidine)❑ oxyphénylbutazone (Tandéril)❑ sels d’or (Allochrysine)❑ diclofénac (Voltarène)❑ étodolac (Lodine)❑ Colchicine

Antithyroïdiens de synthèse

❑ carbimazole (Néomercazole)❑ benzylthiouracile (Basdène)

Médicaments cardiovasculaires

Antiarythmiques❑ ajmaline, disopyramide (Rythmodan)❑ quinidine (Longacor, Natisédine)❑ procaïnamide (Pronestyl)❑ flécanide (Flécaïne)Anti-hypertenseurs ❑ captopril (Lopril ),❑ diazoxide (Hyperstat)Bêtabloquants❑ propanolol (Avlocardyl )Diurétiques❑ acétazolamide (Diamox)❑ hydrochlorothiazide (Modurétic)❑ spironolactone (Aldactone)Vasoprotecteur ❑ dobésilate de calcium (Doxium)Antiagrégeants❑ ticlopidine (Ticlid)❑ clopidogrel (Plavix)

Médicaments neurologiques

Anticonvulsivants

❑ phénytoïne (Di-Hydan)❑ éthosuccimide (Zarontin)❑ carbamazépine (Tégrétol)❑ valproate (Dépakine)

Anxiolytiques

❑ chlordiazépoxide (Librium)❑ diazépam (Valium)❑ méprobamate (Équanil)

Antidépresseurs

❑ imipramine (Tofranil)

Neuroleptiques

❑ clozapine (Leponex)❑ olanzapine (Zyprexa)❑ chlorpromazine (Largactil)❑ lévomépromazine (Nozinan)❑ clomipramine (Anafranil)

Antipaludéens

❑ quinine, pyriméthamine (Fansidar)❑ amodiaquine (Flavoquine) ❑ hydroxychloroquine (Plaquénil)❑ proguanil (Paludrine)

Antibiotiques

❑ Pénicillines : pénicilline, ampicilline, amoxicilline,oxacilline, méticilline, carbénicilline, ticarcilline,pipéracilline

❑ Céphalosporines : céfotaxime, céfalotine, céfalexine❑ Chloramphénicol❑ Acide fusidique❑ Vancomycine

Antifongiques

❑ Flucytosine (Ancotil)❑ Terbinafine (Lamisil)

Sulfamides

Hypoglycémiants ❑ chlorpropamide (Diabinèse) ❑ tolbutamide (Dolipol)Antibactériens❑ sulfasalazine (Salazopyrine)❑ trimétroprime-sulfaméthoxazole (Bactrim, Eusaprim)Diurétiques

Antiviraux

❑ zidovudine (Retrovir) ❑ ganciclovir (Cymévan) ❑ aciclovir (Zovirax)

Anti-acides

❑ cimétidine (Tagamet)❑ ranitidine (Raniplex, Azantac) ❑ famotidine (Pepdine) ❑ oméprazole (Mopral, Zoltum)

Autres :

allopurinol (Zyloric), lévamisole (Solaskil), D-pénicillamine (Trolovol), dapsone (Disulone), aminoglutéthimide (Orimétène), flutamide (Eulexine)

Principaux médicaments pouvant être responsables d’agranulocytose

TABLEAU

Page 10: La Revue Du Praticien-Hématologie

dif (myélocyte-métamyélocyte) avec excès d’éléments àce stade et absence d’éléments granuleux au-delà. Ilexiste une lympho-plasmocytose, parfois importante,des macrophages. Les lignées érythroblastique et méga-caryocytaire sont normales.

Examens paracliniques

• Les examens d’imageries (radiographie, échographie,scanner) sont souvent peu parlants au début de l’infec-tion. Une radiographie thoracique doit être systéma-tique.• Les examens endoscopiquessont des techniques inva-sives à haut risque infectieux et leurs indications sontlimitées.• Les prélèvements bactériologiques sont indispen-sables pour préciser la nature des agents infectieux encause : hémocultures répétées, prélèvements locaux[ORL, peau, muqueuses, urines, liquide céphalorachi-dien (LCR)…]Leurs résultats ne seront pas attendus pour la mise enroute du traitement mais seront utiles pour une adapta-tion ultérieure de l’antibiothérapie.Les infections à germes Gram positifs sont les plus fré-quentes, représentant plus de 60 % des infections micro-biologiquement documentées : staphylocoque coagulasenégatif,Staphylococcus aureus, Staphylococcus epider-midis, streptocoques.Les infections à germes Gram négatifs sont surtoutd’origine endogène (Escherichia coli, Klebsiella,Pseudomonas). Les Pseudomonassont les germes lesplus redoutables.Les infections fongiques (Candida)se voient lors desneutropénies prolongées et chez le sujet immunodéprimé.Malgré la répétition des prélèvements bactériologiques,la proportion d’épisodes fébriles documentés chez lespatients neutropéniques sévères n’est que de 25 %.

Diagnostic différentiel

Sur l’aspect du myélogrammeOn peut exceptionnellement discuter :– une leucémie aiguë myéloblastique ou promyélocytairedevant un excès de cellules jeunes ;– une anémie réfractaire avec excès de blastes ;– une maladie de Waldenström ou un myélome sur unelympho-plasmocytose ou plasmocytose importante.

Discussion avec les autres neutropéniessévères

– Chimio-induites, attendues et toujours associées à unetoxicité sur les autres lignées.– Virales : mononucléose infectieuse, cytomégalovirus,parvovirus B 19, hépatite virale, virus de l’immuno-déficience humaine.

Diagnostic positif

Signes cliniques

Le début est brutal, survenant 8 à 15 jours après le débutdu traitement impliqué ou immédiatement lors d’unenouvelle administration dans le cas d’un mécanismeimmunologique. Cependant, dans le cas d’un méca-nisme toxique, les signes peuvent apparaître beaucoupplus longtemps après l’exposition médicamenteuse.

1. Syndrome infectieux C’est l’élément clinique dominant.La fièvre est élevée (> 38 ˚C), avec frissons, tachycar-die, parfois associée à un choc inaugural.Certaines localisations infectieuses sont particulières :localisations bucco-pharyngées (amygdales, voile dupalais), des gencives (lésions ulcéro-nécrotiques aph-toïdes), candidose digestive sévère, foyers pulmonairessystématisés, localisations périnéales pouvant s’associerà des cellulites extensives.D’autres ne sont pas particulières à l’agranulocytose :infection urinaire, infection cutanée.Par rapport à un sujet non neutropénique, l’expressionclinique des infections est modifiée en cas de neutropé-nie sévère : les signes locaux sont modérés, les signesgénéraux sont majorés.Une fièvre isolée sans point d’appel localisé est l’ex-pression la plus habituelle de l’infection au début. Ellepeut être aussi l’expression d’une bactériémie ou d’uneinfection viscérale grave menaçant la vie du patient.

2. Examen cliniqueL’examen ne montre pas d’hépatosplénomégalie, par-fois des adénopathies inflammatoires en regard d’unfoyer infectieux (oto-rhino-laryngé par exemple) .

Signes hématologiques

1. Hémogramme

Les globules blancs sont diminués, habituellement infé-rieurs à 2 x 109/L. Les polynucléaires neutrophiles sontinférieurs à 0,3 x 109/L (c’est la valeur absolue duchiffre des neutrophiles qui est à prendre en compte). Lereste de la formule leucocytaire montre une majorité delymphocytes, quelques monocytes, parfois une discrèteéosinophilie (traduisant une réaction allergique). Il n’y apas de forme anormale circulante. L’hémoglobine et lesplaquettes sont classiquement normales mais on trouveassez fréquemment une anémie ou une thrombopéniemodérées.

2. Myélogramme La cellularité médullaire est normale ou légèrementdiminuée. Il n’y a pas de cellule anormale. L’atteinte dela lignée granuleuse est élective : soit absence totaled’éléments granuleux, soit blocage de maturation à unstade précoce (myéloblaste-promyélocyte), ou plus tar-

Hématologie

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Page 11: La Revue Du Praticien-Hématologie

– Bactériennes : typhoïde, brucellose, tuberculose,septicémie bactérienne.– Parasitaires : leishmaniose viscérale.– Les autres neutropénies n’atteignent qu’exceptionnel-lement le stade d’agranulocytose.

Diagnostic évolutif et diagnostic de gravité

Évolution

L’agranulocytose est une affection transitoire.La récupération hématologique se fait entre 3 à 15 joursselon le degré d’atteinte médullaire, exceptionnellementdavantage. La récupération des polynucléaires se fera enquelques jours en cas de moelle riche, avec blocage dematuration granuleuse. Elle sera plus longue en casd’hypoplasie de la lignée granuleuse. La récupération se manifeste par une montée des monocytes, suivie,48 heures plus tard, des polynucléaires neutrophiles.Une période régénérative avec hyperleucocytose neutro-phile, myélémie et augmentation des plaquettes esthabituelle.Lorsque le mécanisme toxique direct est en cause, il per-siste souvent après récupération hématologique un dom-mage résiduel attesté par une diminution du clonage desGM-CFC médullaires par rapport à un sujet normal.

Morbidité et mortalité

Elles sont clairement liées à la rapidité de la récupéra-tion granuleuse, si bien que le pronostic est associé aurisque infectieux. Ce dernier dépend :– de la durée de l’agranulocytose. Elle peut être évaluéed’après le myélogramme. En cas d’absence totale delignée granuleuse, l’agranulocytose dure 15 jours. En casde blocage de maturation la réparation est plus rapide.Mais la poursuite du médicament empêche la réparation ;– de la conduite de la réanimation anti-infectieuse qui apermis de diminuer la mortalité ;– de l’existence de facteurs favorisant l’infection :lésions cutanéo-muqueuses, voie veineuse centrale,bronchopathie chronique, uropathie chronique ;– de l’existence de facteurs associés pouvant compli-quer le tableau : âge, antécédents cardiovasculaires,insuffisance rénale, dénutrition, déshydratation et hypo-tension, diabète, insuffisance hépatique, déficit immuni-taire avec lymphopénie.Au total, la mortalité est de l’ordre de 7 %.

Diagnostic étiologique

Enquête étiologique

L’interrogatoire tente de faire la preuve d’une toxicitémédicamenteuse, précisant les médicaments habituelsou ponctuels, leur posologie, y compris certains consi-

dérés comme anodins par le patient. La chronologie pré-cise de l’administration du médicament par rapport àl’apparition des signes cliniques est importante.L’origine est rarement évidente avec un seul médica-ment potentiellement toxique, connu du patient. Le dia-gnostic sélectif est habituellement difficile devant denombreuses prises médicamenteuses et une aide peutêtre apportée par les centres de pharmacovigilance quiindiquent une imputabilité pour chaque médicament prispar le patient.

Tests biologiques

Les preuves de la responsabilité d’un médicament sontsouvent difficiles à obtenir. Elles peuvent être apportéespar des tests biologiques qui ne sont pas pratiqués demanière courante mais pour lesquels il est intéressant decongeler le sérum du patient à la phase aiguë pour desétudes ultérieures.• Recherche d’anticorps sériques antigranulocytairesdirigés contre des neutrophiles sains, en immunofluo-rescence (GIFT :granulocyte immunofluorescence test),en immuno-essai (CELIA :competitive enzyme linkedimmuno assay, ou MAIGA : monoclonal antibodyimmobilisation of granulocytic antigen), en leuco-agglutination, en granulocytotoxicité.• Culture de progéniteurs granuleux en milieu semi-solide :– clonage des GM-CFC médullaires d’un témoin nor-mal en présence de sérum du patient de la phase aiguë,de médicament et de complément ;– clonage des GM-CFC médullaires d’un témoin nor-mal en présence de sérum du patient de la phase aiguëpar comparaison avec le sérum d’un individu traité parle même médicament ;– clonage de GM-CFC médullaires du patient aprèsrécupération hématologique en présence ou non demédicament.Une inhibition du clonage des GM-CFC en présence demédicament, indépendamment de l’addition de sérumde la phase aiguë est en faveur d’un mécanisme toxiquedirect.Une inhibition en présence seulement du sérum de laphase aiguë du patient est en faveur d’un mécanismeimmunologique.

TraitementTout médicament non indispensable doit être arrêté.Tout médicament supposé toxique et nécessaire doit être remplacé par un médicament dont l’innocuité estreconnue.

Prévention de l’infection, mesures d’hygiène et de surveillance

– Isolement en chambre particulière.– Administration exclusive d’aliments cuits.– Soins d’hygiène : toilette soigneuse du patient, bains

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Page 12: La Revue Du Praticien-Hématologie

jours est habituellement suffisante, entraînant uneréponse rapide et une résolution immédiate des signesinfectieux. Les effets secondaires possibles du G-CSFsont des céphalées, des myalgies, des douleurs osseuses,répondant à la prise de paracétamol. Une thrombopénieet une lymphopénie transitoires peuvent se voir.

Prévention des récidives

Chez tout patient ayant présenté une agranulocytose, lemédicament causal est à proscrire définitivement ainsique toute spécialité en contenant. Toute réintroduction(lorsqu’il s’agit d’un phénomène immuno-allergique)indépendamment de la dose et sous quelque forme quece soit, aboutira à nouveau à une agranulocytose. Il fautdonner au patient une liste de ces spécialités. Il vautmieux éviter tout médicament susceptible d’entraînerune toxicité hématopoïétique. ■

de bouche antiseptiques, lavage des mains avant et aprèscontact avec le patient, port de bavette, surblouse, sur-chausses, gants pour les soins.– Surveillance clinique, prise régulière de température.– Prélèvements bactériologiques systématiques (hémo-cultures, nez, pharynx, rectum, urines) et dirigés par lasymptomatologie. – Surveillance de la radiographie thoracique.– Antibioprophylaxie : l’administration de ciprofloxa-cine permet de prévenir les infections à germes Gramnégatifs. L’addition d’une pénicilline ou d’un macrolidepermet la prévention des infections à germes Gram posi-tifs. L’administration d’un antifongique (fluconazole)peut être proposée aux sujets à haut risque, sans qu’unbénéfice ait été démontré en prophylaxie primaire.

Traitement de l’infection

En cas de fièvre et (ou) de foyers symptomatiques, l’anti-bioprophylaxie est remplacée par une antibiothérapiecurative empirique à large spectre administrée par voieintraveineuse. Cette antibiothérapie sera entreprise avanttoute documentation bactériologique et devra associer,sauf contre-indication, une pénicilline ou une céphalo-sporine de 3e génération et un aminoglycoside. Elle doitêtre d’emblée efficace sur les germes Gram négatifs etnotamment sur Pseudomonas aeruginosa. Elle pourraêtre guidée par des signes cliniques évocateurs : un éry-sipèle, des furoncles évoquent un Gram positif (staphy-locoque, streptocoque), une localisation urinaire ouanale évoque un Gram négatif (Enterobacter,Pseudomonas). Les taux bactéricides sériques doiventêtre supérieurs à ceux permettant une évolution favo-rable des septicémies chez le sujet non neutropénique.Les choix préférentiels associent habituellement ticar-cilline-acide clavulanique, pipéracilline-tazobactam,ceftazidime, céfépime, imipénème-cilastine + amikacineou isépamicine.Un traitement de seconde intention sera envisagé aprèsévaluation à 48-72 heures de la situation clinique ou auvu des résultats bactériologiques. Si la réponse cliniqueest bonne, le traitement initial est poursuivi. Si les signesinfectieux persistent, on ajoute un glycopeptide (vanco-mycine, téicoplanine) en présence d’un staphylocoqueou d’un autre Gram positif, et on adaptera le traitement àl’antibiogramme. L’échec d’une antibiothérapie adaptéeou l’absence d’isolement bactérien fait envisager un trai-tement antifongique par amphotéricine B.L’utilisation de facteurs de croissance granulocytairespermet d’accélérer la récupération hématologique, deréduire les complications fatales, de diminuer la duréede l’antibiothérapie et de l’hospitalisation. Le G-CSF(granulocyte colony stimulating factor)recombinant(Granocyte, Neupogen) est préféré au GM-CSF (granu-locyte macrophage colony stimulating factor)pour sameilleure tolérance. La dose standard est de 5 mg par kget par jour, par voie sous-cutanée, jusqu’à correction duchiffre des polynucléaires. Une cure courte de 5 à 7

Hématologie

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• Le risque infectieux est sévère quand le nombre de polynucléaires est inférieur à 0,5 x 109/L, il est majeur lorsque l’agranulocytose se prolonge au-delà de 7 jours.

• Les signes infectieux locaux sont souvent modérés. Les signes généraux sont habituellement majorés. Une fièvre d’origineindéterminée est un tableau fréquent. Le risque majeur est celui d’un choc septiqueà Gram négatifs.

• L’infection n’est bactériologiquement documentée que dans 25 % des cas.

• Une antibiothérapie empirique à large spectre doit être mise en œuvre d’urgence,dès les prélèvements bactériologiques effectués.

• Elle sera éventuellement adaptée en cas de persistance de l’infection à 48 heures.

• Le médicament en cause est parfois difficile à identifier, notamment chez les sujets polymédicamentés.

• Après récupération hématologique, le médicamenten cause doit être définitivement proscrit.

Points Forts à retenir

Page 13: La Revue Du Praticien-Hématologie

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Mécanismes

Les agranulocytoses médicamenteuses relèvent de deuxmécanismes physiopathologiques possibles, immunologiqueou par toxicité directe. Habituellement cependant, le mécanisme précis par lequel un médicament provoque uneagranulocytose n’est pas connu et les facteurs susceptiblesd’entraîner une sensibilisation des patients ne sont pasconnus. Un patient peut avoir consommé le médicamentpendant des mois ou des années avant de faire une agranu-locytose.

Mécanisme immunologique

Ce mécanisme est démontré pour l’amidopyrine, le diclo-fénac, les pénicillines, les antithyroïdiens de synthèse, lesantipaludéens, le lévamisole, la chlorpropamide, la clozapi-ne.

Le médicament peut agir de plusieurs façons.

• Se comportant comme un haptène (fig. 1), le médicamentpeut se fixer sur la membrane du polynucléaire, induire laformation d’anticorps dirigés contre ce complexe devenuantigénique. Ces anticorps sont responsables de la lyse descellules cibles porteuses du médicament.

• Le médicament peut induire la formation d’anticorps (fig. 2), les deux formant un immun-complexe qui s’adsorbesur la membrane des polynucléaires et entraîne la lyse cellu-laire par activation du complément. Ce mécanisme estconsidéré comme le plus souvent en cause.

• Enfin, le médicament peut altérer la membrane des poly-nucléaires, induisant la formation d’auto-anticorps (fig. 3)qui vont détruire les cellules cibles en l’absence du médica-ment.

Cette activité lytique s’exerce sur le compartiment circu-lant, éventuellement sur les précurseurs granuleux médul-laires partageant les mêmes déterminants antigéniques queles granulocytes circulants.

En dehors des anticorps quinine-dépendants, les structuresspécifiques des granulocytes reconnues par les anticorpsmédicament-dépendants ne sont pas identifiées.

Mécanisme toxique direct

Ce mécanisme est démontré pour les phénothiazines, la phénylbutazone, la carbamazépine, les sels d’or, la cimé-tidine.

L’atteinte porte sur les cellules souches myéloïdes, et unetoxicité modérée sur les autres lignées, érythroblastique etmégacaryocytaire, peut se voir. La neutropénie est plus fréquente que l’agranulocytose qui n’en est que l’aboutis-sement extrême. Soit une anomalie du métabolisme dumédicament conduit à un taux toxique du médicament oud’un de ses métabolites pour les progéniteurs granuleux,

POUR APPROFONDIR

Dans le mécanisme de type haptène, le médicament se lie à lacellule cible, il y a production d’anticorps et destruction par ces anti-corps des cellules porteuses du médicament.

1

Il y a formation d’un immun-complexe avec l’anticorps induitpar le médicament, adhésion de l’immun-complexe à la cellule cibleet destruction de la cellule cible.

2

Dans le mécanisme auto-immun, le médicament induit un auto-anticorps et la cellule cible est détruite par l’anticorps, en l’absencedu médicament.

3

+M

++ MM

M

+

+

M M

M

Page 14: La Revue Du Praticien-Hématologie

HématologieA 72

1809L A R E V U E D U P R A T I C I E N 1 9 9 9 , 4 9

Il faut noter que l’interrogatoire à la recherche d’unetendance hémorragique est difficile chez le malade (dontle jeune âge peut ne l’avoir jamais mis en véritablesituation à risque, ou dont l’ancienneté de la pathologiepeut l’avoir fait s’y habituer…) ; c’est donc souligner lepeu de fiabilité quand on l’interroge sur ses antécédentsfamiliaux. Ces examens de dépistage jouent donc unrôle soit en complément d’un interrogatoire défaillant,soit en début de caractérisation lors d’un interrogatoireévocateur. Ni les examens ne peuvent éviter l’interroga-toire ni l’interrogatoire ne peut se substituer aux examens.Ce bilan (temps de saignement, temps de Quick, tempsde céphaline + activateur) est donc réalisé dans deuxconditions différentes, soit lors d’un bilan préopératoiresystématique à la recherche d’un risque hémorragiquechez un patient sans antécédent hémorragique ni person-nel, ni familial, soit au cours de l’exploration d’un incidenthémorragique spontané ou provoqué (fig. 1). Dans lesdeux cas, l’interrogatoire du patient est fondamental :rechercher toute notion d’incident hémorragique anor-mal, spontané ou provoqué en particulier après uneintervention chirurgicale même bénigne de type extrac-tion dentaire, amygdalectomie, et préciser le type de saignement – anomalie de l’hémostase primaire (hémor-ragie muqueuse, purpura), anomalie de la coagulation(hématome profond, hémarthrose) –, et le délai d’appa-rition (par rapport à la blessure, lésion…).Au bilan de dépistage habituel – temps de saignementpour étudier l’hémostase primaire (il convient d’y associerla numération formule sanguine qui comprend la numé-ration plaquettaire), temps de Quick et temps de cépha-line + activateur pour étudier la coagulation – il est for-tement conseillé d’associer un dosage du fibrinogènepar une technique fonctionnelle.Certaines anomalies échappent à ce bilan de dépistagequ’il faudra rechercher spécifiquement si la clinique estévocatrice.

C’est l’association de la clinique (examen et interroga-toire) et des examens biologiques qui permet au mieuxd’évaluer le risque ou de rechercher une étiologie.

Allongement du temps de céphaline kaolin ou activée(TCK,TCA*),du temps de Quick,du temps de saignementOrientation diagnostique

PR Ludovic DROUET

Service d’angio-hématologie, hôpital Lariboisière, 75475 Paris Cedex 10.

• L’hémostase, au sens large du terme,implique l’arrêt du saignement ou l’hémostaseprimaire faisant intervenir les plaquettes et les cofacteurs, la stabilisation du caillot parla coagulation plasmatique et par la formationd’un réseau de fibrine et le remodelage du caillot par le système fibrinolytique.

• Une anomalie sur un de ces systèmes fait porter un risque de saignement.

• Les tests d’orientation à la recherche d’un risque hémorragique avant une situation à risque (comme un acte opératoire), ou pourrechercher l’étiologie d’un état hémorragiqueassocient donc le temps de saignement (TS)pour explorer l’hémostase primaire, les tempsde Quick (TQ) et de céphaline + activateur(TCA) pour explorer la coagulation.

• Deux types d’anomalies échappent :– déficit en facteur stabilisant la fibrine (facteur XIII) dont seuls les déficits totaux saignent. Ce sont des déficits exceptionnels de symptomatologie particulière (association à des troubles de cicatrisation) ;– les hyperfibrinolyses, non pas les formes généralisées (car elles influent sur les facteurscirculants en particulier le fibrinogène) mais les formes localisées en particulier tissulaires (par exemple utérine).

* Le TCA (temps de céphaline activée) est appelé dans le texte :temps de céphaline + activateur.

Points Forts à comprendre

Page 15: La Revue Du Praticien-Hématologie

Allongement du temps de saignement

Les atteintes de l’hémostase primaire se caractérisentpar des hémorragies cutanéo-muqueuses dont l’interro-gatoire fait préciser : le caractère congénital ou acquis(depuis quand et dans quelles conditions) et l’existenced’une pathologie similaire dans la famille, les conditionsdéclenchantes en particulier la prise d’anti-inflamma-toires non stéroïdiens (aspirine) pour préciser si celle-ciaggrave ou révèle le syndrome hémorragique.

Mécanisme

D’un point de vue schématique, l’allongement du tempsde saignement correspond à un trouble de l’interactiondes plaquettes sanguines avec les tissus conjonctifs auxquels elles se trouvent exposées lors d’une brèchevasculaire et qui devrait être responsable de la réactionhémostatique. L’anomalie peut donc se situer à 3 niveaux (fig. 2) :• les plaquettes peuvent être déficientes :en nombre,ce sont alors les thrombopénies diagnostiquées par lanumération plaquettaire ; en qualité, ce sont les thrombo-pathies qui peuvent toucher toutes les fonctions d’inter-action et de réactivité des plaquettes avec le conjonctif,entre elles et avec la coagulation. Il est à noter que lenombre ne remplace pas la qualité, par exemple, lesthrombocytémies des syndromes myéloprolifératifs oùles plaquettes qui sont fonctionnellement déficitairesfont alterner le risque thrombotique (augmentation dunombre et hyperactivation) et le risque hémorragique(déficit fonctionnel consécutif) et que les plaquettesagissent avec leur environnement dans des conditionshémorrhéologiques optimales et que, quand elles sontgravement perturbées (anémie intense, pic mono-clonal…), cela peut entraîner un allongement du tempsde saignement et un risque hémorragique ;

• les cofacteurs plasmatiques d’interaction des pla-quettes sont essentiellement le facteur von Willebrand età un degré moindre le fibrinogène dont le déficit n’en-traîne un trouble de l’hémostase primaire qu’en casd’hypofibrinogénémie majeure voire d’afibrinogénémie(qui est exceptionnelle) ;• la structure du conjonctif sur lequel interagissent les plaquettes.

Diagnostic

1. Thrombopénies

Leur mécanisme est détaillé dans le tableau I.• La découverte d’un chiffre de plaquettes diminué àla numération plaquettaireimplique de vérifier qu’ils’agit bien d’une vraie thrombopénie et non pas d’unartefact technique dû à une agglutination des plaquettesdans l’anticoagulant habituellement utilisé, l’EDTA(éthylène-diamine-tétra-acétique). Ce contrôle est réali-sé par un examen du frottis de sang et la numération plaquettaire sur un autre anticoagulant voire en sangcapillaire prélevé sans anticoagulant.• Le diagnostic de thrombopénie étant confirmé,ils’agit alors de rechercher le mécanisme de la thrombo-pénie. Schématiquement, il existe deux mécanismes :soit un défaut de production des plaquettes, soit unexcès de destruction et (ou) une anomalie de distri-bution des plaquettes. Pour distinguer les anomalies de production, c’est essentiellement l’examen médul-laire associé à la numération formule sanguine qui permet de déterminer s’il s’agit d’une atteinte purementmégacaryocytoplaquettaire ou d’une atteinte globaled’une ou de plusieurs lignées. L’évolution, l’étudefamiliale et les examens complémentaires permettentde distinguer et de préciser les formes congénitales des formes acquises.

1810 L A R E V U E D U P R A T I C I E N 1 9 9 9 , 4 9

Circonstances de réalisation des tests à la recherche d’une anomalie de l’hémostase.1

A L L O N G E M E N T D U T C A , D U T E M P S D E Q U I C K , D U T E M P S D E S A I G N E M E N T

4 Temps de saignement4 Numération plaquettaire

(numération formule sanguine)

4 Temps de Quick4 Temps de céphaline

+ activateur (TCA)4 Dosage du fibrinogène

Syndrome hémorragique de type trouble de la coagulation

plasmatique

Syndrome hémorragique de type trouble de l’hémostase

primaire

Examen systématiquepréopératoire

Page 16: La Revue Du Praticien-Hématologie

Hématologie

1811L A R E V U E D U P R A T I C I E N 1 9 9 9 , 4 9

Allongement du temps de saignement.2

Anémie

Thrombocytémie

Diagnost ic des maladies

de Wil lebrand

Afibrinogénémie

Chiffre de plaquettes normal

Numération plaquettaire (numération formule sanguine)

Dosages :4 facteur von Willebrand

4 fibrinogène

Constitutionnelle

Diagnost ic des thrombopénies

Acquise

Anomalie Normalité

Étude des fonctionsplaquettaires

Diagnost ic des thrombopa-

th ies

Maladie de Willebrand

Thrombopénie

A L L O N G E M E N T D U T E M P S D E S A I G N E M E N T

Thrombopénies centrales (par trouble de la production)

❑ Thrombopoïèse diminuée – certaines thrombopénies constitutionnelles– insuffisance médullaire – aplasie, atteinte toxique

(radiations, drogues)– envahissement médullaire et destruction du tissu

de soutien médullaire (hémopathie maligne, métastase de tumeurs solides)

❑ Thrombopoïèse inefficace– déficit en vitamines (vitamine B12, acide folique)– thrombopénie familiale– myélodysplasie

Thrombopénies périphériques

❑ Consommation– hypersplénisme– consommation par activation : coagulation intravasculaire

disséminée (CIVD), coagulation intravasculaire localisée (prothèse cardiaque, angiome)

❑ Destruction immunologie– auto-anticorps

(purpura thrombopénique idiopathique, lupus)– allo-anticorps (post-transfusionnel)– immuno-allergique : héparine (thrombopénie immuno-

allergique) mais aussi nombreux autres médicaments (nivaquine, digoxine, anti-H2, thiazidiques…)

Thrombopénies multifactorielles

❑ Virales (infection par le virus de l’immunodéficience humaine, hépatites…)

❑ Cirrhose

Mécanismes des thrombopénies

TABLEAU I

Page 17: La Revue Du Praticien-Hématologie

• Les plaquettes peuvent être consommées,soit dans lecadre d’un syndrome de coagulation ou de réaction àdes surfaces thrombogènes comme le sont les coagula-tions intravasculaires disséminées (CIVD), purpurathrombotique thrombopénique, syndrome hémolytiqueet urémique, les coagulations intravasculaires localisées,dans les angiomes (syndrome de Kassabach-Merritt),sur des surfaces ou dans un organe artificiel (prothèsecardiovasculaire ou surtout circulation extracorporelle),soit dans le cadre d’une destruction immunologique,thrombopénies auto-immunes, thrombopénies post-transfusionnelles, thrombopénies néonatales iso-immunes, thrombopénies immuno-allergiques médica-menteuses. On en rapproche, soit les trappings dans lesgrandes masses vasculaires type thrombopénies dessplénomégalies, soit les formes mixtes associantconsommation et hémodilution comme dans les thrombo-pénies de réanimation ou de transfusion massive, ou lesthrombopénies du 3e trimestre de la grossesse.

2. Chiffre de plaquettes normal ou moins modifié que ne le voudrait l’allongement du temps de saignement et le syndrome hémorragiqueL’allongement du temps de saignement peut alorsdépendre de 4 mécanismes : une anomalie intrinsèquedes plaquettes et ce sont des thrombopathies ; une ano-malie des cofacteurs plasmatiques des fonctions pla-quettaires : maladie de Willebrand, afibrinogénémie ;une anomalie de réactivité du tissu conjonctif (en parti-culier du collagène) ; une anomalie d’interaction desplaquettes avec les éléments figurés (hémorrhéologie) ;les anémies ou polyglobulies sévères induisent untrouble de réactivité plaquettaire.• Allongement du temps de saignement par thrombo-pathies : toutes les étapes fonctionnelles et méta-boliques des plaquettes peuvent être atteintes. Les principales thrombopathies héréditaires sont résuméesdans la figure 3. Leur diagnostic spécifique est réalisé en laboratoires spécialisés, voire hautement spécialisésdans lesquels les tests de première ligne à l’heure actuelle sont les tests d’agrégations plaquettaires à différents inducteurs et de cytométrie de flux pour quantifier les glycoprotéines de membrane et les conte-nus granulaires.Les thrombopathies acquises sont beaucoup plus fréquentes que les thrombopathies constitutionnelles. La cause la plus fréquente est médicamenteuse en particulier par prise d’antiagrégeants plaquettaires quireproduisent différentes thrombopathies constitu-tionnelles. De nombreux autres médicaments agissent plus ou moins spécifiquement sur les plaquettes (anti-inflammatoires non stéroïdiens, pénicillines et céphalo-sporines…), de nombreuses pathologies induisent desthrombopathies et plus ou moins de thrombopénies(voire hyperplaquettose) avec des mécanismes souvent intégrés : les pathologies hématologiques – syndromesmyéloprolifératifs (associant risque hémorragique et

thrombose), leucémies aiguës et états préleucémiques – ;l’insuffisance rénale chronique ; l’alcoolisme qui associesouvent thrombopénie et thrombopathie avec des méca-nismes complexes au stade de la cirrhose.• Allongement du temps de saignement par atteinte decofacteurs plasmatiques :un arrêt efficace du saigne-ment (mesuré par le temps de saignement) nécessite uneinteraction des plaquettes avec les tissus conjonctifsexposés et une interaction des plaquettes entre elles. Ces deux mécanismes impliquent des cofacteurs plasmatiques, en particulier le fibrinogène et le facteurvon Willebrand.Afibrinogénémie congénitale :de faibles quantités defibrinogène (0,10 g/L) sont suffisantes pour permettreune réactivité plaquettaire. Dans les déficits en fibrino-gène, seule l’afibrinogénémie induit un allongement dutemps de saignement.Maladies de Willebrand :on doit dire les maladies de Willebrand car il en existe plusieurs sous-types. Lamaladie de Willebrand de type 1 est la maladie hémorra-gique constitutionnelle avec la prévalence la plus fortecar les anomalies biologiques de type I sont retrouvéesdans 1 à 2 % de la population générale. Le dosage précis du facteur von Willebrand est difficilecar le taux plasmatique est variable dans le nycthémère,modifié par les stimulations extérieures (stimulationsadrénergiques, syndromes inflammatoires, stimulationhormonale (intrinsèque : cycle chez la femme ; extrin-sèque : contraception), influencé par le groupe sanguin :les sujets de groupe O ont un taux de facteur vonWillebrand en moyenne inférieur de 20 % aux sujets degroupe non O. La détermination du facteur vonWillebrand demande de mesurer les différents compo-sants du complexe : le facteur VIIIc (de la coagulation)qui, dans la circulation, est lié au facteur von Willebrandqui le stabilise, le dosage quantitatif de ce dernier qui sefait par une technique immunologique (facteur vonWillebrand antigène), le dosage qualitatif du facteur vonWillebrand qui se fait en induisant l’interaction duWillebrand avec les plaquettes (d’où une agglutinationdes plaquettes) par un réactif, la ristocétine (facteur vonWillebrand cofacteur de la ristocétine).Ces trois examens de routine sont complétés le caséchéant si le diagnostic de maladie de Willebrandvariant est soupçonné par : la recherche d’une sensibili-té des plaquettes à s’agglutiner aux très faibles doses deristocétine ; l’étude de la répartition multimérique dufacteur von Willebrand par électrophorèse sur gel d’aga-rose ; le dosage du facteur von Willebrand intraplaquet-taire ; l’étude de la liaison du facteur von Willebrand aucollagène, la liaison du facteur VIII au Willebrand voirela recherche des mutations sur le gène car celles respon-sables des principales formes de maladie de Willebrandde type 2 sont assez localisées.Il existe schématiquement 3 types de maladies deWillebrand (tableau II) : la forme la plus fréquente (type 1) est une forme avec un déficit quantitatif modéré. Les 3 activités du complexe FVIII-facteur vonWillebrand sont parallèlement diminuées aux alentours

A L L O N G E M E N T D U T C A , D U T E M P S D E Q U I C K , D U T E M P S D E S A I G N E M E N T

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Page 18: La Revue Du Praticien-Hématologie

1813L A R E V U E D U P R A T I C I E N 1 9 9 9 , 4 9

Hématologie

Diagnostic des thrombopathies.3

Sous-typede maladie

de Willebrand

Dosage du facteur

VIIIc

Dosagedu facteur

von Willebrandantigène

Dosage du facteurvon Willebrandcofacteur de la

ristocétine

Agrégabilitéplaquettaire aux

faibles doses de ristocétine

Profil multi-numérique du facteur

von Willebrand

1

2A

2B +thrombopénie

2N

3

w diminué(classiquement Z 30 %)

w diminué ou normal

w diminué ou normal

Diminué

Très diminué

Diminué(classiquement Z 30 %)

Diminué

w diminué

w diminué ou normal

Absent

Diminué(classiquement Z 30 %)

Très diminué

Très diminué

w diminué ou normal

Absent

Absente

Absente

Augmentée

Absente

Absent

Normal

Absence hautspoids moléculaires

Absence hautspoids moléculaires

Normal

Pas de facteur von Willebrand

Diagnostic des maladies de Willebrand*

TABLEAU II

* Il faut y rajouter le pseudo 2B qui est une thrombopathie par anomalie de la GP Ib qui fixe anormalement le facteur von Willebrand circulant et donc se traduit par les mêmes anomalies que le 2B.

C O N S T I T U T I O N N E L L E SA C Q U I S E S

M é d i c a m e n t e u s e s

A s p i r i n e

T r i c l o p i d i n e ,C l o p i d o g r e l

A n t a g o n i s t e s d e G P I I b / I I I a

Les antiplaquettaires les plus fréquemment

utilisés, aspirine, tiénopyridines (Ticlid, clopido-

grel), antagonistes de GP IIb/IIIa (Réopro) repro-

duisent des maladies héréditaires.

GP : glycoprotéines de membranes plaquettaires

ADP : adénosine diphosphorique

TXA2 : thromboxane A2

Syndrome deScott

Thrombasthéniesde Glanzmann

(GP IIb/IIIa)

Anomaliesdes glycoprotéines

de menbranes

Anomalies des récepteurs

Déficiten récepteur

de l’ADP

Déficiten cyclo-oxygénase

Déficiten granulesdenses (δ)

Déficiten récepteur

au TXA2

Anomalies des phospholipides

de membrane

Dystrophiethrombocytairehémorragipare

ou maladiede Bernard-

Soulier(GP Ib-V-IX)

Maladie de Willebrandplaquettaire

(GP Ib)

Défaut d’adhésion (GP Ia/IIa)

Déficit en thromboxane

synthétase

Déficit en granules alpha (α)

Étude des fonctions et des constituants plaquettaires

Anomalies métaboliques

Anomalies granulaires

Page 19: La Revue Du Praticien-Hématologie

de 30 %, ce qui est dû à une anomalie hétérozygote ; les types 2 sont les formes d’anomalies qualitatives ; les types 3, les plus rares, sont des déficits sévèreshomozygotes.À part la forme plaquettaire due à une anomalie dérivéedes glycoprotéines de liaison du facteur von Willebrandà la plaquette (GPIb), il existe des formes acquises demaladie de Willebrand dues à une consommation du fac-teur von Willebrand (le plus souvent dans un processusimmunologique).• Allongement du temps de saignement par défaut deréactivité du conjonctif et en particulier du collagène :c’est un diagnostic qui est évoqué devant les allonge-ments « idiopathiques » du temps de saignement, c’est-à-dire non inexpliqué par toutes les causes passées enrevue précédemment. Il n’existe pas de preuve convain-cante de leur existence.

Allongement des temps de Quick et de céphaline + activateur

PhysiopathologieAlors que le temps de saignement explore globalementl’hémostase primaire, les anomalies de la coagulationsont dépistées par un allongement du temps de Quick et

du temps de céphaline + activateur, tests qui explorent l’ensemble des facteurs plasmatiques de la coagulation(en dehors du facteur XIII) (fig. 4).

1. Temps de Quick

Le temps de Quick consiste à ajouter de la thromboplastineet du calcium à du plasma anticoagulé par du citrate(chélateur du calcium). La thromboplastine est un extraittissulaire (et maintenant un produit de biotechnologie)qui associe le facteur initiateur de la coagulation : le facteur tissulaire, et les phospholipides qui forment lessurfaces moléculaires nécessaires pour que s’assemblentefficacement les complexes des facteurs de coagulation.Cette voie que l’on appelle maintenant voie du facteurtissulaire (anciennement voie extrinsèque ou exogène)est la seule efficace. On peut avoir du mal à comprendreque ce test ne soit pas sensible aux déficits en facteursVIII et IX qui sont des facteurs indispensables et dontles déficits (hémophilie A et B) entraînent les syn-dromes hémorragiques que l’on connaît. Cela est dû aufait que la forte quantité de thromboplastine, réactif ajoutéau plasma à tester, entraîne une formation brutale des complexes (le temps de Quick normal est de 11 à 13 secondes selon les réactifs) qui court-circuite le com-plexe de la prothrombinase (c’est directement le facteur

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Exploration des facteurs de la coagulation.4

Page 20: La Revue Du Praticien-Hématologie

phase contact alors que cette phase ne joue pas de rôlephysiologique significatif dans la coagulation (et dontles déficits ne portent pas de risque hémorragique). En revanche, activant lentement la coagulation (lestemps sont 3 fois plus longs que le temps de Quick),il est sensible aux anomalies sur le complexe de la prothrombinase et en particulier aux déficits en facteurVIII et IX dont il assure efficacement le dépistage.À la pratique de ces deux tests (temps de Quick et tempsde céphaline + activateur), 4 possibilités peuventschématiquement se présenter : les résultats sont nor-maux, on peut alors raisonnablement éliminer une ano-malie hémorragipare de la coagulation (en dehors des cas particuliers de déficits totaux en facteur XIII déjà évoqués) ; soit seul le temps de Quick est allongé ; soit seul le temps de céphaline + activateur est allongé ; soit le temps de céphaline + activateur et le temps deQuick sont allongés.

Allongement isolé du temps de Quick

En théorie, seuls les déficits en facteur VII allongent letemps de Quick et pas le temps de céphaline + activateur.Les déficits constitutionnels hétérozygotes (50 %) sontrares et homozygotes exceptionnels. On a récemmentdécrit des polymorphismes qui influent sur le taux defacteur VII et l’association de plusieurs polymorphismesgénétiques peut aboutir à de véritables déficits (jusqu’à30 %). Le facteur VII étant le facteur dépendant de lavitamine K à la durée de vie la plus courte à l’induction d’un traitement par antivitamine K (ou encas de carence en vitamine K), c’est le facteur VII quichute le premier.En pratique, le temps de céphaline + activateur est beau-coup moins sensible aux facteurs dépendants de la vita-mine K que le temps de Quick (un taux de prothrombineà 50 % peut être associé à un temps de céphaline + acti-vateur encore dans les limites de la normale). Donc unallongement apparemment isolé du temps de Quick doitfaire doser l’ensemble des facteurs du complexe pro-thrombinique (V, complexe VII + X, II), sauf cas parti-culier, le dosage du VII et du X n’est fait qu’après uneépreuve de recharge en vitamine K.

Allongement du temps de céphaline + activateur, sans allongement significatif du temps de Quick

Il faut alors compléter les examens par le dosage dufibrinogène et un temps de thrombine (TT).

1. Temps de thrombine allongé

Un temps de thrombine allongé avec un fibrinogène nor-mal évoque en premier lieu l’action d’une antithrombi-ne, classiquement l’héparine non fractionnée et, depuisquelques temps, les antithrombines directes, en particu-

VIIa qui active le facteur X en Xa). Alors qu’in vivo, dufait des concentrations relatives et des conditions deflux, ce complexe de la prothrombinase joue une placeprépondérante. Le taux de prothrombine (TP) est une manière d’expri-mer le temps de Quick non plus en temps absolu mais enpourcentage de la normale. Les valeurs normales dutaux de prothrombine sont de 70 à 120 %. Son expres-sion en pourcentage est très facile à comprendre poursuivre les traitements anticoagulants aux antivitamines K.On a bien compris combien le réactif thromboplastineinflue sur le taux de prothrombine, et c’est pour évitercette variabilité technique que le test a été normalisésous la forme de l’INR (international normalized ratio)pour suivre maintenant les traitements par antivitamines K(AVK). L’INR est ce rapport du temps de Quick dumalade au temps de Quick du témoin corrigé par un facteur dépendant de la sensibilité du réactif à la diminution des facteurs dépendants de la vitamine K(l’INR n’a donc de sens que chez les malades anti-coagulés aux antivitamines K).D’une manière générale, la diminution d’un facteur decoagulation ne porte un risque hémorragique élevé quelorsque le facteur est inférieur à 30 % et alors plus le facteur est diminué, plus le risque hémorragique estélevé. C’est pour cela qu’un taux de prothrombine entre50 et 60 % ne reflète qu’une anomalie modérée alorsqu’un taux de prothrombine inférieur à 30 % signifie untemps de Quick très allongé et un risque hémorragiquemajeur.La seule exception à cette règle est le déficit dû à uninhibiteur, acquis contre un facteur spécifique du tempsde Quick. L’exemple le plus fréquent (même s’il est glo-balement rare et s’il affecte le temps de céphaline + activateur et pas le taux de prothrombine) est l’antifac-teur VIII ; en effet, le complexe facteur + inhibiteurconserve une activité dans les tests de coagulation maisa perdu de son efficacité in vivo. Une diminution relativement modérée (environ 30 %) par un inhibiteurcomporte un risque hémorragique majeur. À noter que d’un point de vue technique, le réactif dutemps de Quick contient en outre un inactivateur del’héparine qui rend ce test insensible aux concentrationsthérapeutiques d’héparine.

2. Temps de céphaline + activateur

Autrefois appelé temps de céphaline kaolin, le temps decéphaline + activateur consiste à ajouter une surfaced’activation de la phase contact de la coagulation (quin’était autrefois que le kaolin et qui maintenant peut êtrela silice,l’acide élagique…). La céphaline est un phos-pholipide qui forme la surface moléculaire nécessairepour que s’assemblent les complexes des facteurs decoagulation ainsi que du calcium à du plasma anticoagu-lé par du citrate. Ce test explore ce que l’on appelait lavoie intrinsèque ou endogène de la coagulation.L’activation de la phase contact va activer la cascade dela coagulation. Il est donc particulièrement sensible à la

Hématologie

1815L A R E V U E D U P R A T I C I E N 1 9 9 9 , 4 9

Page 21: La Revue Du Praticien-Hématologie

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N 1

99

9, 4

9

Modifications du temps de Quick et du temps de céphaline + activateur.5

Stop saufcas particuliers

Dosage individuelde tous les facteurs

de complexesprothrombinique V,

VII+ X, II

Test de charge à la vitamine K

Recherche d’une hypo-

ou d’une dysfibrinogénémieconstitutionnelle

Déficit en facteur VIII,

IX, XI, XII ou autre facteur de la phase

contact

Anticoagulant circulant type lupus

ou anticorps neutralisant

antifacteur de la voieintrinsèque

Antithrombine

Héparine non fractionnée

Hirudine

Héparine ou hirudine

Anticoagulant circulant type lupus

4 Insuffisance hépatique

4 Coagulopathie deconsommation

4 Hypovitaminose K

4 Déficit isolé en un facteur

de coagulation ouhypofibrinogénémie

sévère

4 Anti-phospholipides

4 Troubles de synthèse hépatique

(II, V, VII, X)

4 Consommation (V, II)

4 Avitaminose K (VII, X, II)

T E M P S D E Q U I C K – T E M P S D E C É P H A L I N E + A C T I V A T E U R – F I B R I N O G È N E

Allongement isolé du temps de céphaline + activateur

Épreuve de correction par le plasma

témoin

Allongement dutemps de Quick

Tous les résultatsnormaux

Abaissement isolédu fibrinogène

Temps de thrombinenormal

Temps de thrombineallongé

Anomalies de plusieurs tests

Anomalie prédominant sur letemps de céphaline

+ activateur

Anomalie prédominant sur le temps de Quick

Analyse des anomalies dutemps de Quick

En fonction du temps

de thrombine et de la correction

du temps de céphaline + activateur

pour le témoin

Temps de céphaline + activateur corrigé

Temps de céphaline + activateur non corrigé

Page 22: La Revue Du Praticien-Hématologie

activateur). On a même évoqué l’hypothèse selonlaquelle ce facteur, qui joue un rôle dans une des voiesd’activation de la fibrinolyse, peut entraîner un risquethrombotique (cette notion est très discutée aujourd’hui).Quand l’allongement n’est expliqué pour aucun desdéficits classiques en VIII, IX, XI, XII, on évoque undéficit en prékallikréine ou en kininogène de haut poidsmoléculaire dont la confirmation doit être apportée parun laboratoire hautement spécialisé. Les déficits commele déficit en facteur XII ne s’accompagnent d’aucunetendance hémorragique, ce qui confirme le rôle accessoiredes facteurs contact dans l’hémostase physiologique. L’hémophilie est la conséquence d’un déficit en facteurVIII pour l’hémophilie A et un facteur IX pour l’hémo-philie B. Sur le plan clinique, en pratique rien ne dis-tingue ces deux déficits. L’hémophilie A (5 fois plus fré-quente que la B) a une fréquence estimée de 1 sur 5 000.L’hémophilie est une maladie récessive liée au sexe. Lesgarçons sont atteints et les filles sont généralementindemnes de troubles cliniques. Un hémophile donnenaissance à des garçons indemnes et à des filles conduc-trices. Le diagnostic biologique est simple, c’est unallongement du temps de céphaline + activateur à tempsde Quick normal : le dosage spécifique des facteurs pré-cise le type de l’hémophilie et sa gravité. Un taux de fac-teur VIII ou IX indétectable ou inférieur à 2 % définitune hémophilie sévère caractérisée par des accidentshémorragiques nombreux et spontanés. Un taux de fac-teur VIII ou IX entre 2 et 5 % définit une hémophiliemodérée où les accidents hémorragiques sont moins fré-quents mais tout aussi préoccupants. L’hémophiliemodérée ne l’est que dans l’effondrement du taux defacteur, non dans la gravité des accidents. Au-dessus de 5 %, c’est l’hémophilie mineure où lesaccidents hémorragiques sont le plus souvent provo-qués. Lorsque le taux est compris entre 15 et 30 %, l’hé-mophilie peut être méconnue et ne se manifester quetrès tard dans la vie par exemple par une hémorragiepostopératoire. Il faut bien savoir le risque de ces formesappelées mineures mais se révélant plus ou moins tardi-vement par un accident hémorragique gravissime.Cinq à dix pour cent des hémophiles sévères (donc sub-stitués à de nombreuses occasions) peuvent s’immunisercontre le facteur dont ils sont dépourvus. Cette immuni-sation qui pose de gros problèmes thérapeutiques doitêtre systématiquement recherchée par une surveillancerigoureuse. Ces anticorps surviennent le plus souvent encas de facteur VIIIc indosable mais pas exclusivement.Il peut s’agir de variants moléculaires justifiant lerecours à la biologie moléculaire.Il faut rapprocher la maladie de Willebrand 2N (taux de facteur VIIIc par défaut de liaison à sa molécule stabilisatrice le facteur von Willebrand anormal dans cetteforme de Willebrand) des hémophilies A ; en effet, si on ypense plus facilement chez la femme, les formes del’homme ont, pour certaines, été initialement diagnos-tiquées comme des hémophilies mineures ou modérées.Les hémophiles doivent être pris en charge dans unestructure spécialisée (Centre de traitement des hémo-

lier l’hirudine. Si le malade n’en reçoit pas et si le prélè-vement n’a pas pu être souillé (tube de coagulation pré-levé après un tube de prélèvement sur héparine), il peuts’agir d’un trouble de la fibrinogénoformation (dysfibri-nogénémie), soit constitutionnel, soit acquis soit paranomalie de synthèse (cirrhose) ou par interférenceextérieure (très forte augmentation des produits dedégradation de la fibrine, paraprotéine, exceptionnelauto-anticorps antithrombine).

2. Temps de thrombine normal

Si le temps de thrombine et le temps de Quick sont normaux, c’est alors le cas d’un allongement isolé dutemps de céphaline + activateur qui peut correspondresoit à un inhibiteur de la coagulation, soit à un déficit enun facteur non exploré par le temps de Quick.La distinction entre les deux repose sur l’épreuve de cor-rection de l’allongement du temps de céphaline + activa-teur du malade par du plasma témoin normal. Mais ilfaut savoir que pour les allongements modérés (10 à 15 s)qui peuvent correspondre à un inhibiteur peu puissant,l’épreuve peut être non conclusive obligeant, si le contextele nécessite, à doser individuellement tous les facteurs ets’ils sont normaux à rechercher des arguments pour uninhibiteur par d’autres techniques spécialisées.• Si l’allongement est significatif en l’absence de cor-rection, le diagnostic d’inhibiteur est supposé et estconfirmé par des tests spécifiques démontrant la spécifi-cité antiphospholipidique de l’inhibiteur. Les antiphos-pholipides ne font pas saigner mais s’il ne s’agit pasd’un antiphospholipide et a fortiori s’il existe un déficitisolé sur un des facteurs de la coagulation exploré par letemps de céphaline + activateur, un inhibiteur neutrali-sant doit être évoqué. Cela permet de comprendre pour-quoi l’exploration ne peut pas s’arrêter à la recherched’un anticoagulant circulant type lupus mais doit com-porter un dosage individuel de tous les facteurs portantun risque potentiel hémorragipare en particulier les fac-teurs VIII et IX.• En cas de correction du temps de céphaline + activateur du malade par le plasma du témoin :undéficit en facteur de coagulation est alors probable. Letemps de Quick étant normal, ce déficit porte donc surun ou plusieurs des facteurs suivants: VIII, IX, XI, XIIou un autre facteur de la phase contact (prékallikréine,kininogène de haut poids moléculaire). C’est le dosageindividuel de ces facteurs qui permet de faire le diagnosticexact. Il faut savoir que certains anticorps de faible affinité dirigés contre l’un ou l’autre des facteurs de lacoagulation peuvent apparaître comme corrigés aprèsune incubation courte. L’incubation doit être prolongée(au moins jusqu’à 2 h) et quand il y a doute, des tech-niques spéciales doivent être mises en œuvre. Le déficit en facteur XII est le plus souvent congénital(quelquefois acquis comme au cours des fuites pro-téiques massives du syndrome néphrotique). Ce déficitn’entraîne aucune tendance hémorragique (bien qu’ilallonge de manière importante le temps de céphaline +

Hématologie

1817L A R E V U E D U P R A T I C I E N 1 9 9 9 , 4 9

Page 23: La Revue Du Praticien-Hématologie

philes) qui seul peut fournir l’approche multidisciplinaireadaptée tant sur la prise en charge de l’hémophile, quede sa famille pour l’ensemble des problèmes spécifiquesliés au suivi biologique, transfusionnel, orthopédique,social et de conseil génétique. Le déficit en facteur XI porte un risque hémorragiquepour les taux inférieurs à 30 %. Ce risque hémorragiqueexiste constamment pour les déficits sévères (homozy-gotes déficits inférieurs à 1 %), mais est variable pourles taux entre quelques percentiles et 30 % d’un sujet àl’autre sans qu’il soit clairement établi si cette variabilitédépend du type d’anomalie moléculaire et (ou) du typede déficit en facteur XI du contenu des granules αplaquettaires.

Allongements combinés du temps deQuick et du temps de céphaline + activateur

Pour les diminutions du fibrinogène, il faut savoir quedes taux aussi bas que 0,5 g/L de fibrinogène ne modifientni le temps de Quick ni le temps de céphaline + activateur. À l’opposé, des augmentations très fortes (> 10 g/L)allongent ces tests. Les diminutions peuvent corres-pondre à des hypo- ou des dysfibrinogénémies et peu-vent être constitutionnelles ou acquises.Si plusieurs résultats de ces deux tests de première inten-tion, temps de Quick et temps de céphaline + activateur,sont anormaux, il peut s’agir de plusieurs pathologiesdifférentes dont les examens de coagulation associés aucontexte clinique et aux autres examens biologiques per-mettront le diagnostic spécifique : pathologie hépatique,coagulopathie de consommation, hypovitaminose K,déficit isolé constitutionnel ou acquis en facteur inter-venant à la fois dans le temps de Quick et le temps decéphaline + activateur, auxquels il faut rajouter certainesformes d’antiphospholipides puissants qui peuvent aussiagir sur le temps de Quick.Quand le temps de Quick est allongé, l’analyse indivi-duelle des facteurs du complexe prothrombinique orienteparmi les diagnostics proposés suivant qu’il s’agit de lacombinaison de déficits de facteurs de synthèse hépa-tique (II,V, VII, X), consommés au cours de la coagula-tion (V, II), dépendants de la vitamine K (VII, X, II).Une hypofibrinogénémie complète souvent les deuxpremiers tableaux.Une thrombopénie et une augmentation significative descomplexes solubles de fibrine et des produits de dégra-dation de la fibrine font partie du tableau complet decoagulopathie de consommation.En fait, les tableaux biologiques sont souvent dissociéscar les mécanismes physiopathogéniques sont fréquem-ment intriqués ou parce qu’il faut avoir des connaissancestechniques : les réactifs commerciaux de temps de Quickpossèdent un inhibiteur qui antagonise l’héparine jusqu’à2 U/mL, donc le temps de Quick n’est qu’apparemmentinsensible aux doses thérapeutiques d’héparine.Les déficits congénitaux induisant un allongement dutemps de céphaline + activateur et du temps de Quick sont

les déficits en fibrinogène, II, V, et X.Les déficits en facteur V les plus graves s’accompagnentaussi d’un allongement du temps de saignement quel’on explique par un défaut de l’activité procoagulantedes plaquettes. Pour les déficits partiels en facteur V,l’intensité du syndrome hémorragique est égalementreliée au contenu des plaquettes en facteur V qui eststocké dans les granules α.Le dernier point à ne pas oublier est que l’allongementdu temps de céphaline + activateur n’a pas d’indicationproportionnelle du risque hémorragique. Les héparinesde bas poids moléculaire à dose potentiellement hémor-ragipare n’allongent pas ou très peu le temps de céphali-ne + activateur. Avec les antithrombines directes commel’hirudine, le risque hémorragique survient pour desallongements du temps de céphaline + activateur plusmodérés qu’avec l’héparine non fractionnée. Les anti-coagulants circulants type lupus, n’ont pas de risquehémorragique (contrairement aux inhibiteurs directs des

A L L O N G E M E N T D U T C A , D U T E M P S D E Q U I C K , D U T E M P S D E S A I G N E M E N T

1818 L A R E V U E D U P R A T I C I E N 1 9 9 9 , 4 9

• Le bilan global de screening:temps de saignement, temps de Quick,temps de céphaline + activateur explore théoriquement les principales composantes de l’hémostase prises au sens large mais le temps de saignement est très dépendant du technicien, peu sensible et peu spécifique.

• Le temps de céphaline + activateur est très sensible à des diminutions des facteurs de la phase contact, à des activités anticoagulant circulant transitoires (en particulier chez l’enfant) qui n’induisentpas de risque hémorragique majoré.

• Si l’intérêt d’un dépistage systématique,en particulier préopératoire, est remis en question par certains, en particulier dans une logique coût/efficacité, à conditiond’être remplacé par un examen clinique et un interrogatoire rigoureux, cette attitude ne peut pas être acceptée car l’examen cliniqueet l’interrogatoire n’ont pas constamment ce caractère rigoureux et parce que,même bien faite, il ne sont pas toujours possibles ou contributifs (âge jeune, maladie ou thérapeutique intercurrente…).

• Si les données de cet interrogatoire soulèvent un doute, le bilan est alors déclenchéqui comporte comme tests initiaux de screening:temps de saignement, numération plaquettaire,temps de Quick, temps de céphaline + activateur, dosage du fibrinogène et s’oriente en fonction de la clinique et des anomalies rencontrées.

Points Forts à retenir

Page 24: La Revue Du Praticien-Hématologie

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Hématologie

A 68

AnémieOrientation diagnostique

Pr François DREYFUSService d’hématologie (Pr J.-P. Lévy), hôpital Cochin, 75679 Paris cedex 14

• L’anémie, qu’elle soit à traduction clinique ou qu’elle soit purement biologique, est toujourspathologique. La baisse du taux d’hémoglobine,n’est pas suffisante pour la caractériser ; il fautsystématiquement obtenir le volume globulairemoyen et la concentration corpusculaire moyenneen hémoglobine. Seuls, ces deux paramètres,pourront permettre de classer les différents typesd’anémie.• Le chiffre des réticulocytes témoignant des caractères régénératifs ou non de l’anémie est la troisième constante éventuellement à obtenirpour définir le caractère central ou périphériquede l’anémie.

Points Forts à comprendre

L’hémogramme fait de façon systématique ou devant untableau clinique évoquant une anémie l’affirme sur un tauxd’hémoglobine inférieur à 13 g/dL chez l’homme, 12 g/dLchez la femme et l’enfant de plus de 10 ans ; 11 g/dL chezl’enfant de moins de 1 an, et de 10,5 g/dL chez la femmeenceinte durant le troisième trimestre.

Orientation diagnostique

La constatation d’une anémie diagnostiquée sur le chiffrebas de l’hémoglobine justifie l’analyse de critères biolo-giques caractéristiques de la lignée rouge :– le taux des réticulocytes qui affirme le caractère centralou périphérique de l’anémie ;– le volume globulaire moyen (VGM) qui permet de sépa-rer les anémies microcytaires (VGM < 84 µ3), des anémiesmacrocytaires (VGM > 98 µ3), des normocytaires (84 µ3

< VGM < 98 µ3).La concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine(CCMH) permet de différencier l’hypochromie (CCMH <32 %) de la normochromie (CCMH O 32 %).Ainsi l’analyse de ces différentes constantes permettra deséparer : les anémies microcytaires ou hypochromes ; lesanémies normocytaires/macrocytaires arégénératives ; lesanémies normocytaires/macrocytaires régénératives.

Anémies microcytaires

L’existence d’une microcytose traduit une anomalie de syn-thèse de l’hémoblogine et dans la grande majorité des casest le reflet d’une anomalie d’utilisation du fer.Ainsi le dosage du fer permettra de différencier : les ané-mies microcytaires à fer bas (260 µg/100 mL chez la femmeet 270 µg/100 mL chez l’homme), des anémies microcy-taires à fer normal.

Anémies microcytaires hyposidérémiquesElles correspondent à deux situations : les anémies inflam-matoires, où le fer est stocké dans les macrophages sousl’action des interleukines de l’inflammation IL6, TNF α ;les anémies par carence en fer.

1. Anémies inflammatoiresLeur diagnostic repose sur :le contexte clinique de la mala-die inflammatoire (collagénose, infection) ; le contexte bio-logique de maladie inflammatoire : augmentation de lavitesse de sédimentation, augmentation du fibrinogène, desα 2-globulines, présence d’une thrombocytose ; le dosagedu fer bas avec une capacité de saturation de la sidérophi-line (CTS) basse (o 50 µmol/L) ; le dosage de la ferritinenormal ou élevé.L’anémie n’est que le témoin de la maladie inflammatoire,elle ne nécessite aucun traitement spécifique. Elle néces-sie rarement des transfusions.

2. Anémie par carence martiale• Biologiquement :elle associe un dosage du fer bas avecune capacité de saturation de la sidérophiline augmentée(> 60 µmol/L) et une ferritine basse : le dosage de la fer-ritine est fiable et reproductible. Il est le reflet exact de laquantité de fer de l’organisme. En cas d’association d’uneinflammation et d’une carence en fer, le taux de ferritineaugmente toujours pouvant marquer la carence en fer.• Cliniquement : il faut rechercher une cause à la carenceen fer. Cette recherche étiologique dépend de l’âge dupatient (tableau) : chez la femme non ménopausée, il fautrechercher en priorité une cause gynécologique ; chezl’homme ou la femme ménopausée, il faut rechercher enpriorité une cause digestive, tumorale ou non tumorale ; onrecherchera en cas de négativité des investigations descauses plus rares, et des facteurs favorisants.– Causes plus rares : hémosidérinurie chronique des hémo-lyses chroniques, parasitose (ankylostome), malabsorption

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A N É M I E

lée ou de pseudo-polyglobulie microcytaire ; l’électropho-rèse de l’hémoglobine est normale.

2. Anémie réfractaireIl s’agit d’anémie réfractaire le plus souvent constitution-nelle parfois acquise.Le diagnostic repose sur la ponction sternale qui objectivedes anomalies caractéristiques des érythroblastes.

Anémies normocytairesou macrocytaires non régénératives

Ce sont les plus fréquentes. L’absence de régénération oul’insuffisance de régénération devant une anémie, se défi-nit par un chiffre de réticulocytes inférieur à 150 000/mm3.Cette absence de régénération ne peut être affirmée que sile phénomène ayant induit l’anémie évolue depuis plusd’une semaine. C’est le temps nécessaire pour que la moelleproduise un chiffre suffisant de réticulocytes. Dans le doute,on recontrôlera le chiffre des réticulocytes et l’on conduiraune double enquête étiologique : celle d’une anémie nor-mocytaire non régénérative et celle d’une anémie normo-cytaire régénérative.En dehors de cette circonstance, le caractère arégénératiftémoigne du caractère central de l’anémie. Cette atteintecentrale peut être secondaire à une pathologie extrahéma-tologique ou due à une pathologie médullaire.

Anémie normochrome,macrocytaire non régénérativedue à une pathologie extramédullaire

1. Anémie due à une insuffisance rénaleDue à l’absence de production d’érythropoïétine. L’inten-sité est proportionnelle à l’insuffisance rénale mesurée parle taux sanguin de créatinine.

2. Anémie au cours des insuffisances endocrinesDe nombreuses pathologies endocrines s’accompagnentd’une anémie non régénérative.Thyroïdienne (hypo- ou hyperthyroïdie), insuffisance sur-rénalienne, hypogonadisme, hyperparathyroïdisme, hypo-pituitarisme.

3. Anémie et alcoolismeL’intoxication alcoolique peut par de multiples mécanismesentraîner une anémie non régénérative. Sidération médul-laire au cours d’une intoxication aiguë, macrocytose due àdes anomalies des lipides membranaires érythroctaires, syn-drome hypersplénisme, carence vitaminique (B12, folates).

4. Syndrome inflammatoire débutantAvant l’apparition de la microcytose, l’anémie inflamma-toire est normocytaire ; le contexte clinique et biologiquepermet d’affirmer le diagnostic.

(maladie cœliaque, absorption de terre), hémosidérose pul-monaire, épistaxis récidivant (maladie de Rendu Osler),maladie psychiatrique (anémie de Fergeol).– Facteurs favorisants : troubles de l’hémostase (maladiede Willebrand), dons de sang répétés.

3. Chez le nourrissonLa carence en fer est fréquente et est pratiquement toujoursdue à une carence d’apport alimentaire. La gémellité et lacarence en fer chez la mère sont des facteurs favorisants.

Anémies microcytairesnormosidérémiquesLa normalité du fer sérique doit être contrôlée deux foisavant de pouvoir affirmer la normalité du fer.On doit évoquer deux pathologies : les thalassémies et lesanémies réfractaires.

1. ThalassémiesNon pas tant le tableau de la β-thalassémie majeure oumaladie de Colley mais l’α ou la β-thalassémie mineureou hétérozygote.• La β-thalassémieatteint le sujet du pourtour méditer-ranéen et d’Asie du Sud-Est ; réalise au tableau de micro-cytose isolée ou pseudo-polyglobulie microcytaire ; le diagnostic repose sur électrophorèse de l’hémoglobineobjectivant une augmentation de l’hémoglobine A2 O3,5 %.• L’ α-thalassémie : atteint les sujets noirs et les sujetsd’Asie du Sud-Est ; réalise un tableau de microcytose iso-

Gynécologiques– fibrome ou polype utérin– cancer vaginal ou utérin– déséquilibres hormonaux– dispositif de contraception intra-utérin

Digestives : • non tumorales– œsophagite peptique– varice œsophagienne– hernie hiatale *– gastrite médicamenteuse ou alcoolique– diverticule de Meckel– maladie de Crohn/rectocolite hémorragique– angiodysplasie colique– polype– hémorroïdes*

• tumorales– cancer– syndrome de Kaposi– ampulome watérien– lymphome

* Ce sont des diagnostics d’élimination

Cause des carences en ferchez l’adulte

Page 26: La Revue Du Praticien-Hématologie

hydrie histamino-résistante avec absence de facteur intrin-sèque, démontrée par son dosage dans le liquide gastriqueou par un test de Schilling avec ou sans facteur intrinsèque.S’il ne s’agit pas d’une maladie de Biermer, il faudrarechercher une infection par le botriocéphale ou un syn-drome de malabsorption.

3. Syndromes myélodysplasiquesIls touchent essentiellement les sujets âgés ; l’anémie nor-mocytaire ou macrocytaire non régénérative est le stigmatebiologique le plus fréquent.Leur diagnostic est réalisé par la ponction sternale qui per-met en outre de préciser le pronostic. En effet, les anémiesréfractaires sans blastes ont une durée de vie longue de plu-sieurs années alors que les anémies réfractaires avec unexcès de blastes vont évoluer rapidement vers une leucé-mie en quelques mois.

4. Moelle envahieLa ponction sternale permettra d’objectiver un envahisse-ment par des cellules tumorales hématopoïétiques (leucé-mie aiguë, lymphome, myélome) ou extrahématopoïétiques(métastases). Le plus souvent, l’anémie s’associe à unemyélémie ou à une érythroblastémie assez caractéristique.

5. Moelle pauvre ou normaleDevant ce résultat du myélogramme, il faut proposer unebiopsie médullaire. Seule, en effet, la biopsie permettra defaire le diagnostic d’une aplasie médullaire devant unemoelle désertique, d’une myélofibrose en précisant sonimportance, une lésion métastatique non vue au myélo-gramme ou enfin un tableau de myélodysplasie à moellepauvre.

Anémie normocytaireou macrocytaire régénérative

Le caractère régénératif (réticulocytes O 150 000/mm3)affirme la nature périphérique de l’anémie. Il faut recher-cher en premier lieu un syndrome hémorragique, unehyperhémolyse, et en cas de négativité de ces deux causes,il faut évoquer la réparation d’une insuffisance de l’éry-thropoïèse.

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Hématologie

5. HémodilutionIl faut la suspecter quand l’anémie apparaît dans uncontexte évocateur : insuffisance cardiaque gauche, splé-nomégalie, présence d’un pic à l’électrophorèse des pro-tides au niveau des β2 ou α-globulines.En dehors de ces circonstances, une exploration de lamoelle s’impose par une ponction sternale dans un premiertemps.

Anémie normochromedue à une pathologie médullaireLa ponction permettra ainsi de différencier plusieursaspects cytologiques : l’absence de lignée rouge médullaireou érythroblastopénie ; des anomalies morphologiques descellules médullaires soit à type de mégaloblastose, soit àtype de dysmyélopoïèse. Enfin, la ponction est peu richeen cellules ou normale, imposant alors la biopsie médul-laire.

1. ÉrythroblastopénieElle réalise un tableau biologique assez caractéristiquepuisque outre l’anémie, le taux des réticulocytes est nul etque la lignée rouge de la moelle n’est pas représentée. Ondistingue les érythroblastopénies aiguës survenant audécours d’une infection à parvovirus B19 ou après une prisemédicamenteuse ou lors de l’évolution d’une leucémielymphoïde chronique et les formes chroniques : chezl’adulte, devant faire rechercher une tumeur bénigne thy-mique, chez l’enfant, un syndrome de Blackfan-Diamond.

2. MégaloblastoseElle réalise un aspect cytologique médullaire typiquetémoignant d’une carence en acide folique ou en vitamineB12. Il convient après le dosage de ces vitamines et avanttout traitement (ou transfusion) de rechercher en premierlieu une carence en folates. Elle est le plus souvent due àune carence d’apport ou à un excès d’utilisation (grossessesrépétées, alcoolisme, médicaments antifoliques) ; moinssouvent, elle est due à une carence d’absorption (entéro-pathie exsudative, chirurgie digestive extensive).Si aucune cause n’est retrouvée, il faut rechercher unecarence en B12 dominée par la maladie de Biermer. Son dia-gnostic repose sur : un dosage vitaminique bas et une achlor-

Schizocytes, témoignantd’une anémie hémolytique d’ori-gine mécanique.

3Hématies avec Plasmodium falcipa-

rum, responsable d’hémolyse aiguë infec-tieuse.

2Hématies en larme. Aspect caracté-

ristique sur lame, avec des globulesrouges allongés ; témoignant de la pré-sence d’une fibrose médullaire.

1

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A N É M I E

Syndrome hémorragique

Il est souvent évident parfois, s’inscrivant dans un contexteparticulier (troubles de l’hémostase, prise d’anti-inflam-matoires, traitement anticoagulant), parfois plus difficile,si l’hémorragie n’est pas extériorisée. Il est donc impor-tant de rechercher un contexte évocateur, des signes dechoc, des signes d’anémie aiguë (pâleur cutanéo-muqueuse, sensation de soif, vertiges, asthénie brutale).

Hyperhémolyse

Si l’anémie s’accompagne de stigmates d’hémolyse, outrela régénération, on note l’effondrement de l’haptoglobineet l’augmentation de la bilirubine libre.

1. Hémolyses extracorpusculairesLe globule rouge est normal, il est détruit par un agent ouun mécanisme qui lui est extérieur. Pour en faire le dia-gnostic en cas de difficultés, la durée de vie d’un globulerouge allogénique compatible peut être d’un apport impor-tant. Leur durée de vie diminuée confirme la nature extra-corpusculaire du phénomène.Il faut évoquer une cause infectieuse, paludisme septicé-mies à gram-négatif ; une intoxication par le plomb ; unemorsure de serpent, une valve cardiaque mécanique ; unemicroangiopathie thrombotique ;un effort physique impor-tant (hémolyse du marathonien) ; une cause immunolo-gique avec mise en évidence anticorps anti-érythrocytaire,par le test de Coombs.Ainsi, le contexte clinique est évocateur. En plus des signesd’hémolyse, le contexte fébrile conduira à faire pratiquerune goutte épaisse et des hémocultures. Une anémie méca-nique fera rechercher des schizocytes, dont la présenceconfirme le mécanisme de l’hémolyse. En cas de suspiciond’hémolyse, la réalisation du test de Coombs permettra deconfirmer sa nature immunologique sans que ce dernierpuisse préciser le caractère auto-immun, allo-immun ouimmuno-allergique de l’hémolyse.

2. Hémolyse corpusculaireElle s’inscrit le plus souvent dans une histoire familialequ’il faut rechercher ; elle peut être due à des anomalies ;• Membranes :la plus fréquente des anomalies est la mala-die de Minkowsky-Chauffard ou microsphérocytose héré-ditaire, caractérisé par le caractère familial ; l’autohémo-lyse augmentée, corrigée par adjonction de sucre fait lediagnostic.

D’autres anomalies de la membrane (elliptocytose, acan-thocytose) peuvent donner le même tableau.• Anomalies de l’hémoglobine :la drépanocytose homo-zygote et parfois hétérozygote responsable d’hyperhémo-lyse. Le diagnostic, outre l’enquête familiale, repose surl’électrophorèse de l’hémoglobine.L’hémoglobine C et les hémoglobines instables sont lesdeux autres causes d’hémoglobinopathie provoquant unehyperhémolyse.• Anomalie enzymatique :de très nombreux déficits enzy-matiques peuvent provoquer une hyperhémolyse. Deuxrésument la grande majorité : glucose 6 phosphate deshydrogénases (G6PD) et pyruvate-kinase (PK).Le déficit en G6PD, touchent essentiellement l’homme etréalise des crises d’hémolyse au décours de la prise médi-camenteuse (antipaludique, sulfamide) ou de fièvres.Leur diagnostic repose sur l’histoire familiale, la présencede corps de Heintz sur le frottis sanguin et le dosage del’enzyme à distance de la crise hémolytique.Le déficit en PK est plus rare touchant également l’hommeet la femme ; le diagnostic se fait par dosages enzymatiqueset par le test d’autohémolyse corrigé par adhénosine tri-phoshate. ■

• Ce n’est que grâce à une analyse soigneuse de lanumération que l’on peut orienter correctementles recherches étiologiques devant une anémie.Toute interprétation inexacte d’une de ses troisvaleurs, conduira à des demandes d’examensinutiles.• Parfois, l’anémie a des causes multiples et c’estpar la confrontation clinique et biologique, quel’on pourra déterminer l’ensemble des causes del’anémie.• La surveillance de l’évolution de l’anémie audécours du traitement permettra de conforter lajustesse du diagnostic.

Points Forts à retenir

Bernard J, Lévy JP, Varet B. Hématologie. Parisss : Masson, 1990.

Wintrobe MM. Clinical hematology. 7th ed, Philadelphia 1975.

POUR EN SAVOIR PLUS

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Hématologie

B 312

Points importants de la question

La carence en fer et l’anémie microcytaire qui en résultesont le témoin d’un déséquilibre entre des pertes exces-sives et des apports insuffisants pour compenser ces pertes.Les hémorragies digestives et utérines représentent la prin-cipale cause de carence en fer. La baisse de la ferritine estla première étape de la carence martiale : elle est le témoind’une diminution des réserves en fer de l’organisme. Ladiminution du pourcentage de la saturation de la transfer-rine, la microcytose, puis l’anémie apparaissent secondai-rement. Un traitement substitutif suffisamment prolongé,associé dans tous les cas au traitement de la cause de lacarence martiale, évitera les risques de rechute. L’identifi-cation des groupes de patients à risques élevés (croissance,périodes d’activité génitale, activités sportives fré-quentes…) permet un traitement préventif adapté.

Étiologie

La recherche d’une cause de carence en fer repose sur uninterrogatoire minutieux et un examen clinique rigoureux(comprenant un toucher rectal et un examen gynécolo-gique). Une carence en fer peut survenir dans quatre cir-constances :– les besoins sont augmentés, en particulier pendant lacroissance et la grossesse ;

Anémie par carence martialeÉtiologie, physiopathologie, diagnostic, traitement, avec la posologie du traitement martial

Pr Xavier TROUSSARDLaboratoire d’hématologie, CHU Côte de Nacre, 14033 Caen cedex

• La carence en fer est la conséquence d’un déséquilibre entre des pertes excessives et des apports insuffisants pour compenser ces pertes. Les réserves en fer dépendent de l’âgeet de certaines conditions physiologiques (périodesd’activité génitale, activités sportives...).• Si ces réserves diminuent, il en résulte une carence en fer avec apparition d’une anémiemicrocytaire avec ferritine basse.• Pour restaurer les réserves, le traitementsubstitutif doit être suffisamment prolongé. Il doit être aussi préventif chez les groupes de patients à risques.

Points Forts à comprendre – les apports alimentaires sont insuffisants, en particulierdans les pays où l’alimentation est pauvre en protéines ani-males ;– le fer est mal absorbé ;– les pertes digestives sont augmentées en cas d’hémorra-gie. Les hémorragies d’origine utérine et (ou) digestivereprésentent la principale cause des carences en fer. Uneperte de 1 mL d’érythrocytes est responsable d’une pertede 0,5 mg de fer.

1. Besoins augmentés

2. Défauts d’apportIls peuvent être observés dans certains pays aux conditionssocio-économiques défectueuses (alimentation pauvre enprotéines animales) et dans certains cas d’anorexie men-tale.

3. MalabsorptionL’hyposidérémie est une conséquence des malabsorptionsdu grêle proximal : elle peut révéler une maladie cœliaquechez l’adulte ou l’enfant.

4. Hémorragies• Saignements génitaux : chez la femme en période d’ac-tivité génitale, des saignements utérins abondants expli-quent souvent la survenue d’une carence martiale. Il estparfois difficile de faire préciser par l’interrogatoire l’abon-dance des pertes.Les causes les plus fréquentes sont les polypes ou fibromesutérins, et les cancers utérins. Il s’agit plus rarement d’untrouble de l’hémostase, notamment une maladie de Wille-brand ou une thrombopénie. La présence d’un stérilet estun facteur aggravant dans tous les cas.• Saignements digestifs : la présence de troubles digestifs,une constipation récente, des épigastralgies, des épisodesde diarrhée alternant avec des épisodes de constipation inci-tent à réaliser une exploration digestive.La recherche de sang dans les selles est un examen soumisà de nombreux aléas avec des faux positifs et des faux néga-tifs : un résultat peut être négatif en cas de saignement inter-mittent. Les résultats de cet examen ne doivent pas modi-fier la décision d’entreprendre une exploration digestive.Une coloscopie sera réalisée dans un premier temps chezles patients de la cinquantaine : la fibroscopie gastrique

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A N É M I E P A R C A R E N C E M A R T I A L E

avec biopsies duodénales sera préférée d’emblée chez unpatient plus jeune. Si ces deux examens ne sont pas infor-matifs, l’exploration digestive sera complétée par un tran-sit du grêle.Une lésion digestive est dépistée dans plus de 60 % descas. Les tumeurs malignes sont dominées par les adéno-carcinomes coliques et gastriques, les lymphomes malinsnon hodgkiniens gastriques ou du grêle, les localisationsdigestives de sarcome de Kaposi. Les lésions non tumo-rales sont l’œsophagite peptique, les ulcères gastro-duo-dénaux, les angiodysplasies coliques, les polypes intesti-naux ou les angiomatoses de Rendu-Osler. Le saignementdigestif est lié plus rarement à certaines parasitoses endé-miques : ankylostomiase, Schistosomia hæmatobium).Dans tous les cas, il ne faudra pas incriminer un saigne-ment à un traitement par anti-inflammatoires non stéroï-diens, ou un traitement par héparine, qui favorisent le sai-gnement d’une lésion digestive méconnue ou attribuer tropfacilement le saignement à des hémorroïdes sans avoir aupréalable réalisé une exploration digestive.• Saignements d’autre origine : des saignements d’autreorigine sont parfois observés dans l’hémosidérose pulmo-naire idiopathique de l’enfant, l’hémolyse intravasculairechronique et prolongée (dans le cadre d’une hémoglobi-nurie paroxystique nocturne ou d’une hémolyse mécaniquechez les patients porteurs de valves). Le syndrome de Las-thénie de Ferjol est observé chez des femmes pratiquantdes soustractions de sang dissimulées.

Physiopathologie

1. Apports alimentaires quotidiens en ferLe métabolisme du fer est très équilibré. Pour compenserles pertes (cutanées, digestives et génito-urinaires) quoti-diennes en fer, un apport de 1 à 2 mg par jour est néces-saire chez l’homme adulte ou la femme en dehors despériodes d’activité génitale. C’est principalement sousforme non héminique (90 %) que le fer est apporté dansl’alimentation (céréales, légumes et fruits). Le fer estabsorbé principalement dans le duodénum et le jéjunumproximal. La quantité absorbée dépend de la quantitéapportée et de sa biodisponibilité. Le coefficient d’ab-sorption est de 30 à 40 % : il est réduit à 10 % en cas d’ané-mie par carence martiale.Augmentent l’absorption du fer non héminique, la viande,les volailles et le poisson, l’acide ascorbique et les alimentsfermentés (choucroute en particulier).Les facteurs qui diminuent l’absorption du fer non hémi-nique sont les phytates, le thé et le calcium.

2. Réserves en fer chez l’adulteLe fer de l’organisme (55 mg/kg chez l’homme et 45 mg/kgchez la femme, soit un stock de 3000 à 4000 mg) est répartiessentiellement (60-70 %) dans l’hémoglobine des érytro-cytes. Un mL de globules rouges contient 0,5 mg de fer.Le fer contenu dans la myoglobine, les cytochromes desmitochondries, ou d’autres enzymes contenant du fer,représente environ 10 % des réserves en fer. Le reste, envi-

ron 20 à 30 % est stocké sous forme de ferritine, principa-lement dans les hépatocytes, les érythroblastes et les cel-lules macrophagiques.Au niveau sanguin, le fer est lié en majorité à la transfer-rine : il représente moins de 0,1 % du contenu en fer del’organisme.Au niveau membranaire, le fer lié à la transferrine se fixesur le récepteur de la transferrine, qui est alors internalisé.Après endocytose, le fer est relargué et l’apotransferrinerecyclée. Le fer appartient à un pool labile: il est transféré,soit vers un site fonctionnel, soit vers sa protéine de stoc-kage, la ferritine. Il est dans la cellule sous la dépendanced’une protéine régulatrice, l’IRF (iron regulatory protein).Cette protéine module en sens inverse le niveau du récep-teur de la transferrine et celui de la ferritine. Si la chargeen fer de la cellule diminue, l’IRF augmente le nombre derécepteur de la transferrine, ce qui favorise ainsi l’entréedu fer dans la cellule, et diminue la synthèse de ferritine.Les réserves en fer dépendent de l’âge et de certaines condi-tions physiologiques.• Impact de l’âge :– à la naissance, le nouveau-né dispose d’un stock en ferde 70 mg/kg, réparti pour 50 % dans l’hémoglobine et pour50 % sous forme de ferritine ;– pendant les premiers mois, les besoins en fer du nour-risson sont très élevés en raison d’une augmentation impor-tante de la masse sanguine. Cependant, l’alimentation lac-tée est pauvre en fer. Le nouveau-né est dans l’obligationde puiser sur ses réserves : il est exposé au risque de carencemartiale, quand il naît avec des réserves insuffisantes (pré-maturé, jumeaux, enfant né d’une mère carencée…) ;– après 6 mois, l’alimentation devient moins lactée et serapproche de celle des adultes. L’apport alimentaire quo-tidien couvre généralement les besoins de cette période ;– après la puberté, les besoins en fer sont de l’ordre de 1 mget sont compensés par l’apport alimentaire.• Impact de certaines conditions physiologiques :– femme en période d’activité génitale. Les règles (30 à50 ml par cycle) font perdre 15 à 25 mg de fer par mois. Lagrossesse induit aussi un besoin supplémentaire spécifiqueestimé à 750 à 1 000 mg ;– activités sportives. Certaines activités sportives, en par-ticulier la course à pieds prolongée (coureurs de marathon),sont susceptibles par des saignements digestifs répétésd’induire une carence martiale, plus fréquemment obser-vée chez la femme ;– dons du sang. Chaque don du sang de 400 mL provoqueune déplétion de 200 mg de fer. La législation françaiseautorise quatre dons de sang, ce qui correspond à desbesoins quotidiens d’environ 3 mg. Une carence en fer chezles donneurs de sang est plus fréquemment observée chezla femme en période d’activité génitale.

4. Étapes de la carence en ferLa premier stade est celui de la carence martiale isolée. Lestock en fer des réserves de l’organisme se réduit pro-gressivement.Lorsque les réserves sont épuisées, la carence en fer reten-tit sur l’érythropoïèse dans un second temps.

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Hématologie

Enfin, dans une troisième étape, lorsque la carence se pro-longe, il apparaît une anémie microcytaire ferriprive.

Diagnostic

1. Établir le diagnostic d’une carence en ferIl repose, dans la grande majorité des cas, sur des critèresbiologiques simples.Une carence martiale isolée sans retentissement hémato-logique est affirmée si le taux de ferritine sérique est infé-rieur aux valeurs normales de référence. La ferritine sériqueest le reflet indirect du stock en fer dans l’organisme. Unµg /L de ferritine sérique correspond à 8-10 mg de réservesde fer dans l’organisme. Les valeurs de la ferritine sériquesont dépendantes du sexe : elles sont chez l’homme com-prises entre 30 ng/mL (valeur basse) et 150 ng/mL (valeurhaute). Chez la femme, la limite inférieure est souvent plusbasse, entre 10 et 12 ng/mL. Des réserves en fer plusréduites chez la femme expliquent ces différences.À cette phase précoce de la carence martiale, il apparaîtune diminution du fer sérique et une augmentation de latransferrine. La modification de ces paramètres devient dif-ficilement interprétable en cas de réaction inflammatoireassociée.Lorsque les réserves en fer sont épuisées, la carence mar-tiale retentit sur l’érythropoïèse. Les modifications sont lessuivantes :– diminution du pourcentage de la saturation de la trans-ferrine < 0,16 ;– augmentation de la protoporphyrine érythrocytaire ;– augmentation de l’indice de dispersion des volumes deshématies exprimé sur les compteurs de globules automa-tiques par la valeur red blood cells distribution width(RdW) ;– microcytose avec un volume globulaire moyen (VGM)inférieur à 80 µm3, souvent associée à– une anémie (hémoglobine inférieure à 130 g/L chezl’homme et 110 g/L chez la femme). L’anémie profondeest d’installation progressive, ce qui explique sa tolérancehabituelle en raison des mécanismes compensateurs misen jeu. Les signes cliniques sont tardifs : il s’agit d’asthé-nie, de difficultés à assurer des efforts physiques ou intel-lectuels, de manifestations neurosensorielles (vertiges,acouphènes), de troubles de la croissance des ongles (koï-lonychie), de glossite atrophique, de dysphagie avec syn-drome de Plummer-Vinson, de géophagie, de pagophagieou de trichophagie ;– une augmentation modérée du nombre des plaquettes esthabituelle (500 à 600 x 109/L) ;– le myélogramme est inutile et ne se justifie pas dans lediagnostic d’une carence en fer avec ou sans retentissementsur l’érythropoïèse.

2. Circonstances pouvant rendre le diagnostic biologique difficileElles sont au nombre de trois :– en cas de réaction inflammatoire, il est difficile de mettreen évidence une composante carentielle éventuelle de

l’anémie. La ferritine sérique est augmentée, le fer sériqueabaissé et la transferrine abaissée ;– en cas de carence martiale associée à une carence enfolates, la microcytose est absente ;– chez un patient polyglobulique traité par saignées, il estnécessaire de respecter la carence.

3. Une microcytoseElle peut être le témoin d’un trait thalassémique.Même si les origines ethniques suggèrent ce diagnostic, ilfaut corriger une carence en fer possiblement associée avantde réaliser une électrophorèse de l’hémoglobine. Lacarence en fer est susceptible de masquer une augmenta-tion de la fraction A2 de l’hémoglobine (caractéristique dutrait β-thalassémique).

Traitement

1. Traitement curatifIl est double : il faut restaurer les réserves en fer de l’orga-nisme et supprimer la cause de la carence.• Restaurer les réserves en fer par un traitement substi-tutif : la restauration des réserves en fer de l’organisme estréalisée par un traitement par sels de fer per os. Le sel deréférence est le sulfate : d’autres sels existent, tous aussiefficaces les uns que les autres (voir tableau). Il existe denombreuses préparations, qui en réalité diffèrent essen-tiellement par leur contenu en fer métal. La posologie estde 2 à 3 mg/kg de fer métal par jour, de préférence à dis-tance des repas. Cependant, dans environ un tiers des cas,des troubles digestifs à titre de nausées, épigastriques, sen-sation de plénitude apparaissent 30 à 60 minutes après laprise. La prise du fer pendant les repas permet de réduirel’intolérance digestive. Dans tous les cas, une colorationnoire des selles apparaît : le patient doit en être prévenu.Le traitement doit être prolongé pendant une période de sixmois, ou jusqu’à correction de la ferritine sérique. Seule,une telle stratégie évitera les risques de récidives à courtterme.

Liste des principaux traitementscontenant du fer

TABLEAU

Nom Sels ferreux Contenu en ferde la spécialité

Ascofer ascorbate 33 mg/cpFerrostrane férédétate 34 mg/mLFumafer fumarate 66 mg/cpInofer succinate 33 mg/cpFéro-Grad LPVitamine C 500 sulfate 105 mg/cpTardyferon + Vitamine C sulfate 80 mg/cp

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A N É M I E P A R C A R E N C E M A R T I A L E

Le traitement par fer, par voie injectable, n’apporte aucunavantage et doit être réservé exclusivement en cas de mau-vaise compliance ou en cas de malabsorption digestivemajeure.• Traiter la cause de la carence en fer. Il faut dans tous lescas traiter la cause de la carence en fer, (voir traitementd’une tumeur digestive d’un cancer utérin) et réduire lesfacteurs pouvant aggraver la carence martiale.

2. Traitement préventifIl cherche à réduire les facteurs de risques de carence mar-tiale dans les groupes de patients à risques.Alimentation riche en protéines animales et surtout enviandes.1 mg/kg/jour chez la femme enceinte à partir du quatrièmemois de grossesse, sauf si le dosage de ferritine est élevéet peut faire suggérer une hémochromatose.2 à 3 mg/kg chez le nourrisson dès le troisième ou qua-trième mois, surtout en cas de prématurité ou en cas decarence en fer chez la mère.1 à 2 mg/kg pendant un mois après chaque don du sang,surtout chez la femme en période d’activité génitale.■

• La carence en fer est un problème fréquent enhématologie. Elle entraîne une anémiemicrocytaire associée à un taux de ferritine sériquebas. Elle est secondaire dans la plupart des cas à des hémorragies d’origine digestive ou utérine. Le traitement substitutif doit être suffisammentprolongé pour éviter toute récidive : il doit êtreassocié à la suppression de la cause de la carenceen fer. Le traitement préventif chez les patients à risques doit être systématique

Points Forts à retenir

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paroxystique a frigore se distinguent par leur rareté etleur survenue dans l’enfance après une infection virale ;leur évolution est habituellement transitoire.Plus de la moitié des anémies hémolytiques auto-immunes reste idiopathique, on doit mettre à part leshémolyses immuno-allergiques, essentiellement médi-camenteuses, qui n’appartiennent pas stricto sensu auxhémolyses auto-immunes mais qui doivent être men-tionnées en raison de la positivité fréquente d’un test deCoombs (voir :Pour approfondir 2). Dans les anémieshémolytiques auto-immunes, il y a perte de tolérancevis-à-vis de certains antigènes du globule rouge; si sonmécanisme est inconnu, les affections associées, hémo-pathies lymphoïdes, maladies auto-immunes, déficitimmunitaire sont révélatrices d’anomalies génétiques ouacquises de l’immunité humorale.Parmi les maladies lymphoprolifératives, la leucémielymphoïde chronique est l’affection sous-jacente la plusfréquente (7 à 25 %) alors que l’incidence d’autres maladies, lymphome non hodgkinien ou hodgkinien estbeaucoup plus rare (moins de 2%). Une place particulièredoit être faite aux lymphadénopathies angio-immuno-blastiques (lymphomes de nature T avec hypergamma-globulinémie et auto-anticorps) ; en effet, dans près de lamoitié des cas il existe une hémolyse auto-immune.Parmi les maladies auto-immunes, une hémolyse est fréquente au cours du lupus érythémateux, plus raredans la polyarthrite rhumatoïde et la rectocolite hémor-ragique. L’association à une thrombopénie immunologique(syndrome d’Evans) est assez fréquente ; le pronostic decette maladie avec double auto-immunisation globulerouge et plaquette est plus grave que chacune des cyto-pénies isolément. Plusieurs de ces affections auto-immunes peuvent se succéder ou être observées d’emblée.Une anémie hémolytique auto-immune, parfois associéeà une autre cytopénie portant sur la lignée plaquettaireou granuleuse peut s’observer dans certains déficitsimmunitaires génétiques ou acquis (déficit immunitairedit commun variable de l’adulte).Diverses tumeurs solides ont pu être associées à deshémolyses auto-immunes ; le lien le plus solide concerneles tumeurs ovariennes qui doivent être systématiquementrecherchées (kyste de l’ovaire) puisque le traitement dela tumeur peut entraîner une guérison de l’hémolyseauto-immune.

Étiologie

L’incidence des anémies hémolytiques auto-immunes(AHAI) est environ de 1/80 000, la fréquence augmentantau delà de 40-50 ans. Les cas d’hémoglobinurie

Anémies hémolytiquesauto-immunesÉtiologie, diagnostic, traitement

PR Jean-Claude BROUET

Service d’immuno-hématologie, hôpital Saint-Louis, 75475 Paris Cedex 10.

• Les auto-anticorps responsables d’anémiehémolytique auto-immune furent les premiersauto-anticorps pathogènes caractérisés en pathologie humaine. Ils sont responsablesd’un raccourcissement de la durée de vie deshématies (voir :Pour approfondir 1).

• L’intensité de l’anémie est variable,il s’agit d’une anémie acquise régénérative s’accompagnant de signes biologiques de destruction des hématies (augmentation de la bilirubine, des lacticodéshydrogénases[LDH], diminution de l’haptoglobine).

• Le diagnostic immuno-hématologique est centré sur le test de Coombs qui permet de définirla nature et la spécificité des auto-anticorps. On distingue les anémies hémolytiques auto-immunes à anticorps chauds et anticorps froidsselon la température à laquelle ces anticorpsont une affinité maximale pour le globule rouge.Ces deux entités correspondent à des tableaux cliniques et évolutifs différents.L’examen immuno-hématologique rechercheégalement la présence dans le sérum d’anti-corps ou d’hémolysine.

• La moitié environ des anémies hémolytiquesauto-immunes est idiopathique, l’autre moitiéassociée à une hémopathie lymphoïde,une affection auto-immune ou bien un déficitimmunitaire.

• Les anémies hémolytiques immuno-allergiques, faisant intervenir un médicament,posent des questions différentes.

• Le traitement, selon les caractéristiques de l’hémolyse repose sur corticoïdes, splénectomieet immunosuppresseurs.

Points Forts à comprendre

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Les hémolyses auto-immunes coïncidant avec une maladie infectieuse, habituellement virale prennent l’aspect d’une anémie aiguë transitoire, surtout chezl’enfant. Un titre élevé d’agglutinines froides et (ou) unepneumopathie orientent vers une affection à mycoplasme ;des auto-anticorps anti-globule rouge sont fréquents aucours de la mononucléose infectieuse. Le plus souvent,le virus responsable n’est pas identifié.Quelques cas d’hémolyses auto-immunes se révélant encours de grossesse et disparaissant après l’accouche-ment ont été signalés.

Diagnostic

Signes cliniques

Le début d’une hémolyse auto-immune est très variable.Il peut être aigu, l’anémie s’installant en quelques joursaccompagnée de fièvre, de symptômes digestifs et designes d’anoxie voire de choc hypovolémique avechémoglobinurie. Ce mode de révélation est fréquentdans les hémolyses aiguës transitoires de l’enfant.Habituellement le début est progressif avec des symp-tômes liés à l’anémie (asthénie, dyspnée, palpitations,angor), parfois une fièvre inexpliquée. Rarement unictère ou des urines foncées conduisent à la découvertede l’anémie.L’examen clinique révèle pâleur, ictère souvent modéré,splénomégalie. Les signes cliniques d’une maladie associée peuvent être également révélateurs.Des signes cliniques particuliers sont observés dans lamaladie des agglutinines froides. Il existe en effet lorsde l’exposition au froid des manifestations vasculairesdes extrémités : syndrome de Raynaud, acrocyanoseprovoquée par l’agglutination des hématies dans les tissus sous-cutanés au niveau du nez, des orteils, desoreilles, décoloration brutale de la peau accompagnéed’un engourdissement et parfois de douleurs. Ces manifestations sont à l’origine de troubles trophiquespouvant aller jusqu’à la nécrose. L’intensité de l’anémie est très variable de 3 à 10 g/dL,normochrome, normocytaire parfois macrocytairetémoignant de la réticulocytose avec parfois érythro-blasto-myélémie. Une microsphérocytose est évocatriced’hémolyse auto-immune. La réticulocytose est trèsfranchement élevée entre 100 et 800 000/mm3. Elle peutêtre retardée voire absente dans certaines formes cliniques où il existe une destruction simultanée des globules rouges et des érythroblastes, la moelle étantalors le siège d’une érythropoïèse inefficace. Une érythroblastopénie peut également être d’origine immunologique ou bien liée à une infection par le parvovirus B19. Le myélogramme peut avoir un intérêtdiagnostique lorsqu’il existe une hémopathie lymphoïdesous-jacente. Notons la fréquence sur l’hémogrammed’une hyperleucocytose avec formule sanguine normaleet d’une thrombocytose témoignant d’une régénération

médullaire intéressant certes la lignée érythroblastiquemais aussi les autres lignées myéloïdes. D’autres signesbiologiques témoignent de la destruction des hématies,augmentation de la bilirubine non conjuguée qui cependant est inconstante ; son degré est fonction del’intensité de l’anémie et de la sévérité de l’hémolyse.Les urines contiennent de l’urobiline, de l’hémoglobinedans les hémolyses aiguës. La chute de l’haptoglobineest proportionnelle au degré d’hémolyse, quasimentconstante, témoignant, quels que soient le mécanisme etle siège de la destruction des globules rouges d’une destruction intravasculaire reflétée également par l’augmentation du taux des lacticodéshydrogénases.Lorsque les examens cliniques et paracliniques ne permettent pas d’affirmer formellement une hémolyseauto-immune, l’étude de la durée de vie des hématies dumalade, comme celle d’hématies normales allogéniquesde même phénotype, révèle une destruction périphériquedes hématies, en principe immunologique ; cet examenpeut aussi renseigner sur le siège de la destruction,splénique, hépatique ou bien mixte.

Diagnostic immuno-hématologique

Il repose sur le test de Coombs direct qui, du fait de sasimplicité et de sa sensibilité, est l’examen déterminantmais également sur l’étude de l’éluat des globulesrouges et sur la caractérisation des anticorps sériques.Ces examens doivent permettre d’affirmer la présenced’auto-anticorps dirigés contre un antigène des globulesrouges et identifier leur spécificité.

1. Test de CoombsLe test de Coombs direct détecte à la surface des hématies des auto-anticorps anti-globule rouge ou desfractions du complément. Les réactifs utilisés sont des antiglobulines dites polyspécifiques contenant desanticorps dirigés contre les différentes classes d’immuno-globulines humaines ainsi que contre différentes frac-tions du complément (deux antiglobulines polyvalentesméritent d’être utilisées car la qualité de ces réactifs estvariable) ; une antiglobuline dirigée contre les immuno-globulines IgG humaines, caractéristiques des anémieshémolytiques auto-immunes à anticorps chauds et uneantiglobuline reconnaissant les fractions du complé-ment, notamment C3d, C3b, C4d. Les autres réactifs nesont utilisés que dans des situations rares (antiglobulineréagissant avec les IgM ou les IgA, rarement en causedans les hémolyses auto-immunes).La technique classique est basée sur l’agglutination deshématies du malade après lavages. La réaction d’aggluti-nation se fait sur plaque, en tube ou peut être sensibiliséepar des macromolécules (technique sur auto-analyseur).La limite inférieure de détection des molécules d’IgGfixées à la surface des globules rouges est d’environ unecentaine par hématie.Le test de Coombs direct connaît cependant certaineslimites ; il existe des anémies hémolytiques auto-

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Auto-anticorps froids

Il s’agit d’auto-anticorps d’optimum thermique bas (+ 4˚C), de nature IgM et fixant le complément. Leuramplitude thermique est variable et peut atteindre 37 ˚C.Cette amplitude joue un rôle dans l’expression cliniquede ces auto-anticorps. Il peut s’agir d’auto-anticorpsIgM polyclonaux (maladie aiguë avec agglutininesfroides) ou bien d’anticorps IgM monoclonaux (maladie chronique des agglutinines froides). Le test de Coombs est positif, de type complément seul. Lesauto-anticorps sont rarement présents dans l’éluat,ils sont détectés par contre, à un titre élevé, dans lesérum. La spécificité de ces auto-anticorps IgM est dirigée habituellement contre le groupe sanguin Ii (seulsles anticorps anti-I entraînent une hémolyse puisque les hématies adultes sont dépourvues habituellement de l’antigène i). La spécificité pour le groupe sanguin Pr n’est pas exceptionnelle.Les auto-anticorps (ou hémolysines) « biphasiques »sont rares ; il s’agit d’anticorps de nature IgG fixant lecomplément. Le terme biphasique est utilisé par référenceà la technique en 2 temps nécessitant leur mise en évidencein vitro : fixation de l’anticorps à basse température,incubation à 37 ˚C avec élution de l’anticorps et activationdu complément. Le test de Coombs direct est en généralde type complément, plus rarement de type IgG complé-ment. La spécificité de cette hémolysine biphasique estdirigée contre un antigène du groupe P ; l’hémolysineest responsable des anémies aiguës, habituellement post-infectieuses de l’enfant.Cette classification des anémies hémolytiques auto-immunes est utile pour le diagnostic, le pronostic et letraitement des malades. L’association anticorps chaudset froids n’est pas exceptionnelle. Le test de Coombs estalors positif de type IgG et complément. Il existe desanticorps froids de grande amplitude thermique.Habituellement l’hémolyse est sévère. Anticorps chaudset anticorps froids peuvent se succéder dans le tempschez un même malade.

Traitement

Hémolyse à anticorps « chauds »

Les corticostéroïdes (Cortancyl) représentent un traitementefficace mais ne permettent que rarement une guérison.Les corticoïdes pourraient diminuer la synthèse desauto-anticorps, modifier l’affinité de l’anticorps pourl’antigène cible sur l’hématie, enfin, modifier la clairancedes cellules sensibilisées par le système macrophagique.La corticothérapie est utilisée, sauf contre-indicationformelle, à une posologie de 1 à 2 mg/kg ; la diminutionde l’hémolyse s’observe entre 1 et 6 semaines avecascension du taux d’hémoglobine et diminution dessignes indirects d’hémolyse. L’utilisation de fortesdoses de cortisone administrées en bolus par voie intra-

immunes à test de Coombs négatif que la densité desauto-anticorps à la surface du globule rouge soit faibleou bien que le réactif (antiglobuline) ait une qualitéinsuffisante. En second lieu, la positivité d’un test deCoombs peut s’observer en dehors d’une hémolyseauto-immune après transfusion sanguine (les hématiestransfusées étant sensibilisées par des allo-anticorpsproduits par le receveur), à la suite d’injections de produits thérapeutiques d’origine humaine (immuno-globulines intraveineuses) ou animale (sérum antilympho-cytaire). Il est exceptionnel d’observer un test deCoombs positif en l’absence d’hémolyse auto-immunebien que la présence d’IgG ou de certaines fractions ducomplément ait pu être décrite chez des sujets normaux.

2. Étude de l’éluatL’élution a pour but de détacher de la surface des hématiesles anticorps fixés afin de permettre d’étudier leur spécificité. Elle est réalisée par des méthodes physiquesou chimiques (chaleur, éther). Elle peut être positivealors que le test de Coombs direct est négatif.

3. Étude du sérumElle permet, par une réaction de Coombs indirecte, deconfirmer la présence d’un auto-anticorps, de préciser lanature de l’anticorps en cause (IgG ou IgM), d’analyserl’optimum thermique et l’amplitude thermique de l’anti-corps, d’étudier la spécificité de l’auto-anticorps, derechercher la présence d’hémolysine, d’apprécier dansle temps le titre de l’auto-anticorps et d’en suivre l’évolution sous traitement. L’absence d’auto-anticorpssérique ne permet pas d’écarter la nature auto-immuned’une hémolyse. Les agglutinines froides sont recher-chées par une réaction d’agglutination en tube à + 4 ˚C.

Classification immuno-hématologique

Auto-anticorps chauds

Ils sont essentiellement de nature IgG, leur capacité de fixer du complément varie selon la sous-classe d’IgGet la quantité d’auto-anticorps présente à la surface deshématies. Le test de Coombs direct est le plus souventde nature IgG, plus rarement de type IgG et complément.Il existe à titre plus exceptionnel des auto-anticorpschauds de nature IgM fixant le complément qui est alorsdétecté par le test de Coombs direct, les anticorps IgMsont mis en évidence dans le sérum plus rarement dansl’éluat. Une activité hémolytique (hémolysine chaude)peut également être mise en évidence. Les anticorps IgGsont dirigés contre des épitopes exprimés par le complexeantigénique Rh (seules les hématies n’exprimant pas lecomplexe Rh sont négatives dans le test de Coombs).Certains anticorps IgG reconnaissent des antigènes parfaitement identifiés du locus Rh (e, c, E, C). Lesautres spécificités antigéniques sont rares.

Hématologie

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veineuse en cas d’hémolyse grave peut être envisagée.La diminution de la posologie doit être prudente,débutée lorsque le taux d’hémoglobine atteint 11-12 g/dLet se déroule en 6 à 12 mois. En cas de rechute, uneposologie plus élevée peut être prise, elle s’avérera habituellement efficace et une diminution encore plusprogressive devra être tentée. Dans plus de 80 % des cas,la corticothérapie ne peut être abandonnée et un traite-ment d’entretien est poursuivi à une posologie variableentre 0,1 et 0,2 mg/kg.Les limites de la corticothérapie amènent fréquemmentà envisager une splénectomie, efficace dans environ50 % des cas. Cependant, des rechutes précoces ou tardives peuvent s’observer. Une corticothérapie peutêtre nécessaire lorsque la rémission est incomplète. Les échecs ou les contre-indications de la corticothérapieet (ou) de la splénectomie peuvent conduire à un traitement immunosuppresseur qui, dans ces situations,sera forcément prolongé et l’on peut utiliser l’azathio-prine (Imurel) ou le cyclophosphamide (Endoxan). Ce traitement immunosuppresseur efficace chez le tiersdes malades peut aussi permettre une « épargne » cortisonique. Les autres traitements envisageables sont le danazol,androgène synthétique à activité androgénique faible oul’utilisation des immunoglobulines intraveineuses àfortes doses. Les résultats à court et à long terme de cestraitements restent très incertains.Le traitement des affections associées, notamment proliférations lymphoïdes malignes ou maladies auto-immunes, influent peu sur l’attitude thérapeutique ; il estcependant légitime, notamment dans ces dernièresaffections, d’essayer de traiter de manière efficace lamaladie sous-jacente.Le traitement symptomatique de l’anémie peut exigerdes transfusions de concentrés globulaires. Ce traitementest envisagé en cas d’anémie extrême ou de résistanceau bout de quelques jours ou d’inefficacité initiale de lacorticothérapie. Les caractéristiques des auto-anticorpsne permettent pas d’éviter l’hémolyse des globulesrouges transfusés et il faut donc adapter les transfusionsau retentissement fonctionnel de l’anémie (anoxie, angor).Rarement l’ablation d’une tumeur ou une colectomiedans la rectocolite hémorragique permettent la guérisonde l’hémolyse.

Hémolyse à anticorps « froids »

La corticothérapie est habituellement inefficace saufpeut-être lorsque le titre d’agglutinines froides est faibleet l’amplitude thermique très large, entre 4 et 37 ˚C. Lasplénectomie est habituellement inefficace puisque ladestruction des hématies s’effectue dans le foie. Dans lamaladie chronique des agglutinines froides, lorsqu’ilexiste une hémopathie lymphoïde associée, la chimio-thérapie permet une réduction du clone B synthétisantles auto-anticorps, par conséquent une réduction du titredes agglutinines froides et une atténuation voire une

disparition de l’hémolyse. Lorsqu’il n’existe pas d’hémopathie lymphoïde associée, ce traitement est plus rarement efficace. Lorsque l’hémolyse est modérée, un traitement symptomatique, des précautionsde bon sens pour éviter les accidents liés à l’exposition au froid doivent être conseillés. En cas de pousséehémolytique, des transfusions de sang réchauffé à 37 ˚Csont justifiées. ■

A N É M I E S H É M O L Y T I Q U E S A U T O - I M M U N E S

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• Le diagnostic d’anémie hémolytique auto-immune est facile à évoquer devant uneanémie régénérative acquise ; le test de Coombsest l’argument diagnostique essentiel,cependant il existe des hémolyses auto-immunesavec test de Coombs négatif diagnostiquées sur un raccourcissement de la durée de vied’hématies autologues et de celles d’un sujetsain. Il existe également des situations où le testde Coombs est positif sans hémolyse patente(durée de vie normale).

• Le traitement des anémies hémolytiques auto-immunes à anticorps dits chauds (test de Coombs IgG ou IgG complément) repose sur une corticothérapie, une splénectomieet (ou) un traitement immunosuppresseur.

• Dans les formes chroniques,la corticothérapie, quels que soient les traitements associés, doit fréquemment êtrepoursuivie sur de nombreuses années.

• Une affection associée justifie un traitementpropre et son évolution est souvent dissociée de celle de l’hémolyse auto-immune (leucémielymphoïde chronique par exemple).

• Dans les anémies hémolytiques auto-immunes à anticorps froids, le test de Coombs est positifde type complément, et il existe un titre élevéd’auto-anticorps de classe IgM.

• Les formes chroniques correspondent à la prolifération monoclonale du clone de cellules B synthétisant les auto-anticorpsanti-globule rouge qui sont monoclonaux,dirigés habituellement contre des déterminantsdu groupe sanguin Ii.

• La destruction des globules rouges étant hépatique, le traitement n’est souvent que symptomatique ; lorsqu’il existe une hémopathie lymphoplasmocytaire associée,une chimiothérapie mérite d’être proposée car l’efficacité sur l’hémopathie lymphoïdeentraîne une diminution du taux de l’auto-anticorps anti-globule rouge.

Points Forts à retenir

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Hématologie

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1 / Mécanisme de destruction des hématies

L’hémolyse résulte de divers mécanismes. L’activation du complé-ment peut aboutir à la formation du complexe d’attaque membranai-re (C7, C8, C9) entraînant la lyse intravasculaire des hématies. En fait,en raison de systèmes inhibiteurs de la voie complémentaire, l’activa-tion s’arrête habituellement au niveau de la fraction C3 entraînant ladégradation de cette molécule et la fixation à la membrane des globules rouges de fragment du C3 (C3b notamment). La présence deces fractions va permettre leur interaction avec des récepteurs ducomplément, notamment le récepteur CR3 présent sur les mono-cytes macrophages et polynucléaires neutrophiles qui jouent un rôlemajeur dans la phagocytose et la destruction des hématies. Dans leshémolyses à anticorps chauds IgG, la sensibilisation des globulesrouges conduit également à une phagocytose accrue. La destructiondes hématies sensibilisées par des auto-anticorps IgG se fait essentiellement dans la rate (d’où l’efficacité de la splénectomie dans cette variété d’hémolyse auto-immune) alors que les hématiessensibilisées par le complément (dans la maladie chronique des agglutinines froides) se fait essentiellement au niveau hépatique (inefficacité de la splénectomie).

2 / Anémies hémolytiques immunologiques d’origine médicamenteuse

Les hémolyses médicamenteuses appartiennent au diagnostic diffé-rentiel d’une hémolyse auto-immune. Différents mécanismes ont étéenvisagés permettant d’expliquer la production d’anticorps anti-médicaments et (ou) d’auto-anticorps aboutissant à une hémolyse.L’α-méthyldopa entraîne chez environ 15 % des malades l’apparitiond’auto-anticorps chauds identiques à ceux des formes idiopathiques.L’hémolyse n’est constatée que chez 10 % des malades ayant un testde Coombs positif. Ce médicament apparaît comme favorisant la pro-duction d’auto-anticorps anti-Rh, la positivité du test de Coombs disparaît quelques semaines ou mois après l’arrêt des médicaments.Un médicament (ou l’un de ses métabolites) peut être absorbé à lasurface des hématies entraînant la production d’anticorps dirigéscontre le complexe hématies-médicament. Le test de Coombs estalors positif seulement en présence du médicament. Il est enfin admisque des complexes médicament-anticorps peuvent s’établir dans lesérum et s’absorber secondairement sur la membrane du globulerouge entraînant l’activation du complément et l’hémolyse. Le diagnostic immuno-hématologique est souvent très difficile car la substance chimique responsable de la réponse immune peut être l’undes métabolites du médicament in vivo et une recherche d’anticorpsanti-médicament négative ne peut faire écarter le diagnostic d’anémie

POUR APPROFONDIR

Le Pennec PY, Rouger Ph. Anémies hémolytiques immunolo-giques. TCB 1995 ; 2 : 123-33.

Rochant H. Anémies hémolytiques auto-immunes (AHAI). In :Dreyfus B (ed.). L’hématologie, 3e édition. Paris : Flammarion, 1992 : 449-80.

POUR EN SAVOIR PLUS

Page 37: La Revue Du Praticien-Hématologie

HématologieB 313

2059L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

La thymidine n’est pas un constituant de l’ARN cyto-plasmique. La maturation du cytoplasme n’est pasmodifiée par une carence en vitamine B12 ou en acidefolique.Une succession de réactions activent cette transformation(fig. 1) ; la vitamine B12 (sous sa forme de méthylcoba-lamine) a donné son radical méthyl à l’homocystéine quidevient de la méthionine. La méthionine donne un -CH3à une molécule de méthyl-folate qui devient un tétra-hydrofolate (THF4). Celui-ci apporte à son tour un radical -CH3 pour que la dUMP devienne de la dTTP.Une carence en vitamine B12 ou en acide folique a doncla même conséquence : blocage d’une des étapes essen-tielles à la synthèse d’une base purique de l’ADN, lathymidine. Il en découle un ralentissement de la crois-sance des cellules myéloïdes et en particulier des érythroblastes (mégaloblastose et macrocytose), maiségalement des cellules épithéliales (langue et glossite),des cellules des épithéliums digestifs (muqueuse dugrêle et diarrhée).La non-méthylation de l’homocystéine par carence envitamine B12 entraîne à son tour une carence en S-adéno-sylméthionine (SAM), molécule indispensable au maintiende l’intégrité de la myéline des gaines nerveuses. C’estainsi que se développent les lésions neurologiquesconstatées dans les carences en vitamine B12 (atteintedes axones des cordons postérieurs de la moelle, desaxones des nerfs périphériques et de la substanceblanche).Cette cascade d’événements biochimiques expliquequ’une carence en vitamine B12 ou en acide folique pro-voque les mêmes anomalies cellulaires : mégaloblastosemédullaire, anémie macrocytaire, cytopénies et dysmor-phies des cellules myéloïdes, parfois étendues à des cellules épithéliales et qu’une carence en vitamine B12provoque à la fois des anomalies hématologiques et neurologiques.

Métabolisme de la vitamine B12

1. ApportsL’ensemble des cobalamines est regroupé sous le termede vitamine B12 ; il existe en fait plusieurs moléculesdifférentes : hydroxo-, cyano-, aqua- et nitrocobalamine.

Physiopathologie

Actions cellulaires de la vitamine B12 et de l’acide foliqueLe mégaloblaste est un érythroblaste (Ebl) anormal présent dans la moelle de malades avec une carence envitamine B12 ou en acide folique. Par maturation etdivisions successives, il donne naissance à un globulerouge (GR) de grande taille ou macrocyte. Il contientplus d’acide ribonucléique (ARN) dans son cytoplasmeque l’érythroblaste normal ; par contre, l’acide désoxyribo-nucléique (ADN) nucléaire y est en plus faible quantité.C’est donc la diminution de la synthèse de l’ADN quientraîne ralentissement et diminution des mitoses : leglobule rouge produit est de plus grande taille. Le mécanisme biochimique de la diminution de la synthèse de l’ADN est connu. Il est lié à un défaut deproduction de la déoxythymidine triphosphate (dTTP),constituant essentiel des bases puriques de l’ADN, partransformation de la déoxyuridine monophosphate(dUMP).

Anémies macrocytaires de l’adultePhysiopathologie, étiologie, diagnostic et traitement

PR Jacques PRIS, DR Sarah KHATIBI

Service d’hématologie, CHU Purpan, 31059 Toulouse Cedex 3.

• Une anémie macrocytaire suggère une anomalie de croissance des érythroblastes.Elle ne peut être due à un saignement chronique.

• La connaissance de la physiologie de l’absorptionde la vitamine B12 et de l’acide folique est indispensable pour un raisonnement diagnostic cohérent.

• Une carence en vitamine B12 ou en acidefolique provoque les mêmes anomalies hématologiques : macrocytose et mégaloblastosemédullaire.

• La maladie de Biermer est le prototype des anémies mégaloblastiques en raison d’une carence sélective en vitamine B12.

• Le myélogramme est indispensable au diagnosticde ces anémies.

• Une macrocytose peut exister sans mégaloblastose.

Points Forts à comprendre

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Actions cellulaires coordonnées et points d’impact de la vitamine B12 et de l’acide folique (AF) [schéma simplifié].dUMP : déoxyuridine monophosphate ; dTTP : déoxythymidine triphosphate ; -CH3 : radical méthyl ; THF4 : tétrahydrofolate.

1

Elles sont produites par les bactéries du côlon mais nepeuvent y être absorbées ; la source principale est alimentaire : la vitamine B12 est liée aux protéines animales. Elle est retrouvée en grande quantité dans lefoie, les reins, les muscles. Elle est absente des végétaux.Les besoins quotidiens sont modestes : 0,1 à 1 µg/j.L’apport d’un régime standard occidental est largementexcédentaire : 20 µg/j. Les stocks d’un homme adultesont de 3 000 µg.Ainsi s’explique le nécessaire délai de 5 à 6 ans avantque ne se crée une carence vraie avec épuisement desstocks tissulaires de vitamine B12, une fois qu’a débutéle déficit.

2. AbsorptionLes protéases et le ClH du suc gastrique coupent la liaison entre la vitamine B12 et les protéines alimentaires.La seule diminution de l’acidité gastrique peut doncinduire une carence fruste (retrouvée dans les gastritesdes personnes âgées ou même lors de traitements anti-acides). Les cobalamines sont ensuite liées à uneprotéine R salivaire dans l’estomac ; arrivées dans leduodénum, elles en sont détachées en pH basique grâceaux sucs pancréatiques. Elles sont ensuite transféréessur le facteur intrinsèque, glycoprotéine sécrétée par lescellules pariétales du fundus gastrique. La sécrétion estaugmentée par l’histamine ou la pentagastrine (celle duClH également).Attachée au facteur intrinsèque, ce n’est que dans l’iléonqu’elle est absorbée. À la surface des cellules de lamuqueuse iléale existe un récepteur qui fixe l’ensemblefacteur intrinsèque + vitamine B12 ensuite internalisé

par la cellule ; la vitamine B12 y est séparée du facteurintrinsèque ; elle s’attache à une protéine de transport, latranscobalamine II (TC II). La TC II transporte la vita-mine B12 jusqu’aux sites de stockage (foie, rate, reins,cœur) et d’utilisation (cellules souches de la lignée myéloïde). D’autres transcobalamines comme la TC IIIservent au stockage tissulaire.

Métabolisme de l’acide folique

On regroupe, sous le nom d’acide folique, l’acide ptéroyl-glutamique et ses homologues. Il est contenu dans lesfeuilles des végétaux, d’où son nom (folia), mais aussidans les levures, le foie et les reins où il est gardé enréserve, le lait de vache et ses dérivés, le lait maternel.Substance thermolabile, il disparaît lors d’une cuissontrop prolongée.Les besoins quotidiens sont de 50 µg/j ; un régime occi-dental en contient 200 µg environ. Les stocks humainsadultes sont suffisants pour assurer les besoins pour unedurée de 21 j en cas de carence totale (contre 5-6 anspour la vitamine B12).L’absorption digestive de l’acide folique alimentaire seproduit dans le jéjunum une fois les polyglutamatestransformés en monoglutamates. L’absorption est rapideet optimale pour le THF4. La cellule jéjunale rapidementtraversée, le THF4 circule librement dans le plasma jusqu’au foie où, après avoir subi une excrétion biliaireavec réabsorption digestive, il est définitivement stockéainsi que dans les globules rouges où l’on sait le doser.On peut ainsi connaître les réserves vraies de l’organisme,bien plus fidèlement qu’avec un simple dosage sérique.

A N É M I E S M A C R O C Y T A I R E S D E L ’ A D U L T E

2060 L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

dUMP

Méthyl-folate

dUMP

-CH3

ADN(cellules myéloïdes

et épithéliales)

Méthionine

Homocystéine

SAM

-CH3

-CH3

THF4 (AF)

Méthyl-cobalamine (vitamine B12)

Myéline(neurones)

Page 39: La Revue Du Praticien-Hématologie

Anémies macrocytaires et mégaloblastiques

1. Carences en vitamine B12• Pathologie gastrique :– maladie de Biermer (MB) : elle touche plus volontiers

les femmes de plus de 60 ans. Une gastrite atrophique,acquise et définitive, cause initiale de tous les troublesressentis est déclenchée par un processus auto-immun.Dans le sérum et le suc gastrique de ces malades, onretrouve des auto-anticorps (AAC) anti-cellules pariétalesgastriques et anti-facteur intrinsèque. Les auto-anticorpsanti-cellules pariétales gastriques sont dirigés contreune ATPase de la pompe à protons située dans la paroide ces cellules ; ils peuvent induire une gastrite chezdes souris à qui on les injecte. Les auto-anticorps anti-facteur intrinsèque bloquent l’activité du facteurintrinsèque ; il y a donc diminution de sécrétion dufacteur intrinsèque et blocage de son activité.Achlorhydrie et absence de facteur intrinsèque s’addi-tionnent pour bloquer l’absorption de la vitamine B12 ;

– gastrectomie : totale (et non partielle), elle reproduit,5 à 6 ans après sa réalisation, les effets de la gastrite dela maladie de Biermer avec, en plus, une carence enfer ;

– syndrome de Zollinger-Ellison : l’excès d’acidité gas-trique empêche l’action du suc pancréatique pour couper la liaison B12-protéine R ;

– gastrite atrophique banale des personnes âgées : unecarence modérée en vitamine B12 est parfois constatée.

• Insuffisance pancréatique externe :elle diminuel’absorption de la vitamine B12 mais trop peu pour causer une mégaloblastose vraie.

Macrocytoses non mégaloblastiques

• Macrocytose liée à une stimulation excessive desérythroblastes :une augmentation de l’érythropoïèsepar excès d’érythropoïétine (EPO) entraîne une macro-cytose par diminution du nombre de mitoses : macro-cytose des hémolyses chroniques et autres anémiesrégénératives.• Macrocytose de l’alcoolisme chronique :cette macro-cytose se produit en dehors de toute carence en acidefolique ou de toute hépatopathie sévère. On évoque uneaction cellulaire directe de l’alcool sur les érythroblastes(vacuolisation du cytoplasme). Elle est isolée, sans anémie. • Macrocytose des cirrhoses et des ictères rétention-nels sévères :il y a altération de la membrane phospho-lipidique du globule rouge liée à des perturbations dumétabolisme du cholestérol.• Macrocytose des hypothyroïdies :le ralentissement del’érythropoïèse par défaut de thyroxine en est la cause. • Macrocytose des myélodysplasies acquises primitives :une anomalie de l’ADN des cellules souches avec ralentis-sement de la division cellulaire en est la cause probable.• Macrocytose due à des médicaments n’ayant pasd’action sur l’acide folique ou la vitamine B12:l’hydroxy-urée, la cytosine-arabinoside ou la 6-mercaptopurinemodifient la duplication de l’ADN, ralentissent et diminuentle nombre de mitoses entraînant une anémie macrocytaire.

Causes (fig. 2)

Nous ne traiterons pas les anémies macrocytaires congé-nitales, habituellement diagnostiquées dès l’enfance.

Hématologie

2061L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

Arbre de décision d’une anémie macrocytaire.2

Anémie macrocytaire

Myélogramme Réticulocytes

Myélogramme Réticulocytes

Dosage, B12, AF Réticulocytesaugmentés

Régénération(hémolyse)

Réticulocytesbas

B12

BiermerAutres

AF

Maladie digestiveRégime carencé

myélodysplasies

Myélogramme Réticulocytes

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• Affections iléales :dans l’iléon est absorbé le complexevitamine B12 + facteur intrinsèque. Certaines modificationsde cette partie du grêle entraînent une anémie macrocytaire :– résection chirurgicale ;– entérite régionale (maladie de Crohn) ;– bothriocéphales dans le grêle : absorption compétitive

de la vitamine B12 chez les mineurs finlandais ;– pullulation microbienne : consommation de la vitamine

B12 alimentaire par les bactéries et atrophie de lamuqueuse. Elle se voit dans les diverticuloses et lesrétrécissements importants du grêle, une anse borgneaprès chirurgie gastro-duodénale, la sprue tropicale,l’amylose.

• Par manque d’apport :un régime végétarien strict(sans œufs ni laitages) provoque en 5 à 6 ans une carenceprofonde en vitamine B12. Cette situation est rarementobservée en Europe.• Par effets secondaires médicamenteux :l’acide para-amino-salicylique (PAS), la néomycine, la colchicine,les biguanides, les anti-H2 au long cours ont été retrouvésdans ces causes ; le protoxyde d’azote a pu provoquerune carence aiguë.

2. Carences en acide folique• Par manque d’apport :– régimes carencés : une cuisson excessive des aliments,

une dénutrition provoquent en quelques semaines unecarence vraie en acide folique. La macrocytose et lamégaloblastose sont moins nettes que dans une mala-die de Biermer, en raison de carences associées : fer,protides, cuivre, zinc, cobalt, vitamine B6 ;

– alcoolisme : il ne peut à lui seul provoquer une anémiemacrocytaire (macrocytose isolée). La survenue d’uneanémie doit faire évoquer un déficit en acide foliqueou une cirrhose ;

– malades en réanimation prolongée ;– malades âgés : ils appartiennent à un groupe fortement

exposé à un tel risque (difficultés économiques,troubles masticatoires, dépendance, anorexie) ;

– grossesse : un régime de type occidental peut êtredéséquilibré lors de grossesses répétées, gémellaires,avec allaitement. La prescription systématique d’acidefolique à toutes les femmes enceintes est ainsi justifiée.Dans les pays en voie de développement, la grossesseest un facteur de risque important.

• Par défaut d’absorption digestive :– chirurgie d’exérèse du grêle ;– fistules digestives ;– maladie cœliaque : l’atrophie des cellules villositaires

intestinales rencontrée dans l’entéropathie au glutenaffecte le jéjunum, donc les sites d’absorption préféren-tielle de l’acide folique, mais aussi du fer, des protides ;

– sprue tropicale.• Par utilisation compétitive :– dans les hémolyses chroniques : l’acide folique est

consommé par les nombreux érythroblastes en division ;

– dans les maladies dermatologiques étendues desqua-matives : psoriasis.

• Par effets secondaires médicamenteux :– antifoliques : méthotrexate, pentamidine, pyrimétha-

mine, triamtérène, triméthoprime ; – inhibiteurs de l’absorption : sulfasalazine ;– mécanisme mal compris : hydantoïnes, contraceptifs

oraux œstroprogestatifs.

Anémies macrocytaires non mégaloblastiques

• Maladies graves du foie :les perturbations du cycleentéro-hépatique de l’acide folique diminuent sa biodispo-nibilité sans entraîner de carence au sens strict du terme.• Hypothyroïdie :la thyroxine intervient dans l’érythro-poïèse en synergie probable avec l’EPO.• Régénération efficace d’une anémie :un grand nombrede réticulocytes dont on connaît le volume globulairemoyen (VGM) supérieur à celui des globules rougesplus vieux pourrait en être une des raisons.• Cytostatiques :hydroxyurée, cytosine-arabinoside,cyclophosphamide.• Syndromes myélodysplasiques primitifs et acquis :lamacrocytose avec anémie y est pratiquement constantedans toutes ses formes. Les anomalies des érythroblastesont longtemps été confondues avec une mégaloblastose,à telle enseigne qu’ils étaient autrefois appelés « anémiesréfractaires » (au traitement par la vitamine B12 oul’acide folique). Les mutations géniques sont décisives ;la réduction du nombre de mitoses aboutit à la productiond’un macrocyte sans entraîner les anomalies morpho-logiques des mégaloblastes. On constate une érythro-poïèse inefficace par excès d’apoptose, comme dans lesanémies mégaloblastiques.

Diagnostic positif

Circonstances de diagnosticElles sont multiples :– manifestations de la série anémique avec dyspnée,

fatigue, progressives dans leur installation ;– amaigrissement et anorexie ;– diarrhée au long cours ;– troubles de la marche, maladresse manuelle ;– maladie d’allure psychiatrique avec perte de mémoire,

désorientation, faisant évoquer chez une personneâgée une démence sénile ;

– fièvre avec ou sans infection ;– très souvent, une découverte fortuite à l’occasion d’un

hémogramme systématique.

Confirmation du diagnostic par un hémogramme

L’hémoglobine (Hb) inférieure à 12 g/100 mL chez unefemme et à 13 g/100 mL chez un homme atteste la présence d’une anémie.Le volume globulaire moyen est supérieur à 98-100 fl etpeut atteindre 160 fl : cette macrocytose est confirméepar l’examen de la lame de sang.

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folique ou de la vitamine B12 sont faussés. Il persistecependant des anomalies leucocytaires pendant 2semaines ;

– des formes où macrocytose et mégaloblastose sontmasquées par une carence en fer : dans cette association,la microcytose domine et cède la place à une macrocy-tose après thérapeutique martiale.

Dans une thalassémie, la microcytose congénitaleempêche l’apparition d’une macrocytose.

2. Maladie de Biermer• Manifestations cliniques :un amaigrissement avecanorexie souvent intense, élective pour les viandes, desselles molles, quelques vagues douleurs abdominalesdonnent un aspect de maladie digestive. Il s’y associeparfois une glossite (dite de Hunter). Si des petits signesneurologiques sont notés avec notamment une abolitionde la perception des vibrations du diapason, le diagnos-tic est fortement évocateur.• Anomalies hématologiques :typiques.• Dosage de la vitamine B12 sérique :les taux sontinférieurs à 100 pg/mL.• Gastrite atrophique :elle est visible par l’endoscopie(aires nacrées d’atrophie dans la région du fundus),prouvée par la biopsie de la muqueuse (disparition des

Avant toute thérapeutique intempestive

Il faut compléter les examens par une numération desréticulocytes, un myélogramme, un dosage de la vitamineB12 et de l’acide folique sérique et érythrocytaire.

Diagnostic différentiel Quelques artefacts peuvent faire croire à une macrocytose :dans le myélome, les rouleaux formés par des globulesrouges et dans des cryoglobulinémies des agglutinats deglobules rouges. L’examen de la lame redresse ce fauxdiagnostic.

Diagnostic étiologique

Anémies macrocytaires mégaloblastiques

1. Signes communs• Sur l’hémogramme :une anémie profonde qui peutatteindre 4 à 5 g/100 mL d’hémoglobine, une macrocytoseimportante à 130 fl et plus, avec réticulocytes bas ; c’estune anémie arégénérative. Les globules rouges sont groset ovalaires : macro-ovalocytes. Certains ont dans leurcytoplasme des inclusions : corps de Jolly et anneaux deCabot. Ils sont de taille et de coloration inégales (aniso-cytose et polychromatophilie). Les globules rouges sontbas avec une neutropénie ; les polynucléaires neutro-philes (PNN) ont des lobes nucléaires augmentés ennombre ; une thrombopénie est retrouvée avec souventune macroplaquettose visible.• Sur le myélogramme :richesse cellulaire importante,en particulier de la série érythroblastique. Ce sont en faitdes mégaloblastes (fig. 3 et 4). De grande taille, leurnoyau est fait d’une chromatine finement perlée ; lecytoplasme est bleu sombre, hyperbasophile dans lesstades les plus jeunes de la lignée. Ils se chargent correc-tement en hémoglobine aux stades ultimes de maturation.Le contraste entre un noyau qui reste anormalementjeune et un cytoplasme qui vieillit plus vite définitl’asynchronisme de maturation nucléo-cytoplasmique.On remarque également des anomalies de la lignéeblanche et plaquettaire : cellules de grande taille avecdes métamyélocytes aux noyaux allongés (métamyélocytesrubanés). Les mégacaryocytes sont de grande taille.Il y a donc un contraste entre la richesse de la moelle enprécurseurs des globules rouges et l’anémie arégénérative.Cela traduit l’érythropoïèse inefficace par avortementintramédullaire. • Certaines anomalies biochimiques rendent comptede cette mort cellulaire avec libération de leur contenudans le sérum : bilirubine indirecte et sidérémie aug-mentées par catabolisme de l’hémoglobine du cytoplasmemégaloblastique, lacticodéshydrogénases (LDH) trèsélevées (4 à 10 fois la normale) en raison d’une granderichesse des mégaloblastes en cette enzyme.• Quelques variations peuvent être décrites :– des formes décapitées par une thérapeutique intem-

pestive : la mégaloblastose disparaît en 24 h, les réticulo-cytes augmentent dès le 3e jour, les dosages de l’acide

Hématologie

2063L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

Érythroblastes normaux (flèches).3

Mégaloblastes basophiles (flèches).4

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cellules pariétales, atrophie de la muqueuse, présence decellules lymphoplasmocytaires dans le chorion muqueux).Elle est mise indirectement en évidence par un chimismegastrique (achlorhydrie pentagastrino-résistante, ditejadis histamino-résistante).• Malabsorption digestive de la vitamine B12 :elle estconfirmée par le test de Schilling ; de la vitamine B12marquée par du cobalt radioactif est donnée par voiebuccale après saturation des aires de stockage (1 000 µgd’hydroxocobalamine par voie intramusculaire 2 havant) ; les urines recueillies dans les 24 h qui suiventcontiennent peu de vitamine B12 ; il n’y a pas eu de passage digestif. Lors d’une épreuve refaite quelquesjours après avec de la vitamine B12 marquée et du facteur intrinsèque dans la même gélule, on obtient unenette ascension de la quantité de vitamine B12 dans lesurines ; l’absence de facteur intrinsèque est ainsi démontrée.• Des auto-anticorps divers sont retrouvés :anti-cellules pariétales gastriques (85 % des malades), anti-facteur intrinsèque (55 % des malades), anti-thyroïdiens,anticorps anti-nucléaires (ACAN), facteurs rhumatoïdes.• Une forme particulière où dominent les signes neuro-logiques parfois isolés :troubles de la marche avecsigne de Romberg et syndrome pyramidal ; ce tableau(sclérose combinée de la moelle) se voit comme premièremanifestation ou après un arrêt intempestif d’un traitementprescrit plusieurs années auparavant. La régression dessignes neurologiques à la reprise du traitement par lavitamine B12 est très imparfaite. On peut rencontrer desformes avec neuropathies périphériques sensitivo-motrices ou désordres psychiatriques purs.

3. Autres carences en vitamine B12Parmi les carences en B12, 30 % ne sont pas des maladiesde Biermer. La plupart des causes de ce chapitre sontévidentes dès l’interrogatoire : gastrectomie, chirurgiede l’iléon, régime aberrant.Deux erreurs peuvent être commises :– faire d’une gastrite banale celle d’une maladie deBiermer ; les personnes âgées ont des gastrites de toutela muqueuse gastrique, sans note dysimmunitaire, sansperturbation profonde de l’absorption de la vitamineB12, même si les taux sériques peuvent être bas ;– attribuer à une maladie de Biermer une diarrhéequiest en fait celle d’une maladie primitive de l’iléon :colite segmentaire, pullulation microbienne, fistulepost-chirurgicale.

4. Carences en acide foliqueL’interrogatoire permet d’évaluer l’apport quotidien enacide folique. La diarrhée au long cours et les troublesdigestifs font évoquer une malabsorption digestive :selles molles et abondantes, amaigrissement, petitsœdèmes des membres inférieurs par hypoalbuminémieprobable, douleurs osseuses des ostéomalacies.Les médicaments absorbés sont relevés.Le dosage de l’acide folique dans le sérum et les globulesrouges donne une idée des stocks de l’organisme à condi-tion de le réaliser avant toute prescription de ce produit.

Ce diagnostic doit être envisagé dans les anémiesmacrocytaires des femmes enceintes, des personnesâgées, des alcooliques ou des personnes ayant des difficultés socio-économiques.Pour les autres groupes de malades, le transit du grêle, larecherche de signes cliniques et biologiques de mal-absorption (calcémie, phosphatases alcalines, sidérémie,protides et albuminémie), la biopsie jéjunale, des copro-cultures, la recherche d’une stéatorrhée font partie du bilan.

Anémie macrocytaire non mégaloblastique

Nous avons vu la liste de ces causes. Celles qui posentun vrai problème de diagnostic sont les syndromes myélo-dysplasiques acquis et primitifs. Leur fréquence enEurope est beaucoup plus importante que celle descarences. Elles atteignent les personnes de plus de 60 ans.L’analyse cytologique de l’hémogramme et du myélo-gramme est décisive de même que l’absence de carenceen acide folique et en vitamine B12. • Sur l’hémogramme :anémie macrocytaire non régé-nérative, macrocytose sans ovalocytose ni polychromato-philie, parfois quelques érythroblastes circulants nonbasophiles, une neutropénie souvent importante, despolynucléaires neutrophiles avec des noyaux condensés,non segmentés en lobes (anomalie acquise dite dePelger-Huet), avec des granulations neutrophiles qui ontdisparu ; la thrombopénie est modérée.• Sur le myélogramme :l’érythroblastose peut êtreimportante mais la coloration de Perls qui évalue l’hémo-sidérine dans le cytoplasme montre une abondance degrains, regroupés en anneau autour du noyau (ring-sidéroblastes ou sidéroblastes de type 3). Lorsqu’ilsreprésentent plus de 40 % des érythroblastes, on parled’anémie sidéroblastique acquise. Un asynchronisme dematuration nucléo-cytoplasmique est noté mais c’est lenoyau qui vieillit plus vite que le cytoplasme, peu chargéen hémoglobine. Chez certains malades, le myélogrammecontient 5 à 20 % de petits myéloblastes peu différenciés :cette myélodysplasie est classée dans le groupe des ané-mies réfractaires avec excès de blastes (AREB). Lesmégacaryocytes de petite taille (micro-mégacaryocytes)sont différents des grandes cellules rencontrées dans lesanémies macrocytaires carentielles. Le caryotype, labiopsie de moelle servent à mieux définir diagnostic etpronostic : la transformation en leucémie aiguë estredoutable.

Traitement

Maladie de Biermer

1. MoyensLa vitamine B12 est disponible sous forme de cyano- ouhydroxocobalamine. On préfère cette dernière en raisond’une meilleure rétention tissulaire lors de chaque injec-tion : Vitamine B12 Aguettant, ampoules pour injectionintramusculaire à 100 µg/mL.

A N É M I E S M A C R O C Y T A I R E S D E L ’ A D U L T E

2064 L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

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Anémies macrocytaires des carences en acide folique

• Moyens :acide folique en comprimés : Speciafoldine5 mg ; acide folique en ampoule injectable intramusculaireou intraveineuse : Folinate de calcium Aguettant 5 mg.• Indications : l’administration de 1 cp/j suffit, y comprisquand la carence est due à une mauvaise absorptiondigestive. On réserve la voie parentérale aux maladesqui ne peuvent avaler les comprimés.Ces carences sont habituellement complexes, aussi faut-il également traiter les carences associées : fer, protides,zinc, vitamine B6…D’une façon générale, le traitement de la cause de lacarence est indispensable.Les indications des transfusions sont semblables à cellesformulées à propos de la maladie de Biermer.

Anémies macrocytaires non mégaloblastiques

Le seul problème concerne celui des myélodysplasies.Aucun traitement n’est régulièrement efficace. Lestransfusions de sang déleucocyté et phénotypé sont doncindispensables à partir du moment où l’hémoglobinepasse au-dessous de 8 g/100 mL, ou si cette anémie estcliniquement mal tolérée.Il est parfois constaté une efficacité de l’administrationd’EPO si les taux endogènes sont inférieurs à 500 UI/L.Les androgènes sont rarement efficaces. Ces maladiesétant assimilables à des leucémies aiguës, des protocolesexpérimentaux de chimiothérapie sont en cours d’éva-luation. ■

2. Indications

Les schémas d’administration sont multiples, mais tousinsistent sur :– une voie d’administration intramusculaire ;– un traitement à vie ;– l’inutilité de fortes doses (fuite urinaire due à la quantité

limitée de TC II disponible pour le transport sériquedu produit).

Nous utilisons les doses suivantes : 1 ampoule intramus-culaire tous les jours durant 7 jours, puis 1 toutes lessemaines durant 1 mois, puis 1 tous les mois la viedurant.• Résultats :en 24 h, les mégaloblastes disparaissent de la moelle, en 3 ou 4 j les réticulocytes commencent à augmenter, ils atteignent un pic vers le 6 ou 7e j (crise réticulocytaire). Durant 14 j persistent les anomalies des polynucléaires neutrophiles et les signesbiochimiques d’érythropoïèse inefficace (augmentationdes LDH et de la bilirubine indirecte) ; l’hémoglobineaugmente de 1 g/semaine, le volume globulaire moyenredevient normal en 1 mois. La glossite et la diarrhéedisparaissent rapidement, de même que l’altération del’état général.La gastrite et les troubles de l’absorption de la vitamineB12 ne disparaissent jamais, d’où la nécessité d’un trai-tement administré pour la vie. Cette gastrite est unelésion prénéoplasique : la fréquence des cancers gastriquesest augmentée et justifie la réalisation d’une fibroscopietous les 2 ans. On trouve également une fréquenceexcessive de gastrinomes en raison d’une gastrinémieréflexe élevée.Les transfusions de globules rouges sont réservées auxanémies sévères avec retentissement cardiovasculaire ;elles sont administrées prudemment (lentement et enpetites quantités quotidiennes) pour éviter une surchargevasculaire (risque d’œdème aigu du poumon).Le fer n’a que peu d’indications, à moins d’avoir mis enévidence une carence vraie associée.L’acide folique est contre-indiqué car il a provoqué l’apparition ou l’aggravation de manifestations neuro-logiques. Dans les très rares cas où l’administration intramuscu-laire est impossible, de fortes doses de vitamine B12 parvoie buccale peuvent vaincre la malabsorption iléale (1000 µg/j) : absorption par diffusion passive.

Autres carences en vitamine B12

En présence de régimes carencés, la vitamine B12 parvoie buccale (100 µg/j) permet d’attendre l’effet desconseils diététiques.Dans les gastrectomies totales, la vitamine B12 doit êtredonnée par voie intramusuclaire comme dans la maladiede Biermer, mais associée à du fer. Les pullulations microbiennes sont traitées par désinfec-tion intestinale.Un traitement de la maladie sous-jacente doit toujoursêtre entrepris.

Hématologie

2065L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

• Le diagnostic de maladie de Biermer ne peut se faire que sur une association d’anomalies :cliniques, gastriques, hématologiques,dysimmunitaires, et isotopiques (malabsorptionde la vitamine B12).

• Un traitement de maladie de Biermer ne doitjamais être arrêté.

• Les dosages de la vitamine B12 et de l’acidefolique doivent être effectués avant toute thérapeutique.

• L’interrogatoire est fondamental : alimentationet mode de vie, médicaments, alcool, troublesdigestifs.

• Le test thérapeutique par la vitamine B12 ne mérite pas ce qualificatif dans la maladie de Biermer.

• L’analyse cytologique des anomalies de l’hémogramme et du myélogramme est un moment essentiel du diagnostic.

• Un alcoolique anémique a une complication de sa maladie : dénutrition, cirrhose.

Points Forts à retenir

Page 44: La Revue Du Praticien-Hématologie

HématologieB 315

689L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

active les monocytes et, sans doute, les cellules endo-théliales déclenchant la production de facteur tissulairepar ces cellules et activant la voie extrinsèque de la coagulation. La thrombine (facteur IIa) se forme, elleactive à son tour les plaquettes. Dans la pathologiegynécologique, c’est parfois le passage du liquideamniotique dans la circulation qui peut activer la coa-gulation. Lors d’hémolyse aiguë, c’est la présence demembranes érythrocytaires associées au contenu érythrocytaire qui agit (tableau I).

Aspects physiopathologiques

Leur connaissance est indispensable pour formuler undiagnostic adapté et surtout adopter un traitement efficace (figure).Les coagulations intravasculaires disséminées sontcaractérisées par un déséquilibre entre une activationsystémique de l’hémostase et un défaut ou un déborde-ment des systèmes inhibiteurs de ce système à l’originede dépôts de fibrine dans la microcirculation entraînantun déficit fonctionnel de certains organes. Dans beaucoup de maladies, l’activation de la coagulationplasmatique est indirecte. Ainsi, dans les septicémies,c’est surtout l’endotoxine libérée par les bactéries qui

Coagulation intravasculairedisséminéeÉtiologie et diagnostic

PR Gérard POTRON

Laboratoire central d’hématologie, hôpital Robert-Debré, 51092 Reims Cedex.

• La coagulation intravasculaire disséminée(CIVD) peut être définie comme un syndromeacquis caractérisé par l’activation intravasculairede la coagulation et apparaissant dans de nombreuses pathologies : septicémies,traumatismes, brûlures, prééclampsie, cancers.

• Cela entraîne une symptomatologie très variéedans une gamme très large de gravité,accompagnée également de tableaux biologiquesvariés et donc de diagnostics difficiles pourtantimportants avant d’engager une thérapeutiqueadaptée. Celle-ci doit surtout tenter d’empêcherl’extension du mécanisme physiopathologique à l’origine de la coagulation intravasculaire disséminée et donc avant tout maîtriser la pathologie déclenchante.

• La terminologie utilisée dans cette pathologieest confuse. Coagulation intravasculaire disséminée et syndrome de réponse inflammatoiresystématique (SIRS) décrivent des conditionsphysiopathologiques voisines tandis que le syndrome de déficit multiple des organes(MODS) décrit le résultat de ce processus.

Points Forts à comprendre

❑ Endotoxine : monocytes et endothélium,libérant des cytokines

❑ Hémolyse (membranes + contenu) : hémostase

❑ Liquide amniotique : fibrinolyse et coagulation

❑ Enzymes (pancréatites) : coagulation, plaquettes

❑ Fragments cellulaires (écrasement – ischémies) :hémostase

Activateurs de l’hémostase dans les coagulations intravasculaires

disséminées

TABLEAU I

Simultanément, les systèmes inhibiteurs physiologiquesse trouvent amoindris. L’endotoxine, beaucoup de cytokines produites par la réaction inflammatoire leucocytaire inhibent la production endothéliale dethrombomoduline empêchant l’activation du systèmeprotéines C et S. L’antithrombine est « consommée »par sa participation rapide à l’inhibition des différentesenzymes de la coagulation mais également dégradée par les enzymes des leucocytes engagés dans la réponseinflammatoire.La production massive de cytokines en particulier d’origine leucocytaire (interleukine 6 [IL-6],tumournecrosis factor[TNF], IL-1) entraîne une réactioninflammatoire systémique.

Page 45: La Revue Du Praticien-Hématologie

La participation de la fibrinolyse est complexe : expéri-mentalement, on observe généralement une fibrinolyseprécoce puis rapidement une inhibition de cette fibrinolysepar libération endothéliale de plasminogen activatorinhibitor, PAI-1 empêchant l’activation de plasminogène.En clinique, une hyperfibrinolyse apparaît souvent duesoit au phénomène déclenchant (liquide amniotique)conséquence de l’activation de la coagulation, soit à laparticipation cellulaire de la réponse inflammatoire.L’activation de la coagulation entraîne des dépôts defibrine plus ou moins étendus dans toute la microcircu-lation mais plus volontiers dans certains organes ciblescomme les reins, le foie, les poumons, le cerveau dont lefonctionnement est gravement altéré. Cette activation dela coagulation entraîne par ailleurs un risque d’apparitionassociée de thromboses dans les grosses veines (tableau II).

Ces progrès ne doivent pas faire négliger ces phéno-mènes car une aggravation brutale due à un geste théra-peutique mal adapté peut brutalement déséquilibrer uneforme chronique.

Étiologie

Les infections bactériennes sont les plus souvent encause mais virus et parasites peuvent intervenir. La production de cytokines joue un rôle physiopatho-logique et aggrave le pronostic clinique.Les traumatismes agissent par passage du matériel tissulaire dans la circulation surtout si les cellules sont riches en facteur tissulaire comme par exemple lecerveau.

C O A G U L A T I O N I N T R A V A S C U L A I R E D I S S É M I N É E

690 L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

Diminution par consommation de :❑ facteurs de coagulation❑ plaquettes❑ inhibiteurs (anti-thrombine)

Inhibition des inhibiteurs (cytokines)❑ thrombomoduline + protéines C et S

Activation de fibrinolyse❑ réduction de fibrinogène❑ produits de dégradation inhibant l’hémostase

Thrombus dans la microcirculation❑ déficit de synthèse hépatique

Conséquences de l’activation de l’hémostase

TABLEAU II

L’activation de la coagulation transforme et doncconsomme des facteurs de la coagulation (d’où le termeparfois donné à ces syndromes de « coagulopathie parconsommation ») qui n’est pas compensée par une synthèse hépatique déficiente. La formation de thrombineactive les plaquettes entraînant une thrombopénie. Siune hyperfibrinolyse apparaît, du fibrinogène est dégradécomme d’ailleurs les facteurs labiles V et VIII. Le toutexplique l’apparition d’un syndrome hémorragique. Cette activation pathologique de l’hémostase est donctoujours secondaire à différentes maladies. Intervenirsur l’hémostase peut être utile mais beaucoup moins que de traiter la cause déclenchante voire, dans unepathologie donnée, d’en faire la prévention. C’est ce quiexplique que les dramatiques tableaux des descriptionsdes années 1960 ont presque totalement disparu.

Schéma physiopathologique des coagulations intra-vasculaires disséminées.

Pathologie déclenchante

Activationmonocytes

Inflammation aiguë+ cytokines

± endothélium

Déficitdes systèmes

inhibiteurs

Activation de la coagulation+ plaquettes

Dépôtsde fibrine

dans la micro-circulation

Défautsde fonctiond’organes

cibles

Activation de la

fibrinolyse

Consommation

Dégradationdes facteurs

de coagulationet plaquettes

Hémorragies

Formation de fibrine Réponse fibrinolytiqueinsuffisante

+

PAI-1+ déficit

de fibrinolyse

Page 46: La Revue Du Praticien-Hématologie

Les éléments qui conditionnent la clinique sont : lessymptômes liés à l’étiologie, les déficits des organes, lagravité du phénomène déclenchant, l’efficacité du traitement étiologique et de la réanimation, expliquant lenombre croissant de formes chroniques.• Les hémorragies,décrites comme très fréquentes (64 à 73 % des cas), ne sont que l’apanage des formesgraves. Elles sont essentiellement déclenchées par untraumatisme et plus simplement apparaissent aux pointsde ponction veineuse.• L’état de chocne s’observe que dans les formes trèsgraves.• L’atteinte pulmonaire est souvent révélée par la dyspnée. Le syndrome de micro-embolisme apparaîttrès rapidement après la lésion déclenchante et est dû enpartie à des thrombus de la microcirculation et à l’actiondes produits sécrétés localement par les leucocytes et lesplaquettes, avec constriction vasculaire et bronchique.Une hypertension pulmonaire et une augmentation de larésistance à l’air apparaissent. Si le phénomène inducteurdisparaît, la lésion régresse rapidement grâce à une fibri-nolyse locale. Si la pathologie persiste et que le tableauclinique s’aggrave, les microthrombus augmentent,associés à un œdème alvéolaire riche en protéines. Lesenzymes leucocytaires dégradent la membrane alvéolo-capillaire, aggravant encore l’insuffisance respiratoire.Ce syndrome micro-embolique pulmonaire est la causedes syndromes aigus des détresses respiratoires (SDRA)avec des images radiologiques d’infiltrats bilatéraux res-semblant à de la « laine de coton ». L’œdème riche enprotéine est peu sensible aux diurétiques. L’apportd’oxygène nécessite souvent une positive end expiratorypressure(PEEP).• L’atteinte rénaleest caractérisée par les dépôts defibrine dans les capillaires glomérulaires qui entraînentune oligurie souvent précédée de polyurie. Dans laforme typique, apparaissent des nécroses corticales bilatérales multiples avec hématurie micro- voiremacroscopique. Les formes à diurèse conservée sontplus rares. Les diurétiques sont peu ou pas efficaces etl’hémodialyse peut s’imposer. Les nécroses corticaleslaissent des séquelles plus ou moins importantes.• L’atteinte hépatiqueest souvent découverte biologi-quement sauf dysfonctionnement majeur. Elle aggraveles lésions de l’hémostase par défaut de synthèse desfacteurs et des inhibiteurs. Apparaissant généralementaprès les atteintes des autres organes, elle dure pluslongtemps.• Les thromboses de la microvascularisation cérébraleentraînent confusion et défaut de conscience. Dans les formes fulminantes peuvent apparaître des hémor-ragies méningées. Des signes neurologiques focauxpeuvent évoquer des hématomes intracrâniens oumédullaires.• La peauest le siège d’un purpura extensif nécrotiqued’abord rougeâtre puis noirâtre évoluant en quelquesjours vers des ulcérations profondes et se voit surtout auniveau des membres inférieurs et de l’abdomen. L’acro-cyanosisest une cyanose avec œdème douloureux

La participation des tumeurs solides est incomplè-tement comprise mais est fréquente lors de cancersmucosécrétants. Les cellules leucémiques et surtout les formes promyélocytaires agissent autant par leurfacteur tissulaire que par leur contenu enzymatique(tableau III).

Diagnostic

Éléments cliniques

Ils sont très variables et souvent dominés par l’élémentdéclenchant. Surtout, leur gravité est très variable. Leséléments décrits ici sont ceux des formes graves mais,de plus en plus souvent, on ne retrouve dans un contextepathologique que des perturbations biologiques.

Hématologie

691L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

Formes aiguës Formes chroniques

Médecine❑ Septicémies Cancers❑ Allergies Vascularites❑ Coups de chaleur Cirrhose hépatique❑ Transplantation Syndrome de détresse❑ Hépatite fulminante respiratoire de l’adulte❑ Leucémies Syndrome❑ Hypothermie de Kasabach-Merritt❑ Piqûres de serpents

Chirurgie❑ Polytraumatisme Transplantation d’organe❑ Lésions cérébrales Anévrismes aortiques❑ Circulation extracorporelle Tumeurs vasculaires❑ Embolie graisseuse

Obstétrique – Gynécologie – Néonatalogie❑ Embolie amniotique Gestation prolongée❑ Hématome rétro- Syndrome HELLP

placentaire Rétention d’œuf mortAvortement septiqueÉclampsie

Transfusion❑ Erreur de groupes Surfaces artificielles

sanguins❑ Allo-immunisation❑ Transfusion massive

Maladies pouvant entraîner une coagulation intravasculaire disséminée

TABLEAU III

HELLP : hæmolysis, elevated liver enzymes-low platelet count.D’après G. Müller-Berghans, 1999.

Page 47: La Revue Du Praticien-Hématologie

siégeant au niveau des doigts, des orteils, des oreilles etdu nez. Il peut évoluer soit vers la guérison soit vers unepolygangrène. Un purpura pétéchial apparaît quand lathrombopénie est inférieure à 50 g/L.• Les thromboses et les emboliesatteignent les plusgros troncs et ne sont pas l’apanage des formes graves.Les localisations sus-hépatiques ou rénales (parfoisdécrites) aggravent le pronostic.

Diagnostic biologique

Aucun test ou association de tests n’est assez sensibleou spécifique pour établir le diagnostic (voir :Pourapprofondir 1). La clinique et la biologie doivent êtreprises en considération.

1. Tests de dépistageLe temps de Quick (TQ) et le temps de céphaline + activateur (TCA) sont faciles à obtenir rapidement etsont aisément renouvelables. Ils sont inconstammentanormaux sauf dans les formes graves.La numération plaquettaire est un élément essentiel etdoit pouvoir apprécier non seulement le taux absolu deplaquettes et donc le risque hémorragique, mais aussil’abaissement plus ou moins rapide des plaquettes enrenouvelant les numérations. À l’inverse, une stabilisationdes valeurs témoigne de l’arrêt de la formation dethrombine.Sauf dans les formes d’emblée grave, la recherche d’uneaggravation des anomalies a plus d’intérêt que la miseen évidence d’une anomalie.Les tests de dépistage faciles à obtenir constituent labase du diagnostic. Les témoins de l’activation de l’hémostase sont utiles dans les formes chroniques (parfois cliniquement muettes).

2. Dosage des facteursLes facteurs V, X, VII sont aisément dosés et leur évolution témoigne de celle du processus mais aussi durisque hémorragique.Le dosage des inhibiteurs (antithrombine, protéines C et S)n’a d’intérêt que dans certaines formes chroniques dediagnostic difficile.L’abaissement du fibrinogène, qui nécessite un suiviévolutif, peut être le témoin de la consommation commede la fibrinolyse et du défaut ou de l’excès de sa synthèsepar le foie.

3. Témoins de l’activation de la coagulationL’augmentation des fragments 1 + 2 de la prothrombine(F1+2), du complexe thrombine-antithrombine (TAT) nesont pas spécifiques et peuvent être d’origine extravasculaire.La fibrine soluble serait uniquement formée en intra-vasculaire et son dosage plus spécifique.

4. Témoins de la réponse fibrinolytique L’augmentation des produits de dégradation de la fibrine(PDF) est moins spécifique que celle des D-dimères quicependant augmentent dans de nombreuses maladies

(thromboses veineuses ou artérielles, hématomes etc.).Leur accumulation peut dépendre soit de l’excès de production soit du défaut d’élimination (insuffisanceshépatique et rénale).Dans les formes chroniques et de diagnostic difficile, lesuivi de l’abaissement du plasminogène ou de l’α2-anti-plasmine peut avoir un intérêt mais n’est réalisé quedans les laboratoires spécialisés.

5. Conséquence des dépôts intravasculaires de fibrineIls entraînent la formation de fragments érythrocytairesou schizocytes, faciles à reconnaître sur lame et même àcompter. ■

C O A G U L A T I O N I N T R A V A S C U L A I R E D I S S É M I N É E

692 L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

1 / Différents tableaux biologiques

Phase I

Forme compensée sans signes cliniques : – temps de Quick et temps de céphaline + activateur : voisins de la

normale ou normaux ;– plaquettes normales ;– fibrinogène normal ou augmenté (excès de synthèse = inflammation) ;– augmentation modérée des TAT, F1+2, inconstamment de la fibrine

soluble ;– schizocytes rares ou absents.

Phase II

Forme décompensée avec hémorragie provoquée ou au point deponction et diminution de la fonction de certains organes (reins, poumons) :– temps de Quick et temps de céphaline + activateur : plus ou moins

allongés ;– abaissement continu des plaquettes, du fibrinogène, des facteurs de

la coagulation et des plaquettes ;– augmentation des TAT, F1+2, de la fibrine soluble ;– schizocytes.

Phase III

Formes graves avec hémorragies, déficiences d’organes :– temps de Quick et temps de céphaline + activateur : allongés ou

incoagulables ;– effondrement des plaquettes, des facteurs, du fibrinogène ;– abaissement des inhibiteurs ;– augmentation des PDF et des D-dimères. Abaissement du plasmi-

nogène et de l’α2-antiplasmine ;– forte augmentation des TAT, F1+2 et de la fibrine soluble ;– nombreux schizocytes.

2 / Les bases du traitement

Traitement de la pathologie en cause

C’est évidemment la base essentielle du traitement. Un traitementantibiotique efficace et une réanimation adaptée seront plus efficacesque les modificateurs de l’hémostase. C’est grâce à l’amélioration deces traitements et de la prise en charge en réanimation que lesgrandes coagulations intravasculaires disséminées dramatiques sontdevenues plus rares et les formes biologiques pures plus fréquentes.

POUR APPROFONDIR

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Hématologie

693L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

Modificateurs de l’hémostase

Leur utilisation en pratique ne fait pas encore l’objet de stratégieconsensuelle et nous manquons d’essais cliniques bien conduits tant ilest difficile d’établir des groupes homogènes de patients.L’établissement par les auteurs japonais d’un score clinico-biologiqueest cependant une option particulièrement intéressante.

Substitution plaquettaire ou plasmatiqueL’indication ne doit pas en être basée seulement sur des éléments biologiques où domine l’hémogramme mais sur des éléments cliniquesou chez des patients devant subir une intervention ou dans une autresituation à risque hémorragique grave. Cette substitution est logiquemais n’a cependant pas fait l’objet d’une confirmation par un essai clinique contrôlé. Une étude chez les nouveau-nés comparant l’apportde plasma et de plaquettes versus exsanguino-transfusion versus pasde traitement substitutif n’a pas montré d’amélioration de la survie etde l’évolution de l’affection. En revanche, l’apport de plaquettes estprobablement efficace dans les coagulations intravasculaires disséminéeslors de leucémies promyélocytaires.Pour être efficace, le volume de plasma doit être suffisant et tenircompte du volume plasmatique du patient et de son taux de facteur.L’apport de prothrombine, pro-convertine, facteur Stuart et antihémo-philique B (PPSB) est contre-indiqué car, contenant des facteurs acti-vés, il peut relancer la coagulation et ne contient que quelques fac-teurs et peu d’inhibiteurs dont a pourtant besoin le patient.L’hypothèse que ces substitutions peuvent apporter «de l’huile sur le feu»et aggraver la coagulation intravasculaire disséminée n’a jamais étédémontrée.Les traitements substitutifs reposent en fonction de la biologie sur lesconcentrés plaquettaires, éventuellement le plasma frais congelé.L’apport d’inhibiteurs est sans doute particulièrement utile (mais àvalider par essais cliniques) : antithrombine-protéine C.

Traitements anticoagulantsSi l’héparine est capable d’inhiber l’activation de la coagulation expéri-mentalement développée chez l’animal, nous manquons de démons-trations cliniques pour argumenter sa prescription systématique. Sonadministration n’est justifiée que si le taux de facteurs ou de plaquettescirculantes est suffisant ou nécessite préalablement une substitution.Les posologies seront toujours très faibles, plutôt en administrationintraveineuse. Des posologies plus fortes ont été proposées pour lespurpuras fulminans et les nécroses en nappe.Après plusieurs essais non randomisés, un essai a comparé une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) à une héparine non frac-tionnée. Les résultats ont été comparables mais avec une améliorationdes hémorragies et des déficits fonctionnels des organes. De faibles doses d’héparine et surtout d’héparine de bas poids molé-culaire peuvent avoir un intérêt dans la prévention des thrombosesdes gros troncs mais leur place réelle reste discutée et leur indicationpeu standardisée.Les traitements hépariniques ne sont jamais présents systématique-ment, toujours à faible posologie et avec une surveillance biologiquestricte, le plus souvent seulement après substitution.L’héparine n’étant active que par l’antithrombine qui est basse en casde coagulation intravasculaire disséminée, certains ont proposé l’hiru-dine (non dépendante de l’antithrombine) avec des résultats intéres-sants. Cependant, l’absence d’antidote, les difficultés actuelles de suivide cette molécule doivent rendre prudent face à un réel risquehémorragique dû à cette molécule.De nouvelles molécules modificatrices de l’hémostase sont en cours d’étude : inhibiteur des facteurs VIIa et Xa, tissue factor pathwayinhibitor (TFPI)…

Concentrés d’inhibiteursConstituant l’un des inhibiteurs les plus importants physiologi-quement et purifié depuis longtemps, l’antithrombine a fait l’objet de plusieurs essais cliniques avec des résultats favorables lors de septicémies. Bien que les doses administrées soient très variables, une méta-analyse montre une réduction de mortalité avec un odds ratiode 0,58. Il est cependant probable qu’il soit nécessaire d’obtenir destaux plasmatiques supérieurs à 100 % et donc d’administrer de fortesquantités d’un produit coûteux, sans doute à réserver aux formesgraves avec risque vital.Purifiée plus récemment, la protéine C est également active dans lescoagulations intravasculaires disséminées expérimentales. Plusieursessais cliniques semblent en montrer l’efficacité mais un essai contrôlémanque.Beaucoup de coagulations intravasculaires disséminées sont clinique-ment muettes et bien compensées. Un acte thérapeutique peut lesdéséquilibrer : chirurgie d’un cancer, levée d’une ischémie, apport deproduits activateurs de l’hémostase (type PPSB).

AntifibrinolytiquesLes inhibiteurs homologues de la lysine (Exacyl, Spotof : acide tranexa-mique) sont généralement contre-indiqués car empêchant l’activationdu plasminogène à la surface de la fibrine, ils rendent peu sensibles les nouveaux dépôts de fibrine à la dégradation par la fibrinolyse. Lalibération des capillaires des organes devient difficile et en particulierlors d’insuffisance rénale.Deux essais déjà anciens ont cependant été proposés lors de leucémiespromyélocytaires ou de coagulations intravasculaires disséminéessecondaires à des cancers.Par contre, des antiplasmines telles l’aprotinine (Antagosan, Trasylol)entraînent peu de risque à long terme et peuvent être employées encas de fibrinolyse dominante observée par exemple dans les embolesdu liquide amniotique. L’indication n’est justifiée que sur des critèresbiologiques et alors que les traitements étiologiques et substitutifss’avèrent inefficaces.

POUR APPROFONDIR (suite)

• Les coagulations intravasculaires disséminéessont secondaires à des causes variées.

• Elles entraînent une symptomatologie variée et une biologie complexe (compliquée par lesconséquences des thrombus microcirculatoires :déficits fonctionnels d’organes).

• Le diagnostic nécessite une bonne compréhensionphysiopathologique.

• La meilleure prise en charge des causes a réduitles formes graves.

• Le traitement est surtout étiologique avec pour les formes graves une substitutionpar plaquettes, plasma frais, inhibiteurs.L’héparine doit être envisagée avec une grandeprudence (voir : Pour approfondir 2).

Points Forts à retenir

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Médecine interneA 71

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immatures et à migration erratique, peuvent induire desréactions inflammatoires locales, diffuses et sévères, etprovoquer des hyperéosinophilies massives (syndromede larva migransviscérale). L’hyperéosinophilie estégalement très élevée lors de la phase invasive des hel-minthiases. Elle est alors liée aux effets des médiateursde la réponse inflammatoire consécutive à la phase demigration larvaire dans les tissus (rôle des cytokines,voir : Pour approfondir 1). En revanche, cette hyperéosi-nophilie peut être modérée (0,5 à 1 x 109/L), voireabsente, à la phase d’état puis à la phase chronique del’infection ou encore lorsqu’un organe creux (tubedigestif) constitue la niche écologique du parasite. En dehors des parasitoses et hormis l’aspergillose broncho-pulmonaire allergique (ABPA), les autres casd’hyperéosinophilie postinfectieuses sont rares, souventmodérées, et transitoires. Une hyperéosinophilie asso-ciée à une infection doit faire rechercher un éventueldéficit immunitaire ou une réaction d’hypersensibilitéfaisant suite à un traitement antibiotique.

Éléments d’orientation

1. Aspect de l’hyperéosinophilie sanguine

Elle peut être fluctuante (classique « courbe en archet »de Lavier) avec une ascension majeure (distomatosehépatique, ascaridiose, ankylostomose, filarioses,bilharzioses) ou plus modérée (oxyurose), suivie d’unedécroissance plus ou moins rapide de l’hyperéosinophilieavec ou sans normalisation du taux d’éosinophiles san-guins. Elle peut être persistante (réinfestation) et massive(trichinose, toxocarose, poumon éosinophile tropical ousyndrome de Weingarten), ou cyclique et oscillante(anguillulose : cycle interne d’auto-infestation).

2. Données ethno-géographiques Les notions de sites à risque pour les autochtones et deséjours à l’étranger, brefs ou anciens, doivent être prisesen considération. Si le sujet a séjourné en pays tropical,4 affections principales doivent être évoquées : bil-harzioses, filarioses, ankylostomose et anguillulose(tableau I). Si le sujet n’a pas quitté la France métropoli-taine, on doit rechercher en priorité devant une hyper-éosinophilie élevée : une distomatose hépatique àFasciola hepatica, une ascaridiose, une toxocarose, unetrichinose (tableau II).

Hyperéosinophilies parasitaires

Une infection parasitaire, surtout liée aux helminthes,est la première cause à évoquer devant une hyperéosino-philie.1 Celle-ci peut être associée à une hyperleucocytoseet surtout à une augmentation des IgE sériques. L’hyper-éosinophilie est souvent importante (> 1 x 109/L),notamment lorsqu’il s’agit d’une impasse parasitaire(infestation accidentelle de l’homme par des parasitesd’animaux qui restent à l’état larvaire, exemple deToxocara canis). Ces larves d’helminthes « égarées »,

HyperéosinophilieOrientation diagnostique

PR Lionel PRIN, DR Sylvain DUBUCQUOI, DR Anne-Sophie ROUMIER

Service d’immunologie, CHRU de Lille, 59037 Lille Cedex.

• Une hyperéosinophilie sanguine est définie par un nombre de polynucléaires éosinophilescirculants excédant le chiffre de 0,5x 109/L.Elle peut être associée à un afflux d’éosinophilesdans les tissus. Il est important d’en apprécierl’ancienneté et la courbe évolutive dans le temps. C’est un signe biologique fréquent, souvent précieux pour guider l’enquêteétiologique qui bénéficie ainsi de l’étroite collaboration entre le clinicien et le biologiste.L’anamnèse et les premiers examens cliniques et paracliniques permettent le plussouvent d’établir le diagnostic et de traiterla cause de l’hyperéosinophilie. Celle-ci est souvent d’origine parasitaire, allergiqueou médicamenteuse.

• L’hyperéosinophilie est aussi associée à de très nombreuses autres affections,et son exploration est parfois longue et difficile.Elle peut apparaître au premier plan comme un élément caractéristique de la maladie(manifestations cliniques associées à une hyperéosinophilie tissulaire, syndromed’hyperéosinophilie essentielle), ou au contrairen’être qu’un épiphénomène associé à des affections variées (hyperéosinophiliecontingentes).

• L’origine de l’hyperéosinophilie reste parfoisindéterminée, et son caractère persistantdevient alors préoccupant (risques de lésionscardiaques par exemple).

Points Forts à comprendre

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3. Mode de vie

Il permet également d’orienter le diagnostic. On doits’intéresser en particulier aux conditions d’hygiènecomme le contact avec des animaux (notion de géopha-gie chez l’enfant avec l’exemple de la toxocarose ; laparasitose liée au péril fécal avec l’exemple de la tricho-céphalose) ou les bains en eaux douces (bilharzioses) ;aux habitudes alimentaires comme l’ingestion de végétauxcontaminants (tels le cresson, avec l’exemple de la disto-matose hépatique) ; l’ingestion d’aliments ou d’eauxsouillés (exemples de l’ascaridiose et de l’hydatidose) ; laconsommation de viande peu cuite ou crue de porc ou decheval (trichinose), de viande peu cuite de bœuf (tæniaseà Tænia saginata), ou de harengs crus (anisakiase).

4. Manifestations respiratoires

Elles peuvent être évocatrices, tel le syndrome deLöffler (migration de larves à travers le parenchyme pul-monaire à l’origine d’infiltrats labiles sur les clichésradiologiques : exemples de la toxocarose, de l’ascari-diose, de l’ankylostomose). Un tableau de fièvre avecaltération de l’état général, précédant un syndromebronchique, voire le développement d’une fibrose endo-myocardique, évoquent un poumon éosinophile tropical

H Y P E R É O S I N O P H I L I E

996 L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

Invasion Phase d’état

FilariosesHyperéosinophilie +++ Sérologie ++Sérologie ++ Recherche

de microfilaires +++– microfilaires sanguicoles

à midi :Loa loa– microfilaires sanguicoles à

minuit : filariose lymphatique – microfilaires d’Onchocerca

olvulus: biopsie cutanée exsangue

BilharziosesHyperéosinophilie +++ Sérologie ++Sérologie +++ Urines +++ et biopsie rectale :

œufs de Schistosoma hæmatobiumSelles et biopsie rectale :œufs de Schistosoma mansoni

AnguilluloseHyperéosinophilie +++ Hyperéosinophilie fluctuanteSérologie ± Selles +++ (larves, méthode

de Baermann)

AnkylostomoseHyperéosinophilie +++ Selles +++ (œufs et larves)sérologie ±

Poumon éosinophile tropicalHyperéosinophilie ++ Sérologie filarienne ++

CysticercoseHyperéosinophilie ± Sérologie +Sérologie +++ Biopsie musculaire

(larves enkystées)

Distomatoses exotiquesHyperéosinophilie ± Selles +++ (œufs)Sérologie ±

Invasion Phase d’état

Distomatose à Fasciola hepaticaHyperéosinophilie +++ Sérologie ++Sérologie +++ Examen des selles ± (œufs,

détectées après le 3e mois)

ToxocaroseHyperéosinophilie +++ Hyperéosinophilie +++Sérologie +++ Sérologie +++

Trichinose (épidémies)Hyperéosinophilie +++ Hyperéosinophilie +++Sérologie +++ Sérologie +++

Dosage des CPKBiopsie musculaire (larves détectées après la 3e semaine)

AscaridioseHyperéosinophilie +++ Examen des selles Sérologie ± (œufs – vers adultes détectés

après le 2e mois) +++

Tæniase à Tænia saginataHyperéosinophilie + Examen des selles Sérologie ± Examen des anneaux +++

HydatidoseHyperéosinophilie ± Sérologie ++Sérologie +++

Trichocéphalose (rare en France)Hyperéosinophilie + Examen des selles (œufs)

OxyuroseHyperéosinophilie + Selles (vers adultes)

Scotch test (œufs) +++

AnisakiaseHyperéosinophilie ± Diagnostic endoscopiqueSérologie ± et histopathologique (larves)

Échinococcose alvéolaire (Est de la France)Hyperéosinophilie + Sérologie +++Sérologie +++

Tests biologiques à réaliser dans le cadre des parasitoses

autochtones

TABLEAU II

Tests biologiques à réaliser dans le cadre des principales

parasitoses tropicales

TABLEAU I

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Hyperéosinophilie et allergie

Il s’agit d’une hyperéosinophilie liée à une réactiond’hypersensibilité dépendant des IgE vis-à-vis de diffé-rents allergènes (aéroallergènes, allergènes alimentaires,venins d’hyménoptères, mais aussi certains médica-ments).

Éléments d’orientation

Au cours des processus allergiques, l’hyperéosinophilieest souvent modérée (0,5 à 1 x 109/L), voire absente(disparition lors des infections bactériennes inter-currentes). Elle peut être associée à une élévation,inconstante et rarement importante, des taux sériquesdes IgE totales. Les données de l’anamnèse (antécédentsd’atopie) et le contexte clinique (asthme, rhinite,conjonctivite, dermatite atopique, urticaire) sont souvent très évocateurs.

Examens complémentaires

Le bilan allergologique confirme le diagnostic et orientela conduite à tenir. L’interrogatoire guide les choix pourla réalisation des tests cutanés vis-à-vis de différentsallergènes (pollens, acariens, moisissures, phanèresd’animaux). Ces tests cutanés (prick tests) demeurentl’examen clé de l’enquête étiologique. Si nécessaire, lesdosages des IgE sériques totales et surtout des IgEsériques spécifiques sont demandés en tenant comptedes éléments d’orientation diagnostique antérieurs.L’intérêt de tests complémentaires évaluant la libérationde médiateurs (histaminémie, tests d’histamino-libération)est discuté.

Hyperéosinophilie iatrogéniqueDe nombreux médicaments peuvent induire une hyper-éosinophilie (tableau III) : héparine sous-cutanée, sulfa-mides, sels d’or, mais aussi psychotropes, hypo-glycémiants oraux, cytolytiques et cytostatiques,antibiotiques et antifungiques, antalgiques et anti-inflammatoires. L’hyperéosinophilie est de niveauvariable, souvent retardée par rapport à la prise du médi-cament. Elle peut être d’origine allergique (pénicillines,sulfamides), comme nous l’avons précédemment évoqué.Elle peut aussi dépendre de réactions « pseudo-allergiques » liées à une histamino-libération nondépendante des IgE (anesthésiques généraux, vancomy-cine) ou à une activation du complément (produits decontraste iodés utilisés en radiologie). Certains facteursfavorisants ont été incriminés (acétyleur lent ou rapide,insuffisance hépatique ou rénale…). Des facteurs decroissance (GM-CSF pour granulocyte macrophagecolony stimulating factor) ou des cytokines (IL-2 pourinterleukine 2), utilisés en thérapeutique, peuvent induiredes hyperéosinophilies massives avec activation deséosinophiles, aux conséquences parfois sévères (cardio-pathies, voir :Pour approfondir 2). Une hyperéosinophilie

ou syndrome de Weingarten. Celui-ci serait lié à un étatd’hypersensibilité vis-à-vis de microfilaires. La surve-nue de douleurs thoraciques, avec toux, expectoration « rouillée » liée à la présence de sang et d’œufs rou-geâtres, est très évocatrice de la distomatose pulmonaireou paragonimose.

5. Manifestations cutanées ou musculaires Les signes sont évocateurs devant un prurit anal vespéral(oxyurose), des signes de larva currens cutanée(anguillulose), de « gale » filarienne avec nodules(onchocercose), de prurit avec œdèmes migratoires(œdème fugace de Calabar dans la loase), de myalgiesisolées (cysticercose) ou associées à un œdème (trichi-nose), de tuméfaction sous-cutanée avec extériorisationà la peau d’une larve (myiase), de lymphangite avec éléphantiasis (filariose lymphatique).

6. Signes hépatodigestifs Ils peuvent évoquer une tumeur hépatique (hépatomégaliede l’hydatidose, avec le risque d’infection ou de rupturede kyste), une angiocholite (distomatose hépatique), uneduodénite (anguillulose, ankylostomose), ou des signesintestinaux variés (tæniase, bilharziose intestinale,distomatose intestinale, trichocéphalose), voire un granulome éosinophile intestinal (anisakiase).

7. Signes neuroméningés ou oculaires Il s’agit de signes d’atteinte cérébrale (hydatidose),d’épilepsie (cysticercose), de méningite à éosinophiles(angiostrongylose à Angiostrongylus cantonensis),d’atteintes oculaires (filarioses). Devant de telles mani-festations, d’autres parasitoses doivent également êtrerecherchées, notamment la toxocarose, la myiase.

8. Signes urogénitaux Devant une hématurie, une hydronéphrose, on évoque labilharziose urinaire. Ces signes peuvent être associés àune atteinte génitale dans la filariose lymphatique.

Examens complémentaires

En l’absence d’éléments évocateurs ou pour confirmerle diagnostic, les examens paracliniques suivants sontpratiqués. Le sérodiagnostic parasitaire est souvent trèsutile, notamment à la phase précoce de l’invasion tissu-laire (réponse anticorps, réponse éosinophile) surtoutquand il s’agit d’une impasse parasitaire. Dans desdélais retardés, souvent de plusieurs semaines, les examens répétés des selles, réalisés à la phase d’état,permettent la mise en évidence d’œufs ou de larves (diagnostic rétrospectif). Certaines explorations plusspécifiques sont parfois indispensables (tableaux I et II).Si l’enquête parasitologique demeure infructueuse, untraitement antihelminthique d’épreuve, réalisé sous sur-veillance (suivi de l’hyperéosinophilie) peut être proposé.En revanche, toute corticothérapie aveugle est à proscrire(risque de syndrome d’hyperinfection parasitaire).

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peut aussi apparaître après dialyse péritonéale ou hémo-dialyse, après splénectomie, dans les suites d’une radio-thérapie, après intoxications chroniques (sulfate decuivre, vapeur de mercure, phosphore, sulfate de carbone,benzène…) ou dans la réaction du greffon contre l’hôte.

Éléments d’orientation

L’hyperéosinophilie sanguine d’origine médicamenteuseest souvent associée à des anomalies biologiques (mani-festations hépatiques ou rénales) ou à des signes cliniquesrévélateurs.Les signes cutanés sont fréquents et variés (prurit, rash,urticaire), isolés ou associés à d’autres manifestations

(vascularite d’hypersensibilité, arthralgies, myalgies…).Une origine médicamenteuse peut être suspectée devantun syndrome respiratoire aigu ou subaigu (dyspnée,toux sèche, image radiologique d’infiltrats plus oumoins fugaces), parfois fébrile. Des signes associés peuvent être retrouvés (urticaire, rash, arthralgies,signes hépatobiliaires). Le tableau clinique peut évoquerun syndrome de Löffler, une pneumonie interstitielle. La liste des médicaments qui peuvent être incriminés estrégulièrement actualisée.2

La notion d’intolérance à l’aspirine avec hyperéosinophilie,asthme, polypose nasale évoque un syndrome de Widal.

Examens complémentaires

Dans le cas des hyperéosinophilies d’origine médica-menteuse, différents examens complémentaires ont étéproposés : tests cutanés, recherche d’IgE spécifiques,tests d’histamino-libération in vitro, tests de transforma-tion lymphoblastique. Ils n’ont qu’une valeur indicativelimitée. Le plus souvent, c’est la régression des signes àl’arrêt du traitement, parfois après 4 à 6 semaines, quiconfirme l’origine de cette hyperéosinophilie.

Hyperéosinophilie et tumeurssolides

Une hyperéosinophilie peut annoncer ou accompagnerla survenue d’un cancer, avec ou sans métastases asso-ciées. Les hyperéosinophilies paranéoplasiques sontsouvent associées à des anomalies affectant d’autres cellules sanguines (thrombocytose, polynucléose neutro-phile). Celles qui accompagnent les néoplasies sont leplus souvent réactionnelles, liées à la production de facteurs de croissance comme le GM-CSF et l’inter-leukine 3, ou de cytokines telles que l’interleukine 5,identifiées dans des extraits tumoraux ou dans les cel-lules transformées.

Éléments d’orientation

L’hyperéosinophilie peut être sanguine et (ou) tissulaire,parfois à un niveau très élevé. Les principales tumeursincriminées sont les carcinomes, notamment le carcinomepulmonaire à grandes cellules (hyperéosinophilie san-guine), ou le cancer du col utérin, dans la forme kérati-nisante à grandes cellules (hyperéosinophilie tissulaire).D’autres localisations primitives peuvent également êtreincriminées : rein, surrénale, thyroïde, vésicule biliaire,pancréas, sein.

Examens complémentaires

Après un examen clinique rigoureux, une enquête biologique (protéines de l’inflammation, calcémie), uneradiographie de thorax, une échographie abdomino-pelvienne, voire un scanner du corps entier peuvent êtreproposés à la recherche du processus néoplasique.

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Anti-inflammatoires non stéroïdiens

Antibiotiques❑ pénicillines ❑ céphalosporines ❑ cyclines ❑ fluoroquinolones

Antimycotiques❑ Fungizone

Antiviraux❑ Cymévan

Inhibiteurs de protéases❑ Norvir

Anticoagulants❑ Calciparine

Sulfamides hypoglycémiants❑ Diabtyl

Hypolipémiants❑ Zocor

Inhibiteurs de l’enzyme de conversion❑ Renitec

Hypo-uricémiants❑ Zyloric

Antiépileptiques❑ Zarontin

Antidépresseurs imipraminiques❑ Anafranil

Facteurs de croissance❑ Leucomax

Cytokines

❑ Interleukine-2

Liste non exhaustive des principauxmédicaments inducteurs

d’hyperéosinophilie

TABLEAU III

Page 53: La Revue Du Praticien-Hématologie

valeur indicative dans le cadre d’hyperéosinophiliesassociées à une hémopathie maligne (cas du chromosomePhiladelphie ou Ph1, avec translocation t(9,22) dans laleucémie myéloïde chronique, inversion du 16 dans laleucémie aiguë myélomonocytaire). Dans d’autres cir-constances, plus rares, les anomalies cytogénétiquesobservées permettent d’expliquer les mécanismesinducteurs de l’hyperéosinophilie. C’est le cas lorsque leréarrangement chromosomique intéresse le chromoso-me 5, où sont situés les gènes codant GM-CSF,l’interleukine 3 et 5 (voir :Pour approfondir 1). Ainsi, latranslocation du fragment 5q, placé sous le contrôle despromoteurs des gènes des immunoglobulines, peut favo-riser une expression non contrôlée de ces gènes de cytokines [leucémie aiguë lymphoblastique de la lignéeB, avec t(5;14) ; hémopathies myéloïdes, avec t(5;12)].D’autres anomalies chromosomiques, observées dans cecontexte [trisomie 8, t(8;21)…] n’apportent pas, à cejour, d’élément instructif sur les relations qui existententre l’hyperéosinophilie et le processus leucémogène,mais témoignent d’un contrôle génétique de l’hyper-éosinophilie.

Autres cas d’hyperéosinophilies

Chaque spécialité médicale connaît au moins une affec-tion associée à une hyperéosinophilie sanguine et (ou)tissulaire. Cette hyperéosinophilie peut être au premierplan, et apparaître comme un élément caractéristique dela maladie (affections liées à une éosinophilie tissulaire)ou n’être qu’un épiphénomène accompagnant des affec-tions très diverses (hyperéosinophilie contingentes).

Éléments d’orientation

L’hyperéosinophilie peut s’intégrer dans le cadre d’af-fections bien identifiées comme une vascularite, unemaladie auto-immune ou un déficit immunitaire. Dansla périartérite noueuse, l’hyperéosinophilie est rare. Enrevanche, dans l’angéite de Churg et Strauss (notiond’asthme ancien qui s’aggrave, de rhinite associée, d’unehyper-IgE sérique, d’atteintes digestives, cardiaques,neurologiques), l’hyperéosinophilie est constante etsouvent élevée (> 5 x 109/ L). Dans les maladies auto-immunes, l’hyperéosinophilie est rare, hormis les mala-dies bulleuses comme la pemphigoïde. Une hyper-éosinophilie peut également être observée dans différentsdéficits immunitaires. Dans le syndrome de Wiskott-Aldrich, par exemple, l’hyperéosinophilie ne représentequ’un élément accessoire du tableau clinique et bio-logique. En revanche, l’hyperéosinophilie associée àune élévation considérable des IgE sériques (30 à 50000 UI/mL) oriente d’emblée vers le syndrome hyper-IgE décrit par Buckley. Une hyperéosinophilie massivepeut également s’observer dans le syndrome d’Omenn,déficit immunitaire rare, à transmission autosomiquerécessive, qui apparaît dès les premiers mois de vie.L’hyperéosinophilie peut aussi être associée à unensemble de symptômes révélateurs d’une affection.

Hyperéosinophilie et hémopathies

Il est souvent difficile de distinguer une hyperéosinophilieimpliquée dans le processus leucémogène (leucémie àéosinophiles) d’une hyperéosinophilie réactionnelle àune hémopathie maligne associée. En effet, une hémo-pathie clonale peut affecter une cellule multipotente ouune cellule engagée dans une voie de différenciation.Elle peut intéresser directement la lignée éosinophile,cas rarement décrit, ou une autre lignée hématopoïétiquedont le dérèglement retentit sur les étapes de l’éosino-poïèse (voir :Pour approfondir 1). Nous verrons quedans certains cas, la lignée lymphoïde est plus particu-lièrement concernée (prolifération Th2). Dans d’autrescas, c’est la lignée myéloïde qui paraît affectée.

Éléments d’orientation

Les hyperéosinophilies médullaires et (ou) sanguines’observent parfois dans des hémopathies malignes auxcadres nosologiques bien définis. C’est le cas d’hyper-éosinophilies associées à des leucémies telles que la leu-cémie myéloïde chronique (LMC), les leucémies aiguëslymphoblastiques (LAL), ou myéloblastiques, notam-ment la leucémie aiguë myélomonocytaire (M4) à éosi-nophiles médullaires anormaux, la leucémie aiguë del’adulte liée au rétrovirus HTLV-1 (Human T-cell lym-phoma virus type 1). C’est aussi le cas des hyperéosino-philies associées à des lymphomes tels que la maladiede Hodgkin, les lymphomes malins non hodgkiniens, leslymphomes épidermotropes (syndrome de Sézary, mycosisfungoïde) ou pléomorphes. Dans d’autres circonstances,l’hyperéosinophilie ne s’inscrit dans aucun cadre noso-logique précis. En revanche, elle est associée à untableau évocateur d’un syndrome myéloprolifératif oulymphoprolifératif ou myélodysplasique (état préleucé-mique ?). Certaines formes cliniques de syndrome d’hyper-éosinophilie essentielle peuvent évoquer une « leucémie àéosinophiles ». Il s’agit d’une situation exceptionnelleavec l’apparition d’éosinophiles immatures dans le sanget la moelle, une blastose médullaire, une anémie et unethrombopénie importantes, et des anomalies chromoso-miques. La distinction entre hyperéosinophilie essen-tielle et syndrome myéloprolifératif est aussi difficilelorsque l’hyperéosinophilie est élevée, associée à unemyélofibrose et à des anomalies du caryotype.

Examens complémentaires

Outre la numération formule sanguine (NFS), le médullo-gramme est un complément d’étude souvent indispensablecar il permet l’analyse des autres lignées hématopoïé-tiques et permet d’apprécier la quantité et la qualité deséosinophiles médullaires (en particulier dans le cas desleucémies aiguës myélomonocytaires avec éosinophilesanormaux). La biopsie de moelle à la recherche d’unemyélofibrose et l’enquête biologique – uricémie, lacti-codéshydrogénase (LDH) – peuvent également êtrecontributives. L’étude du caryotype médullaire et lesanalyses cytogénétiques complémentaires ou de biologiemoléculaire (étude de clonalité) peuvent avoir une

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1. Signes respiratoires Nous avons déjà évoqué les principales causes d’hyper-éosinophilie avec atteinte pulmonaire que sont l’asthme,les causes médicamenteuses, les parasitoses, une tumeur(carcinomes, métastases, lymphangite carcinomateuse)ou l’aspergillose bronchopulmonaire allergique. L’asthmeavec hyperéosinophilie élevée et persistante doit fairerechercher d’autres causes (parasitose, aspergillosebronchopulmonaire allergique, hyperéosinophilie essen-tielle), et surtout une maladie systémique (angéite deChurg et Strauss).L’aspergillose bronchopulmonaire allergique présenteplusieurs signes évocateurs. Elle survient dans uncontexte d’asthme ancien avec la notion de toux et d’expectoration de « moules bronchiques » (émission debouchons mycéliens). Les images radiologiques sontvariées : épaississement des parois bronchiques, impac-tions mucoïdes, atélectasies, infiltrats et surtout bronchec-tasies proximales prédominant aux lobes supérieurs. Onretrouve par ailleurs une élévation très marquée des IgEsériques (> 1 500 U/mL), avec hyperéosinophilie massive.Il est possible de mettre en évidence des IgE spécifiquesd’Aspergillus fumigatus. Avec l’examen radiologique,l’évaluation de la concentration des IgE totales est utileà la surveillance médicale. Ce taux diminue quand lacorticothérapie s’avère efficace, alors qu’une nouvelleélévation précède une nouvelle poussée.Toute cause d’épanchement pleural peut aussi entraînerun afflux local d’éosinophiles (pleurésie à éosinophilespost-traumatique notamment). Dans certaines circonstances, aucune cause n’est retrou-vée : c’est le cas devant certains tableaux cliniques évoquant un syndrome de Löffler, ou surtout devant unepneumonie chronique à éosinophiles, ou maladie deCarrington.3 Celle-ci se traduit par des manifestationsvariées (dyspnée, toux sèche) avec altération de l’étatgénéral (perte de poids, fièvre, sueurs nocturnes). Ellesurvient le plus souvent chez la femme. C’est une alvéo-lite à éosinophiles associée à une hyperéosinophilie san-guine de niveau variable. Le tableau clinique, les imagesradiologiques (opacités alvéolaires plurifocales, parfoismigratrices) sont très évocateurs ainsi que l’efficacitétrès spectaculaire de la corticothérapie.

2. Signes cutanéo-muqueux Des signes cutanés variés s’inscrivent dans un contexteévocateur dans le cas des vascularites (angéite de Churget Strauss), de réactions d’hypersensibilité (dermatiteatopique, urticaire, angiœdème, dermatites parasitaires,réaction médicamenteuse), dans les lymphomes (lym-phomes T, mycosis fungoïde, syndrome de Sézary, oupapulose lymphomatoïde), dans les dermatoses bul-leuses (pemphigoïde, pemphigoïde gestationis, inconti-nentia pigmenti, dermatite herpétiforme), dans les masto-cytoses systémiques, ou dans les hyperéosinophiliesassociées à des proliférations tumorales bénignes (legranulome éosinophile des tissus mous, ou maladie deKimura, l’hyperplasie angiolymphoïde avec éosino-philie). Le prurit est un signe fréquent d’alarme ou d’accompagnement de l’hyperéosinophilie (prise

médicamenteuse, allergie, parasitose, hémopathie…).Certaines dermatoses éosinophiliques ont été indivi-dualisées. Parmi celles-ci on peut citer : la folliculite pus-tuleuse à éosinophiles décrite par Ofuji qui présente cer-taines analogies avec les folliculites rencontrées chez despatients infectés par le virus de l’immunodéficience humaineou présentant un lymphome ; le syndrome de Wells,cellulite à éosinophiles d’évolution bénigne, où l’on peutobserver à l’examen histologique des images classiquesdites en« flammèche ». Dans ces affections rares, l’hyper-éosinophilie sanguine est inconstante, et les donnéesconjuguées de l’examen clinique et histologique sontsouvent indispensables au diagnostic.4 Le diagnostic estparfois difficile à établir entre certaines dermatoses àéosinophiles et une hyperéosinophilie essentielle dontles signes cutanés dominent parfois le tableau clinique.L’angiœdème cyclique avec hyperéosinophilie (prise depoids avec œdèmes volumineux d’apparition brutale et derésolution plus ou moins rapide associés à une élévationmassive, transitoire de l’hyperéosinophilie sanguine)doit être différencié des hyperéosinophilies essentielles.

3. Signes hépatodigestifs Outre les parasitoses, il existe de nombreuses affectionsinflammatoires du tube digestif qui s’accompagnentd’hyperéosinophilie locale (maladie cœliaque) et (ou)sanguine (rectocolite hémorragique, maladie de Whipple,maladie de Crohn). D’autres affections (hémopathies àlocalisation digestive, vascularite) doivent être recherchées. La gastro-entérite à éosinophiles s’observe souvent dansun contexte d’atopie (allergie alimentaire ?) avec parfoisdes taux élevés d’IgE sériques, surtout chez l’enfant. La disposition particulière de l’infiltrat d’éosinophilesau niveau de chacune des structures pariétales intesti-nales entraîne des manifestations variées. Ainsi, l’atteintede la séreuse peut s’accompagner d’un tableau de pseudo-péritonite avec une ascite riche en éosinophiles,l’atteinte de la musculeuse peut donner un tableau desubocclusion identique à celui que l’on peut observer dansl’anisakiase (formations pseudo-tumorales). L’infiltrationde la muqueuse est fréquente avec entéropathie sévère etsyndrome de malabsorption. La distinction entre gastro-entérite à éosinophiles et hyperéosinophilie essentielle àlocalisation digestive peut être difficile. Des signes d’atteinte hépatique avec hyperéosinophilie se rencontrentdans de nombreuses circonstances (parasitose, médica-ments, cancer, hémopathies, cholangite sclérosante primitive, hyperéosinophilie essentielle…).

4. Signes musculaires En dehors des parasitoses (notamment la trichinose) oudes infections bactériennes (myosite staphylococcique),un tableau de myalgies avec hyperéosinophilie se ren-contre parfois dans les polymyosites mais surtout dansle syndrome « myalgie-éosinophilie » associé à la prisede L-tryptophane ou plutôt de contaminants associés àsa préparation, ou dans la fasciite de Shulman (hyper-éosinophilie sanguine avec douleur et gonflement desmuscles, limitation des mouvements et induration destissus sous-cutanés, hémopathie associée).

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atteinte d’autres lignées, anomalies du caryotype) ou unsyndrome myéloprolifératif, dans lequel on observe unehépatosplénomégalie, une myélofibrose, une élévationtrès franche de la vitamine B12, des transcobalamines Iet III. Le pronostic est ici plus réservé en raison d’unefréquente résistance à la corticothérapie et d’un risqueaccru d’atteintes viscérales. L’hyperéosinophilie peutaussi être associée à d’autres signes. Les signes cutanéssont fréquents et très variés à type de nodules, de rashérythémateux ou maculopapuleux, d’angiœdème oud’urticaire. Ces derniers signes, parfois associés à unehyper-IgE sérique, seraient plus volontiers rencontrésdans les formes de bon pronostic, sensibles à la cortico-thérapie. Le diagnostic d’hyperéosinophilie essentiellepeut être discuté lorsque les signes sont focalisés auniveau pulmonaire ou intestinal. Quelle que soit la formeclinique de cette hyperéosinophilie, une surveillancerégulière s’impose devant toute hyperéosinophilie chronique inexpliquée en raison de 2 risques majeursqui sont la survenue possible d’une hémopathie maligneou d’une atteinte viscérale où domine la cardiopathie(voir : Pour approfondir 2).

Éléments de surveillance

Il existe des formes paucisymptomatiques d’hyperéosino-philie essentielle qui se résument à l’expression d’unehyperéosinophilie sanguine isolée, parfois associée àdes manifestations cutanées ou à une hépatospléno-mégalie. S’il existe des formes « stables », la survenuede complications, souvent imprévisibles, qui engagentle pronostic vital nécessite :– la recherche systématique de signes en faveur d’unehémopathie sous-jacente (vitamine B12 sérique très élevée, score variable des phosphatases alcalines, uricémieélevée, folatémie abaissée), et indique la recherched’anomalies chromosomiques par la réalisation d’unebiopsie ostéomédullaire et l’étude du caryotype sur sangpériphérique ou sur moelle ;– la recherche obligatoire et répétée d’une atteinte cardiaque par nécrose, thrombose ou fibrose (électro-cardiogramme, échocardiographie bidimensionnellerenouvelée tous les 6 mois, parfois associée à une biopsie endocardique) ou de lésions vasculaires (examendu fond d’œil, manifestations de thrombose, de micro-embolies, bilan de coagulation, bilan neurologique).■

5. Signes cardiaques On évoque, en premier lieu, l’hyperéosinophilie essen-tielle. L’association cardiopathie-hyperéosinophilieexiste dans d’autres circonstances (lymphomes, vascula-rites, parasitoses, utilisation thérapeutique de facteurs decroissance ou de cytokines…).

6. Autres signes focalisés Des atteintes osseuses (granulome éosinophile), vési-cales (cystites à éosinophiles parfois d’origine médica-menteuse) ou ORL (rhinite non allergique ou NARES)ont été décrites. L’hyperéosinophilie sanguine est trèsinconstante.

Syndrome d’hyperéosinophilieessentielle

C’est un diagnostic d’exclusion qui ne doit être évoquéqu’après une enquête étiologique rigoureuse (liste desmaladies associées à une hyperéosinophilie chronique,voir : Pour approfondir 3). Selon les critères de Chusid,l’hyperéosinophilie essentielle associe une hyperéosino-philie massive, persistante (> 1,5 x 109/L), inexpliquée,évoluant depuis au moins 6 mois, associée à desatteintes multiviscérales, surtout cardiaques.

Éléments d’orientation

Il existe une nette prédominance masculine (80 % descas), avec un âge de survenue situé habituellement entre20 et 50 ans. Les formes de l’enfant sont rares, etseraient plus sévères. La découverte d’une hyperéosino-philie essentielle est fortuite (numération formule sanguinesystématique) dans 10 % des cas, ou liée à la survenuede complications sévères (cardiopathies, neuropathies).Les signes d’appel sont en fait multiples avec des signesgénéraux (asthénie, fébricule), respiratoires (toux, dys-pnée), cutanés (sueur, prurit, rash, angiœdème), muscu-laires (myalgies), digestifs (nausées, diarrhées). L’hépato-splénomégalie serait observée dans 50 % des cas.Les signes cardiaques associés à une hyperéosinophiliechronique sont très évocateurs d’une hyperéosinophilieessentielle. Ils sont fréquents (50 à 70 % des cas), parfoisrévélateurs (signes d’insuffisance cardiaque), et trèsdivers (choc cardiogénique, adiastolie, troubles du rythme,insuffisance tricuspide ou mitrale). Ils sont le témoind’une myocardite à éosinophiles, ou surtout du dévelop-pement d’une fibrose endomyocardique. Les signes neurologiques peuvent se traduire par une atteinte centrale(confusion mentale, ataxie, convulsions, amnésie,coma) ou périphérique (mononévrite sensitive) quiparaît liée à des phénomènes vasculaires (vascularite) et(ou) thrombo-emboliques. Ils sont fréquents et des examens complémentaires (électroencéphalogramme,scanner…) peuvent s’avérer très utiles.L’hyperéosinophilie peut être isolée. Comme nousl’avons évoqué précédemment, elle peut aussi être asso-ciée à d’autres signes hématologiques pouvant faire sus-pecter un état préleucémique (hyperéosinophilie massive,

Médecine interne

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1. Ranque S, Candolfi E, Himy E. Diagnostic et conduite à tenirdevant une hyperéosinophilie parasitaire. Presse Med 1998 ; 27 :370-5.

2. Dubos C, Brun J, Camus P et le GERM« O»P. Étiologies médi-camenteuses des hyperéosinophilies. Ref Prat Actu 1998. Site internet :http://www.univ-lyon1.fr/germop/index.htm?Rpa/pciefn.htm&

3. Durieu J, Tonnel AB, Cordier JF et le GERM« O»P.Pneumopathie chronique idiopathique à éosinophiles. Ref PratActu 1998. Site internet :http://www.univ-lyon1.fr/germop/index.htm?Rpa/pciefn.htm&

4. Dubost-Brama A, Capron M, Delaporte E. Peau et hyperéosi-

RÉFÉRENCES

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1 / Facteurs de mobilisation de la lignée éosinophile

Le polynucléaire éosinophile est une cellule au noyau bilobé, en bis-sac, facilement identifiée sur les frottis sanguins par les propriétéstinctoriales de ses granules, colorés en rose-orangé par l’éosine. Les granules spécifiques, granulations secondaires de forme sphérique ouellipsoïde, apparaissent au stade de promyélocyte. Leur étude enmicroscopie électronique révèle l’existence d’une inclusion cristallinedense aux électrons (composée de la protéine basique majeure ouMBP), et d’une matrice périphérique (composée de la protéine cationique de l’éosinophile ou ECP, de la neurotoxine dérivée de l’éosinophile ou EDN, et de la peroxydase de l’éosinophile ou EPO).Les granules primaires de l’éosinophile contiennent la lysophospho-lipase qui participe à la formation des cristaux de Charcot-Leyden.Les mécanismes impliqués dans le développement d’une hyperéosino-philie sont multiples et parfois intriqués. Une hyperéosinophilie peuttémoigner d’un excès de production médullaire, mais aussi d’undéfaut d’élimination des polynucléaires éosinophiles matures (altérationdes processus d’apoptose). Elle traduit souvent un recrutement accrudes éléments du pool de réserve médullaire (rôle des facteurschimiotactiques). Des facteurs de croissance, des cytokines (GM-CSF,IL-3, IL-5, dont les gènes sont situés dans la région 5q31-q33 du chro-mosome 5), des chémokines, notamment les membres de la familleéotaxine (éotaxine, éotaxine 2), de facteurs lipidiques (Platelet activa-ting factor ou PAF-aceter), d’anaphylatoxines (C5a), contrôlent, à desdegrés divers, et avec plus ou moins de sélectivité, différentes fonc-tions de l’éosinophile (prolifération et différenciation dans la moellehématopoïétique ; mobilisation du pool de réserve médullaire et transitdans le sang ; migration transendothéliale et domiciliation dans les tissus ; activation - survie - apoptose). Ce sont l’interleukine 5 et l’éotaxine qui exercent les effets les plusciblés sur les éléments de la lignée éosinophile. L’analyse du profil desynthèse des cytokines par les lymphocytes T a permis d’individuali-ser une sous-population lymphocytaire productrice d’IFNγ (Th1), etune sous-population productrice d’IL-4, IL-5, IL-13 (Th2), qui secontrôlent mutuellement (balance Th1-Th2). Toute altération de l’équi-libre Th1-Th2 peut être à l’origine de processus immunopatholo-giques variés. Ainsi, un déséquilibre en faveur d’une polarité Th2 peutentraîner un état atopique, induire une hyperproduction d’IgE (rôle del’IL-4), ou favoriser une hyperéosinophilie sanguine (rôle de l’IL-5).L’éotaxine est un autre médiateur important dans les processus derecrutement et d’activation des éosinophiles. Cette chémokine peut selier à un récepteur nommé CCR3 (récepteur pour une famille de ché-mokines où les 2 premières cystéines sont adjacentes). Le CCR3 estfortement représenté à la surface des éosinophiles, mais aussi des basophiles et des cellules Th2.Ainsi, cette molécule a la capacité de recruter un ensemble de cellulesqui participent activement au développement d’une réaction allergique.

2 / Potentialités fonctionnelles de l’éosinophile

L’identification de récepteurs variés (récepteurs de cytokines, de chémokines, de médiateurs lipidiques, d’immunoglobulines, de fractions activées du complément), et de molécules d’adhérence à lasurface de l’éosinophile (sélectines, intégrines) a permis de mieuxappréhender les éléments qui contrôlent les contacts favorables à lamigration, la diapédèse, la domiciliation, et à la communication inter-cellulaire (action notable des chémokines et des cytokines). La succession de ces différents signaux aboutit à l’expression moduléed’un certain programme fonctionnel de la cellule. Ces signaux peu-vent participer à une réponse physiologique (croissance, chimiotactis-

me, coopérations cellulaires) et (ou) à différents processus patholo-giques. L’éosinophile est une cellule effectrice capable de libérer desprotéines basiques cytolytiques (MBP, ECP, EDN, EPO, exemple du processus de libération sélective des protéines cationiques ou piecemeal degranulation). Il est aussi apte à libérer des dérivés réactifs del’oxygène, toxiques, tels que les anions superoxydes. L’éosinophile estune cellule inflammatoire, capable de produire des médiateurs lipi-diques (leucotriènes, prostaglandines), des chémokines, des cytokinespro-inflammatoires (IL-1, IL-6, TNFα), ou immuno-modulatrices (IL-4, IL-5). Ainsi, en fonction de l’état d’activation de l’éosinophile, celui-ci peut induire une réponse toxique par libération des protéinescationiques des granules, ou favoriser l’amplification d’une réponseinflammatoire. Pour évaluer le degré d’activation de ce polynucléaire,nous disposons de différents paramètres cellulaires ou sériques. Desétudes morphologiques [hypogranulation et (ou) présence de vacuolescytoplasmiques, hypersegmentation nucléaire] ou l’analyse de la densi-té cellulaire permettent d’individualiser des éosinophiles activés(éosinophiles hypodenses). Ceux-ci ont la capacité de libérer lesmédiateurs toxiques qui semblent jouer un rôle dans la genèse deslésions tissulaires. Des taux sériques élevés de la forme soluble durécepteur pour l’IL-2 (CD25s) ont été observés dans les formessévères d’hyperéosinophilie (hyperéosinophilie essentielle, hémopa-thies malignes).

3 / Liste des maladies associées à une hyperéosinophilie

Site internet : http://www.univ-lille2.fr/immunologie

H Y P E R É O S I N O P H I L I E

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• L’hyperéosinophilie s’observe dans nombred’affections, mais 4 situations majeures peuventêtre individualisées.

• Le plus souvent, l’hyperéosinophilie sanguines’inscrit, avec d’autres manifestations clinico-biologiques, dans un contexte pathologique évocateur (allergies, certaines parasitoses,prise de médicaments).

• Dans d’autres circonstances, l’hyperéosinophilieest le signe d’appel qui nécessite la mise en œuvre d’investigations complémentaires permettant d’établir le diagnostic (exemples des parasitoses, des cancers).

• Parfois, les manifestations cliniques sont focalisées à un organe ou un tissu.L’hyperéosinophilie associée a alors une grande valeur d’orientation diagnostique(exemple du poumon éosinophile, de la gastro-entérite à éosinophiles…).

• Plus rarement, l’hyperéosinophilie est isolée,l’enquête étiologique demeure infructueuse. La situation devient préoccupante quand l’hyperéosinophilie reste élevée et persistante.Celle-ci peut précéder l’apparition d’une hémo-pathie maligne, ou annoncer la survenue de lésions viscérales où dominent les cardiopathies.

Points Forts à retenir

POUR APPROFONDIR

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HématologieB 307

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Enfin, une leucémie aiguë myéloblastique représentel’évolution terminale de certaines hémopathies commela leucémie myéloïde chronique surtout et les myélo-dysplasies.En pratique, la connaissance d’un facteur ayant puinduire la leucémie permet de distinguer les leucémiesdites «de novo», des leucémies dites « secondaires ».Cette distinction est importante car elle correspond leplus souvent à des caractéristiques morphologiques etcytogénétiques particulières de la leucémie, et à unesensibilité différente à la thérapeutique conduisant à unpronostic en règle très mauvais pour les leucémiesaiguës dites secondaires.

Diagnostic cliniqueTypiquement, l’installation des signes cliniques au coursd’une leucémie aiguë est rapide, en quelques semaines.L’installation des symptômes sur plusieurs mois est plusfréquemment observée lors de l’évolution vers une leu-cémie aiguë d’une myélodysplasie. Les signes cliniquessont dominés par l’asthénie, les signes d’insuffisancemédullaire et les signes tumoraux.

Signes d’insuffisance médullaire

Les signes en rapport avec l’anémie sont : pâleur, dys-pnée, angor ; avec la thrombopénie : purpura, ecchy-moses, gingivorragies et épistaxis. Le purpura débutesouvent aux membres inférieurs. Lorsqu’il est extensif,c’est-à-dire lorsqu’il apparaît des lésions de façon rapi-de dans de nombreux territoires, il revêt un caractère degravité. Les signes cliniques en rapport avec la neutro-pénie sont essentiellement, au début de la maladie, lesinfections ORL et pulmonaires accompagnées de fièvre.

Signes tumoraux

Les signes tumoraux sont moins souvent présents aucours des leucémies aiguës myéloblastiques qu’au coursdes leucémies aiguës lymphoblastiques de l’enfant. Ilpeut exister néanmoins des adénopathies, une splénomé-galie ou une hépatomégalie. Certaines formes commeles leucémies aiguës monoblastiques sont plus volon-tiers tumorales. En particulier, les localisations gingi-vales (gingivite hypertrophique) et cutanées (infiltrationdermique nodulaire violacée) sont très évocatrices d’uneleucémie aiguë monoblastique. Les localisations neurolo-

Les leucémies aiguës myéloblastiques (LAM) sont desmaladies malignes aiguës liées à la prolifération et à l’ar-rêt de la différenciation des précurseurs médullaires deslignées granuleuses, monocytaires, érythroïdes, ou pla-quettaires. De ce fait, on constate que le terme de leucémie aiguë non lymphoblastique, utilisé par lesAnglo-Saxons, serait plus approprié pour dénommer cettemaladie que le terme de leucémie aiguë myéloblastiquehabituellement utilisé en France.Les leucémies aiguës myéloblastiques peuvent survenir àtout âge mais sont plus fréquentes au fur et à mesure quel’âge avance. Si les causes sont encore mal connues, cer-tains facteurs liés ou non à l’hôte ont été identifiés. Ainsi,l’existence d’une maladie constitutionnelle (mongolisme,maladie de Fanconi), ou d’une maladie néoplasique traitéeou non traitée (carcinomes mammaire ou ovarien, hémo-pathie lymphoïde) sont des facteurs favorisants. Parmi les facteurs non liés à l’hôte sont reconnus l’exposition aubenzène ou aux radiations ionisantes qui peuvent permettrede classer la leucémie aiguë myéloblastique comme mala-die professionnelle, un traitement antérieur par chimio-thérapie et (ou) radiothérapie pour une maladie maligne. La responsabilité de certains médicaments, comme lesalkylants et les nitroso-urées et récemment les inhibiteursde la topo-isomérase 2, est de mieux en mieux décrite.

Leucémie aiguë myéloblastiqueDiagnostic et évolution

PR Sylvie CASTAIGNE

Service de médecine B, hématologie, oncologie, hôpital André-Mignot, 78157 Le Chesnay cedex.

• Le diagnostic de leucémie aiguë myéloblastiqueest un diagnostic morphologique porté par uncytologiste entraîné sur l’analyse des frottiscolorés de sang et de moelle osseuse.

• Les explorations biologiques complémentaires :immunocytochimie, cytogénétique, biologiemoléculaire sont très importantes car ellespermettent de mieux définir la lignéemédullaire atteinte.

• Les résultats de ces études biologiquespermettent avec l’âge et le caractère de novoou secondaire de la maladie de définirégalement des pronostics très différents.

• Le contrôle des complications liées à l’insuffisance médullaire et au catabolismedes cellules leucémiques est nécessaire avantd’entreprendre la chimiothérapie. L’évolutiondépend de la sensibilité de la leucémie aiguëmyéloblastique à la chimiothérapie.

Points Forts à comprendre

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giques et (ou) méningées sont très rares lors du diagnos-tic initial d’une leucémie aiguë myéloblastique.Les signes cliniques font pratiquer, en règle assez rapi-dement, une numération formule sanguine et le labora-toire de ville va être alerté par la constatation d’une oude plusieurs cytopénies et (ou) la présence de cellulesblastiques. Le chiffre des globules blancs et le pourcen-tage de cellules blastiques circulantes sont extrêmementvariables. Une leucémie aiguë myéloblastique peutcomporter une leucopénie, un chiffre de leucocytes nor-mal ou bien une hyperleucocytose parfois majeure.

Confirmation diagnostique

Le diagnostic d’une leucémie aiguë myéloblastique doittoujours être porté sur l’étude conjointe d’un frottis desang et d’un frottis d’aspiration médullaire réalisé le plussouvent après ponction sternale. Si le diagnostic reposesur l’analyse morphologique, plusieurs techniques per-mettent de le compléter en apportant des précisions sur lalignée atteinte (cytochimie, étude des marqueurs), sur lescaractéristiques moléculaires des blastes (étude cytogé-nétique, étude moléculaire) et sur la sensibilité à la chi-miothérapie (étude immunologique ou moléculaire desfacteurs de résistance aux médicaments). Ainsi, il fautessayer de prévoir autant que possible ces études avantde réaliser le myélogramme pour aspiration médullairede façon à ne pas multiplier les ponctions.

Diagnostic biologique• L’analyse morphologiquese fait après coloration parle May-Grünwald-Giemsa des frottis de sang et demoelle. Les critères du diagnostic morphologique ontété établis par un groupe de cytologistes franco-améri-cano-britanniques (classification FAB). Par définition,le diagnostic de leucémie aiguë est porté devant uneinfiltration médullaire de plus de 30 % de cellules blas-tiques. La classification tient compte de l’appartenanceà telle ou telle lignée des cellules blastiques et de leurétat de maturation.• Les analyses cytochimiquessont essentiellement laréaction des myéloperoxydases qui met en évidence uneenzyme contenue dans les grains azurophiles des blastesde la lignée granuleuse. Cette réaction peut être utilepour classer comme leucémie aiguë myéloblastique uneleucémie dont les blastes sont indifférenciés afin de lesdistinguer des lymphoblastes. Une réaction des esté-rases, positive et non inhibée par le fluorure de sodium,est en faveur d’une prolifération d’origine monocytaire.• Les analyses des marqueursmettent en évidence desantigènes spécifiques de lignée ou de différenciationcellulaire au niveau de la membrane ou du cytoplasmedes cellules blastiques. Cette étude se fait soit par unetechnique de cytométrie de flux ou après immunomar-quage sur lame. Les marqueurs habituellement retrou-vés sur les blastes myéloïdes sont le CD13 et le CD33.Une positivité retrouvée avec des anticorps anti-CD34témoigne de la présence de blastes très primitifs.

Diagnostic cytogénétique

• Des anomalies chromosomiques sont retrouvées dansplus de 50 % des casde leucémie aiguë myéloblastiquede novo et dans la majorité des leucémies aiguës ditessecondaires. La détection d’anomalies chromosomiquespeut se faire le plus souvent par mise en évidence direc-te des chromosomes lors de la mitose, après mise en cul-ture des cellules puis blocage de la division cellulaire.Une technique plus récente, la FISH (hybridation in situfluorescente) permet, en l’absence de mitose, sur noyauinterphasique, de déceler les anomalies chromoso-miques. Les anomalies observées peuvent être des ano-malies de nombre : monosomie, trisomie, hypoploïdieou hyperploïdie, des anomalies de structure surtout avecperte d’un chromosome entier ou d’un des bras (délé-tion) ou des échanges entre chromosomes (transloca-tion). Dans certains cas de leucémie, une seule anomaliesera notée. Dans d’autres cas, les anomalies seront nom-breuses (caryotype complexe).• Les études moléculairespermettent de mettre en évi-dence, à l’échelon moléculaire, le résultat par exempled’une translocation chromosomique. Une translocationpeut entraîner en effet un transcrit de fusion détecté parl’analyse de l’ARN ou de l’ADN. L’étude moléculairepeut parfois mettre en évidence l’altération d’un gène ouun transcrit de fusion alors que la sensibilité de l’exa-men cytogénétique n’avait pas permis de détecter d’ano-malie chromosomique.

Différents types de leucémies aiguësmyéloblastiquesLes résultats des diverses analyses biologiques que nousvenons d’énumérer au cours des leucémies aiguës myé-loblastiques ont permis de mettre en évidence le fait quel’événement oncogène initial, la plupart du temps incon-nu, n’entraîne pas au hasard des anomalies morpho-logiques, chromosomiques ou moléculaires mais qu’ilexiste une corrélation entre les différentes caractéris-tiques cliniques, morphologiques et moléculaires desleucémies aiguës myéloblastiques ainsi qu’avec lecaractère de novoou secondaire de la leucémie.• Ainsi, on peut dire qu’il n’existe pas une leucémieaiguë myéloblastique mais plusieurs typesqui corres-pondent à des entités clinicobiologiques et bientôt théra-peutiques de mieux en mieux définies. Par exemple, laleucémie aiguë myéloblastique M2 se caractérise mor-phologiquement par l’existence d’une prolifération demyéloblaste myéloperoxydase positif avec persistanced’une maturation granuleuse anormale morphologique-ment et témoignant de la possible maturation du cloneleucémique. Une forme particulière à l’intérieur des leu-cémies aiguës myéloblastiques M2 se voit plus souventchez l’enfant et l’adulte jeune, s’accompagne plus sou-vent de chlorome (tumeur extrahématopoïétique myélo-blastique), est associée à une translocation (8 ; 21) quipeut être mise en évidence par l’analyse cytogénétique oupar la détection du transcrit de fusion car les gènes de la

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rents gènes partenaires sur différents chromosomes. Cesleucémies secondaires ont en général une mauvaise sen-sibilité à la chimiothérapie et donc un mauvais pronostic.• Les leucémies aiguës myéloblastiques de l’enfantsont plus rares que les leucémies aiguës lymphoblas-tiques. Il existe néanmoins certaines particularités : lafréquence de ces leucémies chez l’enfant trisomique, lafréquence des leucémies aiguës monoblastiques de trèsmauvais pronostic chez le petit nourrisson avec des ano-malies sur le chromosome 11q23, la fréquence des chlo-romes au cours des leucémies aiguës myéloblastiquesM2 avec translocation (8 ; 21).

ÉvolutionUn certain nombre de complications sont présentes dèsle diagnostic des leucémies aiguës myéloblastiques et audébut de la phase thérapeutique.Ces complications sont la conséquence de l’insuffisancemédullaire et de la prolifération tumorale (complica-tions métaboliques).Ces complications doivent être traitées d’emblée avantmême le début du traitement spécifique de la leucémieaiguë myéloblastique.• Complications de l’insuffisance médullaire :l’ané-mie peut entraîner, surtout si elle a été d’installationrapide, et d’autant plus si le sujet est âgé, des signesd’insuffisance coronaire et il est de règle de transfuserde façon à maintenir l’hémoglobine au-dessus de10 g/dL chez un sujet âgé. La complication la plus graveliée à la thrombopénie est la survenue d’une hémorragieméningée ou cérébroméningée. Celle-ci est d’autantplus fréquente s’il existe une coagulation intravasculairedisséminée. Les signes de gravité sont l’existence decéphalées, l’existence d’un purpura extensif et l’existen-ce de larges ecchymoses en placard. Ces signes doiventfaire débuter en urgence des transfusions de plaquettesassociées en cas de coagulation intravasculaire dissémi-née à une héparinothérapie et à l’apport de plasma fraiscongelé. Les complications liées à la neutropénie sontdes complications infectieuses. La fièvre est rarementspécifique au cours des leucémies aiguës myéloblas-tiques et jusqu’à preuve du contraire doit être considéréecomme un signe infectieux. De même, l’hypothermieest un signe de gravité. L’existence d’un état fébrile et(ou) d’une infection clinique : infection ORL, pulmo-naire, cutanée, anale, syndrome septicémique, doit fairedébuter en urgence une antibiothérapie bactéricide sansattendre le résultat des prélèvements bactériologiques.• Un certain nombre de complications sont liées à latumeur :– un syndrome de leucostase pulmonaire et (ou) céré-brale lié à l’accumulation au niveau des capillaires desblastes leucémiques peut être observé surtout au coursdes leucémies aiguës myéloblastiques hyperleucocy-taires et monoblastiques. Ce syndrome de leucostasepeut se manifester par une insuffisance respiratoire avechypoxie sévère (aggravée par la consommation d’oxy-gène par les blastes dans le prélèvement des gaz du

fusion (8 ; 21) sont connus. Cette leucémie est très sensibleà la chimiothérapie et la rémission est facilement obtenue.• La leucémie aiguë M3 ou leucémie aiguë promyélocy-taire est elle aussi très particulière. Elle associe morpho-logiquement une prolifération de promyélocytes anor-maux avec la présence très caractéristique de nombreuxcorps d’Auer répartis en fagots dans le cytoplasme. Cetteleucémie se présente le plus souvent sous une forme leu-copénique et l’existence d’une leucocytose est un signede mauvais pronostic. Un autre critère de gravité très par-ticulier de la leucémie aiguë myéloblastique M3 estl’existence quasi constante d’une coagulation intravascu-laire disséminée dès le diagnostic qui s’exacerbe au débutde la chimiothérapie et rend compte du pronostic immé-diat très sombre avec décès par hémorragie très rapide, siles mesures de réanimation hématologique et le traite-ment ne sont pas entrepris en extrême urgence. Cette leu-cémie ne s’observe qu’exceptionnellement chez l’enfant.Elle est accompagnée quasiment constamment d’unetranslocation (15 ; 17) pathognomonique. Cette transloca-tion permet la fusion de 2 gènes dont l’un est le récepteurα pour l’acide rétinoïque (vitamine A). Or la leucémieaiguë promyélocytaire est sensible de façon tout à faitparticulière à un traitement par vitamine A qui permetd’obtenir une maturation des cellules leucémiques et unerémission complète.• Les leucémies monoblastiques (M4 et M5)sont sou-vent hyperleucocytaires et tumorales avec des localisa-tions gingivales et cutanées. La réaction des estérasespermet parfois d’aider au diagnostic ainsi que la positi-vité des marqueurs monocytaires CD14 et CD36. Unevariété de leucémies aiguës M4 avec précurseurs éosi-nophiles morphologiquement anormaux (leucémieaiguë myéloblastique 4 éo) est associée à une anomaliedu chromosome 16 (inversion du 16 ou délétion). LesM4 éosinophiles sont caractérisés par un pronostic trèsfavorable après chimiothérapie. Les leucémies aiguësmyéloblastiques M4, leucémies aiguës myéloblastiques4 éo et leucémies aiguës myéloblastiques M5 sont lesformes qui présentent le plus d’atteinte ou de rechuteméningée. Elles peuvent donc bénéficier d’une préven-tion des rechutes au niveau du système nerveux central.• Les leucémies aiguës dites secondairessont caractéri-sées morphologiquement par une difficulté de classe-ment à l’intérieur de la classification FAB. Cela peutêtre lié soit au fait que ces leucémies sont associées àune fibrose médullaire rendant l’aspiration technique-ment difficile, soit parce qu’il existe une très grandehétérogénéité de la population blastique avec des pré-curseurs anormaux de plusieurs lignées. Dans ces cas, ilexiste souvent des anomalies complexes du caryotype etde façon assez spécifique des anomalies du chromosome5 ou du chromosome 7.Les leucémies aiguës myéloblastiques survenant chez unpatient ayant été traité par des inhibiteurs de la topo-iso-mérase 2 sont associées de façon significative à une autreanomalie chromosomique portant sur le chromosome11q23 où se trouve le gène MLL, celui-ci pouvant êtreintéressé dans plusieurs types de translocation avec diffé-

Hématologie

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sang) et des images floconneuses sur la radiographiepulmonaire. Au niveau cérébral, le syndrome de leuco-stase provoque des troubles de la vigilance. La seuleattitude thérapeutique, en dehors de l’oxygénothérapie,consiste à traiter la leucémie en urgence ;– certaines complications métaboliques sont liées à laprolifération et au catabolisme spontanément rapide descellules leucémiques et sont aggravées au début de lachimiothérapie. Ces complications sont l’hyperuricémiequi entraîne une hyperuraturie et un risque de néphropathielié à la précipitation de cristaux d’urates intratubulaire.Cela doit être combattu dès le diagnostic par un apporthydrique important avec soluté alcalin pour maintenirune hyperdiurèse alcaline, et des uricolytiques.De même, il existe fréquemment une hyperphosphoré-mie entraînant elle aussi un risque de néphropathiehyperphosphatémique avec dépôts massifs de cristauxde phosphate de calcium dans les tubules rénaux. Cettecomplication est combattue par une diurèse abondante.Enfin, une hyperkaliémie doit être systématiquementrecherchée surtout au début du traitement. Toutes cescomplications qui vont s’aggraver lors du début du trai-tement nécessitent que celui-ci ne soit entrepris quelorsque une diurèse suffisante a été obtenue.• L’évolution spontanée d’une leucémie aiguë myélo-blastique est constamment défavorable en l’absence detraitement. Dans certains cas cependant, aucun traite-ment spécifique ne peut être entrepris, en particulierchez des sujets très âgés chez lesquels on a vu que lesleucémies « de type secondaire » comportant des cri-tères de mauvais pronostic et répondant mal au traite-ment sont plus fréquentes. Chez ces sujets âgés, on peutne pas pouvoir proposer une chimiothérapie efficacedont les effets toxiques et la phase d’aplasie qu’elleentraîne ne seraient pas supportés. Dans ce cas, seul untraitement palliatif de l’insuffisance médullaire et de laprolifération tumorale est effectué.• L’évolution, une fois le traitement par chimiothérapieentrepris,dépend de la chimiosensibilité de la maladie.Le premier critère pronostique important est celui del’obtention d’une rémission complète à la fin de la périoded’induction de la chimiothérapie. Si la rémission com-plète n’est pas obtenue, l’évolution est sombre. Avec leschimiothérapies classiques une rémission complète estobtenue dans environ 70 % des cas. Le pourcentage derémission est d’autant plus important que le sujet estjeune, qu’il s’agit d’une leucémie aiguë myéloblastiquede novo, et qu’il n’existe pas d’anomalies chromoso-miques de mauvais pronostic. Le caractère hyperleuco-cytaire de la maladie est un facteur pronostique péjoratifpour l’obtention de la rémission complète. Une fois la rémission complète obtenue, le maintien decelle-ci nécessite des cures de consolidation par chimio-thérapie. Le critère majeur pour la durée de la rémissionet la guérison est le résultat de l’analyse cytogénétique.Certaines leucémies, celles ayant une translocation (15 ; 17), une translocation (8 ; 21) ou une anomalie duchromosome 16, sont dites « de bon pronostic ». À l’in-verse, les leucémies ayant des anomalies complexes du

caryotype ou des anomalies des chromosome 5 et 7 ontun très mauvais pronostic. Les autres formes, qui repré-sentent d’ailleurs la majorité des cas, chez lesquels iln’existe pas d’anomalie du caryotype détectée oud’autres anomalies, ont un pronostic intermédiaire. Le pourcentage de guérison d’une leucémie aiguë myé-loblastique varie de 15 % chez les adultes les plus âgés à 50 voire 60 % dans les formes de cytogénétique favorable chez l’enfant ou dans les leucémies aiguëspromyélocytaires grâce à l’apport de l’acide rétinoïque.• L’indication d’une greffe de moelle allogéniqueàpartir d’un donneur HLA (human leucocyte antigen)identique de la fratrie ou bien à partir d’un donneur nonapparenté doit concerner en premier lieu les patients lesplus jeunes (âge inférieur à 35 ans) car les complicationsliées à la greffe de moelle allogénique sont d’autant plusmal supportées que l’âge s’élève. Compte tenu desrisques liés à la procédure, une greffe de moelle allo-génique est discutée dans les formes de bon pronostic,où il n’est pas clair qu’elle puisse apporter un bénéficesupérieur à celui de la chimiothérapie. ■

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• Le pronostic des leucémies aiguës myéloblastiques demeure encore sombre avec les méthodes de traitement actuelles qui sont très toxiques que ce soit la chimiothérapie ou l’allogreffe de moelle.

• L’efficacité des thérapeutiques devrait augmenter. Dans l’avenir, on découvrira,comme dans la leucémie aiguë promyélocytaire,des traitements plus spécifiques et plus efficacescar adaptés aux différentes formes des leucémies décrites ci-dessus.

Points Forts à retenir

POUR EN SAVOIR PLUS

Bennett JM, Catovski D, Daniel MT et al. Proposals for the classification of the acute leukaemias: French-American-BritishCooperative Group. Br J Haematol 1976 ; 33 : 451-8.

Casasnovas R, Solary E, Campos L et al. Prognostic relevance ofsurface markers in adult de novo acute myeloblastic leukemias : a prospective study of the Groupe d’étude immunologique des leucémies (GEIL). Leukemia Lymphoma 1994 ; 13 : 7-10.

Charrin C, Mugneret F. Cytogénétique des leucémies aiguës denovo. Rev Prat (Paris) 1996 ; 46 : 37-41.

Gabert J. Utilité de la biologie moléculaire dans le diagnostic desleucémies aiguës et l’évaluation de la maladie résiduelle. Rev Prat(Paris) 1996 ; 46 : 41-7.

Varet B. Le livre de l’interne en hématologie. In : Hermine O (ed).Leucémies aiguës myéloïdes. Paris : Flammarion, 1997 : 147-69.

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HématologieB 305

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2. AdénopathiesLes adénopathies superficielles sont décelées par la pal-pation des aires cervicales, sus-claviculaires, axillaireset inguinales. Leur présence est inconstante. Les gan-glions sont traditionnellement bilatéraux, longtemps devolume modéré, symétriques, indolores, non compres-sifs. L’atteinte simultanée de plusieurs de ces aires a uneincidence pronostique.Les adénopathies profondes ne sont pas systématiquementétudiées en raison de leur caractère habituellement asymp-tomatique et de la rareté des manifestations compressives.Le médiastin, traditionnellement indemne en apparencesur les clichés de thorax de face et profil, recèle souventdes adénopathies s’il est examiné par tomodensitométrie :les ganglions sont observés dans les chaînes médiastinalesparatrachéales, principalement au sein de la loge de Barétyet de la fenêtre aorto-pulmonaire. Elles sont rarementvolumineuses (1-2 cm), et jamais compressives, sauf encas de transformation (syndrome de Richter). Les adéno-pathies rétropéritonéales ont longtemps été étudiées par lalymphographie. Cet examen a pour intérêt de fournir desimages de ganglions pathologiques assez précises, où lefin piqueté d’un ganglion normal est remplacé par unpiqueté plus ou moins grossier ; l’existence d’images lacu-naires est inhabituelle sauf s’il existe une transformationen syndrome de Richter. En outre, la persistance du pro-duit de contraste au sein des ganglions atteints permet unsuivi évolutif des lésions pendant plusieurs mois. Malgréune moins bonne définition des images ganglionnairespathologiques, la tomodensitométrie s’est imposée aujour-d’hui face à la lymphographie pour l’exploration deschaînes ganglionnaires abdominales et pelviennes, en rai-son de la plus grande facilité de réalisation.

3. SplénomégalieUne splénomégalie est souvent associée aux adénopathies.Elle peut parfois être isolée : cette présentation a pour répu-tation d’être de meilleur pronostic, ou du moins d’évoluerde façon lente. Cependant, le caractère volumineux de lasplénomégalie est parfois l’indice d’une forme plus agres-sive dite prolymphocytaire, ou d’autres maladies lympho-prolifératives chroniques, qui peuvent prêter à confusionsurtout si l’hémogramme n’a pas été examiné avec atten-tion au microscope par un cytologiste expérimenté.

Leucémie lymphoïde chroniqueDiagnostic, évolution, pronostic, principes du traitement

DR Stéphane CHÈZE , PR Michel LEPORRIER

Service d’hématologie clinique, CHU, 14033 Caen cedex

• La leucémie lymphoïde chronique est la plus fréquente des hémopathies maligneschez l’adulte en Occident . Elle n’a pas decause ou de facteur déclenchants connus. Elle est caractérisée par l’infiltrationprogressive de la moelle osseuse, du sang,des organes lymphoïdes par un clone de petitslymphocytes B.

• La cinétique de prolifération de ce clone esthabituellement lente, et il y a un paradoxeapparent entre cette propriété et le développement tumoral parfois majeur de la maladie : en réalité, on pense que la maladie est plus accumulative queproliférative (voir : Pour approfondir 1 à 4).

Points Forts à comprendre

DiagnosticC’est une maladie de la retraite : l’âge moyen des patientsest de 65 ans, 2/3 des cas ont plus de 60 ans lors du dia-gnostic ; les cas observés avant 40 ans sont exceptionnels.Il existe une discrète prédominance masculine (61 %).

Manifestations cliniques

1. Latence clinique

La maladie est souvent et longtemps cliniquement latente.Plus de la moitié des cas sont révélés fortuitement, à l’oc-casion de la prescription d’un hémogramme chez un adul-te en bonne santé apparente, par une hyperlymphocytosevariable, habituellement comprise entre 5 000/mm3 et 50 000/mm3, mais atteignant parfois plusieurs centainesde milliers de lymphocytes par mm3. La latence sympto-matique de l’hyperlymphocytose sanguine, même quandelle atteint ces valeurs, est remarquable. Les patientsexpriment parfois dans ces circonstances une sensation delassitude physique. Une fébricule, des sueurs, un amai-grissement sont inhabituels et doivent faire suspecter unecomplication intercurrente ou évolutive de la maladie.

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ge ce qui rend aléatoire l’appréciation de la richesse desautres lignées. Cette restriction explique la difficultéd’interprétation du myélogramme en cas d’anémie ou dethrombopénie associée.

3. Biopsie médullaire

Histologiquement l’infiltration peut prendre plusieursaspects : interstitielle modérée, en nodules, diffuse plusou moins dense et parsemée de renforcements focaux.La densité de cette infiltration n’a pas de traduction évi-dente sur la production hématopoïétique normale. Enrevanche, elle a une incidence sur le pronostic global dela maladie : les formes à infiltration dense et diffuse ontune évolution moins favorable que celles à infiltrationinterstitielle ou nodulaire.

4. Adénogramme

Il montrerait un frottis dense et monomorphe de petitslymphocytes.

5. Examen anatomopathologique ganglionnaire

L’examen histologique d’un ganglion, qui est la clé dudiagnostic des lymphomes non hodgkiniens, n’a pas faitl’objet d’études systématiques dans la leucémie lymphoï-de chronique, peut-être parce que la maladie est d’abordsanguine et médullaire dans son expression hématolo-gique. Il arrive que par discrétion ou méconnaissance dessignes hématologiques (hémogramme), ces ganglionsfassent l’objet d’un examen anatomopathologique aprèsadénectomie : l’aspect est celui d’une prolifération diffu-se et monomorphe de petits lymphocytes, effaçant l’ar-chitecture normale du ganglion lymphatique, constituantparfois des ébauches de pseudo-follicules. Les anatomo-pathologistes classent cet aspect comme un lymphomelymphocytique ou à petits lymphocytes bien différenciés.Ces équivalences nosologiques sont utiles à connaître.

Examens immunologiques

Ils permettent de préciser la nature des lymphocytesconstituant la prolifération et l’existence, fréquente, demanifestation de déficit immunitaire et d’auto-immunité(voir : Pour approfondir 5).

1. Immunophénotype lymphocytaire

Ce sont des lymphocytes B monoclonaux. L’étude desimmunoglobulines de membrane retrouve toujours unseul type de chaîne légère, kappa ou lambda. Les chaîneslourdes sont très généralement de type mu (IgM), parfoisde type delta (IgD), souvent les 2 types associés. Lestypes alpha ou gamma (IgA ou IgG) sont exceptionnels.L’un des signes les plus fidèles de la maladie est la dimi-nution de densité des immunoglobulines de membranepar rapport aux lymphocytes B normaux.

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4. Autres signes d’intumescence lymphoïdeL’augmentation de volume des amygdales pharyngéesest fréquente mais n’engendre que très rarement une dys-phagie ou des signes de compression locale. L’infiltration lymphoïde est en réalité présente dans la plu-part des tissus mais elle reste généralement asymptoma-tique. Il est fréquent qu’elle soit décrite au sein d’un prélè-vement biopsique pratiqué pour d’autres raisons sur unelésion prostatique, pulmonaire, digestive, etc.. Le risqueest d’attribuer trop facilement à ces infiltrats de lympho-cytes un rôle lésionnel tumoral spécifique. Il existe toute-fois des observations de localisations parenchymateusessymptomatiques : rénales avec protéinurie et syndromenéphrotique, cutanées à type de papules infiltrées, pulmo-naires interstitielles ou pleurales, ostéolytiques, ménin-gées. Ces observations sont exceptionnelles.

Examens morphologiques

1. HémogrammeIl montre une augmentation absolue du nombre despetits lymphocytes que rien ne permet de distinguer delymphocytes normaux. Cette augmentation peut êtrediscrète au début, comprise entre 5 000 et 10 000/mm3,ou considérable dès le premier examen, dépassant les100 000/mm3. L’examen des frottis de sang montre laprésence habituelle de cadavres nucléaires ou « ombresde Gümprecht ». L’hyperlymphocytose n’a pas deconséquence symptomatique propre ; en particulier lephénomène de leucostase n’a guère de réalité, sauf dansde très rares cas lorsqu’elle dépasse 500 000/mm3. Il esttoutefois possible, dans les formes hyperlymphocy-taires, de déceler des modifications du rapport ventila-tion-perfusion si on utilise des méthodes sensibles. Enrevanche, l’hyperlymphocytose peut engendrer des arté-facts de dosages biologiques : les gaz du sang peuventêtre modifiés par une consommation excessive d’oxygè-ne artéfactuelle in vitro si on ne prend pas soin de réfri-gérer la seringue de prélèvement, de la maintenir à +4˚Cet de pratiquer l’examen sans délai. De même, unehypoglycémie factice par consommation de glucose invitro est possible si le tube de prélèvement ne contientpas de fluorure de sodium (ce produit bloque la chaînerespiratoire mitochondriale, donc la glycolyse aérobie). Dans la majorité des cas, la numération des granulocytes(si on prend le soin de l’exprimer en valeur absolue), deshématies et des plaquettes montre des valeurs normales.La constatation d’une anémie ou d’une thrombopénieest rare lors du diagnostic. Leur présence modifie le pro-nostic de la maladie et justifie d’en préciser si possiblele mécanisme car les mesures thérapeutiques qui s’im-posent dans ces cas ne sont pas univoques.

2. MyélogrammeIl montre une infiltration par des petits lymphocytes,constante dans cette affection, supérieure à 30 %. Cetteinfiltration est habituellement importante en pourcenta-

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CaryotypeL’étude du caryotype se heurte à la difficulté d’obtenirdes mitoses analysables et requiert l’usage de procédésmitogènes laborieux. Dans ces cas, les anomalies cyto-génétiques les plus habituelles sont une anomalie dubras long du chromosome 13(q14) et une trisomie 12.L’introduction récente de techniques comme la fluores-cence par hybridation interphasique facilite l’identifica-tion de cette anomalie (voir :Pour approfondir 6).

Diagnostic pratique

La majorité de ces examens ne sont pas indispensablesau diagnostic de la maladie en pratique clinique, et n’ontd’intérêt que dans le cadre d’études prospectives decette maladie. En pratique, le diagnostic reste basé sur des argumentssimples : chez un adulte, une hyperlymphocytose chro-nique à petits lymphocytes, dépassant 5 000/mm3 pendantplusieurs mois, faite de petits lymphocytes d’aspect nor-mal est un critère majeur si l’examen morphologique esteffectué par un spécialiste compétent. Il est classique d’yassocier la démonstration d’une infiltration de la moelleosseuse par ces mêmes cellules, critère exceptionnelle-ment en défaut si la lymphocytose est significative. L’intérêt d’une étude immunophénotypique est lié à lapossibilité de confusion avec certaines formes de lym-phomes non hodgkiniens (formes leucémiques de lym-phomes folliculaires, de lymphomes du manteau, de lym-phomes spléniques à lymphocytes dits villeux) et deformes frontières avec la macroglobulinémie deWaldenström ou de leucémies dites prolymphocytaires :les meilleurs critères en faveur de la leucémie lymphoïdechronique sont la coexpression CD19/CD5, la faible den-sité des immunoglobulines de membrane, l’expression del’antigène CD23, l’absence d’expression de CD10 et deCD25. Ce profil d’expression des marqueurs de membra-ne est utilisé par certains pour établir un score destiné àapprécier la vraisemblance du diagnostic. Le tableau Irésume les principales variétés de maladies lymphoproli-fératives chroniques qui peuvent, par leur présentationclinique et (ou) cytologique, prêter à confusion.

Plus récemment, la disponibilité des anticorps monoclo-naux de spécificité étroite a permis de reconnaître sur leurmembrane la coexpression d’antigènes de différenciationB classiques (CD19, CD20), et d’un antigène classique-ment exprimé par les lymphocytes T et d’une sous-popula-tion B restreinte (CD5). Cette coexpression CD19-CD5est un signe très fidèle de la maladie. L’expression desantigènes CD10 et CD25 est négative. Sauf exception,l’intérêt diagnostique de ces marqueurs est inversementproportionnel à l’expérience cytologique du spécialiste enhématologie ayant procédé à l’examen de l’hémogramme.Ils peuvent être cependant utiles pour distinguer la leucé-mie lymphoïde chronique de proliférations lymphoïdeschroniques morphologiquement proches mais nosologi-quement distinctes (tableau I). La prolifération est très rarement de type T : ces formes sontde classement controversé et correspondent plus souvent àl’aspect d’une leucémie à grands lymphocytes granuleux.

2. Immunité humorale

Une hypogammaglobulinémie est fréquente. Elle peutêtre dissociée, ou porter sur les 3 principales classesd’immunoglobulines (IgG, IgA, IgM). Le déficit d’anti-corps est aussi illustré par la baisse des hémagglutininesnaturelles anti-A et -B, la difficulté d’observer une séro-conversion vis-à-vis d’un antigène notamment vaccinal. Il est possible mais rare de déceler un pic monoclonalIgM sérique, témoignant de formes de passage avec lamacroglobulinémie de Waldenström (5 % des cas).

3. Immunité cellulaire

Les altérations quantitatives des sous-populations delymphocytes T, en particulier CD4, sont discrètes audébut de la maladie, puis s’affirment au cours de l’évo-lution. Il est toutefois difficile de faire la part de l’altéra-tion spontanée et des effets des traitements.Qualitativement, un défaut de coopération cellulaire B/Test mis en évidence par le défaut d’expression de cer-tains antigènes de membrane spécifiquement impliquésdans cette fonction (voir :Pour approfondir 5).

Hématologie

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LLC + + – – –Leucémie à prolymphocites B + w w + + + wLymphome du manteau + + – w + + wLymphome folliculaire + – w w + + +

sIg : immunoglobulines de membrane.CD79b : constitue avec les immunoglobulines de membrane le complexe de reconnaissance antigénique des lymphocytes B (B cell receptor, BCR).Son domaine extracellulaire est tronqué dans 95 % des cas de LLC (d’où la faible expression des immunoglobulines de membrane).FMC7 : antigène de classe de différenciation (CD) non encore définie.

sIg CD5 CD23 CD22 FMC7 CD79b CD10

Diagnostic immunophénotypique

TABLEAU 1

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Évolution

L’évolution de la maladie est variable : certains cas évo-luent lentement ou restent remarquablement stables pen-dant de très longues périodes (parfois plusieurs dizainesd’années), d’autres s’aggravent en quelques mois.L’évolution est émaillée de complications infectieuses,tumorales, auto-immunes et d’insuffisance médullaire.

Infections

Elles sont la cause la plus habituelle d’hospitalisation etde mortalité chez ces patients. Elles dépendent de la gra-nulocytopénie, de l’altération spontanée ou iatrogéniquedes défenses cellulaires et humorales. Ces facteurs favo-risants se combinent souvent. Les infections bactériennes sont surtout bronchopulmo-naires, favorisées par l’hypogammaglobulinémie et lagranulocytopénie progressives : leur répétition peut fairele lit de bronchectasies qui évoluent pour leur proprecompte, favorisant la répétition des épisodes infectieux. Les infections virales, mycobactériennes et à protozoairesdépendent surtout de l’altération de l’immunité cellulaire,qu’elle soit spontanée ou iatrogénique : la diminution dutaux sanguin des lymphocytes CD4 est particulièrementmarquée avec des médicaments comme la fludarabine, lescorticoïdes, et les anticorps monoclonaux en cours d’éva-luation (anti-CD52). Les virus en cause sont notammentdu groupe herpès : zona, herpès péri-orificiels récidivants,pneumopathies à cytomégalovirus.La tuberculose n’est pas rare, notamment dans la popu-lation de patients âgés ayant souvent échappé à la vacci-nation obligatoire par le BCG. Les protozooses (Toxoplasma gondii, Pneumocystiscarinii) sont parfois observées à un stade terminal. Lesinfections à champignons :Candida, Aspergillus, Cryp-tococcusont un tropisme pulmonaire, parfois neuro-méningé ou septicémique : ces cas ne sont le plus sou-vent décelés que post mortem.

Progression tumorale

Les signes d’intumescence lymphoïde restent, pendantlongtemps, peu prononcés chez la majorité des patients.Dans les cas où les adénopathies sont volumineuses dèsle diagnostic ou le deviennent en cours d’évolution, letype anatomopathologique de la prolifération ne semodifie guère : les ganglions gardent un aspect d’infil-tration diffuse par des petits lymphocytes. Avec le temps, un contingent de cellules lymphoïdesnucléolées (prolymphocytes) apparaît dans le sang, lamoelle et les ganglions de la plupart des patients mais cescellules restent minoritaires (< 20 %) : elles ne doiventpas faire parler de transformation aiguë. Ces cas doiventêtre distingués des leucémies dites prolymphocytaires Bdont le diagnostic est évoqué par une proportion de pro-lymphocytes d’emblée importante dans le sang (> 50 %). Une transformation histologique (syndrome de Richter)est rare. Elle doit être évoquée si les adénopathies devien-

nent volumineuses, compressives, sensibles ou s’accom-pagnent de manifestations inflammatoires locales ougénérales (fièvre, sueurs, amaigrissement). La monotoniehistologique ou cytologique du ganglion est alors modi-fiée par une prolifération à grandes cellules d’aspectimmunoblastique ou rappelant les cellules de Sternberg.

Auto-immunité

Des manifestations d’auto-immunité peuvent révéler lamaladie ou en compliquer l’évolution. Elles sont domi-nées par l’auto-immunité anti-érythrocytaire. Celle-cipeut être limitée à un test de Coombs direct positif, sansexcès d’hémolyse.La fréquence réelle des cas d’anémie hémolytique auto-immune est estimée entre 5 et 10 %. Cette complicationest rarement révélatrice de la leucémie lymphoïde chro-nique, plus souvent détectée en cours d’évolution, etsemble favorisée par l’immunodépression et l’usage decertains traitements (en particulier la fludarabine) chezdes patients préalablement multitraités. La majorité descas sont des anticorps de type chaud, anti-Rh. Les casd’anticorps froids sont plus rares. Cette complicationaggrave le pronostic de la maladie principalement parles traitements qu’elle rend nécessaires (corticoïdesdans les formes à anticorps chauds, immunosuppresseursen cas de corticodépendance ou de corticorésistance etdans les formes à anticorps froids). Certains cas d’anémie arégénérative dépendent d’unmécanisme d’érythroblastopénie probablement auto-immune. Ce mécanisme est difficile à démontrer sur ceterrain : le test de Coombs direct est en général positif,mais il n’y a pas d’hyperhémolyse patente. L’examen dela moelle osseuse montre peu d’érythroblastes (< 5%)mais ce critère est d’interprétation difficile en présenced’une infiltration lymphocytaire importante. La correc-tion fréquente de l’anémie par un traitement immunodé-presseur non cytostatique (ciclosporine par exemple)renforce l’hypothèse d’une manifestation d’auto-immu-nité anti-érythroblastique dans ces cas. Les autre manifestations d’auto-immunité sont beaucoupplus rares : quelques cas de purpura thrombopéniqueauto-immun, ou d’association à une polyarthrite rhuma-toïde, un syndrome de Gougerot-Sjögren, une maladielupique sont signalés, mais restent anecdotiques.

Insuffisance médullaire

Les manifestations d’insuffisance médullaire peuventêtre présentes d’emblée lors du diagnostic : en réalité, ilest vraisemblable que les cytopénies précoces (stades Cinitiaux) dépendent de mécanismes complexes et encoreincomplètement compris (inhibition de maturationmédullaire dépendant de cytokines, auto-immunité).L’insuffisance médullaire est plus souvent une manifes-tation tardive, dépendante des traitements multiplesreçus par les patients. Elle en limite l’usage et engendreses complications propres : infections, hémorragies,dépendance transfusionnelle.

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vie des patients de stade A est supérieure à 120 mois etse rapproche, pour les sujets de plus de 60 ans, de la sur-vie d’une population saine de même âge. La médianedes patients de stade B est de l’ordre de 70 mois, celledes patients de stade C est de l’ordre de 40 mois.

Autres critères pronostiques

L’identification de critères pronostiques validés est undes objectifs actuels de la recherche clinique. Le délaide doublement de la lymphocytose sanguine inférieur à12 mois, une infiltration médullaire de type diffus enbiopsie, une augmentation dans le sérum de la fractionsoluble du récepteur CD23 ou du taux de bêta-2 micro-globuline, l’existence d’anomalies cytogénétiques,notamment de 11q et 17p ont une valeur pronostiquedéfavorable. L’intérêt de ces critères pronostiques parrapport à celui des classifications ci-dessus est en coursd’évaluation.

Pronostic

Certains critères pronostiques ont une valeur prédictivesur la survie globale.

Classifications à visée pronostique

De nombreux travaux ont été consacrés à l’identificationde critères pronostiques, dont émergent les classifica-tions par stades : elles ont pour avantage la simplicitéd’application pratique (ces classifications ne requièrentque des données cliniques et un hémogramme) et lareproductibilité. Deux classifications se partagent lesfaveurs des cliniciens (tableaux II et III) : la classifica-tion en 3 stades ABC, mise au point en France par J.-L.Binet et al., a la faveur des hématologistes français ; laclassification en 5 stades, mise au point aux États-Unispar K Rai et al., a davantage celle des Anglo-Saxons. En appliquant la classification ABC, la médiane de sur-

Hématologie

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A Hémoglobine > 10 g/dL < 3 aires palpables 55 >120

B Plaquettes > 100 000/mm3 O 3 aires palpables 30 70

C Hémoglobine < 10 g/dL Indifférente 15 40

Plaquettes < 100 000/mm3

Par aires palpables, on entend les chaînes ganglionnaires cervicales, axillaires, inguinales (que l’atteinte en soit uni- ou plus souvent bilatérale), la rate, le foie.† : au diagnostic.

Stade Hémogramme Clinique % des cas † Survie (mois)

Classification A, B, C

TABLEAU 1I

et (ou)

et

0 Lymphocytose sanguine isolée 25 > 120I Lymphocytose sanguine isolée + adénopathies 35 > 100II Lymphocytose sanguine isolée + splénomégalie w adénopathies 25 70III Lymphocytose sanguine isolée w splénomégalie w adénopathies 10 24

et hémoglobine < 11 g/dLIV Lymphocytose sanguine isolée w splénomégalie w adénopathies 5 24

w hémoglobine < 11 g/dL et plaquettes < 100 000/mm3

† : au diagnostic.

Stade Manifestations cliniques et biologiques % des cas † Survie (mois)

Classification de RAI

TABLEAU III

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Principes du traitement

Il n’y a pas d’exemple connu de malade guéri de cetteaffection. Les traitements actuels permettent de fairerégresser les manifestations d’intumescence lymphoïdechez la plupart des patients : même dans les cas où l’onobserve une régression tumorale complète (disparitiondes manifestations cliniques d’intumescence lymphoïde,des lymphocytes pathologiques du sang, de la moelleosseuse), on peut détecter la présence de cellules clo-nales résiduelles chez tous les patients en utilisant desméthodes ultrasensibles (PCR) amplifiant les régionsvariables des gènes des chaînes lourdes d’immunoglo-bulines, spécifiques du clone, et en les répétant aubesoin.L’objectif des recherches thérapeutiques actuelles sefonde sur l’hypothèse selon laquelle la réduction tumo-rale la plus complète possible (disparition de toute mala-die résiduelle appréciable) produit un bénéfice en termede survie. Les médianes de survie actuelles sont en effetdifficilement acceptables pour une forte proportion depatients encore « jeunes » atteints de leucémie lymphoï-de chronique de stades B ou C.

Stade ACes patients ne doivent pas être traités, sauf progressionsymptomatique : leur survie globale, proche de celled’une population saine de même âge, n’en est pas modi-fiée. Surtout, l’administration de Chloraminophènepourrait à la longue favoriser l’apparition de résistancesthérapeutiques en cas de progression de la maladie ;l’augmentation d’incidence des cancers n’étant cepen-dant pas encore formellement démontrée.

Stades B et CL’objectif du traitement est d’obtenir et de maintenir unerégression tumorale la plus complète possible au prixd’une toxicité la plus faible possible. Le choix du traite-ment dans ces cas est encore débattu, et plusieurs essaisen cours tentent d’évaluer les avantages et inconvénientsrespectifs de chacun d’entre eux.

1. Traitements disponibles

• Chloraminophène (gélules à 2 mg): c’est le médica-ment le plus anciennement employé. On l’utilise soit en prescription continue à la dose de 0,1 mg/kg/j, soit enprescription discontinue à la dose de 0,25 mg/j, 5 jours desuite, toutes les 4 semaines en association avec de la pred-nisone. Une réponse est observée en 6 à 9 mois, compor-tant dans la majorité des cas une régression de la lympho-cytose, dans un tiers des cas une régression partielle outotale des signes cliniques (adénopathie et splénoméga-lie), mais l’infiltration médullaire persiste dans tous lescas. Certains auteurs proposent dans des essais prospec-tifs d’utiliser de fortes doses continues (10 mg/m2/j) jus-qu’à obtention d’une réponse maximale ; le délai deréponse est plus court et le taux de réponse supérieur.

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• Polychimiothérapies : la plus éprouvée associe adriamycine (25 mg/m2), cyclophosphamide, vincristineet prednisone (CHOP). Administrée mensuellement,elle procure une régression partielle ou complète dessignes cliniques et d’hémogramme dans 75 % des cas,une normalisation médullaire dans 10 % des cas. Latolérance est convenable, l’alopécie est l’effet secondai-re le plus habituel. Le risque de cardiomyopathiedépendante de l’adriamycine est très faible si lescontre-indications cardiaques sont respectées, celui deneuropathie sensitivo-motrice dépendante de la vincris-tine est faible si la surveillance neurologique despatients est régulière.• Fludarabine (ampoules injectables i.v. à 50 mg): cetanalogue purinique est utilisé en cures mensuelles à ladose de 25 mg/m2, 5 jours de suite. Les réponses sontcomparables à celles obtenues par l’association ci-des-sus. Les effets secondaires sont différents : l’alopécie estexceptionnelle, mais les effets immunosuppresseurssont plus marqués (déplétion prolongée des lympho-cytes CD4). Ce médicament favorise l’apparition d’ané-mies hémolytiques auto-immunes, surtout chez lespatients multitraités.

2. Traitements en cours d’évaluation

• Immunothérapie :elle utilise des anticorps monoclo-naux dirigés contre certains des antigènes de ces cellules(CD52, CD20). Ce type de traitement est actuellementévalué et semble prometteur pour compléter l’effetd’une chimiothérapie initiale. • Traitements intensifs :des chimiothérapies fortes suivies d’autogreffe de moelle donnent des résultatsencourageants chez les patients jeunes, en particulierdans des cas de résistance aux traitements classiques.L’effet bénéfique semble surtout celui du condition-nement par irradiation totale. On étudie actuellement la place de ces méthodes thérapeutiques chez les sujetsdont l’âge est compatible avec la morbidité de ces trai-tements .

Traitements symptomatiques

Les traitements symptomatiques ont une importance pri-mordiale : antibiothérapie précise et adaptée si possibleen cas d’infection bactérienne, gammaglobulines pré-ventives pour certains. Les vaccins atténués sont contre-indiqués. Les vaccinations antigrippales ne sont pasréellement contre-indiquées mais ont une efficacitéincertaine. Les vaccins antitétanique et antipoliomyéli-tique sont utilisés sans appréhension.Certains cas d’anémie peuvent justifier un traitementspécifique : c’est le cas d’une hémolyse auto-immune,justifiant une corticothérapie forte (1 mg/kg/j) et prolon-gée plusieurs semaines. Dans le cas d’une érythroblasto-pénie auto-immune, les corticoïdes, les immunodépres-seurs (ciclosporine) ont des succès à leur actif.L’irradiation de la rate à dose faible (5-10 Gy) en cas devolumineuse splénomégalie peut être un appoint utile.■

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Hématologie

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1 / Épidémiologie

La répartition géographique de la maladie est particulière. En Occident,c’est la plus fréquente des hémopathies malignes : son incidence est de1 à 3 nouveaux cas par an pour 100 000 habitants. En revanche, cetteforme de leucémie est exceptionnelle en Extrême-Orient, et sa fréquen-ce reste très faible chez les Asiatiques émigrés aux États-Unis.

2 / Facteurs étiologiques

Aucun facteur prédisposant, génétique ou acquis, n’a été signalé à cejour : l’étude des marqueurs HLA (human leucocyte antigen) ne décèlepas d’association avec un phénotype particulier. L’exposition aux radia-tions ou à un toxique, benzol notamment, ne semble pas en cause.L’évocation d’un risque lié à une exposition à des champs électroma-gnétiques ne repose actuellement sur aucune base convaincante.

Les cas familiaux sont rares. Dans ces cas apparentés, le séquençage desgènes des parties variables des chaînes lourdes (gènes VH) n’a pas per-mis d’y déceler de caractéristiques immunogénétiques communes.

3 / Origine et nature des cellules leucémiques

Les lymphocytes pathologiques monoclonaux dérivent d’une sous-population de lymphocytes dont on pense qu’elle correspond à la cou-ronne périfolliculaire des ganglions. Ces cellules ont pour particularitéde coexprimer des marqueurs de différenciation B (CD19, CD20,CD23), mais aussi un antigène de type T (CD5) restreint à cette sous-population B : la coexpression de ces 2 types de marqueurs caractériseune population de lymphocytes dits autoréactifs qui seraient étroitementimpliqués dans l’ordonnancement de la reconnaissance et la toléranceimmunologique du soi.

L’événement initial de la différenciation normale des lymphocytes B estlié à un réarrangement de leurs gènes d’immunoglobulines, étape obli-gée et caractéristique de cette différenciation (réarrangement desséquences VDJ). Ce réarrangement, propre à chaque cellule, est une desphases d’acquisition de la diversité immunologique des cellules B.Chaque cellule sélectionne ainsi dans son répertoire une spécificitéqu’exprime l’anticorps qu’elle produit. à ce stade, les anticorps présentssur la membrane des lymphocytes sont de type IgD et (ou) IgM, « poly-réactifs », c’est-à-dire capables de reconnaître simultanément plusieursantigènes avec une faible affinité. Ces cellules « naïves » migrent alorsau sein du follicule B, ou après un contact antigénique, elles subissentdes mutations somatiques additionnelles des gènes des portionsvariables. Ces phénomènes modifient les caractères d’affinité : elledevient alors forte et spécifique.

Dans le cas de la leucémie lymphoïde chronique, toutes les cellules ontopéré le même réarrangement VDJ, ce qui signifie qu’elles appartien-nent au même clone. Dans les cas habituels, les lymphocytes exprimentà leur surface des immunoglobulines de type IgM polyréactives. Lesmutations somatiques additionnelles sont rares, ce qui suppose quel’événement déclenchant de la maladie affecte une cellule B « naïve »

ou « immature » (au sens immunologique du terme : la morphologie deces cellules ayant un aspect de lymphocyte mûr). Cependant, des don-nées récentes montrent que cet aspect de cellules « naïves » est loind’être la règle : on observe dans certains cas une grande fréquence demutations somatiques, évoquant un processus de transformationmaligne à un stade de différenciation plus avancé.

4 / Mécanismes de la prolifération

La maladie a longtemps constitué une énigme quant aux modalités dudéveloppement tumoral, paradoxal pour ces cellules au potentiel dedivision ralenti. On sait aujourd’hui que la maladie dépend autant, etpeut-être même davantage, d’un ralentissement du processus de sénes-cence et de mort des cellules (apoptose) que de leur prolifération exces-sive : la maladie est plus accumulative que proliférative. Cependant, lesmécanismes cellulaires de ce déséquilibre sont encore obscurs dans laleucémie lymphoïde chronique.

Dans la majorité des cas de proliférations lymphoïdes malignes de lalignée B, le processus d’oncogenèse paraît étroitement lié à l’activationd’un proto-oncogène (le plus souvent par translocation chromosomique): selon les cas, l’activation du proto-oncogène se traduit par la synthèseexcessive d’une protéine d’activation du cycle cellulaire (cas de C-Mycdans le lymphome de Burkitt, de Bcl1 dans le lymphome du manteau),ou par une protéine d’inhibition de l’apoptose (cas de Bcl2 dans le casdu lymphome folliculaire). Or, aucun processus d’oncogenèse molécu-laire de ce type n’a été identifié à ce jour dans le cas de la leucémie lym-phoïde chronique. Une surexpression de l’oncogène Bcl2 est observéedans les cellules, mais elle ne résulte pas d’une translocation commedans le cas des lymphomes folliculaires (on évoque un défaut d’inacti-vation par hypométhylation du gène), et l’augmentation de Bcl2 paraîtcontingente dans le mécanisme de transformation maligne des cellulesde la leucémie lymphoïde chronique.

Certaines proliférations tumorales sont associées à la perte d’une fonc-tion anti-oncogène (la plus classique étant celle du rétinoblastome). Parexemple, l’une des étapes clés du cycle de division cellulaire est exercéepar la protéine p53 : schématiquement, cette protéine a pour fonction debloquer la progression du cycle (passage de G1 en phase S) si d’éven-tuelles lésions d’ADN n’ont pas été correctement réparées avant la mito-se. La mutation de p53 entraîne une perte de ce contrôle et permet unedivision de cellules anormales. De telles mutations ont été décelées dansune faible proportion de cas de leucémie lymphoïde chronique (10-15%). Toutefois, elles semblent plus constituer une étape évolutive qu’unévénement initial dans cette maladie : ces mutations de p53 concernentsurtout des formes avancées, multitraitées.

5 / Mécanisme des altérations immunitaires

De nombreux travaux actuels évoquent l’existence d’une anomalie d’in-teraction entre les cellules présentatrices d’antigène et les lymphocytesT dans la leucémie lymphoïde chronique : en particulier, l’activation denombreuses fonctions des cellules T dépend de la stimulation d’unrécepteur membranaire des lymphocytes T (CD 40) par le ligand spéci-

POUR APPROFONDIR

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fique de ce récepteur (CD40 L) présent sur les cellules présentatricesd’antigènes. De cette interaction dépendent l’expression membranaire etl’activation (modulation) de molécules impliquées dans l’activation oule contrôle de nombreuses fonctions immunitaires : récepteurs de cyto-kines, protéines d’adhésion, antigènes d’histocompatibilité… Cetteinteraction est anormalement faible dans la leucémie lymphoïde chro-nique. Elle pourrait expliquer, au moins en partie, les anomalies immu-nologiques observées dans cette maladie (déficit immunitaire cellulaireet humoral, manifestations d’auto-immunité).

6 / Anomalies chromosomiques

Deux types principaux de lésions chromosomiques acquises (soma-tiques) sont fréquemment observés dans les lymphocytes B de la leucé-mie lymphoïde chronique.

Une trisomie 12 est décelée dans 10 à 15 % des cas si on la cherche parle caryotype, 20 % des cas si on la cherche par fluorescence interpha-sique. On ignore si elle joue un rôle dans la genèse de la maladie. Ellesemble plus volontiers associée à des formes de présentation cytolo-gique ou immunologique atypiques. Les anomalies de 13q12 et 13q14(délétions ou microdélétions) semblent résulter d’un événement précocedans la maladie. Elles pourraient être associées à la perte d’une fonctionanti-oncogène. On met en évidence une microdélétion de quelques cen-taines de bases au sein de ces régions dans 25 à 50 % des cas, selon latechnique utilisée. D’autres anomalies cytogénétiques sont déceléesavec une fréquence moindre : les anomalies de 17p (mutations et délé-tions de p53) semblent associées à une étape de progression tumorale(syndrome de Richter, transformation prolymphocytaire). Les anoma-lies de 11q23 sont décelées chez des sujets plus jeunes et à une progres-sion plus rapide de la maladie. Des travaux récents et qui demandent à

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Troussard X, Leporrier M. Hyperlymphocytoses et syndromesmononucléosiques. In : Dreyfus B (ed). L’hématologie. Paris :Flammarion Médecine-Sciences, 1992 : 829-36.

POUR EN SAVOIR PLUS

• Le diagnostic reste basé sur des argumentssimples : une hyperlymphocytose chroniqueà petits lymphocytes > 5 000/ mm3 pendantplusieurs mois.

• L’évolution est variable. Certains cas évoluent lentement. Elle peut être émaillée de complications infectieuses, auto-immuneset d’insuffisance médullaire.

• L’objectif du traitement est d’obtenir et de maintenir une regression tumorale la plus complète possible.

Points Forts à retenir

POUR APPROFONDIR (suite)

être confirmés ont trouvé ces anomalies dans les cellules souches héma-topoïétiques (population CD34+) chez certains malades : si ces faits seconfirment, ils évoqueraient un mécanisme de développement de lamaladie en plusieurs étapes, où une altération préalable de la cellulesouche faciliterait l’émergence d’une prolifération clonale de celluleslymphoïdes B. ■

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HématologieB306

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volume variable, rarement très volumineuse, pouvantêtre responsable de pesanteur abdominale. La palpationpermettra de retrouver la rate au bord antérieur crénelée,à la surface lisse, de consistance ferme, souvent mobileavec la respiration. Cette splénomégalie est isolée, sanssignes d’hypertension portale, ni d’adénopathies. Lamesure de la flèche splénique doit être très minutieusedu fait de son importance pour le calcul des scores pro-nostiques. Une hépatomégalie peut néanmoins s’obser-ver. Une douleur provoquée, localisée à la pression dusternum est parfois notée (signe de Craver).

3. Examens biologiques

• L’hémogramme est le plus souvent caractéristique. Ilmontre une hyperleucocytose égale ou supérieure à50.109/L dans 80 % des cas, avec pour les deux tiers desmalades des valeurs comprises entre 100.109/l et400.109/L. Cette hyperleucocytose est faite d’une aug-mentation des polynucléaires neutrophiles dont le pour-centage n’est cependant que de 30 à 50 %. La basophilieest très caractéristique de la maladie et une éosinophilieest possible. Il existe également une myélémie corres-pondant à la présence dans le sang circulant de précur-seurs myéloïdes. Elle est faite de métamyélocytes, demyélocytes et promyélocytes avec parfois quelquesmyéloblastes. Un petit pourcentage de blastes peut êtreprésent, inférieur à 5 %. Une anémie est fréquente, nor-mochrome, normocytaire, arégénérative. Une dystro-phie érythrocytaire modérée est possible, de mêmequ’une érythroblastose. Le taux des plaquettes est leplus souvent augmenté, compris entre 400 et 700.109/L,rarement supérieur à 1.1012/L. Il peut également êtrenormal ou exceptionnellement abaissé.• Les examens médullaires montrent essentiellementune hyperplasie myéloïde. À la ponction de moelle, l’osest de dureté normale. Le myélogramme est très riche etcomporte plus de 80 à 90 % de cellules de la lignée gra-nuleuse, sans blastose significative et sans hiatus. Labiopsie ostéomédullaire montre aussi une grande hyper-plasie du tissu myéloïde. Elle n’est pas indispensable aubilan mais confirme que c’est essentiellement la lignéegranuleuse qui prolifère et que la maturation se fait jus-

Diagnostic

1. Circonstances de découverte

Actuellement, la maladie est le plus fréquemment dia-gnostiquée à la suite d’un hémogramme réalisé dans lecadre d’un bilan systématique. Un examen de médecinedu travail, éventuellement chez un sujet exposé (radia-tions ionisantes, benzène), peut plus rarement conduireau diagnostic. Le début est le plus souvent insidieux :une asthénie, un amaigrissement, une fièvre modéréepeuvent être révélateurs. Rarement, des complicationstelles qu’une crise de goutte, un infarctus splénique, unpriapisme peuvent révéler la maladie. L’âge médian audiagnostic est de 50 ans, les hommes étant légèrementplus souvent atteints que les femmes.

2. Examen clinique

Il peut être strictement normal mais peut mettre en évi-dence le signe clinique majeur : une splénomégalie de

Leucémie myéloïde chroniqueDiagnostic, évolution, pronostic

DR Laurence LACOTTE-THIERRY, PR FrançoisGUILHOTDépartement d’hématologie et oncologie médicale, CHU La Milétrie, 86021 Poitiers cedex

• La leucémie myéloïde chronique (LMC)est une hémopathie maligne appartenant au groupe des syndromes myéloprolifératifschroniques. Elle résulte d’une anomalie acquisemonoclonale d’une cellule souche pluripotente :la translocation t(9 ; 22) ou chromosomePhiladelphie (Ph +) retrouvé au caryotype dans plus de 95 % des cas. • Traitée par chimiothérapie conventionnelle, lamaladie évolue en 3 phases :la phase chronique ou myélocytaire, à laquelle fait suite parfois une phase dite accélérée,caractérisée par une résistance progressive à la chimiothérapie, et une phasede transformation aiguë ou blastique terminale,constamment fatale.

Points Forts à comprendre

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qu’aux polynucléaires neutrophiles. Une hyperplasiemégacaryocytaire est habituelle. Une densification duréseau réticulinique est notée dès le départ chez environ10 % des malades.• Ce sont l’étude cytogénétique et les tests moléculairesqui confirment le diagnostic.Le caryotype avec la miseen évidence du chromosome Philadelphie est indispen-sable pour affirmer le diagnostic de leucémie myéloïdechronique. Il peut être réalisé sur le sang (dès lors qu’il ya une myélémie et donc des cellules qui se multiplient)ou sur le produit d’aspiration médullaire. Il met en évi-dence la translocation réciproque t(9 ; 22) (q34 ; q11)qui met en continuité la partie distale du chromosome22 avec une partie du bras long du chromosome 9.L’oncogène cellulaire c-ABL (antigen binding lympho-cytes) normalement situé sur le chromosome 9 est trans-loqué sur le chromosome 22 au niveau d’une régionappelée BCR (break point cluster regionou région despoints de cassure). Il en résulte la transcription d’unARN messager hybride BCR-ABL. Cet ARN est traduiten une protéine chimère d’un poids moléculaire de 210 kDa ayant une puissante activité tyrosine kinase. Latranslocation est présente dans 100 % des mitoses analy-sées au caryotype. Cependant, des expériences de cultureont montré, au moins au début de la maladie, que des cel-lules souches normales persistaient au niveau médullaire.Actuellement l’étude cytogénétique est complétée pardes techniques moléculaires, en particulier le SouthernBlot qui permet de détecter le réarrangement BCR-ABL. Cette analyse permet le diagnostic des raresformes (5 % des leucémies myéloïdes chroniques) sanschromosome Philadelphie. Les méthodes d’amplifica-tion génique (PCR ou réaction de la polymérisation enchaîne) permettent maintenant de déterminer précisé-ment le type de transcrit produit et servent à la sur-veillance moléculaire de la maladie lorsqu’une rémis-sion cytogénétique complète a été obtenue.Des anomalies cytogénétiques additionnelles peuventexister ; rares pendant la phase chronique, elles sont sur-tout retrouvées pendant les phases d’accélération ou detransformation et sont donc de mauvais pronostic.Au total, le diagnostic est facilement retenu sur la pré-sence du chromosome Philadelphie ou par la mise enévidence d’un arrangement chromosomique par destechniques moléculaires.

4. Autres examens nécessaires Il existe des anomalies biochimiques consécutives à laprolifération myéloïde telle une élévation sérique del’acide urique (dosage indispensable). Les taux de lavitamine B12, de la transcobalamine I, de la lactico-déshydrogénase, de l’histamine ou du lysozyme sontplus rarement dosés car de peu d’intérêt. Le score desphosphatases alcalines leucocytaires (activité cytochi-mique des polynucléaires neutrophiles) s’effondre dansla leucémie myéloïde chronique en phase chronique.Une thrombopathie est fréquente expliquant les anoma-lies de l’adhérence et de l’agrégation plaquettaire et l’al-longement du temps de saignement.

L’échographie abdominale, examen précieux, permet lamesure précise des volumes splénique et hépatique. Lefond d’œil peut révéler une petite rétinite leucémiqueasymptomatique.

5. Diagnostic des formes particulières

• L’enfant peut être atteint d’une leucémie myéloïdechronique typiqueavec chromosome Philadelphie. Elleentraîne plus fréquemment un risque de leucostase,même en phase chronique, car la leucocytose est sou-vent plus élevée. L’évolution n’est cependant pas diffé-rente de celle de l’adulte.• Une leucémie myéloïde chronique en cours de gros-sessen’entraîne pas de retentissement sur le développe-ment de l’enfant. Mais des problèmes thérapeutiquesdifficiles peuvent se poser lorsque la chimiothérapie oul’interféron deviennent nécessaires ou qu’une allogreffeest prévue.• Certaines formes biologiques sont plus rares.Lesprésentations paucileucémiques sont diagnostiquées trèstôt après le début de l’hémopathie. La leucocytose peutrester peu évolutive mais, le plus souvent, elle s’élèverapidement pour donner la forme complète myélocytai-re. Dans certains cas, des variations spontanées des glo-bules blancs font parler de formes cycliques.On peut observer des formes avec forte éosinophilie et(ou) forte basophilie. Ces cas ont en général un mauvaispronostic. Ces formes sont à différencier de la leucémieà éosinophiles sans chromosome Philadelphie.Des malades ont un tableau hématologique au diagnos-tic qui est celui d’une leucémie aiguë avec chromosomePhiladelphie ; ils se répartissent schématiquement en 2groupes. Il peut s’agir d’une leucémie myéloïde chro-nique d’emblée en transformation aiguë. On observealors souvent une myélémie avec basophilie, ou parfoisun taux élevé de plaquettes et cliniquement une spléno-mégalie. Le caryotype retrouve 100 % de cellules Ph+Pour le 2e groupe, le tableau est typique d’une leucémieaiguë lymphoblastique et le caryotype met en évidence latranslocation t (9 ; 22). Dans ce groupe de malade, le pointde cassure est différent des leucémies myéloïdes chro-niques typiques et la protéine chimérique plus courte.Les leucémies aiguës lymphoblastiques sont en généralde phénotype B et sont de mauvais pronostic, avec desdurées de rémission bien plus courtes. La fréquence dela découverte d’un chromosome Philadelphie dans laleucémie aiguë lymphoblastique de l’adulte augmenteavec l’âge ( voir :pour approfondir).– L’élévation du nombre des plaquettes est courant dansla leucémie myéloïde chronique. Une thrombocytose,très élevée, supérieure à 1 000.109/L, associée à unehyperleucocytose modérée, peut évoquer le diagnosticde la thrombocytémie essentielle. La constatation d’unPh+ au caryotype permet le diagnostic.– Certains patients (entre 5 à 10 % des cas) ont untableau typique de leucémie myéloïde chronique etn’ont pas de translocation au caryotype. La découvertedu réarrangement se fait grâce aux techniques de biolo-

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stade plus avancé une ostéomyélofibrose. Le caryotypeest normal.

Évolution

L’évolution de la maladie est en général décrite en 3 phases.

1. Phase chronique dite myélocytaire

Traitée de façon conventionnelle par chimiothérapie,cette phase dure classiquement 3 à 4 ans.

2. Phase d’accélération

Elle fait suite à la phase chronique et précède, mais pastoujours, la phase de transformation aiguë. Elle estcaractérisée par une altération de l’état général avecfièvre, un amaigrissement, une augmentation du volumesplénique. Dans le sang, la leucocytose progresse avecaugmentation de la basophilie (parfois plus de 20 %) etde l’éosinophilie. La somme des blastes et des promyé-locytes sanguins peut atteindre 30 %. La blastosemédullaire augmente mais ne dépasse pas 20 %. Uneanémie et une thrombopénie sont fréquentes mais il peutexister aussi une thrombocytose rebelle au traitement.Le caryotype met en évidence des anomalies chromoso-miques additionnelles telles que la trisomie 8, une dupli-cation du chromosome Y ou un iso 17q. Cette phase estcaractérisée par une résistance progressive à la chimio-thérapie conventionnelle. Sa durée est plus ou moinslongue, en règle elle est de 16 mois.

3. Phase de transformation aiguë

Elle constitue le mode de terminaison quasi constant dela leucémie myéloïde chronique traitée par chimiothéra-pie conventionnelle. Elle survient en moyenne 3 à 5 ansaprès le diagnostic. Elle peut succéder à la phase d’accé-lération ou survenir d’emblée chez un patient en phasechronique. Les signes cliniques associent de la fièvre,une anorexie, des sueurs nocturnes, des douleursosseuses et spléniques. C’est surtout à ce stade que sontobservées des localisations tumorales extramédullaires :elles peuvent être ganglionnaires, osseuses, cutanées,pleurales ou neuroméningées. Ces localisations blas-tiques peuvent survenir isolément alors même que lamoelle et le sang sont dans la phase myélocytaire. Maisces localisations extramédullaires précèdent en généralde peu la transformation médullaire. La crise blastiquedésigne la transformation aiguë brutale chez un patienten rémission hématologique. À l’hémogramme, l’ané-mie et la thrombopénie sont habituelles. La leucocytoseet le pourcentage de blastes sont très variables. La leu-cocytose peut parfois s’élever très brutalement avec dessignes de leucostase pulmonaire et (ou) neurologique.Le myélogramme permet de confirmer le diagnostic detransformation aiguë avec un pourcentage de blastessupérieur à 30 %. Dans 75 % des cas, il s’agit d’une

gie moléculaire (Southern Blotou PCR). L’évolution deces patients n’est pas différente de celle des formestypiques à chromosome Philadelphie.

6. Diagnostic différentiel

• Hyperleucocytoses avec myélémie :Elles peuvent s’observer dans certaines infections bacté-riennes graves ou dans la tuberculose des organes héma-topoïétiques, au moment de la régénération médullaireaprès une aplasie, au décours de grandes hémorragies oud’hémolyse ou à la phase avancée de certains cancersmétastatiques. Souvent, l’hyperleucocytose est à poly-nucléaires neutrophiles et la myélémie plus modeste quedans la leucémie myéloïde chronique. L’affection res-ponsable est souvent au premier plan et donc de dia-gnostic facile. Il en va autrement dans les cas nombreuxoù la leucocytose est modeste, isolée, et non rattachableà une cause simple comme une intoxication tabagique.La recherche d’un réarrangement moléculaire dans lesang (plus que l’étude du score de phosphatases alca-lines leucocytaires) permet d’avoir une orientation dia-gnostique. La leucémie myélomonocytaire chronique appartient augroupe des syndromes myélodysplasiques. Elle associetypiquement une splénomégalie et une forte monocytosesanguine. Des anomalies immunitaires peuvent êtreassociées comme une gammapathie monoclonale, untest de Coombs positif, des anticorps antinucléairespositifs. On a pu aussi observer des modifications dansle taux des enzymes érythrocytaires ou une élévation dutaux de l’hémoglobine fœtale (HbF). Les augmentationsdu lysozyme, de l’acide urique et de la lacticodéshydro-génase sont classiques. Chez l’enfant, la forme est parti-culière avec adénopathies, infiltrations cutanées, xan-thomes, infections récidivantes et thrombopénie Desanomalies chromosomiques peuvent être présentes aucaryotype (anomalies du chromosome 12) mais on neretrouve pas de chromosome Philadelphie.• Autres syndromes myéloprolifératifs :– La thrombocytémie essentielle se voit plus fréquem-ment chez la femme. La leucocytose et la myélémie sontplus modérées. Les signes cliniques sont dominés parles signes hémorragiques et les thromboses. En biopsiede moelle, on note une hyperplasie mégacaryocytaireavec des formes dystrophiques. Le chromosomePhiladelphie n’est pas retrouvé.– Dans la maladie de Vaquez, les manifestations fonc-tionnelles sont liées au syndrome d’hyperviscosité san-guine. Là aussi la leucocytose est modérée (10 à12.109/L). Les taux d’hémoglobine et d’hématocritesont élevés. La mesure isotopique du volume globulairepermet d’affirmer la polyglobulie vraie et il n’existe pasde chromosome Philadelphie.– La splénomégalie myéloïde associe souvent une ané-mie avec dystrophie érythrocytaire et érythroblastémie.Les plaquettes sont normales ou diminuées. Le diagnos-tic est généralement fait grâce à la biopsie de moelle quimontre une hyperplasie réticulinique diffuse avec à un

Hématologie

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ticulier la cytosine arabinoside), de nouvelles molécules outechniques telles que l’autogreffe sont à l’étude ; elles pour-raient contribuer à l’amélioration de la survie des patientsatteints de leucémie myéloïde chronique.

Pronostic

Les patients atteints de leucémie myéloïde chronique neconstituent pas une population homogène et la duréede la phase chronique est très variable, en moyenne de 5 ans mais pouvant aller de quelques mois à plus de 10 ans. Des facteurs pronostiques ont été identifiés ;d’abord utilisés pour prédire la durée de la phase chro-nique, ils jouent cependant un rôle de plus en plusimportant dans le choix thérapeutique.L’évaluation du pronostic peut se faire au moment dudiagnostic à partir des données cliniques et hématolo-giques initiales. L’évaluation du pronostic peut être plustardive, en tenant compte de la réponse au traitement.

1. Évaluation initiale du pronostic

• Le score de Sokalest calculé au diagnostic avant touttraitement. Il s’agit d’un modèle mathématique prenanten compte l’âge, le nombre de plaquettes, la taille de larate et le pourcentage de blastes. Trois groupes depatients ont ainsi été définis : un groupe à faible risqueayant une survie médiane de 60 mois, un groupe à risqueintermédiaire ayant une survie médiane de 44 mois et ungroupe à risque élevé ayant une survie médiane de 32 mois. Cette classification est valable pour les patientstraités par chimiothérapie conventionnelle.• Le score de Hasfords’applique plutôt aux patients enphase chronique de leucémie myéloïde et traités par lesinterférons. Il permet d’estimer la survie des patients enprenant en compte l’âge, la taille de la rate, le pourcen-tage de blastes, le taux de plaquettes, le pourcentage despolynucléaires éosinophiles et de basophiles. Troisgroupes de survie ont pu être identifiés : un groupe à basrisque dont la médiane de survie est de 98 mois et la sur-vie à 5 ans de 76 %, un groupe de risque intermédiairedont la médiane de survie est de 65 mois avec une survieà 5 ans de 55 % et un groupe à risque élevé dont lamédiane de survie est de 42 mois et la survie à 5 ans de25 %.• Le score de Gratwohlpermet d’estimer la survie despatients qui sont proposés pour une allogreffe de moelleosseuse. Le stade de la maladie, le type de greffe phéno-ou géno-identique, l’âge du patient, le délai par rapportau diagnostic et le sexe du receveur et du donneur vontpermettre d’établir une cote et d’estimer la survie de cespatients à 5 ans. Sept cotes ont ainsi été établies de 0 à 6.Un patient ayant un score égal à 0 aura une probabilitéde survie sans maladie à 5 ans de 60 %, de survie globa-le de 72 % et un risque de décès lié à la toxicité de lagreffe de 20 %. Un patient ayant un score égal à 6 auraune probabilité de survie sans maladie à 5 ans de 16 %,de survie globale de 22 % et un risque de décès lié à lagreffe de 73 %.

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transformation de type myéloblastique et dans 25 %lymphoblastique, le plus souvent de phénotype B.L’étude cytogénétique montre souvent des anomaliessurajoutées. Des rémissions peuvent être obtenues avecdes chimiothérapies lourdes mais elles sont en généralde courte durée.

4. Évolution des malades traités

Les changements dans la prise en charge thérapeutiquedes malades atteints de leucémie myéloïde chroniquesurvenus au cours des dernières années ont permisd’augmenter la survie de 5 ans, elle est passée de 20 % àprès de 60 %. L’évolution n’est pas la même selon letraitement proposé.• L’allogreffe de moelle osseuse est la seule mesurethérapeutique actuellesusceptible de guérir définitive-ment la leucémie myéloïde chronique. Lorsqu’elle estproposée, en première phase chronique de la maladie, aucours de la première année du diagnostic à des sujetsjeunes ayant dans la fratrie un donneur HLA identique,elle permet d’obtenir un taux de guérison d’environ70 %. Après la greffe, le caryotype est normal et les testsmoléculaires (Southern Blot, PCR) sont négatifs.Néanmoins, cette technique ne concerne que le petitnombre de malades ayant un donneur.• L’hydroxyurée constitue la chimiothérapie conven-tionnelle de référence. Prescrite au début à une dose de30 à 50 mg/kg/j, elle permet d’obtenir rapidement unerémission hématologique (disparition de la splénoméga-lie et hémogramme normal), en 1 à 4 semaines, parfoisplus tardivement (2 à 3 mois). Ce traitement doit êtrecependant maintenu en permanence, à une dosevariable, pour éviter la rechute hématologique. Lespatients traités par hydroxyurée ont une médiane de sur-vie d’environ 56 mois. Ce traitement est proposé auxsujets âgés ou aux jeunes en attente de greffe.• Les interférons α modifient aussi l’évolution.L’interféron, à la différence de la chimiothérapie clas-sique, entraîne des réponses cytogénétiques que l’onqualifie de complètes, majeures ou minimes selon lepourcentage de cellules Philadelphie positives rési-duelles. L’amélioration de la survie due à l’interféronsemble être liée à l’obtention de la réponse cytogénétique.Les patients qui obtiennent une réponse cytogénétiquemajeure (moins de 35 % de cellules Ph+) ou complète ontune probabilité de survie significativement améliorée parcomparaison avec ceux en échec cytogénétique ou ayantseulement une réponse mineure.Pour les patients en phase d’accélération de transforma-tion aiguë, les polychimiothérapies sont proposées. Ellesassocient en général alcaloïde de la pervenche, anthracy-cline, cytosine arabinoside. Les transformations lympho-blastiques sont plus sensibles à ces chimiothérapies. Cestraitements permettent d’obtenir un retour en phase chro-nique mais le plus souvent cette phase est de courte durée,en moyenne 6 mois. Elle doit être mise à profit pourrechercher un donneur.Des associations chimiothérapiques plus interféron (en par-

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2. Autres éléments du pronostic

Les anomalies cytogénétiques associées au chromo-some Philadelphie sont classiquement retrouvées chez70 à 80 % des patients lors de la transformation aiguë,mais de telles anomalies peuvent aussi être présentesdès la phase chronique de la maladie. Des études ontmontré que la présence au diagnostic d’anomalies cyto-génétiques additionnelles constitue un facteur pronos-tique péjoratif pour la survie. La réponse au traitement par interféron est également unfacteur du pronostic. Ainsi l’obtention d’une réponsehématologique complète dès le 3e mois de traitement estde bon pronostic. L’interféron augmente la survie despatients surtout en cas de réponse cytogénétique. Lesparamètres prédictifs d’une survie prolongée par interfé-ron α sont l’obtention d’un début de réponse cytogéné-tique dés le 6e mois et d’une réponse cytogénétiquemajeure (1 à 34 % de cellules Ph+) dans les 12 premiersmois de traitement. Indépendamment des scores pronos-tiques, la réponse au traitement, qui est un facteur lié autemps, peut donc aussi être prise en considération pourl’établissement du pronostic.Au total, le score de Sokal, établi au diagnostic et élabo-ré pour les patients traités par chimiothérapie conven-tionnelle, reste assez utilisé pour permettre d’orienter lechoix thérapeutique initial ; par exemple décider uneallogreffe si le score est élevé, ou débuter un traitementpar interféron s’il est faible. Pour les patients traités parinterféron, le score de Hasford a l’avantage d’estimer lasurvie des patients traités par interféron. Le score deGratwohl pourra être utilisé chez les patients pour quiune allogreffe de moelle osseuse est proposée; il permetde prédire la survie mais donne aussi des indications surles risques que fait courir la greffe en prenant en compteses paramètres spécifiques. Enfin, pour les patients trai-tés par interféron, la sensibilité au traitement est aussi unélément majeur à prendre en considération, permettantde décider la poursuite ou non du traitement. ■

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• L’allogreffe de moelle osseuse est la seule mesure thérapeutique actuelle qui permetde guérir les patients atteints de leucémie myéloïde chronique. Cependant,les interférons α, seuls ou associés à de la chimiothérapie (cytosine arabinoside),augmentent significativement la survie.• Différentes méthodes de calcul de scorepermettent d’évaluer le pronostic et constituentune aide pour la décision thérapeutique.

Points Forts à retenir

Le chromosome PhiladelphieDans la translocation t(9 ; 22), 2 gènes sont impliqués. Le proto-oncogène ABL est situé en 9q34. Le domaine des exons 4 à 9 cor-respond au site d’activité tyrosine kinase de la protéine produite parce gène. Il a été montré que cette protéine est spécifiquementnécessaire à la prolifération des cellules granuleuses. L’autre gèneBCR est situé en 22q11. Dans la leucémie myéloïde chronique, ausegment 5’ centromérique du gène BCR vient se joindre la partie 3’du gène ABL. Le gène chimérique BCR-ABL ainsi formé est trans-crit en un ARN messager. Celui-ci est traduit en une protéine de210 kDa dotée d’une forte activité tyrosine kinase indispensable aupouvoir transformant de BCR-ABL. Des études in vitro (avec destechniques de cultures de moelle) et in vivo (greffe de moelle desouris infectées par un rétrovirus contenant le gène BCR-ABL) ontmontré que ce réarrangement était bien responsable de la maladie.Les techniques moléculaires (Southern, PCR) permettent de déce-ler la présence du gène chimérique. Du fait de leur grande sensibi-lité (détection d’une cellule pathologique sur 100 000) l’utilisa-tion de ces techniques s’est développée dans la prise en charge dupatient et elles sont particulièrement intéressantes pour l’étude dela maladie résiduelle, notamment après allogreffe de moelle osseu-se et traitement par interféron quand une rémission cytogénétiquea été obtenue.

POUR APPROFONDIR

Guilhot F. Diagnostic et traitement des hémopathies malignescomportant le réarrangement BCR-ABL. Hematologie 1995, 2 :133-144.

POUR EN SAVOIR PLUS

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tion. En Europe et aux États-Unis, elles représentent80 % des leucémies et 35 % environ des cancers de l’en-fant. Chez l’adulte, elles sont au contraire 4 fois plusrares que les leucémies aiguës myéloblastiques.

Diagnostic positif

Signes révélateurs

La forme typique associe un syndrome d’insuffisancemédullaire, un syndrome tumoral, et des signes métabo-liques. Leur intensité respective peut être très variée, etparfois nécessiter des soins d’extrême urgence.

1. Syndrome d’insuffisance médullaire

• L’anémie est responsable de pâleur, tachycardie, dys-pnée d’effort, souffle systolique.• La thrombopénieavec des signes hémorragiques allantdu simple purpura ecchymotique à l’hémorragie cérébro-méningée, dont le risque est accentué en présence d’hé-morragies rétiniennes au fond d’œil. • La granulopénie, source de complications infectieusesgraves. Cependant la fièvre est au moins aussi souventd’origine tumorale qu’infectieuse.

2. Syndrome tumoral

Après la moelle et le sang, tous les organes peuvent êtreenvahis. L’implication des organes lymphoïdes, l’envahis-sement des testicules ou du système nerveux central évo-quent le caractère lymphoblastique de la leucémie aiguë.• Adénopathies périphériques ou profondes, hépatomé-galie et (ou) splénomégalie de taille variable présentes 3fois sur 4 ne sont pas distinctives à l’exception des massesmédiastinales antérieures parfois compressives qui suggè-rent une leucémie lymphoblastique aiguë de phénotype T. • L’envahissement du système nerveux centralpeut semanifester par une atteinte des nerfs crâniens (paralysiesoculomotrices), un syndrome méningé, des signes d’hy-pertension intracrânienne, une hypo-estésie de la houp-pe du menton… Dans tous les cas, la ponction lombaireest nécessaire pour affirmer l’atteinte méningée ou déce-ler un envahissement infraclinique.

L es leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL) se défi-nissent comme la prolifération anormale, dans la moelleosseuse, d’un clone cellulaire anormal, issu de la lignéelymphocytaire, et bloqué à un stade précis de différencia-

Leucémies aiguës lympho-blastiques (adulte et enfant) Diagnostic, évolution

DR Mathilde HUNAULT-BERGER, DR Isabelle PELLIER, PR Norbert IFRAHService des maladies du sang et unité d’oncologie pédiatrique, CHU, 49033 Angers cedex 01.

• Le diagnostic de leucémie aiguë est porté dèsqu’il y a plus de 30 % de blastes dans la moelleosseuse. Le terme « aigu », bizarrement,ne se rapporte ni à un élément chronologique,ni à une gravité apparente.• Le processus leucémogène conduit à uneprolifération de cellules jeunes, anormales,ayant perdu le pouvoir de différenciation et maturation. L’insuffisance médullaire associéeprovient d’une inhibition de l’hématopoïèsenormale.• La définition morphologique et cytochimiquedes blastes de leucémie lymphoblastique aiguëapparaît presque négative : cellules sans grain,peroxydase négative. Leur caractérisationimmunologique est beaucoup plus performante :leucémie B ou T plus ou moins mature, voirebiphénotypique.• La lésion initiale est génique, acquise, clonale(n’intéresse que tout ou partie des cellulesleucémiques), non aléatoire (définit des tableauxstéréotypés clinico-biologiques).• Les conditions du diagnostic chez l’adulte et chez l’enfant sont similaires. Les différencesproviennent de la tolérance du traitement,et d’une répartition différente des facteurs de mauvais pronostic (notamment le chromosomePhiladelphie et la résistance aux chimiothérapies).• Le principe du traitement est de réduire la masse tumorale par assauts successifs d’unechimiothérapie non sélective, accompagnée d’uneprophylaxie cérébro-méningée et d’un traitementd’entretien. Les greffes de cellules soucheshématopoïétiques, allogéniques ou autologues sont réservées aux formes les plus graves.

Points Forts à comprendre

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• L’atteinte testiculaireinitiale, rare, se traduit par degros testicules fermes et indolores. Le diagnostic estaffirmé par ponction et (ou) biopsie.L’infiltration testiculaire et les douleurs osseuses épiphy-saires avec des bandes claires métaphysaires sur lesradiographies (20 à 40 % des cas) sont plutôt l’apanagedes formes de l’enfant. Une boiterie, un refus de lamarche peuvent en résulter.Les localisations tumorales cutanées comme l’infiltra-tion gingivale ou la détresse respiratoire hyperleucocy-taire ne se rencontrent en pratique que dans les leucémiesaiguës myéloïdes.

3. Syndrome de lyse tumorale

Rare mais caractéristique : anurie par hyperuraturie,déshydratation par hypercalcémie, troubles du rythmepar hyperkaliémie ont un pronostic spontané redoutableà court terme. L’intensité de chacun de ces troubles et leur association estvariable. Dans les formes les plus aiguës, la symptomato-logie est bruyante, susceptible de prendre un caractèred’urgence (anémie aiguë, syndrome hémorragique, signesde leucostase dans les formes très hyperleucocytaires).

Examens complémentaires

Ils affirment le diagnostic de leucémie aiguë et lescaractéristiques de la population blastique (indispen-sables à l’établissement d’un schéma thérapeutiqueadapté), précisent les différentes localisations de lamaladie et permettent de se placer dans les meilleuresconditions de sécurité.

1. Numération formule sanguine

Elle peut montrer des cellules blastiques circulantesmais cela n’est ni nécessaire ni suffisant pour poser lediagnostic. Elle permet par ailleurs d’apprécier :• le degré de l’anémie (normochrome normocytaire aré-générative). Un chiffre normal d’hémoglobine traduitsouvent une forme rapidement évolutive, de mauvaispronostic ;• l’intensité de la thrombopénieet le risque hémorra-gique ;• le chiffre de la leucocytose, facteur pronostiquemajeur, distingue les formes cytopéniques des formeshyperleucocytaires. Celles-ci peuvent (8 à 15 % des cas)dépasser 100 000/mm3. Le degré de la neutropénie abso-lue prédit le risque infectieux immédiat.

2. Myélogramme

Indispensable pour poser le diagnostic, même en cas deblastose circulante. Il est généralement pratiqué chezl’adulte au sternum, chez l’enfant sous sédation analgé-sique en épine iliaque antérieure ou postérieure. Il per-met 3 types d’examens.

• L’étude cytologique :l’aspect morphologique (colora-tion de May-Grünwald-Giemsa) sur lame affirme le dia-gnostic de leucémie aiguë (plus de 30 % de cellules blas-tiques) et souvent en propose le type cellulaire. Laclassification FAB (Franco-américano-britannique), laplus utilisée, décrit 3 groupes :– LI : très fréquent chez l’enfant, assez rare chez l’adulte ;les cellules sont petites, monomorphes ; – L2, caractérisé par l’hétérogénéité des blastes, dans leurtaille comme dans leur aspect ; – L3, de type Burkitt : cellules malignes de taille moyen-ne, très particulières par leur cytoplasme intensémentbasophile contenant des vacuoles.Les réactions cytochimiques myéloïdes sont négatives(myéloperoxydase et noir Soudan B, estérases fluorosen-sibles) ou non spécifiques [positivité en mottes cytoplas-miques du Periodic Acid Schiff]).La cytochimie ultrastructurale, lorsqu’elle est pratiquée,confirme l’absence de peroxydase.La biopsie ostéomédullaire n’est pratiquée qu’en casd’échec du myélogramme.Ainsi, la définition cytologique des leucémies aiguëslymphoblastiques est pour l’essentiel négative : proliféra-tion de blastes sans grains peroxydase négatifs. Leslimites de cette classification FAB résident d’une partdans l’impossibilité de classer par la morphologie 25 %environ des leucémies aiguës, d’autre part dans l’absencede toute corrélation entre l’aspect cytologique et l’appar-tenance à une lignée B ou T, à l’exclusion notable de laleucémie aiguë lymphoblastique 3 qui est toujours B.On conçoit l’apport qu’a pu constituer la déterminationde l’immunophénotype des cellules leucémiques grâce àla disponibilité d’anticorps monoclonaux.• L’étude immunologiquepermet d’établir la nature de la leucémie aiguë et d’en préciser le stade de différencia-tion. Elle utilise le plus souvent la cytométrie en flux.L’immunophénotype se définit comme l’ensemble desantigènes membranaires (CD) exprimés par les cellulesleucémiques. Il n’existe pas de néoantigène leucémique,aussi la nature maligne des blastes est-elle déduite soit deleur nombre, soit de la coexistence anormale d’antigènesen théorie mutuellement exclusifs, soit du caractère inha-bituel de leur présence au sein d’un organe ou d’un tissu. Il est ainsi possible de situer, avec une précision variabled’un cas à l’autre, l’étape de la maturation normale que leblaste leucémique n’a pu franchir. L’usage clinique a dis-tingué 4 formes, de répartition variable selon l’âge et quichez l’enfant se répartissent ainsi :– leucémie lymphoblastique aiguë T (15 à 20 % des cas) ; – leucémie lymphoblastique aiguë pré-pré B (70 à 75 %des cas) caractérisée par l’antigène CD10 ou CALLA ; – leucémie lymphoblastique aiguë pré B (environ 10 %des cas) ; – leucémie lymphoblastique aiguë B (< 5 % des cas).Dans un petit nombre de cas, les cellules leucémiquesexpriment à la fois des marqueurs lymphoïdes et myé-loïdes ; on parle alors de leucémies bi-phénotypiques (6 à15 % des leucémies lymphoblastiques aiguës), de signifi-cation exacte et de valeur pronostique encore inconnue.

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4. Autres examens

• Radiographie de thorax :à la recherche d’un grosmédiastin, d’un syndrome alvéolo-interstitiel (leucosta-se), d’une pneumopathie infectieuse.• L’étude de l’hémostase avec recherche de coagula-tion intravasculaire disséminée (CIVD) :indispen-sable, particulièrement dans les leucémies lymphoblas-tiques aiguës hyperleucocytaires.• L’ionogramme et le bilan phosphocalcique :pourapprécier la fonction rénale, rechercher une hyperuricé-mie ou le retentissement métabolique de la lyse blastique.• Le dosage de LDHreflète la masse tumorale et sonrenouvellement.• Une étude de la fonction hépatiqueavant une chimio-thérapie potentiellement toxique.• Un phénotype érythrocytaire complet, avec recherched’agglutinines irrégulières avant toute transfusion, pourréduire le risque d’immunisation chez des patients can-didats à de multiples transfusions.• Un groupage HLApour prévoir l’immunisation trans-fusionnelle plaquettaire voire dans l’éventualité d’unegreffe de moelle ultérieure.• Une enquête bactériologique et viralepour déterminerla cause d’une fièvre initiale, mais aussi le statut sérolo-gique vis-à-vis des hépatites B et C et du virus de l’im-munodéficience humaine (VIH) ce qui a un intérêt pra-tique immédiat (transfusions prévisibles) mais aussimédico-légal ultérieur.• Une échographie abdominalelorsque la clinique yinvite, pour détecter une tumeur mésentérique ou uneinfiltration rénale.• Une échographie cardiaqueavant utilisation desanthracyclines.

Diagnostic différentiel

Il n’y a pas en pratique de diagnostic différentiel d’uneleucémie aiguë. Il importe pourtant de :• ne pas ignorer le diagnosticdevant un tableau cliniquetrompeur ou incomplet évoquant une arthrite chroniquejuvénile ou une mononucléose infectieuse. L’analysedes données hématologiques doit être rigoureuse, lecontrôle médullaire réalisé au moindre doute ;• ne pas poser le diagnostic trop précipitammentsurdes seules données sanguines : le myélogramme est tou-jours indispensable au diagnostic de leucémie lympho-blastique aiguë.La réelle difficulté peut provenir de l’affirmation du carac-tère lymphoïde d’une leucose aiguë, du fait de la négativi-té ou de la discordance des examens mis en œuvre. La dis-tinction entre leucémie lymphoblastique aiguë à Ph1 ettransformation aiguë de leucémie myéloïde chronique estactuellement purement intellectuelle : leur pronostic estpareillement effroyable ; à la frontière entre le diagnosticdifférentiel et les formes cliniques se situent les lym-phomes leucémisés, dans lesquels c’est le ganglion quiconstitue le site initial de la prolifération maligne, mais oùmoelle et sang peuvent être envahis lors du diagnostic.

• L’étude génétique :les anomalies affectent le génome.Elles sont acquises, clonales et non aléatoires. Fréquentesmais non obligatoires, elle contribuent de manière essen-tielle à la définition de facteurs pronostiques dans les leu-cémies lymphoblastiques aiguës. Il existe 2 types d’ano-malies :– des anomalies de nombre (appréciées par l’étude cytogé-nétique et la mesure de l’index d’ADN) :. les formes hyperdiploïdes (> 50 chromosomes ou indexDNA > 1,16) plutôt associées au phénotype pré-pré B etde meilleur pronostic ; . les formes hypodiploïdes (o 45 chromosomes) rares(moins de 8 % des cas) au pronostic nettement péjoratif ; . ploïdie comprise entre 47 et 50 chromosomes de pronos-tic intermédiaire (de même que les formes très hyper-ploïdes) ; – des anomalies de structure mises en évidence soit parcytogénétique soit par biologie moléculaire [PCR et (ou)hybridation fluorescente in situ]. Sont de mauvais pronostic :. t(9;22)(q34;q11) : ou « chromosome Philadelphie » (Ph1),de pronostic catastrophique. L’aspect cytogénétique est lemême, mais les anomalies moléculaires (fusion Bcr-Abl)sont parfois différentes de celles observées dans la leucé-mie myéloïde chronique y compris en transformationaiguë. Sa fréquence, basse chez l’enfant (5 %) s’élève chezl’adulte, pour atteindre près de 1 cas sur 2 après 50 ans ;. t(4;11)(q21;q23) : trouvée dans environ 2 à 5 % des cas,associée au jeune âge, à l’hyperleucocytose. D’autres ano-malies impliquant cette région 11q23 sont très fréquenteschez l’enfant : le gène concerné (gène MLL), semble for-tement impliqué dans la différenciation cellulaire ;. t(1;19)(q23;p13) : donne naissance à un gène de fusionE2A-PBX1 et à une protéine hybride, facteur de transcrip-tion aux propriétés transformantes. Son mauvais pronosticinitial a été effacé chez l’enfant par l’utilisation de proto-coles intensifs.Semblent comporter un meilleur pronostic avec les traite-ments actuels :. anomalies 8q24 : « type Burkitt ». Elles regroupent les t(8;14)(q24;q32), les t(2;8)(p12;q24) et lest(8;22)(q24;q11) qui toutes intéressent l’oncogène c-myc – dont la dérégulation apparaît critique dans leprocessus de transformation maligne – alors juxtaposéaux gènes codant les chaînes lourdes ou légères d’im-munoglobulines. Toutes trois sont associées à un immu-nophénotype B. Leur pronostic, autrefois effroyable, aété transformé par les chimiothérapies actuelles ;. t(12;21)(p13;q11) : elle semble très fréquente (20 à 30 % des leucémies lymphoblastiques aiguës de l’en-fant), intéressant le gène tel. L’apparent bon pronosticreste néanmoins à confirmer sur le long terme.

3. Ponction lombaire

L’atteinte méningée se définit par l’existence de plus de5 éléments/mm3 dans le liquide céphalorachidien avecprésence de blastes. Elle influence le pronostic et surtoutles modalités thérapeutiques.

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Le seuil conventionnel – 30 % de blastes médullaires –définit la leucémie aiguë. Pour artificiel qu’il puisseparaître, il est très utile en clinique.

Formes cliniques

Deux formes méritent d’être individualisées par leursémiologie particulière :• les leucémies lymphoblastiques aiguës T, caractériséespar une forte masse tumorale médiastinale développéeaux dépens du thymus et par un tropisme cérébro-ménin-gé marqué ;• les leucémies lymphoblastiques aiguës B matures, detype Burkitt [non liées au virus Epstein-Barr (EBV)contrairement au lymphome de Burkitt africain] : lesblastes de morphologie L3 portent à leur surface desimmunoglobulines de membrane monotypiques. Le pro-nostic immédiat dépend de la qualité de la réanimationhématologique tant le syndrome métabolique est au pre-mier plan. La masse tumorale est considérable, avec sou-vent une localisation abdominale et (ou) neuroméningée.

Facteurs pronostiques

1. Facteurs liés au malade

• L’âge est le facteur le plus important; chez l’adulte, lerisque de rechute ou d’échec primaire s’accroît au-dessusde 35 ans ; chez l’enfant, un âge inférieur à 1 an est demauvais pronostic : la maladie est souvent hyperleucocy-taire avec atteinte méningée initiale, et le traitement plustoxique à cet âge ; chez l’enfant plus grand, le pronosticse dégrade à partir de 10-11 ans pour rejoindre celui del’adulte à partir de 15 ans.• L’infection initiale, l’obésité sont autant d’élémentspéjoratifs.

2. Facteurs liés à la maladie

• Le syndrome tumoral :l’existence d’un syndrometumoral important, l’atteinte initiale du système nerveuxcentral sont de mauvais pronostic.• Le chiffre de globules blancs :le pronostic est plusfavorable quand la leucocytose est inférieure à 10 000GB/mm3. Il est très défavorable au-dessus de 100 000 GBchez l’enfant, dès 30 000/mm3 chez l’adulte.• L’immunophénotype :– très utile pour définir précisément les leucémie lympho-blastique aiguë, le phénotype immunologique constitueun facteur pronostique sans doute mineur, et en tout casnon indépendant ;– les leucémies lymphoblastiques aiguës T peuvent être,selon les protocoles utilisés, les « meilleures » ou les « pires ». Classiquement de mauvais pronostic chez l’en-fant, elles justifient une intensification thérapeutique. Au contraire, elles sont plutôt meilleures chez l’adulte ;• La cytogénétique (cf. supra).

3. Facteurs liés au traitement

• La réponse au traitement :la rapidité et la qualité de laréponse à la chimiothérapie initiale ont une importancemajeure. La rapidité de mise en rémission apparaît commeun facteur prédictif essentiel pour la survenue de rechutestardives. Elle peut être appréciée de 3 manières :– aspect médullaire entre le J7 et le J14 du traitement ;– nombre de blastes circulants à J8 ;– obtention de la rémission complète à l’issue de la pre-mière cure de chimiothérapie.• Surtout, la qualité de la rémissionest au mieux appré-ciée par la détection moléculaire de la maladie résiduelle.On estime à 1012 le nombre de cellules présentes au dia-gnostic d’une leucémie aiguë et à 109 celles qui persistentdans l’organisme lors de l’état dit de rémission complète,non détectables par les méthodes morphologiques clas-siques. Mieux détecter cette maladie résiduelle grâce à sesparticularités moléculaires pourrait permettre de définirune base rationnelle d’intensification thérapeutique indivi-dualisée (voir :Pour approfondir). n

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• La triade clinico-biologique caractéristiqueassocie un syndrome d’insuffisance médullaire, unsyndrome tumoral et un syndrome métabolique.• L’atteinte des organes lymphoïdes, du systèmeméningé et des testicules évoque la naturelymphoïde d’une leucémie aiguë.• L’hémogramme permet de quantifier la leucocytose (facteur pronostique) et d’évaluerl’hématopoïèse résiduelle (chiffres des plaquettes,des polynucléaires et des réticulocytes) mais nesuffit pas à faire le diagnostic.• Le myélogramme est indispensable au diagnostic avec au moins 30 % de blastes. La caractérisation complète associe lamorphologie, l’immunophénotype, le caryotypevoire la biologie moléculaire.• L’urgence du traitement peut être extrême,notamment dans les formes T et Burkitt.• La définition de la rémission complète nécessitela normalisation pendant un mois de l’examenclinique, de l’hémogramme et du myélogramme(moins de 5 % de blastes). Il existe pourtantà ce stade une maladie résiduelle détectablenotamment par biologie moléculaire.• Le pronostic des leucémies aiguëslymphoblastiques de l’enfant est deux foismeilleur que celui de l’adulte. • Le pronostic des leucémies à chromosomePhiladelphie est catastrophique.• Chez l’enfant, il est important de connaître les complications à long terme du traitement (cérébrales, endocriniennes,cardiaques et cancers secondaires).

Points Forts à retenir

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Hématologie

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TRAITEMENT• Principes généraux du traitementLes protocoles actuels sont stratifiés selon les facteurs pronostiques,pour adapter leur agressivité aux risques prévisibles. Il n’existe pasd’agent forçant la différenciation dans les leucémies lymphoblastiquesaiguës. Si bien que les chimiothérapies entraînent des cytopénies globales et durables.

Le traitement (d’une durée moyenne de 2 à 3 ans suivant les protocoles)est généralement divisé en 4 phases.

– L’induction est destinée à obtenir la rémission complète, définie parun examen clinique et une numération normaux associant plus de 1 000polynucléaires et plus de 100 000 plaquettes par mm3, un myélogrammede richesse et composition normales contenant moins de 5 % de blastes,l’ensemble étant maintenu pendant au moins un mois.

Les leucémies aiguës lymphoïdes et myéloïdes ne sont pas sensibles auxmêmes médicaments. La plupart des protocoles associent plusieursdrogues : vincristine, corticoïdes, anthracycline, asparaginase.

Cette phase initiale grevée d’une morbidité sévère, notamment infec-tieuse, ne se conçoit qu’en milieu spécialisé. Prévention du syndrome de lyse par hyperdiurèse alcaline et hypo-uricémiants, traitements antibiotiques et modalités transfusionnelles participent à la qualité dela prise en charge.

La rémission complète est obtenue chez plus de 90 % des enfants, prèsde 80 % des adultes.

– La consolidationutilise des drogues différentes, avec une toxicité ana-logue, pour éviter la sélection de clones résistants : étoposide, aracytine,cyclophosphamide, méthotrexate et antimétabolites (6-mercaptopurineet thioguanine).

– L’intensification reprend généralement les drogues initialement utilisées au moment de l’induction.

– Le traitement d’entretienrepose le plus souvent sur l’association6-mercaptopurine et méthotrexate pendant 18 mois. Son but est d’éradi-quer la maladie résiduelle. Des réinductions mensuelles ou trimestriellespeuvent s’y ajouter.

– La prévention des atteintes neuroméningées, systématique, reposeessentiellement sur les injections intrathécales de chimiothérapie et l’administration systémique de méthotrexate à hautes doses. La radio-thérapie de l’encéphale jusqu’à C2, autrefois traitement de référence, estmaintenant souvent réservée à des cas particuliers à haut risque.

• Place de la greffe de cellules souches hématopoïétiques– Allogreffe géno-identique :en première rémission complète,elle n’est discutée chez l’enfant que pour les formes de pronostic trèssévère. Chez l’adulte cette discussion se fait dès la première rémissioncomplète s’il existe au moins un critère de mauvais pronostic. Elledevient indispensable dans certaines formes très graves comme les leucémies lymphoblastiques aiguës à Ph1 pour lesquelles le double effet du conditionnement cytoréducteur et de l’immunothérapie active[effet antileucémique du greffon ou GVL (graft versus leukemia)] représente la seule chance de guérison. Dans cette indication il existe unconsensus pour recourir le cas échéant aux donneurs non apparentésphéno-identiques.

– Autogreffede cellules souches hématopoïétiques prélevées en rémis-sion complète, pure ou purgée in vitro de cellules malignes résiduellespar agents chimiques, physiques ou immunologiques est une alternativeproposée par nombre d’équipes lorsqu’une allogreffe intrafamiliale n’estpas possible, avec des résultats variables. Moins toxique du fait de l’absence de maladie du greffon contre l’hôte, cette méthode ne bénéficiepas de l’effet GVL. C’est dire l’importance de la qualité du greffon,et donc de la détection de la maladie résiduelle inapparente.

• RechutesLes rechutes peuvent survenir au cours du traitement ou beaucoup plustard. Parfois médullaires et massives, elles peuvent être plus insidieusesvoire rester transitoirement confinées à un sanctuaire méningé ou testiculaire. Si le type cellulaire est le plus souvent inchangé, la chimio-résistance est beaucoup plus fréquente. La seconde rémission n’est obtenue que dans 20 à 50 % des cas et ne dure que quelques mois. Une allogreffe géno-identique est alors proposée si elle est possible.Dans le cas contraire, peut se discuter une greffe à partir de donneursvolontaires HLA identiques ou une autogreffe médullaire (moelle prélevée en rémission).

• RésultatsActuellement, chez l’enfant, les taux de survie sans rechute à 7 ansvarient de 50 % dans les formes à très haut risque à environ 80 % pour les plus favorables. Chez l’adulte, les résultats sont beaucoup moinssatisfaisants : un tiers des patients, au mieux, ont une chance de guéri-son. Les raisons de cette chimiorésistance ne sont pas connues avec précision: la grande fréquence de Ph1, la moins bonne tolérance des adultes à lachimiothérapie – qui conduit souvent à un non respect des doses et desdates « idéales » – en constituent sans doute une part.

• Effets tardifs– Complications neurologiquesavec une réduction fréquente des per-formances évaluées sur des tests standardisés d’intelligence globale,mais aussi parfois des leucoencéphalopathies voire des glioblastomesattribués à l’association chimio-radiothérapie D’où la tendance actuelleà la réduction de la prophylaxie méningée.

– Complications cardiaques à long terme qui ont conduit à réduire lesdoses cumulées d’anthracyclines dans les protocoles modernes.

– Risque de cancers secondairesestimé à 2 % à 15 ans. Les leucémiesimpliquant la région chromosomique 11q23 (secondaires à la toxicitécumulée de l’étoposide), et les tumeurs cérébrales sont les plus fré-quentes.

– Complications endocrinesavec un retentissement sur la croissance(plus net avant 4 ans), mais aussi – encore mal prévisible – sur les fonc-tions gonadiques, même si la puberté est en règle possible.

POUR APPROFONDIR

Leucémies aiguës. Monographie. Rev Prat (Paris) 1996 ; 46 : 21-

POUR EN SAVOIR PLUS

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Hématologie

B 308

Maladie de HodgkinDiagnostic, classification internationale à visée pronostique, évolution, principes du traitement

Pr Gilles SALLES

Service d’hématologie, centre hospitalier Lyon-Sud, 69495 Pierre Bénite cedex

• La maladie de Hodgkin fait partie des cancers du système lymphatique, comme les autreslymphomes, mais ses caractéristiques histologiques,évolutives et thérapeutiques sont particulières.• Le diagnostic histologique est porté sur la présence de cellules de Reed-Sternberg dans une architecture ganglionnaire caractéristique.• La diffusion de la maladie qui se fait de procheen proche par les territoires ganglionnaires doitêtre précisée par un bilan d’extension soigneux.• La classification en stades dite de Ann Arbor est un élément de pronostic indispensable, auquels’ajoutent l’âge, la vitesse de sédimentation, et le rapport médiastino-thoracique en casd’atteinte médiastinale.• Les modalités thérapeutiques font appelgénéralement à une association de chimiothérapieet de radiothérapie (traitements combinés).

Points Forts à comprendre Circonstances de découverteLa maladie de Hodgkin est révélée dans près de 4 cas sur5 par une adénopathie périphérique indolore souvent desiège cervical ou sus-claviculaire. Dans environ 10 % descas, elle est découverte devant des adénopathies médiasti-nales mises en évidence sur un cliché thoracique (fig. 1)réalisé de manière fortuite ou à l’occasion de signes decompression (toux, dyspnée, douleurs). Enfin, dans 10 à20 % des cas, la maladie est révélée par la présence designes généraux, tels que la fièvre, un amaigrissement, dessueurs nocturnes, et plus rarement un prurit.

Diagnostic positif de la maladie de HodgkinLe diagnostic de la maladie de Hodgkin doit être établi surun examen anatomo-pathologique d’une biopsie gan-glionnaire. Si la cytoponction permet parfois de mettre enévidence des cellules de Reed-Sternberg, elle n’est pas suf-fisante pour établir le diagnostic car cette cellule n’est paspathognomonique de la maladie. Enfin, dans les très raresformes hématologiques sans atteinte ganglionnaire, le dia-gnostic peut être porté sur la biopsie médullaire ou la piècede splénectomie.La cellule de Reed-Sternberg est une cellule géante, d’envi-ron 40µm de diamètre, à noyau clair, mono- ou parfois poly-lobé avec un aspect en miroir, pluri-nucléolé. Des variantescytologiques de la cellule de Reed-Sternberg peuvent aussiêtre rencontrées (cellules lacunaires, cellules de Hodgkin, cel-lules tumorales géantes). Le phénotype habituel des cellulesde Sternberg dans la maladie de Hodgkin classique est carac-térisé par l’expression de la molécule de surface CD30, éven-tuellement des antigènes CD15 parfois CD20.Quatre sous-types histologiques étaient habituellement dis-tingués selon la classification de Lukes-Rye :– la maladie de Hodgkin avec une organisation sclérosanteet nodulaire (forme scléro-nodulaire de type 2) est la formela plus classique de maladie de Hodgkin, retrouvée dans80 % des cas, touchant préférentiellement les sujets jeuneset les ganglions sus-diaphragmatiques ;– la forme à cellularité mixte (type 3) représente 15 à 20 %des cas et s’observe plus volontiers chez les sujets âgés,avec des signes généraux d’évolutivité ou chez les sujetsporteurs du virus de l’immunodéficience humaine (VIH)atteints de maladie de Hodgkin ;– à côté de ces 2 formes classiques, la forme à déplétionlymphocytaire (type 4) est rare, souvent associée à un pro-

Diagnostic

Définition, épidémiologie, étiologie

La maladie de Hodgkin est aujourd’hui considérée commeun lymphome d’un type particulier, caractérisée par la pro-lifération de grandes cellules appelées cellules de Reed-Sternberg au sein d’un tissu lymphoïde réactionnel d’ar-chitecture caractéristique.

La maladie est plus fréquente chez l’homme (2 à 5cas pour 100 000 habitants par an) que chez la femme (1 à2 cas pour 100 000 habitants par an). Son incidence paraîtglobalement stable ou en légère diminution dans les 20 der-nières années. Elle peut être observée à tous les âges de lavie, mais avec un pic de survenue pendant la 3e décennie,et une incidence à nouveau en augmentation chez les per-sonnes de plus de 70 ans.

Plusieurs travaux récents indiquent qu’un certain nombrede maladies de Hodgkin se développent à partir de lym-phocytes de la lignée B. Le virus d’Epstein-Barr (EBV)peut être détecté dans les cellules de Reed-Sternberg, dansune proportion très variable de cas et il n’y a aucune preuvede son rôle dans la survenue de la maladie.

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Cliché thoracique de face d’un patient atteint de maladiede Hodgkin mettant en évidence une volumineuse masse poly-lobée se développant dans le médiastin supérieur. Le rapportmédiastino-thoracique en D5/D6 est supérieur à un tiers.

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densitométrique du thorax complète la recherche d’adé-nopathies médiastinales et hilaires, l’existence ou non d’unépanchement pleural ou péricardique dont la spécificitédoit être si possible documentée.Concernant l’extension sous-diaphragmatique, l’explorationde l’abdomen et du pelvis est actuellement réalisée par unexamen tomodensitométrique (abdomen + pelvis) qui a sup-planté la lymphographie. L’échographie abdominale permetde s’assurer de l’homogénéité du parenchyme splénique, depréciser éventuellement la présence de lésions hépatiques.La laparotomie exploratrice n’a plus sa place dans le biland’extension standard des maladies de Hodgkin.Ce bilan minimal doit être complété par un examen ORLen cas d’atteinte ganglionnaire cervicale, et par la réalisa-tion d’une biopsie médullaire qui ne peut être omise quepour les stades limités ayant des caractéristiques favorables(cf. infra).Le bilan biologique nécessaire comprend un hémogrammecomplet, une mesure de la vitesse de sédimentation éry-throcytaire, un bilan hépatique (à la recherche notammentd’une cholestase ou d’une cytolyse qui pourraient orientervers une atteinte du parenchyme hépatique), une sérologiedu virus de l’immunodéficience humaine. La réalisationd’une électrophorèse des protéines, d’un dosage de la lac-tate déshydrogénase (LDH), de la β2-microglobuline, dufibrinogène et de la ferritine peut être faite, leurs perturba-tions étant associées à un plus mauvais pronostic de la mala-die.Enfin, en fonction de l’interprétation des examens précé-dents et des points d’appel clinique, une ponction biopsiehépatique peut être réalisée, ainsi qu’une scintigraphieosseuse, une imagerie par résonance magnétique (IRM),ou tout autre examen servant à documenter une atteintespécifique de la maladie de Hodgkin.

nostic défavorable, et certains cas constituent une patho-logie frontière avec les lymphomes anaplasiques. Enfin, laforme à prédominance lymphocytaire (type 1) et d’archi-tecture diffuse n’est aujourd’hui plus considérée commeune maladie de Hodgkin mais comme un lymphome ; tan-dis que la forme nodulaire est individualisée sous le nomde paragranulome nodulaire de Poppema dont les caracté-ristiques et l’évolution sont distinctes des maladies deHodgkin classiques.L’analyse immunohistochimique de la biopsie ganglion-naire est nécessaire lorsque le diagnostic n’est pas évidentdans les 2 formes classiques (types 2 et 3), ou lorsqu’unedes formes atypiques est suspectée, compte-tenu des fron-tières de ces formes avec certains lymphomes non hodg-kiniens.

Diagnostic différentielLe tableau clinique de maladie de Hodgkin révélé par uneadénopathie superficielle fait discuter les autres causesd’adénopathies superficielles, en particulier les autres lym-phomes, les métastases ganglionnaires de cancer, les infec-tions virales ou bactériennes (tuberculose) s’accompagnantd’adénomégalie, les maladies systémiques.Après biopsie ganglionnaire, seules posent un problèmeles formes frontières entre maladie de Hodgkin et lym-phome dans les sous-types 1 et 4 de la classification deLukes-Rye.

Classification internationale à viséepronostiqueLa maladie de Hodgkin est un des premiers cancers à avoirété guéri, d’abord par la radiothérapie utilisée seule à largechamps, puis par la chimiothérapie, utilisée seule ou enassociation à la radiothérapie. Cependant, il est clairementapparu que ces traitements exposaient à des complicationsimmédiates et à long terme, et devaient faire l’objet d’uneutilisation optimale. C’est pourquoi le traitement des mala-dies de Hodgkin est aujourd’hui fondé sur une stadifica-tion très précise des patients afin d’utiliser au mieux cesdifférentes armes thérapeutiques.

Bilan d’extensionLe bilan d’extension de la maladie de Hodgkin commencepar un interrogatoire à la recherche de signes généraux :fièvre à plus de 38˚C pendant plus de 8 jours, amaigrisse-ment de plus de 10 % du poids du corps pendant les 6 der-niers mois, sueurs nocturnes abondantes. L’examen cli-nique s’attache à explorer toutes les aires ganglionnaires,à détecter une splénomégalie ou une hépatomégalie. Laprésence de localisations extraganglionnaires de la mala-die de Hodgkin est relativement rare mais les atteintesosseuses révélées par des douleurs focales ne sont pasexceptionnelles dans les formes étendues de la maladie.Le cliché thoracique est nécessaire pour l’identificationéventuelle d’une masse médiastinale volumineuse, celle-ci étant considérée comme significative lorsque le plusgrand diamètre tumoral, mesuré au niveau de D5-D6, estsupérieur ou égal au tiers du diamètre transverse thora-cique, mesuré au même niveau (fig. 1). L’examen tomo-

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Hématologie

Facteurs pronostiques classiquesPour adapter la stratégie thérapeutique, les patients sontd’abord stratifiés à l’aide de la classification d’Ann Arborqui résulte de l’interprétation du bilan d’extension. Dansles différents sous-groupes identifiés à l’aide de cette clas-sification, d’autres facteurs pronostiques sont parfoisnécessaires pour les décisions thérapeutiques. Au terme decette classification, les patients vont être schématiquementregroupés ainsi : les stades limités (I et II) sus-diaphrag-matiques ; les stades limités (I et II) sous-diaphragma-tiques ; les stades IIIA ; les stades IIIB-IV.En ce qui concerne les stades I et II sus-diaphragmatiques,plusieurs études internationales ont identifié certains fac-teurs pronostiques indépendants (âge, présence de signesgénéraux, élévation de la vitesse de sédimentation, masseet extension tumorale) servant à séparer 2 groupes pro-nostiques, l’un d’évolution favorable, l’autre d’évolutiondéfavorable (tableau II). Ces 2 groupes bénéficient habi-tuellement de stratégies thérapeutiques différentes (proto-coles thérapeutiques de l’Organisation européenne derecherche sur le traitement du cancer, OERTC).De nombreux autres facteurs pronostiques ont été décrits,qu’il s’agisse d’un pronostic péjoratif associé à une histo-logie de type cellularité mixte (versus scléro-nodulaire),du sexe masculin et de nombreux autres signes biologiques(élévation des LDH, de la β2-microglobuline, baisse del’albumine, hyper-leucocytose, sidéropénie…).

ÉvolutionÉvolution sous traitement

L’objectif thérapeutique essentiel est l’obtention d’unerémission complète dès le premier traitement, car cetterémission conditionne l’obtention d’un résultat thérapeu-tique favorable à long terme. Dès la mise en route d’untraitement adapté (chimiothérapie ou radiothérapie), lessignes cliniques (fièvre, sueurs) disparaissent rapidementen quelques jours. Les adénopathies superficielles ou detaille modérée régressent en quelques semaines. L’éva-luation de la réponse thérapeutique chez les patients ayantune masse ganglionnaire volumineuse, notamment dansle médiastin, est plus difficile. En effet, certaines de ceslésions diminuent initialement sous traitement, mais per-sistent sur les radiographies simples ou l’examen tomo-densitométrique. Il s’agit dans un certain nombre de casde simples résidus fibronécrotiques non évolutifs. La réa-lisation de techniques complémentaires telles que la scin-tigraphie au gallium ou l’imagerie par résonance magné-tique pourrait aider à discerner ces masses résiduelles derésidus tumoraux évolutifs.

Évolution après rechuteLes patients qui rechutent après un premier traitement peu-vent encore bénéficier d’un traitement efficace. On dis-tingue :– les rechutes survenant après radiothérapie exclusive quipeuvent être rattrapées dans une proportion importante decas par une chimiothérapie exclusive simple ;

– les rechutes tardives dont certaines peuvent être traitéesavec succès pendant plusieurs années, ce d’autant qu’ellessurviennent avec un délai long par rapport à la pousséeinitiale ;– Les rechutes précoces survenant moins d’un an après lafin du traitement initial qui sont de très mauvais pronosticet qui sont traitées par des chimiothérapies intensives avecéventuellement greffe de mœlle.Si l’évolution de la maladie n’est pas contrôlée, la mala-die de Hodgkin prend souvent une forme fébrile et cachèc-tisante aboutissant au décès du patient.

Formes cliniques particulièresCertains sujets âgés présentent des formes disséminées avecsignes généraux dont l’évolution est sévère. La survenuepossible d’une maladie de Hodgkin pendant la grossessepose des problèmes thérapeutiques particuliers.

Stade d’extension clinique selon la classification d’Ann Arbor

TABLEAU I

Stade Définition

I Atteinte d’une seule aire ganglionnaire (I) ou d’uneseule structure lymphoïde (rate, thymus, anneau deWaldeyer) ou d’une seule localisation dans un terri-toire extra-ganglionnaire (IE) contigu.

II Atteinte de deux aires ganglionnaires ou plus dumême côté du diaphragme (II), éventuellement asso-ciée à une atteinte extra-ganglionnaire de contiguïté(IIE).

III Atteinte ganglionnaire située de part et d’autre dudiaphragme (III), accompagnée éventuellementd’une atteinte splénique (IIIS) (cf. note infra).

IV Atteinte d’une ou plusieurs localisations extra-gan-glionnaires, avec ou sans atteinte ganglionnaire

A/B Absence (A) ou présence d’au moins un (B) signegénéral :– fièvre (au moins 38˚ C pendant 8 jours consécu-tifs sans infection documentée) ;– sueurs nocturnes ;– perte de poids inexpliquée d’au moins 10 % dupoids au cours des 6 mois précédents.

E Envahissement d’une structure extralymphatiquecorrespondant :– soit à la seule atteinte de la maladie (IE) ;– soit à une extension de contiguité d’une atteinteganglionnaire (IIE ou IIIE).

X Désigne la présence d’une masse tumorale impor-tante (ganglion de diamètre de plus 10 cm ou rap-port médastino-thoracique supérieur à un tiers).

Les stades III sont séparés en :– stade III 1 : atteinte sous-diaphragmatique limitée à la rate, aux gan-glions du hile splénique, aux ganglions cœliaques ou du tronc porte ;– stade III 2 : atteinte des ganglions latéro-aortiques, iliaques, mésen-tériques s’associant ou non à l’atteinte du stade III 1.

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M A L A D I E D E H O D G K I N

Séquelles des traitements etcomplications à long terme1. ImmunodépressionLa maladie de Hodgkin est une maladie du système immu-nitaire, au cours de laquelle une altération de l’immunitécellulaire liée à la maladie est observée. Les différentes thé-rapeutiques mises en œuvre aggravent cette immunosup-pression, et les patients présentent fréquemment des com-plications infectieuses pendant leur traitement ou audécours de celui-ci. En particulier, il faut souligner la fré-quence des infections à germes gram-positifs chez lespatients splénectomisés (ou ayant reçu une irradiation surl’aire splénique), ainsi que la survenue d’infections à virusherpétique (zona plusieurs mois après la fin du traitement).

2. Complications cardiovasculaires,pulmonaires, et autres• Les complications cardiovasculairessont fréquemmentrapportées, qu’il s’agisse d’insuffisance cardiaque, de péri-cardite ou surtout de pathologies coronaires. L’irradiationmédiastinale et les drogues cardiotoxiques (doxorubicine)jouent un rôle important dans la survenue de ces complica-tions qui sont à l’origine d’un excès de décès de cause car-diaque chez les patients traités pour maladie de Hodgkin.• Les complications pulmonairesliées à l’irradiation et àl’utilisation de la bléomycine ont également été rapportées.Les complications digestives liées aux irradiations sous-diaphragmatiques sont rares, sauf si les patients ont eu unelaparotomie exploratrice auparavant. Les complicationsendocriniennes sont représentées par l’insuffisance thy-roïdienne liée essentiellement à l’irradiation, et par les ano-malies de la fonction de reproduction des patients. Celles-ci sont surtout liées à l’utilisation des agents alkylants(cyclophosphamide, procarbazine) ou de la moutarde azo-tée (caryolysine). Ainsi, la stérilité masculine est quasi-ment constante chez les patients ayant reçu plus de 6 curesde MOPP (cf.infra) ; le risque de voir survenir une méno-pause précoce avec le même traitement s’accroît de 10 %à 100 % avec l’âge de la patiente. Cela amène à considé-rer des protocoles de chimiothérapie moins toxiques sur lalignée gonadique.Il n’y a pas de données établies concernant un risque accrude second cancer ou d’anomalies génétiques chez lesenfants de patients traités pour une maladie de Hodgkin.

3. Survenue de seconds cancers• Les leucémies aiguës myéloblastiques et les myélodys-plasies secondairessont liées à l’utilisation d’une chi-miothérapie comportant des alkylants ou aux traitementscombinés (leur incidence peut atteindre 1 à 10 % à 10 ans).• Les lymphomes non hodgkiniensont également un risquede développement accru, avec une incidence cumulée à 10ans de 1 à 5 %. Les facteurs contribuant à leur survenuerestent cependant imprécis (immunosuppression, 2e can-cer véritable, rechute de maladie de Hodgkin sous uneforme différente ?).• Enfin, plus récemment, l’attention a été attirée sur lestumeurs solides survenant tardivement (10 à 20 ans) chez

les patients traités pour maladie de Hodgkin, notammentdans les territoires irradiés. Cette augmentation porte à lafois sur les cancers cutanés, les cancers du poumon, lescancer du sein, et les cancers de divers organes lorsqu’ils’agissait d’enfants traités. Cela conduit actuellement àlimiter les doses et les champs d’irradiation lors du traite-ment initial de la maladie.

Principes du traitement

RadiothérapieLa radiothérapie a été la première arme thérapeutique uti-lisée avec succès dans le traitement de la maladie de Hodg-kin. Les patients doivent aujourd’hui bénéficier des tech-niques d’irradiation les plus modernes (photons de hauteénergie). Les grands champs d’irradiation sont définis ensus-diaphragmatique par l’irradiation en mantelet (les 2régions sus-claviculaires, axillaires, médiastin et hile pul-monaire) qui peut éventuellement être étendue à la paroithoracique ou au volume pulmonaire adjacent. Le mante-let peut également être réduit, sans médiastin ou avec pro-tection du myocarde. En ce qui concerne les volumes sous-diaphragmatiques, on réalise une irradiation en Y inversécomprenant la région latéro-aortique ; les chaînes gan-glionnaires iliaques primitives externes, droites et gauches ;les régions inguinales bilatérales ; la rate et le hile splé-nique. Ces grands champs sont utilisés dans le cadre desirradiations exclusives ou lors du traitement des stadesavancés de la maladie. Dans les stades localisés, la ten-dance actuelle est à l’utilisation de champs réduits aux ter-ritoires initialement envahis ou aux territoires comportantdes fortes masses tumorales initiales. Une dose de 40 graysest délivrée sur les territoires initialement envahis, et unedose de 30 à 36 grays sur les territoires irradiés de manièreprophylactique.

PolychimiothérapieLe premier protocole de polychimiothérapie développé aété le MOPP (caryolysine, vincristine, procarbazine, pred-nisone) et ses variantes. Par la suite, le protocole ABVD(doxorubicine, bléomycine, vinblastine, dacarbazine),introduit dans les années 70, a permis l’obtention demeilleurs résultats, tant en ce qui concerne le contrôle dela maladie que les complications à long terme. Des proto-coles alternant les protocoles MOPP et ABVD ou mélan-geant les drogues de ces 2 protocoles ont été développésavec une efficacité comparable, mais peut-être une toxicitéplus élevée.

Indications thérapeutiquesElles doivent être posées en fonction des critères pronos-tiques définis ci-dessus.Il faut proposer avant traitement une cryoconservation desperme pour les patients de sexe masculin ; une contra-ception orale est proposée aux femmes en âge de procréer ;enfin, si une irradiation sous-diaphragamatique est envisa-gée chez une patiente, une ovariopexie (déplacement desovaires dans la cavité abdominale) peut être envisagée pourpréserver la fertilité.

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Hématologie

Dans les stades localisés sus-diaphragmatiques, les patientsayant une maladie avec des caractéristiques favorables(tableau II) vont pouvoir être traités par irradiation exclu-sive (mantelet), ou par une association de 3 ou 4 cures dechimiothérapie suivies d’une irradiation limitée aux airesenvahies (cette dernière modalité tend à devenir la réfé-rence). La tendance actuelle est la réduction des doses d’ir-radiation, et l’utilisation d’une chimiothérapie isolée est àl’essai chez ces patients. Dans les formes de pronostic défa-vorable, c’est la réalisation de 4 à 6 cures de chimiothéra-pie suivies d’une irradiation des territoires initialementatteints qui constitue le protocole de référence. Une rémis-sion complète est obtenue dans 85 à 100 % des cas. Dansles formes favorables, plus de 90 % des patients sont sur-vivants à 10 ans alors que dans les formes défavorables, lasurvie à 10 ans est de 70 à 90 %.Dans les formes étendues de la maladie de Hodgkin (stadesIIIB et IV), les patients peuvent être traités par 6 cures dechimiothérapie permettant l’obtention d’une rémissioncomplète, résultat thérapeutique consolidé par la délivrancede 2 cures de chimiothérapie supplémentaires ou d’une irra-diation étendue. Les protocoles en cours d’investigationreposent sur l’utilisation de doses de chimiothérapie plusintensives et rapprochées suivies d’une irradiation avec deschamps limités.Une rémission complète est obtenue chez la majorité depatients (75 % environ) mais les rechutes restent fréquentesavec une survie à long terme de 40 à 65 %.Dans les autres présentations de la maladie de Hodgkin (Iet II sous-diaphragmatique et stade IIIA) le traitement com-prend généralement l’utilisation d’une chimiothérapie (4 à6 cures) puis d’une radiothérapie localisée.

ConclusionSi des progrès thérapeutiques importants ont été obtenusdans la maladie de Hodgkin par l’utilisation de traitementscombinés (chimiothérapie-radiothérapie), la tendance

actuelle est à optimiser les traitements en fonction des carac-téristiques évolutives de chaque sous-groupe de patients, afinde limiter les complications à long terme, responsables d’unesurmortalité par toxicité des patients traités. Le souci de cettesurmortalité doit faire préférer l’utilisation de protocoles dechimiothérapie validés, et discuter des indications théra-peutiques avec des équipes spécialisées. Des modificationspar rapport à ces standards ne peuvent se faire que dans lecadre d’essais thérapeutiques soumis à une évaluation rigou-reuse des résultats à court et long terme. ■

• Stades sus-diaphragmatiques favorablesStades cliniques I ou II

et âge < 50 anset A + VS < 50 mm ou B + VS < 30 mmet atteinte de moins de 4 sites ganglionnaireset rapport M/T < 0,35

• Stades sus-diaphragmatiques défavorablesStade cliniques I ou II et

ou âge > 50 ansou A + VS > 50 mm ou B + VS > 30 mmou atteinte de 4 (ou plus) sites ganglionnairesou rapport M/T > 0,35

Note : A et B désignent l’absence ou la présence de signes généraux,VS la vitesse de sédimentation à la première heure, M/T le rapportmédiastino-thoracique.

Classification pronostique des stadeslocalisés sus-diaphragmatiques (I et II)

TABLEAU II

Fermé C. Maladie de Hodgkin. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris),Hématologie, 13-016-A-05, 1997, 12 p. Mise à jour récente etcomplète.

Solal-Celigny Ph, Brousse N, Fermé C, Gisselbrecht Ch, ReyesF, Coiffier B. Lymphomes : lymphomes non hodgkiniens – Mala-die de Hodgkin. Paris : Frison Roche, 1997.

Standards, options et recommandations pour la prise en chargedes patients adultes atteints de maladie de Hodgkin. Fédérationnationale des centres de lutte contre le cancer & Groupe d’étudedes lymphomes de l’adulte. 1998.

POUR EN SAVOIR PLUS

• La présentation clinique la plus habituelle de la maladie de Hodgkin est celle d’uneadénopathie cervicale ou sus-claviculaire.• La biopsie ganglionnaire, indispensable audiagnostic, permet de distinguer la maladie deHodgkin des autres lymphomes. Les deux formeshistologiques classiques sont la formescléronodulaire et la forme à cellularité mixte.• L’interrogatoire recherche la présence éventuellede signes généraux tandis que l’examen clinique et l’examen tomodensitométrique du thorax, de l’abdomen et du pelvis précisent les atteintesganglionnaires ou rarement extra-ganglionnaires.Un bilan biologique et une biopsie médullairecomplètent ce bilan d’extension.• La classification clinique d’Ann Arbor sépare les stades localisés I et II sus-diaphragmatiquesdes stades étendus et évolutifs (stades IIIB et IV),les autres présentations (I – II sous-diaphragmatique d’une part, stade IIIA d’autrepart) étant nettement plus rares.• L’association d’une chimiothérapie et d’uneradiothérapie permet d’obtenir une rémissioncomplète prolongée après 5 ans dans 80 à 95 % des formes localisées, et 40 à 60 % des formesétendues.• Le risque de complications tardives liées à la chimiothérapie et à la radiothérapie conduit à utiliser ces deux armes thérapeutiques de manière limitée.

Points Forts à retenir

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Avec la leucémie myéloïde chronique, la thrombocyté-mie essentielle et la myélofibrose primitive, la maladiede Vaquez – ou polyglobulie essentielle – fait partie dessyndromes myéloprolifératifs. Elle est donc caractéri-sée par l’expansion clonale d’une cellule souche héma-topoïétique pluripotente, à l’origine d’une proliférationnon régulée du tissu myéloïde prédominant, dans le casparticulier, sur la lignée érythrocytaire.Contrairement aux polyglobulies secondaires, qui résul-tent de l’hyperstimulation de progéniteurs érythroblas-tiques normaux par de l’érythropoïétine produite enexcès, les progéniteurs dans la maladie deVaquez ont laparticularité de pouvoir se différencier indépendam-ment de l’érythropoïétine ou en présence de quantitésinfimes d’érythropoïétine , en inhibant les progéniteursnormaux résiduels. Il s’agit donc d’une anomalie cellu-laire intrinsèque. Il n’existe pas dans la maladie deVaquez de mutation du récepteur de l’érythropoïétineet l’hypersensibilité des progéniteurs à d’autres facteursde croissance que l’érythropoïétine laisse supposer uneanomalie d’un système de transduction commun à cesfacteurs. En fait, il se développe probablement dans lamaladie de Vaquez plusieurs anomalies génétiques au

niveau de la cellule souche pluripotente impliquée, quiont comme point commun d’affecter les voies de l’apop-tose. L’incidence de la maladie de Vaquez est de l’ordre de 1 cas pour 100 000 habitants par an en France mais laprévalence n’est pas négligeable du fait de la lenteur del’évolution. C’est une pathologie du sujet âgé avec unâge moyen au diagnostic un peu supérieur à 60 ans, lafréquence augmentant ensuite de façon linéaire. Trèsrare avant 40 ans, elle est tout à fait exceptionnelle chezl’enfant. Le sex ratio est proche de 1.

Diagnostic positif

Signes cliniques

• Le diagnostic de maladie de Vaquezest évoqué deplus en plus souvent au vu d’un hémogramme fortuit.• L’érythrosedes muqueuses est rarement révélatrice.• Des signes fonctionnelstraduisant l’hyperviscositésanguine sont à rechercher à l’interrogatoire mais peu-vent se rencontrer dans toute polyglobulie : céphalées,vertiges, acouphènes, troubles visuels, paresthésies. Ilssont retrouvés dans environ la moitié des cas. Le prurità la balnéation chaude est inconstant mais hautementévocateur . Les crises érythromélalgiques des piedssont aussi très évocatrices de syndrome myéloproliféra-tif.• Les complications vasculaires, essentiellementthrombotiques et beaucoup plus accessoirement hémor-ragiques, peuvent être révélatrices. • Une splénomégalieest présente dans les deux tiersdes cas et constitue un élément essentiel du diagnostic.En règle modérée, elle justifie la réalisation systéma-tique d’une échographie abdominale. Cet examen aégalement le mérite de ne pas méconnaître une néofor-mation rénale, cause rare de polyglobulie secondaire.

Signes biologiques

1.Diagnostic de polyglobulie vraie

• L’élément d’orientation essentielest représenté par laconstatation, à l’hémogramme, d’une élévation de lanumération rouge, du taux d’hémoglobine et de l’héma-tocrite. Dans la maladie de Vaquez (et la plupart despolyglobulies secondaires), cette élévation des para-mètres érythrocytaires est parallèle, sauf carence mar-tiale associée génératrice de microcytose et d’hypo-

HématologieB 309

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Maladie de VaquezDiagnostic, évolution, traitement

Pr Francis BAUTERSService des maladies du sang, hôpital Huriez, CHRU, 59037 Lille cedex.

• L’établissement du diagnostic de maladie de Vaquez ou polyglobulie essentielle procèded’une démarche rationnelle qui est loin de toujours devoir faire appel à des investigationscomplémentaires très spécialisées.• Il doit être précoce de manière à éviter la survenue des complications vasculaires,à l’origine d’une mortalité et surtout d’une importante morbidité.• Avec un traitement bien conduit ce risquevasculaire sera contrôlé, permettant alors aux malades de bénéficier d’une espérance et d’une qualité de vie se rapprochant de cellesd’une population témoin, tout au moins dans les tranches d’âge élevées habituelles.• Ce traitement vise à minimiser le plus possible le risque de complications hématologiquestardives : évolution myélofibrosante ettransformation leucémique aiguë.

Points Forts à comprendre

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chromie (saignées, hémorragies digestives distillantes).L’hématocrite est le paramètre clé. La limite supérieurede la normale est de 45 % chez la femme et 50 % chezl’homme.En cas d’élévation modérée et isolée, entre 45 et 47 %chez la femme et entre 50 et 52 % chez l’homme, seulun contrôle est justifié. Si l’hématocrite est supérieur à55 % chez la femme et 60 % chez l’homme, la poly-globulie est certaine et la détermination isotopique dela masse sanguine inutile. Pour des chiffres intermé-diaires, cette dernière exploration est nécessaire afind’éliminer une fausse polyglobulie par hémoconcentra-tion. Dans toute polyglobulie, la vitesse de sédimenta-tion globulaire est diminuée, voire nulle.• La détermination isotopique des volumes sanguins,par dilution des hématies marquées au chrome 51 (51 Cr) couplée à l’étude de la volémie plasmatique pardilution de la sérum-albumine marquée à l’iode 125(125 I), ne s’exprime plus en fonction du poids (sous-estimation chez les obèses) mais par rapport à desvaleurs théoriques pour un sujet de même poids et demême taille. Une polyglobulie vraie se définit par unvolume globulaire total supérieur à 25 % du volumeglobulaire total théorique, le volume plasmatique totalétant par ailleurs compris dans les limites de la nor-male.

2. Éléments en faveur du diagnostic de maladiede Vaquez

• À l’hémogramme,la constatation d’une inflation dela lignée granulocytaire et (ou) de la lignée plaquettaireconstitue un argument très fort. Dans environ la moitiédes cas, il existe une hyperleucocytose supérieure à12.109/L, avec polynucléose neutrophile. Des chiffressupérieurs à 20.109/L sont rares. Il peut se voir une dis-crète basophilie. L’observation d’une réaction myélé-mique est évocatrice d’une évolution myélofibrosante(de même qu’une anisopoïkilocytose avec hématies enlarmes). L’élévation du score des phosphatases alca-lines leucocytaires est dénuée d’intérêt.Dans la moitié des cas également, est constatée unehyperplaquettose supérieure à 450.109/L. Des chiffressupérieurs à 800.109/L sont rares et surtout rencontrésen cas de carence martiale associée. Comme dans lesautres syndromes myéloprolifératifs, une thrombopa-thie peut se traduire par une hypoagrégabilité à l’adré-naline et à l’ADP (adénosine diphosphate) • Le myélogrammeest dénué de valeur diagnostique enne montrant qu’une moelle riche et bien équilibrée. Ilpermet cependant le prélèvement d’un caryotypemédullaire, qui peut être une aide au diagnostic.• La biopsie médullaireest davantage contributivemais n’est pas non plus de réalisation systématique. Larichesse cellulaire est augmentée, touchant les troislignées myéloïdes. L’hyperplasie de la lignée mégaca-ryocytaire, avec dystrophies, constitue un signe carac-téristique. Il existe dans un quart à la moitié des casune densification du réseau de réticuline mais la fibrosecollagène est en principe absente au diagnostic. Il est

aussi constaté une absence d’hémosidérine dans lesmacrophages.• Le taux d’érythropoïétine sériquen’apporte pas uneaide vraiment décisive au diagnostic. Certes, ce taux estsoit diminué, soit normal alors qu’il devrait être aug-menté dans les polyglobulies secondaires. Il existecependant d’assez fréquents chevauchements dans lesvaleurs normales.• La cytogénétique sur caryotype médullairepeutapporter une aide tout à fait intéressante au diagnosticen montrant une anomalie clonale non spécifique maistrès évocatrice de syndrome myéloprolifératif. Néan-moins, ces anomalies clonales, susceptibles d’être aussiobservées dans la thrombocytémie essentielle et lamyélofibrose primitive, ne se voient que dans 15 à 20% des cas en cytogénétique conventionnelle. Les tauxde détection sont plus élevés en recourant aux tech-niques d’hybridation fluorescente in situ. Le chromo-some Philadelphie, spécifique de la leucémie myéloïdechronique, n’est jamais observé. Les anomalies les plusfréquentes sont représentées par la del 20q, la del 13q,et les trisomies 1, 8 et 9. L’implication de délétionssuggère l’existence d’inactivation de gènes qui pour-raient jouer un rôle pathogénique important.• La culture in vitro des progéniteurs érythroblas-tiques représente la technique la plus performante pouraffirmer le diagnostic devant l’absence de signes demyéloprolifération évidents. Les méthodes sont main-tenant standardisées mais nécessitent le recours à deslaboratoires spécialisés. L’examen est le plus souventréalisé sur sang. La pousse spontanée des progéniteursérythroblastiques, en l’absence d’adjonction d’érythro-poïétine au milieu de culture (colonies érythroïdesendogènes), est sensible et spécifique.• D’autres investigationsont un intérêt tout à faitsecondaire. La sidérémie est à tendance diminuée. Ilexiste fréquemment une discrète hyperuricémie. Lavitaminémie B12 peut être augmentée.

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M A L A D I E D E V A Q U E Z

Critères actuels de diagnostic positifde la maladie de Vaquez

• Volume globulaire total (méthode isotopique) supérieur à25 % de la normale. Exploration inutile si l’hématocriteest supérieur à 55 % chez la femme, supérieur à 60 %chez l’homme.• et splénomégalieet (ou) hyperleucocytose supérieure à 12.109/L avec poly-nucléose neutrophileet (ou) hyperplaquettose supérieure à 450.109/Let (ou) pousse spontanée des progéniteurs érythroblas-tiques et érythropoïétine sérique basse ou normale

NB : La biopsie médullaire et le caryotype ne sont pas exigés. Ces cri-tères se substituent maintenant à l’ancienne classification du Polycy-themia Vera Study Group(tableau II) qui n’est plus vraiment conformeà la réalité (expression du volume globulaire total en mL/kg, appel àdes critères secondaires comme les phosphatases alcalines leucocy-taires et la vitaminémie B12, non-intégration des données modernescomme la culture des progéniteurs érythroblastiques).

TABLEAU I

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• Les techniques moléculaires d’étude de la clonalitémyéloïdechez la femme ne sont pas disponibles àusage diagnostique.

Diagnostic différentiel

Fausses polyglobuliesCe sont des situations où une élévation des paramètresérythrocytaires ne correspond pas à une polyglobulievraie. Certaines sont évidentes et ne nécessitent pas lerecours à une étude isotopique de la masse sanguine.D’autres nécessitent cette investigation.

1. Thalassémies hétérozygotes

L’ethnie est bien entendu évocatrice. L’hémogrammeest caractéristique du fait de la constitution d’unemicropolycythémie très hypochrome et microcytaire. Sila numération rouge est augmentée, le taux d’hémoglo-bine et l’hématocrite sont à tendance diminuée. L’exa-men à privilégier dans les β-thalassémies hétérozygotesest l’électrophorèse de l’hémoglobine (élévation dutaux de l’hémoglobine A2). Le seul problème diagnos-tique concerne une maladie de Vaquez en état de carencemartiale profonde mais le bilan ferrique et les circons-tances cliniques feront la distinction. L’étude isotopiquede la masse sanguine est inutile (elle montrerait unvolume globulaire total normal ou diminué).

2. Hémoconcentrations aiguës

Elles sont consécutives à des brûlures étendues, unedéshydratation aiguë, un usage excessif de diurétiques.L’élévation des paramètres érythrocytaires est due à unehypovolémie plasmatique. Le caractère évident du dia-gnostic ne justifie bien entendu pas une étude isoto-pique de la masse sanguine.

3. Pseudo-polyglobulie dite « de stress »

Elle est aussi dénommée syndrome de Gaisbock. À ladifférence des deux précédentes, cette situation peut

poser un problème diagnostique réel avec la maladie deVaquez. Elle n’est pas rare chez l’homme d’âge mûr,pléthorique et hypertendu. L’étude isotopique de lamasse sanguine est déterminante en ne montrant pas depolyglobulie vraie (volume globulaire total normal oudiscrètement augmenté) mais une diminution de lavolémie plasmatique. Il existe un risque thrombotique.

Polyglobulies secondairesCe sont des polyglobulies vraies dues à un excès deproduction d’érythropoïétine . Il n’y a pas de signes demyéloprolifération. Leur diagnostic est souvent évi-dent. Deux grands groupes peuvent être distingués : lespolyglobulies par hypoxie tissulaire, dont certainescauses sont très fréquentes, et les polyglobulies tumo-rales.

1. Polyglobulies par hypoxie tissulaire

L’hyperproduction d’érythropoïétine est compensatriceou appropriée. La gazométrie artérielle est l’examenclé. Il est beaucoup plus rarement nécessaire de devoirdéterminer la carboxyhémoglobinémie , la méthémo-globinémie, l’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène(p50) ou le taux de 2,3 DPG intra-érythrocytaire.• Les polyglobulies par désaturation artérielle en oxy-gènese caractérisent cliniquement par une cyanose etnon par une érythrose. Elles sont affirmées devant uneSaO2 < 92 % et une PaO2 < 65 mmHg. La cause majeureen est l’insuffisance respiratoire chronique par broncho-pneumopathie chronique obstructive ou broncho-emphysème. Viennent ensuite les pneumoconioses etles fibroses pulmonaires. Les hypoventilations alvéo-laires (syndrome de Pickwick) peuvent nécessiter desenregistrements continus de la gazométrie (épisodes dedésaturation oxyhémoglobinée nocturnes). Les causescardiovasculaires sont représentées par les cardiopa-thies congénitales avec shunt droite-gauche, les fistulesveino-artérielles pulmonaires.• Les polyglobulies par défaut de transport d’oxygèneaux tissusont une cause prédominante : le tabagisme.En cas d’intoxication tabagique, il est fréquemmentconstaté une tendance polyglobulique qui, associée àune discrète polynucléose neutrophile, pourrait laisserplaner un doute sur une maladie de Vaquez débutante.L’origine de la polyglobulie consiste, tout au moins enpartie, en un excès de carboxyhémoglobine.Les autres causes sont aussi classiques qu’exception-nelles : hémoglobinopathies avec hémoglobine hyperaf-fine pour l’oxygène (caractère familial), déficit en 2, 3DPG, méthémoglobinémies.

2. Polyglobulies tumorales

Il existe une hyperproduction inappropriée d’érythro-poïétine par le tissu tumoral dans l’étiologie la plus fré-quente qui est le carcinome rénal à cellules claires, d’oùla règle, devant toute polyglobulie, de réaliser uneéchographie abdominale afin d’apprécier le volume dela rate et de ne pas méconnaître une néoformationrénale. La polyglobulie disparaît après exérèse du tissu

Hématologie

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Classification du Polycythemia VeraStudy Group *

• Volume globulaire total : • Hyperplaquettose :O 36 mL/kg chez l’homme plaquettesO 400.109/LO 32 mL/kg chez la femme

• Saturation artérielle • Hyperleucocytose :en oxygèneO 92 % globules blancsO 12.109/L• Splénomégalie • Score des phosphatases

alcalines leucocytairesO 100• Vitaminémie B12O900pg/mL ou capacité latentede liaison de la vitamineB12O 2 200pg/mL

* Le diagnostic de maladie de Vaquez est posé si le malade présenteles trois critères du groupe A, ou les deux premiers critères du groupeA associés à deux critères du groupe B.

TABLEAU II

Groupe A Groupe B

Page 87: La Revue Du Praticien-Hématologie

tumoral et réapparaît en cas de métastases. Des tumeursrénales bénignes ont aussi été incriminées.La seconde cause tumorale est classiquement représen-tée par l’hémangioblastome cérébelleux, où l’on a puaussi démontrer une sécrétion inappropriée d’érythro-poïétine .Nous ne ferons que citer les hépatomes sur cirrhose,certains volumineux fibromes utérins.Les phéochromocytomes, certaines tumeurs des surré-nales peuvent entraîner de fausses polyglobulies parhémoconcentration.Mentionnons, enfin, les tendances polyglobuliques quepeuvent entraîner des prises prolongées d’androgènes àfortes doses.

Autres syndromes myéloprolifératifsMême s’ils sont très proches sur le plan nosologique dela maladie de Vaquez, leur présentation est très diffé-rente.• Les formes polyglobuliques de leucémie myéloïdechronique sont tout à fait exceptionnelles. Le tableaureste celui d’une leucémie myéloïde chronique dans savariété habituelle et il n’existe donc aucun problèmediagnostique. La recherche du chromosome Philadel-phie ou de ses équivalents moléculaires est positive.• Il existe des formes de chevauchement entre throm-bocytémie essentielle et maladie de Vaquez: un maladeprésentant un tableau de thrombocytémie essentielleavec polyglobulie affirmée par l’étude isotopique de lamasse sanguine, éventuellement après correction d’unecarence martiale associée, est classé dans le cadre de lamaladie de Vaquez .• L’existence de formes polyglobuliques de myélofi-brose primitiveest très controversée. Il existe en fait detrès rares maladies de Vaquez s’accompagnant d’em-blée d’une importante splénomégalie et d’une nettefibrose médullaire, en partie collagène. Ces formes sontlongtemps stables et proches de la maladie de Vaquezclassique.

Érythrocytoses puresIl s’agit d’un diagnostic d’élimination devenu très rare.Elles sont définies par l’existence d’une polyglobulievraie strictement isolée, sans arguments en faveur d’unepolyglobulie secondaire et ne remplissant pas non plusles critères de la maladie de Vaquez.Certaines érythrocytoses pures correspondent à un syn-drome myéloprolifératif comme le montrera l’évolu-tion. Les hypothèses ne manquent pas pour tenter d’ex-pliquer le mécanisme des autres mais aucune n’estdécisive. Signalons l’existence d’exceptionnelles éry-throcytoses familiales bénignes caractérisées par unrécepteur de l’érythropoïétine tronqué dans son sitecytoplasmique.

ÉvolutionL’évolution de la maladie de Vaquez est menacée pardeux types de complications : vasculaires, liées à l’ab-sence de contrôle efficace de la polyglobulie ; hémato-

logiques, liées en partie aux traitements mis en œuvre.Pour autant, si la prise en charge est appropriée, l’espé-rance et la qualité de vie sont devenues, dans lestranches d’âges habituelles, proches de celles d’unepopulation-témoin.

Complications vasculaires

1. Complications hémorragiques

Elles sont essentiellement imputables aux anomaliesfonctionnelles plaquettaires, parfois majorées par laprise intempestive de salicylés à fortes doses. Il s’agitsurtout d’hémorragies de section, voire digestives quiferont alors rechercher une cause locale de saignement.

2. Complications thrombotiques

Elles sont beaucoup plus redoutables. Elles peuventêtre veineuses ou artérielles.• Les thromboses veineusespeuvent intéresser lesmembres inférieurs et se compliquer d’embolie pulmo-naire. Très spécifiques et de mauvais pronostic sont lesthromboses des veines sus-hépatiques (syndrome deBudd-Chiari) et portales. Ces dernières peuvent venircompliquer une maladie de Vaquez typique. Elles peu-vent aussi être révélatrices d’un syndrome myéloproli-fératif atypique chez des femmes jeunes présentant untableau hématologique peu évocateur. Le diagnosticrepose alors en grande partie sur la pousse spontanéedes précurseurs érythroblastiques.

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M A L A D I E D E V A Q U E Z

Démarche diagnostique chronologiquechez un malade polyglobulique*

• Éliminer une pseudo-polyglobulie « de stress »**En cas d’hématocrite élevé mais restant inférieur à 55 %chez la femme, à 60 % chez l’homme.Étude isotopique de la masse sanguine : hémoconcentra-tion chronique et non polyglobulie vraie.

• Le diagnostic de maladie de Vaquez peut être simple àposerDevant la constatation – la polyglobulie vraie étant affir-mée – de signes de myéloprolifération tirés de l’examenclinique et de l’hémogramme : splénomégalie et (ou)hyperleucocytose avec polynucléose neutrophile et (ou)hyperplaquettose.

• Sinon rechercher une polyglobulie secondairePar hypoxie tissulaire ou tumorale.

• En l’absence de toute cause de polyglobulie secondaire,tenter de recueillir des éléments en faveur du syndromemyéloprolifératif.Pousse spontanée des progéniteurs érythroblastiques, éry-thropoïétine basse, biopsie médullaire, caryotype.

• Par exclusions successives.Érythrocytose pure

* Les (très) rares formes polyglobuliques des syndromes myéloprolifé-ratifs autres que la maladie de Vaquez ne posent pas de problème dia-gnostique.** Les autres causes de fausses polyglobulies (thalassémies hétérozy-gotes, hémoconcentrations aiguës) sont de diagnostic évident.

TABLEAU III

Page 88: La Revue Du Praticien-Hématologie

• Les thromboses artériellessont représentées par desaccidents vasculaires cérébraux, des oblitérations arté-rielles des membres inférieurs, des infarctus myocar-diques, plus rarement par des infarctus mésentériquesou des thromboses de l’artère centrale de la rétine.La pathogénie des complications thrombotiques de lamaladie de Vaquez n’est qu’imparfaitement élucidée.L’âge, les antécédents thrombotiques, les facteurs derisque associés jouent un rôle favorisant. L’hypervisco-sité sanguine corrélée à l’hématocrite, l’hyperplaquet-tose et l’activation plaquettaire sont les facteurs directe-ment incriminés. Il pourrait par ailleurs être importantde rechercher chez ces malades un déficit en anticoagu-lants naturels.

Complications hématologiques

1. Myélofibrose secondaire

Il s’agit de l’évolution naturelle de la maladie deVaquez, d’installation retardée, et la moitié des maladesbénéficiant d’une survie très prolongée, c’est-à-dire de20 ans ou plus, auront développé cette complication.Elle se manifeste très progressivement. Avant la consti-tution du tableau caractéristique de myélofibrose,superposable à celui de la myélofibrose primitive (volu-mineuse splénomégalie, anémie avec anisopoïkilocy-tose et notamment hématies en larmes, érythromyélé-mie, fibrose médullaire collagène, métaplasie myéloïdehépatosplénique mise en évidence par scintigraphie àl’111In), s’installe parfois une phase intermédiaire(spent phase) marquée par une augmentation de volumede la splénomégalie et une minoration de la polyglobu-lie par hypervolémie plasmatique. Au stade de myélofi-brose constituée, les possibilités thérapeutiques sontrestreintes, comme dans la myélofibrose primitive, etles complications terminales sont les mêmes que danscette affection.La carence martiale prolongée, telle celle induite pardes saignées au long cours à usage thérapeutique, joueun rôle favorisant indéniable dans la précocité du déve-loppement d’une myélofibrose secondaire. Il semblepar ailleurs important que le traitement myélofreinateurnormalise en permanence la numération plaquettaire, lerôle de cytokines relarguées par les mégacaryocytesdans la genèse de la myélofibrose étant bien établi.

2. Transformation leucémique aiguëElle s’observe, dans les grandes séries de maladie deVaquez, chez 10 à 15 % des malades à la 10e année sui-vant le diagnostic, et ce risque continue à augmenterconstamment avec le temps.Cette complication apparaît tributaire du traitementdélivré pour contrôler la maladie de Vaquez. Le risqueest très faible chez les malades traités par saignéesexclusives, même s’il n’est pas inexistant. Le rôle favo-risant du radiophosphore et des alkylants est indubi-table. Cette constatation a entraîné l’usage intensif, cesdernières années, de produits supposés peu leucémo-gènes comme l’hydroxyurée (Hydréa) et le pipobroman

(Vercyte), notamment chez les sujets relativementjeunes (moins de 65 ans). En fait, les délais d’observa-tion sont maintenant suffisants pour conclure au carac-tère non anodin de ces agents. Tant avec l’hydroxyuréeque le pipobroman, le risque leucémique serait d’envi-ron 10 % à la 13e année.Les leucémies aiguës venant terminer le cours évolutifde la maladie de Vaquez traitée par myélofreination onttoutes les caractéristiques des leucémies aiguës induites.Elles sont le plus souvent précédées d’une phase demyélofibrose et (ou) de myélodysplasie. Il s’agit de leu-cémies aiguës myéloïdes difficilement classables. Lecaryotype est dit défavorable : caryotypes complexesavec –5/del 5q et (ou) -7/del 7q chez les malades préa-lablement soumis au radiophosphore ou aux alkylants,del 17p en cas de traitement préalable par hydroxyuréeou pipobroman (notion récente). Une fois installée, la transformation leucémique aiguëde maladie de Vaquez est fatale dans un délai très brefet ne reconnaît aucun traitement. Il est exceptionnel, dufait de l’âge, qu’une allogreffe de moelle osseuse puisseêtre proposée.

TraitementSon but est la normalisation permanente de l’hémato-crite (qui doit être le plus proche possible de 45 %) etde la numération plaquettaire (qui ne doit pas franchirla barre des 500.109/L), afin de réduire le risque vascu-laire. Il doit par ailleurs jouer un rôle inducteur le plusfaible possible à l’égard des complications hématolo-giques.

SaignéesLes tentatives de traitement exclusif, au long cours, dela maladie de Vaquez par des saignées entraînent desinconvénients tels que la moitié des malades aurontabandonné à 5 ans et la quasi-totalité à 10 ans. Cedéfaut d’observance tient aux contraintes liées au gestemais aussi au développement d’une carence martialeprofonde et souvent mal tolérée, qu’il convient pourtantde respecter.En fait, le seul avantage des saignées est de s’accompa-gner d’un risque leucémogène très faible. Par contre,elles contrôlent mal le risque vasculaire en raison ducaractère souvent aléatoire de leur réalisation au boutd’un certain temps, et aussi du fait de l’exacerbation del’hyperplaquettose par la carence martiale. Elles facili-tent enfin une évolution rapide vers la myélofibrose.Les saignées ne sont plus réservées qu’au traitementd’urgence de la maladie de Vaquez, afin de normaliserrapidement l’hématocrite quand celui-ci est supérieur à55 % chez la femme et à 60 % chez l’homme. Ellessont réalisées à raison de 300 mL/j ou 1 jour sur 2.

Traitement myélofreinateur

1. Radiophosphore ou 32P

Il a pendant longtemps été la référence. Il est délivrépar voie veineuse, à raison de 0,1 mCi/kg pour une

Hématologie

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dose maximale de 7 mCi. Parfaitement toléré, il sesolde par une réponse complète au terme de 3 à 4 mois.La durée de cette réponse complète est de l’ordre de 3ans. La répétition des cures de 32P se traduit par desréponses de plus en plus brèves mais la radiorésistanceest rare.Le 32P contrôle de façon satisfaisante le risque vascu-laire. Il ne facilite pas particulièrement l’évolutionnaturelle myélofibrosante. Par contre, son rôle induc-teur leucémogène est bien établi. Il a été récemmentdémontré que la mise en œuvre de l’hydroxyurée après32P, en maintenance, était plus leucémogène que le 32Pseul.Le 32P doit maintenant être réservé aux sujets les plusâgés. Compte tenu de l’augmentation constante de l’es-pérance de vie générale, il n’est pas illogique de fixer labarre à 70 ans.

2. Agents alkylants

Il s’agit essentiellement du busulfan (Misulban). Ceproduit n’est plus guère utilisé car il est considérécomme revêtant un risque d’induction leucémogèneidentique à celui du 32P, auquel se surajoute un risqueaplasique grave.

3. Hydroxyurée et pipobroman

Ces deux médicaments non radiomimétiques, dépour-vus de résistance croisée, sont actuellement les produitsles plus utilisés. Leur maniement est superposable (voirpour approfondir). L’obtention d’une réponse complèteest quasi constante. Celle-ci devra être entretenue parun traitement de maintenance, à la dose la plus faiblepossible.La tolérance de ces deux produits est bonne ; les cyto-pénies sont rares et rapidement résolutives. L’hydroxyu-rée peut entraîner des troubles cutanéo-muqueux à typed’ulcères de jambe ou de stomatite. Le pipobroman, àposologie d’attaque, peut entraîner des troubles diges-tifs à type d’épigastralgies et de diarrhée. La survenuesous hydroxyurée d’une grande macrocytose estconstante et dénuée de signification pathologique.Il est maintenant établi que le risque d’induction leucé-mogène est bien réel avec ces médicaments, même s’il

est probablement plus réduit qu’avec le 32P et les alky-lants. Le risque de facilitation de l’évolution myélofi-brosante apparaît élevé avec l’hydroxyurée, probable-ment parce que la normalisation permanente de lanumération plaquettaire est plus difficile à obtenirqu’avec le pipobroman. Un contrôle stable de l’hémato-crite est aussi parfois plus difficile à obtenir avec l’hy-droxyurée qu’avec le pipobroman. Ce dernier produitmérite donc d’être privilégié.

Interférons alphaIls sont assez souvent efficaces en matière de contrôlede la maladie de Vaquez et sont peut-être dépourvusd’effet d’induction leucémogène. Néanmoins, leurs trèsnombreuses manifestations d’intolérance rendent leurusage exceptionnel.Ils peuvent avoir une place dans les très rares formesréfractaires à l’hydroxyurée et au pipobroman. Ils ont laparticularité de bien contrôler le prurit et peuvent êtreprescrits chez la femme enceinte.

SalicylésLeur intérêt à faibles doses (100 mg/j), en associationavec le traitement myélofreinateur, pour un meilleurcontrôle du risque thrombotique, est à démontrer.n

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M A L A D I E D E V A Q U E Z

POUR APPROFONDIR

Schéma thérapeutiqued’administration de l’hydroxyurée ou du pipobroman dans la maladie de VaquezCes deux produits, dépourvus de résistance croisée, sont de manie-ment identique.• L’hydroxyurée (Hydréa) se présente en gélules dosées de 500 mg,le pipobroman (Vercyte) en comprimés dosés à 25 mg.• La posologie d’attaque est de 25 mg/kg/j pour l’Hydréa et de 1,25 mg/kg/j pour le Vercyte, soit 3 à 4 gélules (Hydréa) ou compri-més (Vercyte) par jour.• Une surveillance hebdomadaire de l’hémogramme est exercée jus-qu’à normalisation de l’hématocrite (de l’ordre de 45 %). Ce résultat

Avantages et inconvénients des principaux traitements de la maladie de Vaquez

Saignées au long Très mauvaise Mauvaise Médiocre Très élevé Très faiblecours

Radiophosphore Excellente Excellente Bonne Faible Élevé

Hydroxyurée Bonne Bonne Bonne Élevé Réel

Pipobroman Bonne Bonne Bonne Faible Réel

Interféron Très mauvaise Très mauvaise Inconstante ? ?

TABLEAU IV

Efficacité sur Risque facilitant Risque d’inductionCompliance Tolérance les complications de l’évolution leucémogène

vasculaires myélofibrosante

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est généralement obtenu en 1 mois à 6 semaines. La normalisation de lanumération plaquettaire va généralement de pair avec celle de l’héma-tocrite.• En l’absence de normalisation de l’hématocrite à 6 semaines, la poso-logie de l’Hydréa ou du Vercyte est majorée d’une gélule ou d’un com-primé par jour durant 15 jours supplémentaires.• Si, au terme de 2 mois, l’hématocrite n’est toujours pas normalisé (cir-constance très peu fréquente), la posologie de l’Hydréa ou du Vercytepourra encore être majorée d’une gélule ou d’un comprimé par jourdurant 15 jours supplémentaires (maximum : 6 gélules ou compriméspar jour).• Une fois l’hématocrite normalisé, l’Hydréa ou le Vercyte doivent êtrepoursuivis en entretien afin de maintenir le résultat. Cette posologied’entretien est d’ordinaire la moitié de la posologie d’attaque mais ellepeut être beaucoup plus faible. Une surveillance mensuelle de l’hémo-gramme est maintenant suffisante.• En cas de réascension de l’hématocrite au-delà de 48 % chez la femme,50 % chez l’homme, la posologie d’entretien sera un peu majorée dansle but de normaliser l’hématocrite en permanence.• Tant l’Hydréa que le Vercyte sont très peu aplasiants. Ces produitsseront néanmoins interrompus en cas de baisse de l’hématocrite au-des-sous de 36 % chez la femme ou de 38 % chez l’homme et (ou) en casde neutropénie inférieure à 1,2.109/L et (ou) en cas de thrombopénieinférieure à 100.109/L.• La survenue sous Hydréa d’une macrocytose est constante. Elle estinconstante et alors peu accentuée avec le Vercyte.

Hématologie

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• Dans la majorité des cas de maladie de Vaquez,le diagnostic pourra être posé devantl’association à une polyglobulie vraie de signesde myéloprolifération tirés de l’examen cliniqueet de l’hémogramme : splénomégalieet (ou) hyperleucocytose avec polynucléoseneutrophile et (ou) hyperplaquettose.• Il s’avère néanmoins parfois nécessairede rechercher, devant un tableau compatible avecune érythrocytose pure, et après avoir éliminéune polyglobulie secondaire, des signes plusélaborés en faveur du syndrome myéloproliféra-tif, au premier rang desquels se place la poussespontanée in vitro des progéniteurs érythroblas-tiques.• Le traitement de la maladie de Vaquez a pourbut de normaliser en permanence l’hématocriteet la numération plaquettaire, afin de contrôlerle risque vasculaire. Il est basé sur les agentsmyélofreinateurs, les saignées n’étant plusutilisées que dans les situations d’urgence.• En raison de son rôle inducteur leucémogène,le radiophosphore doit être réservé aux sujetsles plus âgés ou incapables de se plierà une surveillance régulière.• L’hydroxyurée et le pipobroman sont devenusles produits de référence bien qu’ils soient loind’être dénués de risque d’induction leucémogène.Le pipobroman est probablement à privilégiercar il facilite moins que l’hydroxyurée l’évolutionmyélofibrosante.

Points Forts à retenir

Tulliez M, Galacteros F. Polyglobulies. In : Hématologie, 1 vol.Paris : Flammarion, 1992 : 681-702.

Conférence de consensus. Diagnostic, pronostic, traitement etsurveillance des polyglobulies. Presse Med 1993 ; 22 : 1761-4.

Najean Y, Rain JD for the French Polycythemia Study Group.Treatment of polycythemia vera : use of 32P alone orcombination with maintenance therapy using hydroxyurea in461 patients greater than 65 years of age. Blood 1997 ; 89 :2319-27.

Najean Y, Rain JD for the French Polycythemia Study Group.Treatment of polycythemia vera : the use of hydroxyurea andpipobroman in 292 patients under the age of 65 years. Blood1997 ; 90 : 3370-77.

POUR EN SAVOIR PLUS

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MyélomesPhysiopathologie, diagnostic, évolution

PR Philippe CASASSUSUnité d’hématologie, service de médecine interne (Pr L. Guillevin), hôpital Avicenne, 93009 Bobigny cedex.

Physiopathologie du myélome multiple

1. Origine du clone myélomateux et son devenir médullaire

- Il semble naître des cellules B mémoire, après leuractivation dans les centres germinatifs de la rate (ou desganglions périphériques).- L'événement « critique » pourrait survenir, lors de laréactivation par l'antigène, des conséquences d’unetranslocation, au moment du switch, dans la régioncodant les gènes des chaînes lourdes des immunoglobu-lines (IgG ou A ou E…) dans le chromosome 14 – mêmedans les myélomes « à chaînes légères ».- La cellule clonale initiale est donc « prémédullaire ».Elle circule dans le sang et va se loger « au hasard » dansla moelle (homing)où, sous l'effet des cytokines et fac-teurs de croissance, elle va proliférer.- Le rôle du micro-environnement de la moelle estmajeur pour le développement de la maladie médullaire(cellules dendritiques, le virus KSHV ou HHV8 infec-tant les cellules dendritiques, divers facteurs de crois-sance : HGF,fibroblast growth factor(FGF) et surtoutl’IL-6 des cellules du stroma).

- L’un des stimulants majeurs de la prolifération des cel-lules myélomateuses comme de l'activité ostéoclasiqueest l'interleukine 6 (IL-6) produite essentiellement parl'atmosphère médullaire périplasmocytaire, mais aussipar une production plasmocytaire autocrine, et dont letaux est proportionnel à celui de la protéine C-réactive(CRP) qui en découle. Le transforming growth factors(TGF) b1, sécrété par le plasmocyte, stimule cette pro-duction d’IL-6 et déprime les lymphocytes B et T nor-maux. L’IL-6 inhibe l’apoptose induite par la dexamé-thasone (et, inversement, la dexaméthasone diminuel’activation due à l’IL-6), mais pas celle induite par l’ir-radiation. L’IL1-b est exprimée par les cellules myélo-mateuses [et non par les plasmocytes normaux ni – ourarement – dans les gammapathies monoclonales designification indéterminée (MGUS)] et semble contri-buer à l’évolutivité maligne.- De nouveaux événements « oncogéniques » peuventsurvenir, aggravant d'autant la « malignité » de la proli-fération :. mutation de l'oncogène ras (chez 1/3 des malades) (àl'origine de cellules indépendantes de l’IL-6 ) ;. mutation (inactivation) du gène p53 (surtout dans lesleucémies à plasmocytes ) ;. mutation du gène suppresseur Rb (qui favorise l'entréeen phase S ) ;. délétions de divers inhibiteurs des CDK (antagonistesde l'effet d'inactivation de pRb ) ;. surexpression de la cycline D (qui inactive pRb avecles CDK et favorise l'entrée dans le cycle ) ;. surexpression (plutôt que réarrangement) de c-myc etBcl-2.

2. États prémyélomateux : les gammapathiesmonoclonales de signification indéterminée

On a longtemps appelé « gammapathies monoclonalesbénignes » les situations (3 fois plus fréquentes que lesmyélomes « symptomatiques ») où l’on observait uneimmunoglobuline monoclonale stable, sans aucunemanifestation d’évolutivité tumorale (signes osseux,cytopénie ou hypercalcémie) et sans non plus d’inhibitiondes clones lymphocytaires B normaux : donc sans baissedu taux des autres immunoglobulines. Un élémentd’orientation est le faible taux du pic (moins de 30 g/L) et– classiquement – le faible taux de plasmocytes médul-laires (< 5 ou 10 % ), bien que ce dernier signe soit plus

HématologieB 304

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• Le myélome multiple est une hémopathiemaligne développée à partie d’un clonelymphoïde B, aboutissant à une prolifération de plasmocytes monoclonaux dans la moelle. Son incidence peut être estimée, en France,à 2 à 3/100 000 habitants par an dans sa formesymptomatique, un peu plus importante auxÉtats-Unis et dans les populations noires.• Sa fréquence est en augmentation et croît avec l'âge : très faible avant 40 ans, elle avoisine 1% après 90 ans, avec un âge médian à 65 ans.• Il reste incurable, mais l’utilisation récente des traitements intensifs avec autogreffe de moelle a considérablement amélioré le pronostic chez le sujet jeune.

Points Forts à comprendre

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discutable. Ces états, effectivement d’évolution souventlongtemps et spontanément « bénigne », sont aujour-d’hui appelés gammapathies monoclonales de significa-tion indéterminée. Les travaux de Kyle font bien appa-raître qu’il s’agit en fait de clones myélomateuxstabilisés à un niveau de faible malignité, mais possé-dant les caractères de la malignité (révélée par exemplepar l’existence d’anomalies quantitatives du contenu enADN des cellules), ce que confirme le risque d’évolu-tion ultérieure vers une hémopathie maligne authentique(myélome, macroglobulinémie ou lymphome) évalué à20 % à 13 ans. Cette évolutivité maligne est dépendantede l’action des cytokines (fig. 1) et induite par la surve-nue des événements secondaires indiqués plus haut.Tout intrinsèquement « maligne » qu’elle soit, cettegammapathie monoclonale « stable » ne justifie pas detraitement dans l’état actuel de nos connaissances. Lesessais de chimiothérapies à ce stade sont souvent ineffi-caces, donc nuisibles (par le risque infectieux ou leucémo-gène) ; il n’est pas impossible qu’une chimiothérapiepuisse même contribuer à susciter une activation duclone quiescent ou à sélectionner des cellules résis-tantes.

3. ÉtiologieComme dans beaucoup de maladies malignes, la « can-cérogenèse » du myélome est multifactorielle.L’hypothèse d’un facteur viral progresse aujourd’hui etil semble que le virus associé au sarcome de Kaposi(HHV8), très souvent objectivé dans les cellules dendri-tiques des myélomes (mais non les plasmocytes), joueun rôle important.Des facteurs environnementaux sont possibles et expli-queraient notamment une fréquence plus grande chezles agriculteurs.Enfin, l’existence de quelques cas familiaux fait discuterune participation génétique individualisant des « ter-rains à risque ».

4. Explication physiopathologiquedes symptômes

- Plusieurs cytokines sécrétées par les cellules myélo-mateuses ou induites par leurs effets sur le stromamédullaire (IL-6, TNF b) ont une activité stimulante surles ostéoclastes (osteoclast activating factor, OAF) :cela aboutit à l’ostéolyse par découplage entre les pro-cessus de construction et destruction osseuses. Cette sti-mulation des ostéoclastes se fait au contact des plasmo-cytes malins. Ceux-ci sont groupés en petits amasnodulaires (les cellules possédant habituellement desmolécules d’adhésion à leur surface), c’est pourquoi leslésions ostéolytiques prennent en général une alluremicronodulaire disséminée. À l’ostéolyse s’associe unetendance à l’hypercalcémie (en général sans hypophos-phorémie), qui n’est pas strictement proportionnelle àl’abondance des lésions osseuses, et qui peut apporter sasymptomatologie propre et son risque de tubulopathierénale. Ces lésions osseuses multiples fragilisent les osconcernés (ceux qui contiennent le plus de moelle, c’est-à-dire les os du squelette axial et les côtes), et favorisentles microfractures (douloureuses), ou les fractures spon-tanées de certaines diaphyses (fémurs, humérus), descôtes ou des corps vertébraux (tassements). - Dans certaines formes, les plasmocytes n’exprimentpas les molécules d’adhésion (CD56 notamment), d’oùune perte du hominget de la propension à se grouper enamas médullaires : c’est le cas des rares « leucémies àplasmocytes » où les lésions osseuses, moins fréquentesinitialement, sont plus souvent à type de décalcificationdiffuse. En revanche, de rares formes sont condensantes.Elles ne s’accompagnent pas d’hypercalcémie et sevoient surtout dans une forme très particulière, lePŒMS syndrome.- À partir des lésions osseuses, la tumeur plasmocytairepeut s’étendre aux structures du voisinage : envahisse-ment pleural à partir d’une côte, surtout, à partir d’une

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M Y É L O M E S

Effets des cytokines et évolutivité de la cellule myélomateuse.1

MGUSMGUS MyélomeMyélomepeu évolutifpeu évolutif

IL1 IL1 ββ IL6IL6

MyélomeMyélometrès évolutiftrès évolutif

Page 93: La Revue Du Praticien-Hématologie

vertèbre, extension vers le canal médullaire (risqued’épidurite et de compression médullaire) ou les trousde conjugaison (névralgies intercostales, sciatiques).- Comme toute pathologie médullaire maligne, la proli-fération myélomateuse tend à s’accompagner d’uneinhibition de la myélopoïèse normale. C’est surtoutl’érythropoïèse qui est freinée, mais au fur et à mesureque la masse tumorale augmente et que l’évolutivitéprogresse vont survenir neutropénie et thrombopénie.- Dans 75 % des cas, le myélome est « sécrétant », cequi se traduit par l’existence d’un pic à base étroite surl’électrophorèse des protides (EPP) : il correspond à lasécrétion d’une même immunoglobuline (Ig) par leclone plasmocytaire. Elle migre en général au niveaudes gammaglobulines, parfois des b-globulines (surtoutdans le cas des IgA, IgD et IgM) et elle est responsabled’une forte élévation de la vitesse de sédimentation(VS), atteignant souvent 100 mm à la 1re heure, mêmepour des taux peu élevés. Biologiquement, cela expliquele phénomène des rouleaux d’hématies qui peut pertur-ber l’étude des frottis sanguins et donner parfois defausses macrocytoses. Quand le taux est très élevé, ilpeut s’ensuivre une hyperviscosité qui peut retentir cli-niquement, au point d’aboutir au coma. Une hémodilu-tion peut aussi s’observer et augmenter artificiellementle degré de l’anémie. Au début, l’aspect de l’électrophorèse des protides estcelui d’un « pic dans la colline ». Mais dans les myé-lomes très tumoraux et évolutifs, l’inhibition des clonesplasmocytaires normaux entraîne un effondrement desautres immunoglobulines. L’aspect est alors celui d’un« pic dans la plaine » (fig. 2). Il y a de ce fait une réellehypogammaglobulinémie fonctionnelle. On comprenddès lors un type de complications fréquent dans le myé-lome : les infections bactériennes par les germes encap-sulés, comme les pneumocoques, qui ont besoin d’êtreopsonisés pour être phagocytés.

- Dans les autres cas, le plasmocyte n’excrète pas sonimmunoglobuline. Pour la raison vue ci-dessus, l’aspectde l’électrophorèse des protides est celui d’une hypogam-maglobulinémie majeure. Exceptionnellement, il s’agitd’un vrai myélome non sécrétant, en général aux cellulestrès immatures ; parfois (1 à 2 %), c’est un myélome sécré-tant, mais non excrétant, où l’étude en immunofluorescen-ce des plasmocytes médullaires pourra objectiver l’immu-noglobuline dans leur cytoplasme et prouver ainsi leurcaractère monoclonal. Le plus souvent, il s’agit d’un myé-lome n’excrétant que la chaîne légère. Le plasmocytepathologique n’est alors pas capable de combiner chaîneslourdes et légères : la chaîne légère est libérée, la chaînelourde peut être mise en évidence dans le cytoplasme. Cetype de myélome « à chaîne légère » ou à « protéine deBence-Jones* (PBJ)» expose plus que d’autres au risqued’insuffisance rénale. En effet la chaîne légère (qui est tou-jours monoclonale: kappa ou lambda) a un poids molécu-laire (17 000) beaucoup plus bas que celui de l’albumine, laplus petite protéine retenue physiologiquement par les glo-mérules : elle est donc entièrement filtrée. La protéinuriequi en découle (qui ne doit pas être recherchée par la ban-delette, laquelle ne détecte que l’albumine) expose aurisque de tubulopathie aiguë anurique en cas de baisse de ladiurèse ou dans des circonstances à risque, comme l’utili-sation de produits de contraste iodés qui favorisent la réab-sorption et la précipitation dans les cellules tubulaires dis-tales de la protéine de Bence-Jones. Il faut savoir que toutmyélome sécrétant une immunoglobuline complète peutexcréter en surplus une protéine de Bence-Jones. Enfin,dans de rares cas de myélome (5 à 10 %), presque toujoursà chaîne légère lambda, il peut s’installer un tableaud’amylose, qu'on ne peut distinguer de l’amylose primitive,avec dépôts d’amylose AL dans les glomérules, le tubedigestif et surtout le cœur, dont l’atteinte de très mauvaispronostic explique la courte survie de ces malades.

Diagnostic

Diagnostic positif 1. Il repose sur la mise en évidence d’une triple association :

- infiltration médullaire par des plasmocytes monoclonaux ;- sécrétion d'une immunoglobuline monoclonale complètedans le sérum et (ou) d'une chaîne légère monotypiquedans les urines ;- lésions ostéolytiques.La forme typique associe les trois. Il existe en revanchedes formes à plasmocytes ne sécrétant que des chaîneslégères (avec vitesse de sédimentation basse, hypogam-maglobulinémie et protéinurie) ou non sécrétante : larecherche de l’infiltration plasmocytaire par myélogram-me ou, mieux, biopsie médullaire, avec étude de lamonoclonalité en immunofluorescence, est alors indis-

Hématologie

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* Ces deux auteurs ont autrefois décrit une méthode pour détecter cette-protéine thermolabile

L’électrophorèse du myélome sécrétant : le « pic dans laplaine ».

2

AlbumineAlbumine αα 11 αα 22 ββ γ γ globulinesglobulines

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pensable. On s’attend à y trouver plus de 10 ou 15 % deplasmocytes parfois dysmorphiques (quelques-uns aunoyau parfois « blastique » et fortement nucléolé, aucytoplasme flammé ou vacuolé). Elle est moins nécessai-re pour le diagnostic lorsque les éléments 2 et 3 sont pré-sents. Parfois, il peut être préférable d'aborder directe-ment une lésion ostéolytique unique ou douteuse(vertèbre, côte) plutôt que d'effectuer une ponction ster-nale systématique : dans ce cas, un myélogramme pauvreen plasmocytes ne permettrait pas d'écarter le diagnostic.

2. Le myélome multiple peut donner de nombreuses complications Elles ne sont pas toujours observées simultanément, cer-taines pouvant n'être jamais observées chez un maladedonné, chacune d’entre elles pouvant être révélatrice.● Manifestations osseuses : elles sont les plus fréquenteset les plus symptomatiques : zones d'ostéolyse dans lesos contenant de la moelle ; elles sont responsables de :- douleurs du squelette axial (rachis, côtes, clavicules,bassin, fémurs) et des humérus ;- fractures spontanées (col fémoral, bassin, côtes, ver-tèbres, humérus) ;- tumeurs osseuses visibles à l'inspection (sternum, côtes,crâne) ;- compressions nerveuses (sciatique, névralgie cervico-brachiale) ou médullaires (paraplégie ou tétraplégie,complète ou non, par bascule vertébrale ou, surtout, cou-lée épidurale) ;- ou asymptomatiques et seulement détectées sur desradiographies simples (micro-lacunes à l’emporte-pièce– sans condensation périphérique – du crâne ou descôtes, tassement vertébral, opacité thoracique périphé-rique; plus rares et moins spécifiques : un aspect dedécalcification diffuse). Ces tumeurs osseuses myélomateuses sont bien objecti-vées par le scanner et l'imagerie par résonance magné-tique (IRM), qui peuvent détecter des lésions nonvisibles sur les radiographies classiques. En revanche, lascintigraphie osseuse standard n'est pas utile.● Manifestations rénales:- protéinurie par libération de la chaîne légère libre oupar glomérulopathie (amylose) ;- risque d'insuffisance rénale par amylose, hypercalcémie(en fait rarement en cause à elle seule), surtout précipita-tion dans les tubules de la protéine de Bence-Jones à l'oc-casion d'une déshydratation ou d'une opacification radio-logique par produit iodé.● Manifestations neurologiques :- signes d'hyperviscosité (troubles visuels ou vestibu-laires, apathie, somnolence, coma) ;- compressions médullaires ou nerveuses ;- neuropathies périphériques par infiltration plasmocytai-re, ou amylose ou activité anti-myéline de l'immunoglo-buline monoclonale, ou syndrome paranéoplasique.● Manifestations hématologiques : signes d'anémie, rare-ment et tardivement pancytopénie, souvent d’ailleursmajorée par les chimiothérapies ; thrombopathie.● Manifestations infectieuses: surtout pneumonies, qui

doivent faire doser les taux des diverses immunoglobu-lines sériques.● Manifestations en rapport avec l’hypercalcémie :nausées, vomissements, polyurie-polydipsie, voirecoma.● Manifestations en rapport avec une amylose : syn-drome néphrotique à « gros reins », douleurs articulaires(notamment des épaules), macroglossie, hépatospléno-mégalie, insuffisance cardiaque.● Manifestations biochimiques: élévation de la vitessede sédimentation (au-dessus de 100) révélant le picmonoclonal à l'électrophorèse des protides, hypercalcé-mie, hyperuricémie. L'électrophorèse des protides estindispensable, mais doit être complétée par le typage del’immunoglobuline monoclonale qu’elle a pu déceler :on utilise plus souvent aujourd’hui l’immunofixationque l’immuno-électrophorèse. Il faut toujours recher-cher une protéinurie, avec électrophorèse des protidesurinaires le cas échéant.

Diagnostic différentiel

1. Ce qui n’est pas un myélome

● Les plasmocytoses médullaires bénignes, que l’onpeut observer dans des infections virales (rubéole, hépa-tites, cytomégalovirus, etc.), jusqu’à 40 à 50 %, oumême les cirrhoses : elles sont faites de plasmocytes auxnoyaux « mûrs », parfois riches d’anomalies cytoplas-miques, mais toujours polyclonaux.● Les autres hypergammaglobulinémies, parfois révé-lées par de très fortes élévations de la vitesse de sédi-mentation :- polyclonales, faciles à distinguer dès l’électrophorèsedes protides, dans les infections chroniques (notammentles hépatites), les maladies dysimmunitaires (lupus, syn-drome de Sjögren, sarcoïdose), les cirrhoses ;- monoclonales :. bénignes, que l’on peut voir dans certaines infectionsvirales – cytomégalovirus (CMV) notamment – ou desréactions immuno-allergiques : elles sont spontanémentréversibles en quelques semaines ;. malignes : la macroglobulinémie de Waldenström,caractérisée par la sécrétion d’une IgM monoclonalepar des cellules lympho-plasmocytaires (et non pure-ment plasmocytaires, comme dans les exceptionnelsmyélomes à IgM), sans lésion osseuse (en général),mais avec grande fréquence d’une franche spléno-mégalie, parfois des adénopathies profondes, et tendan-ce à l’hyperviscosité ; on peut aussi observer de petitspics monoclonaux dans certains lymphomes avec diffé-renciation plasmocytaire, des leucémies lymphocytaireschroniques, certains lymphomes T, l’amylose primitive. ● Les autres lésions ostéolytiques :- il est rare, mais possible, que des métastases de cancerdonnent un aspect microlacunaire d’un crâne parexemple ;- plus difficile est un aspect d’ostéoporose chez un sujet deplus de 70 ans, âge commun à l’ostéoporose sénile et au

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M Y É L O M E S

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myélome : la biologie, le myélogramme, éventuellementune ponction-biopsie vertébrale aident au diagnostic.

2. Ce qui entre dans le cadre du myélome● Les gammapathies monoclonales de significationindéterminéese présentent comme un clone plasmocy-taire de faible quantité et non évolutif (taux d’immuno-globuline inférieur à 20 ou 30 g/L, pour les IgA et IgG;absence de tout symptôme osseux, hématologique,rénal; absence d’hypercalcémie; et pic stable) : mais ils’agit potentiellement d’un myélome et il convient decontrôler une à deux fois par an l’absence d’évolutivité.● Le PŒMS syndrome est une entité rare associant :une plasmocytose monoclonale sécrétante, une polyneu-ropathie périphérique, souvent un aspect de « myélomecondensant », et de multiples manifestations de typeparanéoplasique : cutanées, hématologiques (hyperpla-quettose), une hépatosplénomégalie, des troubles endo-criniens surrénaux.● Le plasmocytome solitaire : la prolifération reste limi-tée dans un même site (os ou structure lymphoïde diges-tive), faite de cellules fortement adhésives et, souvent, àfaible cinétique de prolifération. La tumeur peut êtrevolumineuse. Son caractère apparemment isolé rendlicite un traitement localisé (chirurgie si elle est pos-sible, ou radiothérapie) avec de longues survies. C’estune situation assez proche de celles des cancers solides,avec le même risque à terme (souvent long de plusieursannées) de rechute soit isolée à nouveau, soit par la dis-sémination médullaire du myélome multiple.● La leucémie à plasmocytes: les cellules circulent enabondance dans le sang et le tableau est vite celui d’une

leucémie aiguë, avec pancytopénie. Le pronostic estgénéralement très mauvais.

Évolution

Le myélome multiple reste une maladie incurable, à lasurvie moyenne médiocre : avec les traitements clas-siques, la médiane de survie est de l’ordre de 3 ans etdemi, tous groupes confondus.Généralement, sous traitement, une amélioration appa-raît, exceptionnellement complète (< 5 %), plus souventpartielle (réduction d’au moins la moitié de la massetumorale, notamment appréciée par le pic monoclonalou la protéinurie des 24 h), avec installation d’une phasedite de « plateau ». À ce stade, la poursuite d’un traite-ment n’a pas d’utilité. Cette phase peut durer dequelques mois à plusieurs années, puis vient une rechu-te, souvent moins facile à maîtriser. Peu à peu la maladiedevient de plus en plus résistante, accélérée parfois parune complication intercurrente mortelle. Lorsque la sur-vie est prolongée (près de 10 ans dans certains cas), onpeut voir survenir une leucémie aiguë induite par lesalkylants.Plusieurs raisons s’associent pour expliquer les résultatsparticulièrement décevants du traitement classique dumyélome :- le faible taux de cellules en cycle de division, qui lerapproche des autres hémopathies lymphoïdes à ciné-tique lente (LLC, lymphomes de bas grade) où lesrémissions complètes ne sont pas la règle et où la guéri-son est exceptionnelle ;- la fréquente acquisition d’une résistance à la chimio-

Hématologie

2043L A R E V U E D U P R A T I C I E N ( P a r i s ) 1 9 9 8 , 4 8

I Tous les critères suivants :❑ Hémoglobine > 10 g/dL < 0,6 (faible)❑ Calcémie normale (= 120 mg/L)❑ Os normal ou plasmocytome isolé❑ Taux d’Ig monoclonale faible : • IgG < 50 g/L

• IgA < 30 g/ L❑ Ig monoclonale urinaire < 4 g /24 h

II Aucun des critères des stades I ou III : 0,6 - 1,2 (intermédiaire)

III L’un au moins des critères suivants :❑ Hémoglobine < 8,5 g /dL❑ Calcémie > 120 mg /L❑ Multiples lésions lytiques (élevée)

(lésions destructrices ou fractures pathologiques)❑ Taux élevé d’Ig monoclonale : • IgG O 70 g /L

• IgA O 50 g/L• Ig monoclonale urinaire O 12 g/24 h

Sous-classification :A. Fonction rénale normale (créatinémie < 20 mg/L) – B. Fonction rénale anormale (créatinémie O 20 mg/L).

Stade Critères Estimation du nombrede cellules myélomateuses (x 1012/m2)

La classification de Durie et Salmon

TABLEAU

Page 96: La Revue Du Praticien-Hématologie

thérapie (notamment par la transcription du gène MDR),qui explique que l’efficacité des chimiothérapies soitlimitée dans le temps ;- la gravité propre des complications de la maladie(lésions osseuses, neurologiques ou rénales) ;- l’âge des malades (65 ans en moyenne) et leur particuliè-re fragilité vis-à-vis des infections (en particulier par l’ef-fondrement de l’immunité humorale), qui ont longtempslimité l’utilisation de fortes doses de chimiothérapie.

Classification pronostiqueIl est apparu depuis longtemps qu’il existait de grandesvariations des taux de survie d’un malade à l’autre. Lanotion de « masse tumorale », au diagnostic, s’est affir-mée comme le critère pronostique majeur. La classifica-tion clinique de Durie et Salmon, universellement utili-sée, distingue trois stades allant de la plus faible à laplus forte masse (tableau ).Actuellement cette classification apparaît insuffisante,bien que toujours utilisée. Tous les auteurs s’accordentpour ajouter, à l’estimation de la masse tumorale (aumieux évaluée aujourd’hui par la β2-microglobuline),celle de la cinétique de prolifération tumorale, évaluéepar le classique index mitotique (ou labeling index), oule taux de LDH, ou le taux sérique de protéine C-réacti-ve suivant les auteurs.

D’autres facteurs pronostiques semblent apporter unevaleur prédictive de la survie: le résultat du caryotype(découverte de translocations), la réponse à la chimio-thérapie initiale, la fonction rénale. Enfin, l’âge aaujourd’hui une valeur importante, puisqu’il autorise ounon la pratique des traitements intensifs avec autogreffede moelle ou de cellules souches périphériques, atti-tudes qui ont presque doublé l’espérance de survie chezles sujets de moins de 60 ans.

Indications du traitement● Dans les stades II et III de Durie et Salmon, le traite-ment s’impose :- chez le sujet de moins 60 à 65 ans, une intensificationavec fortes doses de melphalan (Alkéran) intraveineuseset (ou) irradiation corporelle totale (TBI) avec « auto-greffe de moelle » ;- chez le sujet plus âgé : une chimiothérapie périodique,en ambulatoire si possible, souvent limitée à la trèsancienne combinaison de melphalan per os et corti-coïdes, est plus raisonnable.● Dans les stades I,de masse tumorale faible, où la sur-vie moyenne peut être prolongée (6 à 7 ans), beaucoupd’auteurs s’accordent à ne pas débuter de chimiothéra-pie tant qu’il n’y a pas de signe d’évolutivité : apparitiond’une lésion osseuse (éventuellement peu parlante etobjectivable par résonance magnétique), cytopénie,voire élévation régulière du pic monoclonal.● Dans tous les cas, le traitement symptomatique doitêtre assuré avec vigilance : boissons alcalinisantes, sur-tout s’il y a une protéinurie; antalgiques – éventuelle-ment morphiniques – voire irradiation à visée antalgique

si une irradiation corporelle totale n’est pas envisa-geable ; surveillance du rein, en n’hésitant pas à propo-ser une hémodialyse en cas d’insuffisance rénale ; traite-ment d’une hypercalcémie par bisphosphonates –perfusions de pamidronate (Aredia) ou prises d’étidro-nate (Clastoban) – ; décompression chirurgicale d’unelésion vertébrale entraînant une paraparésie ; éventuelle-ment, perfusion d’immunoglobulines polyvalentes pourprévenir une récidive de pneumopathie ; échanges plas-matiques en cas d’hyperviscosité.

SurveillanceElle comporte :- la recherche de nouveaux signes osseux par l’interro-gatoire, les radiographies au moindre signe, éventuelle-ment une imagerie par résonance magnétique en fonc-tion de l’évolution clinique et biologique ;- un bilan biologique standard effectué systématique-ment à chaque cycle de traitement, et au moins tous lesdeux mois en cas d’arrêt du traitement, avec : numéra-tion formule sanguine, électrophorèse des protides,β-2microglobulinémie, calcémie, créatininémie, LDH ouprotéine C-réactive, et, suivant les cas et l’évolution,protéinurie des 24 h et radiographies osseuses (notam-ment du crâne).Le myélogramme n’a pas d’utilité dans la surveillance,sauf en cas de suspicion d’une myélodysplasie préleucé-mique. ■

2044 L A R E V U E D U P R A T I C I E N ( P a r i s ) 1 9 9 8 , 4 8

M Y É L O M E S

● Le myélome multiple est dû à la proliférationmonoclonale d'une cellule lymphoïde B peu différenciée – et fait donc partie, stricto sensu,des « lymphomes » – avec persistance d'unematuration vers le plasmocyte, à l’origine,notamment par ses nombreux produits de sécré-tion, de la grande diversité des symptômes decette maladie très polymorphe.● Son diagnostic est facilité par l’existence d’unmarqueur tumoral spécifique, le pic d’immuno-globuline monoclonal, parfois remplacé par laseule chaîne légère ou seulement observable parétude en immunofluorescence des plasmocytesmédullaires.

Points Forts à retenir

Casassus P. Le myélome multiple. In : Hillon P (ed). De la physiopa-thologie au traitement (APNET). Paris : Frison Roche, 1994.Casassus P. Le myélome multiple. In : Casassus P, Le Roux G (eds).Décision en hématologie. Paris : Vigot, 1990.Harousseau JL. Les approches thérapeutiques nouvelles dans le myé-lome multiple (mise au point). Ann Med Interne 1989 ; 140 : 45-9.

POUR EN SAVOIR PLUS

Page 97: La Revue Du Praticien-Hématologie

HématologieA 67

761L A R E V U E D U P R A T I C I E N ( P a r i s ) 1 9 9 9 , 4 9

Les signes cliniques de gravité sont :– syndrome anémique marqué : dyspnée de repos,angor, lipothymie, ralentissement psychique ;– syndrome infectieux grave : état septicémique, signesde choc, cellulite infectieuse, pneumopathie sévèrehypoxémiante ;– syndrome hémorragique sévère : purpura extensif,bulles hémorragiques buccales, hémorragies digestives,céphalées d’apparition brutale, déficit moteur ou sensitiffaisant craindre une hémorragie cérébro-méningée,hémorragie du fond d’œil.Les signes biologiques de gravité sont définis par les cri-tères suivants :– hémoglobine < 8 g/dL ;– polynucléaires neutrophiles < 0,5.109/L ;– plaquettes < 20.109/L.

Diagnostic étiologique

Interrogatoire et examen clinique

1. Interrogatoire

Il est indispensable de faire préciser le mode de présen-tation des symptômes lorsqu’ils existent : l’évolutionest-elle aiguë, subaiguë ou chronique ? Le patient dispo-se-t-il d’hémogrammes antérieurs, normaux ou déjàpathologiques ? Il est nécessaire de rechercher toutesprises médicamenteuses en insistant sur les modi-fications récentes (sulfamides, anti-inflammatoires non stéroïdiens).Les risques d’expositions toxiques, professionnelles ounon, seront évalués. Une prise de contact avec le méde-cin du travail de l’entreprise est parfois indispensable.On recherche dans les antécédents des signes de mala-dies auto-immunes : arthralgies, éruptions cutanées,déformations articulaires. Il faut interroger le patient surl’ensemble de ses antécédents, de ses pathologies anté-rieures ou actuelles et rechercher ces éléments sur soncarnet de santé.

2. Examen cliniqueIl recherche d’emblée une splénomégalie (cause fré-quente de pancytopénie), une hépatomégalie, des adéno-pathies, des signes d’hypertension portale. Des signesévocateurs de maladies auto-immunes seront égalementcherchés attentivement : éruption cutanée, déformationsarticulaires.

La pancytopénie est définie par une diminution des 3 lignées sanguines sur les données de la numération-formule :– baisse de l’hémoglobine (< 13 g/dL chez l’homme,12 g/dL chez la femme) ;– baisse des polynucléaires (< 1,5.109/L) ;– baisse des plaquettes (< 150.109/L).

Diagnostic d’une pancytopénie Le diagnostic sera évoqué devant :– un syndrome anémique (pâleur, asthénie, polypnée oudyspnée d’effort, tachycardie d’effort, voire de repos) ;– un syndrome infectieux : infections bactériennes àrépétition banales ou sévères ne répondant pas normale-ment à une antibiothérapie, ulcérations buccales) ;– un syndrome hémorragique : purpura pétéchial,ecchymoses spontanées, épistaxis récidivantes, bulleshémorragiques buccales ou gingivorragies spontanées.Ces signes peuvent être absents, isolés ou associés. Lediagnostic peut être posé lors d’un hémogramme systé-matique (bilan préopératoire, bilan de santé). Le plussouvent une lignée sera plus fortement atteinte que lesautres.

Évaluation de la gravité de la pancytopénie La gravité sera évaluée avant tout sur les données del’examen clinique ainsi que sur les résultats de la numé-ration formule sanguine.

PancytopénieOrientation diagnostique

PR Jean-Yves CAHN

Service d’hématologie, CHU Besançon, hôpital Jean-Minjoz, 25000 Besançon.

• Une pancytopénie est définie par la diminution de tous les éléments figurésdu sang à l’hémogramme.

• Ses causes sont multiples.Une pancytopénie peut être d’origine périphérique (par destruction ou séquestration)ou d’origine centrale par déficit quantitatif ou qualitatif de l’hématopoïèse.

• Le myélogramme est l’examen clef,complété dans la majorité des cas par une biopsie de moelle.

Points Forts à comprendre

Page 98: La Revue Du Praticien-Hématologie

Bilan biologiqueLa numération formule sanguine recherche des anoma-lies de 3 lignées.

1. Anomalies de la lignée érythrocytaireLe chiffre des réticulocytes permet d’orienter vers unmécanisme périphérique lorsqu’il est augmenté(120.109/L). Il est donc indispensable de prescrire unenumération des réticulocytes en plus de la numérationformule standard. Si l’anémie est macrocytaire, la macrocytose est enrègle générale modérée (98 µ3 ou fl < volume globulairemoyen < 110 µ3 ou fl) et peut être due à une myélodys-plasie, à l’alcoolisme, ou à une forte régénération (réti-culocytose élevée). Une macrocytose importante (> 110 µ3

ou fl) fait suspecter une carence en vitamine B12 ou enacide folique. Les autres anémies rencontrées dans lespancytopénies sont généralement normocytaires (volu-me globulaire moyen normal). Une étude de la morpho-logie des globules rouges sur lame peut mettre en évi-dence des déformations évoquant une myélofibrose(fibrose médullaire) : hématies en gouttes, en larmes ouen poire. La mise en évidence de schizocytes évoqueune destruction périphérique.

2. Anomalies de la lignée leucocytaire Des cellules pathologiques circulantes peuvent êtremises en évidence par un œil exercé (non mises en évi-dence par l’automate) : blastes circulants dans le cas deleucémies aiguës à forme leucopénique, tricholeuco-cytes dans les leucémies à tricholeucocytes.

3. Anomalies de la lignée plaquettaire Des plaquettes de volume augmenté évoquent une originepériphérique.

Examens médullaires

1. Myélogramme C’est l’examen clef qui permet de différencier les causescentrales des causes périphériques et de déterminer l’étio-logie de la pancytopénie dans la majorité des cas.• La moelle est riche avec :– un blocage de maturation : c’est le cas des myélodys-plasies et des leucémies aiguës ;– envahissement : c’est également le cas des leucémiesaiguës mais aussi du myélome avec une infiltration plas-mocytaire, des lymphomes et des métastases médul-laires des cancers ;– mégaloblastose dans les carences en vitamine B12 ouen folates (qui seront dosées dans le sang).• La moelle est pauvredans l’aplasie médullaire avecsouvent un excès relatif de lymphocytes.• La moelle est désertiqueavec une ponction difficilecomme dans les fibroses médullaires.Une moelle pauvre ou désertique nécessite de réaliserune biopsie médullaire rapidement.• La moelle est normale,sans anomalie de maturation etsigne ainsi une cause périphérique.

2. Biopsie médullaire C’est un acte indispensable pour affirmer le diagnosticdans les cas de moelles pauvres ou désertiques ; elle estsouvent réalisée dans le bilan d’extension d’autres situa-tions (leucémies, lymphomes, myélome, cancer méta-statique).En cas de thrombopénie majeure, il est souhaitable detransfuser des plaquettes préalablement à la biopsie quise fera après anesthésie locale au niveau de l’épineiliaque postéro-supérieure ou antérieure.

Étiologie

Les examens complémentaires, médullaires en particu-lier, vont permettre de différencier les pancytopénies decause centrale des causes périphériques.

1. Causes périphériquesElles sont souvent associées à une splénomégalie.• C’est le cas dans les hypersplénismes,quelle que soitla cause, avec une pancytopénie modérée mais parfoisavec une cytopénie isolée sans retentissement clinique.Une affection hépatique associée à une hypertensionportale en est souvent la cause, d’où l’intérêt de réaliserune fibroscopie digestive haute à la recherche de varicesœsophagiennes ainsi qu’une échographie abdominaleavec écho-doppler. Dans un contexte fébrile, chez unmalade exposé (bassin méditerranéen en particulier), ilfaut penser à la leishmaniose et demander une sérologieainsi que la recherche de leishmanies sur frottis médul-laire – en cas de doute ou chez l’immunodéprimé, utilitéde la culture et de l’amplification génique par PCR(polymerase chain reaction).• En l’absence de splénomégalie,il faut penser à l’hyper-tension portale d’une cirrhose, à confirmer par biopsiehépatique percutanée ou transjugulaire si l’hémostase lepermet.• Les pancytopénies de mécanisme immunologiquesont possibles mais rares, les bicytopénies plus fré-quentes au cours des maladies auto-immunes, lupus enparticulier avec leuconeutropénie, anémie hémolytiqueà IgG anti-Rh et (ou) thrombopénie périphérique.

2. Causes centrales Ces causes sont variées.• Les carences en vitamine B12 ou en folatesmontrentune moelle riche, d’allure mégaloblastique et de couleurbleue après colorations. Les dosages de vitamine B12sérique et d’acide folique sérique et érythrocytaireseront demandés.• Les myélodysplasiessont diagnostiquées par le myélo-gramme, complété par la coloration de Perls et un exa-men cytogénétique médullaire qui permet de retrouveréventuellement des anomalies clonales acquises. Lemyélogramme, la réaction de Perls et la cytochimie fontla différence entre : l’anémie sidéroblastique, l’anémieréfractaire, l’anémie réfractaire avec excès de blastes. • La moelle est infiltrée par des éléments patholo-giques : c’est le cas des leucémies aiguës, des lym-

P A N C Y T O P É N I E

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Page 99: La Revue Du Praticien-Hématologie

phomes, des myélomes et des métastases médullaires.Les caractéristiques cellulaires seront précisées parl’immunophénotype cellulaire.• La leucémie à tricholeucocytesassocie souvent pan-cytopénie et splénomégalie. La fibrose médullaire estfréquente et la biopsie médullaire indispensable.• Les myélofibrosesréticuliniques ou collagènes peu-vent être associés à :– une splénomégalie myéloïde ;– une myélofibrose aiguë ;– des métastases médullaires d’un cancer.• L’aplasie médullaireest affirmée à la biopsie mé-dullaire ; elle peut être constitutionnelle ou acquise. Les formes constitutionnelles se voient chez l’enfant(maladie de Fanconi, dyskératose congénitale). Pour les aplasies acquises, elles sont secondaires ou idio-pathiques. Dans beaucoup de cas, aucun facteur n’estmis en évidence et l’on parle alors d’aplasie médullaireidiopathique. Parmi les causes secondaires, citons : lesradiations ionisantes, les chimiothérapies antitumorales(cause fréquente mais évidente qui ne nécessite pasd’investigation à visée étiologique), les expositionstoxiques non médicamenteuses (emploi des colles et despeintures, benzène, solvants), les médicaments (anti-inflammatoires non stéroïdiens, sels d’or, D-pénicilla-mine, sulfamides, chloramphénicol, bêtalactamines,furosémide, salicylés, ticlopidine, phénothiazines...).Citons encore les aplasies post-hépatitiques.• L’hémoglobinurie paroxystique nocturne(maladie deMarchiafava-Micheli) peut se présenter comme une apla-sie médullaire ou comme une pancytopénie dont larichesse médullaire est variable. L’anémie est souvent liéeà une carence en fer avec une composante hémolytique. Une thrombose associée ou des douleurs abdominalessont des éléments de valeur pour le diagnostic qui estconfirmé par la cytométrie de flux des cellules san-guines, avec en particulier déficit en CD59 et CD55. Le test classique de Ham-Dacie a perdu beaucoup de savaleur depuis le développement de ces techniques. Il existe enfin des formes frontières entre aplasie médul-laire, myélodysplasie et hémoglobinurie nocturneparoxystique. ■

Hématologie

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• Les pancytopénies avec signes cliniques ou biologiques de gravité sont des urgencesmédicales.

• La biopsie médullaire est très souvent indispensable pour affirmer le diagnostic.

• La cytogénétique médullaire est très utilepour affirmer le caractère clonal ainsi que le pronostic de certaines étiologies.

Points Forts à retenir

Page 100: La Revue Du Praticien-Hématologie

Diagnostic positif

1. Circonstances de découverte• Tantôt la splénomégalie est recherchéedevant dessignes fonctionnels typiques : splénalgie (douleur del’hypocondre gauche augmentée à l’inspiration pro-fonde et irradiant en bretelle vers l’épaule gauche), oudouleurs à type de pesanteur post-prandiale, sensationde plénitude gastrique ou troubles digestifs bâtards.• Tantôt la découverte de la splénomégalie a été orien-téepar un tableau clinique évocateur (signes d’hyper-tension portale, adénopathies, fièvre ou tableau infec-tieux, altération de l’état général), ou tantôt fortuite lorsd’un examen systématique clinique ou radiologique.• Parfois, des complications peuvent être révélatrices :– infarctus splénique (douleur basithoracique gaucheexacerbée à l’inspiration, associée à une hypodensitétriangulaire sur le scanner) ;– hématome sous-capsulaire (diagnostiqué par l’écho-graphie) pouvant précéder une rupture splénique(signes de choc hémorragique conduisant à une chirur-gie d’urgence) ;– les complications peuvent être purement biologiquescomme l’hypersplénisme : thrombopénie modérée sansmanifestation hémorragique, leucopénie modérée avecune formule sanguine inchangée; d’origine périphé-rique (moelle riche) liée à la stase des globules dans lescapillaires spléniques.

2. Diagnostic clinique• Il est habituellement facile par la percussiond’unematité entre la 8e et la 11e côte, ou par la palpation endécubitus dorsal ou en décubitus latéral droit, d’unemasse de l’hypocondre gauche typique par son bord

antéro-interne crénelé et son siège antérieur lui confé-rantun caractère mobile à l’inspiration profonde, nedonnant pas de contact lombaire.• Parfois, la palpation est difficilecar la rate est petiteou au contraire extrêmement importante, peu mobileavec un pôle inférieur difficile à palper, car occupanttout le flanc gauche.

Diagnostic différentiel• Il est aisé, le plus souvent, d’éliminer un gros reingauchecar cliniquement, c’est une masse plus posté-rieure donnant le contact lombaire, immobile à l’inspira-tion profonde; une tumeur de l’angle colique assez anté-rieure mais immobile, avec un pôle inférieur mal limité etun bord antérieur non crénelé; mais aussi un kyste dumésentère; un kyste ou une tumeur de la queue du pan-créas; une tumeur gastrique ou un lobe gauche hépatique.• Parfois, les examens iconographiques peuvent êtreutilespour confirmer le diagnostic évoqué à la palpation:– sur un abdomen sans préparation de bonne qualité,l’ombre splénique est aisément visible dans l’hypo-condre gauche ;– l’échographie abdominale apporte la confirmation dela nature splénique de la masse palpée et renseigne sursa forme (globuleuse et non concave), son homogénéité(kyste, hématome), sa taille, sa vascularisation et la pré-sence de rates accessoires ;– la tomodensitométrie montre la perte de la concavité,la densité et l’homogénéité du parenchyme, et la pré-sence éventuelle d’adénopathies ou autres masses asso-ciées.

Diagnostic étiologique

L’orientation du diagnostic étiologique se fera par uninterrogatoire attentif, un examen clinique complet etpar l’analyse de quelques examens biologiques simplestels la numération formule sanguine avec réticulocytoseet étude attentive du frottis, un bilan hépatique (trans-aminases, phosphatases alcalines, gamma GT), larecherche de signes d’hémolyse (bilirubine libre, hapto-globuline et lactico-déshydrogénases), d’un syndromeinflammatoire (vitesse de sédimentation, électrophorèsedes protides, fibrinogène, triglycérides, ferritine), et uneradiographie pulmonaire.

HématologieA 73

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SplénomégalieOrientation diagnostique

PR Dominique BORDESSOULE

Service d’hématologie clinique, CHU Dupuytren, 87042 Limoges cedex

• La présence d’une splénomégalie palpable esta priori pathologique. Le diagnostic positif et différentiel est le plus souvent aisé; le diagnosticétiologique s’étend sur un large éventail de pathologies, reflétant la diversité des fonctionsde la rate : filtre vasculaire, fonctionmacrophagique, fonction immune lymphoïde,et fonction ancestrale hématopoïétique.

Points Forts à comprendre

Page 101: La Revue Du Praticien-Hématologie

Causes liées à la fonction de filtremacrophagique

1. Splénomégalies infectieuses

• Les infections bactériennes septicémiquespeuvent serévéler par une splénomégalie modérée, accompagnéed’un syndrome fébrile (fièvre, frissons). L’agent patho-gène est mis en évidence par les hémocultures et (ou)des arguments sérologiques. Il s’agit habituellementd’infections :– à germes à croissance intracellulaire de type salmo-nellose, brucellose, rickettsiose, tularémie, d’autantplus évoquées que la numération-formule sanguine(NFS) montre une leuconeutropénie ou l’absence d’hy-perleucocytose ;– plus rarement, de septicémies à pyogènes avec parfoislocalisations cutanées septico-pyoémiques, faux panarisd’Osler, associées à des abcès spléniques, avec unehyperleucocytose à polynucléose neutrophile (l’écho-graphie ou le scanner retrouve des nodules intrasplé-niques hypodenses ou liquidiens) ;– la tuberculose hématopoïétique est à évoquer systé-matiquement devant toute splénomégalie fébrile quelque soit l’aspect de la NFS : myélémie, pancytopénie…(intérêt de l’intradermo-réaction, des ponctions-biop-sies médullaires et hépatiques et de la mise en évidencedu BK par myéloculture).• Infections mycotiques septicémiques.• Infections viralesévoquées dans un contexte infec-tieux avec, sur la NFS un syndrome mononucléosique :– la mononucléose infectieuse est évoquée devant uneangine associée à des adénopathies cervicales chez unadolescent ; la splénomégalie est présente dans la moi-tié des cas, associée à la positivité d’un MNI testconfirmé par la réaction de Paul-Bunnel-Davidsohn ;– les hépatites virales sont évoquées devant des signesde cytolyse hépatique ; les sérologies préciseront levirus ;– CMV, rubéole et fièvres éruptives reconnues par leursmanifestations cutanées ;– le VIH entraîne une splénomégalie modérée, dans untiers des cas, associée cliniquement à une polyadénopa-thie, une altération de l’état général avec fièvre, sueursnocturnes, diarrhée prolongée, et biologiquement à unelymphopénie avec diminution du rapport CD4/CD8.• Infections parasitaires,évoquées dans un contexteethnique ou de retour de voyage ou chez un immigrérécent ; il peut s’agir de :– paludisme : dès les premiers accès palustres, une splé-nomégalie est associée à la fièvre. Dans la phase chro-nique, la splénomégalie est souvent très importante. Lediagnostic se fait par l’étude du frottis et de la goutteépaisse au cours d’accès fébrile puis par l’immunofluo-rescence ;– la leshmaniose viscérale ou kala-azar : la splénomé-galie est en règle très volumineuse, associée à unefièvre persistante, anarchique et à une altération impor-tante de l’état général, avec parfois quelques adénopa-

1576 L A R E V U E D U P R A T I C I E N ( P a r i s ) 1 9 9 8 , 4 8

S P L É N O M É G A L I E

1-SECONDAIRES À LA FONCTION DE FILTREMACROPHAGIQUE• Splénomégalies infectieuses :

– Infections bactériennes :. salmonellose, brucellose, rickettsiose, tularémie,. endocardites subaiguës,. septicémies à pyogènes.

– Tuberculose hématopoïétique.– Mycoses.– Infections virales :

. MNI, hépatites virales, CMV, rubéole, fièvre éruptive,VIH.

– Infections parasitaires :. paludisme, leshmaniose viscérale ou kala-azar,bilharziose,

. autres parasitoses.• Splénomégalies inflammatoires :

– Syndrome de Felty (ou pathologie à grands lymphocytes granuleux).

– Collagénose (Still, lupus).– Maladie périodique, maladie sérique.– Sarcoïdose.– Syndrome d’activation macrophagique.

• Splénomégalies de surcharge :– Dyslipoïdoses :

. Gaucher,

. Niemann-Pick,

. histiocytes bleus.– Amylose, hémochromatose.

2-SECONDAIRES À LA FONCTION DE FILTREVASCULAIRE• Splénomégalies de séquestration => anémie hémolytique :

– constitutionnelle ;– acquise.

• Splénomégalies vasculaires, hypertension portale :– bloc infrahépatique (cavernome, thrombose

des veines portes ou spléniques, compressionextrinsèque) ;

– bloc suprahépatique (syndrome de Budd-Chiari) ;– Bloc hépatique :

. présinusoïdal (bilharziose, sarcoïdose, maladie de Wilson, fibrose hépatique congénitale) ;

. post-sinusoïdal (cirrhose alcoolique, post-hépatitique,biliaire primitive, hémochromatose).

3-SECONDAIRES À LA FONCTION IMMUNE– Hémopathies lymphoïdes :

. leucémie lymphoïde chronique et à prolymphocytes Bde Galton,

. lymphomes spléniques (folliculaires, du manteau,villeux, γδ),

. Waldenström,

. Hodgkin,

. leucémie aiguë lymphoblastique.– Leucémie à tricholeucocytes.

4-SECONDAIRES À LA FONCTION DE VICARIANCEHÉMATOPOÏÉTIQUE

– Syndrome myéloprolifératifs :. leucémie myéloïde chronique,. maladie de Vaquez,. splénomégalie myéloïde,. thrombocytémie essentielle,. leucémie myélomonocytaire chronique.

5-SPLÉNOMÉGALIES PRIMITIVES ISOLÉES– Bénigne (fibrome, dysembryome, kyste lymphatique).– Maligne (fibrosarcome, angiosarcome,

hémangioblastome, métastases spléniques).

Principales étiologies des splénomégalies

TABLEAU

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thies. Le diagnostic est évoqué devant une hypergam-maglobulinémie polyclonale sur l’électrophorèse desprotides, et confirmé sur la mise en évidence du parasitesur le frottis médullaire. Le diagnostic doit être évoquédans les zones méditerranéennes ;– la bilharziose doit être recherchée devant une spléno-mégalie associée à une hyperéosinophilie. Le diagnos-tic est confirmé par la présence des œufs de Schisto-soma mansoni,hæmatobium japonicumdans la biopsierectale ou hépatique, ou dans les selles. Dans les formesévoluées, un syndrome d’hypertension portale aggravela splénomégalie ;– plus rarement, les autres parasitoses : trypanosomiase,distomatose, hydatidose splénique où l’aspect de la rateest kystique, voire toxoplasmose.

2. Splénomégalies inflammatoiresDans un contexte d’arthralgies fébriles, de manifesta-tions cutanées ou rénales, le bilan immunologique est àeffectuer systématiquement devant une splénomégaliecar plusieurs collagénoses peuvent être évoquées :– le syndrome de Felty associe splénomégalie, polyar-thrite rhumatoïde sévère et neutropénie profonde fré-quemment associée à des incidents infectieux révéla-teurs. Il est actuellement attribué à une prolifération delymphocytes à grains de type T CD3+, CD8+, CD16+,CD57+ ou CD3–, CD16+, CD58+ (cellules naturalkiller) ;– la maladie de Still chez l’enfant, rarement chezl’adulte, s’accompagne d’une splénomégalie dans 40 %des cas et souvent d’une hyperleucocytose à polynu-cléaires neutrophiles ;– le lupus érythémateux disséminé, surtout s’il existeune hémolyse auto-immune associée, est à évoquer sys-tématiquement en présence d’une neutropénie et seraconfirmé par la positivité des anti-DNA natifs ;– la maladie périodique qui associe des douleurs articu-laires et abdominales à des accès fébriles s’accompagnefréquemment d’une splénomégalie qui devientconstante s’il existe une amylose associée ;– la sarcoïdose, d’où l’intérêt du contrôle de la radio-graphie du thorax qui retrouve l’aspect médiastino-thoracique typique ;– la maladie sérique, dans un contexte de stimulationantigénique ;– à part, le syndrome d’activation macrophagique doitêtre recherché devant toute splénomégalie fébrile asso-ciée à un terrain de déficit immunitaire (greffes, sida,lupus) ou de pathologie lymphoïde (lymphomes T).Biologiquement, sont évocatrices : une pancytopénieavec souvent une thrombopénie profonde et des imagesde phagocytoses cellulaires sur le frottis de moelle, unehyperferritinémie, une hypertriglycéridémie isolée, unehypofibrinogénémie sans signe de coagulation intravas-culaire disséminée (CIVD) liée à l’activité excessivedes macrophages. Une stimulation virale récente estfréquemment retrouvée: Epstein-Barr virus (EBV),cytomégalovirus (CMV) ;– enfin, les splénomégalies dites idiopathiques dans les

zones tropicales ou non, liées à des réactions dysimmu-nitaires fortes.

3. Splénomégalies de surcharge• Surcharges lipidiques ou dyslipoïdoses :le contextefamilial est souvent déjà connu, le diagnostic se fait pré-cocement avant 18 ans. La splénomégalie est très volu-mineuse, s’accompagne d’une hépatomégalie, de signescutanés, osseux et de signes neurologiques. Les infiltra-tions peuvent être diverses :– la maladie de Gaucher (liée à un déficit en glucocéré-brosidase) est à transmission autosomique récessive. Lediagnostic se fera par la mise en évidence dans lamoelle osseuse de grandes cellules de Gaucher à cyto-plasme feuilleté. Le diagnostic est important à effectuercar ces patients peuvent bénéficier d’un traitement sub-stitutif enzymatique par synthèse en génie génétique ;– la maladie de Niemann-Pick (liée à un déficit ensphingomyélinase) à transmission autosomique réces-sive sera évoquée devant la présence de cellules spu-meuses dans la moelle, le foie, ou les ganglions ;– la maladie des histiocytes bleus.• Autres maladies de surcharge: amylose, hémochro-matose.

Causes liées à la fonction de filtre vascu-laire

1. Splénomégalies de séquestration

Toutes les formes d’hémolyse, acquises ou congéni-tales, dont le siège de destruction érythrocytaire estextravasculaire, s’accompagnent d’une splénomégalie.C’est, avec l’ictère et la pâleur, un des trois signes de latriade hémolytique. Les épreuves isotopiques érythro-cytaires peuvent confirmer le diagnostic dans les casdifficiles. Les signes d’hémolyse (réticulocytose éle-vée > 150 000/mm3, haptoglobine effondrée, bilirubineindirecte et LDH élevées) sont à rechercher dans le dia-gnostic étiologique de toute splénomégalie isolée. Ilpeut s’agir d’une :• Anémie hémolytique constitutionnelle par :– Pathologie de la membraneLa maladie de Minkowski-Chauffard où la splénoméga-lie est présente dans 75 à 80 % des cas, est évoquéedevant une microsphérocytose sur le frottis sanguin etune diminution de la résistance osmotique. Elle estconfirmée par l’étude ektacytométrique des protéinesmembranaires érythrocytaires. La splénectomie est effi-cace lorsqu’elle est effectuée chez les enfants de plus de8 ans, si l’hémolyse est fréquente et invalidante.– Pathologie de l’hémoglobine. Les thalassémies,α ou β, évoquées devant une ethnieméditerranéenne ou asiatique, une microcytose sur lefrottis sanguin, seront confirmées par l’électrophorèsede l’hémoglobine. La splénomégalie est constante pourles formes homozygotes. La splénectomie permetd’améliorer le rendement transfusionnel en cas de splé-nomégalie volumineuse avec hypersplénisme.

Hématologie

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. La drépanocytose ou hémoglobinoses où la spléno-mégalie est modérée du fait d’accidents thrombotiquessuccessifs à type d’infarctus spléniques entraînant unétat d’asplénie fonctionnelle. Le diagnostic se fera surl’électrophorèse de l’hémoglobine.– Pathologie enzymatique. Dans le déficit en G6PD, la splénomégalie est trèsmodérée et la splénectomie inefficace car l’hémolyseest intravasculaire et déclenchée par certaines prisesmédicamenteuses et l’ingestion de fèves qu’il faut évi-ter.. Au contraire, le déficit en pyruvate kinase où la splé-nectomie est bénéfique car la destruction splénique estprédominante.• Anémie hémolytique acquise :– soit d’origine auto-immune, donnant un tableau d’hé-molyse chronique avec positivité du test de Coombs. Larecherche d’une étiologie sous-jacente s’avère fruc-tueuse dans 50 % des cas : syndromes lymphoproliféra-tifs, collagénoses, maladies infectieuses (MNI, myco-plasmepneumoniæ…). La rate y est volumineuse. Lasplénectomie peut être proposée en cas d’échec de lacorticothérapie. L’efficacité est moindre dans la maladiedes agglutinines froides ;– soit rarement une anémie hémolytique non immuno-logique : hémoglobinurie nocturne paroxystique ousyndrome de Marchiafava-Micheli caractérisé par undéficit des protéines membranaires CD55 et CD59dépisté en cytofluorométrie.

2. Splénomégalies vasculaires : hypertensionportaleL’hypertension portale, engendrée par tout obstaclesitué sur le système porte, quelle que soit sa cause,entraîne une splénomégalie à tous les âges, même chezl’enfant. La clinique est évocatrice lorsqu’il existe unecirculation collatérale abdominale, des varices œsopha-giennes à la fibroscopie œsogastrique. Parfois, le dia-gnostic est plus difficile lorsqu’il s’agit d’une spléno-mégalie isolée associée à un hypersplénisme. Desexplorations hépatiques sont indispensables. Les diffé-rentes causes peuvent être classées en fonction du siègede l’obstacle :• obstacles hépatiques :soit présinusoïdaux (bilhar-ziose, sarcoïdose, maladie de Wilson, fibrose hépatiquecongénitale), soit post-sinusoïdaux liés à la présence denodules de régénération (cirrhose alcoolique, post-hépati-tique, cirrhose biliaire primitive, hémochromatose) ;• obstacles infrahépatiques :au niveau de la veine splé-nique ou du tronc splénomésaraïque provoquant unehypertension portale segmentaire. Ce sont les caver-nomes, les thromboses des veines portes ou spléniqueset les compressions extrinsèques par une tumeur pan-créatique ou une fistule artério-veineuse ;• obstacles suprahépatiques :c’est le syndrome deBudd-Chiari lié à une thrombose des veines sus-hépa-tiques entraînant une augmentation de pression dans lesterritoires sinusoïdal et portal, avec ischémie hépatiquesuivie de nécrose laissant des cicatrises de fibrose centro-

lobulaire étoilée et des zones de régénération nodulairepériportale. Le diagnostic est évoqué devant une prisede poids, une hépatomégalie douloureuse avec ictère etune polysérite, et confirmée par la ponction- biopsiehépatique. Parmi les causes, il faut rechercher un syn-drome myéloprolifératif, une hémoglobinurie paroxys-tique, une maladie thromboembolique constitutionnelleou acquise (anticoagulant circulant, déficit en anti-thrombine III), une péricardite constrictive, une insuffi-sance cardiaque droite et la maladie veino-occlusiveliée à l’obstruction des veines centrolobulaires, surve-nant lors des allo- ou autogreffes chez des malades lour-dement traités antérieurement par chimio- ou radiothé-rapie.

Causes liées à la fonction immune

Devant une splénomégalie, il faut redouter les hémopa-thies. Surtout après 40 ans, c’est le premier diagnostic àévoquer, d’autant que la rate est volumineuse, d’appari-tion récente et associée à des adénopathies. Il faut lesrechercher même s’il existe un contexte fébrile car dessepticémies ou une fièvre non spécifique peuvent êtrerévélatrices d’hémopathie. Il faut donc rapidement véri-fier la numération avec étude attentive du frottis, s’il y aun doute le myélogramme, la radiographie du thorax etle scanner abdominal. Il peut s’agir de deux types d’hé-mopathies.• Hémopathies lymphoïdes :en présence ou en l’ab-sence d’une polyadénopathie, toute lymphocytose san-guine doit faire pratiquer une étude morphologiqueavec typage précis en cytofluorométrie des lympho-cytes.– La leucémie lymphoïde chronique chez les patients deplus de 50 ans avec un syndrome tumoral hématopoïé-tique périphérique homogène constitué de polyadénopa-thies symétriques, bilatérales, touchant toutes les aires,ganglionnaires est le diagnostic le plus fréquent. Lanumération montre une hyperlymphocytose souventsupérieure à 15 000/mm3, constituée de petits lympho-cytes mûrs de immunophénotype B CD19+, CD5+,CD23+, CD10– à la fois sur le frottis sanguin et sur lamoelle. L’étude des immunoglobulines de surface montreune monotypie des chaînes légères kappa/lambda et leurfaible densité de surface. Il existe parfois un test deCoombs positif pouvant entraîner une splénomégalie unpeu plus importante, et une hypogammaglobulinémie.– La leucémie à prolymphocytes B de Galton évoquéedevant une splénomégalie rapidement progressive estconfirmée par la présence de grands lymphocytesnucléolés (CD19+, CD5–, CD10–, CD23–, CD103–,IgloS fortement exprimés) sur le frottis.– Les lymphomes à point de départ splénique, doiventêtre redoutés et peuvent rester longtemps isolés auniveau de la rate, s’ils sont de faible malignité :. Les lymphomes folliculairesqui seront reconnus par laprésence de lymphocytes B à noyaux encochés (centro-cytes/centroblastes) CD19+, CD5–, CD10+, CD23–,bcl2+ à forte densité d’immunoglobuline de surface etprésence d’une translocation spécifique t(14 ;18).

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. Les lymphomes du manteau d’aspect très proche deslymphomes folliculaires mais qu’il faut différencier parun immunophénotype B CD19+; CD5+, CD10–,CD23–, bcl1+, et une translocation spécifique t(11;14),d’évolution plus rapidement défavorable.. Les lymphomes villeux : la splénomégalie est isolée etsouvent volumineuse, l’hyperlymphocytose se caracté-rise par des franges cytoplasmiques, et un immunophé-notype B CD19+, CD5–, CD23–, bcl1–, bcl2–, maisCD103+ parfois associée à une immunoglobulinesérique monoclonale de type IgM.. Les lymphomes γδ dont le point de départ est la pulperouge splénique à l’intérieur des sinusoïdes, rare lym-phome développé à partir d’une population ancestralede lymphocytes CD3+CD4–CD8–TCRαβ–, TCRδ+,CD56± et de redoutable pronostic.– Une maladie de Waldenström où la splénomégalies’associe à une IgM monoclonale sérique, avec untableau d’hémodilution et sur le myélogramme, uneinfiltration lymphoplasmocytaire.– Plus rarement, une maladie de Hodgkin, surtout s’ilexiste une fièvre au long cours, c’est une forme dedébut de l’adulte et une hyperéosinophilie sur la NFS.– Enfin, une leucémie aiguë lymphoblastique peut serévéler chez l’enfant, pour une splénomégalie qui est engénéral de petite taille, mais rapidement croissante,donc source de splénalgies. La présence de grandes cel-lules lymphoblastiques sur le frottis sanguin et médul-laire fera le diagnostic.• La leucémie à tricholeucocytes :la splénomégalieisolée, est aussi constante, plus ou moins volumineuse.La numération est évocatrice devant une pancytopéniemodérée avec quelques cellules lymphoïdes à cyto-plasme chevelu (phénotype B et DBA44+) associée fré-quemment à une monocytopénie profonde. Le diagnos-tic se fait en microscopie à contraste de phase sur lefrottis sanguin, et la biopsie ostéo-médullaire montreune myélofibrose lymphoïde. Un traitement spécifiquepar les analogues des purines de type pentostatine ou2CDA est très efficace et a supplanté la splénectomie.

Causes liées à la fonction de vicariancehématopoïétique

Les syndromes myéloprolifératifs sont un diagnostic àévoquer systématiquement devant toute splénomégalieisolée ; le diagnostic est facile dès l’étude de la NFS.• La leucémie myéloïde chroniqueoù la splénomégalieest quasiment constante (absente dans 10 % des cas),elle s’accompagne sur la numération d’un aspecttypique d’hyperleucocytose avec myélémie sans hiatusleucémique, éosinophilie et basophilie souvent asso-ciées. Le score des phosphatases alcalines leucocytairesest effondré, la cytogénétique est typique avec la pré-sence d’un chromosome Philadelphie t(9;22) et dutranscrit Bcr-Abelson dépisté en biologie moléculairedans le sang.• Dans la maladie de Vaquez,la splénomégalie est pré-sente dans trois quarts des cas. Cependant, le tableau

clinique (érythrose faciale, hyperviscosité sanguine,prurit) est déjà évocateur et la présence d’une spléno-mégalie atteste de l’étiologie primitive plutôt quesecondaire de la polyglobulie. La masse sanguineconfirmera le diagnostic évoqué devant une élévationdu taux d’hémoglobine. • La splénomégalie myéloïdeoù la splénomégalie esten général très volumineuse et constante, associée sur lanumération à un aspect typique d’hyperleucocytoseavec myélémie et érythroblastémie associées à une poï-kilocytose et une anisocytose. La biopsie ostéo-médul-laire montre une myélofibrose myéloïde.• La thrombocytémie essentielleoù les plaquettes sonttrès élevées, supérieures à 1 000 000/mm3, la spléno-mégalie y est rare et modérée. La biopsie ostéo-médul-laire retrouve une hyperplasie des mégacaryocytes.• La leucémie myélomonocytaire chronique,où lasplénomégalie est fréquente, parfois associée à dessignes cutanés et gingivaux, se présente sous formed’une hyperleucocytose avec monocytose. Le myélo-gramme montre souvent un aspect de myélodysplasieavec excès de blastes associée à une monocytose.

Splénomégalies primitives isolées

Il peut s’agir soit d’une étiologie bénigne (fibrome, dys-embryome, kyste lymphatique), soit maligne (fibrosar-come, angiosarcome, hémangioblastome ou métastasesspléniques). Seule la splénectomie permettra de faire lediagnostic, d’où l’intérêt de ne pas laisser une spléno-mégalie sans diagnostic. n

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POUR APPROFONDIR

Les indications de la splénectomie sontmultiples• À visée diagnostique lorsqu’aucun diagnostic précis n’a été porté cartoute splénectomie est pathologique.• À visée thérapeutique, dans les anémies hémolytiques de type Min-kowski-Chauffard, auto-immunes cortico-résistantes, dans les hyper-splénismes ou dans les hémopathies, afin d’améliorer le rendementtransfusionnel en diminuant la séquestration splénique.• À visée préventive devant une suspicion de rupture splénique, oudevant une évolution vers une défaillance cardiaque en diminuant l’hé-modilution.• Avant la splénectomie, le patient doit être informé de la gravité desinfections bactériennes, de la sensibilité excessive des germes encapsu-lés (méningocoques ou Hæmophilus influenzæ) et au pneumocoquemalgré la vaccination effectuée avant la chirurgie, et qui ne protège quecontre les sérotypes les plus fréquents,.• Dans les conséquences immédiates de la splénectomie, il peut existerune hyperleucocytose constituée de polynucléaires neutrophiles, asso-ciée à une hyperplaquettose et parfois une hyperkaliémie. Sur le frottis,il est aisé de reconnaître si un malade a été splénectomisé, par la pré-sence de corps de Joly et d’anneaux de Cabot. En leur absence, le déve-loppement d’une rate accessoire doit être évoqué.

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S P L É N O M É G A L I E

• Toute splénomégalie est pathologique.• La rate est un filtre vasculaire et macropha-gique.• La rate est un organe immun formant unestructure ganglionnaire en prise directe sur lacirculation sanguine afin de préserver un organemajeur : le foie.• La rate est capable de retrouver une fonctiond’hématopoièse • Toutes ses composantes peuvent s’hyperplasier,expliquant le pléiomorphisme de ses causes.

Points Forts à retenirCasassus Ph, Le Roux G. Décision en hématologie. Édi-tions Vigot.

Delsol G. Classification histopathologique, immunolo-gique, cytogénétique et moléculaire des lymphomesmalins non hodgkiniens. Encycl Med- Chir 13-016-A-15,1998.

POUR EN SAVOIR PLUS

Aspects mnémotechniques

• Comme un « marécage sur un grand fleuve », les capillaires spléniques de 2 microns de diamètre ralentissent le courant circulatoire de l’artèresplénique : c’est la pulpe rouge.Cette dérivation capillaire peut soit :– se fermer : c’est la splénocontraction envoyant 200-300 cm3 de sang dans la circulation générale en cas de choc hémorragique ;– se dilater comme « une éponge »en cas d’hyperpression en amont : c’est la splénomégalie d’hypertension portale. Les cellules sanguinesrestent stockées dans les capillaires spléniques entraînant une pancytopénie périphérique alors que la production médullaire est normale mais laquantité de cellules sanguines est anormalement répartie. Ce tableau de pancytopénie périphérique sans complication infectieuse ouhémorragique s’appelle « hypersplénisme ».• Comme les « pêcheurs sur la rive »,les macrophages profitent du ralentissement circulatoire capillaire, pour « repérer et attraper » dans le fluxsanguin les éléments circulants anormaux :– hématies « mal finies » avec des reliquats intracytoplasmiques :corps de Jolly ou anneaux de Cabotqui sont aisément reconnaissables sur lefrottis d’un patient splénectomisé ;– érythrocytes à déformabilité faible car bourrés d’hémoglobine pathologique (thalassémie, drépanocytose)ou à parois rigides (Minkowsky-Chauffardoù les hématies en forme de bille ne peuvent plus franchir les capillaires de 2 µ) ou hérissées d’auto-anticorps (anémie hémolytiqueauto-immune)ou remplis par une pullulation parasitaire (paludisme…);– monocytes ou polynucléaires contenant des bactéries à croissance intracellulaire (bacille de Koch, Salmonella…); ou d’agents infectieuxdivers ( parasites, virus, mycoses );– tous les éléments étrangers circulant directement dans le sang : bactéries à croissance extracellulaire (septicémies et abcès à pyogènes).• Enfin, les macrophages peuvent s’activer sous l’action de cytokines et phagocytent des hématies ou des plaquettes normales comme dans le syndrome d’activation phagocytaire.• Le produit de la phagocytose macrophagique est fragmenté, digéré et présenté en sous-unités antigéniques au système lymphocytaire quiengaine comme des manchons chaque capillaire formant ainsi « la pulpe blanche ».• « Comme une armée embusquée derrière la rive »,le système lymphocytaire peut s’hyperplasier rapidement formant soit une splénomégalieréactionnelle à une stimulation antigénique infectieuse ou dysimmunitaire (polyarthrite rhumatoïde ou lupus)soit maligne avec prolifération del’une ou l’autre des différentes populations lymphocytaires (lymphomes à point de départ splénique).À l’inverse, comme c’est le « plus grosganglion » de l’organisme,il peut y avoir un « homing »de lymphocytes malins issus d’un ganglion ou de la moelle qui se localisentsecondairement à la rate(localisation splénique des leucémies lymphoïdes, Waldenström ou Hodgkin).• « La rate a la mémoire longue ». C’était un organe hématopoïétique dans la 2e partie de la vie embryonnaire. Lors de la myélofibrose, la ratepeut reprendre ses fonctions hématopoïétiques (splénomégalie myéloïde).Ce qui explique le passage dans le sang d’éléments immatures deslignées blanche et rouge (érythromyélémie).• La rate c’est aussi une structure mésenchymateuse vasculaire, lymphatique et fibreuse pouvant s’hypertrophier de façonbénigne ou maligne(kystes, lymphocèles, fibrome-fibrosarcome ou angiome-angiosarcome).

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HématologieB 310

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Structure et organisation des gènesde l’hémoglobineLe chromosome 16 porte 2 gènes α-globine dénommésrespectivement, de 5’ en 3’,α2-globine et α1-globine.Ces gènes sont composés de 3 exons et de 2 introns.Chacun des 4 gènes α-globine code environ 25 % deschaînes α-globine synthétisées dans l’érythroblaste.Chaque chromosome 11 porte les gènes « non α-globine ».On distingue, de 5’ en 3’, un gène γ dupliqué (Gγ et Aγ),un gène δ, et un gène β. Dans l’érythroblaste normal, ily a toujours un équilibre de synthèse parfait entre leschaînes α-globine et les chaînes « non α-globine » (fig. 1).

Les maladies génétiques de l’hémoglobine sont classéesen 2 grandes catégories : les thalassémies, et les hémo-globinopathies dont la forme la plus répandue est la drépanocytose.

Thalassémie, drépanocytosePhysiopathologie et diagnostic

PR Robert GIROT

Service d’hématologie, hôpital Tenon, 75970 Paris cedex 20.

• ThalassémieLes formes sévères de la β-thalassémie homozygote (thalassémie majeure ou anémie de Cooley) sont caractérisées par une anémiedont le mécanisme est double, l’érythropoïèseinefficace et l’hyperhémolyse. L’expansion érythroblastique est à l’origine des déforma-tions morphologiques et osseuses. La transfusion sanguine corrige l’anémie et réduit l’expansion érythroblastique, mais estla principale cause de la surcharge en fer quirend compte de la mortalité et de la morbiditéde la maladie traitée.Certaines formes d’α-thalassémie sont à l’origine d’une anémie hémolytique chronique ou d’un syndrome d’hydrops fetalisincompatible avec la vie.Le diagnostic phénotypique des thalassémies estfait par l’étude de l’hémoglobine ; le diagnosticgénotypique fait appel à l’analyse moléculairedes gènes de globine (délétions-mutations).

• DrépanocytoseLa drépanocytose homozygote est la forme la plus sévère des syndromes drépanocytairesmajeurs. La polymérisation des molécules d’hémoglobine S est à l’origine du phénomènede falciformation de l’hématie drépanocytaire.On distingue 2 versants cliniques à la maladie :l’hyperhémolyse et les phénomènes vaso-occlusifs. Ces derniers sont différents d’un malade à l’autre, expliquant la grandehétérogénéité clinique de la maladie.L’hémoglobine drépanocytaire est identifiée par l’étude phénotypique de l’hémoglobine. Le diagnostic génotypique a sa principale indication dans le diagnostic prénatal.

Points Forts à comprendre

Organisation des gènes de globine sur les chromosomes 11 et 16.

Formules moléculaires et commutation des hémoglobines

L’hémoglobine fœtale (HbF) est composée de 2 chaînesα et 2 chaînes γ (α2γ2) ; cette hémoglobine est majoritairependant la vie fœtale et à la naissance où son taux est voi-sin de 85 %. Dans le globule rouge normal adulte, il exis-te moins de 1 % d’hémoglobine fœtale avec 97 à 98 %d’hémoglobine A (HbA) faite de 2 chaînes α et 2 chaînesβ (α2β2) et 2 à 3 % d’hémoglobine A2, (HbA2) faites de 2chaînes α et de 2 chaînes δ (α2δ2). Le passage de l’hémo-globine fœtale à l’hémoglobine A(commutation deshémoglobines) est progressif et se fait de la fin de la vie fœtale jusqu’à l’âge de 6 à 12 mois.

3’5’

0 10 20 30 40 50 60 70 80

ε Gγ Aγ

ζ ψζ ψα1 α2 α1 θ1

ψβ δ βChromosome 11

Chromosome 16

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Thalassémies

Définition – Épidémiologie – Génétique

Les thalassémies sont définies par une diminution de synthèse des chaînes de globine. Elles sont désignées parla chaîne de globine déficiente :β-thalassémie,α-thalas-sémie. Les β-thalassémies sont répandues du bassinméditerranéen au Sud-Est asiatique et les α-thalassémiessont particulièrement fréquentes dans le Sud-Est asiatique.Les syndromes thalassémiques sont transmis généti-quement selon le mode mendélien autosomique.

β-thalassémies

1. Physiopathologie des lésions moléculairesLes mutations naturelles se traduisant par un défaut desynthèse de la chaîne β-globine sont très nombreuses(plus de 100 actuellement). La classification retenueconsidère l’étape finale de la synthèse protéique selonqu’il persiste (β+-thalassémie) ou pas (β0-thalassémie)une production de chaînes β-globine.• B0-thalassémies :les formes délétionnelles de β-thalas-sémie sont rares, à l’exception de celle qui affecte ungroupe ethnique du sous-continent indien et qui corres-pond à la délétion de 0,6 kb amputant une partie 3’ dugène β. Les 3 autres défauts moléculaires les plus cou-rants se traduisant par une absence de synthèse dechaînes β-globine, sont les suivants :– la mutation d’une base créant un codon non-sens provoque l’apparition d’un signal stop au niveau de lasynthèse protéique ;– les délétions ou insertions mineures de 1, 2, 3 ou 4nucléotides créant un décalage du cadre de lecture pro-voquent l’apparition d’un codon non-sens plus en avalavec une synthèse protéique avortée ;– les mutations des jonctions exon-intron sont respon-sables d’une β0-thalassémie quand elles touchent lesséquences consensus obligatoires, GT en 5’ et AG en 3’de l’intron, en empêchant de ce fait un épissage normal.• β+-thalassémies :2 types principaux de lésions molé-culaires peuvent se traduire par un défaut partiel de syn-thèse de chaînes β-globine :– les processus anormaux de maturation des ARN mes-sagers sont les mécanismes les plus fréquents. La formela plus habituelle est une mutation dans l’intron 1 enposition 110. Cette mutation crée un site dinucléoti-dique AG utilisé pour l’épissage et produit un ARN mes-sager anormal rapidement détruit. À côté de cet ARNmessager non fonctionnel, il y a production d’une quan-tité diminuée d’un ARN messager normal pour la syn-thèse d’une chaîne β-globine ;– la diminution quantitative de la transcription est res-ponsable d’un défaut de production de l’ARN messager.Elle est due à des mutations survenant dans lesséquences flanquantes en 5’ correspondant aux régionspromotrices d’interaction entre le gène β-globine et lesprotéines du complexe d’initiation de la transcriptionavec l’ADN polymérase.

2. Physiopathologie des principaux signeshématologiques

• β-thalassémie hétérozygote :la diminution de la syn-thèse de la chaîne β d’hémoglobine entraîne une réduc-tion de la quantité d’hémoglobine contenue dans chaquehématie et explique la microcytose (diminution du volu-me globulaire moyen), la diminution de la teneur cor-pusculaire moyenne en hémoglobine (TCMH) et laréduction de la concentration corpusculaire moyenne enhémoglobine (CCMH). On observe une pseudopolyglo-bulie avec 5 à 7 millions d’hématies/mm3 sans anémie.La réticulocytose est normale ou un peu augmentée. Ilexiste une élévation du taux de l’HbA2 (> 3,5 %).• β-thalassémie homozygote :– anémie : c’est au cours des premiers mois, lors de lacommutation des hémoglobines, que le déficit de syn-thèse en chaînes β entraîne une augmentation relativedes chaînes α au sein de l’érythroblaste qui précipitentsous la forme d’inclusions (corps de Fessas) toxiquespour les membranes cellulaires et nucléaires. La lésionde ces membranes est responsable d’une destruction del’érythroblaste dans la moelle. L’érythropoïèse ineffica-ce qui en résulte est le principal mécanisme de l’anémiedans la β-thalassémie homozygote. Certains érythro-blastes, notamment ceux qui synthétisent l’hémoglobinefœtale, parviennent à donner naissance à un réticulocy-te, puis à un globule rouge qui passe dans le sang péri-phérique. L’hématie circulante, appauvrie en hémoglo-bine (hypochromie), déformée (poïkilocytose), a unedemi-vie raccourcie et rend compte du deuxième méca-nisme de l’anémie : l’hyperhémolyse. La plupart desérythroblastes étant détruits dans la moelle, l’anémie estpeu régénérative, moins que ne le voudrait le taux d’hé-moglobine si la moelle fonctionnait correctement ;– déformations morphologiques et hypertrophie de lalignée érythroblastique : l’anémie profonde de la β-tha-lassémie homozygote induit une augmentation de lasécrétion d’érythropoïétine dont le rôle est de favoriser ladifférenciation et la multiplication des cellules soucheshématopoïétiques vers le compartiment érythroblastique.Il résulte de cette stimulation hormonale une inflationimportante du secteur érythroblastique médullaire. Cetteexpansion est à l’origine de la déformation des os quifabriquent le sang chez l’enfant : crâne, régions malaires,maxillaires, extrémités des os longs principalement.L’expansion érythroblastique s’exprime aussi dans lesang périphérique, l’érythroblastose circulante pouvantatteindre 50 à 100 000 éléments nucléés/mm3 ;– splénomégalie et hépatomégalie ; hypersplénisme : lasplénomégalie et l’hépatomégalie apparaissent dans lespremiers mois de vie et sont responsables du gros ventredes enfants atteints de thalassémie majeure. Le mécanis-me de la splénomégalie est complexe : l’hyperhémolyseet l’hyperplasie du système des phagocytes mononu-cléés (anciennement système réticulo-endothélial),l’érythropoïèse ectopique et la circulation anormale descellules thalassémiques engorgeant la rate sont les prin-cipales causes de l’hypertrophie splénique.

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rable et déformer l’abdomen. L’hyperplasie des os de laface confère aux enfants un aspect disgracieux : lesrégions malaires sont élargies, la base du nez aplatie ; ilexiste un hypertélorisme et une protrusion du maxillairesupérieur. Le traitement transfusionnel maintenant le tauxd’hémoglobine moyen autour de 12 g/dL évite l’appari-tion de ces signes cliniques. L’hémogramme montre uneanémie souvent inférieure à 7 g/dL, microcytaire ou nor-mocytaire, hypochrome (TGMH < 26 pg par cellule etCCMH < 33 g/dL) avec une anisocytose et une poïkilocy-tose. L’érythroblastose sanguine est habituelle. La moelleest riche et très érythroblastique. L’électrophorèse de l’hé-moglobine permet le diagnostic de la β-thalassémie : lepourcentage d’HbF est constamment augmenté, le tauxd’HbA dépend de la synthèse résiduelle de chaînes β dansles β+ thalassémies, il est nul dans les β0 thalassémies. Lepourcentage d’HbA2 est normal ou parfois élevé.Le diagnostic génotypique des lésions moléculaires responsables de la β-thalassémie est établi par lesméthodes de la biologie moléculaire. Si cette identifica-tion n’est pas indispensable pour le diagnostic clinique,elle est en revanche nécessaire lorsqu’un diagnostic pré-natal est envisagé.

α-thalassémies

1. Physiopathologie des lésions moléculairesDans la majorité des cas, la lésion moléculaire respon-sable d’une α-thalassémie est une délétion. Puisqu’ilexiste 4 gènes α-globine, on observe 4 types d’α-thalas-sémie. Le tableau I présente la nomenclature actuelledes principales α-thalassémies.• α+-thalassémies :elles sont le résultat d’un crossing-over inégal entre des régions homologues et dupliquéesdes gènes α-globine. Les α+-thalassémies sont plus rare-ment dues à des mutations ponctuelles.• α0-thalassémies :l’absence d’expression des 2 gènesα contigus sur le même chromosome correspond à α0-thalassémie hétérozygote. Ces thalassémies sontdues à des délétions qui emportent la totalité des gènesα en cis et qui s’étendent de part et d’autre du locus αsur une longueur variable allant de 5,2 à 62 kb. La plusfréquente est la délétion asiatique (– –SEA).

L’hypersplénisme est un état hématologique caractérisépar une grosse rate associée à une anémie et (ou) uneleucopénie et (ou) une thrombopénie, et par la dispari-tion des signes de cytopénie périphérique après splénec-tomie. Chez les patients thalassémiques, la leucopénie etla thrombopénie ne sont observées aujourd’hui que chezles malades insuffisamment transfusés. Chez lesmalades correctement traités, c’est l’augmentation régu-lière des besoins transfusionnels mesurés chaque annéeen mL/kg de poids/an qui témoigne de l’hypersplénisme.Un patient régulièrement transfusé, dont les besoinstransfusionnels dépassent 200 mL/kg/an, est atteint d’unhypersplénisme et doit être splénectomisé ;– surcharge en fer : elle est constante dans la β-thalassémiehomozygote. Deux mécanismes en sont responsables :l’hyperabsorption digestive du fer et la transfusion san-guine. Puisqu’un malade atteint de thalassémie homozy-gote reçoit 150 à 200 mL/kg de poids de concentrés glo-bulaires, il accumule 0,75 à 1 g de fer/kg de poids en 10 à12 ans. Ce fer se répartit dans l’organisme et altère cer-tains tissus. Le principal organe cible de la surcharge enfer est le myocarde. Le foie est toujours surchargé en fer.Le parenchyme des glandes endocrines constitue uneautre cible tissulaire de la surcharge en fer post-transfu-sionnelle, l’infiltration martiale de la thyroïde, des para-thyroïdes, des cellules β des îlots de Langerhans, desgonades, de l’hypophyse et de l’hypothalamus étant res-ponsables respectivement d’hypothyroïdie, d’hypopara-thyroïdie, de diabète sucré et d’insuffisance gonadotrope.

3. Diagnostic de la β-thalassémie• β-thalassémie hétérozygote :les sujets sont bien por-tants. Le diagnostic biologique repose sur les signes sui-vants : microcytose sans anémie ou avec une anémiemodérée entre 10-12 g/dL et augmentation du taux del’HbA 2 au-delà de 3,5 %.• β-thalassémie homozygote :les formes cliniquesdépendantes de la transfusion sanguine définissentl’anémie de Cooley (ou thalassémie majeure). Lessignes cliniques apparaissent dans les premiers mois devie chez le nourrisson. La pâleur est constante, associéeparfois à un ictère. L’hépatosplénomégalie se développeprogressivement, pouvant acquérir un volume considé-

Hématologie

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Phénotype Nombre de gènes α délétés Génotype

α-thalassémie silencieuse 1 α+ thalassémie hétérozygote (–α/αα )ou α-thalassémie 2

α-thalassémie mineure αo thalassémie hétérozygote (cis)(– –/αα )ou α-thalassémie 1 2 α+ thalassémie homozygote (trans)(–α/–α)

Hémoglobinose H 3 (– –/–α)

Hydrops fetalis 4 αo thalassémie homozygote (– –/– –)

Nomenclature des α-thalassémies

TABLEAU I

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2. Physiopathologie des principaux signeshématologiques

• Délétion d’un gène α-globine : il n’y a pas de traduc-tion clinique, hématimétrique ou électrophorétique de ladélétion d’un gène α-globine.• Délétion de 2 gènes α-globine : le défaut de synthèsede l’hémoglobine résultant de la délétion de 2 gènes αexplique la microcytose (VGM diminué), l’hypochromie,la diminution de la TCMH et la réduction de la CCMH.• Délétion de 3 gènes α-globine (hémoglobinose H) :– l’anémie est présente dès la naissance, microcytaire et hypochrome. Le taux d’hémoglobine est voisin de 7 à 8 g/dL. Pendant la vie fœtale, à la naissance et dansles premières semaines de vie, les chaînes γ en excèsrelatif se tétramérisent pour donner une molécule d’hémoglobine appelée hémoglobine Bart’s. Plus tard,lorsque la commutation des hémoglobines est achevée,l’excès relatif de chaînes β se tétramérise pour donnerl’hémoglobine H. Le taux d’hémoglobine Bart’s à lanaissance est voisin de 20 à 30 % ; chez les patients plus âgés, celui de l’hémoglobine H varie de 3 à 30 %selon les cas. Dans la moelle, il existe une hypertrophiede la lignée érythroblastique avec un certain degréd’érythropoïèse inefficace. Les hématies circulantessont anormales et ont une demi-vie raccourcie. Ainsi,l’anémie a un double mécanisme, mais l’hyperhémolysedomine sur l’érythropoïèse inefficace ;– le mécanisme des déformations squelettiques est sem-blable à celui de la β-thalassémie ;– les mécanismes responsables de l’hépatomégalie, dela splénomégalie et de l’hypersplénisme sont identiquesà ceux qui ont été décrits dans la β-thalassémie ;– les deux mécanismes responsables de la surcharge enfer dans les α-thalassémies sont l’hyperabsorptiondigestive du fer et la transfusion sanguine, comme dansla β-thalassémie.• Délétion des 4 gènes α-globine (hydrops fetalis) :l’anémie apparaît pendant la période fœtale. Elle estintense et se complique d’anasarque fœto-placentaire.La maladie est incompatible avec la vie et le décès survient in utero ou juste après la naissance. Si le sangde l’enfant peut être prélevé avant qu’il ne meure, l’élec-trophorèse note la présence d’hémoglobine Bart’s (aumoins 80 %) et d’hémoglobine H (environ 10 %) sansHbA ni HbF. Chez la mère, l’évolution vers la toxémie avec son risque mortel est fréquente. Le risqued’hydrops fetalisjustifie le diagnostic prénatal dans les α-thalassémies.

3. Diagnostic des α-thalassémies• Délétion de 1 ou 2 gènes α-globine : il n’y a pas desymptomatologie clinique de la délétion de 1 ou de 2gènes α-globine. En cas de délétion de 1 gène α-globine,l’hémogramme est normal ; le taux d’HbA2, peut êtreabaissé. La biologie moléculaire montre une α+-thalas-sémie hétérozygote. En cas de délétion de 2 gènes α-globine, il existe une microcytose aux alentours de 70 flsans anémie ou avec une anémie modérée entre 10 et

13 g/dL d’hémoglobine. Le taux d’HbA2 est diminué. Laprésence d’hémoglobine Bart’s à la naissance est transi-toire. La biologie moléculaire fait le diagnostic entre uneα+-thalassémie homozygote et une α0-thalassémie hétéro-zygote.• Délétion de 3 gènes α-globine (hémoglobinose H) :l’hémoglobinose H est caractérisée par une anémiehémolytique chronique par des déformations morpho-logiques de type thalassémique, mais atténuées.L’évolution clinique est celle d’une thalassémie modérée,et les enfants atteignent l’âge adulte en règle générale. La complication la plus fréquente est la splénomégalieavec ses risques d’hypersplénisme ; les autres sont l’aggravation de l’anémie due à une infection surajoutéeou une prise médicamenteuse, les ulcères de jambe,les complications habituelles de l’hémolyse comme la lithiase biliaire et le déficit en acide folique.L’hémoglobinose H est caractérisée par une anémiehémolytique d’intensité modérée (7 à 9 g/dL). L’anémieest microcytaire, hypochrome avec des hématies ponc-tuées. La précipitation de l’hémoglobine H dans leshématies apparaît sous la forme de corps de Heinz, maisuniquement chez les malades splénectomisés. L’électro-phorèse de l’hémoglobine met en évidence l’hémo-globine H. La biologie moléculaire établit le diagnosticgénotypique.• Délétion des 4 gènesα-globine (hydrops fetalis ) :l’abolition complète de l’expression des 4 gènes α-glo-bine n’est pas compatible avec la vie. Le décès survientin utero ou juste après la naissance dans un tableaud’anasarque fœto-placentaire.L’anémie est intense à moins de 6 g/dL d’hémoglobineavec un volume globulaire moyen de 110-120 fl. Àl’électrophorèse, on note la présence d’hémoglobineBart’s, d’hémoglobine H et d’hémoglobine embryonnai-re de type Portland, sans hémoglobines A et F.

Drépanocytose

Définition – Épidémiologie

La drépanocytose est une maladie génétique de l’hémo-globine due à la mutation du 6e codon de la chaîne βglobine (β6 Glu Val). Cette affection est fréquenteen Afrique, en Amérique du Nord et du Sud, dans lesAntilles, dans les pays du Maghreb, en Sicile, en Grèce,dans tout le Moyen-Orient, et on la rencontre aux Indes.Depuis quelques décennies, la drépanoctyose est égale-ment présente en Europe de l’ouest.

Génétique

La drépanocytose est une affection transmise selon lemode mendélien récessif autosomique. Les sujets hété-rozygotes sont dits AS et les homozygotes dits SS. Il existe d’autres anomalies de l’hémoglobine pouvants’associer à la drépanocytose : l’hémoglobine C et la β-thalassémie, des anomalies génétiques de l’hémo-

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faible, voire nul chez le sujet normal ; il est plus oumoins élevé chez le sujet drépanocytaire. Les cellulesles plus denses contiennent les drépanocytes, qui, aprèsavoir subi plusieurs cycles de falciformation, sont déformés de façon définitive. En effet, le phénomène de falciformation-défalciformation est réversible pen-dant plusieurs cycles jusqu’à la fixation définitive de lacellule sous la forme d’un drépanocyte irréversible. Lesdrépanocytes irréversibles sont des cellules dans les-quelles on note des concentrations d’hémoglobine supé-rieures à 40 g/dL.

3. Conséquences rhéologiques de la falciformationLes principales anomalies rhéologiques caractérisant ladrépanocytose sont une augmentation constante de laviscosité et une diminution de la déformabilité cellulaire.Ces deux phénomènes sont très dépendants de l’hémato-crite et d’autant plus nets qu’il est élevé. L’hématocritebas (20-25 %) observé chez les drépanocytaires homo-zygotes atténue l’effet de ces anomalies.

4. Anomalies de la microcirculation dans la drépanocytose : adhérence des globules rougesdrépanocytaires à l’endothélium vasculaire

L’adhérence des cellules drépanocytaires à l’endothé-lium vasculaire a été démontrée initialement in vitrodans un système de culture de cellules endothélialesprovenant de veines ombilicales et d’aorte de bœuf.Cette observation initiale a ensuite été confirmée dansd’autres systèmes expérimentaux et notamment dansdes expériences de perfusion de mésocæcum de rats etde chambres endothélialisées.Le phénomène d’adhérence des cellules drépanocytairesà l’endothélium est dépendant des caractéristiques duflux sanguin. Dans des conditions de flux laminaire,l’adhérence cellulaire est très limitée, voire inexistante,à l’inverse de ce qui se passe dans les zones de flux tur-bulent de certaines zones de la circulation capillaire.L’adhérence la plus importante est observée dans lesvaisseaux de 7 à 10 µm de diamètre.L’adhérence des globules rouges drépanocytaires à l’endothélium provoque un ralentissement circulatoire etinduit la falciformation et la vaso-occlusion. Les molé-cules protéiques intervenant dans les phénomènes d’adhérence ont été identifiées, au moins pour certainesd’entre elles. Elles concernent essentiellement des cel-lules jeunes, réticulocytaires, et impliquent les moléculesproadhésives telles que l’intégrine VLA-4 et la glyco-protéine CD36. Les partenaires à la surface de l’endo-thélium sont également CD36 et, après activation de cescellules, la protéine VCAM-1. L’interaction VLA-4VCAM-1 est directe, tandis que celle qui concerne les 2 molécules CD36 sur le globule rouge et l’endothéliumfait intervenir un pontage par la thrombospondine plas-matique. D’autres mécanismes d’interaction ne sont pasexclus, mais ne sont pas encore identifiés.

globine qui se transmettent également sur le mode auto-somique récessif. Lorsque ces anomalies s’associent,elles donnent naissance à des hétérozygotes compositesSC ou Sβ thalassémiques. La drépanocytose homozygo-te et les hétérozygotes composites SC et Sβ thalassé-miques sont regroupées dans le cadre des syndromesdrépanocytaires majeurs.

Physiopathologie moléculaire, cellulaireet vasculaire de la drépanocytose

1. Polymérisation des molécules d’hémoglobinedrépanocytaireDans l’hémoglobine drépanocytaire S, le remplacementd’un acide glutamique par une valine en position β6 à la surface de la molécule provoque une série de modifications structurales qui rendent compte de ladiminution de sa solubilité, et de la polymérisation de saforme déoxygénée. La polymérisation s’observe in vitrodans des solutions d’hémoglobine concentrées, ainsique in vivo dans le globule rouge. Cette polymérisationaboutit à la formation d’un gel. Il a été montré in vitroque la formation du gel par les molécules de déoxy-hémoglobine S n’était pas un phénomène instantané,mais qu’elle était précédée d’une période de latenced’une durée variable, allant de la milliseconde à plusieursminutes. Des facteurs physicochimiques favorisent la polymérisation et la formation du gel : augmentationde la température, abaissement du pH et augmentationde la concentration ionique.La concentration en hémoglobine est un facteur essen-tiel influençant la polymérisation des molécules dedéoxyhémoglobine S. C’est pour cette raison que les α-thalassémies, souvent associées à la drépanocytose,ont un effet défavorable sur 1a polymérisation puis-qu’elles diminuent la concentration en hémoglobineintraérythrocytaire.L’hémoglobine F est un autre facteur biologique impor-tant à considérer car cette molécule ne copolymérise pasavec l’hémoglobine S. L’effet inhibiteur de l’hémoglo-bine F sur la polymérisation se manifeste dès le stadeinitial de la formation du polymère ; ainsi, à titred’exemple, une augmentation du pourcentage d’hémo-globine fœtale passant de 10 à 25 % de l’hémoglobinetotale multiplie par 100 le temps de latence in vitro.

2. La polymérisation déforme la celluleDans le globule rouge normal, l’hémoglobine est à uneconcentration voisine de 33 g/dL, qui correspond à lavaleur de la CCHM. La polymérisation des moléculesd’hémoglobine S dans leur configuration déoxygénéeprovoque la formation intracellulaire de longues fibresallongées. La formation de ces fibres intracellulairesentraîne une modification de forme du globule rouge quiacquiert un aspect en faux : le drépanocyte.Les cellules falciformées sont hétérogènes, tant en cequi concerne leur aspect morphologique que leur densité.Le pourcentage des cellules denses (d > 1,120) est

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5. Anomalies vasculaires artérielles dans la drépanocytose

Certaines complications neurologiques de la drépanocy-tose sont attribuées à une obstruction plus ou moins com-plète des artères irriguant le cerveau : les carotides, lescérébrales antérieures et les vertébrales. Il s’agit d’occlu-sion partielle ou totale de la lumière des vaisseaux avecdes aspects de « moya-moya » (réseaux de suppléance)chez certains malades. Des études histologiques ont mon-tré que le rétrécissement ou l’occlusion de ces vaisseauxétaient dus à une hyperplasie de l’intima comportant uneprolifération des cellules musculaires lisses et des fibro-blastes, associée à une destruction partielle de la laminaélastique interne et à des foyers de fibrose de la média.Des anomalies artérielles dues à une hyperplasie de l’inti-ma ont aussi été décrites dans les vaisseaux spléniques,les artères pulmonaires, les artères rénales, les artériolesdes tissus entourant les ulcères de jambe, et surtout lesartérioles de la rétine dont l’occlusion est considéréecomme étant à l’origine de la rétinopathie drépanocytaire.

Physiopathologie des principaux signescliniques de la drépanocytose

Les principaux signes cliniques de la maladie drépano-cytaire sont l’anémie et les complications aiguës ouchroniques dues à la vaso-occlusion.

1. Physiopathologie de l’anémieLes conséquences directes de la polymérisation des molé-cules d’hémoglobine S dans la drépanocytose sont la défor-mation et la fragilisation du globule rouge, cette dernièreexpliquant l’anémie hémolytique. Le taux moyen d’hémo-globine chez les patients drépanocytaires homozygotes estentre 6 et 10 g/dL, avec un pourcentage de réticulocytes de5 à 15 %. Ce taux d’hémoglobine permet une fournituretissulaire en oxygène proche de la normale, en raison del’augmentation de la dynamique circulatoire et d’une dimi-nution de l’affinité de l’hémoglobine drépanocytaire pourl’oxygène. L’augmentation de la production médullairerequiert une supplémentation des apports en acide foliquepour éviter le développement d’une anémie mégalo-blastique. L’hyperhémolyse se traduit cliniquement par unictère à bilirubine libre qui s’observe avec une prévalenced’autant plus élevée que les sujets sont plus âgés. Le flux debilirubine dans les voies biliaires contribue à la formationd’une lithiase biliaire pigmentaire qui est constatée chez30 % des malades avant vingt ans. Plusieurs mécanismespeuvent aggraver l’anémie : toute situation inflammatoireralentit la production érythrocytaire médullaire, commel’illustre la diminution de la réticulocytose ; les carences enfolates secondaires à l’anémie hémolytique ; les déficits enfer ; les crises d’érythroblastopénie, le plus souvent impu-tables au parvovirus B19, survenant fréquemment dansl’enfance ; le syndrome de séquestration splénique, dû àune séquestration rapide d’une grande partie de la masseglobulaire dans la rate, symptôme fréquent qui se traduitpar une anémie aiguë chez le petit enfant.

2. Physiopathologie de la vaso-occlusion

On désigne sous le terme de vaso-occlusion les consé-quences du défaut de perfusion des tissus de l’organismerésultant de l’ensemble des phénomènes moléculaires,cellulaires et vasculaires décrits ci-dessus. Le caractèrerapide ou progressif de l’anomalie de la circulation est àl’origine de complications aiguës ou chroniques. Lescomplications sont différentes selon les territoires vascu-laires intéressés, microcirculation, artère ou veine.• Physiopathologie de la crise osseuse douloureuse :leralentissement ou l’arrêt de la vascularisation des os està l’origine d’un infarctus osseux provoquant la douleur.Le phénomène peut être dû à la séquence des événe-ments, adhésion des globules rouges drépanocytaires àl’endothélium, engorgement de la lumière vasculaire,ralentissement circulatoire. On admet aussi qu’il peutêtre initié par un réflexe neurovasculaire provoqué par lefroid, l’effort, le stress, etc., qui expliquerait le caractèremultifocal de certaines crises douloureuses.• Physiopathologie des infections :la sensibilité auxinfections ne répond pas aux mêmes mécanismes selonles types d’infections et les germes en cause :– septicémies et méningites : les cellules drépanocy-taires provoquent un engorgement de la circulation splé-nique et des infarctus itératifs qui altèrent la fonction dedéfense anti-infectieuse de la rate. Ainsi, comme cheztout patient splénectomisé, les malades drépanocytairessont exposés au risque d’infections graves post-splénec-tomie, notamment les septicémies et les méningites duesà des germes encapsulés,Streptococcus pneumoniæetHæmophilus influenzæ ;– ostéomyélites : chez les patients drépanocytaires, lesostéites sont volontiers multifocales et rapidementextensives. Dans plus de la moitié des cas, elles sontdues à des salmonelles dites mineures :Typhi murium,Typhi Panama,etc., puis aux staphylocoques, coliba-cilles, etc. Le mécanisme admis de ces infections est lesuivant : à l’occasion d’une bactériémie, le germe surve-nant dans une zone osseuse non ou mal vascularisée enraison d’un phénomène de vaso-occlusion va se déve-lopper et être à l’origine de l’ostéomyélite.• Physiopathologie des atteintes organiques :– complications aiguës : la séquestration aiguë deshématies drépanocytaires dans la rate, le foie ou les corpscaverneux est à l’origine des syndromes de séquestrationaiguë splénique ou hépatique et du priapisme.L’oblitération aiguë de l’artère centrale de la rétine pro-voque l’amaurose. Les nécroses papillaires rénales sontdues à des défauts de perfusion des artères des pyramidesrénales (vasa-recta). Les accidents ischémiques céré-braux sont la conséquence de l’obstruction des artèrescérébrales. Le syndrome thoracique aigu correspond àplusieurs causes (vasculaire, infectieuse, thrombo-embo-lique...) ; l’origine vasculaire étant due à l’oblitération dela microcirculation pulmonaire par les drépanocytes.– complications chroniques : le défaut de perfusion chro-nique de certains tissus et organes est à l’origine de leurdégénérescence ou de leur nécrose. C’est ainsi que l’on

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accidents vasculaires cérébraux responsables de déficitsneurologiques ou sensoriels, syndromes thoraciquesaigus définis par l’association de signes fonctionnels etphysiques respiratoires à une image radiologique pul-monaire anormale, priapisme, amaurose, hématurie,nécrose papillaire.• Les complications chroniquessont plus volontiersobservées chez les adolescents et les adultes que chezl’enfant. Il s’agit des ulcères de jambe, des nécrosesosseuses des hanches et des épaules, de la rétinopathiedrépanocytaire, des atteintes rénales allant de l’hyposté-nurie et la microalbuminurie jusqu’à l’insuffisance réna-le terminale, les insuffisances chroniques pulmonaire oucardiaque. La lithiase biliaire est rattachée aux compli-cations chroniques.

2. Biologie• Diagnostic phénotypique :les caractéristiques héma-tologiques des principaux syndromes drépanocytairesmajeurs sont indiquées dans le tableau II. On retiendrales points suivants : le taux moyen de l’hémoglobine cir-culante chez les patients drépanocytaires homozygotesest proche de 8 g/dL ; il existe des variations impor-tantes selon les malades de 6 à 10 g/dL ; le taux d’HbFest important à déterminer en raison de sa significationpronostique. La mortalité et la morbidité de la maladiesont d’autant moins sévères que le taux d’HbF est élevé.Les patients hétérozygotes composites SC ne sont pasanémiques, leur réticulocytose est comprise entre 140 et200 000/mm3, témoignant d’une hyperhémolyse com-pensée ; la leucocytose est souvent élevée à 10 000-20 000 éléments/mm3, en particulier chez les patientsdrépanocytaires homozygotes, en raison d’une hyper-leucocytose à polynucléaires neutrophiles ; cette parti-cularité est observée même en dehors de toute complica-tion infectieuse ou inflammatoire ; le taux des plaquettesest normal ou légèrement augmenté en raison de l’auto-splénectomie qui survient dans la maladie.

explique les ulcères de jambe, la rétinopathie, les nécrosesosseuses avasculaires notamment de la hanche, les alté-rations du rein, du poumon, du cœur, à l’origine d’insuf-fisances chroniques intéressant ces différents organes.

Diagnostic

1. CliniqueLa description clinique de la maladie drépanocytairecomporte l’état de base des malades, les complicationsaiguës et les complications chroniques.• L’état de baseest caractérisé par une anémie hémoly-tique chronique. La splénomégalie constatée dès les pre-miers mois de vie persiste quelques années pour dis-paraître spontanément par « autosplénectomie ». Lacroissance staturo-pondérale est normale, mais les sujetsdrépanocytaires sont volontiers maigres. La puberté sefait de façon satisfaisante avec, cependant, un retard parrapport à la population non drépanocytaire du mêmeâge. La fertilité est normale chez les adultes.• Les complications aiguës sont dominées par les crisesdouloureuses qui associent fièvre et douleurs. Les dou-leurs sont localisées ou plurifocales. Elles sont d’inten-sité variable, parfois exigeant l’utilisation d’antalgiquesmajeurs (morphine) pour leur traitement. Les infections,responsables d’une part importante de la mortalité et dela morbidité, sont caractérisées chez les jeunes enfantspar la fréquence des méningites et des septicémies àStreptococcus pneumoniæet Hæmophilus influenzæ.Les ostéomyélites, volontiers plurifocales et extensives,sont dues à des salmonelles mineures ou aux staphylo-coques. On doit connaître la gravité des infections pul-monaires à Mycoplasma pneumoniæ. L’anémie chronique de la drépanocytose est une anémiehémolytique modérée. Certaines situations indiquées ci-dessus peuvent l’aggraver.Les accidents vaso-occlusifs graves regroupent une sériede complications caractérisées par un déficit organique :

Hématologie

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A % S % A2 % F % Hb g/dL VGM fl

SS

SC

Sβo thal

Sβ+ thal

AS

0

0

0

A

A

S

S = C

S

S

S

N

N

N

0 – 20

0 – 5

5 – 10

5 –20

N

6 – 10

10 – 13

8 – 10

7 – 11

N

N

N

< 80

< 80

N

Données hématologiques permettant d’établir le diagnostic phénotypique des syndromes drépanocytaires majeurs.Hb : hémoglobine – VGM : volume globulaire moyen – N : normal.Les données concernant les sujets porteurs du trait drépanocytaire AS sont indiquées à titre de comparaison avec celles des syndromes drépanocytaires majeurs.

Syndromes drépanocytaires majeurs

TABLEAU II

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• Le diagnostic génotypique comporte les 3 analysessuivantes :– identification de la mutation drépanocytaire : l’identifi-cation de la mutation du 6e codon du gène β-globine estfaite par amplification génique suivie d’une digestionenzymatique (par MstII, par exemple) ; les fragmentsgénérés par l’enzyme sont différents selon que le gène βest normal ou muté. Cette identification est faite chez lesmalades transfusés lorsque le diagnostic phénotypiquen’est pas possible, pour établir le diagnostic de certainesformes génétiques complexes (par exemple, l’associationdu trait drépanocytaire à une persistance héréditaire del’HbF), et dans le cadre du diagnostic prénatal ;– recherche d’une α-thalassémie associée à la drépano-cytose : elle fait partie du diagnostic biologique de ladrépanocytose. En effet, la délétion de 1 ou de 2 gènesα-globine provoque des modifications phénotypiques(augmentation du taux d’hémoglobine circulante, dimi-nution du volume globulaire moyen, réduction de la réti-culocytose). L’association de la drépanocytose à l’α-thalassémie est courante. L’identification d’uneα-thalassémie a également une valeur pronostique rela-tive ; en effet, il a été montré que les patients drépanocy-taires homozygotes porteurs d’une α-thalassémieétaient statistiquement plus exposés que les autres àfaire des crises douloureuses et des nécroses osseuses, etqu’en revanche, ils l’étaient moins au risque de faire desaccidents vasculaires cérébraux ;– détermination de l’haplotype de restriction lié à lamutation drépanocytaire : l’haplotype de restriction lié àla mutation βS correspond à des sites de restrictionenzymatiques positifs ou négatifs, ordonnés de façonidentique dans un contexte génique donné. On définitainsi les haplotypes béninois, sénégalais, bantous etindiens. On a montré une liaison entre l’haplotype et letaux d’expression de l’HbF ; le taux d’HbF est fort chezles Sénégalais et les Indiens, faible chez les Bantous, etintermédiaire chez les Béninois. En 1999, les haplotypes

ne doivent pas être considérés chez un patient donnécomme un marqueur individuel prédictif de la sévéritéclinique, mais comme une donnée biologique importan-te à connaître dans l’analyse des facteurs multigéniquesde la variabilité clinique de la maladie. ■

T H A L A S S É M I E , D R É P A N O C Y T O S E

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POUR EN SAVOIR PLUS

Girot R. Anémies hémolytiques constitutionnelles et autresdésordres hématologiques constitutionnels. In : Godeau P, HersonS, Piette JC (eds). Traité de médecine, 3e édition. Paris : Médecine-Flammarion, 1996 ; 2 : 437-42.

Labie D. Histoire génétique de la drépanocytose. Rev Prat (Paris)1992 ; 42 : 1879-84.

• La thalassémie et la drépanocytose sont 2 maladies génétiques de l’hémoglobine différentes dans leur physiopathologie et leur expression clinique.

• La thalassémie est caractérisée par une anémiechronique sévère.

• La maladie drépanocytaire est caractérisée par une anémie hémolytique chronique modérée et des complications vaso-occlusivesdont l’expression aiguë est la douleur,les infections, les déficiences organiques (accidents vasculaires cérébraux, syndromesthoraciques aigus) et l’expression chronique,les ulcères cutanés, la rétinopathie,les nécroses osseuses.

Points Forts à retenir

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Hématologie

A 70

La limite supérieure du chiffre de plaquettes circulanteshabituellement admise est 450.109/L. On considère que lepool splénique de plaquettes représente un tiers de cettevaleur à l’état normal et peut atteindre des valeurs consi-dérables en cas d’hypertrophie splénique au cours des syn-dromes myéloprolifératifs. On réserve le terme de throm-bocytose ou d’hyperplaquettose aux situations danslesquelles le chiffre de plaquettes circulantes est supérieurà 500.109/L. L’usage est de distinguer au sein de ces throm-bocytoses, les thrombocytémies, terme qui s’applique auxaugmentations du chiffre de plaquettes s’intégrant dans lecadre d’un syndrome myéloprolifératif. On réserve le termede thrombocytémie essentielle ou primitive à une variétéparticulière de syndrome myéloprolifératif qui se présentecomme une prolifération presque exclusive de la lignéemégacaryoto-plaquettaire (voir : pour approfondir / 1).

Hyperplaquettoses secondairesou réactionnellesElles sont reconnues le plus souvent sur le contexte cli-nique, la mise en évidence d’un syndrome inflammatoire

ThrombocytoseOrientation diagnostique

Pr Jean BRIÈREService d’hématologie clinique, hôpital Beaujon, 92118 Clichy cedex

• La généralisation du décompte automatique et systématique des plaquettes circulantes a mis en lumière la fréquente constatation d’unethrombocytose à l’hémogramme.• À la différence des anémies ou des thrombopénies, il est bien rare que la thrombocytose soit soupçonnée sur des arguments cliniques.• L’élaboration d’une stratégie diagnostique est donc de toute première importance pourdistinguer les hyperplaquettoses réactionnelles de celles qui traduisent un désordre primitif de la moelle, c’est-à-dire un syndromemyéloprolifératif ou une myélodysplasie.• Cette étape étiologique est indispensable pour évaluer l’ampleur du risque hémorragiqueou thrombotique que cet excès de plaquettesimplique à courte échéance et les risques vitauxpotentiels que la découverte d’une maladiehématologique fait courir à long terme.

Points Forts à comprendre clinique ou biologique, la recherche d’une carence mar-tiale, la notion de splénectomie ou d’asplénie.

Hyperplaquettoses passagèresCertaines hyperplaquettoses sont passagères et de méca-nisme difficile à classer. Ce sont celles qu’on impute àl’exercice, au stress, à un traumatisme, surtout s’il est com-pliqué de fracture, ou dans les jours suivant une interven-tion chirurgicale ou un accouchement. L’adrénaline a étél’un des premiers médicaments connus pour son rôle dansl’augmentation du chiffre de plaquettes, probablement pardémargination des plaquettes, notamment dans la circula-tion pulmonaire.D’autres hyperplaquettoses apparaissent liées à une sti-mulation médullaire transitoire. Ce sont celles qui succè-dent à un épisode d’hémorragie ou à une phase d’hémo-lyse. On interprète de la même façon les hyperplaquettosesdites « de rebond », succédant à une thrombopénie pardéfaut de production ou excès de destruction. On en observeainsi après intoxication éthylique aiguë, traitement d’uneanémie de Biermer, réparation d’une thrombopénie péri-phérique ou d’une agranulocytose médicamenteuse. En fait,les plus fréquentes succèdent à l’utilisation de chimiothé-rapies entraînant une hypoplasie transitoire. Les traitementspar la vincristine sont susceptibles d’induire une hyper-plaquettose par un mécanisme mal connu.Ces hyperplaquettoses sont habituellement de cause évi-dente en raison du contexte. Elles sont modérées, asymp-tomatiques, de courte durée, et par conséquent ne com-portent en pratique aucun risque hémorragique outhrombotique spécifique et ne nécessitent pas de traitementanticoagulant, sauf si le contexte clinique est de ceux quinécessitent un traitement préventif de thrombose.

Hyperplaquettoses durablesLes hyperplaquettoses réactionnelles ou secondairesdurables répondent en principe au même schéma. Elles sontmodérées, inférieures à 1 000.109/L, mais peuvent notam-ment, lorsque plusieurs facteurs étiologiques sont combi-nés, dépasser ce chiffre. Elles sont en général asympto-matiques et les complications hémorragiques etthrombotiques sont rares chez les patients dépourvus defacteur de risque.

1. SplénectomieL’hyperplaquettose post-splénectomie est prévisible maisnon constante (moins de 1 cas sur 2 ?) et non obliga-toirement observée immédiatement après l’intervention(délai d’apparition de 1 à 10 jours). Le pic est atteint en

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T H R O M B O C Y T O S E

1 à 3 semaines. L’ampleur de l’hyperplaquettose souventsupérieure à 1 000.109/L, indique que la mobilisation dupool splénique n’est pas seule en cause. Le retour à la nor-male peut prendre quelques semaines ou quelques mois.Certaines, passant à la chronicité, font discuter la révéla-tion par la splénectomie d’un syndrome myéloprolifératiflatent. En fait, lorsque la splénectomie est faite pour uneaffection responsable d’une anémie chronique, la throm-bocytose est plus marquée. Elle persisterait plus volontierssi l’anémie est toujours présente après splénectomie,notamment si le mécanisme de l’anémie est l’hémolyse,traduisant une stimulation médullaire permanente. Dans cecas, malgré son caractère réactionnel, certains invoquentla possibilité d’un risque hémorragique ou thrombotiquelié à cette hyperplaquettose au long cours.

2. AsplénieL’asplénie est une explication parfois apportée à l’origined’hyperplaquettoses chroniques modérées. Avant le recoursà l’échographie, la présence sur le frottis de corps de Jollyest susceptible de mettre sur la voie.

3. Carence martialeLes hyperplaquettoses des carences martiales sont main-tenant bien connues. Elles ne sont pas constantes, presquetoujours modérées, inférieures à 1000.109/L ; elles sont sus-ceptibles d’être observées même lorsque la carence mar-tiale n’entraîne pas d’anémie nette. C’est le cas notammentde certaines hyperplaquettoses accompagnant les polyglo-bulies traitées par saignées ou compliquées d’hémorragies.Leur diagnostic repose sur le dosage de la ferritinémie. Leshyperplaquettoses des carences martiales rétrocèdent aprèsrestauration des stocks en fer. Certains cas de thrombose,notamment cérébro-vasculaires, chez des patients dont leseul facteur de risque était l’existence d’une carence mar-tiale, ont été récemment décrits. On manque d’études physiopathologiques approfondies sur le mécanisme del’hyperplaquettose. Elles ne s’accompagnent pas habituel-lement d’une augmentation du taux de la CRP et les raresdosages faits dans ces situations ne montrent pas non plusd’élévation franche de la thrombopoïétine.

4. Syndrome inflammatoire et infectionLes hyperplaquettoses des syndromes inflammatoires chro-niques ou des infections aiguës ou chroniques sont habi-tuellement reconnues sur le contexte infectieux ou inflam-matoire clinique (fièvre, sueurs, amaigrissement), ou surles données biologiques (vitesse de sédimentation, dosagedu fibrinogène). Elles peuvent en outre bénéficier dudosage de la CRP, reflet de la production d’IL6, facteur sti-mulant indirect de la thrombopoïèse.La liste des affections inflammatoires ou des infections cor-respondant à ces hyperplaquettoses ne saurait être exhaus-tive. On a signalé avec une particulière fréquence : polyar-thrite rhumatoïde, entérocolopathies, etc.

5. CancerLes hyperplaquettoses accompagnant diverses formes decancer ne sont probablement qu’un aspect particulier de

ces hyperplaquettoses d’origine inflammatoire. Les can-cers épithéliaux les plus fréquemment cités sont les can-cers des bronches, du rein, du sein. Il est probable que lescancers qui associent saignement chronique et syndromeinflammatoire péri-tumoral sont des sources privilégiéesd’hyperplaquettose.Une hyperplaquettose isolée accompagnée d’un syndromeinflammatoire biologique est un des modes classiques dedécouverte de la maladie de Hodgkin ou de certains lym-phomes non hodgkiniens.L’hyperplaquettose, dans les cas ou elle est secondaire àune maladie maligne, peut avoir un double intérêt : celuid’amener à évoquer le diagnostic de tumeur et, dans unecertaine mesure, d’en suivre l’évolution après le traitement.On connaît mal les conséquences réelles, au plan du risquede thrombose, de ces hyperplaquettoses, indépendammentdu rôle favorisant que joue déjà le développement de latumeur.

Hyperplaquettoses primitives

Syndrome myélodysplasiqueLes hyperplaquettoses primitives observées au cours dessyndromes myélodysplasiques sont peu fréquentes et engénéral très facilement reconnues en raison du contextehématologique.

1. Anémie sidéroblastiqueL’hyperplaquettose qui s’observe au cours de l’anémiesidéroblastique acquise est inconstante, modérée, observéegénéralement chez un adulte, parfois âgé. Elle s’accom-pagne dans un tiers des cas d’une splénomégalie modérée.L’anémie progressive normo- ou macrocytaire qui l’ac-compagne comporte en réalité une double population d’hé-maties, notamment des hématies hypochromes en dépit del’élévation de la ferritine sérique. Le myélogramme montreune hyperplasie érythrocytaire, les sidéroblastes en cou-ronne à tous les stades de maturation érythrocytaire. L’élé-vation des proto-porphyrines érythrocytaires libres peutconstituer un élément d’orientation. L’évolution est mena-cée avant tout par l’hémochromatose favorisée par les trans-fusions qui deviennent rapidement nécessaires.

2. Autres syndromes myélodysplasiquesLes autres syndromes myélodysplasiques comportent plussouvent une thrombopénie qu’une thrombocytose. Le syn-drome 5q-, observé volontiers chez une femme âgée, com-porte également une anémie réfractaire macrocytaire, unesplénomégalie, une élévation inconstante du chiffre de pla-quettes ainsi qu’une dystrophie fréquente de la lignéemégacaryocytaire faite d’éléments de petite taille dont lenoyau montre un défaut de lobulation net.

Syndromes myéloprolifératifsLes hyperplaquettoses des syndromes myéloprolifératifsconstituent en réalité le temps essentiel du diagnostic d’hy-perplaquettose primitive. Ce diagnostic est extrêmementfacile lorsque l’hyperplaquettose s’intègre dans un tableau

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Hématologie

typique de leucémie myéloïde chronique avec une hyper-leucocytose prédominant sur les polynucléaires neutro-philes, plus rarement éosinophiles et basophiles, une myé-lémie et une splénomégalie. L’hyperplaquettose a surtoutune signification pronostique. On rappelle en effet que l’hy-perplaquettose entre dans la détermination du score deSokal et l’apparition secondaire d’une hyperplaquettose aucours de l’évolution des leucémies myéloïdes chroniquesest souvent synonyme de l’imminence de la transforma-tion aiguë. L’association de l’hyperplaquettose et d’unhématocrite élevé constitue un bon élément d’orientationen faveur d’une maladie de Vaquez. On recherchera éga-lement en sa faveur une splénomégalie, une hyperleuco-cytose, on procédera à l’étude de la masse sanguine. L’hy-perplaquettose revêt donc une valeur diagnostiqueindiscutable (critère mineur du PVSG (polycythemia verastudy group), mais n’entre pas dans le cadre des facteursprédictifs du risque de thrombose qui sont au contraire cor-rélés à l’âge et aux antécédents thrombotiques des patients.

Enfin, l’hyperplaquettose est plus rare au cours de la splé-nomégalie myéloïde typique reconnue sur l’érythromyélé-mie, les déformations érythrocytaires, la splénomégalie etla fibrose médullaire.

En fait, toute la difficulté du diagnostic de thrombocyté-mie vient du fait que bien qu’une hyperplaquettose puisseapparaître totalement isolée, les diagnostics précédents doi-vent être soigneusement éliminés :

• la polyglobuline primitive, en réalisant une étude systé-matique du volume globulaire dès que le taux d’Hb estsupérieur à 13 g/dL ; il est essentiel alors, pour pouvoirinterpréter le résultat de cet examen, de s’assurer de l’ab-sence de carence martiale. Le dosage de la ferritinémie estle critère de base sur lequel cette appréciation repose ;

• certaines hyperplaquettoses isolées en tous points sem-blables à celles qu’on observe dans la thrombocytémieessentielle peuvent constituer le premier signe d’une leu-cémie myéloïde chronique. Outre la recherche systéma-tique du chromosome Philadelphie, indispensable comptetenu du risque très élevé de transformation aiguë rapidedans cette variété d’hyperplaquettose primitive, on recom-mande de plus en plus la recherche systématique du trans-crit bcr/abl. Enfin, l’analyse soigneuse de la biopsie médul-laire montre dans cette éventualité une hyperplasiemégacaryocytaire faite de mégacaryocytes de petite taillesans tendance particulière au groupement en amas.

Il est plus difficile d’établir le classement exact des hyper-plaquettoses apparemment isolées mais comportant un cer-tain degré d’érythromyélémie, une splénomégalie de petitetaille et une fibrose médullaire débutante sous forme dedensification réticulinique. Le problème qu’elles posent estde savoir s’il s’agit d’une splénomégalie myéloïde débu-tante ou de l’évolution fibrosante qui s’observe parfois aulong terme lors de l’évolution d’une authentique thrombo-cytémie essentielle. Le degré de la fibrose, l’ampleur desanomalies cliniques et hématologiques, notamment larecherche de déformations érythrocytaires, sont utiliséspour établir cette distinction qui n’est peut-être que d’unintérêt théorique.

Thrombocytémie essentielleLa thrombocytémie essentielle apparaît actuellement commeun des syndromes myéloprolifératifs les plus fréquents. Safréquence est supérieure à celle de la splénomégalie myé-loïde et de la leucémie myéloïde chronique. Elle est proba-blement supérieure à celle de la maladie de Vaquez.La répartition selon l’âge et le sexe est l’une des premièresparticularités de ce syndrome myéloprolifératif. L’âgemoyen est de 60 ans, il existe globablement une prédomi-nance féminine (sex ratio : 1,67). Il existe en réalité danscette maladie un deuxième pic de fréquence aux alentoursde 30 ans, touchant essentiellement une population fémi-nine. Cela explique que des problèmes de grossesse et decontraception se posent souvent de façon aiguë dans cettemaladie.Le mode habituel de découverte de la maladie est unenumération systématique révélant l’hyperplaquettose etcorrespond à la moitié au moins des cas de thrombocyté-mie essentielle. Les autres circonstances de découverte serépartissent sous 3 rubriques.

1. ThrombosesLes thromboses artérielles sont beaucoup plus fréquentesque les thromboses veineuses (environ 6 fois). Elles inté-ressent la circulation coronaire, les territoires cérébrauxresponsables d’accidents vasculaires irréversibles, lesartères périphériques des membres.Les thromboses veineuses peuvent toucher les territoiresveineux profonds, compliquées ou non d’embolie pulmo-naire. Les thromboses veineuses superficielles sont parfoisconfondues avec des manifestations érythromélalgiques.Certaines localisations méritent une mention particulière :thrombose des corps caverneux avec priapisme ou surtoutthrombose des territoires splanchniques.

2. Manifestations vasculairesintéressant la microcirculationLes accidents ischémiques transitoires, liés à une obstruc-tion passagère de la microcirculation, sont retrouvés aumoment du diagnostic dans un tiers environ des formessymptomatiques de thrombocytémie essentielle.Ces manifestations sont attribuées à une activation in vivodes plaquettes à l’intérieur des artérioles, n’aboutissant pasirrévocablement à une thrombose, ce qui explique leurréversibilité spectaculaire grâce à l’utilisation d’aspirine.Parmi ces accidents, ceux qui sont observés aux extrémi-tés des membres, nommés érythromélalgies, sont considé-rés par certains comme pathognomoniques de l’hyperpla-quettose des syndromes myéloprolifératifs. Habituellementobservés au niveau des orteils, les crises d’érythromélal-gie sont caractérisées par une douleur, une sensation debrûlure, une augmentation de la chaleur locale et une modi-fication de la coloration cutanée survenant dans le mêmeterritoire que la douleur et prédominant souvent à la plantedes pieds ou à la pulpe des orteils. Au minimum, il s’agitde sensations de picotements ou de brûlures cutanées desplantes des pieds avec un aspect violacé, marbré de la peau.Parfois, la rougeur pommelée fait place à une érythrocya-nose puis à une zone de nécrose, le plus souvent limitée,

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T H R O M B O C Y T O S E

• La stratégie diagnostique des thrombocytosesconsiste à éliminer successivement :– les hyperplaquettoses réactionnelles ou secondaires ;– au sein des hyperplaquettoses primitives,témoins d’une prolifération autonome des éléments mégacaryocyto-plaquettaires, on devra éliminer ensuite celles qui sont témoinsd’un syndrome myélodysplasique : anémiesidéroblastique, syndrome 5q- ;– pour ne retenir que les syndromesmyéloprolifératifs primitifs en différenciant les hyperplaquettoses révélatrices d’une leucémiemyéloïde chronique ou – et c’est là le point le plus délicat – d’une maladie de Vaquez, ou encore, mais plus rarement, celles qui sont le témoin d’une splénomégalie myéloïde ;– pour ne retenir finalement le diagnostic de thrombocytémie essentielle qu’aprèsélimination des éventualités précédentes.• C’est pour modifier cette stratégie de diagnosticpar élimination qu’on tente de rechercher et d’évaluer des arguments positifs en faveur du diagnostic comme l’analyse de la biopsiemédullaire, des cultures de progéniteursmégacaryocytaires, la détermination de la clonalitéde la prolifération hématopoïétique.

Points Forts à retenir

qui peut encore rétrocéder et guérir spontanément parmomification de la peau au prix d’une petite cicatrice ombi-liquée. Elle peut, à l’inverse, aboutir à la gangrène, plus oumoins limitée, d’un orteil. Le caractère le plus frappant estalors que cette gangrène survient chez un patient dont lespouls périphériques sont retrouvés et dont le système vas-culaire artériel peut être indemne de toute manifestationathéromateuse.Ces manifestations ischémiques transitoires sont suscep-tibles de frapper la vascularisation cérébrale. Il s’agit par-fois de manifestations ne comportant pas de signes éven-tuels de localisation : céphalées, troubles de l’équilibre,dysarthries, obscurcissement bilatéral de la vue. L’exis-tence de crises convulsives a été signalée. Il peut s’agir aucontraire de manifestations localisées (mono- ou hémipa-résies), de troubles oculaires unilatéraux transitoires, sco-tome scintillant, accès de diplopie. D’autres touchent lesterritoires vasculaires mésentériques (angor du grêle).

3. Manifestations hémorragiquesElles ont pendant longtemps servi à nommer la maladie :thrombocytémie hémorragique. En fait elles sont beaucoupmoins fréquentes que les manifestations vasculaires commecirconstance révélatrice et plus encore comme complica-tion évolutive de la maladie traitée. Il s’agit parfois d’hé-morragies spontanées, le plus souvent cutanéo-muqueuseset modérées. Les hémorragies plus abondantes ou diges-tives sont plus volontiers provoquées par une cause localeou par un geste chirurgical.

4. SplénomégalieL’examen clinique ne montre une splénomégalie que dansun faible pourcentage de cas (moins de 50 %). La rate esttoujours de taille modérée.

5. Examens biologiques• L’hémogramme : l’augmentation du chiffre des pla-quettes est en moyenne compris entre 1 000 à 1 500.109/L,ce qui correspond à un petit nombre de patients dont leschiffres de plaquettes sont très élevés, supérieurs à 2 000ou 3 000.109/L et une fréquence élevée de patients dont lechiffre de plaquettes est compris entre 600 et 1 000.109/L.Le taux d’hémoglobuline se situe en moyenne aux alen-tours de 13,8 g/dL. Il est parfois initialement abaissé dufait d’une anémie microcytaire par carence martiale. Il estalors nécessaire d’avoir recours à un traitement martial suivid’une étude du volume globulaire pour éliminer une mala-die de Vaquez.• Le volume globulaire isotopique n’est par définition jamaisaugmenté au-dessus des limites considérées comme cellesde la polyglobulie (plus 130 % du volume globulaire théo-rique). Le volume plasmatique est en revanche très variable,souvent augmenté. La normalité du taux d’Hb et de l’hé-matocrite ne constitue pas un argument suffisant pour éli-miner une polyglobulie et l’étude systématique du volumeglobulaire est préconisée au-dessus de 13 g/dL d’Hb.La leucocytose est modérément élevée, supérieure à12.109/L chez 40 % des patients. Une érythromyélémied’ampleur très limitée peut être observée dans un petitnombre de cas.

• Le myélogramme est indispensable à l’étude cytogéné-tique mais n’apporte que rarement des arguments en faveurdu diagnostic en raison d’une dilution fréquente des pré-lèvements.• La biopsie médullaire confirme l’hyperplasie mégaca-ryocytaire médullaire. Les mégacaryocytes sont de grandetaille, leur ploïdie est élevée, leur groupement en amas estcaractéristique. La densité cellulaire globale de la moellen’est pas toujours franchement augmentée et le diagnosticde thrombocytémie essentielle est compatible avec une den-sité cellulaire proche de la normale. Une hyperplasie réti-culinique est observée dans environ 20 % des cas sur labiopsie médullaire initiale. Il s’agit d’une densification dif-fuse, non mutilante, sans désorganisation de la moelle etsans fibrose collagène (voir : pour approfondir / 2).• L’étude cytogénétique est indispensable au diagnostic dethrombocytémie essentielle pour éliminer la présence d’unchromosome Philadelphie. Aucune anomalie cytogéné-tique ne peut être tenue pour spécifique de la thrombocy-témie essentielle. La fréquence de la constatation de tellesanomalies est faible, de l’ordre de 5 à 6 % des cas.• La recherche systématique de bcr/abl est souhaitablepour éliminer toute arrière-pensée de leucémie myéloïdechronique. ■

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Hématologie

Brière J. Thrombocytémie essentielle. Encycl Med Chir (Paris-France), Hématologie, 13-020-B-05, 1995 : 10 pp.

POUR EN SAVOIR PLUS

POUR APPROFONDIR

1 / Mégacaryocytopoïèse et sa régulation La production plaquettaire fait intervenir la différenciation, à partir descellules souches multipotentes, de cellules uniquement destinées à la pro-duction des plaquettes. Ce premier stade de différenciation est celui desprogéniteurs et correspond, in vitro lors de la culture de mégacaryocytesen milieu semi-solide, aux BFU-MK (burst forming units) et CFU-MK(unité formant des colonies mégacaryocytaires). À partir d’un certainpoint de leur différenciation, les précurseurs mégacaryocytaires cessentde se diviser et suivent un processus d’endo-réplication de l’ADN abou-tissant à des mégacaryocytes polyploïdes. La ploïdie des mégacaryocytesd’individus normaux peut atteindre 64 N mais la majorité des magaca-ryocytes ont une ploïdie de 16 N ou 32 N. En même temps que cette poly-ploïdisation, les mégacaryocytes subissent un processus de maturationavant de produire les plaquettes.La production de plaquettes dépend de 3 paramètres indépendants : lenombre de mégacaryocytes de la moelle, le volume des mégacaryocytesqui est directement lié à leur niveau de ploïdisation, le degré de matura-tion cytoplasmique des mégacaryocytes.Des expériences de déplétion plaquettaire ou de création d’hyperpla-quettose transfusionnelle chez l’animal ont abouti à la conclusion que lamégacaryocytopoïèse était l’objet d’une régulation à différents niveaux.Certains facteurs exerçant leur action proliférative, surtout aux phasesprécoces, mitotiques, auraient une activité nommée MK-CSA (megaka-ryocyte-colony stimulating activity) directement stimulée par la déplétionmégacaryocytaire. D’autres, à l’inverse, à action tardive, agiraient à laphase de maturation ; par analogie avec la régulation érythrocytaire cetteactivité est nommée « thrombopoïétine ».

• Facteurs stimulantsLe régulateur physiologique de la mégacaryocytopoïèse est la thrombo-poïétine (TPO), encore nommée ligand du récepteur Mpl (Mpl-L) ou fac-teur de croissance et de développement des mégacaryocytes (MGDF)(megakaryocyte, growth and development factor).Le récepteur Mpl de ce facteur de croissance a été décrit le premier. Il estexprimé principalement à la surface des cellules de la lignée mégacaryo-cyto-plaquettaire et des progéniteurs hématopoïétiques précoces.La thrombopoïétine joue un rôle direct dans la prolifération, la ploïdisa-tion, et la différenciation terminale des mégacaryocytes à partir des cel-lules souches. Elle a donc une activité à la fois MK-CSA et TPO. En plusde son effet essentiel sur la mégacaryocytopoïèse, la thrombopoïétine aune action modulatrice sur la prolifération des progéniteurs des diverseslignées hématopoïétiques.Le niveau de sécrétion physiologique de thrombopoïétine semble fixe etson taux sanguin circulant paraît déterminé par ce qui persiste après sonabsorption à la surface des plaquettes.L’étude in vitro et in vivo de la régulation humorale de la mégacaryocy-topoïése a en outre mis en évidence le rôle stimulant de facteurs de crois-sance hématopoïétique dont aucun n’est spécifique de la lignée mégaca-ryocytaire. On en distingue 3 catégories :– une cytokine agissant comme un puissant facteur synergique de la for-mation de colonies mégacaryocytaires mais n’ayant pas d’influence iso-lément : le stem cell factor (SCF) qui agit notamment in vitro en syner-gie avec l’IL3 et le GM CSF ;– plusieurs cytokines capables d’induire la prolifération des progéniteursmégacaryocytaires et la formation de colonies mégacaryocytaires : l’IL3,le GM CSF ;– enfin, des cytokines agissant à la phase post-mitotique et jouant un rôledans la maturation mégacaryocytaire. Il s’agit essentiellement de l’IL6 etplus accessoirement de cytokines de la même famille, notamment del’IL11. L’IL6 est le plus puissant facteur stimulant de la synthèse hépa-tique de la CRP (C-reactive protein).D’autres cytokines agissent généralement sur la mégacaryocytopoïèsecomme érythropoïétine ; l’IL1 dont l’action est indirecte induisant la pro-duction d’IL6, de GM CSF et de SCF et le facteur de croissance fibro-blastique (FGFβ) dont le récepteur est présent à la surface des mégaca-ryocytes.

• Facteurs inhibiteursRécemment, on a insisté sur le rôle de facteurs inhibiteurs de la mégaca-ryocytopoïèse contenus dans les plaquettes circulantes et pouvant jouerun rôle dans le rétrocontrôle de la production plaquettaire. Il s’agit parexemple du facteur plaquettaire 4 (PF4) et du TGFβ dont l’effet inhibi-teur s’exerce sur l’ensemble des lignées myéloïdes et non exclusivementsur la lignée mégacaryocyto-plaquettaire.

• Dosage de la thrombopoïétineOn aurait pu croire que le dosage de la thrombopoïétine permettrait d’éta-blir une opposition physiopathologique entre hyperplaquettose primitiveet secondaire. Dans l’état actuel du dosage de la thrombopoïétine, on n’ajamais constaté d’association significative entre les taux de thrombo-poïétine circulante et les chiffres de plaquettes, qu’il s’agisse d’individusnormaux ou d’hyerplaquettose secondaire. Bien plus, peut-être pour lesraisons énoncées plus haut (sécrétion fixe de la thrombopoïétine et absorp-tion sur les plaquettes), il semble que les hyperplaquettoses primitives,tout au moins celles de la thrombocytémie essentielle et de la maladie deVaquez, n’entraînent aucune diminution significative des taux de throm-bopoïétine circulante, témoin d’un rétrocontrôle (feed back) bien aucontraire. Le rôle d’une diminution du récepteur de la thrombopoïétinedans ces pathologies est une hypothèse qui a été avancée à l’origine decette constatation.

2 / Arguments positifs en faveur du diagnostic de thrombocytémie essentielleOutre l’aspect caractéristique de la biopsie médullaire décrite plus haut,deux méthodes diagnostiques sont actuellement en cours d’évaluationpour apporter des arguments positifs en faveur du diagnostic de throm-bocytémie essentielle :– la culture des progéniteurs hématopoïétiques est susceptible d’appor-ter des arguments positifs directs en faveur du diagnostic d’hyperpla-quettose primitive ; à l’image de la pousse spontanée des progéniteursérythrocytaires en l’absence d’érythropoïétine dans la polyglobulie deVaquez, on a mis en évidence dans les thrombocytémies essentielles unepousse spontanée des progéniteurs mégacaryocytaires en l’absence defacteurs stimulants ; cette pousse spontanée manque dans les hyperpla-quettoses secondaires ;– la recherche d’arguments en faveur d’une monoclonalité de l’hémato-poïèse est basée sur l’étude du polymorphisme des différents gènes liésà l’X ; par définition elle n’est applicable que dans la population fémi-nine ; la combinaison des gènes qu’il est possible actuellement d’étudier(HUMARA, G6PD, IDS et P55) a permis d’étendre considérablement lepourcentage de femmes informatives, c’est-à-dire présentant une hétéro-zygotie pour l’un des gènes étudiés. Une difficulté consiste en l’existencedans la population féminine normale d’une apparente monoclonalité liéeau phénomène de lyonisation excessive. Cet écueil peut être évité en étu-diant séparément les éléments granuleux circulants et les lymphocytes Tcomme témoins de la polyclonalité de la population cellulaire hématolo-gique normale résiduelle.Cette étude trouve son application essentielle surtout chez la femme jeuneen raison d’une possible monoclonalité acquise sans preuve de syndromemyéloprolifératif chez certaines femmes âgées.

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HématologieA 69

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pression avec des pétéchies (ponctuations pourpres), desecchymoses (placards bleu violacé), des vibices (striesecchymotiques allongées), des gingivorragies, des épis-taxis, des bulles ecchymotiques buccales. Les ménorra-gies ou les saignements digestifs sont une des caractéris-tiques du syndrome hémorragique. La gravité de cesmanifestations hémorragiques est dominée par l’hémor-ragie cérébro-méningée, urgence médicale avec risquevital. Elle est précédée par des hémorragies au fondd’œil, d’où l’examen du fond d’œil en cas de thrombo-pénie sévère. Il est donc capital d’apprécier la gravité dusyndrome hémorragique. Un purpura extensif, desbulles ecchymotiques buccales et des hémorragies réti-niennes sont des facteurs de gravité précédant l’hémor-ragie intracrânienne.Les manifestations hémorragiques peuvent exister dèsque la numération plaquettaire est inférieure à 100.109/L sielles sont favorisées par une cause sous-jacente, alorsqu’elles sont le seul fait de la thrombopénie pour des pla-quettes inférieures à 50.109/L et surtout 20.109/L. Le ter-rain (âge, facteurs de risque vasculaire, thrombopéniecentrale) peut aggraver le risque hémorragique.L’examen clinique est capital pour l’orientation étiolo-gique d’une thrombopénie. L’interrogatoire fait préciserles antécédents personnels et familiaux de syndromehémorragique, de notion de thrombopénie. Cet interro-gatoire devra être « policier » quant à la recherche deprises médicamenteuses précédant de quelques joursl’apparition de la thrombopénie. La recherche d’unehépatomégalie, de signes d’hypertension portale, d’unesplénomégalie, d’un syndrome tumoral, d’une infectionvirale récente, d’infections à répétition, les circons-tances de survenue (thrombopénie brutale isolée), lanotion d’affection connue, les traitements en cours, et lecontexte (état fébrile, état général) sont des élémentsd’orientation étiologique.

Diagnostic différentiel Une thrombopénie devra toujours être vérifiée par unprélèvement au doigt ou sur citrate de sodium, car ilexiste de fausses thrombopénies par agglutination desplaquettes in vitro en présence de l’anticoagulant EDTA(éthylène-diamine-tétra-acétique) sur lequel le sang estprélevé. L’existence d’agrégats plaquettaires in vitropeut être vérifiée sur les frottis sanguins colorés. Il exis-te quelques cas d’agglutination plaquettaire EDTA indé-pendante, liée à des anticorps dirigés contre des épitopesdu complexe GP IIb-IIIa, qui sont exposés après disso-

Les plaquettes sanguines sont issues des mégacaryocytesmédullaires. Chaque mégacaryocyte mature donne nais-sance de 1 000 à 8 000 plaquettes. Les plaquettes sontdes fragments cytoplasmiques du mégacaryocyte mûr, etsont donc des cellules anucléées, incapables de synthèse.La durée de vie des plaquettes est d’environ 9 jours.La numération plaquettaire normale chez l’homme estde 150 à 400.109/L et une thrombopénie est définie parun chiffre de plaquettes inférieur à 150.109/L.Les plaquettes sanguines jouent un rôle central dans lesmécanismes de l’hémostase primaire. L’hémostase pri-maire représente l’ensemble des interactions complexesentre les plaquettes, la paroi vasculaire, et les protéinesadhésives qui aboutissent à l’obturation de la brèchevasculaire par un thrombus blanc plaquettaire. Les pla-quettes sanguines participent également à la coagula-tion, qui va permettre la formation de fibrine venantconsolider les agrégats plaquettaires.Les plaquettes sanguines participent à l’arrêt du saigne-ment, et des manifestations cliniques hémorragiquespeuvent traduire une thrombopénie sévère. L’utilisationd’automates de numération qui rend systématique lanumération plaquettaire, entraîne la découverte dethrombopénies infracliniques.

Examen cliniqueLe syndrome hémorragique secondaire à une anomaliede l’hémostase primaire [thrombopénie et (ou) thrombo-pathie] est cutanéo-muqueux. Il est caractérisé par lepurpura d’apparition spontanée, ne s’effaçant pas à la

ThrombopénieOrientation diagnostique

DR Evelyne DUPUY

Service d’angio-hématologie, hôpital Lariboisière, Paris Cedex 10.

• Les mécanismes d’une thrombopénie sont de 2 types principaux : thrombopénie centralepar trouble de production, ou thrombopéniepériphérique par hyperdestruction ou anomaliede répartition.

• En cas de thrombopénie centrale,la lignée mégacaryocytaire est faiblement oupas représentée sur les frottis du myélogrammeavec une durée de vie plaquettaire normale.

• En cas de thrombopénie périphérique,la richesse de la lignée mégacaryocytaire est normale, voire augmentée, avec une duréede vie plaquettaire diminuée.

Points Forts à comprendre

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ciation du complexe GP IIb-IIIa par l’effet chélateur ducalcium de l’EDTA. Ces fausses thrombopénies sont desartéfacts in vitro.

Orientation du diagnosticétiologiqueSi l’examen clinique est capital, l’hémogramme apportedes renseignements importants pour ce diagnostic, mon-trant le caractère isolé ou non de la thrombopénie, l’as-pect des plaquettes sur lame (plaquettes de grande ou depetite taille dans certaines thrombopénies constitution-nelles, aspect de plaquettes grises caractéristique de lamaladie des plaquettes grises). La thrombopénie peut êtreassociée à des anomalies des autres lignées (processusleucémiques) ou entrer dans le cadre d’une pancytopénieglobale (aplasie). La thrombopénie peut être associée àune anémie hypochrome microcytaire en cas de syndro-me hémorragique important, ou à une anémie macrocy-taire (carence en folates, vitamine B12, myélodysplasie).Des tests simples d’hémostase rechercheront une insuf-fisance hépatocellulaire ou des signes de consommation[temps de céphaline activée (TCA), temps de Quick(TQ), dosage du fibrinogène]. Un bilan hépatique peutaider au diagnostic d’atteinte hépatique responsable dethrombopénie devant des signes cliniques évocateurs.En fonction de l’anamnèse clinique, des données de lanumération et de l’hémostase, le myélogramme sera ounon réalisé (tableau I). Le myélogramme permet de dis-tinguer les thrombopénies centrales par trouble de laproduction plaquettaire des thrombopénies périphé-riques par hyperdestruction plaquettaire (figure).

Diagnostic étiologique

Thrombopénies périphériques

Elles sont secondaires à une hyperdestruction plaquettaireou à une anomalie de répartition. Le myélogramme estnormal avec une richesse en mégacaryocytes normale,voire augmentée. Il n’est pas systématiquement effectué.La durée de vie des plaquettes est raccourcie, mais n’estétudiée qu’en cas de difficulté diagnostique (tableau I).

1. Hyperdestruction plaquettaire Elle est d’origine immunologique ou par consomma-tion, et dans ce cas la thrombopénie est associée àd’autres anomalies de l’hémostase.• Destruction immunologique des plaquettes – Le purpura thrombopénique auto-immunIl est dû à la production d’auto-anticorps antiplaquet-taires qui se fixent par leurs fragments F(ab) sur les pla-quettes. Les plaquettes sont ensuite détruites par le sys-tème des macrophages qui possèdent un récepteur pourle fragment Fc des immunoglobulines. La rate représen-te le lieu privilégié de la destruction plaquettaire par lesmacrophages, et elle est également le siège essentiel dela production des anticorps antiplaquettaires. Les anti-corps du purpura thrombopénique auto-immun sont spé-cifiques des glycoprotéines de la membrane plaquettaire,GP IIb-IIIa ou GP Ib-IX.Le purpura thrombopénique auto-immun est une affectionfréquente, en règle du sujet jeune mais touchant toutes les tranches d’âge et surtout l’enfant de moins de 10 ans.Il faut différencier le purpura thrombopénique auto-

T H R O M B O P É N I E

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Orientation des tests biologiques.

Diminution des mégacaryocytes

Anomalie de production des plaquettes

Thrombopénies centrales Thrombopénies périphériques

Mégacaryocytesprésents

ou augmentés

Hémostase normale

Myélogramme

Bilan hépatique

Anticoagulantcirculant

Anticardiolipide

Coagulationintravasculaire

disséminée

Facteur von Villebrand

Thrombopénie (vérifiée)

Anomalies de l’hémostase

Page 121: La Revue Du Praticien-Hématologie

Si la cinétique était réalisée, la durée de vie plaquettaireserait inférieure à 12-24 heures. Le traitement de la phase aiguë pour des plaquettes infé-rieures ou égales à 20.109/L repose sur la corticothéra-pie. Une dose de charge sous forme de méthylpredniso-lone en injection intraveineuse (15 mg/kg/j x 3 j) peutêtre réalisée, suivie de prednisone per os 1 mg/kg/j pen-dant 15 jours avec décroissance progressive.Le traitement par immunoglobulines en intraveineux (0,4 g/kg/j x 3 j) est justifié en cas de syndrome hémorra-gique sévère avec relais par prednisone per os.Les transfusions plaquettaires sont contre-indiquées,sauf en cas de risque vital immédiat. La splénectomieest réservée aux formes de purpura thrombopéniqueauto-immun chronique après échec des traitements clas-siques. Elle n’est réalisée qu’après 6 mois d’évolution,après vaccination contre le pneumocoque et l’hæmophi-lus. La splénectomie entraîne une correction du purpurathrombopénique auto-immun dans 80 % des cas. Dansles formes réfractaires de purpura thrombopénique auto-immun après splénectomie, la dapsone (Disulone), ledanazol (Danatrol), les alcaloïdes de la pervenche(Vincristine), le cyclophosphamide (Endoxan) ont étéproposés.Devant une rechute de purpura thrombopénique auto-immun, la recherche de rate accessoire doit être effectuée.– Formes particulières de purpura thrombopéniqueauto-immun :. chez une mère atteinte de purpura thrombopéniqueauto-immun, qu’elle soit thrombopénique ou non, lenouveau-né peut présenter une thrombopénie néonataleliée au passage des auto-anticorps maternels ;. le purpura thrombopénique auto-immun peut s’obser-ver au cours du syndrome des antiphospholipides pri-maires et dans le lupus. La thrombopénie est alors asso-ciée à d’autres manifestations auto-immunes cliniqueset biologiques. Le syndrome des antiphospholipides pri-maires est caractérisé par des thromboses veineuses et(ou) artérielles, des avortements spontanés, la présenced’anticoagulant circulant et (ou) d’anticardiolipides. Lathrombopénie auto-immune, en règle modérée, peutfaire partie de ce tableau. Le syndrome des antiphospho-lipides peut faire partie d’un lupus. L’existence d’anti-corps anti-DNA, la diminution du complément sont enfaveur de ce diagnostic ;. le purpura thrombopénique auto-immun peut êtreassocié à des hémopathies lymphoïdes (lymphomehodgkinien ou non hodgkinien), à des pathologies virales(cytomégalovirus, hépatite B et C, virus d’immuno-déficience humaine). La thrombopénie auto-immunepeut être la première manifestation de la sérologie duvirus d’immunodéficience humaine.– Thrombopénies médicamenteusesLeur mécanisme est complexe. La fixation de com-plexes immuns – médicament et (ou) métabolite-anti-corps anti-médicament – ou la fixation du médicamentsur les plaquettes, pourrait modifier les structures mem-branaires et réaliser des néo-antigènes responsables dela synthèse d’anticorps antiplaquettes.

immun de l’enfant qui survient souvent après une infec-tion virale (dont la thrombopénie, qui peut être profon-de, va se corriger spontanément dans plus de 80 % descas), du purpura thrombopénique auto-immun de l’adul-te qui passe à la chronicité dans 80 % des cas.Le syndrome hémorragique n’est pas toujours corrélé àla sévérité de la thrombopénie, mais des chiffres de pla-quettes inférieurs à 20.109/L impliquent un traitementd’urgence.La gravité du syndrome hémorragique est dominée parl’hémorragie cérébro-méningée pouvant être respon-sable de décès dans 3 % des cas.La thrombopénie est brutale, isolée. Le myélogrammelorsqu’il est effectué montre une moelle normale, richeen mégacaryocytes. L’hémostase est normale (temps decéphaline activée, temps de Quick) sans signe deconsommation.La recherche d’anticorps antiplaquettes de type IgG ouIgM est en règle effectuée par méthode ELISA. Elle estpositive dans 85 % des cas.La spécificité de ces auto-anticorps est effectuée par laméthode MAIPA (Monoclonal antibody specific immo-bilisation of platelet antigens), et ils sont en règle diri-gés contre les glycoprotéines de la membrane plaquet-taire (GP IIb-IIIa, Ib-IX).

Hématologie

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Hyperdestruction plaquettaire

Immunologique

Auto-immunes• purpura thrombopénique auto-immun• syndrome des antiphospholipides• lupus• virales

Allo-immunes• médicamenteuse• post-transfusionnelle

Consommation plaquettaire

Coagulopathie de consommationPurpura thrombopénique thrombotiqueSyndrome de Kasabach-MerrittCircuits extracorporels

Anomalie de répartition

Dilution• transfusion massive• grossesse

Splénomégalie

Cas particulier

Syndrome pseudo-Villebrand plaquettaire

Thrombopénies périphériques

TABLEAU I

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La thrombopénie immuno-allergique secondaire à l’ab-sorption d’un médicament s’observe après plusieurs joursde traitement (6 à 15 j). Elle est isolée, sans anomalie del’hémostase, l’accident est brutal, sans relation avec ladose administrée, et implique l’arrêt du médicament.La thrombopénie est réversible en une dizaine de joursaprès l’arrêt du médicament.De nombreux médicaments peuvent être responsables dethrombopénies médicamenteuses, et ceux qui sont le plussouvent en cause sont : quinine, quinidine, sulfamides,digoxine, anti-inflammatoires non stéroïdiens, hydantoïne,sels d’or ; il en est de même pour l’héroïne et la cocaïne.La recherche d’anticorps antiplaquettes en présence dumédicament incriminé peut être utile au diagnostic.Parmi ces médicaments, il faut noter l’héparine quientraîne une thrombopénie sévère, s’accompagnant decomplications thrombotiques artérielles et (ou) vei-neuses, ce qui est unique pour les thrombopénies immu-no-allergiques médicamenteuses. Le diagnostic biologique, parfois difficile, repose sur lestests d’agrégation plaquettaire en présence du sérum dupatient et de l’héparine administrée. Il existe de nom-breux faux négatifs. Le mécanisme est lié à l’interactiond’un anticorps (IgG) reconnaissant le complexe hépari-ne-facteur plaquettaire IV et entraînant l’activation pla-quettaire par sa liaison au récepteur Fc γ II plaquettaire.Les thrombopénies immuno-allergiques à l’héparineimpliquent la nécessité de surveiller la numération pla-quettaire 2 fois par semaine pendant un traitement hépa-rinique sur 2 mois et impliquent l’arrêt de l’héparine sielles surviennent.La cinétique d’apparition de la thrombopénie par rapportà la prise médicamenteuse est importante pour le dia-gnostic de thrombopénie médicamenteuse entre le 6e etle 15e jour, sauf en cas de prise antérieure. L’interrogatoiredoit être minutieux. Le traitement repose sur l’arrêt dumédicament. Les transfusions de plaquettes sont délé-tères et aggravent la situation. En cas de thrombopénie àl’héparine, avec complications thrombotiques ou néces-sité de poursuivre un traitement antithrombotique, lestraitements par hirudines recombinantes (Refludan) oudanaparoïde sodique (Orgaran) ont été proposés.– Thrombopénies post-transfusionnellesElles sont rares, isolées, sévères et surviennent 7 à 10 japrès transfusion d’érythrocytes chez la femme. Elles sontliées à un allo-anticorps dirigé contre un antigène plaquet-taire avec une sensibilisation pendant des grossesses oudes transfusions antérieures. L’anticorps est dirigé contrel’antigène HPA-Ia (PLA1) ; HPA-Ib(PLA2), HPA-3(Bak), HPA-4 (Pen). Les allo-antigènes sont localisés surGPIIIa ou GPIIb. La rareté des thrombopénies est liée à la faible fréquence de la population HPA-Ia négative (2 %) et à une susceptibilité individuelle (sujet HLA-DR3).• Consommation plaquettaire – Coagulation intravasculaire disséminée (CIVD)Le contexte clinique est évocateur : infections, contextechirurgical, affection maligne, complications obsté-tricales, traumatisme étendu, brûlures, hémolyse intra-vasculaire. Le syndrome hémorragique peut être impor-

tant, et il est particulier avec des hémorragies en nappeet des ecchymoses étendues.La thrombopénie est de sévérité variable, et s’associe àune consommation des autres facteurs de la coagulation :le facteur V, les facteurs VII, X, II et le fibrinogène. Laprésence de complexes solubles (monomères de fibrine)et de D-dimères (produits de dégradation de la fibrine)confirme la coagulation intravasculaire disséminée.Le mécanisme de cette coagulation est lié à une activa-tion de celle-ci générée par une surexpression de facteurtissulaire. La génération de facteur tissulaire en présencede facteur VII entraîne l’activation de la coagulation etla génération de thrombine. La thrombine ainsi forméeen excès, active la coagulation par un phénomène derétrocontrôle positif. La formation de microthrombusdans la circulation entraîne des défaillances viscérales,et au sein de ces microthrombus, il existe une consom-mation des plaquettes et des facteurs de coagulation.Le traitement repose sur le traitement de la cause et unehéparinothérapie (héparine de bas poids moléculaire).En cas de thrombopénie sévère inférieure à 20.109/L, lestransfusions de plaquettes peuvent être nécessaires si lesyndrome hémorragique est menaçant.– Purpura thrombotique thrombopénique (syndrome deMoschcowitz) et syndrome hémolytique et urémique del’enfantCette microangiopathie thrombotique associe sur le planclinique des signes neurologiques (céphalée, parésie,aphasie, dysarthrie), de la fièvre et une atteinte rénale(hypertension, œdème des membres inférieurs).La thrombopénie est secondaire à une consommation.Elle est associée à une anémie hémolytique mécaniqueavec schizocytes par fragmentation des hématies aucontact des microthrombus dans la microcirculation.L’ionogramme sanguin contrôle la fonction rénale.– Syndrome de Kasabach-MerrittCertains angiomes extensifs sont associés à une throm-bopénie par consommation de plaquettes au niveau del’angiome. La thrombopénie est isolée et (ou) associée àla présence de complexes solubles et à l’augmentationde D-dimères.– Circuits extracorporelsTout circuit extracorporel peut être responsable d’unethrombopénie par consommation plaquettaire au niveaudu circuit prothétique étranger. La thrombopénie estassociée à une thrombopathie secondaire à l’activationdes plaquettes sur le matériel étranger.

2. Anomalies de répartitionDes thrombopénies par dilution sont observées en cas detransfusions érythrocytaires massives. Il en est de mêmepour la grossesse où une thrombopénie modérée de dilu-tion est observée lors du dernier trimestre.Toute splénomégalie quelle qu’en soit la cause peut êtreresponsable d’une augmentation de la séquestration deplaquettes. Dans une rate normale, 30 % de la masseplaquettaire est séquestrée, et cette séquestration peutatteindre 50 à 90 % de la masse plaquettaire globale encas de splénomégalie.

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• Amégacaryocytose congénitale avec aplasie radiale :la thrombopénie est sévère associée à de multiples mal-formations du squelette, du cœur, des reins. Le myélo-gramme ne retrouve pas de mégacaryocytes. Les autreslignées sont normales.• Thrombopénies congénitales à transmission autoso-male dominante :la thrombopénie est de sévéritévariable avec plaquettes de grande taille. La durée de viedes plaquettes est normale, le myélogramme montre desmégacaryocytes en nombre normal mais il existe uneanomalie de la libération des plaquettes dans la moelle.• Aplasie médullaire congénitale (maladie de Fanconi) :maladie à transmission autosomale récessive, elle asso-cie un syndrome malformatif, un retard psychomoteur,et une aplasie médullaire d’installation progressive en 4à 10 ans. La thrombopénie est l’élément initial constant,isolée ou associée à une anémie non régénérative et àune neutropénie. L’évolution est caractérisée par l’évo-lution vers l’aplasie médullaire avec ses complicationset une incidence élevée de leucémie. Le caryotyperetrouve des anomalies à type de cassure et de remanie-ments chromosomiques reflétant une fragilité chromo-somique.• Thrombopénies avec thrombopathies – Maladie de Jean-Bernard et Soulier ou dystrophiethrombocytaire hémorragipareCette affection à transmission autosomale récessiveassocie un allongement majeur du temps de saignement(TS), une thrombopénie avec plaquettes de grande taille,une anomalie de l’adhérence des plaquettes au facteurde von Willebrand sous-endothélial par défaut du com-plexe glycoprotéique Ib-IX plaquettaire. L’étude del’agrégation plaquettaire met en évidence une absenced’agglutination en présence de ristocétine alors que lesautres inducteurs (adénosine diphosphate, collagène)induisent une agrégation normale.– Maladie des plaquettes grisesElle associe un allongement du temps de saignement,une thrombopénie modérée avec plaquettes de grandetaille et grises après coloration des plaquettes sur lame.Elle est caractérisée par une absence de granules alphaintraplaquettaires. Elle est à transmission autosomaledominante. La myélofibrose est constante dans cettethrombopathie par sécrétion du PDGF (platelet-derivedgrowth factor), par absence de stockage dans les gra-nules alpha-plaquettaires.– Maladie de May-HegglinTransmise sur le mode autosomal dominant, elle associeune thrombopénie avec plaquettes géantes et la présencede corps de Döhle dans les polynucléaires. Le syndromehémorragique reste modéré. La thrombopénie est isolée.– Syndrome de Wiskott-AldrichÀ transmission liée au sexe, la thrombopénie est sévère avecmicrocytose plaquettaire et des anomalies des lymphocytesT responsables d’eczéma, d’infections récidivantes.Il existe une dysmégacaryocytopoïèse avec des mégaca-ryocytes quantitativement normaux mais qualitative-ment anormaux, responsables de production plaquettaireanormale avec durée de vie plaquettaire raccourcie.

3. Cas particulier

• Syndrome pseudo-Willebrand plaquettaire :très rare,à transmission autosomale dominante, ce syndrome estcaractérisé par un allongement du temps de saignement,une thrombopénie modérée avec de grandes plaquettesassociée à une diminution du facteur de von Willebrand.Il existe une anomalie de la GP Ib, responsable d’unefixation excessive de facteur von Willebrand qui entraî-ne une agglutination anormale des plaquettes et uneconsommation du facteur von Willebrand sur la mem-brane plaquettaire. La thrombopénie est isolée ou asso-ciée à une anémie sidéropénique liée au saignement. Ledosage plasmatique du facteur Willebrand est diminué.

Thrombopénies centrales

Elles sont détaillées dans le tableau II.

1. ConstitutionnellesExceptionnelles, elles ne touchent que la lignée mégaca-ryocytaire ou révèlent une aplasie médullaire globalecomme la maladie de Fanconi.Certaines sont associées à une thrombopathie.

Hématologie

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Constitutionnelles

Amégacaryocytose congénitale• avec aplasie radiale• à transmission autosomale dominante

Aplasie médullaire congénitale (Fanconi)

Thrombopénies avec thrombopathies• maladie de Jean-Bernard et Soulier• maladie des plaquettes grises• maladie de May-Hegglin• syndrome de Wiskott-Aldrich

Acquises

Amégacaryocytose acquise

Aplasie médullaire acquise• immunologique• toxique• carentielle

Dysmyélopoïèse

Infiltration médullaire• processus leucémique, malin• tuberculose• syndrome d’activation macrophagique

Thrombopénies centrales

TABLEAU II

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2. Acquises

Les thrombopénies centrales acquises sont liées à uneaplasie médullaire ou à une infiltration médullaire.Dans ces thrombopénies centrales, la thrombopénien’est pas toujours isolée. Elle peut être associée à unepancytopénie (aplasie) ou à une prolifération cellulaireanormale. Le myélogramme et (ou) la biopsie médullaireretrouvent une absence ou une hypoplasie mégacaryocy-taire isolée ou associée à une aplasie-hypoplasie médul-laire plus globale ou objectivent une infiltration médul-laire par une prolifération tumorale.La mesure de durée de vie des plaquettes n’est pas indi-quée et elle serait normale (8-10 jours).• Amégacaryocytose acquise isolée :elle peut être d’ori-gine immunologique, ne touchant que la lignée méga-caryocytaire, responsable d’une thrombopénie sévèreisolée. Une forme particulière d’amégacaryocytosecyclique chez la femme peut précéder une thrombopéniepersistante.Elle peut être toxique, comme l’intoxication éthyliqueaiguë qui bloque la mégacaryocytopoïèse au stade demégacaryocyte mûr et entraîne une thrombopénie.• Aplasie médullaire acquise :la thrombopénie est undes éléments de la pancytopénie qui associe une anémiearégénérative, une neutropénie. Le diagnostic est confir-mé par le myélogramme et la biopsie médullaire quimontrent l’hypoplasie ou l’aplasie médullaire avecabsence des précurseurs touchant les 3 lignées.Différentes étiologies doivent être recherchées :– les aplasies médullaires idiopathiques sont en règled’origine immunologique. La thrombopénie est associéeà une anémie arégénérative et à une neutropénie. Lemyélogramme et la biopsie médullaire retrouvent unemoelle très pauvre voire désertique ;– l’aplasie médullaire peut être secondaire aux chimio-thérapies, à la radiothérapie. La thrombopénie entredans le cadre de l’aplasie et est transitoire ;– des toxiques médicamenteux (chloramphénicol, selsd’or, sulfamides, anti-inflammatoires non stéroïdiens,neuroleptiques) ou chimiques (benzène) peuvent êtreresponsables d’aplasie médullaire sévère dont la throm-bopénie est un des éléments ;– les profondes carences en vitamine B12 et (ou) folatessont responsables d’une thrombopénie qui est associée àune anémie macrocytaire non régénérative et à une neu-tropénie avec polynucléaires hypersegmentés. Le myé-logramme retrouve des signes de dysmyélopoïèse avecmégaloblastose. Le traitement vitaminique permet unerécupération des anomalies hématologiques avec unecrise réticulocytaire au 8e-10e jour ;– au cours des myélodysplasies, la thrombopénie peutprécéder l’anémie macrocytaire, non régénérative (ané-mie réfractaire) ou être associée à cette anémie. Le myé-logramme montre une moelle riche avec des anomaliesmorphologiques touchant les 3 lignées, témoignant de ladysmyélopoïèse et des troubles de maturation.L’évolution se fait sur le mode pancytopénique ou versune leucémie aiguë.

• Infiltration médullaire– Tout processus malin envahissant la moelle est res-ponsable d’une pancytopénie où la thrombopénie estfréquente. Ce sont les leucémies aiguës, les lymphomesmalins, la maladie de Hodgkin, la leucémie lymphoïdechronique, la maladie de Waldenström, le myélome, lescancers. L’infiltration médullaire traduit un pronosticpéjoratif. L’examen clinique retrouve dans certains cas unsyndrome tumoral. La thrombopénie peut être associée àune prolifération leucémique objectivée dès la numéra-tion, ou faire partie d’une pancytopénie globale reflétantsur la numération l’infiltration médullaire du processusnéoplasique. Le diagnostic est obtenu par le myélogram-me et par la biopsie médullaire.– Certaines formes de tuberculose hématopoïétiquepeuvent se traduire par une pancytopénie. La biopsiemédullaire retrouve des foyers épithélioïdes et la culturede moelle recherche les bacilles de Koch.– Le syndrome d’activation macrophagique associe :altération sévère de l’état général, hépatosplénomégalieet pancytopénie. Le myélogramme retrouve une hyper-plasie histiocytaire avec activation macrophagique pha-gocytant les plaquettes, les leucocytes et les hématies.

ConclusionLe diagnostic étiologique de thrombopénie est orientépar la clinique et des tests simples de dépistage. Uneanalyse plus fine reposant sur le myélogramme et (ou) labiopsie médullaire permet de différencier les thrombo-pénies centrales des thrombopénies périphériques. Lesyndrome hémorragique cutanéo-muqueux n’est pascorrélé au degré de la thrombopénie. Le traitement dusyndrome hémorragique lié à la thrombopénie est adap-té au diagnostic étiologique. Si les transfusions de pla-quettes sont nécessaires dans les thrombopénies cen-trales, elles peuvent être délétères et (ou) inefficacesdans certaines thrombopénies périphériques. Cette indi-cation doit être posée en tenant compte du bénéfice parrapport au risque. Elle est généralement de 1 unité plaquettaire pour 10 kg de poids. ■

T H R O M B O P É N I E

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• Toute thrombopénie doit être vérifiée par une numération plaquettaire sur prélèvementsur citrate ou au doigt, pour éliminer les fausses thrombopénies avant d’envisager les investigations étiologiques.

• Le syndrome hémorragique cutanéo-muqueuxn’est pas toujours corrélé à la numération plaquettaire, mais il est toujours le fait de la thrombopénie si les plaquettes sont inférieures à 50.109/L.

• L’interrogatoire, l’examen clinique,des tests simples de routine sont très importantspour orienter la démarche diagnostique.

Points Forts à retenir

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HématologieB318

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des produits destinés à l’homme. Cette loi transfère unepartie des activités de l’Agence française du sang (AFS)à l’Agence française de sécurité sanitaire des produitsde santé, et prévoit avant le 31 décembre 1999, la créa-tion d’un Établissement français du sang.La situation actuelle est donc en majorité le résultat de laloi du 4 janvier 1993, des différents décrets et arrêtés,ainsi que l’application des « bonnes pratiques ». Lestextes réglementaires encadrant les activités de la trans-fusion sanguine sont très nombreux et ont eu commeobjet essentiel la sécurité transfusionnelle.

1. Produits dérivés du sangLes produits dérivés du sang ont été divisés en 2 classes : les produits sanguins labiles et les produitssanguins stables.La législation qui s’applique aux produits sanguinsstables est la même que celle qui s’applique aux médica-ments, et cela dans l’ensemble de l’Europe. Les produitssanguins labiles ont une définition précisée au Journalofficiel et doivent, avant d’être utilisés en thérapeutique,obtenir l’autorisation d’une commission spécialisée del’Agence française du sang. Les mesures de sécuritésont multiples, certaines s’appliquent à l’ensemble desproduits sanguins comme la sélection du donneur ou lasélection biologique, d’autres sont particulières commel’inactivation virale ou le respect des compatibilitésimmunologiques.Les concentrés de globules rouges, les concentrés deplaquettes et le plasma sont des produits sanguinslabiles. Les concentrés de globules rouges sont aujour-d’hui tous déleucocytés, mais ils peuvent comporter desmentions particulières : phénotypés, irradiés, congelés,lavés.Les concentrés de plaquettes peuvent être obtenus parfractionnement du sang total (concentré de plaquettesstandard) ou par cytaphérèse (concentré de plaquettesd’aphérèse).

Mesures de sécurité :loi du 1er juillet 1998 dite de « sécurité sanitaire »

L’organisation de la transfusion sanguine a été modifiéepar la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement dela veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire

• Les risques liés à la transfusion de produitssanguins ou dérivés du sang ont conduit à développer d’autres solutions thérapeutiques. • C’est ainsi que la transfusion autologue est utilisée chaque fois que cela est possible dansla chirurgie programmée, que l’hémodilution est appliquée plus largement, que les cytokinesstimulant l’érythropoïèse ou la thrombopoïèse ont vu leur champ d’application étendu et ontconnu une accélération dans leur développement.Parallèlement, les produits issus de larecombinaison génétique ont envahi le marché enparticulier pour le traitement de l’hémophilie A.• Les risques sont aujourd’hui mieux évalués et sont beaucoup plus limités grâce à la mise en place de mesures de sécurité législatives,réglementaires, la mise en place de « bonnespratiques », de l’assurance de la qualité,et du principe de précaution.• Nous envisagerons successivement les grandsprincipes concernant les mesures de sécurité,les produits sanguins et les risques et accidentsqui peuvent être associés à leur utilisation,soit du fait du non-respect des procédures,soit des limites techniques.

Points Forts à comprendre

Transfusion de sang et de produits dérivés du sangMesures de sécurité, risques et accidents circulatoires, immunologiques et infectieux

PR Jean-Luc WAUTIER

Institut national de la transfusion sanguine, 6, rue Alexandre-Cabanel, 75739 Paris cedex 15

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Le plasma est congelé frais, il est sécurisé par quarantaineet a des indications aujourd’hui limitées aux désordrescomplexes de l’hémostase.La liste des produits sanguins stables est plus longue,elle inclut l’albumine, le facteur VIII, le facteur IX, lescomplexes II, VII, IX, X, le fibrinogène, l’antithrombineIII, l’ α1-antitrypsine, les immunoglobulines, la collebiologique…

2. Mesures généralesCes mesures s’appliquent pour obtenir le produit san-guin de base comportant le risque minimal de maladietransmissible.• Sélection des donneurs: l’état de santé du donneur estun élément essentiel de la sécurité, et la qualité de l’entre-tien médical est un élément clé de la détection du risque.Les données épidémiologiques ont permis de délimiterdes groupes de population dits «à risques» dans la mesu-re où leurs conditions de vie les exposent à des agentsinfectieux transmissibles par transfusion. C’est le cas desujets vivant dans des zones impaludées ou dans desrégions du monde où certaines infections sont endé-miques. Certains sujets peuvent être exposés à certainsrisques par leur comportement (toxicomanie, vagabon-dage sexuel, tatouage), par des traitements reçus (trans-fusion), par un contage infectieux.• Sélection biologique: elle va permettre d’écarter lesdons dans lesquels on détecte un agent infectieux, ou letémoin sérologique d’une possible infection. Nous ver-rons plus loin que malgré les progrès des tests de labora-toire, l’extension du nombre d’agents infectieux recher-chés, il persiste un risque, soit lié au délai d’apparitiondu marqueur (fenêtre sérologique), soit lié à la fiabilitédu test (< 106).• Déleucocytation: pour limiter le risque de la transmis-sion de virus ou bactérie intraleucocytaire, la déleucocy-tation ou déplétion en leucocytes des produits sanguinsest devenue obligatoire. Cette technique n’élimine pas latotalité des leucocytes, mais en diminue considérable-ment le nombre et, en conséquence, réduit le risque detransmission d’agents infectieux intraleucocytaires.• Le contrôle de qualitédes produits sanguins s’ap-plique à tous les produits, et ceux-ci doivent êtreconformes à la norme définie par les autorités de tutelle.• Distribution des produits sanguins: la prescriptiond’un produit sanguin doit faire l’objet d’une ordonnancenormalisée précisant les données de l’état civil dupatient, la nature et la quantité de produit prescrit, l’indi-cation, le nom et la qualité du prescripteur. La délivran-ce devra tenir compte des données immunologiques dureceveur et du produit prescrit. La distribution du pro-duit sera nominale.• Hémovigilance: tout incident ou accident transfusion-nel doit faire l’objet d’une notification (fiche d’incidenttransfusionnel) qui sera transmise à l’Agence françaisedu sang. Ce système permet, pratiquement en tempsréel, de connaître les défaillances du système et d’appor-ter les mesures correctives.

• Autorisation et inspection: pour exercer son activité,un établissement transfusionnel doit avoir obtenu l’auto-risation de l’Agence française du sang. Celle-ci disposed’un corps d’inspecteurs qui vérifient que le fonctionne-ment des établissements de transfusion sanguine estbien conforme aux différentes mesures législatives ouréglementaires.

3. Mesures particulièresCertains produits sanguins ou dérivés du sang peuventsubir sans dommage des traitements visant à inactiverdes agents infectieux qui, malgré les mesures de sélec-tion, pourraient être contenus dans les produits san-guins.De nombreuses techniques sont actuellement à l’essaipour les produits sanguins labiles, mais d’autres sontappliquées couramment depuis de nombreuses annéesou plus récemment. Le chauffage de type pasteurisationest utilisé depuis des décennies pour l’albumine, et plusrécemment pour l’α1-antitrypsine ou l’antithrombineIII. La précipitation alcoolique, le traitement pH acideet/ou par la pepsine, sont souvent utilisés pour la prépa-ration des immunoglobulines. Le traitement solvantdétergeant et l’immuno-purification sont des techniquesmises en œuvre pour la purification du facteur VIII.L’irradiation ultraviolette avec ou sans ajout de photo-sensibilisateur est au stade expérimental, mais les résul-tats peuvent faire espérer un développement.L’ensemble de ces mesures et les contrôles de qualité del’efficacité doivent réduire encore le risque de transmis-sion d’agents infectieux, mais leurs performancesdépendent beaucoup de la qualité et de la formation despersonnels. Nous verrons que beaucoup d’accidentsassociés aux transfusions sont souvent secondaires à unedéfaillance humaine.

Risques et accidents circulatoiresLes anomalies de la volémie et de l’oxygénation sont àla fois des indications transfusionnelles et des risquesd’accidents.

1. IschémieL’hypovolémie et l’insuffisance de la correction d’uneanémie sont des causes d’ischémie qui peuvent êtrecoronaires ou cérébrales. Le souci de vouloir éviterd’exposer un patient à un risque de maladie transmis-sible, conduit dans certains cas à transfuser insuffisam-ment un patient. L’anémie mal corrigée, surtout lorsquel’hématocrite est inférieure à 28 % chez un sujet de plusde 60 ans, provoque une souffrance coronaire.

2. SurchargeLa transfusion trop rapide de produits sanguins chez despatients ayant une défaillance cardiaque peut être àl’origine d’un œdème aigu du poumon, qui devrait êtreprévenu par un débit adapté de perfusion et lorsque cela

T R A N S F U S I O N D E S A N G E T D E P R O D U I T S D É R I V É S D U S A N G

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de s’immuniser, surtout si leur phénotype érythrocytaireles prédispose à rencontrer un antigène immunogène degrande fréquence (Rh, K...).Comme dans le cas de l’ABO, environ 10 % des incompa-tibilités n’ont pas de traductions cliniques, mais seulementbiologiques. L’association frissons-hyperthermie est fré-quente, mais un tableau clinique grave associant collapsus,anurie et décès, n’est malheureusement pas exceptionnel.Dans la très grande majorité des cas, les accidents d’in-compatibilité ne devraient pas survenir si les procéduresétaient convenablement respectées.La prescription doit être adaptée en tenant compte desantécédents du sujet ; la vérification de son groupe san-guin et la recherche d’agglutinines irrégulières sont sys-tématiques. La distribution doit être personnalisée, lecontrôle ultime systématique et bien réalisé, la sur-veillance de la transfusion attentive et suffisamment pro-longée pour que ce type d’accident disparaisse desrisques liés à la transfusion.

Accidents infectieux

1. Risques virauxSi l’affaire du sang contaminé par le virus de l’immuno-déficience humaine (VIH) est encore l’objet d’actionsjudiciaires, la transmission d’autres virus et en particu-lier du virus de l’hépatite C (VHC) est encore un sujetimportant de préoccupation. Les statistiques nous mon-trent que le risque de transmission des virus connusdiminue régulièrement, mais l’angoisse persiste de l’hy-pothèse de la transmission d’un agent pathogène jus-qu’alors inconnu.HTLV-I et II (human T leukemia virus) sont des virusplus répandus dans la zone des Caraïbes et au Japon quedans nos régions : le risque de transmission est faible (1 pour 8 millions). Le risque théorique et identifié duvirus de l’immunodéficience humaine par la transfusionest aujourd’hui faible, de l’ordre de 1 pour 1,2 million.Le risque de transmission de l’hépatite C ou B est 4 foisplus important (1 pour 280 000, 1 pour 200 000) et l’onperçoit pour l’hépatite B l’intérêt de la vaccination.Le cytomégalovirus est très fréquent dans la population

est indiqué par l’administration de diurétiques. Dans lecas particulier des drépanocytoses, la transfusion néces-site parfois la soustraction de sang pathologique pourpermettre la transfusion. Des programmes d’exsangui-no-transfusion partielle permettent de réduire le risqued’accident vasculaire cérébral chez les drépanocytaires.

3. ThromboembolieCe type d’accident ne devrait plus se voir, car chaquetubulure à transfusion est pourvue d’un filtre qui arrêteles micro-emboles qui auraient pu se former dans lapoche de sang. De plus, la déleucocytation systématiquedevrait faire disparaître le risque de perfuser des micro-caillots à l’origine de thrombophlébite, voire d’emboliepulmonaire en éliminant avant la transfusion les leuco-cytes et les agrégats plaquettaires.

4. Troubles cardiocirculatoiresLes troubles du rythme cardiaque induits par la perfu-sion rapide de citrate sont connus depuis longtemps sansque l’on sache encore aujourd’hui de façon certaine sil’effet est dû à un effet chélateur du citrate, à une toxici-té directe. Ils se corrigent habituellement par la réduc-tion du débit et (ou) l’administration de gluconate decalcium.

Risques immunologiquesLe risque immunologique est compris entre 1/6 000 et1/12 000 transfusions.

1. Incompatibilité ABOLes risques d’incompatibilité ABO sont connus depuisle début du siècle, la façon de les éviter est, elle aussi,bien connue, mais les accidents persistent et peuvententraîner la mort des patients. Ils sont toujours le résultatde défaillances successives, chaque étape de la chaînen’ayant pas été respectée. La vérification ultime aumoment de la transfusion ayant été défaillante dans plusde la moitié des cas, les erreurs de prescription et de des-tination sont les deux autres causes les plus fréquentes.La mise en place de tests fiables lors du contrôle ultimedevrait, au moins en partie, pallier l’insuffisance du res-pect des procédures. La transfusion en situation d’in-compatibilité ABO peut être asymptomatique sur le planclinique et n’être détectée que par l’absence d’augmen-tation de l’hémoglobine chez le receveur après transfu-sion. Dans plus de 25 % des cas, le patient frissonne et ade la fièvre. L’incompatibilité ABO peut être très graveet provoquer un collapsus, une coagulation intravascu-laire, une anurie, la mort.

2. Accident dû à des allo-anticorpsAu contraire de l’accident ABO qui peut survenir chez unsujet vierge d’antécédents transfusionnels ou de grossesse,les accidents dus à la présence d’allo-anticorps survien-nent le plus souvent chez des sujets ayant eu des occasions

Hématologie

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HTLV 1+2 1/8 000 000

VHC 1/280 000

HIV 1/1 200 000

VHB 1/200 000

Risque viral résiduel

TABLEAU

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française (60 %), mais se traduit par une affectionbénigne sauf chez les immunodéprimés. La déleucocy-tation diminue considérablement le risque de transmis-sion du cytomégalovirus car il est essentiellement intra-leucocytaire. Le parvovirus B19 provoque une maladiebénigne (syndrome mononucléosique) dans la majoritédes cas, il peut induire des maladies plus sévères chez lafemme enceinte et surtout chez les immunodéprimés(érythroblastopénie). Le virus dit de l’hépatite G nesemble pas lié à une pathologie hépatique bien identi-fiée, mais pourrait être un virus de co-infestation.Les virus du type herpès (HHV6, HHV7, HHV8) sonttransmissibles par la transfusion et pourraient être res-ponsables de différentes pathologies, mais aujourd’hui iln’est pas possible d’établir un lien clair entre une trans-mission par la transfusion et une maladie secondaire à latransfusion.Le TTV ou transfusion transmitted virusest un des der-niers candidats, mais le risque exact de ce virus et de satransmission devra encore être évalué.

2. Agents transmissibles non conventionnelsLa maladie de Creutzfeldt-Jakob est une affection rare etsa transmission par la transfusion n’est qu’hypothétique.La variante dont on a observé plusieurs cas en Angleterreet qui est liée à la présence de prions pourrait représenter unrisque de transmission dans la mesure où les prions peuventêtre présents dans les lymphocytes.

3. PaludismeLe paludisme est une maladie extrêmement répandue dansle monde. Son incidence est de 300 à 500 millions d’accèspar an. Le paludisme d’importation a plus que doublé dansles 12 dernières années pour atteindre plus de 5 000 cas. Lespaludismes autochtones représentent moins de 7 cas par an.La mesure prise pour l’exclusion temporaire de sujets ayantséjourné en zone d’endémie est sûrement une mesure effica-ce lorsqu’elle est associée à une recherche systématique deparasites chez les donneurs ayant été exposés au risque. Leréseau de vigilance n’a pas fait état de transmission par latransfusion, ce qui n’exclut pas totalement le risque, maisfait penser que, s’il existe, il doit être faible.

4. BactériesLa contamination par les bactéries du produit sanguin labilepeut avoir 3 origines : le prélèvement, le sang du donneur, lapoche.La contamination de la poche peut entraîner des accidentsgraves en série dus à un défaut de stérilisation ou à la pré-sence d’endotoxine bactérienne résistante aux procédés destérilisation. Les contrôles systématiques des procédés defabrication expliquent la rareté de ces accidents, et l’hémo-vigilance limite la possibilité d’accidents en série.Les sources de contamination sont donc le plus souventdues à une désinfection insuffisante de la peau, ou à la présence de bactéries dans le sang du donneur. Le dévelop-pement bactérien est lent à 4˚C, c’est dire que le produit le plus souvent en cause est le concentré de plaquettesconservé lui à 20˚C.

Deux types de germes sont le plus souvent en cause : les sta-phylocoques et les bacilles gram-négatifs en particulier lesYersinia enterocolitica ouEscherichia coli.À titre expérimental, des techniques simples ont été testéespour détecter les possibles contaminations bactériennesmais ne sont pas généralisées. Une bonne asepsie, l’exclu-sion du donneur fébrile, de «bonnes pratiques» de prépara-tion, une conservation et un transport conformes auxnormes, la filtration, sont des éléments permettant de rédui-re le risque.La surveillance des 10 premières minutes de la transfusionpermet de dépister les symptômes (fièvres, céphalées,troubles digestifs), d’arrêter la transfusion et de faire lesrecherches bactériologiques chez le receveur et dans les pro-duits sanguins labiles.

Produits sanguins stables ou médicaments dérivés du sang et leurs risques spécifiques

1. Produits sanguins stablesLes produits dérivés du sang ayant le statut de médica-ments, ils sont soumis aux mêmes règles que cellesappliquées à l’industrie pharmaceutique, et sont distri-bués par les pharmacies.Les produits stables sont dérivés du plasma obtenu dusang total par centrifugation ou prélevé par plasmaphé-rèse. Les dérivés du plasma les plus utilisés sont l’albu-mine et le facteur VIII. Leurs indications sont plus res-treintes car ils sont en compétition avec les cristalloïdeset les produits de recombinaison génétique.Le facteur IX, les immunoglobulines gardent leurs indi-cations à côté de nouveaux produits tels que l’α1-anti-trypsine, l’antithrombine III, l’inhibiteur de la C1 esté-rase, la colle biologique.Les produits stables dérivés du plasma étaient fraction-nés par précipitation, on a aujourd’hui recours à la chro-matographie, la chromatographie d’affinité, la filtrationet l’ultrafiltration.Comme pour les produits labiles, la sélection du don-neur et la sélection biologique sont des étapes impor-tantes de la sécurité, mais aujourd’hui beaucoup de pro-ducteurs utilisent en plus des techniques de recherchevirale directe par amplification génique (PCR) et il estvraisemblable que ces techniques auront un développe-ment à la fois dans la sélection et dans le contrôle de laqualité.Des traitements spécifiques sont appliqués dans le butd’inactiver certains virus comme le traitement solvantdétergeant, la pasteurisation, l’immunopurification.

2. Risques des produits stablesL’inactivation par solvant détergeant élimine les virusenveloppés, mais n’a pas d’action sur le virus de l’hépa-tite A ou le parvovirus B19. La pasteurisation est effec-tuée à une température trop basse pour se débarrasser del’infectiosité de tous les agents transmissibles. Il existe

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donc une possibilité théorique de transmission par l’al-bumine sans que les données épidémiologiques ou devigilance n’aient pu encore clairement cerner les risquesliés à l’albumine.Le facteur VIII antihémophilique peut induire l’appari-tion d’anticorps anti-facteur VIII inhibiteurs de l’activitécoagulante. Le facteur VIII recombinant semble dansune étude récente très immunogène sans qu’une compa-raison d’immunogénicité du facteur VIII immunopurifiéet du facteur VIII recombinant ne puisse être faite.L’apparition d’anti-facteur IX chez les hémophiles B estplus rare ; par contre, il semble exister un risque throm-bogène plus important surtout lors de posologie forte.Les immunoglobulines polyvalentes ou spécifiques sontlargement prescrites et peu d’effets secondaires immé-diats ont été décrits. Les immunoglobulines intravei-neuses utilisées dans le traitement du purpura thrombo-pénique immunologique entraînent une hémolysemodérée mais qui abaisse significativement le tauxd’hémoglobine.La transmission de maladie par les immunoglobulinesest un sujet controversé et les cas rapportés pourraientêtre dus à une défaillance dans la procédure de fabrica-tion. Enfin, il est classique mais probablement excep-tionnel d’observer que les sujets ayant un déficit en IgAprésentent un choc anaphylactique lors de l’administra-tion d’immunoglobuline.Les mesures de sécurité sont nombreuses, évolutives,les procédures plus précises et plus rigoureuses, maisle risque zéro n’existe pas. Cependant, l’étude desaccidents montre que beaucoup de défaillances sontliées à l’erreur humaine à l’une ou souvent à plusieursétapes de la chaîne transfusionnelle. L’adaptation dusystème, l’application de mesures correctives rapideset efficaces ne peuvent se concevoir sans une continui-té du donneur au receveur, toute anomalie constatéechez le receveur devant faire analyser toutes les étapesjusqu’au donneur. Ce va-et-vient d’information est undes éléments essentiels du système ainsi que la qualitéde la formation des personnels et leur motivation dansun ensemble allant de la générosité du donneur aubien-être du malade. n

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• Les mesures de sécurité sanitaire visent à :prévenir le risque, limiter le risque, corriger les défaillances, améliorer les produits et la pratique humaine.• Les mesures pour réduire le risque lié à la transfusion sanguine sont :– une sélection rigoureuse des donneurs par des médecins qualifiés ;– une qualification biologique plus performante ;– une préparation de produits sanguins normalisée ;– un transport , une conservation,une distribution des produits sanguins conformesaux bonnes pratiques ;– une prescription médicale, une distribution personnalisée ;– un contrôle ultime systématique et attentif,une surveillance de la transfusion ;– une hémovigilance, un recueil et une analyse des incidents.– une qualification initiale et une formation continue du personnel.

Points Forts à retenir

Indications et contre-indications des transfusions des produits sanguins labiles. Recommandations pour la partie clinique. AFS,ANAES novembre 1997. Paris : EDK.Rapport sur l’activité de transfusion sanguine. Août 1996-décembre1997. Agence française du sang. Paris : La documentation française.Laperche S. Les retombées pratiques des 3 ans d’expérience de l’hémovigilance nationale en matière de complications virales.Transfus Clin Biol 1998 ; 5 : 211-8.Rouger P, Hergon E. Apport de l’hémovigilance à la sécurité immu-nologique des transfusions sanguines : bilan 3 ans après. Transfus Clin Biol 1998 ; 5 : 219-24.La transfusion sanguine : bases scientifiques médicales et réglemen-taires. Tome I et tome II. Paris : INTS, 1997. Popovsky MA. Transfusion reactions. Bethesda, USA : AABB Press,1996.

POUR EN SAVOIR PLUS

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B 316

La transfusion sanguine est une thérapeutique que l’on doitadapter à la situation clinique et biologique de chaquepatient. L’indication du sang total est exceptionnelle (exan-guino-transfusion). Le sang total est fractionné en dérivéssanguins au sein desquels on distingue :– les dérivés sanguins labiles avec les concentrés de glo-bules rouges, les concentrés de plaquettes, les concentrésde leucocytes et le plasma. Ces dérivés issus du fraction-nement du sang total peuvent aussi être obtenus à partir deprélèvements par plasmaphérèse ou par cytaphérèse utili-sant des séparateurs de cellules à flux discontinu oucontinu.– les médicaments dérivés du sang, issus du fractionnementindustriel du plasma. Ils sont considérés comme des médi-caments et leur mise à disposition est assurée par les phar-

Transfusion de sang et de produits dérivés du sangBases immunologiques et indications

Dr Bernard LAMY, Dr Pascal MOREL, Pr Patrick HERVÉÉtablissement de transfusion sanguine de Franche-Comté, 1, boulevard A.-Fleming, BP 1937, 25020 Besançon cedex

• La transfusion sanguine est une thérapeutiquesélective que l’on doit adapter à la pathologie du patient. Les dérivés cellulaires (globules rouges,leucocytes, plaquettes) portent des antigènesresponsables d’immunisation. • Les anticorps observés peuvent être à l’origine de réactions transfusionnelles imposant unesélection immunologique des produits sanguins.Les concentrés globulaires issus du fractionnementdu sang total sont utilisés dans le traitement des anémies constitutionnelles ou acquises. Les plaquettes sanguines, préparées à partir du sang total ou par cytaphérèse, sont utiliséesdans le traitement des syndromes hémorragiquesdes thrombopénies. Les leucocytes obtenus parcytaphérèse ont des indications précises et très limitées dans les neutropénies graves avec syndrome infectieux. Le plasmathérapeutique n’est utilisé que dans le traitementdes déficits en facteurs de coagulation.• Les difficultés transfusionnelles liées à l’allo-immunisation sont gérées soit par un traitement préalable des produits (ex. : élimination des leucocytes par filtration) soit par leur sélection immunologique.

Points Forts à comprendre macies. Le traitement subi par ces produits au cours de leurpréparation en fait des produits sécurisés vis-à-vis des risquesde transmission des maladies virales. Ils sont utilisés en par-ticulier pour la correction des troubles de la coagulation liésà des déficits de certains facteurs de la coagulation (hémo-philie…) ou pour le traitement préventif ou curatif de cer-tains états infectieux (déficit en immunoglobulines).

Bases immunologiquesGlobules rouges

Ils présentent à leur surface des structures antigéniques àl’origine des groupes sanguins. Plus de 650 antigènes dif-férents ont été décrits. Ils sont responsables du polymor-phisme humain. L’introduction de globules rouges, chezun receveur, représente un risque d’allo-immunisation dontil faudra tenir compte lors de la sélection ultérieure desdérivés sanguins.

1. Système de groupe sanguin ABOCe système est caractérisé par la présence de deux anti-gènes, les antigènes A et B. Leur présence ou leur absencesur le globule rouge est à l’origine des 4 groupes sanguins

A

O AB

BRègle de compatibilité pour la transfusion de globules rouges

A

O AB

BRègle de compatibilité pour la transfusion du plasma

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A, B, AB et O. L'absence d’antigène A et (ou) B sur le glo-bule rouge entraîne la production d’anticorps spécifiquesdans le sérum. Ces anticorps sont dits « naturels » car ilsapparaissent en dehors de toute transfusion ou de gesta-tion. Ils sont développés au plus tard à l’âge de 1 an et leurprésence systématique est à l’origine des règles de com-patibilité obligatoires dans le système ABO. Il existe unerègle de compatibilité transfusionnelle qui s’impose lorsde la transfusion de concentrés globulaires ou de tout pro-duit sanguin contenant des globules rouges (encadré).Lorsque l’on transfuse du plasma la règle de compatibilitéest inverse de la précédente (encadré).

2. Les autres systèmes de groupe sanguin

Rhésus, Kell, Duffy, Kidd… Ils n’ont pas tous la mêmeimportance et ils se distinguent par leur antigénicité. Ils’agit de leur capacité à induire la formation d’un allo-anti-corps lorsqu’ils sont transfusés. Le système Rhésus est unsystème de groupe sanguin complexe (plusieurs dizainesd’antigènes) dans lequel l’un des antigènes est recherchésystématiquement lors de la détermination du groupagesanguin. Il s’agit de l’antigène D. Lorsqu’il est présent, lesang testé est dit Rhésus positif. Lorsque cet antigène estabsent, le sang est dit Rhésus négatif. La compatibilité Rhé-sus est respectée (sauf circonstances exceptionnelles) aumême titre que la compatibilité ABO car le risque d’im-munisation varie de 50 à 75 % si du sang Rhésus positifest transfusé à un receveur Rhésus négatif. À côté de cetantigène D, il faut souligner l’importance (en transfusionet en obstétrique) des antigènes C, c, E, e qui figurent parmiles antigènes les plus immunisants. Il peut s’avérer indis-pensable de prévenir une immunisation vis-à-vis de cesantigènes dans certaines circonstances cliniques. Le sys-tème Kell est lui aussi un système de groupe sanguin impor-tant car l’antigène Kell (K) est l’antigène le plus immuni-sant après l’antigène D (risque d’immunisation = 35 %).L’immunisation vis-à-vis de cet antigène sera prévenuecomme pour les antigènes D, C, c, E et e par l’utilisationde sang phénotypé. Malgré l’extrême diversité des anti-gènes présents sur un globule rouge, le respect des seulsphénotypes Rhésus et Kell prévient 95 % des allo-immu-nisations érythrocytaires. Les autres antigènes (Duffy,Kidd, MNSs) sont moins fréquemment impliqués dans desallo-immunisations. La compatibilité vis-à-vis de ces anti-gènes sera respectée dans des circonstances cliniques plusrestreintes ou lorsque les anticorps correspondants serontprésents chez le receveur. Certains de ces antigènes sontappelés publics. Ils sont observés chez tous les individussauf quelques rares personnes qui en sont dépourvues (phé-notype « public négatif »). Le risque d’immunisation estalors permanent. Le risque de réaction transfusionnelle estprévenu par la transfusion autologue (prélèvement etconservation à long terme par congélation des globulesrouges de la personne concernée) ou par l’intermédiaired’une banque de sang rare (banque centralisant les prélè-vements des personnes présentant un phénotype dépourvud’un antigène public).La recherche d’agglutinines irrégulières (RAI), obligatoireavant toute transfusion (elle doit dater de moins de 72 h)

permet d’éviter les réactions transfusionnelles dues à unanticorps d’allo-immunisation ou d’origine naturelle. Lors-qu’il existe des antécédents de transfusion ou de gestation,l’utilisation de sang comptabilisé (cross match) permetd’accroître la sécurité transfusionnelle des patients concer-nés.

LeucocytesIls portent des antigènes sur leur membrane. Il existe desantigènes communs aux différents types cellulaires. Il s’agitdes antigènes du système d’histocompatibilité, le systèmeHLA. Le polymorphisme antigénique dans ce système esttrès important et l’antigénicité des systèmes HLA A et HLAB est élevée. Les immunisations anti-HLA sont fréquentes.Les grossesses répétées sont à l’origine d’immunisationsanti-HLA. Les leucocytes présents dans les dérivés san-guins cellulaires jouent le même rôle. Les polynucléairespossèdent aussi des antigènes membranaires qui leur sontpropres (systèmes NA, NB…). ces antigènes sont suscep-tibles d’induire des allo-immunisations responsables d’in-cidents ou d’accidents transfusionnels dont l’intensité cli-nique varie de la simple inefficacité transfusionnellejusqu’à l’œdème pulmonaire lésionnel. Chez un patientimmunodéficient (origine acquise ou constitutionnelle), leslymphocytes du donneur peuvent induire une réaction diri-gée contre les antigènes du receveur. C’est le phénomènede la réaction du greffon contre l’hôte (graft-versus-hostdisease). Les leucocytes seraient aussi à l’origine d’uneimmunomodulation qui, dans un contexte pathologiquetumoral ou chirurgical (chirurgie intestinale par exemple)est susceptible de majorer les infections postopératoires oules récidives tumorales. Les données cliniques demeurentcontradictoires.

PlaquettesCes cellules portent les antigènes du système HLA. La pré-sence d’anticorps anti-HLA est responsable d’incidents cli-niques (frissons, hyperthermie…) lors de la transfusion deconcentrés de plaquettes non HLA compatibles. Ces anti-corps sont aussi responsables d’états réfractaires se tra-duisant par une inefficacité transfusionnelle. Les étatsréfractaires représentent une difficulté majeure en transfu-sion. Les plaquettes portent aussi des antigènes spécifiquesregroupés dans le système HPA (human platelet antigen)au sein duquel on observe aussi un polymorphisme. Lesimmunisations anti-plaquettes spécifiques sont respon-sables d'incidents transfusionnels comparables à ceuxobservés avec les anticorps anti-HLA. Ils sont aussi res-ponsables d’incompatibilités fœto-maternelles avec throm-bopénie néonatale.

PlasmaCertaines protéines plasmatiques sont susceptibles d’in-duire la formation d’anticorps chez les patients présentantun déficit sélectif d’une protéine. Il faut retenir la possibi-lité d’une immunisation vis-à-vis du facteur VIII chez leshémophiles. Il existe aussi des immunisations vis-à-vis decertaines classes d’immunoglobulines (IgA) chez lespatients déficitaires en IgA. Elles sont à l’origine de réac-tions transfusionnelles graves.

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Hématologie

Indications des dérivés sanguins

Dérivés sanguins érythrocytaires :les concentrés globulairesCes produits sanguins sont indiqués dans la correction desétats anémiques.

1. Concentré globulaire standardLa durée de conservation de ce produit sanguin est de42 jours. Les recherches en cours laissent espérer une pro-longation de ce délai à 49 jours. Ce concentré de globulesrouges est obtenu par transfert vers une seconde poche duplasma surnageant après centrifugation du sang total. Leproduit standard doit contenir au minimum 45 g d’hémo-globine par unité. La posologie, en mL, est donnée par laformule suivante :Volume à transfuser = [(Hb souhaitée - Hb du patient) Tpoids en kg] T 2Ce dérivé sanguin contient une grande quantité des leuco-cytes et des plaquettes du donneur.

2. Concentré globulaire déleucocytéDans ce concentré globulaire, les leucocytes sont éliminésen grande partie par la filtration. Seuls les concentrés glo-bulaires dont le nombre de leucocytes résiduels est infé-rieur à 1 x 106 peuvent être qualifiés de concentrés globu-laires déleucocytés. Lorsque la quantité de leucocytesrésiduels est supérieure à cette valeur le produit sanguinest dit appauvri en leucocytes. Les indications de ces deuxproduits sont distinctes.

vis de certaines protéines plasmatiques est responsabled’accidents transfusionnels. Il s’agit en général de chocsanaphylactiques induits par des immunisations spécifiquesanti-IgA.

4. Concentré globulaire phénotypéIl ne s’agit pas d’un conditionnement spécifique des héma-ties prélevées mais d’une sélection immunologique. Laqualification immunohématologique de ces produits san-guins ne se limite plus à la simple détermination du groupesanguin ABO et Rhésus. Tous ces produits sont phénoty-pés au minimum dans le système Rhésus (antigènes C, c,D, E, e) et dans le système Kell (antigènes K et k). La sélec-tion des concentrés globulaires est faite de façon à éviterl’introduction de l’un ou des antigènes Rhésus et (ou) Kellabsents du phénotype érythrocytaire du patient. Le sangphénotypé est utilisé dans deux situations :

La qualification déleucocytéeLeucocytes résiduels : < 1.106

Concerne :– les concentrés globulaires ;– les concentrés de plaquettes (standard et d’aphérèse).Permet :– d’éviter les réactions transfusionnelles (frisson-hyperthermie) chezles patients immunisés (anticorps anti-HLA) ;– de limiter les risques d’immunisation HLA chez les patients poly-transfusés ou en attente de transplantation.

Le concentré globulaire appauvri en leucocytes permetd’éviter les réactions transfusionnelles chez les patientsprésentant une immunisation anti-leucocytes modérée.Lorsque l’immunisation anti-leucocytes est intense oupolyspécifique, l’utilisation de sang déleucocyté est ren-due obligatoire. La quantité de leucocytes résiduels pré-sents dans un concentré de globules rouges déleucocytéréduit de façon significative le risque d’immunisation pri-maire anti-HLA.

3. Concentré globulaire déplasmatisé

Les globules rouges sont déplasmatisés par lavage. Le tauxde protéines extracellulaires doit être inférieur ou égal à0,5 g. Ce produit est indiqué lorsque l'immunisation vis-à-

La qualification phénotypéeConcerne : les globules rouges, les leucocytes et les plaquettes :– pour les concentrés de globules rouges le phénotype standardconcerne le système Rhésus (Ag C, c, D, E) et le système Kell (Ag Ket k) ;– pour les concentrés de plaquettes le phénotype concerne les anti-gènes HLA A et B ou les antigènes plaquettaires spécifiques (HPA)selon l’origine des immunisations ;– pour les concentrés de leucocytes le phénotype concerne les anti-gènes HLA A et B.Permet :– d’éviter les immunisations chez les patients à risque ;– d’éviter les réactions transfusionnelles chez les patients immuni-sés.

– prévention de l’immunisation ; il s’agit en priorité desreceveurs de sexe féminin encore en âge de procréer. Cetteprévention concerne un éventuel risque transfusionnel ulté-rieur. Elle concerne aussi le risque fœto-maternelle. Uneimmunisation d’origine transfusionnelle peut être à l’ori-gine d’une incompatibilité fœto-maternelle. Les concen-trés globulaires phénotypés sont aussi indiqués chez lespolytransfusés. La répétition des actes transfusionnelsaccroît la fréquence des immunisations. Dans certainespathologies (hémoglobinopathies par exemple) la compa-tibilité des phénotypes pourra concerner d’autres antigènescomme les antigènes Duffy, Kidd et Ss ;– chez les patients déjà immunisés, l’introduction d’un anti-gène vis-à-vis duquel le patient est immunisé entraîne uneréaction transfusionnelle hémolytique. Le sang phénotypérespectera la compatibilité Rhésus et Kell ainsi que les anti-gènes concernés par le ou les autres anticorps du patient(mis en évidence par une recherche d’agglutinines irrégu-lières).

5. Concentré globulaire compatibiliséCette qualification peut s’appliquer aux différentes catégo-ries de concentrés globulaires déjà cités. Il s’agit d’une sélec-tion immunologique des produits sanguins mais elle est per-sonnalisée. Les concentrés globulaires sont testés vis-à-vis

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du sérum du patient. Lorsque le test est négatif, les concen-trés globulaires sont présumés compatibles. La validité dece test est limitée à 72 h. Au-delà de ce délai des anticorpsont pu réapparaître dans le sérum du receveur.

6. Concentré globulaire conservépar congélationLes indications de ce dérivé sanguin sont très limitées. Ils’agit le plus souvent de globules rouges autologues corres-pondant à des phénotypes rares (phénotypes «public néga-tif» habituellement stockés dans la banque nationale de sangrare du Centre national de référence sur les groupes sanguins– CNRGS) ou prélevés chez des patients présentant une poly-immunisation complexe. Ce produit sanguin est toujoursphénotypé. La décongélation entraîne une déleucocytationcorrespondant aux critères du sang déleucocyté.

7. Concentré globulaire irradiéIl s’agit d’un traitement physique du dérivé sanguin. L’ir-radiation (comprise entre 25 et 45 G) rend les lymphocytesdu donneur incapables de développer une réaction du gref-fon contre l’hôte. Cette qualification s’impose chez lespatients immunodéprimés (ex.: après greffe de cellulessouches hématopoïétiques ou en période néonatale).

Dérivés plaquettaires :les concentrés de plaquettesCe produit sanguin est indiqué dans le traitement des throm-bopénies. Les indications concernent les troubles hémor-ragiques associés à une thrombopénie (80 % des indica-tions sont en hématologie). L’indication peut aussi êtrepréventive dans un contexte aggravant (thrombopéniemajeure accompagnée d’une fièvre, d’une splénomégalieou dans un contexte chirurgical). Le délai de conservationde ce produit sanguin est actuellement de 5 jours.

1. Concentré standard de plaquettesCe produit est obtenu par fractionnement du sang total. Letraitement d’une thrombopénie nécessite l’utilisation deplusieurs concentrés standard. Ils sont obtenus par lemélange de 6 à 8 unités. La posologie est déterminée enfonction de la thrombopénie et du contexte clinique dupatient. Ce concentré standard de plaquettes est « conta-miné » par un nombre élevé de leucocytes qui peuvent êtreresponsables de réactions transfusionnelles chez lespatients immunisés. La présence d’antigènes HLA declasse I sur les plaquettes peut être aussi responsable d’uneinefficacité transfusionnelle chez un patient immunisé.

2. Concentré de plaquettes d’aphérèseIl est obtenu à partir du prélèvement d’un seul donneur, àl’aide d’un séparateur de cellules. Le risque d’allo-immu-nisation HLA et le risque viral sont réduits. Ce produit san-guin est indiqué chaque fois que l’on veut limiter chez unpatient ce risque d’allo-immunisation. Il est indiqué aussichez les patients présentant une réaction clinique lors de latransfusion de concentrés standard de plaquettes ou en pré-sence d’une inefficacité transfusionnelle avec des concen-trés standard.

3. Concentré de plaquettes déleucocytéLa déleucocytation peut être réalisée aussi bien sur lesconcentrés de plaquettes standard que sur les concentrés deplaquettes d’aphérèse. Le nombre absolu de leucocytes rési-duels doit être inférieur à 1 x 106. Ce produit permet d’évi-ter les réactions transfusionnelles d’origine immunologique(immunisation HLA). Il permet aussi d’éviter l’allo-immu-nisation vis-à-vis de ces antigènes. Cependant, dans 25 %des cas, on observe encore des réactions transfusionnellesliées vraisemblablement à la libération de médiateurs parcertaines cellules leucocytaires (rôle de la filtration?).

4. Concentré de plaquettes phénotypéCette qualification concerne les concentrés d’aphérèse. Lesantigènes concernés sont habituellement les antigènes HLAA et HLA B. Ils sont alors identiques à ceux du receveurou présentent des réactions dites croisées avec ces anti-gènes. La sélection immunologique peut aussi se faire surles antigènes spécifiques plaquettaires (HPA). Il s’agit d'in-dication dans le cadre d’une incompatibilité fœto-mater-nelle avec thrombopénie néonatale due à une immunisa-tion anti-HPA 1. La transfusion doit apporter des plaquettesdépourvues de l’antigène-HLA 1. Une compatibilité (crossmatch) peut être réalisée comme dans les concentrés glo-bulaires. Le test est alors réalisé entre le sérum du receveuret les leucocytes ou les plaquettes du donneur selon l’ori-gine des immunisations.

5. Concentré de plaquette déplasmatiséC’est un produit qui doit contenir moins de 0,5 g de pro-téines. Les indications sont identiques à celles des concen-trés globulaires déplasmatisés telles les réactions transfu-sionnelles graves dues à des immunisations sélectivesvis-à-vis de protéines plasmatiques (anti-IgA).Les concentrés de plaquettes (standard ou d’aphérèse) peu-vent être irradiés pour des indications identiques à cellesde l’irradiation des concentrés globulaires.

Dérivés leucocytaires :les concentrés de granulocytesCes dérivés sanguins ont des indications très limitées. Ellessont précises : syndrome infectieux avec hyperthermie > à38 °C depuis 48 h, neutropénie grave (< 100 PN par mm3)et inefficacité des traitements antibiotiques à large spectredepuis 48 h. Ce sont, dans la majorité des cas, des maladesen aplasie sévère.

1. Concentré de granulocytesIl est toujours obtenu par aphérèse. L’administration conco-mitante de fungizone et (ou) de plasma provenant de don-neurs de sexe féminin est formellement interdite.

2. Concentré de granulocytes phénotypé HLALe donneur peut être sélectionné en fonction des antigènesHLA et (ou) des anticorps anti-HLA présents chez le rece-veur.Les concentrés de granulocytes sont systématiquement irra-diés compte tenu du contexte clinique dans lequel ils sontprescrits. ■

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Hématologie

• Le souci d’économie des produits sanguins (dontla disponibilité est parfois difficile) et la nécessitéd’une efficacité thérapeutique imposentl’utilisation des dérivés sanguins adaptés au contexte clinique et biologique des patients. En particulier, l’anémie est corrigée par la transfusion de culots globulaires. Il n’existepas d’indication chez l’adulte justifiantl’utilisation d’un seul culot globulaire (c’est danstous les cas, une transfusion inutile).• Les incidents transfusionnels d’origineimmunologique doivent être prévenus par une sélection immunologique des dérivéssanguins :– soit par élimination des cellules incriminées :méthode de déleucocytation ;– soit par sélection de cellules dépourvues des antigènes impliqués dans la réactionimmunologique.

Points Forts à retenirCoffe C, Couteret Y, Hervé P et al. Pratique transfusionnelle.Besançon : ETS FC, 1995.

Genetet B, Fauchet R. La transfusion sanguine. Paris : Flamma-rion, 1989 : 200 pp.

Habibi B. Transfusion clinique. Règles, surveillance, procédures.Paris : Frison Roche, 1990 : 191 pp.

Muller JY, Avenard G, Martini E. Les dérivés sanguins. Paris : Frison Roche, 1992 : 130 pp.

Petz LD, Swisher SN, Kleinman S, Saence RK, Strauss RG. Clini-cal practice of transfusion medicine. New York : Churchill Living-ston, 1996.

Salmon Ch, Cartron JP, Rouger Ph. Transfusion. Les groupes san-guins chez l’homme. Paris : Masson, 1991.

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