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Anti-inflammatoiresnon stéroïdiensPrincipes et règles d’utilisationPr Bernard BANNWARTHService de rhumatologie, groupe hospitalier Pellegrin, 33076 Bordeaux cedex.Laboratoire de thérapeutique, université Victor-Segalen, 33076 Bordeaux cedex.

Principes d’utilisation

Présentation

1. Classification chimique

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont desacides faibles qui se scindent en 8 groupes selon leur noyauchimique de base (tableau). Cette classification a pour avan-tages :– d’individualiser la phénylbultazone, qui a ses propresrègles d’emploi ;– d’éviter la prescription d’une molécule de la même famil-le en cas d’allergie vraie à l’une d’entre elles.La structure d’un AINS ne préjuge en revanche ni de sonefficacité, ni de sa toxicité.

2. Formulations galéniques

• Voies générales

- Voie orale : elle assure une absorption rapide et prati-quement complète du principe actif chez le malade àjeun. À côté des présentations classiques (comprimés,gélules, sachets…), il existe des formes à libération pro-longée (LP) qui étalent l’absorption du produit dans letemps en le libérant progressivement dans la lumièreintestinale. Enfin, certaines spécialités (Bi-Profénid,Chrono-Indocid) combinent libération immédiate et dif-férée. Aucun de ces artifices galéniques n’a prouvé qu’ilpermettait de réduire les risques digestifs des AINS.- Voie rectale : les suppositoires sont résorbés plus irré-gulièrement que les formulations orales convention-nelles.– Voie parentérale : les préparations intramusculairesdes diverses spécialités (Aspégic, Feldène, Profénid,Tilcotil, Voldal ou Voltarène) sont vite résorbées, dumoins chez l’adulte jeune (bonnes trophicité et vascula-risation musculaires). L’Aspégic peut également s’ad-ministrer par voie intraveineuse. Les perfusions deProfénid sont réservées au traitement de douleurs post-opératoires en milieu hospitalier.– Vois locales : les collyres, les gels à usage externe,voire les pommades n’empêchent pas un certain passa-ge systémique de l’AINS, potentiellement responsablede réactions générales d’hypersensibilité.

Caractéristiques pharmacocinétiques

1. Distribution

Plus de 95 % de la forme circulante des AINS sont liésde manière réversible à l’albumine d’où la possibilitéd’interactions avec d’autres médicaments acides fixéssur les mêmes sites (antivitamines K, sulfamides hypo-glycémiants, phénytoïne…).La distribution des AINS tend à privilégier leurs tissus-cibles articulaires. Les AINS traversent les barrièreshémato-encéphalique et placentaire, et ils passent dansle lait maternel.

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• Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)sont une famille de médicamentssymptomatiques, structurellement et pharmacologiquement distincts desglucocorticoïdes (ou anti-inflammatoiresstéroïdiens).

• Par delà leur hétérogénéité chimique, les AINSpartagent 3propriétés fondamentales:antipyrétique,antalgique et anti-inflammatoire, et leurs principaux effets indésirables, notammentdigestifs, conséquence de leur mécanismed’action commun, l’inhibition de la cyclo-oxygénase.

• Cette enzyme catalyse la transformation del’acide arachidonique en prostaglandines qui,bien qu’exerçant une action purement locale,interviennent dans de nombreux processusphysiopathologiques grâce à leur largedistribution dans l’organisme (voir :pourapprofondir /1)

Points Forts à comprendre

2. Métabolisme et éliminationUne biotransformation dans le foie est indispensable à l’ac-tivité de promédicaments tels que le fenbufène et le sulin-dac. De plus un catabolisme hépatique plus ou moinsimportant précède et facilite l’excrétion des AINS – qui estprincipalement urinaire. Dans les reins, les AINS peuvententrer en compétition avec des substances endogènes(acide urique) ou d’autres médicaments (lithium, métho-trexate…) au niveau des processus de sécrétion et de réab-sorption tubulaires.

3. Demi-vie d’élimination plasmatiqueLa demi-vie d’élimination plasmatique d’un AINS condi-tionne en partie son rythme d’administration. À cet égard, on

sépare les AINS en 3 catégories selon que leur demi-viemoyenne est :– longue, de l’ordre de 1 à 4 jours (oxicams, phénylbuta-zone) qui ne nécessitent en principe qu’une seule prisequotidienne ;– moyenne, entre 10 et 18 heures (diflunisal, sulindac,fenbufène et naproxène) ;– courte, inférieure à 8 heures (autres AINS), imposanta priori 2-3 administrations journalières.En réalité, le fractionnement des doses est parfois sou-haitable pour améliorer la tolérance digestive des AINSà demi-vie longue. Inversement, les formes à libérationprolongée des AINS à demi-vie courte autorisent uneprise quotidienne unique.

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A N T I - I N F L A M M A T O I R E S N O N - S T É R O Ï D I E N S

AINS : principales formes orales destinées à l’adulte

TABLEAU

Dénomination Dénomination Rythme Posologie quotidienneFamille chimique commune commerciale Liste Présentation d’administration moyenne maximale

internationale (exemples) (par jour) (entretien) (attaque)

Ac. acétylsalicylique Aspirine Bayer Néant Cp 500 mg ≤ 6 3 g(2g*)Aspirine Upsa Néant Cp eff 1 g 2-3 g 6 g

Acétylsalicylate Aspégic Néant Sach 0,5-1 g 3-4 2-3 g 6 gSALICYLÉS de lysine

Carbasalate calcique Solupsan Néant Cp eff 0,5-1 g 3-4 2-3 g 6 gDiflunisal Dolobis II Cp 250 mg 2 0,5-1 g 1,5 g

Ibuprofène Brufen II Cp 400 mg 3 1 200-1 600 mg 2 400 mgAdvil ou Nureflex Néant Cp 200 mg ≤ 6 1 200 mg

Kétoprofène Profénid ou Kétum II Cp 100 mg-Gél 50 mg 2-3 150 mg 300 mgBi-Profénid II Cp 150 mg 2 150 mg 300 mg

Profénid LP ou Kétum LP II Cp 200 mg 1 200 mgToprec II Cp 25 mg 2-3 150 mg

Fénoprofène Nalgésic II Cp 300 mg 3-4 900 mg 1 500 mgPROPIONIQUES Flurbiprofène Cébutid ou Antadys II Cp 100 mg 2-3 200 mg 300 mg

Cébutif LP II Gél 200 mg 1 200 mgNaproxène Naprosyne II Cp 250-500 mg 1-2 500 mg 1 000 mg

Apranax II Sach 250-500 mg 1-2 500 mg 1 000 mgNaproxène sodique Apranax II Cp 275-550 mg 1-2 550 mg 1 100 mgAcide tiaprofénique Surgam II Cp 100 mg 3 300-400 mg 600 mg

Fenbufène Cinopal I Gél 300 mg 1-3 600-900 mg 900 mgAlminoprofène Minalfène II Cp 300 mg 3 300-600 mg 900 mg

FÉNAMATES Acide niflumique Nifluril II Gél 250 mg 2-3 750-1 000 mg 1 500 mgAcide méfénamique Ponstyl II Gél 250 mg 3 1 000 mg 1 500 mg

Diclofénac Voldal ou Voltarène II Cp 25-50 mg 2-3 75-100 mg 150 mgARYLACÉTATES Voltarène LP II Cp 75-100 mg 1 (-2) 75-100 mg 150 mg

Voldal LP II Cp 100 mg 100 mg

Indométacine Indocid I Gél 25 mg 3 50-150 mg 150-200 mgChrono-Indocid I Gél 75 mg 1-2 75 mg 150 mg

Arthrocine I Cp 100-200 mg 1-2 200 mg 400 mgINDOLES Sulindac Lodine I Cp 100-200-300 mg 2-3 400 mg 600 mg

Étodolac Lodine LP I Cp 400 mg 1 400 mg

Méloxicam Mobic I Cp 7,5-15 mg 1 7,5 mg 15 mgPiroxicam Feldène** I Gél 10-20 mg 1-2 10-20 mg 30-40 mg

OXICAMS Piroxicam-bêta Brexin ou Cycladol I Cp 20 mg 1-2 10-20 mg 30-40 mgCyclodextrine

Ténoxicam Tilcotil I Cp 20 mg 1 10 mg 20 mg

PIRAZOLES Phénylbutazone Butazolidine I Cp 100 mg 2-3 100-300 mg 600 mg

SULFONANILIDE Nimésulide Nexen I Cp- 100 mg 2 200 mg 200 mg

Cp = comprimés ; Gél : gélules ; Sach : sachet poudre ; Cp eff : comprimés effervescents. * posologie maximale chez le sujet âgé** existe aussi sous forme dispersible

Propriétés pharmacodynamiques

1. Action antipyrétique

Les AINS diminuent la fièvre d’origine infectieuse,inflammatoire ou néoplasique en entravant la synthèsede prostaglandines pyrogènes (PGE2), induite par descytokines (interleukine-1) dans l’aire préoptique de l’hy-pothalamus, centre de la thermorégulation.

2. Action antalgique

Les AINS sont des antalgiques dont le site d’action prin-cipal est périphérique, au sein du foyer algogène. Cettepropriété, qui s’exprime même aux faibles doses, semanifeste avec prédilection dans les affections de l’appa-reil locomoteur (ostéo-articulaires, tendino-ligamentaires,musculaires), les céphalées, les dysménorrhées, les dou-leurs dentaires et postopératoires, voire la colique hépa-tique ou néphrétique. En définitive, les AINS sont surtoutefficaces dans les « douleurs par excès de nociception »quand les prostaglandines interviennent en sensibilisantles terminaisons nerveuses à leurs stimulus (bradykinine,sérotonine, ions H+, adénosine…). Pour mémoire, lesAINS forment, avec le paracétamol, le premier niveau dela stratégie en 3 paliers préconisée par l’OMS pour le trai-tement des douleurs chroniques cancéreuses.

3. Action anti-inflammatoireSouvent intriquée avec la précédente, l’action anti-inflammatoire requiert volontiers des posologies plus éle-vées. Cette caractéristique est à l’origine de la commer-cialisation d’AINS faiblement dosés comme antalgiques(ou antalgiques-antipyrétiques)[voir: pour approfondir / 2].En contrariant la formation des prostaglandines, les AINSinhibent surtout la composante vasculaire de la réactioninflammatoire, responsable de la classique tétrade« œdème, douleur, rougeur, chaleur ». Mais ils ne modi-fient pas le cours évolutif des rhumatismes inflamma-toires chroniques.

4. Action antiagrégeante

Tous les AINS interfèrent avec l’agrégation plaquettaire,mais seule l’aspirine allonge nettement le temps de sai-gnement (50-100 % en moyenne). Cela tient à sa capaci-té d’inactiver définitivement la cyclo-oxygénase plaquet-taire, qui catalyse la formation de thromboxane A2 (TXA2), puissant agent agrégeant et vasoconstricteur.Cet effet qui est optimal dès les faibles doses d’aspirine (o 325 mg/j), se corrige en 1 semaine environ aprèsl’arrêt du médicament, délai nécessaire au renouvelle-ment des plaquettes. Cette action a pour corollaire l’indi-cation de l’aspirine comme agent antithrombotique.

Effets indésirables

Des effets indésirables surviennent chez le quart ou mêmele tiers des patients, consistant pour moitié en des troubles

digestifs banals. Les complications graves sont relative-ment rares et volontiers favorisées par un terrain prédis-posant ou certaines associations médicamenteuses quiconstituent dès lors l’essentiel des contre-indications etprécautions d’emploi des AINS.

1. Manifestations digestives

• GastroduodénalesLes plaintes fonctionnelles (dyspepsie, gastralgies, ano-rexie, nausées, voire vomissements) sont fréquentes,témoignant très inconstamment d’une gastrite ou d’unulcère gastroduodénal. Inversement, ces derniers peu-vent rester asymptomatiques jusqu’à être parfois révéléspar une anémie de déperdition, une hémorragie ou uneperforation digestives. L’incidence annuelle des compli-cations digestives graves sous AINS est globalement de1 pour 1 000 ; de fait, elle varie de 0,4 pour 1 000 chezl’adulte jeune à 4 pour 1000 chez le sujet de plus de 65ans. Parmi les facteurs favorisant ces accidents, on trou-ve, outre l’âge du patient, des antécédents ulcéreux, desposologies élevées d’AINS, l’association à un corticoï-de ou à un autre AINS (voir:pour approfondir / 3). Ladurée du traitement joue un rôle, le risque relatif étantplus élevé au cours des 3 premiers mois. L’influence dutype d’AINS et de la présence d’Helicobacter pylorireste à préciser. Enfin, aucune forme, ni voie d’adminis-tration systémiques ne mettent à l’abri de telles compli-cations.• Autres manifestations digestives, plus rares :– troubles du transit (diarrhées surtout) ;– œsophagite, ulcérations du grêle, sigmoïdite ;– hépatite, purement biologique en général ;– anorectite (suppositoires).

2. Manifestations cutanées muqueuses, « intolé-rance » aux AINS

Les manifestations d’ « intolérance » n’épargnent aucunAINS. Elles consistent en prurit, éruptions diverses, urti-cariennes ou non, stomatite, bronchospasme, rhinite ou,dans une bien moindre mesure, œdème de Quincke etréactions anaphylactiques. Elles traduisent une hyper-sensibilité soit authentiquement immuno-allergique, soitliée à un terrain particulier, caractérisé par une perturba-tion du métabolisme de l’acide arachidonique, d’oùl’existence d’intolérances croisées entre AINS sansparenté chimique. Le syndrome de Widal (asthme, poly-pose naso-sinusienne, hypersensibilité à l’aspirine etautres AINS) entre dans ce cadre.Mentionnons les exceptionnels érythèmes polymorphespouvant aller jusqu’aux toxidermies bulleuses telles quesyndromes de Stevens-Johnson et de Lyell.

3. Complications rénales

• L’insuffisance rénale aiguë d’origine hémodyna-mique est la plus commune. Elle s’exprime par une oli-gurie avec éventuellement une prise de poids et des

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œdèmes, d’installation rapide, en quelques jours. Elle secorrige en règle dès l’arrêt de l’AINS. Cette complica-tion dose-dépendante a pour circonstance favorisanteune hypoperfusion rénale préalable (insuffisance car-diaque, hypovolémie efficace par déshydratation, prisede diurétiques, syndrome néphrotique, cirrhose décom-pensée…), les prostaglandines locales intervenant alorsdans le maintien du débit de filtration glomérulaire.• Les néphrites interstitielles aiguës, exceptionnelles, sedéveloppent après quelques semaines ou mois de traite-ment et laissent volontiers des séquelles.• Les néphropathies interstitielles chroniques,clas-siques « néphropathies aux analgésiques » se rencon-trent avec une fréquence accrue après une utilisationprolongée d’AINS.• Des troubles hydroélectrolytiques peuvent résulter del’inhibition de la synthèse des prostaglandines rénales :– rétention hydrosodée, avec potentielle augmentationde la pression artérielle ;– hyperkaliémie par hypoaldostéronisme hyporéni-nique.

4. Manifestations hématologiques

Le plus souvent à point de départ médullaire, les com-plications hématologiques comprennent de rares neutro-pénies et thrombopénies, et d’exceptionnelles agranulo-cytoses, anémies érythroblastopéniques et pancytopé-nies. Elles sont surtout le fait de la phénylbutazone – quin’en a toutefois par l’apanage.Les anémies consécutives à un saignement digestifocculte sont moins inhabituelles.

5. Manifestations neurosensorielles

Aux posologies usuelles, les AINS — en particulierl’indométacine — peuvent provoquer des céphalées, desvertiges, des acouphènes, qui sont aussi la marque d’unsurdosage d’aspirine (« salicylisme »). On observe par-fois des perturbations du sommeil ou du comportement.

6. Complications gynéco-obstétricales

En inhibant la cyclo-oxygénase, les AINS exercent uneactivité tocolytique d’où une possible augmentation dela durée de gestation et un ralentissement du travail. Parce même mécanisme, ils exposent le fœtus à une ferme-ture prématurée du canal artériel et une insuffisancerénale au cours du troisième trimestre de la grossesse.Ils sont donc formellement contre-indiqués à ce staded’autant qu’ils favoriseraient en outre les hémorragiespuerpérales ou néonatales.En revanche, la moindre efficacité des dispositifs intra-utérins sous AINS est discutée.

7. Risque infectieux

Les monographies de certains AINS signalent qu’ilspourraient faciliter l’extension d’un processus septique,

notamment ORL ou stomatologique. Cela tiendraitdavantage aux propriétés des AINS, susceptibles demasquer les symptômes d’une infection et de retarder lediagnostic qu’à une improbable diminution des défensesimmunitaires sous AINS.Il reste que les injections intramusculaires d’AINS com-portent un réel risque de nécrose tissulaire, voire de fas-ciite nécrosante et d’abcès.

Règles d’utilisation

Indications

Bien qu’ils aient le même profil pharmacologique, lesAINS ne partagent pas les mêmes indications thérapeu-tiques en raison de différences :– de rapport bénéfice/risque, avérées (médicamentsanciens) ou présumées (médicaments récents), diffé-rences que reflètent leur inscription sur la liste I ou laliste II ou leur exonération (« hors liste ») des substancesvénéneuses ;– d’essais cliniques menés en vue de l’obtention de l’au-torisation de mise sur le marché (AMM) ;– de stratégies marketing entre laboratoires pharmaceu-tiques.En pratique, il est nécessaire de consulter le dictionnai-re Vidal pour connaître le libellé exact des indicationsreconnues à chaque spécialité. Toutefois, le champ desindications tend à s’élargir progressivement de la phé-nylbutazone à l’aspirine, amenant schématiquement à considérer 4 catégories d’AINS.

1. Phénylbutazone (liste I).Elle est réservée auxarthrites aiguës microcristallines (en cures brèves, infé-rieures à 7 jours) et aux rhumatismes inflammatoireschroniques, après échec d’autres AINS réputés moinsnocifs.

2. Autres AINS de la liste I. Ils sont susceptiblesd’étendre leur domaine à la quasi-totalité des affectionsrhumatologiques douloureuses, soit au long cours (rhu-matismes inflammatoires chroniques, arthroses invali-dantes), soit pour de courtes durées (arthroses, radicu-lalgies aiguës, pathologie abarticulaire dont tendinites etbursites…).

3. AINS de la liste II. Ils peuvent revendiquer, enplus des précédentes, des indications dans diversesaffections douloureuses ou inflammatoires d’ordre trau-matologique (entorse…), gynécologique (dysménor-rhées primitives, ménorragies fonctionnelles…), ORL etstomatologiques (pathologies inflammatoires, douleursdentaires…) et dans les états fébriles.

4. Aspirine et Ibuprofène 200 mg. Ils méritent uneplace particulière parce qu’ils sont délivrés sans ordon-nance, destinés surtout au « traitement symptomatiquedes affections douloureuses ou fébriles ». Dans cette

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indication, la posologie quotidienne d’aspirine ne doitpas dépasser 3g chez l’adulte et 2g chez le sujet âgé(voir : pour approfondir /2). De plus, l’aspirine est unantiagrégeant dévolu à la phase aiguë de l’infarctus dumyocarde (Kardégic 160 mg, Solupsan 160 mg) ou à laprévention secondaire des accidents ischémiques céré-braux ou myocardiques liés à l’athérosclérose (Kardégic300 mg, Aspirine Upsa 325 mg).

Contre-indications

Les AINS sont contre-indiqués dans l’ulcère gastroduo-dénal en évolution, l’insuffisance hépatique ou rénalesévère, et pendant la grossesse (dernier trimestre sur-tout) ou l’allaitement. Des antécédents d’hypersensibili-té à un AINS interdisent son emploi ultérieur et, par pru-dence, celui d’une molécule de la même famille chi-mique, voire de l’ensemble des AINS si cette réactionentre dans le cadre d’un syndrome de Widal. Destroubles de la coagulation proscrivent les injectionsintramusculaires, et un passé de rectorragies ou de recti-te, l’utilisation des suppositoires. Enfin, il est descontre-indications liées à des interactions médicamen-teuses (voir :pour approfondir /3).

Interactions médicamenteuses

1. Interactions majeures

• Communes aux AINS,elles contre-indiquent de façonabsolue ou relative l’association d’un AINS aux produitssuivants :– anticoagulants oraux, héparines et ticlopidine(Ticlid) : susceptibles d’aggraver le saignement d’éven-tuelles lésions digestives induites par les AINS d’autantque ceux-ci pourraient majorer leur action sur l’hémo-stase (en inhibant les fonctions plaquettaires, voire, dansle cas des antivitamines K, en les déplaçant de leur sitede fixation protéique);– méthotrexate : dont les AINS (aspirine, kétoprofène etphénylbutazone, surtout) diminuent la clairance rénale.L’interaction avec les AINS – phénylbutazone et salicy-lés exceptés – est toutefois considérée comme « mineu-re » aux doses de méthotrexate préconisées dans la poly-arthrite rhumatoïde (o15 mg/semaine);– lithium : dont les AINS ( mis à part l’aspirine) quiréduisent l’élimination urinaire justifiant un contrôle dela lithiémie pour adapter la posologie au besoin.– autres AINS, y compris les AINS proposés commeantalgiques, vu l’augmentation du risque ulcérogène ethémorragique gastroduodénal. Il en va de même de l’as-sociation AINS-corticoïde.

• Particulières– la phénylbultazone est fortement déconseillée chez lesmalades traités par un médicament réputé myélotoxiquetel que les sels d’or (Allochrysine), mais aussi par la phé-

nytoïne (Di-Hydan) ou un sulfamide hypoglycémiant(risque de surdosage par augmentation de leur concen-tration plasmatique libre, pharmacologiquement active);- l’aspirine à faible dose (o 2 g/j) entre en compétitionavec la sécrétion tubulaire d’acide urique et antagonisel’activité de la benzbromarone (Désuric). Aux dosessupérieures à 4 g/j, cet AINS a des propriétés uricosu-riques, son effet inhibiteur de la réabsorption tubulaired’acide urique étant alors prédominant. L’aspirine, auxposologies O 3 g/j essentiellement, est susceptible demajorer l’action des antidiabétiques (sulfamides, voireinsuline).

3. Interactions mineures

Elles impliquent un renforcement de la surveillance et lecas échéant, des dispositions particulières.• Antihypertenseurs (β−bloquants, inhibiteurs de l’en-zyme de conversion, diurétiques) : les AINS diminuentparfois leur effet, obligeant à un réajustement thérapeu-tique.• Diurétiques: ils potentialisent en outre la néphrotoxi-cité des AINS. Cette association se conçoit seulementchez un malade correctement hydraté, averti de devoirsurveiller son volume de diurèse.

Règles de prescription

1. Place des AINS

Si les AINS occupent une place de choix dans les rhu-matismes inflammatoires, les spondylarthropathies sur-tout, leur prescription à visée analgésique ne doit s’envi-sager qu’après l’échec de médicaments mieux tolérés. Laparacétamol reste à cet égard l’antalgique de premièreintention dans l’arthrose des membres ou la pathologiemécanique du rachis. C’est aussi l’occasion de rappelerque les affections rhumatologiques chroniques réclamentune stratégie thérapeutique globale qui fait notammentappel aux mesures d’économie articulaire, aux soinsphysiques et locaux, aux moyens orthopédiques et àd’autres médicaments symptomatiques dévolus à lamaladie en question, tous concourant à conforter l’effi-cacité des AINS, voire à en éviter l’usage.

2. Prévention des effets indésirablesLes effets indésirables des AINS sont au mieux prévenuspar le respect de leurs indications, contre-indications etprécautions d’emploi et par la limitation de leur posolo-gie et durée d’utilisation au minimum nécessaire.L’adjonction de misoprostol (Cytotec) ou d’oméprazole(Mopral, Zoltum) chez les malades à risque digestif(sujet âgé, antécédents ulcéreux…) permet par ailleursde diminuer leur gastrotoxicité, sans néanmoins la sup-primer.

3. Modalités pratiques• Choix de l’AINS : le domaine des indications propres

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à chaque spécialité opère une première sélection. Lechoix de l’AINS se fonde ensuite sur les expériencesantérieures éventuelles du patient sachant qu’il existeune grande variabilité individuelle de réponse et detolérance à une molécule donnée.Chez l’enfant, il faut se contenter des principes actifsagréés :- aspirine à la dose maximale de 50 mg/kg/j ;- ibuprofène (Nureflex enfant et nourrisson) : 20 à 30 mg/kg/j ;- acide tiaprofénique : 10 mg/kg/j au-delà de 3 ans ;- morniflumate (acide niflumique suppositoire) :o 400 mg/j de 6 à 30 mois et o à 40 mg/kg/j de 30 moisà 12 ans.

• Voie d’administration : la voie orale est la plus com-mode, qui permet des traitements prolongés. Il est alorsrecommandé d’absorber le médicament avec un verred’eau et en position debout pour réduire son temps decontact avec la muqueuse œsophagienne. La prise aucours du repas retarde la résorption de l’AINS sansaffecter significativement sa biodisponibilité ; elle apour intérêt de faciliter l’observance et de diminuer lestroubles fonctionnels digestifs – mais non l’ulcérogéni-cité des AINS. Ce dernier avantage s’applique égale-ment aux suppositoires. Les injections intramusculairesdoivent en partie leur succès à l’important effet placeboattaché à cette voie parentérale ; elles s’adressent enpriorité aux tout premiers jours de traitement d’uneaffection aiguë. Quand aux topiques cutanés, ils peu-vent rendre service dans certaines pathologies sportivesou post-traumatiques bénignes.

• Associations utiles :il est possible de limiter la poso-logie des AINS, et par là même leur toxicité ou, aubesoin, de conforter leur efficacité en leur ajoutant duparacétamol ou un opioïde.

• Information des malades.: il faut énoncer aux patientsles principales complications des AINS pour qu’ilsarrêtent le traitement ou sollicitent un avis médicaldevant certains signes d’alerte, en particulier cutanéo-muqueux et digestifs. Comme l’automédication est fré-quente dans les syndromes douloureux, il convient dementionner l’incompatibilité entre le médicament pres-crit et les AINS vendus comme antalgiques-antipyré-tiques.

• Surveillance : l’administration prolongée d’un AINSjustifie une évaluation régulière de son efficacité et desa tolérance en tenant compte du terrain physiopatholo-gique du malade et des médicaments associés. ■

POUR APPROFONDIR

1/ Iso-enzymes de la cyclo-oxygénase Deux iso-enzymes de la cyclo-oxygénase ont été identifiées à cejour. La première (COX-1) est une enzyme constitutionnelle et ubi-quitaire qui participe à l’homéostasie. Elle catalyse notamment lasynthèse de prostaglandines intervenant dans la cytoprotection de lamuqueuse gastrique, la préservation des fonctions rénales, l’agréga-tion plaquettaire. La seconde (COX-2) est une enzyme d’adaptation.Quasi virtuelle à l’état basal, sa production augmente considérable-ment sous l’influence de divers stimulus. Ainsi des cytokines pro-inflammatoires induisent sa synthèse dans les monocytes – macro-phages – qui libèrent alors des prostaglandines concourant à la réac-tion inflammatoire.Cette découverte fit entrevoir la possibilité d’inventer des médica-ments moins ulcérogènes et moins néphrotoxiques que les AINSactuels – qui tous interfèrent peu ou prou avec les 2 iso-enzymes dela cyclo-oxygénase. De tels AINS inhibiteurs spécifiques de COX-2sont en cours d’étude ; leurs avantages potentiels sont incertainsdans la mesure où quelques tissus, dont le cerveau, expriment phy-siologiquement COX-2 et que la gastrotoxicité des AINS relève defacteurs indépendants des prostaglandines

2/ AINS commercia l isés comme antalgiques Plusieurs AINS sont commercialisés comme antalgiques (ou antal-giques-antipyrétiques) : certaines spécialités d’aspirine, l’ibuprofè-ne 200 mg, le kétoprofène 25 mg, le fénoprofène, l’acide méféna-mique (voir tableau). Chacun a pour indications un éventail plus oumoins large de syndromes algiques.Leur caractéristique commune est une restriction des doses unitaireset quotidiennes qui, en principe, ne leur permet pas de diminuer lacomposante œdémateuse de la réaction inflammatoire tout en étantefficaces sur la douleur (et la fièvre).La limitation posologique a pour conséquence une réduction durisque notamment digestif et rénal. Pour autant, ces médicamentsrestent des AINS et ils partagent les effets indésirables, les interac-tions et contre-indications de leur classe. De plus, la variabilitéinterindividuelle de réponse aux AINS fait qu’ils peuvent convenirà des malades souffrant de rhumatismes inflammatoires.

3 / Références médicales opposables1997 concernant les AINS• Il n’y a pas lieu de poursuivre un traitement par un AINS lors desrémissions complètes des rhumatismes inflammatoires chroniqueset en dehors des périodes douloureuses dans les rhumatismes dégéné-ratifs.• Il n’y a pas lieu de poursuivre un traitement par un AINS au-delà

• Les effets indésirables des AINS, notammentdigestifs et rénaux, sont indissociables de leurspropriétés. Mais les plus graves sont en partieévitables pour peu qu’on applique quelquesrègles simples : prescription raisonnée enl’absence d’alternative thérapeutique plus sûre,à la posologie minimale requise, après prise encompte des antécédents, du terrain physiopathologique et des médicaments en cours, en considérant de principe toute personne âgée comme un sujet à risque

Points Forts à retenir

Maladies inflammatoires

1017L A R E V U E D U P R A T I C I E N ( P a r i s ) 1 9 9 8 , 4 8

d’une période d’une à deux semaines et sans réévaluation cliniquedans les lombalgies aiguës et (ou) lombosciatalgies aiguës et dans lesrhumatismes abarticulaires en poussée.• Il n’y a pas lieu d’associer un antiulcéreux [microprostol (Cytotec)ou oméprazole (Mopral, Zoltum)] au traitement par un AINS sauf chezles sujets à risque digestif pour lesquels cette association constituel’une des précautions possibles.• Il n’y a pas lieu de prescrire un AINS à des doses supérieures auxdoses recommandées.• Il n’y a pas lieu de prescrire un AINS par voie intramusculaire au-delà des tout premiers jours de traitement, la voie orale prenant lerelais (la voie parentérale ne diminue pas le risque digestif, comportedes risques spécifiques et n’est pas plus efficace au-delà de ce délai).• Il n’y a pas lieu d’associer un AINS par voie générale à l’aspirineprise à doses supérieures à 500 mg/j ou de l’associer à un autre AINS,même à doses antalgiques.• Il n’y a pas lieu, car généralement déconseillé en raison du risquehémorragique, de prescrire un AINS chez un patient sous antivitami-ne K, ou sous héparine ou ticlopidine (Ticlid).• Il n’y a pas lieu, particulièrement chez le sujet âgé, en raison durisque d’insuffisance rénale aiguë, de prescrire un AINS chez unpatient recevant un traitement conjoint IEC-diurétiques, sans prendreles précautions nécessaires.• Il n’y a pas lieu d’associer un traitement AINS à la corticothérapie,sauf dans certaines maladies inflammatoires systémiques évolutives(cas résistants de polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux dissé-miné, angéites nécrosantes…).

ANDEM. Anti-inflammatoires non stéroïdiens. Concours Med1996 ; 118 (suppl 42) : 41-56.Bannwarth B, Netter P. Anti-inflammatoires non stéroïdiens.Principes et règles d’utilisation. Rev Prat (Paris) 1992 ; 42 : 1165-70.Bannwarth B, Schaeverbeke T, Dehais J. Les anti-inflammatoiresnon stéroïdiens commercialisés comme antalgiques. Presse Med1992 ; 21 : 1268-70.Pawlotsky P. Anti-inflammatoires non stéroïdiens. Rev Prat(Paris) 1995 ; 45 : 1019-27.Terlain B, Jouzeau JY, Abid A. et al. Isoenzymes de la cyclo-oxygénase et anti-inflammatoires non stéroïdiens. LettrePharmacol 1996 ; 10 : 136-43.

POUR EN SAVOIR PLUS

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Les médicaments anticancéreux groupés sous leterme de chimiothérapie constituent un groupe hété-

rogène aux modes d’action complexes. Ils n’interagis-sent pas avec un système physiologique de l’organismemais sont des poisons cellulaires. Cette action toxiques’exerce par interaction avec des protéines intracellu-laires, ou avec les acides nucléiques composants du sys-tème génétique acide désoxyribonucléique (ADN) etacide ribonucléique (ARN). Leur mode d’action est sou-vent complexe avec plusieurs sites d’interaction.(voir :pour approfondir 1)

Classification selon le mécanismed’action

Médicaments ayant pour cible uniqueune enzymeCertains médicaments (antimétabolites) ont pour cibleunique une ou plusieurs enzymes intracellulaires impli-

quées dans la synthèse des bases nucléiques ou dans lefonctionnement de la machinerie génétique. Ces médi-caments agissent par inhibition du site enzymatique ; ilsn’agissent sur l’enzyme que pendant la durée de leurprésence et ne laissent à distance que les conséquencesdu dysfonctionnement temporaire de l’enzyme. Ils n’in-terviennent pas directement sur la structure du génome.On peut concevoir selon l’analyse biochimique des réac-tions impliquées des potentialisations ou des détoxica-tions en modifiant la nature ou la concentration des sub-strats ou cosubstrats impliqués. Les enzymes inhibéespeuvent être nécessaires à la synthèse des bases (uneseule ou une famille), mais peuvent aussi interargir avecdes enzymes impliquées dans les modifications structu-relles de l’ADN au moment de la duplication (topo-iso-mérases I et II).

Médicaments ayant pour cible le génome

D’autres médicaments appartenant à plusieurs classesont pour cible la machinerie génétique elle-même. Ilsréagissent avec l’ADN, par des réactions covalentes(alkylants), avec parfois des réactions biphasiques (lienschimiques covalents réalisant un pont entre les deuxbrins de l’ADN : alkylants biphasiques) ; ou bien ilsintroduisent des liaisons covalentes multiples avec plu-sieurs motifs de la double hélice introduisant une modi-fication structurale (une coudure) dans l’édifice macro-moléculaire (intercalants). D’autres médicamentsprovoquent des ruptures des brins d’ADN semblables àcelles provoquées par la radiothérapie, peut-être pargénération de radicaux libres lors des réactions intracel-lulaires provoquées par ces médicaments. Toutes lesréactions décrites sont des modifications biochimiquescovalentes de l’ADN et peuvent être définitives si ellesne sont pas supprimées par les systèmes de réparation del’ADN. On conçoit qu’elles comportent un risque de

Cancérologie

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Chimiothérapiesanticancéreuses(hormonothérapie incluse)Classification, principaux effets secondaires

Dr Bernard BRUN 1, Pr Pascal PIEDBOIS 2

1. Service d’oncologie-radiothérapie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 75651 Paris cedex 132. Service de cancérologie, hôpital Henri-Mondor, 94010 Créteil cedex

• La spécificité de la plupart des médicamentsanticancéreux est faible. Cela explique :– leur toxicité importante comparée à celle desautres médicaments ;– leur maniement délicat et dangereux, la margeentre dose efficace et dose toxique étant souventétroite.• Les effets toxiques aigus de la chimiothérapiesont les plus spectaculaires et sont généralementbien connus, mais les effets toxiques chroniquesdoivent également être considérés dans le choixd’une chimiothérapie, et dans ses modalitésd’administration dès lors qu’une guérison estpossible ou probable.

Points Forts à comprendre

mutation beaucoup plus grand (modifications définitivesde l’ADN).

Médicaments agissant sur l’appareilmicrotubulaire de la mitose

Certains médicaments exercent un effet antimitotiquepar empoisonnement de l’appareil microtubulaire de lamitose ; ils sont classés en 3 familles (poisons dufuseau, épipodophyllotoxines, taxanes).

Beaucoup d’entre eux exercent cependant plusieurstypes d’effets distincts, tous capables d’exercer un effetantimitotique ou cytotoxique. Par exemple les anthracy-clines sont des médicaments intercalants, provoquent lagénération de radicaux libres et sont des inhibiteurs dela topo-isomérase II, enzyme nécessaire aux modifica-tions structurales de l’ADN pendant la réplication.Dans ces cas le site d’action assigné dans le Tableau I aété choisi arbitrairement, alors qu’on ignore quel est lemode d’action le plus important.

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C H I M I O T H É R A P I E S A N T I C A N C É R E U S E S

6MP6TGARAC

HYDROXYURÉEMTX 5FU

BASES PURIQUES BASES PYRIMIDIQUES

SYNTHÈSES

ADN

DUPLICATION ADN TRANSCRIPTION ARN

MITOSE SYNTHÈSE PROTÉIQUE

Dépolymérisation (procarbazine)

Cassures ADN (bléomycine)

Alkylation, interaction directe avec l'ADN

Actinomycine D

Antimétabolites

Inhibiteur de la mitose L-asparaginase

Abréviations : 6MP : 6-mercaptopurine6TG : 6-thioguanineARAC : aracytineMTX : méthotrexate

5FU : 5-fluorouracileADN : acide désoxyribonucléiqueARN : acide ribonucléique

Points d’impacts des agents anticancéreux sur l’appareil génétiqueTABLEAU I

Classification cinétique

Les médicaments anticancéreux ont été classés en3 groupes selon leurs effets différentiels sur la moellehématopoïétique et sur un lymphome de la souris.

Médicaments cycles-indépendantsCes médicaments sont toxiques, que la cellule soit ou nonen cours de prolifération (nitrosourées, méchlorétamine).

Médicaments cycles-dépendantsCes médicaments ne sont actifs que sur les cellules endivision, indépendamment de la phase du cycle cellulairedans laquelle les cellules se trouvent.Les médicaments de chimiothérapie des deux classes pré-cédentes ont une courbe effet-dose linéaire : la proportionde cellules tuées s’accroît de façon linéaire avec la dosedélivrée.

Médicaments phases-dépendantsCes médicaments, parce qu’ils agissent sur une enzymeou un système enzymatique précis, ne sont actifs qu’à cer-taines phases du cycle cellulaire. Ce sont les antimétabo-lites et les poisons du fuseau. Ils ont une courbe effet-doseparticulière : lors d’une administration en flash, l’effetaugmente de façon linéaire avec la dose au début puis au-delà d’une certaine concentration un plateau est atteint.Tous les sites enzymatiques sont alors occupés, et un effetsupplémentaire ne peut pas être obtenu par un accroisse-ment de la dose administrée. Pour augmenter l’effet, ilfaut prolonger l’administration dans le temps : d’autrescellules entrent alors dans la phase du cycle sensible.Cette prolongation de la durée d’administration du médi-cament entraîne une augmentation de leur efficacité et deleur toxicité.

Loi de la cinétique du premier ordreL’interaction entre le médicament anticancéreux et lescellules tumorales cibles est liée au hasard des interac-tions biochimiques. La loi qui relie le pourcentage de cel-lules survivantes en fonction de la concentration est doncune exponentielle descendante. Une certaine concentra-tion de médicaments ne peut tuer qu’une certaine propor-tion de cellules. Il existe obligatoirement une proportionde cellules échappant à l’action du médicament et la chi-miothérapie ne peut jamais détruire la totalité des cellules.Lorsqu’un cancer est guéri par chimiothérapie seule il estdonc nécessaire de postuler l’existence d’un mécanismesupplémentaire (intervention de cellules tueuses ?).

Médicaments anticancéreuxLe catalogue présenté est basé uniquement sur les modesd’action. Contrairement à d’autres classifications, il neconsidère pas à part les antibiotiques (substances d’ori-gine naturelle), puisque ces substances sont représentéesdans plusieurs classes de mécanismes d’action différents.La distinction substances naturelles-substances synthé-

tiques tend à devenir artificielle, et certains dérivés sontsemi-synthétiques.

AntimétabolitesLes antimétabolites sont des analogues structuraux decomposés ayant un rôle clé dans le métabolisme cellu-laire. Se substituant aux composants normaux, ils interfè-rent avec la synthèse des bases nucléiques ou avec la syn-thèse protéique. Certains sont utilisés en clinique depuisplus de 40 ans.

1. MéthotrexateLe méthotrexate (Méthotrexate, Ledertrexate) inhibe ladihydrofolate réductase qui a pour rôle essentiel de main-tenir le pool des folates intracellulaires sous la formeréduite de tétrahydrofolates, ces dernières servant autransport de groupements carbonés dans la synthèse denovo des bases puriques et pyrimidiques. Finalement, leméthotrexate inhibe donc la synthèse de novo des basespuriques et pyrimidiques. À ce titre, son action est,comme celle de tous les antimétabolites, phase-dépen-dante, maximale en phase S, et il existe une relation dose-effet. Le méthotrexate a la particularité de posséder unantidote, l’acide folinique, qui prévient la toxicité héma-tologique et digestive du méthotrexate en venant grossir lepool intracellulaire des folates réduits. Le méthotrexateest généralement administré par voie intraveineuse, maispeut également être administré par voie intrathécale dansle traitement de certaines hémopathies malignes.

2. FluoropyrimidinesLes fluoropyrimidines sont des analogues structuraux del’uracile. Le 5-fluorouracile (5FU), est le plus utilisé. Le5-fluoro-2’-déoxyuridine a un métabolisme hépatiqueprépondérant qui le rend intéressant en injection intra-artérielle hépatique, mais il n’a pas d’autorisation de misesur le marché (AMM) en France. Le 5FU est utilisé enperfusion intraveineuse. Dans la cellule, le 5FU peutsuivre 3 voies métaboliques différentes, expliquant queles fluoropyrimidines agissent à la fois sur l’ARN et surl’ADN.

3. CytarabineLa cytarabine (Aracytine, Cytarbel) est un analogue de ladéoxycytidine qui inhibe la DNA-polymérase-a, et doncla réplication de l’ADN. Comme les autres antimétabo-lites, c’est un agent phase-dépendant.

4. 6-mercaptopurine et 6-thioguanineCes deux antimétabolites, analogues des bases puriques,sont surtout utilisés en hématologie. La 6-mercaptopurine(6-MP) est un analogue de l’hypoxanthine, et la 6-thioguanine (6-TG) un analogue de la guanine. Tousdeux inhibent la synthèse de novo des bases puriques.

5. HydroxyuréeL’hydroxyurée (ou hydroxycarbamine, Hydréa) est sur-tout utilisée dans le traitement des syndromes myélo-

Cancérologie

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prolifératifs, principalement la leucémie myéloïde chro-nique. Elle est également parfois utilisée en tant queradiosensibilisant dans le traitement de certainestumeurs solides.La ribonucléotide réductase est l’enzyme cible de l’hy-droxyurée, responsable de la conversion des ribonu-cléotides diphosphates dans la forme déoxyribose cor-respondante. L’hydroxyurée est donc surtout active surles cellules en phase S, et la résistance à ce médicamentest liée à une surexpression de la ribonucléotide réduc-tase, résultant d’une amplification génique ou d’uneanomalie post-transcriptionnelle. L’hydroxyurée estadministrée oralement, à une dose de l’ordre de 20 à 30 mg/kg par jour, et est principalement éliminée parvoie rénale. Certaines interactions médicamenteusespeuvent être dangereuses, l’hydroxyurée augmentantl’anabolisme de la cytarabine et des fluoropyrimidines.L’hydroxyurée est tératogène, hématotoxique, peut êtreresponsable de rashs cutanés, d’une hyperpigmentation,de nausées, vomissements, d’une anorexie, d’une éléva-tion des transaminases et de la bilirubinémie.

6. RaltitrexedLe raltitrexed (Tomudex) est un antifolate inhibiteurspécifique de la tymidylate synthase. Cette inhibitionprovoque une déplétion en dTTP, nécessaire à la répara-tion et à la synthèse de l’ADN. Les mécanismes derésistance au Tomudex comprennent une diminution dutransport cellulaire, une diminution de la polyglutama-tion, et une surexpression de la thymidylate synthase.Le Tomudex est utilisé en monothérapie dans le traite-ment des cancers colo-rectaux métastatiques à la dosede 3 mg/m2 toutes les 3 semaines, en perfusion intravei-neuse de 15 minutes. L’élimination du Tomudex estrénale. Son efficacité est voisine de celle de l’associa-tion 5FU/acide folinique, du moins en termes deréponses tumorales. Les toxicités principales du Tomu-dex sont la fatigue, l’anorexie, la diarrhée, la toxicitéhématologique, et une élévation transitoire des trans-aminases.

7. GemcitabineLa gemcitabine (2’, 2’-difluorodéoxycytidine, Gemzar)est un analogue de la déoxycytidine. Elle inhibe la syn-thèse de l’ADN. Par rapport à la cytarabine, la gemcita-bine a un spectre d’activité plus large. Elle est utiliséedans le traitement des cancers bronchiques, et des can-cers du pancréas, mais semble également prometteusepour d’autres types de tumeur. Elle est généralementutilisée en perfusions intraveineuses de 30 minutes une fois par semaine, 3 semaines sur 4, à la dose de 1 000 mg/m2.Ce médicament doit être d’abord phosphorylé par ladéoxycytidine kinase. Une délétion de cette enzyme adonc pour conséquence une résistance à la gemcitabine.La principale toxicité dose-limitante de la gemcitabineest hématologique. Les autres toxicités sont une éléva-tion des transaminases, des nausées et vomissements,une protéinurie modérée, une hématurie, des éruptions

cutanées, un syndrome pseudo-grippal, et un œdèmepériphérique. Dyspnée, alopécie, somnolence, diarrhée,constipation, et mucites sont beaucoup plus rares. Desbronchospasmes ont été rapportés.

Agents alkylantsLes agents alkylants interagissent directement avecl’ADN, par l’intermédiaire de réactions covalentes, avecparfois des réactions biphasiques. Même s’ils constituentune classe assez hétérogène, tous sont des composés élec-trophiles, introduisant dans les molécules avec lesquellesils interagissent une molécule alkyle. Ils sont cycle-dépen-dants.

1. Moutardes• Méchlorétamine(ou chlorméthine, Caryolysine) : elleappartient à la famille des moutardes azotées. C’est le « M »du MOPP (méchlorétamine, oncovin, procarbazine, pred-nisone), la classique chimiothérapie de la maladie deHodgkin.• Busulfan (Misulban) : c’est un agent alkylant bifonc-tionnel qui a la particularité d’être bien absorbé aprèsadministration per os.• Chlorambucil : ce composé (Chloraminophène) est luiaussi très bien absorbé par le tube digestif. C’est le médi-cament le plus utilisé dans le traitement de la leucémielymphoïde chronique, mais il est également souvent uti-lisé dans le traitement du cancer du sein.• Melphalan (ou L-phénylalanine, Alkéran) : dérivé de laphénylalanine. Il a été initialement mis au point pour êtrecapté préférentiellement par les tumeurs produisant de lamélanine, et qui utilisent donc activement la phénylala-nine ou la tyrosine.• Cyclophosphamide(Endoxan) : il doit être activé par lefoie pour acquérir son pouvoir antitumoral. Cette premièreétape conduit à la formation de la 4-hydroxycyclophos-phamide. Ce produit doit subir une deuxième transforma-tion après passage transmembranaire, aboutissant à deuxcomposés : le radical phosphoramide et l’acroléine, tousdeux actifs. L’acroléine sera éliminée par voie urinaire. Lecyclophosphamide est un des éléments majeurs du traite-ment du cancer du sein, également largement utilisé enhématologie.• Ifosfamide (Holoxan) : c’est un agent très proche ducyclophosphamide, et qui doit subir le même type detransformation avant d’être actif. Il est beaucoup utilisédans le traitement des sarcomes des tissus mous. Il semblemoins hématotoxique que le cyclophosphamide, maispeut être responsable d’encéphalites.• Dacarbazine(ou DTIC, Déticène) : elle a été synthétiséedans le but de mettre au point un nouvel antimétabolite,mais possède essentiellement des propriétés alkylantes.Elle est utilisée dans le traitement de la maladie de Hodg-kin, du mélanome malin et des sarcomes des tissus mous.• Hexaméthylène mélamine :ce composé (Hexastat), destructure originale, est habituellement rattaché au groupedes agents alkylants. Il est en particulier souvent utilisédans le traitement du cancer de l’ovaire, et est administréper os.

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C H I M I O T H É R A P I E S A N T I C A N C É R E U S E S

• Thiotépa(Thiotépa) : puissant agent alkylant bipha-sique.

2. NitrosouréesLes nitrosourées ont en commun la même structure (cesont des chloroéthylnitrosourées). Ils sont cycle-indépen-dants.Le chef de file en est le CCNU. D’autres composés ontrécemment été synthétisés, dans le but de diminuer latoxicité hématologique du CCNU ou d’en augmenter l’ef-ficacité.Les nitrosourées entraînent une déplétion en glutathion,inhibent la réparation de l’ADN, et altèrent la maturationde l’ARN. Leurs propriétés alkylantes sont les plusimportantes. Elles expliquent également leur haut pouvoirmutagène. Du fait de leur grande liposolubilité, les nitro-sourées passent la barrière hémato-méningée, et peuventêtre utilisées dans le traitement des tumeurs cérébrales.Elles ont une certaine activité contre le mélanome, maisaussi les tumeurs digestives, le cancer bronchique et cer-taines hémopathies malignes.La toxicité hématologique des nitrosourées est particu-lière car elle survient après une latence relativementlongue.• CCNU(ou lomustine, Bélustine) : surtout utilisé dans letraitement des tumeurs cérébrales (primitives ou métasta-tiques), et dans le traitement des formes évoluées de lamaladie de Hodgkin. Il est donné par voie orale. Sa prin-cipale toxicité est hématologique. Elle peut être prolon-gée, et dépend de la dose cumulée administrée. Unenéphrotoxicité est également possible.• BCNU (ou carmustine, BICNU) : composé très voisin,mais qui ne peut être administré qu’en perfusion intravei-neuse. Il est utilisé en particulier en hématologie. Unetoxicité pulmonaire (fibrose) est parfois rencontrée lorsd’administrations prolongées, et une maladie veino-occlu-sive du foie après administration à très forte dose.• Fotémustine(Muphoran) : elle semble intéressante pourle traitement des mélanomes malins évolués. Elle peutêtre administrée par voie intraveineuse ou intra-artérielle.• Streptozotocine(Zanosar) : elle est plus hydrophile queles autres nitrosourées. Elle peut interférer avec la néoglu-cogenèse, et induire un diabète. La streptozotocine a uneactivité en clinique à l’encontre des tumeurs endocrines etcarcinoïdes du pancréas. Elle doit être administrée parvoie veineuse. Sa principale toxicité dose-limitante estrénale, et non hématologique.

3. Sels de platineLes sels de platine ont une place majeure en clinique (can-cers du testicule, cancers de l’ovaire, cancers bronchiques,cancers de la tête et du cou, etc.).Comme les autres agents alkylants, les sels de platine for-ment des liaisons covalentes au niveau de l’ADN. Ilsinteragissent également avec l’ARN. Ils sont cycle-dépen-dants.• Cisplatine(Cisplatyl, Cisplatine) : chef de file de cetteclasse médicamenteuse. Il est administré par voie intra-veineuse, ou par instillations locales (intrapéritonéales par

exemple). Il est fréquemment utilisé en tant que radio-sensibilisant. Ses toxicités, en particulier sa toxicité rénaleen font un produit difficile à manier, et ont conduit audéveloppement de nouveaux composés.• Carboplatine(Paraplatine) : nouveau dérivé du platine,qui présente l’avantage d’être moins néphrotoxique.• Dérivé 1.2-Diaminocyclohexane (DACH) :l’oxaliplatinepossède une activité antitumorale sur des tumeurs habi-tuellement résistantes au cisplatine. Ce composé semble enfait appartenir à une famille distincte des autres sels de pla-tines. L’oxaliplatine est utilisé dans le traitement des can-cers colo-rectaux métastasiques, le plus souvent en asso-ciation avec le 5FU modulé par l’acide folinique, et à raisond’une injection intraveineuse toutes les 3 semaines. Il estbeaucoup moins néphrotoxique que le cisplatine. Sa prin-cipale toxicité dose-limitante est la neurotoxicité qui peutprendre 2 formes : dysesthésies des extrémités, débutantrapidement après la perfusion, et résolutives en quelquesjours,et neuropathie périphérique,apparaissant avec la répé-tition des injections. À noter également une certaine toxi-cité digestive (nausées,vomissements),alors que la toxicitéhématologique est faible.

4. Mitomycine CBien que la mitomycine (Amétycine) soit souvent rangéedans la classe des antibiotiques, ses propriétés alkylantessont dominantes. La mitomycine C provoque en effet unealkylation et des ponts au niveau de l’ADN, et une inhibi-tion de sa synthèse. Elle est surtout utilisée dans le traite-ment des tumeurs digestives. Sa principale toxicité esthématologique.

Médicaments agissant directementsur l’ADN

1. Analogues de la camptothécine

Ces médicaments inhibent la topo-isomérase I, enzymenécessaire aux modifications structurales de l’ADN pen-dant la réplication. L’effet inhibiteur sur l’enzyme esttransitoire. Il s’agit donc de médicaments phase-dépen-dants. Deux médicaments ont été récemment commercia-lisés et sont entrés dans la pratique clinique : l’irinotécanet le toporécan.• Irinotécan (CPT11, Campto) : il est utilisé dans le traite-ment des cancers colo-rectaux métastatiques résistant au5FU, à raison d’une perfusion intraveineuse toutes les 3semaines. D’autres schémas d’administration en associa-tion avec le 5FU et l’acide folinique sont à l’étude, per-mettant d’augmenter son efficacité et de réduire sa toxicitédigestive. En effet, si Campto possède une certaine héma-toxicité, la diarrhée est la principale toxicité dose-limi-tante. Elle est de 2 types : immédiate, durant la perfusionou immédiatement après (et dans ce cas souvent accompa-gnée de signes cholinergiques), ou retardée, de l’ordre de 5jours après la perfusion. Les autres toxicités de Camptosont les nausées et vomissements, et l’alopécie.• Topotécan(Hycamtin) : il est utilisé dans le traitementdes cancers de l’ovaire.

Cancérologie

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L’hématotoxicité est la toxicité dose-limitante. Les autrestoxicités sont l’alopécie, la toxicité digestive (diarrhée,nausées, vomissements), et la mucite.

2. IntercalantsIl s’agit d’une famille de médicaments qui ont en com-mun d’établir des liaisons covalentes multiples avecdeux spires voisines de l’hélice de l’ADN, ce qui intro-duit une coudure dans la molécule. Ces médicamentssont aussi des inhibiteurs de la topo-isomérase II, et parailleurs ils sont capables de générer des radicaux libres,dérivés chimiquement très actifs qui provoquent descassures de l’ADN. Ce mécanisme d’action est voisinde certains de ceux de la radiothérapie, et ces médica-ments sont de puissants radiosensibilisants.• Anthracyclines :elles constituent la famille la plusimportante et la plus utilisée. La rubidomycine (ou dau-norubicine, Cérubidine), la zorubicine (Rubidazone) etl’adriamycine (Adriblastine, Doxorubicine) sont desdérivés anciens, tous très hématotoxiques, et capables, àpartir d’une dose cumulée importante de déclencher unecardiomyopathie. Des dérivés plus récents, commel’épiadriamycine (Farmorubicine), ou la THP-adriamy-cine (ou pirarubicine, Théprubicine) ont une toxicitécardiaque moindre.• Mitoxantrone (Novantrone) : anthracènedione, dérivévoisin des anthracyclines, mais moins toxique.• Ellipticine (Céliptium) : médicament intercalant declasse chimique et de mécanisme particulier. Il n’est pashématotoxique, mais présente une toxicité rénale àfortes doses cumulées.• Actinomycine D(ou dactinomycine, Cosmégen-Lyo-vac) : intercalant et inhibiteur de la transcription utilisédans le traitement de certains sarcomes et des tumeursde l’enfant. Il s’agit d’un très puissant radiosensibili-sant.

3. BléomycineLa bléomycine (Bléomycine) est un radiomimétique.Elle provoque comme la radiothérapie des cassures del’ADN.

4. ProcarbazineLa procarbazine (Natulan) dépolymérise les brinsd’ADN.

Inhibiteurs de la mitose1. Poisons du fuseauCe sont les plus anciennement connus. Ils ont pour effetde dépolymériser la tubuline du fuseau de la mitose, larendant ainsi impossible. C’est par un effet sur la tubu-line des structures nerveuses que ces médicaments pré-sentent tous une neurotoxicité.• Vincristine (Oncovin) : elle n’est pas hématotoxique,mais est le poison du fuseau le plus neurotoxique.• Vincaleucoblastine, vindésine et vinorelbine :la vin-caleucoblastine (ou vinblastine, Velbé, Vinblastine) et lavindésine (Eldisine) sont moins neurotoxiques que lavincristine, mais plus myélotoxiques.

C’est aussi le cas du dérivé le plus récent, la vinorelbine(Navelbine), qui possède une faible neurotoxicité. Cesmédicaments sont phase-dépendants.

2. ÉpipodophyllotoxinesCes médicaments provoquent un arrêt de la mitose sansinteragir directement sur la tubuline. Ils agissent proba-blement au niveau de l’ADN ou de la transcription etsont des inhibiteurs de la topo-isomérase II. Les médi-caments utilisés sont l’étoposide (ou VP 16, Vépéside,Celltop, Etoposide), qui peut être administré per os, etle téniposide (ou VM 26, Véhem 26), qui est administréen perfusion intraveineuse.

3. TaxanesLes taxanes sont aussi des inhibiteurs de la mitose. Leurmécanisme d’action est cependant différent : ils agis-sent sur la tubuline qu’ils stabilisent excessivement, cequi empêche le déroulement de la mitose. Les deuxmédicaments introduits dans la pratique sont le pacli-taxel (Taxol) et le docétaxel (Taxotère) très largementutilisés dans les cancers du sein et de l’ovaire.

Inhibiteurs de la synthèse protéiqueUn seul médicament est utilisé en pratique, la L-aspara-ginase (Kidrolase) : la carence en asparagine empêchel'assemblage des protéines sur le ribosome.Ce médicament est utilisé dans le traitement des leucé-mies.

Toxicité des médicamentsanticancéreux

Toxicité aiguë hématologique

La toxicité aiguë hématologique est un des obstaclesmajeurs à l’administration de la chimiothérapie. Elle estdue à un manque de sélectivité des médicaments admi-nistrés, et à une grande sensibilité des cellules médul-laires, qui constituent un tissu à renouvellement rapide.Or, le risque de toxicité hématologique aiguë n’est pastoujours évaluable. Ce risque est en effet multifacto-riel : médicament administré, association de médica-ments, variabilités individuelles des métabolismes detransformation et d’élimination, antécédents de chimio-thérapie ou de radiothérapie intéressant de grands terri-toires médullaires… Il est important de souligner lerisque de toxicité hématologique lié à une perfusioncontinue d’un agent phase-dépendant : les cellules sontalors détruites au fur et à mesure de leur arrivée dans laphase critique du cycle cellulaire. L’exemple type en estl’administration continue de cytarabine.Dans la plupart des cas, la toxicité hématologique estmaximale (nadir) entre le 10e et le 14e jour après l’ad-ministration, et l’hémogramme revient à la normale enune à deux semaines. Cependant, certains médicaments,comme la procarbazine, le busulfan, la L-phénylala-nine, la méchlorétamine, la dacarbazine, la lomustine,

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C H I M I O T H É R A P I E S A N T I C A N C É R E U S E S

la mitomycine C, présentent une toxicité hématologiqueretardée (21e jour, voire plus tardive). D’autres médica-ments, au contraire, ont une très faible toxicité hémato-logique : la bléomycine, la vincristine, le cisplatine, laL-asparaginase (tableau II).

Toxicités aiguës non hématologiquesLes toxicités aiguës non hématologiques sont nom-breuses, mais heureusement ne mettent généralementpas en jeu le pronostic vital.

1. Nausées et vomissementsLes nausées et vomissements en cours de chimiothéra-pie regroupent en fait trois problèmes différents.Les vomissements survenant pendant l’administrationde la chimiothérapie sont liés au médicament utilisé, età sa dose. Parmi les agents les plus émétisants, il fautciter le cisplatine, le déticène (DTIC) et le cyclophos-phamide . Alors que chez la plupart des patients les nau-sées et les vomissements débutent pendant l’administra-tion de la chimiothérapie et cessent après quelquesheures, chez certains malades les symptômes débutent24 heures ou plus après la chimiothérapie. Ce phéno-mène est surtout connu avec le cisplatine à forte dose.L’intensité des symptômes est généralement moinsgrande que pour les vomissements immédiats. Lesvomissements survenant par anticipation sont observésavec prédilection chez les patients qui ont souffert pré-cédemment de vomissements immédiats mal calmés parles antiémétiques.

2. Toxicité cardiovasculaire aiguëLes thromboses veineuses sont rares, mais peuvent sevoir après administration de vindésine ou de cisplatine.Le 5FU peut provoquer des spasmes coronaires, pou-vant aller jusqu’à l’infarctus myocardique. Des insuffi-sances cardiaques et des péricardites peuvent se voiraprès administration de cyclophosphamide à forte dose,ou d’anthracyclines, mais la toxicité cardiaque de cetteclasse médicamenteuse est surtout une toxicité chro-nique cumulative.

3. Toxicité pulmonaire aiguëLe méthotrexate, la méchlorétamine, la bléomycinepeuvent être responsables d’une pneumopathie aiguë,mais il s’agit là encore plutôt d’une toxicité chronique.

4. Toxicité aiguë neurologiqueLa toxicité neurologique de la chimiothérapie est bienplus souvent chronique qu’immédiate. Toutefois, on peutobserver une toxicité neurologique immédiate aprèsadministration de méthotrexate par voie intrathécale, oupar voie intraveineuse à très forte dose (encéphalopathie).Alors que le cyclophosphamide n’est pas neurotoxique,l’ifosfamide peut être responsable d’encéphalopathies.Les symptômes (hallucinations, confusion mentale, syn-drome cérébelleux, troubles de la conscience…) débutent2 à 5 jours après le traitement et sont habituellement réso-lutifs en quelques jours.

L’asparaginase ou la cytarabine peuvent être responsablesd’encéphalites aiguës.Le 5FU peut provoquer un syndrome cérébelleux, ou uneconfusion mentale, de début soudain non lié à un traite-ment au long cours. Cette toxicité est parfois en relationavec un déficit enzymatique dans la voie du catabolismedu 5FU (dihydropyrimidine déhydrogéase). Elle est géné-ralement réversible à l’arrêt du 5FU.

5. Toxicité aiguë rénale et urinaireL’administration du cisplatine impose une hyperhydrata-tion préalable, et une diurèse forcée, sous peine d’entraî-ner une insuffisance rénale aiguë par tubulopathie. Cettetoxicité est liée à la dose délivrée, mais n’est pas seule-ment due aux dépôts de platine, puisque l’isomère trans-du platine n’est pas néphrotoxique. Il semble qu’en fait lecisplatine exerce une toxicité directe sur l’ADN des cel-lules tubulaires.La mitomycine C peut entraîner une insuffisance rénaleaiguë par microangiopathie.À forte dose, le méthotrexate peut également être respon-sable d’une insuffisance rénale aiguë. Il est en effet rapi-dement éliminé par le rein.À pH acide, il est peu ionisé et capable de précipiter dansles tubules rénaux, provoquant une insuffisance rénaleaiguë.Parmi les nitrosourées, la streptozotocine est l’agent leplus néphrotoxique. L’atteinte, de mécanisme incomplète-ment connu, est à la fois tubulaire et glomérulaire.Comme nous l’avons vu, le cyclophosphamide ou l’ifos-famide sont transformés en deux composés : le radicalphosphoramide et l'acroléine. L’acroléine est éliminée parvoie urinaire et peut, lors de l’administration de fortesdoses, provoquer des cystites hémorragiques. La répéti-tion de ces cystites peut elle-même être responsable de lasurvenue de cancers de la vessie. Leur prévention passepar une diurèse abondante et l’administration par voieintraveineuse de MESNA (Uromitexan). Alors que lecyclophosphamide n’a pas de toxicité rénale, l’ifosfa-mide, elle, peut être responsable d’insuffisance rénale parnécrose tubulaire aiguë. Ce risque serait diminué par lefractionnement de la dose sur plusieurs jours.

6. Toxicité hépatique aiguëElle peut revêtir deux aspects.Le dysfonctionnement hépatique est dû à une toxicitéhépatique directe de la chimiothérapie. Biologiquement,on observe d’abord des signes de cytolyse, puis si l’at-teinte persiste des signes de cholestase. La L-asparagi-nase, la cytarabine, le DTIC, le VP 16, le 6-MP, le métho-trexate à fortes doses, la streptozotocine, et la vincristinesont parmi les médicaments les plus souvent respon-sables. Ces toxicités sont habituellement résolutives enquelques semaines à quelques mois.La maladie veino-occlusive du foie peut survenir aprèsadministration de 6-MP, cytarabine, DTIC, 6 TG, busul-fan à fortes doses, cyclophosphamide à fortes doses, etmitomycine C à fortes doses. Le début est le plus souventtrès brutal. Le pronostic vital est souvent mis en jeu.

Cancérologie

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Après administration de chimiothérapie par l’artèrehépatique, une cholangite sclérosante n’est pas rare.

7. Toxicité aiguë cutanée et muqueuseCertains médicaments peuvent être responsablesd’éruptions cutanées (cytarabine, bléomycine), voired’un véritable syndrome de Lyell (méthotrexate). Lesmucites sont fréquentes, parfois graves, au cours des

traitements par 5FU. Elles gênent l’alimentation, et sontégalement responsables de diarrhées. Elles sont nettementaggravées par une irradiation concomitante.Beaucoup de médicaments utilisés en chimiothérapie anti-cancéreuse (comme les anthracyclines par exemple) doi-vent être administrés par voie intraveineuse stricte, et peu-vent occasionner de graves lésions cutanées en casd’extravasation.

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C H I M I O T H É R A P I E S A N T I C A N C É R E U S E S

Toxicité des principaux médicamentsutilisés en chimiothérapie anticancéreuse

TABLEAU II

Médicament Toxicité Nausées Principales autres toxicitéshématologique vomissements

Extraits de plantespaclitaxel ++ + allergie, neuropathie, alopéciedocetaxel ++ + neuropathie, œdèmesvincristine + + neuropathie, sécrétion inappropriée d’hormone

anti-diurétiquevinblastine +++ + mucite, toxicité pulmonairevindésine ++ + neuropathie, thromboses veineuses, toxicité

pulmonairevinorelbine ++ + parésie intestinaleVP-16 ++ + neuropathieAntibiotiquesadriamycie +++ ++ alopécie, mucite, cardiomyopathiemitomycine C +++ ++ toxicité rénale, toxicité pulmonairebléomycine non + cutanée, fibrose pulmonaire, fièvre, allergieAntimétabolitesméthotrexate + à +++ selon ++ toxicité hépatique, insuffisance rénale,

dose neuropathie, toxicité pulmonaire5FU + à ++ + mucite, diarrhée, syndrome paume-plante6-MP ++ + cholestase6-TG ++ + cholestasecytarabine +++ ++ cholestase, mucite, toxicité pulmonairehydroxyurée +++ ++raltitrexed + + diarrhéegemcitabine + + protéinurie, hématurie, éruptions, syndrome

pseudo-grippal, œdème, dyspnée, diarrhée,constipation, mucites

Agents alkylantscyclophosphamide +++ ++ cystite, alopécie, atteinte pulmonaire, stérilitéifosfamide ++ + neurotoxicité, cystitemelphalan ++ + leucémie, toxicité pulmonairebusulfan +++ + fibrose pulmonaire, stérilitéCCNU +++ ++ leucémie, fibrose pulmonaire, insuffisance

rénale, stérilitéstreptozotocine + ++ hépatique, insuffisance rénale, hyperglycémiechlorambucil ++ + leucémie, toxicité pulmonairecisplatine ++ +++ insuffisance. rénale, perte de Mg++, neuropathiecarboplatine +++ +oxaliplatine + + neuropathieAutres agentsDTIC + +++ syndrome grippal, thromboses veineusesprocarbazine ++ + toxicité pulmonaire, stérilitéhexastat + ++ neurotoxicitémitoxantrone ++ + cholestase, toxicité cardiaqueirinotécan ++ + diarrhéetopotécan +++ +

L’alopécie peut être considérée comme un problèmemineur compte tenu de l’absence de retentissement sur lesfonctions vitales du malade, mais elle constitue en pratiqueun problème important du fait de son retentissement psy-chologique.

8. Réactions allergiquesDes réactions allergiques peuvent se voir, traduites par dessignes cutanés, une fièvre, voire des signes respiratoire ethémodynamiques.Ces réactions sont fréquentes avec la bléomycine et lepaclitaxel.

Toxicités chroniquesUne toxicité chronique correspond à un phénomène cumu-latif. Cette toxicité ne survient pas lors de la première curede chimiothérapie, mais après plusieurs mois de traitement.Dans certains cas, on a mis en évidence une dose maximalecumulée au-delà de laquelle le risque de toxicité chroniquedevient important. Dans la plupart des cas, cependant, cettedose varie trop d’un individu à l’autre pour pouvoir êtreconnue à l’avance.

1. Toxicité hématologique chronique,leucémies secondairesLa répétition des chimiothérapies altère peu à peu quantita-tivement et qualitativement les réserves médullaires.Le risque de second cancer se pose essentiellement pour lestumeurs les plus accessibles à la chimiothérapie, et pourlesquelles les traitements font appel à des médicamentsmutagènes. Il s’agit surtout de la maladie de Hodgkin, descancers de l’enfant et du cancer du sein.Les principaux seconds cancers après chimiothérapie sontreprésentés par les leucémies myéloïdes , qui surviennentprincipalement après une chimiothérapie comportant desagents alkylants ou une nitrosourée. Le risque augmenteavec la dose cumulée d’agents alkylants. Ces leucémies ontun pronostic particulièrement mauvais.

2. Toxicité cardiovasculaire chroniqueLes cardiomyopathies après traitement par les anthracy-clines sont connues depuis plus de 20 ans. Pour la doxoru-bicine, la dose cumulée maximale recommandée ne doitpas dépasser 500 mg/m2.Toutefois, en raison de variations individuelles, on recom-mande d’effectuer chez les patients recevant des anthracy-clines des échocardiographies répétées, afin de dépister dessignes précoces de toxicité. En cas d’irradiation médiasti-nale, ou d’association à un autre anticancéreux cardio-toxique, il est recommandé de ne pas dépasser300 mg/m2.

3. Toxicité pulmonaire chroniqueLes mécanismes en cause et les lésions histologiquessont nombreux. Les lésions concernent aussi bien les cel-lules endothéliales que les cellules épithéliales. Unevingtaine de médicaments peuvent être en cause (tableauI), mais le plus connu est la bléomycine. La dose maxi-male cumulative au-delà de laquelle le risque de fibrose

pulmonaire est important est de 200 mg/m2. Cette dosecumulée ne doit donc jamais être dépassée. Certains fac-teurs favorisent cette toxicité : l’âge supérieur à 60 ans,une radiothérapie thoracique, une oxygénothérapie, etune altération de la fonction rénale pendant l’administra-tion de la bléomycine. Cela a des incidences pratiques. Ilfaut éviter chez ces patients une oxygénothérapie (en par-ticulier pendant une anesthésie), et l’administrationconcomitante ou préalable de cisplatine.

4. Toxicité neurologique chroniqueLes principaux médicaments en cause sont les alcaloïdes dela pervenche et le cisplatine.La toxicité neurologique de la vincristine est une toxicitédose-limitante : elle interdit d’utiliser des doses fortes. Ilpeut s’agir d’une neuropathie périphérique (la plus fré-quente), ou touchant le système nerveux central, voire lesystème nerveux autonome. À l’arrêt du traitement, la récu-pération peut demander des mois.La neurotoxicité du cisplatine est dose-limitante à la fois ence qui concerne la dose par injection et la dose cumulée.Cette toxicité peut prendre l’aspect d’une neuropathie péri-phérique, d’un signe de Lhermitte, d’une atteinte du sys-tème nerveux autonome, de crises d’épilepsie, d’encépha-lopathies, de cécités transitoires, d’une névriterétrobulbaire, ou d’une atteinte rétinienne, mais les neuro-pathies périphériques sont les plus fréquentes. Au-dessus de300 à 500 mg/m2, le risque devient important.

5. Toxicité rénale chroniqueLa répétition de traitements potentiellement néphro-toxiques, comme l’administration de cisplatine ou d’ellipti-cine, est susceptible de provoquer une toxicité rénale chro-nique, même si chaque cure s’est déroulée selon des règlesstrictes d’administration.

6. Toxicité hépatique chroniqueLa fibrose hépatique chronique est rare chez les patientsrecevant une chimiothérapie anticancéreuse. Par contre,elle peut se rencontrer après traitement au long cours parméthotrexate pour des affections non tumorales telles quele psoriasis ou la polyarthrite rhumatoïde.

7. Toxicité cutanée chroniqueLa plupart des effets secondaires cutanés de la chimiothéra-pie surviennent d’emblée. Certains sont liés à des phéno-mènes allergiques. Le 5FU peut également être responsablede toxicités chroniques : hyperpigmentation, syndromemains-pieds, et atrophie cutanée. Le syndrome mains-pieds, caractérisé par une dysesthésie, des sueurs et un éry-thème localisé aux pieds et aux mains, est plus fréquem-ment observé en cas de perfusion continue.

8. Fonction reproductriceBeaucoup des médicaments utilisés en chimiothérapie ontdes effets délétères sur les gonades, que ce soit au niveau deleur fonction endocrine ou au niveau de leur fonction repro-ductrice. Cette toxicité varie selon la nature du produit uti-lisé, sa dose, l’âge du patient et son sexe.

Cancérologie

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Chez l’homme adulte, la chimiothérapie provoque uneoligospermie ou une azoospermie, et une stérilité. Lesmédicaments les plus dangereux pour la fonction dereproduction sont le chlorambucil, le cyclophosphamide,la méchlorétamine, le busulfan, la procarbazine, et lesnitrosourées. Les prélèvements de sperme avant chimio-thérapie sont couramment utilisés.Chez la femme adulte, les principales données dont ondispose sont la reprise des menstruations et la survenuede grossesses. Les médicaments les plus toxiques pour lafonction reproductrice de l’ovaire sont le cyclophospha-mide, la L-phénylalanine, le busulfan et la méchloréta-mine.La toxicité de la chimiothérapie sur la fonction reproduc-trice semble moins importante avant la puberté.

9. TératogénicitéLe risque de tératogenèse doit être expliqué au patient enâge de procréer. Ce risque est majeur pour certains produits,comme le méthotrexate, la 6-MP, les agents alkylants, lespoisons du fuseau et la procarbazine. Le risque persite trèslongtemps après l’arrêt de la chimiothérapie.

Obstacles à l’efficacité et moyensde les contourner

Limitations naturelles

1. Résistance naturelle liée à une capacité accruede réparation de l’ADN

Ce type de résistance bien démontré notamment pour lesalkylants et le cisplatine, peut réaliser une résistance àtoutes les chimiothérapies, puisqu’une anomalie de l’ADNest le terme ultime du mode d’action de la plupart desmédicaments. Pour surmonter cette résistance plusieursméthodes ont été proposées.• Association :plusieurs médicaments différents multi-plient des inhibitions de types différents. On peut doncespérer une augmentation des effets antitumoraux en asso-ciant plusieurs médicaments de mécanisme d’action diffé-rent. Si les toxicités des médicaments sont distinctes, onobtient un accroissement de l’activité tout en maintenant latoxicité à un niveau acceptable. C’est le principe des poly-chimiothérapies. On choisit souvent d’associer une anthra-cycline, un alkylant, un antimétabolite, avec ou sans addi-tion d’un inhibiteur de la mitose.• Recrutement :il a été montré qu’un alkylant donné à dosefaible (comme la radiothérapie dans sa phase initiale), pro-voque une augmentation de la proportion de cellules endivision dans une tumeur (augmentation de la fraction decroissance). L’adjonction d’un médicament cycle dépen-dant à forte dose a alors des chances d’être plus efficace.Un tel effet a été démontré dans certaines tumeurs (myé-lome).• Synchronisation :l’administration répétée de médica-ments phase-dépendants, en particulier d’inhibiteurs de lamitose, bloque toutes les cellules à une même phase du

cycle. Un médicament « exécuteur » approprié, donné justeau moment du redémarrage des cellules a alors des chancesaccrues d’efficacité. Cet effet peu contrôlable en pratiquen’a jamais été démontré en clinique.• Dose :les médicaments cycles-dépendants et cycles-indépendants ont une courbe effet-dose linéaire. Théorique-ment, tout accroissement de dose entraîne une augmenta-tion de l’efficacité. Cela nécessite de pouvoir surmonter latoxicité des médicaments.• Potentialisation: certaines associations de médicaments(anthracyclines-alkylants, alkylants-cisplatine), ont un effetsupérieur à la somme des effets des deux médicaments uti-lisés seuls.• Voie d’administration :certaines tumeurs irriguées par unvaisseau bien précis qui peut être identifié par artériogra-phie, peuvent être traitées par instillation intra-artérielle.Certaines lésions cantonnées à une cavité séreuse (plèvreou péritoine) peuvent être traitées par instillations locales.Dans ces deux cas l’augmentation de la concentration demédicament au niveau de la lésion et une diffusion moindreou ralentie dans le reste de l’organisme permettent d’espé-rer une meilleure efficacité et une toxicité moindre. Lerecul sur ces modes de traitement est cependant encorelimité.• Chronomodulation: elle comporte deux variantes dis-tinctes :– l’administration de médicaments en perfusion continuedevrait logiquement aboutir avec les médicaments phase-dépendants à une plus grande efficacité et une meilleuretolérance ;– les variations nycthémérales des mitoses dans les tissustumoraux et les tissus normaux ont permis de construire desrégimes dans lesquels les médicaments sont administrés àdes heures précises souvent différentes pour chaque médi-cament (chronothérapie). Un tel régime peut être adminis-tré par une pompe portable mue par un micro-ordinateur.Certains essais publiés montrent une efficacité satisfaisanteet une tolérance accrue.

2. Exemple de la modulation du 5-fluorouracilepar l’acide folinique

Le 5-fluorouracile (5FU) est un des médicaments les plusutilisés. Dans le traitement des cancers colo-rectaux méta-stasés, c’est le médicament de base. Pourtant, son efficacitéest modeste. Il existe plusieurs possibilités de moduler l’ac-tion du 5FU. La plus connue est la modulation biochimiquepar l’acide folinique.

Résistances à la chimiothérapie

1. Résistances multidrogues

• Résistance multidrogue de type multidrug resistance I(MDR I) : le gène MDR I commande la synthèse de la gly-coprotéine p170 dont la fonction est d’expulser hors descellules un groupe hétérogène de molécules (tableau III).Ce gène est actif constitutionnellement dans certains tis-sus (rein, foie, tube digestif). Les tumeurs dérivées de cesorganes sont naturellement pourvues de ce type de résis-

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C H I M I O T H É R A P I E S A N T I C A N C É R E U S E S

tance. Les tumeurs dérivées d’autres tissus (sein, ovaire,hémopathies) en sont habituellement dépourvues.Cependant elles acquièrent à un rythme variable ce typede résistance après un premier traitement, ce qui est bienconforme au phénomène couramment observé de sensibi-lité initiale suivie d’échappement. La glycoprotéine p170,agissant en expulsant les médicaments hors de la cellule,de nombreuses tentatives d’inhibition de ce mécanismeont été étudiées, mais aucune ne s’est malheureusementrévélée suffisamment efficace.• Résistance multidrogue de type topo-isomérase II :ungroupe de médicaments (tableau II), qui chevauche par-tiellement la résistance de type MDR I, est impliqué dansce type de résistance. Celle-ci apparaît par modificationqualitative ou quantitative de cette enzyme.• Résistance multidrogue liée à un accroissement de laglutathion S transférase :cette enzyme est impliquéedans la détoxication d’un certain nombre de médicamentsCe mécanisme demeure discuté.

• Résistances spécifiques à un médicamentElles sont liées à une modification quantitative ou qualita-tive d’une enzyme spécifiquement impliquée dans lemétabolisme d’un médicament précis. D’innombrablesphénomènes de ce type ont été démontrés( voir :pourapprofondir 2)

Toxicités limitantesLa toxicité d’une chimiothérapie peut être responsable deson manque d’efficacité, obligeant à diminuer les doses, àespacer les cures, voire à arrêter un traitement.

1. HématotoxicitéLa toxicité hématologique est la principale toxicité limi-tante. Plusieurs procédés ont été essayés pour contour-ner cette difficulté.• Détoxication :elle suppose un antidote parfait et faci-lement manipulable. Cela ne se produit qu’avec leméthotrexate et l’acide folinique. On peut ainsi selondes procédures complexes et précises délivrer des dosestrès fortes (20 à 100 fois les doses habituelles) en effec-tuant immédiatement après une détoxication par l’anti-dote. La toxicité hématologique du méthotrexate estalors annulée. Cette procédure permet de contournerune résistance liée à un trouble de pénétration intracel-lulaire du médicament ou à une amplification géné-tique. Cette procédure est couramment utilisée enhématologie et dans le traitement des ostéosarcomes.

• Cytokines :l’introduction en thérapeutique des fac-teurs de croissance hématopoïétiques (GranulocyteColony Stimulating Factorou G-CSF et GranulocyteMacrophage Colony Stimulating Factorou GMCSF)permet de minimiser les accidents hématologiques deschimiothérapies. Des études randomisées nombreusesont démontré un raccourcissement de la durée des neu-tropénies, ce qui autorise à ne pas retarder les cycles età conserver une intensité de dose importante. Enrevanche, une diminution des accidents infectieux n’a

pas été démontrée de façon convaincante. Le champd’application de ces traitements coûteux est encoreincomplètement défini. Par ailleurs, la capacité descytokines granulocytaires à faciliter les recueils de cel-lules souches et à raccourcir des aplasies des auto-greffes est certaine.• Autogreffe : la propre moelle du patient supposéedépourvue de cellules tumorales ayant été prélevée aupréalable, le malade peut recevoir une chimiothérapie àtrès forte dose. Celle-ci provoquerait en l’absence deprotection une aplasie très profonde et prolongée. Maisaprès l’élimination des médicaments, le malade reçoitun greffon de sa propre moelle. La prise du greffonassure une récupération dans un délai modéré (10 à 12 jours) qui rend supportable une chimiothérapie sanscela impossible.Cette technique de base a connu depuis quelques annéesun développement remarquable : le recueil des cellulessouches est accessible par cytaphérèse sanguine. Larichesse en cellules souches est accrue par utilisationd’une cytokine granulocytaire. L’efficacité de l’auto-greffe ainsi réalisée est plus satisfaisante que celle del’autogreffe. Le greffon en place, les mêmes cytokinesfavorisent une repopulation rapide. Il en résulte uneextraordinaire facilitation des chimiothérapies à fortedose dont certaines peuvent être réalisées en ambula-toire. De nombreuses études sont en cours pour étudierl’impact des chimiothérapies à forte dose. Là encore, lechamp d’application de ces nouvelles techniques estencore incomplètement défini, mises à part certainestumeurs hautement sensibles (hémopathies malignes,tumeurs pédiatriques).

2. Toxicité rénaleLa toxicité rénale est une toxicité limitante pour cer-tains produits comme le cisplatine. Les efforts pour sur-monter cette limite ont été menés dans deux directions.• Modes d’administration :le respect strict des règlesd’administration permet de limiter le risque de toxicitérénale. Par ailleurs, les instillations locales permettentd’obtenir des concentrations tumorales élevées de cis-platine en gardant les concentrations sériques dans deslimites acceptables.

Cancérologie

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Résistances « multidrogues »en chimiothérapie anticancéreuse

TABLEAU II

Agents sousla dépendancedu gène MDR I

AnthracyclinesActinomycinePoisons du fuseauMitomycine

Inhibiteurde la topo-

isomérase II

AnthracyclinesActinomycine

ÉpidophyllotoxinesEllipticine

Agentsdétoxifiés parla glutathion-transférase

ChlorambucilMelphalanCyclophosphamideNitrosourées

Cisplatine ?

• Développement d’autres médicaments :le carboplatine(Paraplatine) est moins néphrotoxique. Il présente mal-heureusement une certaine toxicité hématologique qui enlimite l’intérêt.

3. Toxicité cardiaqueLa cardiotoxicité de la chimiothérapie est souvent cumula-tive. Elle est parfois très gênante dans la mesure où elle obligeà arrêter un traitement par ailleurs efficace. Plusieurs moyensont progressivement été mis au point pour contourner cettedifficulté.• Surveillance des traitements :grâce à une surveillanceétroite de la fonction myocardique, l’administration de pro-duits potentiellement très cardiotoxiques,comme les anthra-cyclines, est devenue de maniement plus aisé.• Mode d’administration :il a été suggéré récemment quel’administration des anthracyclines en perfusion continueplutôt qu’en perfusion rapide permet de protéger le myo-carde. Les perfusions continues posent cependant certainsproblèmes pour un médicament hautement toxique en casd’extravasation.• Autres médicaments :depuis peu, certains produits sontdisponibles, qui ont une efficacité proche de celle de l’adria-mycine, mais une toxicité cardiaque bien moindre (épia-driamycine, THP-adriamycine).• Agents protecteurs :certains agents chélateurs du fer,comme le Cardioxane permettent de réduire la toxicité car-diaque des anthracyclines.

4. Toxicité neurologiqueLa neurotoxicité est un facteur qui interdit d’augmenter lesdoses de certains médicaments. Les moyens de surmontercet obstacle sont de deux ordres :développement d’analogueset protecteurs. Ce deuxième moyen semble constituer unevoie de recherche prometteuse, 2 produits (le WR 2721 etl’Org 2766) étant en cours d’étude pour prévenir la neuro-toxicité du cisplatine.

5. Développement de protecteurs ubiquitairesL’amifostine (WR-2721) est un dérivé thiol qui protège lescellules en évacuant les radicaux libres. Les études précli-niques ont montré que ce médicament est capable de proté-ger sélectivement un large éventail de cellules normales deseffets cytotoxiques de la radiothérapie et de la chimiothéra-pie. L’effet différentiel entre tissu normal et tissu tumoralrésulte d’une plus grande capacité des cellules normales àcapter de fortes concentrations de thiol libre. Les agents alky-lants, les dérivés du platine et les radiations ionisantes sont,compte tenu de leurs mécanismes d’action cytotoxique, lesagents contre lesquels l’amifostine a le plus d’effets inhibi-teurs.Cependant, l’amifostine est surtout utilisée pour limiter lerisque de néphrotoxocité du cisplatine. Elle peut être res-ponsable d’hypotension,et son utilisation nécessite donc unesurveillance étroite.

HormonothérapieCertains cancers sont dits « hormonodépendants » carune hormone ou un groupe d’hormones stimule la proli-fération tumorale. En pratique deux cancers – le cancer

du sein et le cancer de la prostate – peuvent bénéficierde ce type de traitement.

Cancer du seinLes tumeurs du sein sont souvent stimulées par lesœstrogènes. Cela est lié à la présence dans une certaineproportion de cellules d’un récepteur à l’œstradiol (leplus souvent il y a aussi un récepteur à la progestérone).Ces récepteurs, qui sont présents chez environ 30 % despatientes, sont détectables en routine par analyse biochi-mique ou étude immunohistochimique. L’hormonothé-rapie du cancer du sein consiste donc à provoquer uneprivation œstrogénique (ou à masquer la présence d’œs-trogène au tissu tumoral). Récemment on a insisté surl’existence d’une synthèse de dérivés œstrogéniques parla cellule tumorale elle-même, grâce à la présence d’unearomatase intratumorale.L’hormonothérapie peut être prescrite en situation adju-vante pour prévenir la survenue d’une récidive après letraitement de la tumeur primitive ou en situation méta-statique.

1. Modalités thérapeutiquesLes principales modalités employées sont de quatretypes : l’ovariectomie chirurgicale, la radiothérapie ova-rienne, l’ovariectomie chimique, et la prescription d’unprogestatif à fortes doses.L’ovariectomie chimique est réalisée en utilisant unagoniste de la luteinizing hormone-releasing hormone(LH-RH) qui fait cesser la production ovarienne d’œs-trogènes.L’agoniste de la LH-RH provoque une sécrétionbrusque et très importante de LH et de follicule stimu-ling hormone (FSH), suivie d’un épuisement completdes cellules de l’antéhypophyse, avec effondrement dela LH et de la FSH, et donc des hormones sexuelles sousleur dépendance. L’administration de progestérone àfortes doses met au repos l’hypophyse et provoque unebaisse de la concentration sérique en œstrogènes.Ces quatre procédures entraînent des ménopauses artifi-cielles définitives (ovariolyse chirurgicale ou radiothé-rapie ovarienne) ou provisoire (agonistes de la LH-RH,progestérone). Elles suppriment plus ou moins complè-tement la production ovarienne d’œstrogènes, mais lais-sent persister une production surrénale qui peut êtreimportante. Elles n’évitent pas non plus la productiondirecte des œstrogènes par la cellule tumorale.Deux autres types de procédures sont très souvent utili-sés, faisant appel à un inhibiteur compétitif des œstro-gènes, ou à un inhibiteur de l’aromatase.Le tamoxifène est un inhibiteur compétitif des œstro-gènes au niveau du récepteur à l’œstradiol. Il s’opposeainsi à l’action des œstrogènes d’origine ovarienne ousurrénalienne.Très bien toléré, il donne toutefois lieu à certaines com-plications peu fréquentes (hyperplasie endométriale,thromboses) et semble favoriser l’apparition de cancersendométriaux, mais avec une grande rareté qui ne faitpas obstacle à sa prescription. En revanche, le tamoxi-

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C H I M I O T H É R A P I E S A N T I C A N C É R E U S E S

fène semble protéger contre une tumeur du sein contro-latéral, et exerce une protection contre l’ostéoporose dela ménopause.L’aromatase est une enzyme responsable de la synthèsede toutes les hormones stéroïdiennes. Un dérivé déjàancien, l’aminogluthétimide (Orimetène) provoque uneinhibition de l’aromatase dans tous ses sites tissulaires,provoquant une « surrénalectomie médicale ». Ce médi-cament doit donc être escorté d’une corticothérapie desubstitution, et comporte un nombre notable de toxici-tés fonctionnelles. Trois médicaments plus spécifiquesont été récemment introduits en clinique : le formestane(Lantaron), le létrozole (Femara), et l’anatrozole (Ari-medex).L’agent le plus souvent utilisé de première intention estle tamoxifène donné seul chez les patientes ménopau-sées, et généralement associé à une ménopause artifi-cielle dans le cas contraire (car chez une patiente nonménopausée le tamoxifène peut favoriser des intolé-rances gynécologiques liées à une élévation des œstro-gènes sériques).

2. Réponses observéesen situations métastatiques

Les réponses provoquées par l’hormonothérapie ontdeux propriétés singulières. La durée moyenne de laréponse est modeste (environ 8 mois), il n’est pas rared’observer des réponses de longue durée (plusieursannées).Lorsque l’effet de l’hormonothérapie s’épuise, cela necorrespond pas obligatoirement à une perte de l’hormo-nodépendance, mais parfois à une accoutumance à lamédication employée. Il est donc possible d’obtenir unenouvelle réponse significative dans une proportionnotable de cas. Il faut pour cela changer de classe demédicaments.Lorsque, après une réponse à la nouvelle classe demédicaments, un échappement se manifeste, il est pos-sible d’observer à nouveau une efficacité par reprise demédicaments antérieurement actifs : séquence tamoxi-fène, aminogluthétimide, progestatifs, tamoxifène parexemple.

Cancer de la prostateCertaines cellules prostatiques normales et tumoralesvoient leur survie ou leur croissance stimulées par la 5-dihydrotestostérone. Ce dérivé hormonal peut êtreproduit par de nombreux tissus, dont la prostate elle-même à partir de la testostérone plasmatique ou à partirde dérivés androgéniques d’origine surrénale.

1. Modalités thérapeutiquesLe principe de l’hormonothérapie du cancer de la pros-tate est la privation en 5-dihydrotestostérone.Les modalités sont :– la castration (pulpectomie) ;– la prescription d’œstrogènes, qui n’est plus guère uti-lisée en dehors d’une urgence (obstruction urinaire)

parce qu’elle exposait à des complications vasculairesimportantes ;– l’administration d’agonistes de la LH-RH, réalisantun blocage hypophysaire.Ces trois procédures, équivalentes sur le plan des effets,n’inhibent que la production testiculaire de testosté-rone, et ne suppriment pas les androgènes surrénaux àpartir desquels peut s’effectuer une production de 5-dihydrotestérone.Les anti-androgènes ont pour objectif d’annuler l’inter-action de la 5-dihydrotestostérone et des récepteursprostatiques.Ce sont les anti-androgènes stéroïdiens (cyprotérone),et les anti-androgènes non stéroïdiens (flutamide).Administrés seuls, ils peuvent provoquer un accroisse-ment de la LH et une augmentation des androgènes quipeut circonvenir le blocage compétitif par les anti-androgènes. Pour cette raison, la prescription de baseest l’association d’une technique de castration et d’unanti-androgène.

2. Réponses observéesen situations métastatiquesLa réponse tumorale d’un cancer prostatique localisé oumétastatique à l’hormonothérapie est fréquente, sou-vent impressionnante. Sa durée moyenne est cependantmodeste, souvent inférieure à 1 an. Les réponses delongue durée sont rares.Après échappement à l’hormonothérapie, le relais parune autre hormonothérapie est peu souvent efficace et si une seconde réponse est observée, elle est habituelle-ment de très courte durée. Ces deuxièmes tentativessont effectuées par le choix d’un agent non encore uti-lisé. n

Cancérologie

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POUR APPROFONDIR

1 / Mode d’action des médicamentsanticancéreux

Effets antimitotique et cytotoxique

Les médicaments de chimiothérapie entraînent la diminution dunombre des cellules tumorales de deux façons distinctes souventassociées. L’effet antimitotique est une inhibition des divisions cellu-laires : le nombre des cellules produites étant diminué, la mort natu-relle des cellules tumorales aboutit à une diminution de la masse(inhibiteurs de la mitose). L’effet cytotoxique est une accélération dudécès des cellules tumorales (phénomènes de lyse au cours des hémo-pathies).

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C H I M I O T H É R A P I E S A N T I C A N C É R E U S E S

• La classification des anticancéreux selon leurmécanisme d’action principal permet dedistinguer les médicaments ayant pour cibleunique une enzyme, les médicaments ayant pourcible le génome, et les médicaments agissant surl’appareil microtubulaire de la mitose.• La classification cinétique des anticancéreuxpermet de distinguer les médicaments selon leurdépendance vis-à-vis du cycle cellulaire et de laphase du cycle cellulaire. Il en découle enparticulier des modalités d’administrationdifférentes, des relations dose-effet différentes, etdes possibilités de combinaisons entre plusieursmédicaments.• Le cancer du sein et le cancer de la prostatesont très souvent sous la dépendance de facteursde croissance hormonaux, et donc sensibles à unehormonothérapie.

Points Forts à retenirSpécificité

Les effets antimitotique et cytotoxique sont susceptibles de s’exerceraussi bien contre les cellules tumorales qu’on souhaite éliminer quecontre les cellules normales que l’on veut conserver. Une certaine spé-cificité antitumorale peut s’exercer par une captation privilégiée parles cellules tumorales, ou par le fait que la capacité de récupérationdes cellules normales est supérieure à celles des cellules tumorales.Cette spécificité est cependant faible pour la plupart des médicamentset le rapport efficacité/toxicité est très bas ; cette gamme de médica-ments est par conséquent d’un maniement délicat et dangereux.

2 /Résistances spécifiques à un médica-ment– la cytosine arabinoside (Aracytine) peut être détruite par un excès decytidine déaminase plasmatique ou intracellulaire ; il peut être renduinefficace par carence d’une enzyme intracellulaire nécessaire à son acti-vation, la cytidine kinase ;– le méthotrexate agit en inhibant la dihydrofolate réductase, enzymeimpliquée dans la synthèse de la thymidine. Cette enzyme peut êtreconsidérablement accrue, rendant le méthotrexate incapable de l’inhiberen totalité. Cet accroissement qui suit généralement une prescriptionantérieure de méthotrexate, est lié à une amplification génétique ou à unehyperactivité transcriptionnelle.

La douleur thoracique est un problème fréquent etdifficile. Les éventualités étiologiques sont nom-

breuses, mais les affections graves ont souvent une tra-duction clinique évocatrice. Le cœur, la plèvre, lemédiastin, la paroi thoracique, le rachis, peuvent être àl’origine d’une douleur thoracique. Le poumon, quant àlui, est un organe insensible, mais son atteinte peutentraîner une douleur par le biais de la compressiond’organes de voisinage. Enfin, la souffrance d’organessous-phréniques peut avoir une traduction clinique tho-racique : c’est dire que le problème est complexe et queles tableaux sont souvent trompeurs.Nous envisagerons donc:- le bilan systématique à effectuer devant toute douleurthoracique ;- la conduite à tenir devant une douleur suraiguë : c’estun problème d’urgence car le pronostic vital est souventen jeu à court terme ;- la conduite diagnostique devant une douleur chro-nique : problème de consultation.

Bilan à effectuerdevant toute douleur thoracique

Interrogatoire

Il porte sur les caractères de la douleur et les antécé-dents. Sa valeur est capitale pour l’orientation diagnos-tique et l’indication des examens paracliniques.

1. Caractères de la douleur

Il importe de préciser :• le siège, précordial ou non ; l’étendue, localisée punc-tiforme ou au contraire diffuse rétrosternale ;• le type, superficiel ou profond en recherchant surtoutun caractère constrictif ;• les irradiations: vers le dos, les épaules, les poignets,la mâchoire, elles évoquent une pathologie coronaire ;• l’ancienneté, la durée, l’allure évolutive ;• les circonstances d’apparition :spontanée, lors d’uneffort, ou au contraire dans certaines positions (procubi-tus) ou lors de certains mouvements (rotation du tronc) ;• les facteurs atténuants : positionnels(genu-pectora-le) orientant sur le péricarde, ou médicamenteux (trini-trine) qui évoquent une angine de poitrine ;• les signes d’accompagnement :– signes fonctionnels : respiratoires (dyspnée, toux,expectoration, hémoptysie), cardio-vasculaires (palpita-tions, lipothymies), digestifs (nausées, vomissements,hoquet, pyrosis),– signes généraux : fièvre, anorexie, amaigrissement ;• l’intensité n’a de valeur que si la douleur est très inten-se : elle oriente alors vers une origine cardiovasculaire.

2. Antécédents

On tient bien sûr compte :• du contexte :traumatisme, alitement, chirurgie ouaccouchement récent, pathologie générale évolutive(cancer, connectivite) ;• des facteurs de risque :tabagisme, exposition profession-nelle (amiante), maladie athéromateuse, hypertension arté-rielle, hypercholestérolémie, diabète, antécédents familiaux.

Douleur thoraciqueA 6

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Douleur thoracique Orientation diagnostique

Pr Michel KREMPF, Dr Jean-Marie MERAULTService de pneumologie, CHU Purpan, 31059 Toulouse cedex.

• La complexité des constituants anatomiquesdu thorax explique le grand nombre d’affectionspouvant être à l’origine d’une douleurthoracique.• Les tableaux suraigus posent un problèmed’urgence : il faut très rapidement éliminerles affections cardiovasculaires ou respiratoiresqui peuvent mettre en jeu le pronostic vitalimmédiat.• Les autres tableaux posent un problèmede consultation parfois difficile, car les causessont multiples et la gravité de la maladie trèsvariable. De plus, une pathologie abdominalepeut se traduire par une douleur thoracique.• Habituellement, le bilan clinique et paracliniquebien conduit permet de résoudre le problème.Le cas le plus difficile reste celui des douleursde type coronaire à bilan cardiaque normal.

Points Forts à comprendre

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On recherchera principalement :• des antécédents thromboemboliques,même peu évo-cateurs comme une phlébite superficielle, des épisodesdyspnéiques ou douloureux paroxystiques atypiques ;• des antécédents coronairesqui peuvent être typiques,mais aussi prendre le masque d’une blockpnée d’effort,d’une brûlure, d’un écrasement de la cage thoracique.

Examen physique

Il doit être complet :• l’inspection portera, en particulier, sur le thorax (ven-tilation paradoxale, circulation collatérale), sur le visage(syndrome de Claude Bernard-Horner), sur les mains(cyanose, hippocratisme digital) ;• la palpationest un temps capital : le réveil d’une dou-leur localisée signe son origine pariétale ; une apophyseépineuse douloureuse oriente vers une cause rhumatolo-gique ou neurologique ; un mollet douloureux peut êtrel’indice d’une maladie thromboembolique ; la mesurede la tension artérielle est systématique aux deux brasainsi que la palpation des pouls périphériques ;• la percussion et l’auscultationpourront apporter deséléments en faveur d’une origine cardiovasculaire ourespiratoire.

Examens paracliniques

Dans la mesure des possibilités, on demande toujours :– une radiographie thoracique de face et de profil (RT) ;– un électrocardiogramme (ECG) ;– une gazométrie artérielle ;– une étude des enzymes : transaminases, créatine phos-phokinase (CPK), amylase, lipase.Au terme de ces examens, il existe souvent une forteorientation diagnostique ; d’autres examens paracli-niques pourront être demandés pour confirmer cetteorientation.

Douleur aiguë ou suraiguë

Signes de gravité immédiate

Leur existence commande l’hospitalisation en milieu desoins intensifs ; elle peut imposer des gestes de réani-mation et la réalisation d’examens paracliniques parti-culiers avant toute autre démarche diagnostique.

1. Signes cardiovasculaires

On recherche :– collapsus, état de choc, poussée hypertensive ;– signes d’insuffisance cardiaque gauche : galop, râlescrépitants aux bases pulmonaires, opacités radiolo-giques périhilaires bilatérales, « en ailes de papillon » ;

– signes d’insuffisance cardiaque droite aiguë : tachy-cardie, hépatomégalie douloureuse, reflux hépato-jugu-laire.

2. Signes respiratoires

On recherche :– polypnée sévère ;– encombrement bronchique avec épuisement respira-toire (tachypnée, tirage) ;– hypoxie sévère : cyanose, troubles de la conscience ;– hypercapnie aiguë : sueurs, agitation, hypertensionartérielle.

Cinq diagnostics à évoquer en priorité

Ils sont à rechercher après avoir rapidement éliminé unecause pariétale par la palpation.

1. Infarctus du myocarde

• Le diagnostic est facile quand :– il s’agit d’un coronarien connu ayant présentéquelques heures ou quelques jours auparavant des crisesangineuses plus ou moins prolongées ;– la douleur est intense, rétrosternale, constrictive, éten-due, irradiant largement au cou, à la mâchoire, au bras,indépendante de l’effort, résistant aux dérivés nitrés ;– l’ECG affirme le diagnostic en montrant des troublesde la repolarisation (ischémie-lésion) et parfois desondes Q de nécrose dans le territoire concerné.• Le diagnostic est parfois moins évident quand :– la douleur est moins intense, associée à un hoquet oudes nausées ;– il existe des troubles du rythme cardiaque et quel’ECG ne montre pas d’onde Q.Le dosage de la myoglobinémie et de la troponine san-guine a un intérêt essentiel, surtout la troponine qui s’élè-ve 2 heures après la douleur initiale. La myoglobinémies’élève plus tôt. Enfin, la troponine reste élevée plusieursjours. L’absence d’élévation plusieurs heures après unedouleur élimine l’infarctus. Les CPK plasmatiques et enparticulier leur fraction MB s’élèvent plus tardivement.Il faut toujours rechercher d’éventuelles complications :insuffisance cardiaque gauche ; troubles du rythme oude la conduction ; souffle cardiaque traduisant la ruptured’un pilier ou une perforation septale ; tamponnade.

2. Dissection aortique

C’est une douleur spontanée, brutale, intense à type dedéchirement ; elle est migratrice, d’abord antérieurepuis scapulaire, dorsale, lombaire.Le diagnostic est évoqué sur :– le terrain : hypertension artérielle ou dystrophie dutissu élastique ;– la clinique : perception d’un souffle diastolique d’in-suffisance aortique avec diminution ou abolition des

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D O U L E U R T H O R A C I Q U E : O R I E N T A T I O N D I A G N O S T I Q U E

pouls périphériques ; il peut exister un frottement péri-cardique, des signes neurologiques en foyer ;– la radiographie thoracique qui montre un élargisse-ment du médiastin supérieur avec, parfois, un aspect endouble contour de l’aorte ;– l’ECG peut être paradoxalement normal devant cetableau clinique d’infarctus, ou montre des anomaliesnon spécifiques de la repolarisation ;– le diagnostic est affirmé par l’échographie transœso-phagienne pour les dissections de l’aorte ascendante, latomodensitométrie thoracique pour les autres segments.

3. Péricardite aiguë

La douleur est précordiale, constrictive et surtoutdurable ;– elle est exagérée par la toux, l’inspiration profonde, ledécubitus dorsal ;– elle est diminuée par la position genu-pectorale ;– elle s’accompagne souvent de fièvre, toux, dyspnée,dysphagie.À l’examen, le frottement péricardique est inconstant.La radiographie thoracique montre typiquement un élar-gissement de l’ombre cardiaque qui prend une forme tri-angulaire, mais elle peut être normale.L’ECG peut montrer un sous-décalage de PQ mais sur-tout des troubles diffus de la repolarisation de type« concordant » (pas d’image en miroir).C’est, en fait, l’échocardiographie qui confirme le dia-gnostic en montrant un espace vide d’écho entre l’épi-carde ventriculaire et le péricarde pariétal.La tamponnade, conséquence d’un épanchement massif,entraîne des signes d’insuffisance cardiaque droite. Ellerelève de la ponction évacuatrice et souvent de la fenes-tration chirurgicale. L’analyse du liquide de ponction etla biopsie permettront souvent le diagnostic étiologique.

4. Embolie pulmonaire

La douleur est brutale, associée à une polypnée et à uneangoisse.Le diagnostic est évoqué sur un faisceau d’arguments :– le contexte ou les antécédents évocateurs ;– la clinique : tachycardie anormalement élevée parrapport à la fébricule (38˚ C) ; signes de phlébite quiaffirment la maladie thromboembolique ; signes d’insuf-fisance cardiaque droite ; signes d’insuffisance respi-ratoire aiguë.Les examens paracliniques montrent le retentissementfonctionnel de l’embolie :– la radiographie thoracique peut mettre en évidenceune hyperclarté parenchymateuse localisée avec dilata-tion correspondante de l’artère pulmonaire ;– l’ECG peut montrer des signes de coeur pulmonaireaigu avec dextrorotation (S1Q3), déviation axiale droite,bloc de branche droit et inversion de l’onde T dans lesprécordiales droites ;– la gazométrie artérielle peut objectiver un « effetshunt » avec hypoxie-hypocapnie.En fait, la présentation clinique est très polymorphe, les

examens paracliniques habituels ne permettent pas undiagnostic de certitude et sont souvent en défaut.Le diagnostic ne sera finalement affirmé que par l’écho-graphie-doppler veineux des membres inférieurs quiconfirme la maladie thrombo-embolique, la scintigra-phie pulmonaire de perfusion, la tomodensitométrie àbalayage spiralé volumique, qui ont remplacé la phlé-bographie et l’angiopneumographie.Dans les formes graves, l’échocardiographie signe lecaractère massif de l’embolie quand elle montre unedilatation des cavités droites avec septum paradoxal.Dans les formes atypiques, en particulier chez l’insuffi-sant respiratoire, le problème est surtout d’éliminer lediagnostic. Le dosage des D-dimères (techniqueELISA) a une forte valeur prédictive négative s’il estinférieur à 250 unités.

5. Pneumothorax

La douleur est brutale, à type de point de côté en « coupde poignard ». Elle peut s’associer à une toux, une dyspnée, une tachy-cardie, des signes d’insuffisance respiratoire aiguë.L’examen physique retrouve une distension hémithora-cique, un silence ventilatoire, une abolition des vibra-tions vocales, un tympanisme.C’est la radiographie thoracique qui fait le diagnostic enmontrant : une distension thoracique avec hyperclartépériphérique et absence de trame vasculaire ; un pou-mon rétracté au hile et dont on peut suivre les contours ;dans ce tableau un refoulement du médiastin du cotésain est fréquent et le drainage s’impose en urgence.

Autres causes

1. Pathologie coronarienne

• Angor de Prinzmetal :c’est un angor spastique, derepos. L’ECG peut montrer un courant de lésion sous-épicardique ; la coronarographie s’impose et un test auMéthergin peut être nécessaire pour mettre en évidencele spasme.• Angor instable :angor « de novo » d’effort et (ou) derepos ou aggravation d’un angor préexistant.Dans les deux cas, l’hospitalisation en centre de soinsintensifs s’impose.

2. Pathologie respiratoire

• Pneumopathie aiguë :le diagnostic est faciledevant un tableau de pneumopathie franche lobaireaiguë ; la douleur brutale à type de point de côté,survient dans un contexte de frissons et d’hyperther-mie ; l’examen retrouve un syndrome de condensa-tion localisé avec une abolition du murmure vésicu-laire, souffle tubaire entouré par une couronne derâles crépitants ; la radiographie thoracique montre

Douleur thoracique

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une opac i té systémat isée de type a lvéo la i re .Les pneumopathies atypiques réalisent un tableaumoins évocateur, associant parfois des signes extra-respiratoires, mais la radiographie thoracique permeten règle de faire le diagnostic.• Les pleurésiespeuvent également se traduire par unpoint de côté très brutal et intense, quelle que soit leurnature et leur origine. Le diagnostic repose sur : la cli-nique avec une douleur augmentée par l’inspiration pro-fonde, accompagnée par une toux sèche et quinteuse,une dyspnée parfois sévère, une matité avec abolitiondes vibrations vocales et parfois frottement pleural ; laradiographie thoracique montre une opacité homogène,non systématisée, comblant le sinus costo-diaphragma-tique et dont la limite supérieure dessine la « courbe deDamoiseau » concave en haut et en dedans.Quand la dyspnée est intense, la ponction évacuatricevoire le drainage s’imposent.Le diagnostic étiologique repose sur les antécédents, laponction pleurale et surtout la biopsie de plèvre éven-tuellement guidée par la thoracoscopie.

3. Pathologie abdominale

Beaucoup plus rarement, c’est une pathologie abdomi-nale qui est à l’origine de la douleur :• Rupture de l’œsophagequi s’accompagne d’une dys-pnée, d’un emphysème sous-cutané précordial et sus-sternal.• Pancréatite aiguëqui peut simuler un infarctus dumyocarde, mais le dosage de l’amylasémie et de la lipa-sémie permet de redresser le diagnostic.Citons : l’étranglement d’une hernie hiatale, l’ulcèrejuxtacardial, le syndrome de Mallory-Weiss qui repré-sentent des éventualités rares.

Douleur chronique

Il s’agit de douleurs prolongées, répétées dans le temps.C’est un problème de consultation, peut-être le cas leplus difficile car les causes sont multiples, et la gravitédu pronostic n’est pas toujours parallèle à l’intensité dela douleur ; la hantise reste la douleur coronaire.

Causes cardiovasculaires

1. Angine de poitrine (angor)

Elle est de diagnostic facile si :– la douleur est rétrosternale, brève, constrictive « engriffe », irradiant vers le bras gauche et le territoirecubital ;– survenant à l’effort, en montée, par temps froid, elleimpose l’arrêt de l’effort ;– elle cède rapidement à l’arrêt de l’effort ou aprèsadministration de trinitrine ;

– elle s’accompagne de troubles de la repolarisation àl’ECG qui peut montrer une surélévation du point J.Le diagnostic peut être plus difficile si :– l’angor survient au repos, au primo-décubitus ;– l’ECG est normal entre les crises.C’est l’ECG d’effort et (ou) la coronarographie quiconfirment le diagnostic et précisent les indications thé-rapeutiques.

2. Péricardite chronique constrictive

Elle entraîne une douleur rétrosternale associée à unfrottement péricardique et des signes d’insuffisance car-diaque droite. Le diagnostic est évoqué sur des antécé-dents de péricardite aiguë, de tuberculose, d’irradiationthoracique. Il est confirmé par la radiographie thora-cique qui peut montrer des calcifications péricardiques,l’échocardiographie, enfin le cathétérisme droit (dip pla-teau).

3. Cardiomyopathie hypertrophique,rétrécissement aortique, prolapsus mitral

Ils peuvent se révéler par des douleurs de type angi-neux ; l’échographie cardiaque et (ou) le cathétérismegauche confirment le diagnostic.

Causes pleuro-pulmonaires

1. Causes pleurales

En dehors des pleurésies qui peuvent se traduire par unedouleur chronique, il faut penser au mésothéliome: c’estune tumeur pleurale qui réalise à la radiographie thora-cique une opacité périphérique mamelonnée et peuts’associer à un épanchement pleural liquidien. La notiond’exposition à l’amiante a une forte valeur d’orientationet le diagnostic sera finalement affirmé par l’examencytologique du liquide pleural et surtout la biopsie deplèvre.

2. Causes pulmonaires

En dehors de l’embolie pulmonaire, il faut penser aucancer bronchiquequi peut se révéler par une douleurlorsqu’il existe une compression nerveuse, une pleurésieassociée ou un envahissement pariétal. Le diagnostic estévoqué par l’opacité radiographique chez un sujet taba-gique ; la fibroscopie bronchique s’impose et la biopsiede la tumeur affirme le diagnostic.Les tumeurs apicales peuvent entraîner un syndrome dePancoast Tobias avec névralgie cervico-thoracique etsyndrome de Claude Bernard Horner.Beaucoup plus rarement, des douleurs thoraciques, par-fois d’effort, peuvent révéler une hypertension artériellepulmonaire primitive.Enfin, des douleurs peuvent s’observer dans lessemaines suivant une pneumopathie aiguë : il fautalors penser à la possibilité d’une pleurésie ou d’une

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D O U L E U R T H O R A C I Q U E : O R I E N T A T I O N D I A G N O S T I Q U E

abcédation. Au moindre doute, une fibroscopie serapratiquée afin d’éliminer une néoplasie associée.

Causes pariétales

La douleur est réveillée par la palpation.Très souvent, il s’agit d’une arthrite chondrocostale quiréalise une douleur localisée latéro-sternale avec pointdouloureux précis à la palpation. Il s’y associe parfoisun gonflement localisé réalisant le syndrome de Tietze.Cette affection parfois très douloureuse guérit par infil-tration de Xylocaïne et de corticoïdes.Plus rarement, il peut s’agir d’une fracture costale post-traumatique ou tumorale confirmée par la radiographiedu gril costal. Une cellulite est toujours possible mais,surtout, le zona, avec sa douleur en hémi-ceinture précé-dant l’éruption, peut simuler une compression radiculaire.La radiographie, la tomodensitométrie, l’imagerie parrésonance magnétique (IRM), révèlent parfois unetumeur vertébrale, une spondylodiscite infectieuse, voireun neurinome.

Causes digestives

Le spasme de l’œsophage peut entraîner une douleurrétrosternale constrictive qui peut en imposer pour unangor. Le diagnostic est évoqué devant une symptoma-tologie de dysphagie aux liquides glacés, calmée par lesantispasmodiques et les inhibiteurs calciques, affirmépar la manométrie œsophagienne. Citons également la hernie hiatale, le reflux gastro-œso-phagien (pyrosis postural, confirmé par la pH-métrie), lecancer de l’œsophage. C’est l’existence des signes asso-ciés (hypersialorrhée, hoquet, dysphagie douloureuse)qui orientent vers l’appareil digestif haut. Enfin, un ulcère de l’estomac, un cancer du pancréas,une colique hépatique, une colite, peuvent également enimposer pour une douleur d’origine thoracique. C’estsouligner l’importance d’un examen clinique complet.Au total, les causes possibles d’une douleur thoraciquesont très nombreuses mais, en pratique, le problèmeessentiel est représenté par les douleurs de type angi-neux à coronarographie normale.Plusieurs voies diagnostiques paraissent intéressantes àexplorer :

– l’hypothèse digestive : certains patients présentent unehyper-irritabilité œsophagienne pouvant être à l’originedu syndrome douloureux (des tests de perfusion d’acidedilué, de manométrie œsophagienne permettront deconfirmer le diagnostic et de rassurer le malade) ;– l’hypothèse cardiaque : chez certains patients, en par-ticulier les femmes âgées, il existerait une anomalie dela microcirculation coronaire à l’origine d’un angormicro-vasculaire ou syndrome X (en pratique, si lacoronarographie, la scintigraphie myocardique, le testau Méthergin sont normaux, on écarte le diagnostic demaladie coronarienne) ;– reste l’hypothèse psychique : on retrouve souventchez ces patients un terrain particulier (anxiété, panique,somatisation), un « cœur hypersensible » (au cathétéris-me, au produit de contraste) mais c’est, bien sûr, un dia-gnostic d’élimination. M

Douleur thoracique

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• Une douleur thoracique qui s’accompagnede signes de gravité met en jeu le pronostic vitalet impose le transfert en milieu de soins intensifspour la réalisation en urgence d’examensparacliniques spécialisés.• Une douleur chronique, une fois éliminéeune origine pariétale, peut traduire une maladiepleuro-pulmonaire ; dans ce cas, clinique et radiographie thoracique permettent de cernerle problème et de demander les examensparacliniques décisifs.• Certains tableaux d’embolie pulmonairepeuvent être très trompeurs : l’échographiedoppler veineux des membres inférieurs est,ici, d’un intérêt capital, quand elle montreune thrombose veineuse.• Il peut s’agir, aussi, d’une pathologieabdominale à traduction thoracique.• Mais le problème essentiel est celui de la maladiecoronaire et de la conduite thérapeutiqueà adopter quand le tableau clinique est atypique.La difficulté est maximale quand le bilancardiaque habituel est normal. En fin de compte,coronarographie, scintigraphie myocardique ettest au Méthergin restent les éléments clésdu diagnostic.

Points Forts à retenir

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Anatomie pathologique

B 323

Formes anatomo-cliniquesde l’inflammationLes cellules de l’inflammation, principaux médiateurs de l’inflammation ; le granulome inflammatoire

Pr Frédérique CAPRONService d’anatomie et de cytologie pathologiques, hôpital Antoine-Béclère, 92140 Clamart cedex

• L’inflammation est la mise en jeu par unorganisme vivant de moyens de défense pourpréserver, en réponse à une agression, son intégritéet son homéostasie.• Le même type de réaction peut être provoqué pardes agressions différentes. La réaction peut êtrenon adaptée ou, au contraire, adaptée à uneagression particulière et mettre en jeu le systèmeimmunitaire complexe.• La chronologie du processus est classiquementdécrite en trois phases : aiguë ou vasculo-sanguine,cellulaire, puis de cicatrisation. Une inflammationpeut être considérée comme plutôt « aiguë » ouplutôt « chronique ».

Points Forts à comprendre Cellules de l’inflammation

Polynucléaires neutrophiles

Sur le site de l’inflammation ils libèrent : des myélope-roxydases, lysozymes, élastases, hydrolases, collagénases,et protéines cationiques. Ils présentent des récepteurs mem-branaires responsables de leurs propriétés d’adhérence, dechémotactisme, de migration, endocytose, et phagocytose.Ils meurent sur le site et sont phagocytés par les macro-phages.

Phagocytes mononucléés

Les monocytes (circulants) proviennent de la moelleosseuse. Dans le secteur extravasculaire, ils deviennent deshistiocytes. Certains sont dits résidents (présents en dehorsde l’inflammation, constituants normaux des tissus) : cel-lules de la microglie dans le cerveau, cellules de Kupfferdes sinusoïdes hépatiques, histiocytes des cordons de larate, des sinus médullaires, et macrophages alvéolaires.L’inflammation recrute les deux types de cellules histio-cytaires. Leurs fonctions sont adsorption et lyse d’agentpathogènes, présentation des antigènes aux lymphocytesT, résorption de substances étrangères et de débris.Ils sécrètent des cytokines, interleukine-1, tumor necrosisfactor (TNFα)… Ils participent à l’agression tissulaire parla libération de métabolites de l’oxygène, de protéases, dechémoattractants pour les neutrophiles ; ils activent les fac-teurs de la coagulation, apportent des métabolites de l’acidearachidonique et du monoxyde d’azote.Ils participent à la fibrogenèse et l’angiogenèse par le biaisde facteurs de croissance : platelet derived growth factor(PDGF), fibroblast growth factor(FGF), transforminggrowth factor(TGFβ) ; au remodelage cellulaire par l’ap-port de collagénases. Ils présentent l’antigène par le com-plexe majeur d’histocompatibilité (CMH II).Dans certaines situations, ils ont la capacité de se trans-former en cellules de morphologie particulière, reconnais-sable en histologie standard, dite cellule épithélioïde, et encellule géante de type Langhans ou encore en cellule géantede réaction à corps étranger (cf. « Granulome inflamma-toire »).

L’organisme est constamment exposé à des agresseurs aupremier rang desquels viennent les agents pathogènes (bac-tériens, viraux et parasitaires) ; les agents physiques (rayonsultraviolets, radioactivité, rayons X, chaleur et agents chi-miques). Certaines agressions sont plus sophistiquées, desource interne, provenant d’une dérégulation de l’orga-nisme lui-même.Les phénomènes de défense prennent place dans le tissuconjonctif commun. Les capillaires (microcirculation)véhiculent les cellules (polynucléaires, lymphocytes,monocytes, plaquettes) et les facteurs humoraux non figu-rés (amines, système du complément, facteurs de la coa-gulation). Les lymphatiques permettent un pompage pas-sif des fluides (lymphe) et en partie la recirculation decertaines cellules (lymphocytes, macrophages, et cellulesaccessoires comme les cellules dendritiques).L’organisme est naturellement protégé des agressionsusuelles au niveau de la peau (acide lactique, acides gras,sueur), des voies aériennes respiratoires supérieures et infé-rieures (cils, battement ciliaires, mucus, sécrétions), desvoies digestives supérieures (salive, suc gastrique, floresaprophyte), des organes génitaux externes (flore sapro-phyte), et des yeux (larmes).

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F O R M E S A N A T O M O - C L I N I Q U E S D E L ’ I N F L A M M A T I O N

mastocytes, soit par activation d’une fraction du complé-ment, soit par l’effet de protéine cationique des poly-nucléaires ou par libération de neuropeptides.

CytokinesLes cytokines (monokines, lymphokines) forment ungroupe de protéines multifonctions jouant un rôle essen-tiel dans les communications intercellulaires, et notammententre les acteurs du processus inflammatoire. Elles agis-sent sur les cellules cibles par l’intermédiaire de récepteursspécifiques. Elles sont sécrétées par différents types cellu-laires dont les lymphocytes, macrophages, fibroblastes, cel-lules endothéliales, plaquettes, et quelques autres cellules(dont des cellules épithéliales). Elles forment un réseaucomplexe de régulation et d’activation. Elles ont des pro-priétés d’activation et d’induction de la production et dematuration de certains éléments cellulaires. L’interleukine(IL)-1 est sécrétée par les monocytes et macrophages etagit essentiellement sur le lymphocyte T, mais aussi sur lesmacrophages et polynucléaires neutrophiles. L’actionmajeure de IL-1 est de promouvoir la sécrétion de IL-2 parles lymphocytes T helper et d’accroître l’expression desrécepteurs à IL-2. Elle a un effet chémotactique pour lespolynucléaires et monocytes. IL-2 est essentiellement unfacteur de croissance pour les lymphocytes T et B. L’in-terféron (IFNγ) active l’expression des récepteurs des cel-lules présentatrices d’antigène, il augmente l’expressiondes récepteurs à l’IL-2, l’activité des lymphocytes T cyto-toxiques, la production de TNF, et l’activité macrophagiquedes macrophages. Le TNF est produit par les macrophageset lymphocytes. Il agit en synergie avec IL-1 et induit l’ex-pression des molécules d’adhésion sur les cellules endo-théliales et les polynucléaires et active ces derniers.

Granulome inflammatoireCe terme décrit en français le moment de l’inflammationoù sont présents les acteurs cellulaires essentiels. C’est àcette phase que le pathologiste peut au mieux analyser leslésions pour y trouver des indices étiologiques, et des cel-lules histiocytaires de morphologie particulière. En effet,dans certaines conditions les histiocytes macrophages sontcapables de se transformer en cellules épithélioïdes. Lecytoplasme est pâle, le noyau allongé, la chromatine estfine et marginée et le nucléole proéminent. Ces cellulespeuvent fusionner, former des plasmodes reconnaissables(cellules de très grande taille, multiples noyaux disposésen périphérie du cytoplasme, en couronne), ou cellulesgéantes de Langhans. Les cellules épithélioïdes et géantesde Langhans se forment au cours de réactions cellulairesimmunes de type hypersensibilité retardée. Elles formentavec des lymphocytes des petits groupes cellulaires dénom-més follicules, ou granulomes épithélioïdes et gigantocel-lulaires, ou tuberculoïdes. Ils témoignent de la mise en jeude réaction de défense adaptée, immune de type cellulaire.Granuloma en anglais se rapporte aux lésions comportantdes cellules épithélioïdes et géantes de type Langhans. Ilest prudent de dire en français, granulome épithélioïde etgigantocellulaire, ou granulome tuberculoïde. La consta-

Lymphocytes et mécanismes immunitairesLes lymphocytes naissent dans la moelle osseuse et vontdans le sang et les tissus lymphoïdes. Ils sont de deux types,B et T. Les lymphocytes B donnent par différenciation lesplasmocytes producteurs d’immunoglobulines. L’immu-nité cellulaire (réaction cellulaire) répond à l’intrusiond’antigènes absorbés et présentés par les macrophages, àl’abri de l’action des anticorps. Les réactions inflamma-toires à médiation cellulaire caractérisent la réaction d’hy-persensibilité (exemple : tuberculose, sarcoïdose).

Autres facteurs cellulairesCe sont les polynucléaires éosinophiles (phénomènes aller-giques, parasitaires) ; les mastocytes (contiennent de l’his-tamine, réaction immédiate) ; les cellules du tissu conjonc-tif : cellules endothéliales (présentent aux acteurs cellulairescirculants les molécules d’adhésion ; sécrètent des cyto-kines ; leur multiplication et leur migration sont indispen-sables à l’angiogenèse, facteur clé de la réparation tissu-laire) et les fibroblastes (sécrètent les composants de lamatrice extracellulaire et la collagénase ; peuvent devenirdes myofibroblastes contractiles).

Principaux médiateursde l’inflammationBien que non visibles sur le site inflammatoire, les média-teurs humoraux interviennent activement dans le déclen-chement et le développement de la réaction (biochimie etbiologie moléculaire de la réaction inflammatoire).

Système du complémentIl intervient dans le phénomène inflammatoire comme dansl’immunité. Il s’agit de l’activation en cascade de molé-cules par la voie classique (Antigène-Anticorps) ou par lavoie alterne (bactéries) C1, C9, C3, C5. Il y a un effet vas-culotrope de C3a et C5a ; chémotactique de C5 (pour lespolynucléaires et les macrophages), d’activateur de la pha-gocytose des bactéries pour les polynucléaires.

Facteurs de la coagulationLa fibrine qui sédimente dans le site de l’inflammation àla phase aiguë est le résultat de l’activation de la fibrino-genèse.

Dérivés de l’acide arachidoniqueLes dérivés de l’acide arachidonique sont les leucotriènes,la prostacycline, le thromboxane A et les prostaglandines.Les cytokines sont apportées par les différents acteurs cel-lulaires mobiles sur le site ou résidants.

Amines vasoactivesIl s’agit de l’histamine sécrétée par les mastocytes, de lasérotonine des plaquettes, du système des kinines et de cer-taines fractions du complément et de la coagulation. Parexemple l’histamine qui entraîne une vasodilatation courteinactivée par l’histaminase, peut être sécrétée soit par uneaction physique, soit par l’activation d’un antigène sur les

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Anatomie pathologique

tation de lésions de ce type dans un tissu est importantepour la démarche diagnostique anatomopathologique : celapermet de passer en revue toute une liste étiologique etd’affiner l’étude histologique (colorations spéciale à larecherche d’agents pathogènes bactériens), biologique etclinique.

Les macrophages peuvent au cours d’une réaction decontact provoquée par l’intrusion de structures non anti-géniques, « corps étrangers », se regrouper autour des struc-tures, et fusionner dans une réaction plus ou moins efficaced’englobement. Cette réaction peu ou pas immune est dite« réaction à corps étranger ». Les macrophages fusionnéssont des cellules géantes qui contiennent parfois des parti-cules résorbées (fragment de corps étranger, lipides…).

Prélèvement pulmonaire avec des lésions inflammatoiressurtout chroniques. En l’absence de « piste » pour qualifier plus« spécifiquement ou particulièrement » l’inflammation, lepathologiste pourra tout de même être utile en faisant un étatdes lieux, par exemple ici : fibrose (la lésion évolue depuis uncertain temps) récente, jeune et cellulaire.

4

Prélèvement pulmonaire : signes d’inflammation aiguë durevêtement d’une petite voie aérienne. Dans le revêtement :signes très évocateurs d’infection par virus herpès (cellules mul-tinuclées dont les noyaux ont des inclusions).

3

Prélèvement de poumon : présence de granulomes épithé-lioïdes et gigantocellulaires dans le tissu ; ils sont particulierspar la bonne limitation, il n’y a pas de nécrose, les lésions sontmonomorphes ; on pense avant tout au diagnostic de sarcoï-dose.

1

Prélèvement ganglionnaire : inflammation avec cellulesgéantes et épithélioïdes. On pense à rechercher une infection àmycobactéries ; la coloration de Ziehl met en évidence desbacilles acido- et alcoolo-résistants, la spécificité des lésions estcomplète.

2

Types et formesde l’inflammation communeet spécifique

Pour le pathologiste, « aigu » est caractérisé par la présencedes signes de la phase aiguë de l’inflammation ; la notionde chronicité est retenue devant un infiltrat cellulaire à lym-phocytes, plasmocytes ou macrophages, ou la présenced’une réaction de réparation conjonctive. Dans un site peu-vent cohabiter les différents aspects, les signes histolo-giques de chronicité témoignant a priori de la durée deslésions, les signes aigus de la persistance de l'agression.

L’inflammation aiguë peut être à prédominance congestive(causan tun érythème muqueux ou cutané), œdémateuse,

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F O R M E S A N A T O M O - C L I N I Q U E S D E L ’ I N F L A M M A T I O N

• Les principales cellules de l’inflammation sont les polynucléaires neutrophiles, les phagocytesmononucléés et les lymphocytes.• Les médiateurs humoraux de l’inflammationsont le système de complément, les facteurs de la coagulation, les dérivés de l’acidearachidonique, les amines vasoactives, et les cytokines.• Le granulome inflammatoire se caractérise par la présence des différents acteurs cellulaires de l’inflammation. On y recherche des indicesétiologiques, et la présence de cellules épithélioïdeset de cellules géantes qui caractérisent le granulome épithélioïde et gigantocellulaire.

Points Forts à retenir

POUR APPROFONDIR

Chronologie de l’inflammation La réaction précoce constitue l’inflammation aiguë, suivie de l’afflux decellules immunocompétentes puis de phénomènes de réparation et derégénération. L’inflammation peut suivre un cours plus complexe si laréparation est inadéquate ou anormale. Ce schéma théorique n’est pastoujours facile à décortiquer sur les coupes histologiques. La réactioninflammatoire in vivo est active et changeante d’un instant à l’autre ; laplupart des acteurs cellulaires sont plus ou moins mobiles. La vision his-tologique des événements sur une coupe est un cliché saisi à un instantdonné. Néanmoins certaines phases se prolongeant vont imposer un aspecthistologique donné. On peut dire à la lecture de coupes tissulaires quetelle affection est de nature inflammatoire et qu’elle est plutôt de typeaigu ou chronique, ou telle maladie est à tel stade d’évolution.

• Phénomènes développés en première ligne, phase aiguë de l’inflammation C’est à la phase aiguë que les phénomènes de destruction du tissu conjonc-tif et des cellules épithéliales interviennent : ulcération d’un épithéliumpar destruction des cellules épithéliales (perte de substance), ou nécrosed’un organe plein.

• Régénération, réparation et cicatrisationLa cicatrisation dépend de l’importance de la perte de substance surve-nue à la phase aiguë. Elle dépend aussi de conditions locales et générales :détersion locale, vascularisation, stabilité mécanique du site, et facteursmétaboliques et hormonaux. Un défaut de détersion peut entraîner unepersistance des phénomènes (chronicité).Le tissu conjonctif est reconstruit de novo (réparation) et les composantsépithéliaux spécifiques (cellules de l’épiderme, cellules cylindriquesmuqueuses, hépatocytes) sont remplacés (régénération). La réparationconjonctive comporte une synthèse de collagène, une multiplication cel-lulaire (fibroblastes, myofibroblastes) et une néogenèse capillaire.La néogenèse vasculaire naît à partir des capillaires persistants ou loca-lisés en périphérie du site (connectés avec la circulation native).La surproduction de tissu conjonctif lors de la cicatrisation aboutit à laformation de cicatrices hypertrophiques et de chéloïdes.La fibrose (augmentation anormale de la teneur en fibres collagènes d’unorgane ou tissu) est parfois une conséquence inappropriée des phéno-mènes de réparation (pneumopathies interstitielles fibrosantes, cirrhosehépatique).

hémorragique, fibrineuse, nécrosante, ou gangreneuse(phénomènes ischémiques associés). L’inflammation puru-lente (ou suppurée) est caractérisée par un afflux massif depolynucléaires qui très vite s’altèrent (pus). La nécrose tis-sulaire accompagne très souvent l’afflux important de poly-nucléaires, créant un abcès. Un empyème est l’accumula-tion de pus dans une cavité naturelle (plèvre, trompe parexemple). L’inflammation suppurée entourée d’une réac-tion de réparation conjonctive (déjà, il y a notion de per-sistance de l’agression) est dite organisée ou collectée. Uneinflammation phlegmoneuse n’est pas collectée (phlegmonappendiculaire par exemple).D’autres inflammations sont dites fibrosantes par la pré-sence d’une fibrose dont on peut préciser le caractère récent(jeune, cellulaire, vascularisée) ou au contraire très fibril-laire, collagène et vraisemblablement peu détergeable, res-ponsable de mutilations et perturbations des fonctions del’organe (voir : pour approfondir).La notion de réaction inflammatoire spécifique est plusvague que le terme ne le voudrait. Le particularisme de laréaction inflammatoire peut orienter vers un groupe demaladies. L’utilisation de colorations spéciales, en mettanten évidence des agents pathogènes, permet d’être plus pré-cis si la maladie est infectieuse et l’agent pathogène acces-sible aux techniques morphologiques. La recherche estfacile en cas de réaction à un corps étranger par exemple,ou lorsque existent des lésions très particulières commedes inclusions virales (herpès, cytomégalovirus). Le plussouvent, c’est le particularisme de la morphologie du gra-nulome inflammatoire qui oriente. ■

Médecine interneA 71

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immatures et à migration erratique, peuvent induire desréactions inflammatoires locales, diffuses et sévères, etprovoquer des hyperéosinophilies massives (syndromede larva migransviscérale). L’hyperéosinophilie estégalement très élevée lors de la phase invasive des hel-minthiases. Elle est alors liée aux effets des médiateursde la réponse inflammatoire consécutive à la phase demigration larvaire dans les tissus (rôle des cytokines,voir : Pour approfondir 1). En revanche, cette hyperéosi-nophilie peut être modérée (0,5 à 1 x 109/L), voireabsente, à la phase d’état puis à la phase chronique del’infection ou encore lorsqu’un organe creux (tubedigestif) constitue la niche écologique du parasite. En dehors des parasitoses et hormis l’aspergillose broncho-pulmonaire allergique (ABPA), les autres casd’hyperéosinophilie postinfectieuses sont rares, souventmodérées, et transitoires. Une hyperéosinophilie asso-ciée à une infection doit faire rechercher un éventueldéficit immunitaire ou une réaction d’hypersensibilitéfaisant suite à un traitement antibiotique.

Éléments d’orientation

1. Aspect de l’hyperéosinophilie sanguine

Elle peut être fluctuante (classique « courbe en archet »de Lavier) avec une ascension majeure (distomatosehépatique, ascaridiose, ankylostomose, filarioses,bilharzioses) ou plus modérée (oxyurose), suivie d’unedécroissance plus ou moins rapide de l’hyperéosinophilieavec ou sans normalisation du taux d’éosinophiles san-guins. Elle peut être persistante (réinfestation) et massive(trichinose, toxocarose, poumon éosinophile tropical ousyndrome de Weingarten), ou cyclique et oscillante(anguillulose : cycle interne d’auto-infestation).

2. Données ethno-géographiques Les notions de sites à risque pour les autochtones et deséjours à l’étranger, brefs ou anciens, doivent être prisesen considération. Si le sujet a séjourné en pays tropical,4 affections principales doivent être évoquées : bil-harzioses, filarioses, ankylostomose et anguillulose(tableau I). Si le sujet n’a pas quitté la France métropoli-taine, on doit rechercher en priorité devant une hyper-éosinophilie élevée : une distomatose hépatique àFasciola hepatica, une ascaridiose, une toxocarose, unetrichinose (tableau II).

Hyperéosinophilies parasitaires

Une infection parasitaire, surtout liée aux helminthes,est la première cause à évoquer devant une hyperéosino-philie.1 Celle-ci peut être associée à une hyperleucocytoseet surtout à une augmentation des IgE sériques. L’hyper-éosinophilie est souvent importante (> 1 x 109/L),notamment lorsqu’il s’agit d’une impasse parasitaire(infestation accidentelle de l’homme par des parasitesd’animaux qui restent à l’état larvaire, exemple deToxocara canis). Ces larves d’helminthes « égarées »,

HyperéosinophilieOrientation diagnostique

PR Lionel PRIN, DR Sylvain DUBUCQUOI, DR Anne-Sophie ROUMIER

Service d’immunologie, CHRU de Lille, 59037 Lille Cedex.

• Une hyperéosinophilie sanguine est définie par un nombre de polynucléaires éosinophilescirculants excédant le chiffre de 0,5x 109/L.Elle peut être associée à un afflux d’éosinophilesdans les tissus. Il est important d’en apprécierl’ancienneté et la courbe évolutive dans le temps. C’est un signe biologique fréquent, souvent précieux pour guider l’enquêteétiologique qui bénéficie ainsi de l’étroite collaboration entre le clinicien et le biologiste.L’anamnèse et les premiers examens cliniques et paracliniques permettent le plussouvent d’établir le diagnostic et de traiterla cause de l’hyperéosinophilie. Celle-ci est souvent d’origine parasitaire, allergiqueou médicamenteuse.

• L’hyperéosinophilie est aussi associée à de très nombreuses autres affections,et son exploration est parfois longue et difficile.Elle peut apparaître au premier plan comme un élément caractéristique de la maladie(manifestations cliniques associées à une hyperéosinophilie tissulaire, syndromed’hyperéosinophilie essentielle), ou au contrairen’être qu’un épiphénomène associé à des affections variées (hyperéosinophiliecontingentes).

• L’origine de l’hyperéosinophilie reste parfoisindéterminée, et son caractère persistantdevient alors préoccupant (risques de lésionscardiaques par exemple).

Points Forts à comprendre

3. Mode de vie

Il permet également d’orienter le diagnostic. On doits’intéresser en particulier aux conditions d’hygiènecomme le contact avec des animaux (notion de géopha-gie chez l’enfant avec l’exemple de la toxocarose ; laparasitose liée au péril fécal avec l’exemple de la tricho-céphalose) ou les bains en eaux douces (bilharzioses) ;aux habitudes alimentaires comme l’ingestion de végétauxcontaminants (tels le cresson, avec l’exemple de la disto-matose hépatique) ; l’ingestion d’aliments ou d’eauxsouillés (exemples de l’ascaridiose et de l’hydatidose) ; laconsommation de viande peu cuite ou crue de porc ou decheval (trichinose), de viande peu cuite de bœuf (tæniaseà Tænia saginata), ou de harengs crus (anisakiase).

4. Manifestations respiratoires

Elles peuvent être évocatrices, tel le syndrome deLöffler (migration de larves à travers le parenchyme pul-monaire à l’origine d’infiltrats labiles sur les clichésradiologiques : exemples de la toxocarose, de l’ascari-diose, de l’ankylostomose). Un tableau de fièvre avecaltération de l’état général, précédant un syndromebronchique, voire le développement d’une fibrose endo-myocardique, évoquent un poumon éosinophile tropical

H Y P E R É O S I N O P H I L I E

996 L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

Invasion Phase d’état

FilariosesHyperéosinophilie +++ Sérologie ++Sérologie ++ Recherche

de microfilaires +++– microfilaires sanguicoles

à midi :Loa loa– microfilaires sanguicoles à

minuit : filariose lymphatique – microfilaires d’Onchocerca

olvulus: biopsie cutanée exsangue

BilharziosesHyperéosinophilie +++ Sérologie ++Sérologie +++ Urines +++ et biopsie rectale :

œufs de Schistosoma hæmatobiumSelles et biopsie rectale :œufs de Schistosoma mansoni

AnguilluloseHyperéosinophilie +++ Hyperéosinophilie fluctuanteSérologie ± Selles +++ (larves, méthode

de Baermann)

AnkylostomoseHyperéosinophilie +++ Selles +++ (œufs et larves)sérologie ±

Poumon éosinophile tropicalHyperéosinophilie ++ Sérologie filarienne ++

CysticercoseHyperéosinophilie ± Sérologie +Sérologie +++ Biopsie musculaire

(larves enkystées)

Distomatoses exotiquesHyperéosinophilie ± Selles +++ (œufs)Sérologie ±

Invasion Phase d’état

Distomatose à Fasciola hepaticaHyperéosinophilie +++ Sérologie ++Sérologie +++ Examen des selles ± (œufs,

détectées après le 3e mois)

ToxocaroseHyperéosinophilie +++ Hyperéosinophilie +++Sérologie +++ Sérologie +++

Trichinose (épidémies)Hyperéosinophilie +++ Hyperéosinophilie +++Sérologie +++ Sérologie +++

Dosage des CPKBiopsie musculaire (larves détectées après la 3e semaine)

AscaridioseHyperéosinophilie +++ Examen des selles Sérologie ± (œufs – vers adultes détectés

après le 2e mois) +++

Tæniase à Tænia saginataHyperéosinophilie + Examen des selles Sérologie ± Examen des anneaux +++

HydatidoseHyperéosinophilie ± Sérologie ++Sérologie +++

Trichocéphalose (rare en France)Hyperéosinophilie + Examen des selles (œufs)

OxyuroseHyperéosinophilie + Selles (vers adultes)

Scotch test (œufs) +++

AnisakiaseHyperéosinophilie ± Diagnostic endoscopiqueSérologie ± et histopathologique (larves)

Échinococcose alvéolaire (Est de la France)Hyperéosinophilie + Sérologie +++Sérologie +++

Tests biologiques à réaliser dans le cadre des parasitoses

autochtones

TABLEAU II

Tests biologiques à réaliser dans le cadre des principales

parasitoses tropicales

TABLEAU I

Hyperéosinophilie et allergie

Il s’agit d’une hyperéosinophilie liée à une réactiond’hypersensibilité dépendant des IgE vis-à-vis de diffé-rents allergènes (aéroallergènes, allergènes alimentaires,venins d’hyménoptères, mais aussi certains médica-ments).

Éléments d’orientation

Au cours des processus allergiques, l’hyperéosinophilieest souvent modérée (0,5 à 1 x 109/L), voire absente(disparition lors des infections bactériennes inter-currentes). Elle peut être associée à une élévation,inconstante et rarement importante, des taux sériquesdes IgE totales. Les données de l’anamnèse (antécédentsd’atopie) et le contexte clinique (asthme, rhinite,conjonctivite, dermatite atopique, urticaire) sont souvent très évocateurs.

Examens complémentaires

Le bilan allergologique confirme le diagnostic et orientela conduite à tenir. L’interrogatoire guide les choix pourla réalisation des tests cutanés vis-à-vis de différentsallergènes (pollens, acariens, moisissures, phanèresd’animaux). Ces tests cutanés (prick tests) demeurentl’examen clé de l’enquête étiologique. Si nécessaire, lesdosages des IgE sériques totales et surtout des IgEsériques spécifiques sont demandés en tenant comptedes éléments d’orientation diagnostique antérieurs.L’intérêt de tests complémentaires évaluant la libérationde médiateurs (histaminémie, tests d’histamino-libération)est discuté.

Hyperéosinophilie iatrogéniqueDe nombreux médicaments peuvent induire une hyper-éosinophilie (tableau III) : héparine sous-cutanée, sulfa-mides, sels d’or, mais aussi psychotropes, hypo-glycémiants oraux, cytolytiques et cytostatiques,antibiotiques et antifungiques, antalgiques et anti-inflammatoires. L’hyperéosinophilie est de niveauvariable, souvent retardée par rapport à la prise du médi-cament. Elle peut être d’origine allergique (pénicillines,sulfamides), comme nous l’avons précédemment évoqué.Elle peut aussi dépendre de réactions « pseudo-allergiques » liées à une histamino-libération nondépendante des IgE (anesthésiques généraux, vancomy-cine) ou à une activation du complément (produits decontraste iodés utilisés en radiologie). Certains facteursfavorisants ont été incriminés (acétyleur lent ou rapide,insuffisance hépatique ou rénale…). Des facteurs decroissance (GM-CSF pour granulocyte macrophagecolony stimulating factor) ou des cytokines (IL-2 pourinterleukine 2), utilisés en thérapeutique, peuvent induiredes hyperéosinophilies massives avec activation deséosinophiles, aux conséquences parfois sévères (cardio-pathies, voir :Pour approfondir 2). Une hyperéosinophilie

ou syndrome de Weingarten. Celui-ci serait lié à un étatd’hypersensibilité vis-à-vis de microfilaires. La surve-nue de douleurs thoraciques, avec toux, expectoration « rouillée » liée à la présence de sang et d’œufs rou-geâtres, est très évocatrice de la distomatose pulmonaireou paragonimose.

5. Manifestations cutanées ou musculaires Les signes sont évocateurs devant un prurit anal vespéral(oxyurose), des signes de larva currens cutanée(anguillulose), de « gale » filarienne avec nodules(onchocercose), de prurit avec œdèmes migratoires(œdème fugace de Calabar dans la loase), de myalgiesisolées (cysticercose) ou associées à un œdème (trichi-nose), de tuméfaction sous-cutanée avec extériorisationà la peau d’une larve (myiase), de lymphangite avec éléphantiasis (filariose lymphatique).

6. Signes hépatodigestifs Ils peuvent évoquer une tumeur hépatique (hépatomégaliede l’hydatidose, avec le risque d’infection ou de rupturede kyste), une angiocholite (distomatose hépatique), uneduodénite (anguillulose, ankylostomose), ou des signesintestinaux variés (tæniase, bilharziose intestinale,distomatose intestinale, trichocéphalose), voire un granulome éosinophile intestinal (anisakiase).

7. Signes neuroméningés ou oculaires Il s’agit de signes d’atteinte cérébrale (hydatidose),d’épilepsie (cysticercose), de méningite à éosinophiles(angiostrongylose à Angiostrongylus cantonensis),d’atteintes oculaires (filarioses). Devant de telles mani-festations, d’autres parasitoses doivent également êtrerecherchées, notamment la toxocarose, la myiase.

8. Signes urogénitaux Devant une hématurie, une hydronéphrose, on évoque labilharziose urinaire. Ces signes peuvent être associés àune atteinte génitale dans la filariose lymphatique.

Examens complémentaires

En l’absence d’éléments évocateurs ou pour confirmerle diagnostic, les examens paracliniques suivants sontpratiqués. Le sérodiagnostic parasitaire est souvent trèsutile, notamment à la phase précoce de l’invasion tissu-laire (réponse anticorps, réponse éosinophile) surtoutquand il s’agit d’une impasse parasitaire. Dans desdélais retardés, souvent de plusieurs semaines, les examens répétés des selles, réalisés à la phase d’état,permettent la mise en évidence d’œufs ou de larves (diagnostic rétrospectif). Certaines explorations plusspécifiques sont parfois indispensables (tableaux I et II).Si l’enquête parasitologique demeure infructueuse, untraitement antihelminthique d’épreuve, réalisé sous sur-veillance (suivi de l’hyperéosinophilie) peut être proposé.En revanche, toute corticothérapie aveugle est à proscrire(risque de syndrome d’hyperinfection parasitaire).

Médecine interne

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peut aussi apparaître après dialyse péritonéale ou hémo-dialyse, après splénectomie, dans les suites d’une radio-thérapie, après intoxications chroniques (sulfate decuivre, vapeur de mercure, phosphore, sulfate de carbone,benzène…) ou dans la réaction du greffon contre l’hôte.

Éléments d’orientation

L’hyperéosinophilie sanguine d’origine médicamenteuseest souvent associée à des anomalies biologiques (mani-festations hépatiques ou rénales) ou à des signes cliniquesrévélateurs.Les signes cutanés sont fréquents et variés (prurit, rash,urticaire), isolés ou associés à d’autres manifestations

(vascularite d’hypersensibilité, arthralgies, myalgies…).Une origine médicamenteuse peut être suspectée devantun syndrome respiratoire aigu ou subaigu (dyspnée,toux sèche, image radiologique d’infiltrats plus oumoins fugaces), parfois fébrile. Des signes associés peuvent être retrouvés (urticaire, rash, arthralgies,signes hépatobiliaires). Le tableau clinique peut évoquerun syndrome de Löffler, une pneumonie interstitielle. La liste des médicaments qui peuvent être incriminés estrégulièrement actualisée.2

La notion d’intolérance à l’aspirine avec hyperéosinophilie,asthme, polypose nasale évoque un syndrome de Widal.

Examens complémentaires

Dans le cas des hyperéosinophilies d’origine médica-menteuse, différents examens complémentaires ont étéproposés : tests cutanés, recherche d’IgE spécifiques,tests d’histamino-libération in vitro, tests de transforma-tion lymphoblastique. Ils n’ont qu’une valeur indicativelimitée. Le plus souvent, c’est la régression des signes àl’arrêt du traitement, parfois après 4 à 6 semaines, quiconfirme l’origine de cette hyperéosinophilie.

Hyperéosinophilie et tumeurssolides

Une hyperéosinophilie peut annoncer ou accompagnerla survenue d’un cancer, avec ou sans métastases asso-ciées. Les hyperéosinophilies paranéoplasiques sontsouvent associées à des anomalies affectant d’autres cellules sanguines (thrombocytose, polynucléose neutro-phile). Celles qui accompagnent les néoplasies sont leplus souvent réactionnelles, liées à la production de facteurs de croissance comme le GM-CSF et l’inter-leukine 3, ou de cytokines telles que l’interleukine 5,identifiées dans des extraits tumoraux ou dans les cel-lules transformées.

Éléments d’orientation

L’hyperéosinophilie peut être sanguine et (ou) tissulaire,parfois à un niveau très élevé. Les principales tumeursincriminées sont les carcinomes, notamment le carcinomepulmonaire à grandes cellules (hyperéosinophilie san-guine), ou le cancer du col utérin, dans la forme kérati-nisante à grandes cellules (hyperéosinophilie tissulaire).D’autres localisations primitives peuvent également êtreincriminées : rein, surrénale, thyroïde, vésicule biliaire,pancréas, sein.

Examens complémentaires

Après un examen clinique rigoureux, une enquête biologique (protéines de l’inflammation, calcémie), uneradiographie de thorax, une échographie abdomino-pelvienne, voire un scanner du corps entier peuvent êtreproposés à la recherche du processus néoplasique.

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Anti-inflammatoires non stéroïdiens

Antibiotiques❑ pénicillines ❑ céphalosporines ❑ cyclines ❑ fluoroquinolones

Antimycotiques❑ Fungizone

Antiviraux❑ Cymévan

Inhibiteurs de protéases❑ Norvir

Anticoagulants❑ Calciparine

Sulfamides hypoglycémiants❑ Diabtyl

Hypolipémiants❑ Zocor

Inhibiteurs de l’enzyme de conversion❑ Renitec

Hypo-uricémiants❑ Zyloric

Antiépileptiques❑ Zarontin

Antidépresseurs imipraminiques❑ Anafranil

Facteurs de croissance❑ Leucomax

Cytokines

❑ Interleukine-2

Liste non exhaustive des principauxmédicaments inducteurs

d’hyperéosinophilie

TABLEAU III

valeur indicative dans le cadre d’hyperéosinophiliesassociées à une hémopathie maligne (cas du chromosomePhiladelphie ou Ph1, avec translocation t(9,22) dans laleucémie myéloïde chronique, inversion du 16 dans laleucémie aiguë myélomonocytaire). Dans d’autres cir-constances, plus rares, les anomalies cytogénétiquesobservées permettent d’expliquer les mécanismesinducteurs de l’hyperéosinophilie. C’est le cas lorsque leréarrangement chromosomique intéresse le chromoso-me 5, où sont situés les gènes codant GM-CSF,l’interleukine 3 et 5 (voir :Pour approfondir 1). Ainsi, latranslocation du fragment 5q, placé sous le contrôle despromoteurs des gènes des immunoglobulines, peut favo-riser une expression non contrôlée de ces gènes de cytokines [leucémie aiguë lymphoblastique de la lignéeB, avec t(5;14) ; hémopathies myéloïdes, avec t(5;12)].D’autres anomalies chromosomiques, observées dans cecontexte [trisomie 8, t(8;21)…] n’apportent pas, à cejour, d’élément instructif sur les relations qui existententre l’hyperéosinophilie et le processus leucémogène,mais témoignent d’un contrôle génétique de l’hyper-éosinophilie.

Autres cas d’hyperéosinophilies

Chaque spécialité médicale connaît au moins une affec-tion associée à une hyperéosinophilie sanguine et (ou)tissulaire. Cette hyperéosinophilie peut être au premierplan, et apparaître comme un élément caractéristique dela maladie (affections liées à une éosinophilie tissulaire)ou n’être qu’un épiphénomène accompagnant des affec-tions très diverses (hyperéosinophilie contingentes).

Éléments d’orientation

L’hyperéosinophilie peut s’intégrer dans le cadre d’af-fections bien identifiées comme une vascularite, unemaladie auto-immune ou un déficit immunitaire. Dansla périartérite noueuse, l’hyperéosinophilie est rare. Enrevanche, dans l’angéite de Churg et Strauss (notiond’asthme ancien qui s’aggrave, de rhinite associée, d’unehyper-IgE sérique, d’atteintes digestives, cardiaques,neurologiques), l’hyperéosinophilie est constante etsouvent élevée (> 5 x 109/ L). Dans les maladies auto-immunes, l’hyperéosinophilie est rare, hormis les mala-dies bulleuses comme la pemphigoïde. Une hyper-éosinophilie peut également être observée dans différentsdéficits immunitaires. Dans le syndrome de Wiskott-Aldrich, par exemple, l’hyperéosinophilie ne représentequ’un élément accessoire du tableau clinique et bio-logique. En revanche, l’hyperéosinophilie associée àune élévation considérable des IgE sériques (30 à 50000 UI/mL) oriente d’emblée vers le syndrome hyper-IgE décrit par Buckley. Une hyperéosinophilie massivepeut également s’observer dans le syndrome d’Omenn,déficit immunitaire rare, à transmission autosomiquerécessive, qui apparaît dès les premiers mois de vie.L’hyperéosinophilie peut aussi être associée à unensemble de symptômes révélateurs d’une affection.

Hyperéosinophilie et hémopathies

Il est souvent difficile de distinguer une hyperéosinophilieimpliquée dans le processus leucémogène (leucémie àéosinophiles) d’une hyperéosinophilie réactionnelle àune hémopathie maligne associée. En effet, une hémo-pathie clonale peut affecter une cellule multipotente ouune cellule engagée dans une voie de différenciation.Elle peut intéresser directement la lignée éosinophile,cas rarement décrit, ou une autre lignée hématopoïétiquedont le dérèglement retentit sur les étapes de l’éosino-poïèse (voir :Pour approfondir 1). Nous verrons quedans certains cas, la lignée lymphoïde est plus particu-lièrement concernée (prolifération Th2). Dans d’autrescas, c’est la lignée myéloïde qui paraît affectée.

Éléments d’orientation

Les hyperéosinophilies médullaires et (ou) sanguines’observent parfois dans des hémopathies malignes auxcadres nosologiques bien définis. C’est le cas d’hyper-éosinophilies associées à des leucémies telles que la leu-cémie myéloïde chronique (LMC), les leucémies aiguëslymphoblastiques (LAL), ou myéloblastiques, notam-ment la leucémie aiguë myélomonocytaire (M4) à éosi-nophiles médullaires anormaux, la leucémie aiguë del’adulte liée au rétrovirus HTLV-1 (Human T-cell lym-phoma virus type 1). C’est aussi le cas des hyperéosino-philies associées à des lymphomes tels que la maladiede Hodgkin, les lymphomes malins non hodgkiniens, leslymphomes épidermotropes (syndrome de Sézary, mycosisfungoïde) ou pléomorphes. Dans d’autres circonstances,l’hyperéosinophilie ne s’inscrit dans aucun cadre noso-logique précis. En revanche, elle est associée à untableau évocateur d’un syndrome myéloprolifératif oulymphoprolifératif ou myélodysplasique (état préleucé-mique ?). Certaines formes cliniques de syndrome d’hyper-éosinophilie essentielle peuvent évoquer une « leucémie àéosinophiles ». Il s’agit d’une situation exceptionnelleavec l’apparition d’éosinophiles immatures dans le sanget la moelle, une blastose médullaire, une anémie et unethrombopénie importantes, et des anomalies chromoso-miques. La distinction entre hyperéosinophilie essen-tielle et syndrome myéloprolifératif est aussi difficilelorsque l’hyperéosinophilie est élevée, associée à unemyélofibrose et à des anomalies du caryotype.

Examens complémentaires

Outre la numération formule sanguine (NFS), le médullo-gramme est un complément d’étude souvent indispensablecar il permet l’analyse des autres lignées hématopoïé-tiques et permet d’apprécier la quantité et la qualité deséosinophiles médullaires (en particulier dans le cas desleucémies aiguës myélomonocytaires avec éosinophilesanormaux). La biopsie de moelle à la recherche d’unemyélofibrose et l’enquête biologique – uricémie, lacti-codéshydrogénase (LDH) – peuvent également êtrecontributives. L’étude du caryotype médullaire et lesanalyses cytogénétiques complémentaires ou de biologiemoléculaire (étude de clonalité) peuvent avoir une

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1. Signes respiratoires Nous avons déjà évoqué les principales causes d’hyper-éosinophilie avec atteinte pulmonaire que sont l’asthme,les causes médicamenteuses, les parasitoses, une tumeur(carcinomes, métastases, lymphangite carcinomateuse)ou l’aspergillose bronchopulmonaire allergique. L’asthmeavec hyperéosinophilie élevée et persistante doit fairerechercher d’autres causes (parasitose, aspergillosebronchopulmonaire allergique, hyperéosinophilie essen-tielle), et surtout une maladie systémique (angéite deChurg et Strauss).L’aspergillose bronchopulmonaire allergique présenteplusieurs signes évocateurs. Elle survient dans uncontexte d’asthme ancien avec la notion de toux et d’expectoration de « moules bronchiques » (émission debouchons mycéliens). Les images radiologiques sontvariées : épaississement des parois bronchiques, impac-tions mucoïdes, atélectasies, infiltrats et surtout bronchec-tasies proximales prédominant aux lobes supérieurs. Onretrouve par ailleurs une élévation très marquée des IgEsériques (> 1 500 U/mL), avec hyperéosinophilie massive.Il est possible de mettre en évidence des IgE spécifiquesd’Aspergillus fumigatus. Avec l’examen radiologique,l’évaluation de la concentration des IgE totales est utileà la surveillance médicale. Ce taux diminue quand lacorticothérapie s’avère efficace, alors qu’une nouvelleélévation précède une nouvelle poussée.Toute cause d’épanchement pleural peut aussi entraînerun afflux local d’éosinophiles (pleurésie à éosinophilespost-traumatique notamment). Dans certaines circonstances, aucune cause n’est retrou-vée : c’est le cas devant certains tableaux cliniques évoquant un syndrome de Löffler, ou surtout devant unepneumonie chronique à éosinophiles, ou maladie deCarrington.3 Celle-ci se traduit par des manifestationsvariées (dyspnée, toux sèche) avec altération de l’étatgénéral (perte de poids, fièvre, sueurs nocturnes). Ellesurvient le plus souvent chez la femme. C’est une alvéo-lite à éosinophiles associée à une hyperéosinophilie san-guine de niveau variable. Le tableau clinique, les imagesradiologiques (opacités alvéolaires plurifocales, parfoismigratrices) sont très évocateurs ainsi que l’efficacitétrès spectaculaire de la corticothérapie.

2. Signes cutanéo-muqueux Des signes cutanés variés s’inscrivent dans un contexteévocateur dans le cas des vascularites (angéite de Churget Strauss), de réactions d’hypersensibilité (dermatiteatopique, urticaire, angiœdème, dermatites parasitaires,réaction médicamenteuse), dans les lymphomes (lym-phomes T, mycosis fungoïde, syndrome de Sézary, oupapulose lymphomatoïde), dans les dermatoses bul-leuses (pemphigoïde, pemphigoïde gestationis, inconti-nentia pigmenti, dermatite herpétiforme), dans les masto-cytoses systémiques, ou dans les hyperéosinophiliesassociées à des proliférations tumorales bénignes (legranulome éosinophile des tissus mous, ou maladie deKimura, l’hyperplasie angiolymphoïde avec éosino-philie). Le prurit est un signe fréquent d’alarme ou d’accompagnement de l’hyperéosinophilie (prise

médicamenteuse, allergie, parasitose, hémopathie…).Certaines dermatoses éosinophiliques ont été indivi-dualisées. Parmi celles-ci on peut citer : la folliculite pus-tuleuse à éosinophiles décrite par Ofuji qui présente cer-taines analogies avec les folliculites rencontrées chez despatients infectés par le virus de l’immunodéficience humaineou présentant un lymphome ; le syndrome de Wells,cellulite à éosinophiles d’évolution bénigne, où l’on peutobserver à l’examen histologique des images classiquesdites en« flammèche ». Dans ces affections rares, l’hyper-éosinophilie sanguine est inconstante, et les donnéesconjuguées de l’examen clinique et histologique sontsouvent indispensables au diagnostic.4 Le diagnostic estparfois difficile à établir entre certaines dermatoses àéosinophiles et une hyperéosinophilie essentielle dontles signes cutanés dominent parfois le tableau clinique.L’angiœdème cyclique avec hyperéosinophilie (prise depoids avec œdèmes volumineux d’apparition brutale et derésolution plus ou moins rapide associés à une élévationmassive, transitoire de l’hyperéosinophilie sanguine)doit être différencié des hyperéosinophilies essentielles.

3. Signes hépatodigestifs Outre les parasitoses, il existe de nombreuses affectionsinflammatoires du tube digestif qui s’accompagnentd’hyperéosinophilie locale (maladie cœliaque) et (ou)sanguine (rectocolite hémorragique, maladie de Whipple,maladie de Crohn). D’autres affections (hémopathies àlocalisation digestive, vascularite) doivent être recherchées. La gastro-entérite à éosinophiles s’observe souvent dansun contexte d’atopie (allergie alimentaire ?) avec parfoisdes taux élevés d’IgE sériques, surtout chez l’enfant. La disposition particulière de l’infiltrat d’éosinophilesau niveau de chacune des structures pariétales intesti-nales entraîne des manifestations variées. Ainsi, l’atteintede la séreuse peut s’accompagner d’un tableau de pseudo-péritonite avec une ascite riche en éosinophiles,l’atteinte de la musculeuse peut donner un tableau desubocclusion identique à celui que l’on peut observer dansl’anisakiase (formations pseudo-tumorales). L’infiltrationde la muqueuse est fréquente avec entéropathie sévère etsyndrome de malabsorption. La distinction entre gastro-entérite à éosinophiles et hyperéosinophilie essentielle àlocalisation digestive peut être difficile. Des signes d’atteinte hépatique avec hyperéosinophilie se rencontrentdans de nombreuses circonstances (parasitose, médica-ments, cancer, hémopathies, cholangite sclérosante primitive, hyperéosinophilie essentielle…).

4. Signes musculaires En dehors des parasitoses (notamment la trichinose) oudes infections bactériennes (myosite staphylococcique),un tableau de myalgies avec hyperéosinophilie se ren-contre parfois dans les polymyosites mais surtout dansle syndrome « myalgie-éosinophilie » associé à la prisede L-tryptophane ou plutôt de contaminants associés àsa préparation, ou dans la fasciite de Shulman (hyper-éosinophilie sanguine avec douleur et gonflement desmuscles, limitation des mouvements et induration destissus sous-cutanés, hémopathie associée).

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atteinte d’autres lignées, anomalies du caryotype) ou unsyndrome myéloprolifératif, dans lequel on observe unehépatosplénomégalie, une myélofibrose, une élévationtrès franche de la vitamine B12, des transcobalamines Iet III. Le pronostic est ici plus réservé en raison d’unefréquente résistance à la corticothérapie et d’un risqueaccru d’atteintes viscérales. L’hyperéosinophilie peutaussi être associée à d’autres signes. Les signes cutanéssont fréquents et très variés à type de nodules, de rashérythémateux ou maculopapuleux, d’angiœdème oud’urticaire. Ces derniers signes, parfois associés à unehyper-IgE sérique, seraient plus volontiers rencontrésdans les formes de bon pronostic, sensibles à la cortico-thérapie. Le diagnostic d’hyperéosinophilie essentiellepeut être discuté lorsque les signes sont focalisés auniveau pulmonaire ou intestinal. Quelle que soit la formeclinique de cette hyperéosinophilie, une surveillancerégulière s’impose devant toute hyperéosinophilie chronique inexpliquée en raison de 2 risques majeursqui sont la survenue possible d’une hémopathie maligneou d’une atteinte viscérale où domine la cardiopathie(voir : Pour approfondir 2).

Éléments de surveillance

Il existe des formes paucisymptomatiques d’hyperéosino-philie essentielle qui se résument à l’expression d’unehyperéosinophilie sanguine isolée, parfois associée àdes manifestations cutanées ou à une hépatospléno-mégalie. S’il existe des formes « stables », la survenuede complications, souvent imprévisibles, qui engagentle pronostic vital nécessite :– la recherche systématique de signes en faveur d’unehémopathie sous-jacente (vitamine B12 sérique très élevée, score variable des phosphatases alcalines, uricémieélevée, folatémie abaissée), et indique la recherched’anomalies chromosomiques par la réalisation d’unebiopsie ostéomédullaire et l’étude du caryotype sur sangpériphérique ou sur moelle ;– la recherche obligatoire et répétée d’une atteinte cardiaque par nécrose, thrombose ou fibrose (électro-cardiogramme, échocardiographie bidimensionnellerenouvelée tous les 6 mois, parfois associée à une biopsie endocardique) ou de lésions vasculaires (examendu fond d’œil, manifestations de thrombose, de micro-embolies, bilan de coagulation, bilan neurologique).■

5. Signes cardiaques On évoque, en premier lieu, l’hyperéosinophilie essen-tielle. L’association cardiopathie-hyperéosinophilieexiste dans d’autres circonstances (lymphomes, vascula-rites, parasitoses, utilisation thérapeutique de facteurs decroissance ou de cytokines…).

6. Autres signes focalisés Des atteintes osseuses (granulome éosinophile), vési-cales (cystites à éosinophiles parfois d’origine médica-menteuse) ou ORL (rhinite non allergique ou NARES)ont été décrites. L’hyperéosinophilie sanguine est trèsinconstante.

Syndrome d’hyperéosinophilieessentielle

C’est un diagnostic d’exclusion qui ne doit être évoquéqu’après une enquête étiologique rigoureuse (liste desmaladies associées à une hyperéosinophilie chronique,voir : Pour approfondir 3). Selon les critères de Chusid,l’hyperéosinophilie essentielle associe une hyperéosino-philie massive, persistante (> 1,5 x 109/L), inexpliquée,évoluant depuis au moins 6 mois, associée à desatteintes multiviscérales, surtout cardiaques.

Éléments d’orientation

Il existe une nette prédominance masculine (80 % descas), avec un âge de survenue situé habituellement entre20 et 50 ans. Les formes de l’enfant sont rares, etseraient plus sévères. La découverte d’une hyperéosino-philie essentielle est fortuite (numération formule sanguinesystématique) dans 10 % des cas, ou liée à la survenuede complications sévères (cardiopathies, neuropathies).Les signes d’appel sont en fait multiples avec des signesgénéraux (asthénie, fébricule), respiratoires (toux, dys-pnée), cutanés (sueur, prurit, rash, angiœdème), muscu-laires (myalgies), digestifs (nausées, diarrhées). L’hépato-splénomégalie serait observée dans 50 % des cas.Les signes cardiaques associés à une hyperéosinophiliechronique sont très évocateurs d’une hyperéosinophilieessentielle. Ils sont fréquents (50 à 70 % des cas), parfoisrévélateurs (signes d’insuffisance cardiaque), et trèsdivers (choc cardiogénique, adiastolie, troubles du rythme,insuffisance tricuspide ou mitrale). Ils sont le témoind’une myocardite à éosinophiles, ou surtout du dévelop-pement d’une fibrose endomyocardique. Les signes neurologiques peuvent se traduire par une atteinte centrale(confusion mentale, ataxie, convulsions, amnésie,coma) ou périphérique (mononévrite sensitive) quiparaît liée à des phénomènes vasculaires (vascularite) et(ou) thrombo-emboliques. Ils sont fréquents et des examens complémentaires (électroencéphalogramme,scanner…) peuvent s’avérer très utiles.L’hyperéosinophilie peut être isolée. Comme nousl’avons évoqué précédemment, elle peut aussi être asso-ciée à d’autres signes hématologiques pouvant faire sus-pecter un état préleucémique (hyperéosinophilie massive,

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1. Ranque S, Candolfi E, Himy E. Diagnostic et conduite à tenirdevant une hyperéosinophilie parasitaire. Presse Med 1998 ; 27 :370-5.

2. Dubos C, Brun J, Camus P et le GERM« O»P. Étiologies médi-camenteuses des hyperéosinophilies. Ref Prat Actu 1998. Site internet :http://www.univ-lyon1.fr/germop/index.htm?Rpa/pciefn.htm&

3. Durieu J, Tonnel AB, Cordier JF et le GERM« O»P.Pneumopathie chronique idiopathique à éosinophiles. Ref PratActu 1998. Site internet :http://www.univ-lyon1.fr/germop/index.htm?Rpa/pciefn.htm&

4. Dubost-Brama A, Capron M, Delaporte E. Peau et hyperéosi-

RÉFÉRENCES

1 / Facteurs de mobilisation de la lignée éosinophile

Le polynucléaire éosinophile est une cellule au noyau bilobé, en bis-sac, facilement identifiée sur les frottis sanguins par les propriétéstinctoriales de ses granules, colorés en rose-orangé par l’éosine. Les granules spécifiques, granulations secondaires de forme sphérique ouellipsoïde, apparaissent au stade de promyélocyte. Leur étude enmicroscopie électronique révèle l’existence d’une inclusion cristallinedense aux électrons (composée de la protéine basique majeure ouMBP), et d’une matrice périphérique (composée de la protéine cationique de l’éosinophile ou ECP, de la neurotoxine dérivée de l’éosinophile ou EDN, et de la peroxydase de l’éosinophile ou EPO).Les granules primaires de l’éosinophile contiennent la lysophospho-lipase qui participe à la formation des cristaux de Charcot-Leyden.Les mécanismes impliqués dans le développement d’une hyperéosino-philie sont multiples et parfois intriqués. Une hyperéosinophilie peuttémoigner d’un excès de production médullaire, mais aussi d’undéfaut d’élimination des polynucléaires éosinophiles matures (altérationdes processus d’apoptose). Elle traduit souvent un recrutement accrudes éléments du pool de réserve médullaire (rôle des facteurschimiotactiques). Des facteurs de croissance, des cytokines (GM-CSF,IL-3, IL-5, dont les gènes sont situés dans la région 5q31-q33 du chro-mosome 5), des chémokines, notamment les membres de la familleéotaxine (éotaxine, éotaxine 2), de facteurs lipidiques (Platelet activa-ting factor ou PAF-aceter), d’anaphylatoxines (C5a), contrôlent, à desdegrés divers, et avec plus ou moins de sélectivité, différentes fonc-tions de l’éosinophile (prolifération et différenciation dans la moellehématopoïétique ; mobilisation du pool de réserve médullaire et transitdans le sang ; migration transendothéliale et domiciliation dans les tissus ; activation - survie - apoptose). Ce sont l’interleukine 5 et l’éotaxine qui exercent les effets les plusciblés sur les éléments de la lignée éosinophile. L’analyse du profil desynthèse des cytokines par les lymphocytes T a permis d’individuali-ser une sous-population lymphocytaire productrice d’IFNγ (Th1), etune sous-population productrice d’IL-4, IL-5, IL-13 (Th2), qui secontrôlent mutuellement (balance Th1-Th2). Toute altération de l’équi-libre Th1-Th2 peut être à l’origine de processus immunopatholo-giques variés. Ainsi, un déséquilibre en faveur d’une polarité Th2 peutentraîner un état atopique, induire une hyperproduction d’IgE (rôle del’IL-4), ou favoriser une hyperéosinophilie sanguine (rôle de l’IL-5).L’éotaxine est un autre médiateur important dans les processus derecrutement et d’activation des éosinophiles. Cette chémokine peut selier à un récepteur nommé CCR3 (récepteur pour une famille de ché-mokines où les 2 premières cystéines sont adjacentes). Le CCR3 estfortement représenté à la surface des éosinophiles, mais aussi des basophiles et des cellules Th2.Ainsi, cette molécule a la capacité de recruter un ensemble de cellulesqui participent activement au développement d’une réaction allergique.

2 / Potentialités fonctionnelles de l’éosinophile

L’identification de récepteurs variés (récepteurs de cytokines, de chémokines, de médiateurs lipidiques, d’immunoglobulines, de fractions activées du complément), et de molécules d’adhérence à lasurface de l’éosinophile (sélectines, intégrines) a permis de mieuxappréhender les éléments qui contrôlent les contacts favorables à lamigration, la diapédèse, la domiciliation, et à la communication inter-cellulaire (action notable des chémokines et des cytokines). La succession de ces différents signaux aboutit à l’expression moduléed’un certain programme fonctionnel de la cellule. Ces signaux peu-vent participer à une réponse physiologique (croissance, chimiotactis-

me, coopérations cellulaires) et (ou) à différents processus patholo-giques. L’éosinophile est une cellule effectrice capable de libérer desprotéines basiques cytolytiques (MBP, ECP, EDN, EPO, exemple du processus de libération sélective des protéines cationiques ou piecemeal degranulation). Il est aussi apte à libérer des dérivés réactifs del’oxygène, toxiques, tels que les anions superoxydes. L’éosinophile estune cellule inflammatoire, capable de produire des médiateurs lipi-diques (leucotriènes, prostaglandines), des chémokines, des cytokinespro-inflammatoires (IL-1, IL-6, TNFα), ou immuno-modulatrices (IL-4, IL-5). Ainsi, en fonction de l’état d’activation de l’éosinophile, celui-ci peut induire une réponse toxique par libération des protéinescationiques des granules, ou favoriser l’amplification d’une réponseinflammatoire. Pour évaluer le degré d’activation de ce polynucléaire,nous disposons de différents paramètres cellulaires ou sériques. Desétudes morphologiques [hypogranulation et (ou) présence de vacuolescytoplasmiques, hypersegmentation nucléaire] ou l’analyse de la densi-té cellulaire permettent d’individualiser des éosinophiles activés(éosinophiles hypodenses). Ceux-ci ont la capacité de libérer lesmédiateurs toxiques qui semblent jouer un rôle dans la genèse deslésions tissulaires. Des taux sériques élevés de la forme soluble durécepteur pour l’IL-2 (CD25s) ont été observés dans les formessévères d’hyperéosinophilie (hyperéosinophilie essentielle, hémopa-thies malignes).

3 / Liste des maladies associées à une hyperéosinophilie

Site internet : http://www.univ-lille2.fr/immunologie

H Y P E R É O S I N O P H I L I E

1002 L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

• L’hyperéosinophilie s’observe dans nombred’affections, mais 4 situations majeures peuventêtre individualisées.

• Le plus souvent, l’hyperéosinophilie sanguines’inscrit, avec d’autres manifestations clinico-biologiques, dans un contexte pathologique évocateur (allergies, certaines parasitoses,prise de médicaments).

• Dans d’autres circonstances, l’hyperéosinophilieest le signe d’appel qui nécessite la mise en œuvre d’investigations complémentaires permettant d’établir le diagnostic (exemples des parasitoses, des cancers).

• Parfois, les manifestations cliniques sont focalisées à un organe ou un tissu.L’hyperéosinophilie associée a alors une grande valeur d’orientation diagnostique(exemple du poumon éosinophile, de la gastro-entérite à éosinophiles…).

• Plus rarement, l’hyperéosinophilie est isolée,l’enquête étiologique demeure infructueuse. La situation devient préoccupante quand l’hyperéosinophilie reste élevée et persistante.Celle-ci peut précéder l’apparition d’une hémo-pathie maligne, ou annoncer la survenue de lésions viscérales où dominent les cardiopathies.

Points Forts à retenir

POUR APPROFONDIR

OncologieB 325

1135L A R E V U E D U P R A T I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

Phénotype et clonalité des cellulescancéreuses

Quel que soit leur tissu d’origine, les cellules cancé-reuses présentent des anomalies phénotypiques et fonc-tionnelles communes. La taille de la cellule cancéreuseet de son noyau est fréquemment augmentée par rapportà la cellule normale et varie au sein de la population cellulaire tumorale (anisocytose, anisocaryose). Elleconserve souvent une morphologie arrondie comme lescellules en mitose. Son noyau présente une chromatineirrégulière et la proportion des cellules en mitose (indexmitotique) est augmentée. Sur le plan fonctionnel, lescellules cancéreuses présentent des altérations de l’expression ou de la fonction de molécules d’adhésionà la matrice extracellulaire, une réorganisation du cyto-squelette d’actine du cortex cellulaire, une motilitéaccrue, une augmentation de la production de facteursde croissance, d’activateurs du plasminogène et d’en-zymes capables de dégrader les composants de la matrice.Les principales anomalies fonctionnelles des cellulescancéreuses portent cependant sur leurs capacités decroissance et de division : elles peuvent se diviser enprésence de très faibles concentrations de facteurs decroissance et ont perdu la capacité d’arrêter de se diviserlorsque la densité cellulaire est élevée et que les cellulessont en contact les unes avec les autres (perte de l’inhi-bition de contact). Elles sont capables de se diviser sansattache avec une surface solide (perte de la dépendanced’ancrage) et peuvent pousser dans des milieux semi-solides tels que l’agar mou. Enfin, elles sont capablesd’un nombre illimité de divisions cellulaires sans subir le phénomène de sénescence (immortalisation) et d’induire des tumeurs après injection chez des animauxsusceptibles (souris athymiques). Bien que le terme« transformation » ne désigne stricto sensu que la modification transmissible à la descendance des propriétés d’une cellule eucaryote, dans le cas des cellules animales en culture, le terme « transformation »est fréquemment utilisé pour désigner l’acquisition depropriétés analogues à celles des cellules cancéreuses. On classe les cancers selon le tissu et le type cellulairedont ils proviennent. On distingue ainsi les carcinomes(tumeurs malignes issues de cellules épithéliales) quisont les cancers les plus fréquents de l’adulte ; les

La cellule cancéreuseAnomalies génétiques (oncogènes et anti-oncogènes), facteurs de croissance,d’apoptose et de dissémination, incidence pronostique

PR Jean-Yves BLAY1-2, PR Alain PUISIEUX 2

1. Hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon Cedex 03.2. INSERM U453, centre Léon-Bérard, 69008 Lyon.

• Les cellules cancéreuses ont 2 caractéristiques :elles se divisent sans être soumises aux contrôlesnormaux de la croissance cellulaire et sont capables d’envahir des tissus normalement réservés à d’autres cellules.

• La transformation cancéreuse résulte de lésions génétiques multiples sur des gènesrégulant la croissance et la différenciation cellulaire : les proto-oncogènes normaux qui vont subir des mutations activatrices dans les cellules cancéreuses, les transformantainsi en oncogènes (capables notamment d’entraîner une division cellulaire inappropriée) et les anti-oncogènes, ou plutôtgènes suppresseurs de tumeurs, détruits ou non fonctionnels dans les cellules cancéreuses. Le cancer est essentiellement une maladie des gènes.

• La plupart des oncogènes codent pour des protéines impliquées dans la transmissiondu signal mitotique induit par les facteurs de croissance de la membrane jusqu’au noyau.Ces facteurs fréquemment produits en excèspar les cellules cancéreuses vont parfois jouerdes rôles multiples : facteur de survie (anti-apoptotique), facteur mitogénique, de motilitéou angiogénique. Les lésions des oncogènes et des gènes suppresseurs de tumeur affectentl’interaction des cellules tumorales avec leurenvironnement normal et permettent leur dissémination dans l’organisme, en altérant la structure ou la fonction des molécules d’adhésion cellulaire, en induisant la productionde facteurs de motilité et d’enzymes capables de détruire la matrice extracellulaire. Ces altérations permettent aux cellules tumorales de coloniser et de se diviser dans les tissus où elles ne résident pas normalement.

Points Forts à comprendre

sarcomes (cancers provenant des cellules du tissuconjonctif, spécialisé ou non) ; les tumeurs du systèmehématopoïétique (leucémies ou lymphomes) ; lestumeurs du système nerveux central ; les tumeursembryonnaires… Dans ces différents types cellulaires,les voies de contrôle de la différenciation et de la croissance cellulaire utilisent souvent des mécanismesmoléculaires communs. La cancérisation de la celluleest la conséquence de mutations de gènes codant pourdes protéines impliquées dans ces différentes voies derégulation.Les cancers correspondent le plus souvent à la proliféra-tion d’un clone cellulaire dérivant d’une seule celluleanormale. Cela a pu être démontré chez les femmes parl’analyse de l’origine paternelle ou maternelle du chro-mosome X inactivé dans les cellules tumorales quimontre que toutes les cellules tumorales ont le mêmechromosome X inactivé. Cela a pu être confirmé plusfinement par l’analyse de la séquence nucléotidique dessites de translocations chromosomiques spécifiques,telles que la t(9,22) dans la leucémie myéloïde chro-nique (LMC), qui sont toujours identiques dans unemême tumeur chez un individu, mais le plus souventdifférentes dans deux tumeurs de même histologie chezdeux individus différents. Ces observations démontrentl’origine clonale de la plupart des cancers. Il existecependant quelques exceptions et certaines proliféra-tions cellulaires tumorales, notamment des lymphomesde sujets immunodéprimés, peuvent comporter unepopulation cellulaire polyclonale ou oligoclonale.

Anomalies génétiques des cellulescancéreuses

Mutations de l’ADN nécessaires pour la transformation cancéreuse

Des mutations de l’ADN de la cellule sont à l’origine dela majorité des cancers. Il existe une corrélation entre lepotentiel mutagène pour l’ADN de produits chimiques(méthylcholanthrène, 2-naphtylamine) et leur potentielcarcinogène. Il est cependant rare qu’une seule mutationsoit suffisante pour entraîner la transformation maligne.En général, plusieurs mutations dans des gènes différentssont requises pour l’acquisition d’un phénotype cancé-reux. On estime ainsi qu’il faut entre 3 et 7 mutationsindépendantes pour transformer une cellule normale encellule cancéreuse. La nécessité de plusieurs mutationsindépendantes pour la transformation d’une celluleexplique le délai souvent long (plusieurs années) entrel’exposition à un carcinogène et l’apparition d’un cancer.Au cours de cet intervalle, les cellules initialementmutées acquièrent des mutations supplémentaires dansd’autres gènes qui contribuent à la transformation can-céreuse. Chez les individus non exposés à des carcino-gènes, la transformation maligne survient au hasard etprovient de plusieurs mutations aléatoires dans unemême cellule, qui mettent des années à se constituer. De

ce fait, l’incidence de la plupart des cancers augmentede manière exponentielle avec l’âge. Chez les individusporteurs d’une mutation constitutionnelle de certainsgènes, notamment de gènes suppresseurs de tumeurstels que p53, APC ou BRCA-1 (v. infra), les cancers surviennent plus précocement, une première « étape »dans le processus de transformation cancéreuse ayantété franchie dans toutes les cellules somatiques de l’individu. Le développement d’un cancer peut également êtrefavorisé par des facteurs qui n’induisent pas de mutationde l’ADN mais stimulent la prolifération cellulaire oubloquent la différenciation. Ces produits non mutagènessont appelés promoteurs tumoraux. Dans un premiertemps, l’exposition a un carcinogène induit une premièrelésion génétique latente. Cette étape est parfois appeléeinitiation tumorale. La lésion génétique ainsi induitepermet la transformation cancéreuse à la faveur soit del’acquisition d’anomalies génétiques supplémentairestelles que celles décrites ci-dessus, soit après expositionrépétée à ces promoteurs tumoraux qui vont stimuler ladivision cellulaire ou bloquer le processus normal dedifférenciation. Comme exemple de promoteurs tumo-raux, on peut citer les esters de phorbol qui agissent enactivant la protéine kinase C. Les corrélations épidémio-logiques entre les antécédents gynéco-obstétricauxd’une patiente (âge des premières règles, de la premièregrossesse, de la ménopause) et le risque relatif de cancerdu sein suggèrent que les hormones sexuelles, notammentles œstrogènes, jouent un rôle de promoteur tumoral pour certains cancers du sein. Au total, le processus de transformation cancéreuse estla conséquence de l’accumulation de mutations de l’ADNpour la plupart des tumeurs humaines et animales.

Gènes impliqués dans la transformationmaligne

La progression tumorale correspond à un phénomènedynamique qui, à chaque étape, sélectionne une celluleayant acquis un avantage de croissance (soit une activa-tion de la multiplication cellulaire, soit une inhibition dela mort cellulaire). Notre organisme est composé d’envi-ron 5 x 1012 cellules réparties dans plus de 200 typescellulaires différents. Leur multiplication et leur duréede vie sont rigoureusement contrôlées : certaines cellules, telles les cellules nerveuses, ne nécessitent pasun renouvellement constant, d’autres, telles les cellulessanguines, sont perpétuellement en cours de division. Lecontrôle de la croissance cellulaire résulte d’un équilibrepermanent entre facteurs stimulateurs et facteurs inhibiteurs de la croissance cellulaire.Au cours de la vie cellulaire, l’ADN est soumis à desagressions qui peuvent résulter d’erreurs de la machineriecellulaire de réplication ou d’agents extérieurs commeles agents génotoxiques carcinogènes mentionnés ci-dessus. De façon générale, ces altérations de l’ADNsont immédiatement réparées par des mécanismes spécialisés. Cependant, dans de rares cas, la réparation

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Oncogènes Fonction du proton-oncogène Hôte Tumeur induitepar le virus

désigné c-srcet qui est présent dans le génome de la plu-part des vertébrés. Le gène cellulaire c-src code pourune protéine membranaire qui intervient dans la trans-duction du signal mitotique. Les modifications qualita-tives du gène srcchez le virus provoquent une activationanormale de la protéine, expliquant ses capacités trans-formantes. On s’est secondairement rendu compte quebeaucoup de tumeurs humaines, non induites par unvirus, présentaient des mutations activatrices du proto-oncogène c-src qui le transforment en un oncogène. D’autres oncogènes contenus dans des rétrovirus res-ponsables de sarcomes ou de leucémies chez les oiseauxou les mammifères ont été individualisés (tableau I).Ces oncogènes viraux (v-onc) possèdent un homologuecellulaire (c-onc), qui est muté dans certaines tumeurshumaines non liées à des rétrovirus. Ces oncogènes sonttrès souvent impliqués dans la transmission d’un signalde prolifération cellulaire du milieu extracellulaire jus-qu’au noyau (fig. 1) : ce sont des gènes codant pour desfacteurs de croissance ou cytokines (v-sis, homologuede la chaîne B du platelet derived growth factor, PDGF),des récepteurs de cytokines (v-erb-B1, v-kit, v-fms), destyrosine kinases du feuillet interne de la membrane plas-mique (v-src), intracytosoliques (v-fes), des sérine thréoninekinases (v-raf), des protéines fixant le guanosine triphos-phate (GTP) (H-ras), des facteurs régulateurs de la trans-cription (v-fos, v-jun, v-rel), des récepteurs d’hormoneliposoluble (v-erbA). Tous les oncogènes n’ont cepen-dant pas été identifiés dans des rétrovirus. D’autresoncogènes, et donc d’autres proto-oncogènes, ont étéidentifiés dans les tumeurs humaines par transfection delignées de fibroblastes immortalisées NIH 3T3 par del’ADN provenant de lignées tumorales. Au total, prèsd’une centaine d’oncogènes ont désormais été identifiés.

ne se fait pas ou mal, et une mutation génique apparaît.Si cette mutation atteint et modifie la structure d’ungène codant pour un facteur qui contrôle la proliférationcellulaire ou le phénomène de mort cellulaire (apoptose),la cellule peut acquérir un avantage de croissance àl’origine d’une expansion clonale.La description de gènes impliqués dans la transformationmaligne a permis d’élaborer une théorie unifiée concer-nant les mécanismes moléculaires mis en jeu dans lagenèse d’une tumeur. Deux grandes catégories de gènespeuvent ainsi être distinguées : les gènes dont les pro-duits contribuent à stimuler la prolifération cellulaire etceux dont le produit réprime la prolifération cellulaire.Les premiers gènes sont appelés en général oncogèneset les seconds anti-oncogènes ou plutôt gènes suppres-seurs de tumeur.

1. OncogènesSi l’on exclut certains oncogènes viraux (notamment devirus à ADN), les oncogènes sont le plus souvent desgènes cellulaires mutés. Le terme proto-oncogènedésigne le gène cellulaire normal, qui est muté en onco-gène dans une cellule tumorale, favorisant ainsi la trans-formation cancéreuse de la cellule. La mutation d’unoncogène rend en général le gène « hyperactif » et cesmutations sont généralement dominantes.Les oncogènes ont été découverts initialement dans des rétrovirus responsables de tumeurs animales. Lepremier rétrovirus ainsi individualisé est un virus dupoulet, le virus de sarcome de Rous. Il contient un gèneappelé v-src, qui n’est pas indispensable à la réplicationvirale mais qui a été prélevé accidentellement par levirus dans une cellule hôte antérieure. Le gène viral v-src possède ainsi un homologue cellulaire normal,

Oncologie

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v-sis PDGF B Singe Sarcomev-erb-B1 Tyrosine kinase : récepteur de l’EGF Poulet Leucémie, sarcomev-fms Tyrosine kinase : récepteur du M-CSF Chat Sarcomev-kit Récepteur tyrosine kinase dustem cell factor(SCF) Chat SarcomeH-ras Protéine liant le GTP Rat Sarcome, leucémiev-src Protéine kinase (tyrosine) Poulet Sarcome v-fes Tyrosine kinase Chat/poulet SarcomeK-ras Protéine liant le GTP Rat Sarcome, leucémiev-abl Tyrosine kinase Souris, chat Leucémie, sarcome v-raf Sérine/thréonine kinase Poulet/souris Sarcomev-erb-A Récepteur de l’hormone T3 Poulet Leucémiev-myc Protéine régulatrice de la famille HLH Poulet Sarcome, leucémie

carcinomev-rel Facteur de transcription NFkB Réticulo-endothéliosev-fos Association pour former le facteur de transcription AP1 Souris Sarcomev-jun Poulet

Oncogènes de rétrovirus transformants

TABLEAU I

Les mutations observées dans les proto-oncogènesmodifient la séquence des acides aminés de la protéineen modifiant ses propriétés fonctionnelles, lui conférantune activité permanente et non régulable par les processusnormaux de contrôle. Les rétrovirus peuvent égalementactiver un proto-oncogène en s’insérant à proximité deses séquences régulatrices, conduisant ainsi à sa surex-pression : on parle alors de mutagenèse insertionnelle.En fait, différents mécanismes d’activation d’un onco-gène cellulaire peuvent être observés.• La mutation ponctuellea pour exemple classique lamutation des codons 12, 13 ou 61 du gène H-ras, quiempêche son produit protéique d’hydrolyser le GTP, luiconférant ainsi une activité biologique permanente.• Lors de la délétion d’une partie de la séquence codante,le gène c-erbB1code pour le récepteur de l’epidermalgrowth factor(EGF) ; dans certaines tumeurs, on observeune délétion de la partie extracellulaire capable de fixerEGF et des mutations dans sa portion intracyto-plasmique conférant à la protéine une activité tyrosinekinase permanente.• La translocation chromosomiqueva réunir dans uneprotéine de fusion le produit d’un gène activement trans-crit et une partie des séquences codantes de l’oncogène,conduisant à la synthèse d’une protéine hyperactive ; unexemple de ce type de fusion est la protéine bcr-abl,produit de la translocation t(9,22) de la leucémie myé-loïde chronique.• Parfois, la translocationva simplement mettre l’oncogènesous la dépendance du promoteur d’un gène activementtranscrit, comme le gène des chaînes lourdes des immuno-globulines pour la t(8,14) des lymphomes de Burkitt.• L’amplification génique est décrite pour les gènes N-mycdans le neuroblastome.• L’insertion d’un élément génétique mobile(tel qu’unrétrovirus) à proximité du proto-oncogène entraîne l’activation de la transcription du gène. Le gène codantpour le fibroblast growth factor 3(FGF-3) est ainsi activé par le mouse mammary tumour viruschez la souris conduisant à l’apparition de tumeurs mammaires.Les mutations des oncogènes ne surviennent pas isolé-ment dans les tumeurs et très souvent, la mutation deplusieurs oncogènes est synergique pour l’acquisitiond’un phénotype cancéreux. Ce phénomène est connusous le nom de coopération des oncogènes.

2. Anti-oncogènes ou gènes suppresseurs de tumeurs (voir : Pour approfondir 1)Certaines mutations vont inactiver des gènes dont leproduit est impliqué dans le blocage de l’entrée dans lecycle cellulaire : on parle parfois à leur propos d’anti-oncogènes, mais le terme gène suppresseur de tumeurest généralement préféré. Beaucoup de gènes suppresseurs de tumeurs ont étéidentifiés grâce à l’étude des syndromes de prédispositionhéréditaire aux cancers. C’est le cas du gène du rétino-blastome (Rb), premier gène suppresseur de tumeuridentifié (1984) grâce à l’étude des familles atteintes deformes héréditaires de rétinoblastome. Dans la forme

héréditaire de cette maladie, les individus atteints pré-sentent souvent plusieurs tumeurs tandis que les formessporadiques de rétinoblastome sont en général destumeurs uniques. Le gène Rba pu être identifié dans unerégion du chromosome 13 touchée par une délétion chezles individus atteints dans certaines de ces familles.On apu montrer que dans les cellules de rétinoblastome, les 2 copies du gène sont inactivées, une 2e mutation ayantinactivé le gène Rb sur l’autre chromosome dans la cellule tumorale. La probabilité de survenue de cette 2e mutation est donc élevée dans ces cellules présentanttoutes une mutation du 1er gène Rb, et plusieurs tumeurspeuvent ainsi survenir dans les cellules rétiniennes des 2 yeux ; en revanche chez les individus dépourvus demutation de Rb constitutionnelle, le risque de survenued’une mutation sur chacun des 2 gènes Rbdans la mêmecellule est très faible, expliquant ainsi la rareté de cetteaffection en dehors des formes familiales. La perte du gène Rb joue un rôle important dans destumeurs plus fréquentes que le rétinoblastome. Les 2 copies du gène sont fréquemment altérées dans lescancers du poumon, du sein, de la vessie, les sarcomes.La protéine Rb, lorsqu’elle est déphosphorylée, inhibe latranscription de certains gènes, permettant l’entrée dansle cycle cellulaire. Lorsque les 2 copies du gène sontperdues ou lorsque la protéine Rb est phosphorylée (v. infra), il n’empêche plus la transcription et permetainsi à la cellule d’accomplir une nouvelle division. Depuis la description initiale du gène Rbcomme modèlede gène suppresseur de tumeur, de nombreux autresgènes suppresseurs de tumeurs ont été identifiés dans lestumeurs humaines :APC et DCC dans les tumeurscoliques,WT1dans les tumeurs de Wilms,BRCA-1et 2dans les adénocarcinomes du sein,p53 dans une largevariété de cancers. La protéine p53 est mutée dans une large variété de cancers humains. Une des fonctions de p53 est d’induirela production d’une protéine p21/WAF1 inhibitrice deskinases dépendantes des cyclines qui permettent à lacellule de passer le point de contrôle G1 du cycle cellu-laire ; p53 est induite en réponse à des altérations del’ADN et permet à la cellule d’arrêter sa progressiondans le cycle, de réparer les lésions de l’ADN ou, sicelles-ci sont irréparables, d’entraîner l’apoptose de lacellule altérée. Les mutations de p53 permettent à la cellule à la fois de se diviser et d’acquérir des mutationssupplémentaires sur d’autres gènes. Les mutationsconstitutionnelles de p53 sont responsables d’un syn-drome de prédisposition génétique aux cancers appelésyndrome de Li-Fraumeni. D’autres gènes suppresseurs de tumeurs sont mutés chezdes sujets porteurs de prédispositions héréditaires aucancer. La polypose colique adénomateuse familialerésulte d’une mutation somatique d’un gène appeléAPC; les gènes de réparation msh-2 et mlh-1sont altérésdans les cancers coliques familiaux non polyposiques, legène WT1dans les tumeurs de Wilms familiales (tableau II).Certains gènes suppresseurs de tumeurs, comme p53ouRb, sont inactivés par d’autres mécanismes que des

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Syndromes Gènes Types de prédisposition au cancer suppresseurs de cancers

Rétinoblastome familial Rb Rétinoblastome, ostéosarcome

Syndrome de Li-Fraumeni p53 Carcinomes, sarcomes, leucémies

Polypose adénomateuse familiale APC Adénocarcinomes du côlon et du rectum

Cancer colique familial non polyposique msh-2, mlh-1 Adénocarcinomes : côlon, estomac, voie biliaire,endomètre

Ataxie télangiectasie ATM Lymphomes, tumeurs cérébrales

Tumeur de Wilms familiale WT1 Tumeur de Wilms

Neurofibromatose type 1 NF1 Sarcome, gliomes

Neurofibromatose type 2 NF2 Méningiomes, neurinomes du VIII

Cancer du sein familial BRCA-1, BRCA-2 Adénocarcinome du sein, de l’ovaire

taires variables d’une tumeur à l’autre, à la faveur del’instabilité génétique provoquée par la perte de p53.Chez les individus porteurs de mutations somatiques dugène APC et présentant une polypose adénomateusefamiliale, toutes les cellules somatiques de l’individu etnotamment les cellules épithéliales du colon ont franchiune 1re étape dans le processus de carcinogenèse, qui seproduit donc avec une fréquence beaucoup plus élevéeque dans la population générale et à un âge plus précoce.

4. Défaut de réparation de l’ADND’une manière générale, tout phénomène biologique quiaugmente le taux de mutation de l’ADN augmente lerisque de développer un cancer. On a identifié ainsi plusieurs syndromes de prédisposition au cancer quirésultent d’altération des systèmes de réparation del’ADN. Le xeroderma pigmentosumest un syndromedans lequel les individus, le plus souvent des enfants,présentent une anomalie d’un gène codant pour une desprotéines impliquées dans la réparation des lésions del’ADN dues aux ultraviolets et vont présenter des cancers cutanés multiples dans les 2 premières décenniesde la vie. Les cancers héréditaires du côlon non polypo-siques sont également liés à des altérations des gènes(msh-2, mlh-1) d’un système de réparation de l’ADN(réparation des mésappariements de l’ADN). L’inactivationde ce système entraîne l’apparition d’une instabilitégénétique qui favorise l’accumulation progressive demutations. L’instabilité génétique observée dans ce syn-drome prédispose aux cancers du côlon et à d’autrescancers (endomètre, voies biliaires, estomac) à un âgeprécoce. D’autres mutations de gènes impliqués dans laréparation et la réplication de l’ADN sont responsablesde maladies génétiques augmentant le risque de cancerscomme le gène ATMdans l’ataxie télangiectasie.

mutations inactivatrices. Les virus oncogènes à ADN,tels que les papillomavirus (impliqués dans les cancersdu col de l’utérus) ou le virus polyome contiennent desprotéines virales (protéines E6 et E7 de papillomavirus,antigène T et t de polyome) qui se fixent aux protéinesp53 et à Rb bloquant ainsi leur fonction. Le virus peutainsi utiliser à son profit les protéines cellulaires deréplication de l’ADN de l’hôte pour se répliquer. Danscertaines cellules, ces virus oncogènes à ADN vont s’in-tégrer à l’ADN cellulaire et les protéines virales sontproduites en permanence, bloquant ainsi en permanencela fonction des protéines Rb et p53 et favorisant la division cellulaire. À la différence des rétrovirus,ces protéines oncogènes des virus à ADN n’ont pasd’équivalent cellulaire et sont indispensables à la réplication virale.

3. Modèle du carcinome coliquePlusieurs mutations de proto-oncogènes ou de gènessuppresseurs de tumeurs sont donc requises pour latransformation d’une cellule normale en cellule cancé-reuse. La genèse des anomalies moléculaires, de l’épi-thélium normal, à l’adénome puis à l’adénocarcinome aété particulièrement bien étudiée dans les cancers recto-coliques. La plupart des cellules d’adénocarcinomecolique acquièrent au cours de leur transformation can-céreuse des mutations sur des gènes précis : le gène sup-presseur de tumeur APC est perdu souvent avant l’appa-rition de l’adénome, l’oncogène K-ras est muté et legène suppresseur de tumeur DCC est perdu au cours dela dédifférenciation de l’adénome ; puis une perte dugène p53 est observée lorsque le carcinome devientinvasif. L’ordre de survenue de ces mutations peut pro-bablement varier selon les tumeurs. Au-delà, la celluletumorale acquiert des anomalies génétiques supplémen-

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Syndromes de prédisposition au cancer et gènes suppresseurs de tumeurs

TABLEAU II

Facteurs de croissance

Chez les eucaryotes supérieurs, dont l’homme, la majorité des cellules sont en G0 où elles exercent leursfonctions spécialisées. L’entrée d’une cellule dans lecycle cellulaire requiert la présence de facteurs de crois-sance dans le milieu extracellulaire et de l’ancrage de la cellule à la matrice extracellulaire par l’intermédiairede molécules d’adhésion. Les cellules cancéreuses pro-duisent fréquemment ces facteurs de croissance enexcès, ou présentent une activation permanente de leursrécepteurs et des voies de transduction du signal en aval.Les facteurs de croissance sont des petites protéines designalisation extracellulaire (cytokines) actives à trèsfaibles concentrations (10-9 à 10-10 mmol) qui vont induirel’entrée de la cellule en phase S et parfois moduler ladifférenciation, la fonction et (ou) la migration des cellules cibles exprimant leurs récepteurs spécifiques.Ils agissent selon un mécanisme paracrine, parfois auto-crine et, plus rarement, endocrine. Plus d’une centainede facteurs de croissance ont désormais été identifiés.Leur nom provient des circonstances de leur découverteou de leur fonction EGF et PDGF. Certains agissent surune très grande variété de cellules (EGF, PDGF),d’autres sur une population cellulaire très limitée (inter-leukine 2, érythropoïétine). Certains facteurs de crois-sance, comme le TGFβ (transforming growth factorβ)exercent des effets biologiques opposés (effet prolifératifou antiprolifératif) dans des types cellulaires différents.Plusieurs de ces facteurs de croissance sont des proto-oncogènes qui vont contribuer à l’acquisition d’un phéno-type cancéreux lorsqu’ils sont produits en excès (PDGF,EGF,macrophage colony stimulating factorou M-CSF)en agissant souvent selon un mécanisme autocrine (fig. 1).Ces facteurs de croissance interagissent avec la portionextracellulaire des récepteurs transmembranaires spéci-fiques présents à la surface de la cellule, parfois consti-tués d’une ou plusieurs chaînes différentes. Dans leurportion intracellulaire, ces récepteurs, après interactionavec leur ligand, exercent une activité enzymatiquevariable, tyrosine kinase (récepteur de l’EGF ou duPDGF), sérine thréonine kinase (récepteur du TGFβ),ou interagissent avec des protéines G ancrées dans lefeuillet interne de la membrane plasmique. D’autresrécepteurs sont dépourvus d’activité enzymatique intrin-sèque, mais s’associent à des protéines cytosoliques quivont transmettre directement le signal ; c’est le cas derécepteurs d’interleukines (IL2, IL4, IL6), qui inter-agissent avec des kinases (janus kinases ou Jak) qui vontphosphoryler et activer directement des facteurs detranscription.Les récepteurs tyrosine kinases se « dimérisent » aprèsinteraction avec leur ligand, permettant ainsi une auto-phosphorylation de tyrosine dans leur portion intracyto-plasmique ; les récepteurs ainsi phosphorylés interagis-sent alors avec d’autres protéines cytosoliques, quiactivent la protéine ras, qui active elle-même d’autreskinases intracytoplasmiques (c-raf). Par une cascade dephosphorylations, le signal induit par le facteur de

croissance est transmis jusqu’au noyau induisant ainsi latranscription de certains gènes et permettant l’entréedans le cycle cellulaire (fig. 1). Les facteurs de croissance induisent l’expression de 2 grandes classes de gènes, des gènes à réponse précoce(dont les proto-oncogènes c-foset c-jun) et des gènes àréponse retardée, qui sont activement transcrits au-delàd’une heure après l’exposition de la cellule au facteur decroissance. Parmi ces derniers figurent les protéines dela machinerie de contrôle du cycle cellulaire, c’est-à-dire les cyclines, et les protéines kinases dépendant descyclines qui permettent aux cellules de passer le point derestriction de fin de G1 et d’entrer en phase S. La protéi-ne Rb joue un rôle important dans ce phénomène : dansla cellule en G0, Rb se lie sous sa forme déphosphoryléeà des protéines régulatrices de la transcription qu’elleinactive. Après exposition à un facteur de croissance, Rbva être phosphorylée, libérant ainsi ces facteurs régula-teurs de la transcription, permettant ainsi l’induction dela transcription de gènes tardifs. Ainsi, 2 phénomènesbiologiques aussi différents que l’inactivation fonction-nelle de Rb par mutation des 2 copies du gène et l’acti-vation permanente d’une voie de signalisation d’un fac-teur de croissance ont des conséquences assez similairessur l’entrée d’une cellule dans le cycle cellulaire.Les facteurs de croissance, les récepteurs de facteurs decroissance ou les protéines cellulaires qu’ils activent encascade sont des proto-oncogènes fréquemment mutés(c-erbB-1, c-ras, c-raf), surexprimés (c-erbB-2), ampli-fiés (c-erbB-2) dans les cellules cancéreuses induisantainsi une activation permanente des voies de transduc-tion du signal indépendamment de la présence du ligand(fig. 1). De ce fait, les cellules cancéreuses ont unemoindre dépendance aux facteurs de croissance que lescellules normales. La perte de l’inhibition de contactrésulte en fait d’une compétition entre les cellules poussant à haute densité pour l’utilisation des facteursde croissance présents en faible quantité en culture. Lescellules cancéreuses affranchies de cette dépendancepeuvent continuer à se diviser même en présence de trèsfaibles concentrations de ces facteurs de croissance dansle milieu de culture.

ApoptoseLe terme d’apoptose désigne un processus actif de mortcellulaire programmée, au cours duquel la cellule procède,par l’activation d’enzymes intracellulaires notamment, àune destruction de son ADN et de certaines protéinesconduisant à sa propre mort. L’apoptose est un processusessentiel pour l’homéostasie de l’individu, intervenantdans des processus aussi divers que l’embryogenèse, ladestruction des lymphocytes T autoréactifs, la destruc-tion des cellules en sénescence, des cellules infectéespar des virus, des cellules porteuses de mutations del’ADN. Sur le plan morphologique, l’apoptose se traduitpar une diminution de la taille de la cellule et de sonnoyau, qui se fragmente. L’ADN cellulaire est clivé enfragments multiples de 200 paires de bases correspondant

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de mort ») qui activent lacascade des caspases dansla cellule. Leur moded’action est ainsi très voisin de celui des facteursde croissance et ils peuvent d’ailleurs parfois(TNFα) agir comme desfacteurs de croissance etnon pas d’apoptose pourcertains types cellulaires.La privation de facteurs de croissance entraînel’apoptose de certainstypes cellulaires notam-ment de cellules du sys-tème hématopoïétique. Les lésions irréparablesde l’ADN, causées pardes agents mutagènescomme les radiationsionisantes ou les agentscytotoxiques utilisés enchimiothérapie antican-céreuse entraînent l’apop-tose. La protéine p53 normale intervient dansce phénomène. Les cellules cancéreusesprésentent fréquemmentune altération des voiesd’induction ou d’inhibi-tion de l’apoptose. Latumeur pour laquelle unealtération des voies del’apoptose a été la mieuxdocumentée est le lym-phome folliculaire, unetumeur maligne du lym-phocyte B, caractérisé par la translocation chro-mosomique spécifiquet(14,18) : cette transloca-tion juxtapose le gène

antiapoptotique bcl-2avec les séquences régulatrices d’ungène des immunoglobulines, entraînant ainsi une surex-pression de bcl-2 dans le clone cellulaire tumoral. Cettetranslocation confère au clone tumoral une survie pro-longée. Cela a pu être démontré dans des lignées cellulaires où la surexpression de l’oncogène c-myc permet à la cellule d’entrer en cycle mais la conduit enapoptose. La surexpression de bcl-2 avec c-mycdans lamême lignée permet à la cellule d’échapper à l’apoptoseet lui confère un phénotype cancéreux. Une surexpres-sion de bcl-2 ou d’autres protéines antiapoptotiques dela même famille a désormais été observée dans d’autrestypes de cancers notamment des carcinomes. Cette surexpression est parfois associée à une agressivité clinique particulière de la tumeur.

à la longueur du brin d’ADN nucléosomique. Ce proces-sus de dégradation des composants intracellulaires estexécuté en partie par une catégorie d’enzymes particu-lières appelées caspases dont on connaît désormaisplusd’une dizaine de membres. L’entrée en apoptose et l’ac-tivation de ces caspases est également sous le contrôled’une famille de protéines intracellulaires situées dansles membranes d’organites intracellulaires dont les mito-chondries, les protéines de la famille bcl-2 ; certaines deces protéines induisent l’apoptose, d’autres l’inhibent. Plusieurs types de signaux entraînent la cellule à s’engagerdans un processus d’apoptose. Des protéines solubles outransmembranaires (tumour necrosis factor alpha, TNF;ligand de Fas,TRAIL) interagissent avec des récepteursspécifiques à la surface de la cellule cible (« récepteurs

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Les proto-oncogènes dans la transduction du signal mitotique.1

Shc

GRB2

Protéines liant le GTP :H-rasN-rasK-ras

c-rafsérine-thréonine kinase

MAPK(mitogen activated protein kinase)

erb-A :récepteur del’hormonethyroïde

Protéinesnucléairesmycfosjun

c-src :tyrosines kinases associéesà la membrane ou au

cytosquelette

PDGF (sis)EGFM-CSF

Récepteur PDGFRécepteur de l'EGF (c-erRécepteur du M-CSF (c-fmc-Erb-B2

Dissémination tumorale

L’une des caractéristiques de la celluletumorale est sa capacité à envahir desrégions de l’organisme où elle nedevrait pas se retrouver. La capacité àdisséminer dans des tissus adjacents estla première étape conduisant à l’appari-tion de métastases (fig. 2). La cellule can-céreuse,par exemple d’origine épithé-liale, a ainsi la capacité de s’affranchirde ses interactions avec les cellules normales environnantes, détruire lamembrane basale sous-jacente, progres-ser à travers le tissu conjonctif, franchirla paroi du vaisseau lymphatique ousanguin, migrer dans la circulation lym-phatique ou sanguine, franchir la paroidu capillaire dans une autre région del’organisme, pour s’établir, survivre etcroître dans ce nouvel environnement.Cette succession d’étapes limitantesnécessite l’acquisition par la cellulecancéreuse de nouvelles propriétés.La perte de l’adhésion des cellulestumorales aux cellules normales adja-centes peut résulter de plusieurs méca-nismes par exemple la perte de l’expres-sion de molécules d’adhésionintercellulaire, comme la cadhérine E,ou l’inactivation fonctionnelle de cesmolécules d’adhésion après expositionà des cytokines telles que certainsmembres de la famille des FGF. Dansles lignées cellulaires dans lesquellesl’expression de la cadhérine E est per-due, la transfection par la cadhérine Epermet de renverser le phénotype méta-statique, cette molécule d’adhésion secomportant donc comme un gène suppresseur detumeur. L’étape suivante dans la dissémination métasta-tique est la dégradation des composants de la matriceextracellulaire pour permettre la progression de la cellu-le tumorale dans le tissu conjonctif environnant, c’est-à-dire la membrane basale, le chorion sous-jacent et laparoi des vaisseaux sanguins ou lymphatiques. Plusieursfamilles d’enzymes impliquées physiologiquement dansle remodelage du tissu conjonctif jouent un rôle essen-tiel dans la dégradation des protéines fibreuses, des pro-téoglycanes et des glycoprotéines de la matrice extracel-lulaire : les héparanes, les sérine-, asparatyl- etcystéine-protéases, et les métalloprotéases (matrixmetalloproteinase, MMP). La cellule tumorale utilise lesMMP pour remodeler le tissu extracellulaire environ-nant, mais à la différence des cellules normales, ce pro-cessus s’associe à une motilité accrue de la celluletumorale, lui permettant de progresser dans les tissus etde les coloniser (voir :pour approfondir 2). Pour pro-gresser dans le tissu conjonctif, les cellules tumorales

produisent divers facteurs de motilité, des cytokines(FGF1 et FGF2, IL6, TGFβ…), des composantssolubles de la matrice extracellulaire (fibronectine,laminine, thrombospondine…) qui vont jouer un rôleparfois opposé selon qu’ils sont sous forme soluble circulante ou insérés dans la matrice conjonctive.Seule la minorité des cellules tumorales qui franchit laparoi vasculaire et qui migre par la circulation sanguinese fixe dans un tissu à distance et forme une métastase.Dans la circulation, les cellules tumorales interagissentavec des plaquettes par l’intermédiaire de moléculesd’adhésion (de la famille des intégrines notamment).Pour sortir du flux sanguin, les amas de cellules tumo-rales et de plaquettes interagissent avec des moléculesd’adhésion situées au niveau des capillaires de l’organecible selon des mécanismes probablement voisins deceux mis en jeu pour l’extravasation des leucocytes.L’amas de cellules tumorales et de plaquettes induit laproduction de médiateurs locaux permettant une rétrac-tion des cellules endothéliales et l’exposition de la

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Étapes de dissémination pour une cellule tumorale épithéliale.2

Altération de la cohésion intercellulaire dans l’épithélium

Franchissement de la membrane basale

Croissance locale

Fixation sur l’endothéliumvasculaire de l’organe cible

Croissance au site métastasique

Progression dans le tissu conjonctif / franchissement

de la paroi vasculaire

Perte de la cadhérine EFacteurs de motilité

Upa/PAIcollagénase IV, protéasesTIMPFacteurs de motilité

Facteurs angiogéniquesFacteurs de croissance

Facteurs angiogéniquesFacteurs de croissance

Upa/PAIProtéases, métalloprotéasesHéparanaseTIMP(inhibiteur tissulaire des métalloprotéases)Facteurs de motilitéIntégrines

Plaquettes sélectinesCD44 intégrines

Upa/PAIProtéases, métalloprotéasesHéparanaseTIMPFacteurs de motilitéIntégrines

É TA P E SMolécules expriméespar les cellules tumorales impliquées dans la dissémination

Pénétration à travers la paroidu vaisseau et dans le chorion

Upa : urokinase like plasminogen activator ; PAI : plasminogen activator inhibitor

ments cytotoxiques pour le traitement des tumeurs disséminées. Actuellement, des facteurs inhibiteurs desmétalloprotéase, et de l’angiogenèse sont en expérimen-tation clinique.

Incidence pronostiqueLa meilleure compréhension des mécanismes biolo-giques de la cancérogenèse et notamment des altérationsgénétiques des cellules tumorales a conduit à de nou-velles classifications des tumeurs humaines. Certainesmaladies néoplasiques sont désormais identifiées sur labase d’une altération génétique spécifique (translocation)autant que sur l’analyse cytologique ou histologiqueclassique : c’est le cas de la leucémie myéloïde chro-nique et de la t(9,22), des sarcomes d’Ewing et de lat(11, 22) et ses variantes, des lymphomes du manteau etde la t(11,14). Cette nosologie moléculaire des maladiesa parfois permis d’individualiser des groupes de patientsavec un pronostic complètement différent d’autrespatients porteurs de maladies voisines ou similaires surdes bases cytologiques histologiques ou phénotypiques :les lymphomes du manteau caractérisés par leur t(11,14)ont un pronostic moins bon que les patients porteursd’autres lymphomes diffus B à petites cellules, les leu-cémies aiguës non lymphoblastiques de l’enfant avect(9,22) ou une translocation en 11q23 sont associées àun pronostic défavorable. En outre au sein d’un même groupe de maladies néo-plasiques, par exemple les adénocarcinomes du sein,l’altération de l’expression d’un gène spécifique est corrélée à un pronostic particulier, souvent moins bon.C’est le cas pour les mutations inactivatrices de gènessuppresseurs de tumeur (p53ou Rb pour des cancers dusein, lymphomes, leucémies) pour la surexpression deproto-oncogènes codant pour des tyrosine kinasesrécepteurs de facteurs de croissance (c-erbB2, dans lescancers du sein dans certains sarcomes), pour l’amplifi-cation de proto-oncogènes codant pour des facteurs detranscription (N-mycdans le neuroblastome), pour laproduction in vivo de facteurs de croissance (VEGF,IL6). Ces paramètres biologiques ne sont pas pour laplupart étudiés en routine à l’heure actuelle. La présencede ces anomalies moléculaires semble cependantinfluencer la réponse à certains traitement antinéo-plasiques (efficacité des cytotoxiques) et il est donc possible qu’ils soient plus largement utilisés dans lesannées à venir. En outre, le développement de traite-ments spécifiques dirigés contre ces oncogènes (parexemple, un anticorps monoclonal anti-erb-B2) nécessi-tera probablement une analyse systématique de sa sur-expression. Enfin, la mise à disposition d’outils tels queles puces à ADN, permettant l’analyse de milliers degènes dans une tumeur donnée et ainsi une analyse éten-due des anomalies génétiques de milliers de tumeurs, vaprobablement bouleverser dans les années à venir à lafois la classification nosologique de ces maladies etconduire à identifier des sous-groupes pronostiques etthérapeutiques encore insoupçonnés actuellement.■

membrane basale. La cellule tumorale pénètre la matriceconjonctive de l’organe cible en utilisant les facteurs demotilité et les MMP, induit une néovascularisation avantde proliférer pour donner une métastase. La relative spécificité des organes sièges de métastasespour un type de cancer donné est encore mal comprise. Ilest certain que cette spécificité résulte en partie de phéno-mènes mécaniques : les organes qui sont des points de pas-sage obligés du flux sanguin pour certains organes (pou-mon, foie) sont plus fréquemment le siège de métastase.Cependant, d’autres paramètres interviennent probable-ment : des molécules d’adhésion avec des cellules tumo-rales spécifiques des cellules endothéliales d’un organedonné ont été décrites dans certains modèles. En outre, ilest probable que l’environnement tissulaire normal del’organe touché (composants de la matrice, facteurs decroissance produits in situ) favorise le développement detel ou tel type cellulaire dans un site métastatique donné.Enfin, l’un des paramètres essentiels influençant lacroissance tumorale est la capacité d’une cellule tumoraleà susciter le développement d’une néovascularisationtumorale et, en particulier, la différenciation et la crois-sance de cellules endothéliales. Ce processus, dénomméangiogenèse, est indispensable à la croissance tumoraleau-delà d’un volume de quelques millimètres cubes detumeur dans de nombreux modèles expérimentaux. Lacroissance tumorale est en effet limitée au-delà de cevolume par la disponibilité en nutriments et en oxygènedes cellules tumorales. La capacité d’une tumeur à susci-ter une néovascularisation semble indispensable au déve-loppement de la tumeur, à la fois localement et au site desmétastases. On a ainsi pu décrire dans certaines tumeurs(carcinomes in situ du col de l’utérus) in vivo, un état« prévasculaire », au cours duquel un petit amas de cel-lules tumorales est présent mais ne peut se développer au-delà d’un certain volume, et une phase « vasculaire » où latumeur développe une néovascularisation et peut croîtreet éventuellement disséminer. Des mécanismes similairessont mis en jeu pour le démarrage de la croissance demétastases « dormantes » dans des modèles animaux etpeut être chez l’homme. Le passage d’une phase prévasculaire à une phase vas-culaire est lié à la production, le plus souvent par les cellules tumorales elles-mêmes, de facteurs de croissancedes cellules endothéliales, appelés facteurs angiogé-niques. Ces facteurs de croissance sont des cytokinesqui sont parfois également des facteurs de croissanceautocrines pour les cellules tumorales elles-mêmes.Parmi ces facteurs on peut citer, le vascular endothelialgrowth factorou VEGF, l’angiogénine, les FGF1, 2 et 4,le TGFα, l’hepatocyte growth factorou HGF.Ces cytokines produites par les cellules tumorales exer-cent ainsi fréquemment des propriétés biologiques multiples et interviennent à des étapes différentes de laprogression tumorale, modulant aussi bien la croissancede la cellule, que sa motilité et sa capacité à induire unenéovascularisation. La compréhension des mécanismesbiologiques de la dissémination tumorale permet désor-mais d’envisager des stratégies autres que les traite-

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• Les proto-oncogènes sont des gènes normauxqui vont subir des mutations activatrices dansles cellules cancéreuses, les transformant ainsien oncogènes capables d’induire une divisioncellulaire incontrôlée.

• Ils codent souvent pour des protéines impliquées dans la transmission du signal mitogénique de la membrane plasmique au noyau. Leur mutation induit généralementleur activation permanente, rendant les cellulesmoins dépendantes aux facteurs de croissanceexogènes pour l’entrée en mitose.

• Les gènes suppresseurs de tumeurs ont pour rôle physiologique de freiner la division cellulaire, lorsque la cellule n’est pas dans une situation adéquate (manque de facteur de croissance, mutations de l’ADN). Leur destruction permet à la cellule cancéreuse d’entrer en division, d’accumuler des anomaliesgénétiques supplémentaires ou d’échapper aux signaux entraînant l’apoptose.

• La surexpression de protéines anti-apoptotiquesest l’un des mécanismes moléculaires conduisantà la cancérogenèse dans certains modèles.

• La transformation d’une cellule normale en cellule cancéreuse fait intervenir plusieursdes mutations consécutives de gènes suppresseursde tumeurs et d’oncogènes. Chez la plupart des individus, ces altérations génétiques de lacellule tumorale sont acquises. Cependant,dans certains syndromes de cancers familiaux,les individus atteints présentent une mutationsomatique qui inactive un gène, généralementun gène suppresseur de tumeur. Les individusaffectés présentent ainsi une incidence accruede certaines tumeurs qui surviennent en outre à un âge précoce.

• Les facteurs de croissance sont fréquemmentproduits en excès par les cellules cancéreuses.Ils interviennent à plusieurs étapes dans la progression du cancer, agissant comme facteur anti-apoptotique, facteur de croissance,facteur de motilité cellulaire ou comme facteursangiogéniques.

• La dissémination des cellules tumorales,à travers la membrane basale, dans le tissuconjonctif, à travers la paroi des vaisseaux et dans les sites métastatiques fait intervenir l’altération de la structure ou de la fonction des molécules d’adhésion à leur surface,la production d’enzymes capables de détruireles fibres et les glycoprotéines de la matrice,la production en excès de cytokines agissantcomme des facteurs de motilité, la productionde néovaisseaux capables de vasculariser latumeur primaire ou la métastase en croissance.

• La caractérisation des anomalies moléculairesdes cellules cancéreuses permet la mise en placed’une nouvelle classification de ces maladiesreposant sur des critères moléculaires.Certaines anomalies génétiques constituent enoutre un facteur pronostique pour certainesaffections néoplasiques.

Points Forts à retenir

1 / Anti-oncogènes ou gènes suppresseurs de tumeurs

Ce sont les expériences de fusions cellulaires qui ont permis de montrerque le processus de transformation cellulaire pouvait provenir de laperte de fonction d’allèles normaux. En effet, la fusion d’une cellulenormale et d’une cellule maligne donne généralement naissance à unecellule ayant perdu le phénotype malin. Cela est dû à l’apport, par lacellule normale, de gènes qui sont altérés dans la cellule cancéreuse.Ces altérations sont de type récessif, puisque le phénotype tumoralne peut pas s’exprimer dans la cellule hybride. Dans certains cas, lafusion de 2 cellules cancéreuses donne naissance à une cellule ayantperdu les caractères de malignité. Cette observation conforte l’hypo-thèse selon laquelle un certain nombre de changements génétiquesdifférents interviennent au cours de la cancérogenèse. Enfin, parmicrotransfert, il est possible de supprimer le phénotype tumoral decertaines cellules cancéreuses par transfert d’un seul chromosome.Les gènes perdus ou inactivés au cours de transformation malignesont appelés gènes suppresseurs de tumeur car, à l’état physiolo-gique, ils codent pour des protéines impliquées dans le contrôle néga-tif de la croissance cellulaire.

2 / Dissémination

Les métalloprotéases (matrix metalloproteinases, MMP) sont classéesen différentes familles : les collagénases interstitielles, les collagénasesde type IV, les stromélysines. L’expression de ces enzymes est phy-siologiquement très finement régulée dans le temps et dans l’espace.Dans les cellules cancéreuses, l’expression de ces enzymes est trèsfortement corrélée à leur potentiel métastatique. Les collagénases detype IV sont ainsi exprimées dans les cellules tumorales de cancerscutanés invasifs, mais pas dans les cellules épidermiques normales.Ces enzymes peuvent cependant être produites également par lescellules non tumorales du stroma et, dans ce cas, les cellules tumo-rales produisent des facteurs capables de convertir les pro-enzymesinactives en enzymes actives capables de dégrader le stroma.L’activation de ces enzymes s’effectue ainsi en cascade et la plasmineparaît essentielle à l’activation de cette cascade. De fait, la productiond’activateurs du plasminogène proche de l’urokinase (Upa) est trèsfréquemment observée par les cellules tumorales in vitro et in vivo.Physiologiquement, l’activité enzymatique de ces métalloprotéasesest contrôlée par des molécules appelées, inhibiteurs tissulaires desmétalloprotéases (TIMP-1 et 2). La capacité métastatique des lignéestumorales résulte ainsi probablement d’une balance entre l’expres-sion des MMP ou d’activateurs de ces enzymes (Upa) et la présenced’inhibiteurs de ces enzymes (TIMP) ou de leurs activateurs (plasmi-nogen activator inhibitors ou PAI).

POUR APPROFONDIR

Alberts B, Bray D, Lewis J, Raff M, Roberts K, Watson JD. Biologiemoléculaire de la cellule. 3e édition. Paris : Flammarion MédecineScience, 1995.

Les fiches résumés des oncogènes. Bull Cancer 1998 et 1999,volumes 85 et 86.

POUR EN SAVOIR PLUS

Médecine interneB 328

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Classification clinique de la maladie en fonction des atteintes

1. Atteinte cutanée

L’atteinte cutanée du visage a donné son nom à la maladie.Les lésions cutanées peuvent être classées en lésionslupiques, vasculaires, non lupiques et non vasculaires.Les lésions cutanées lupiques se distinguent par leuraspect clinique, leur histologie avec examen en immuno-fluorescence cutanée directe et leur évolution. • Le lupus chronique ou lupus discoïde (fig. 1) présente3 lésions élémentaires : l’érythème, les squames etl’atrophie cicatricielle.• Le lupus subaigudonne des lésions annulaires etatteint préférentiellement les femmes blanches. Il prédomine sur les zones exposées (décolleté, haut dudos, face latérale du cou, visage, face d’extension desbras). Il donne des plaques annulaires polycycliques àbordure érythémato-squameuse (fig. 2).

Diagnostic

La diversité des organes atteints rend difficile une défi-nition purement clinique de la maladie. Les critères declassification de la maladie, tels les critères de l’ARA(American rheumatism association), ne doivent pas êtreconsidérés comme des critères diagnostiques (voir :Pour approfondir 1). En effet, ils ne permettent pas lediagnostic précoce de l’affection. Ces critères sont utilesaux études épidémiologiques et servent à comparer descollectifs homogènes de patients. Un score pondéré descritères du lupus a été récemment proposé (voir :Pourapprofondir 2). Il permet d’obtenir une sensibilité de 92 %et une spécificité de 96 % si le score est supérieur à 2.Un terrain « génétique » est souvent retrouvé et laconstitution d’un arbre généalogique est souvent intéressante. Des facteurs « innés » rendent compte desobservations familiales avec une concordance de 63 %entre jumeaux monozygotes contre une concordance de10 % entre jumeaux dizygotes. Un déficit en fraction C2du complément peut également favoriser l’apparitiond’un lupus. D’autre part, des facteurs acquis peuventfavoriser l’émergence d’un lupus (par exemple, radiationsultraviolet, hormones sexuelles). La prévalence des différents symptômes présents au cours du lupus érythémateux systémique peut être évaluée (tableau I).

Lupus érythémateux aigu disséminéDiagnostic, évolution, principes du traitement

DR Olivier LIDOVE1, PR Patrice CACOUB2

1. Service de médecine interne, hôpital Foch, 92151 Suresnes.2. Service de médecine interne, groupe hospitalier La Pitié-La Salpêtrière, 75651 Paris Cedex 13.

• Le lupus érythémateux aigu disséminé est l’exemple type de maladie auto-immune non spécifique d’organe. Cette maladie toucheles femmes dans environ 90 % des cas.

• La cause de cette maladie est actuellementinconnue.

• La présentation clinique est variée et les examens biologiques sont d’une aideimportante au diagnostic. Le lupus érythémateuxaigu disséminé n’est pas exclusivement unemaladie dermatologique (lupus systémique).

• Le traitement doit être adapté à chaque situation clinique et à chaque cas individuel.

Points Forts à comprendre

Symptômes %

Arthrite et (ou) arthralgies 92

Fièvre 84

Lésions cutanées 72

Adénopathies 59

Anémie 56

Signes digestifs 53

Myalgies 48

Lésions rénales 46

Pleurésie 45

Péricardite 30

Atteinte du système nerveux central 25

Prévalence des symptômesau cours du lupus

TABLEAU I

• Le lupus aiguconstitue la 3e lésion lupique avec unenette prédominance chez la femme en période d’activitégénitale. L’aspect classique est l’érythème en ailes depapillon ou en vespertilio (fig. 3). Les lésions de lupus subaigu et aigu régressent sanscicatrice. L’étude en immunofluorescence directe d’unelésion lupique montre des dépôts d’immunoglobulines(IgG, IgA, ou IgM) ou de complément (C1q, C3) à lajonction dermo-épidermique dans 90 % des cas de lupusaigu et chronique, et dans 60 % des cas de lupus subaigu.Tous les types de lupus cutanés peuvent être associés àun lupus disséminé, sans qu’il soit possible de prédirel’évolution vers une forme disséminée. Quinze pourcent des malades avec lupus chronique ou discoïde ontou auront un lupus disséminé, plus de 50 % des maladesavec des lésions de lupus subaigu ont un lupus disséminé,plus de 90 % des malades avec lupus aigu ont ou aurontun lupus disséminé.• Les lésions vasculairessont essentiellement observéesdans les lupus disséminés. Dans ces cas, un diagnostichistologique est indispensable pour distinguer une vascularite d’une thrombose. Peuvent être associés : unsyndrome de Raynaud, un livedo, des ulcères de jambes,

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Lésions du lupus discoïde du visage associant érythème,squames et une atrophie centrale.

1

Lésions annulaires de lupus subaigu.2

Glomérulonéphrite lupique, classe IV de l’OMS. Il s’agitd’une urgence thérapeutique.

4

Lupus aigu se traduisant par un érythème en vespertilio.3

une urticaire et un œdème angioneurotique, des hémor-ragies en flammèches sous-unguéales, des nécrosescutanées extensives. Il peut exister des mégacapillaires àla capillaroscopie. • Des manifestations non lupiques et non vasculairespeuvent associer une alopécie avec chute diffuse descheveux contemporaine des poussées de la maladie, unepanniculite, ou des lésions bulleuses.

2. Atteinte rénale (fig. 4)L’atteinte rénale au cours du lupus est quasi constantehistologiquement, mais ne s’exprime que dans environla moitié des cas dans le lupus érythémateux disséminé.L’atteinte rénale est parfois révélatrice de la maladie etsurvient dans la majorité des cas au cours des 5 premières

la présence d’anticorps anti-phospholipides ou de mani-festations diffuses liées à des mécanismes inflammatoires(vascularite ou anticorps anti-neurone). La constatationde manifestations neurologiques centrales chez un ou unepatiente atteint(e) de lupus soulève plusieurs questions :Ces lésions sont-elles directement reliées à la maladie ?Sont-elles secondaires ou la conséquence de la défaillanced’un autre organe, d’une infection ou d’un traitement,ou de nature thrombo-embolique ?La réponse à ces questions dicte la conduite thérapeutique :corticothérapie, anticoagulation ou association des deux,traitement antibiotique ou arrêt d’un médicament. La vascularite cérébrale est une complication neurolo-gique très grave, heureusement devenue exceptionnelle,qui se manifeste par un tableau d’encéphalite fébrile. Ilexiste souvent une hypocomplémentémie associée à untitre élevé d’anticorps anti-ADN natif. La comitialité est

années évolutives. La biopsie rénale est un élémentdéterminant dans l’évaluation diagnostique, et surtoutpronostique, et guide les indications thérapeutiques. Onnote essentiellement une atteinte glomérulaire dont lesprincipales caractéristiques et les corrélations anatomo-cliniques sont résumées dans le tableau II. Cette biopsiepeut également révéler des thromboses capillaires desartérioles associées à un syndrome des antiphospholipides.La survie des patients lupiques en dialyse ou greffésn’est pas différente de celle des autres néphropathiesglomérulaires. La récidive sur le greffon ne survient quedans environ 2 % des cas.

3. Manifestations neurologiquesLes manifestations neurologiques s’intègrent dans lesformes graves de la maladie. Il peut s’agir de manifesta-tions focales, de nature ischémique, souvent associées à

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Classification Corrélations anatomo-cliniques

Classe I – Glomérules normauxA – Normaux par toutes les techniques Asymptomatique ou anomalies minimesB – Dépôts en microscopie électronique (faible protéinurie)ou en immunofluorescence

Classe II – Altérations mésangialesA – Épaississement mésangial ou discrète hypercellularité A – Anomalies urinaires dans 1 tiers des casB – Hypercellularité modérée B – Anomalies urinaires dans 50 % des cas

Classe III – Glomérulonéphrite segmentaire et focaleA – Lésions nécrosantes actives Protéinurie constante, souvent supérieure à 1 g/L,B – Lésions actives et scléreuses syndrome néphrotique dans 30% des casC – Lésions scléreuses Hématurie et leucocyturie sont témoins de l’activité

des lésions, insuffisance rénale modérée et hypertension artérielle (HTA) dans 1 tiers des cas

Classe IV – Glomérulonéphrite diffuse(prolifération mésangiale sévère, endocapillaire ou mésangio-capillaire, ou dépôts sub-endothéliaux multiples) Forme la plus grave :A – Sans lésions segmentaires – protéinurie, hématurie, leucocyturie constantes ;B – Avec lésions nécrosantes actives – syndrome néphrotique dans 60 % des cas ;C – Avec lésions actives et sclérosantes – hypertension artérielle dans 40 % des cas, ces 2 élémentsD – Avec lésions sclérosantes pouvant être associés ;

– insuffisance rénale fréquente

Classe V – Glomérulonéphrite extramembraneuseA – Pure Protéinurie importante, néphrotique dans 50 % des casB – Associée à des lésions de la classe II Insuffisance rénale rare

Classe VI – Sclérose glomérulaire évoluée

Classification morphologique de l’Organisation mondiale pour la Santé(version révisée de 1995)

TABLEAU II

rare au cours du lupus (environ 5 % des cas). Des mou-vements involontaires, une myélite transverse, et desmanifestations psychiatriques à type d’état psychotiqueou de démence sont également possibles. Les manifesta-tions nerveuses périphériques sont assez rares, avec possibilité de mononeuropathies multiples. L’atteintedes paires crâniennes est également possible.

4. Manifestations abdominalesElles concernent moins de 10 % des patients. Trois com-plications méritent d’être connues car pouvant mettre enjeu le pronostic vital : l’infarctus viscéral dans le cadredu syndrome des antiphospholipides, la vascularitemésentérique intestinale et la pancréatite lupique. Toutela difficulté, devant ces patients, est de différencier un« ventre médical » justifiant une corticothérapie à fortedose et un « ventre chirurgical » nécessitant une laparo-tomie en urgence. La contracture est rare chez cespatients sous corticothérapie. Une ascite exsudative, unecolite ulcéreuse et de rares cas d’entéropathie exsudativesont décrits.

5. Manifestations cardiaquesElles sont dominées par la péricardite et l’endocarditenon bactérienne de Libman-Sacks, très souvent associéeaux anticorps anti-phospholipides. Cette endocarditeexpose à 2 complications : la greffe bactérienne, l’emboliecérébrale. L’insuffisance coronaire est devenue l’une desprincipales causes de morbidité et de mortalité chez cespatients, probablement en raison de l’augmentation dela survie, mais aussi de l’athérome accéléré en partieiatrogénique. L’incidence de l’infarctus du myocardechez les patients lupiques est 9 fois supérieure à celle dela population de même âge. La présence d’anticorpsanti-phospholipides est également un facteur favorisant.La myocardite aiguë lupique peut conduire à une insuf-fisance cardiaque de type diastolique.

6. Manifestations pulmonairesElles peuvent être graves. Il faut avant tout écarter l’hypothèse d’une pneumopathie infectieuse, premièrecause de mortalité pulmonaire de la maladie. Une pleu-résie sérofibrineuse spécifique est présente dans environ50 % des cas. Certaines atteintes pulmonaires peuventmettre en jeu le pronostic vital. La pneumonie aiguëlupique conduit à des infiltrats souvent bilatéraux, pré-dominant aux bases, avec ascension des coupoles et até-lectasies en bandes. Elle est très sensible à la cortico-thérapie mais la corticorésistance est fréquente. Desséquelles respiratoires sont possibles. Ce tableau doitêtre distingué du tableau d’hypoxémie aiguë souventassociée aux poussées sévères de la maladie. Le syndromed’hémorragie alvéolaire doit être évoqué devant unedéglobulisation, des hémoptysies et également devantdes épreuves fonctionnelles respiratoires pouvant montrerune augmentation paradoxale de la diffusion de l’oxydede carbone. La fibrose pulmonaire interstitielle diffuseet l’hypertension artérielle pulmonaire sont 2 complica-tions chroniques. Dans ce dernier cas, il faut éliminer

formellement tout phénomène thrombo-embolique, surtouten présence d’anticorps anti-phospholipides. Cinquantepour cent des formes graves surviennent de façon précoce,dans les 5 premières années de la maladie.

Diagnostic différentiel

Plusieurs affections peuvent, par leurs aspects cliniques,rappeler la maladie lupique, qu’elles s’accompagnent ou non de facteurs antinucléaires : infection par le virusde l’immunodéficience humaine, par le parvovirus B19,le virus de l’hépatite C, myxomes cardiaques, lymphomeintravasculaire, leucémie à tricholeucocytes. Les hépatiteschroniques actives et les déficits héréditaires ou acquisen certains facteurs du complément, s’accompagnant desyndromes pseudo-lupiques, sont à retenir particulière-ment. Le syndrome des antiphospholipides primitif peutégalement être trompeur.

Quels examens complémentaires ?

La numération formule sanguine permet de retrouverune leucopénie inférieure à 4 000/mm3, une lymphopénieinférieure à 1 500/mm3, une thrombocytopénie à moinsde 100 000/mm3, une anémie volontiers hémolytique.La vitesse de sédimentation est souvent augmentée alorsque la protéine C réactive est souvent normale. La réali-sation d’une bandelette urinaire doit être systématique àchaque consultation ou lors de chaque hospitalisation,éventuellement associée à une protéinurie des 24 h en cas de positivité. L’étude de la fonction rénale reposeau minimum sur le dosage de la créatininémie. L’électro-phorèse des protides sériques peut montrer une hyper-gammaglobulinémie polyclonale. Une étude de l’hémo-stase, éventuellement associée à une sérologie syphilis(en expliquant au patient le motif de la recherche), unerecherche d’un anticoagulant lupique et d’anticorpsanti-cardiolipine sont réalisées en cas de suspicion desyndrome des antiphospholipides. Le dépistage des anti-corps anti-nucléaires par immunofluorescence indirecteest un des examens biologiques fondamentaux dans cecontexte. La recherche d’anticorps anti-ADN natif oubicaténaire peut se faire par 3 techniques : ELISA (enzyme-linked immunosorbent assay), sur Crithidialuciliæ ou par test de Farr. La recherche d’anticorps anti-antigènes nucléaires solubles avec différentes spécificités :Sm, RNP, Ro/SSA, La/SSB. Les anticorps anti-nucléosomeont une grande valeur diagnostique et leur taux (surtoutisotype IgG3) a été récemment corrélé à l’activité de lamaladie lupique, en particulier avec la glomérulonéphrite. Certains points concernant les tests immunologiquesdans le lupus méritent d’être précisés.• Les facteurs antinucléairessont présents dans plus de90 % des lupus, parfois absents au 1er examen. Lespatients avec un lupus avéré ont souvent des titres supérieurs au 1/500e.• Les anticorps anti-ADN natifsont beaucoup plus spéci-fiques du lupus. Leur présence permet d’affirmer la maladie.Les 3 techniques sus-citées sont parfois discordantes.

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lors de la poussée lupique et l’apparition brutale de laprotéinurie dans la prééclampsie. Ces 2 données ne sontqu’indicatives et, dans le doute, le traitement doit viserles 2 pathologies avec augmentation de la corticothérapie,mise au repos, éventuel traitement anti-hypertenseur etrarement discussion d’une extraction en fonction du termede la grossesse.

ÉvolutionL’utilisation des traitements actuels permet une survie à10 ans dans plus de 90 % des cas. L’évolution du lupusérythémateux aigu disséminé est imprévisible, ce quijustifie une surveillance clinique prolongée. La maladielupique évolue par poussées spontanément régressives,susceptibles de laisser des séquelles de gravité variable.Les formes cutanéo-articulaires « bénignes » doiventêtre distinguées des formes viscérales sévères, en particuliercelles touchant le rein et le système nerveux central. Lelupus est plus fréquent et souvent plus grave chez lessujets noirs et asiatiques que chez les sujets blancs. Lesformes sévères touchent souvent des personnes n’ayantpas accès aux soins ou sont favorisées par une rupture detraitement, en particulier corticoïde. Le lupus masculinest rare (environ 10 % des cas) mais plus sévère. Leslupus chez les enfants sont rares mais volontiers associésà des formes familiales, avec déficit congénital en fractionsdu complément (surtout C2 ou C4). À l’inverse, leslupus débutant chez les sujets de plus de 55 ans sont sou-vent bénins et comportent fréquemment des anticorpsanti-SSA.Deux types évolutifs méritent d’être connus car engageantle pronostic vital : les poussées viscérales sévères de lamaladie et les infections.

Formes graves

Les formes graves peuvent être secondaires à une formemoins sévère de la maladie et justifient donc une sur-veillance à vie. En ce qui concerne l’atteinte rénale, lesformes proliférantes nécrotiques diffuses sont les plussévères (classe IV de l’Organisation mondiale de lasanté [OMS]). Les formes neurologiques peuvent êtregraves avec atteinte du système nerveux central sousforme de déficits focaux, épilepsie, manifestations psy-chiatriques. La gravité potentielle des atteintes abdomi-nales, cardiaques et pulmonaires a déjà été abordée lorsde la description clinique. Les formes graves de la maladiesont associées à une hypocomplémentémie et à un titreélevé d’anticorps anti-ADN natif. L’insuffisance coro-naire est de plus en plus fréquente chez ces patients,probablement par le biais de l’allongement de l’espérancede vie et de l’athérome accéléré spécifique ou secondaireà la corticothérapie. Il est classiquement admis que l’ac-tivité du lupus diminue après la ménopause ou aprèsl’instauration de la dialyse, même s’il existe de rarescontre-exemples. La récidive de maladie lupique est rare sur le greffon rénal, puisque présente dans moins de 2 % des cas.

• Les anticorps anti-Sm sont rares en France (environ10 % des cas), mais d’une très grande spécificité.• Les anticorps anti-Ro/SSApeuvent être isolés ouassociés à un lupus néonatal, avec ou sans bloc auriculo-ventriculaire congénital. Ils peuvent également êtrepositifs en cas d’association à un syndrome deGougerot-Sjögren.• Un test de Coombsest réalisé en cas de suspiciond’anémie hémolytique.• Un dosage du complémentet de ses fractions C3 etC4 est utile lors de la découverte de la maladie, maisaussi pour la surveillance ultérieure sous traitement.• La présence d’anticorps Ro/SSA isoléscorrespond àla majorité des lupus dits séronégatifs.• La présence d’anticorps anti-phospholipides(voir :Pour approfondir 3) est associée fréquemment à desaccidents thrombotiques artériels et veineux, une thrombo-pénie et des avortements répétés.• Les anticorps anti-histone, parfois présents en cas delupus induits par les médicaments, n’ont pas d’utilité enpratique quotidienne (voir :Pour approfondir 4).

Lupus érythémateux disséminé et grossesse

La fertilité des femmes lupiques est comparable à cellede la population générale. Sous cyclophosphamideintraveineux, le risque d’aménorrhée prolongée estd’environ 10 % avant 25 ans et de plus de 60 % après 30 ans. Ce risque est quasi nul avant 25 ans lorsque letraitement a comporté moins de 8 bolus de cyclophos-phamide. Les poussées de la maladie durant la grossesseet le post-partum sont fréquentes et justifient l’autorisationde la grossesse uniquement lorsque l’évolution du lupusest maîtrisée depuis plusieurs mois. La grossesse lupiquedoit être considérée comme une grossesse à risque etnécessite une surveillance médico-obstétricale. Lescontre-indications à la grossesse au cours du lupus éry-thémateux disséminé sont : une maladie lupique noncontrôlée ou une poussée récente (< 1 à 2 ans) de lamaladie, une clairance de la créatinine inférieure à 50 mL/min, une hypertension artérielle sévère, unehypertension artérielle pulmonaire, une valvulopathiemal tolérée, des antécédents thrombotiques majeurs, unecorticodépendance supérieure à 0,5 mg/kg/j.En ce qui concerne la morbidité fœtale et néonatale, lafréquence de l’hypotrophie fœtale est liée à la préma-turité. Le risque d’insuffisance surrénale néonatale estthéorique et ce risque est plus important en cas d’utilisationde bétaméthasone ou de dexaméthasone. Il existe unrisque de réactivation d’une toxoplasmose maternellesous l’effet d’une corticothérapie, voire d’infection àcytomégalovirus. La présence d’anticorps anti-Ro/SSAexpose au risque de bloc auriculo-ventriculairecongénitald’origine immune. Environ 1 enfant sur 20 né de mèrelupique porteuse d’anticorps anti-Ro/SSA souffre debloc auriculo-ventriculaire. Il est parfois difficile de distinguer poussée lupique et prééclampsie. Les 2 meilleurscritères distinctifs sont l’abaissement du complément

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Une question cruciale dans la prise en charge de cespatients, dont la fièvre est un symptôme fréquent, estd’évaluer les arguments en faveur d’une infection oud’une poussée de la maladie.

Infections

Les infections représentent la 1re cause de décès et le 2e motif d’hospitalisation après les poussées de la maladie. Les facteurs favorisant les infections au coursdu lupus sont d’abord iatrogéniques (corticothérapie,immunosuppresseurs), mais également dus à la maladielupique elle-même et au déficit immunitaire qui l’accom-pagne, en particulier déficit en complément. Des atteintesspécifiques telle l’endocardite de Libman-Sacks peuventfavoriser les infections avec, pour cet exemple, risque degreffe infectieuse. Les principales infections rencontrées aucours du lupus sont pulmonaires (pneumocoque,bacilles gram-négatifs, staphylocoque,Hæmophilus,tuberculose, pneumocystose, viroses), urinaires, cutanées(staphylocoque, virus varicelle-zona), articulaires (sta-phylocoque, salmonelle, gonocoque) et neuroméningées(méningocoque, streptocoque, tuberculose, listériose,cryptococcose). La fréquence de ces infections justifiela recherche et le traitement de tout foyer infectieuxlatent, en particulier buccal ou sinusien. La vaccinationantipneumococcique est recommandée. Toute cortico-thérapie instaurée chez un patient venant d’une zoned’endémie de l’anguillulose (par exemple, les Antilles)justifie un traitement systématique de cette infection.

Surveillance

La surveillance biologique d’un patient atteint de lupusérythémateux aigu disséminé doit comprendre un dosagede la protéine C réactive (PCR), une bandelette urinaireplus ou moins associée à une protéinurie des 24 heures,une créatininémie, une numération formule sanguine(des leucocytes à 6 000/mm3 peuvent témoigner d’unehyperleucocytose chez ces patients), un dosage d’anti-corps anti-ADN natif, un dosage du complément et deses fractions. Une protéine C réactive élevée à plus de60 mg/L est un fort argument pour une infection bacté-rienne, en l’absence d’une atteinte des séreuses. À l’inverse,une hypocomplémentémie ou des titres élevés d’anti-corps anti-ADN natif sont des arguments forts pour unepoussée de la maladie. Enfin, toute poussée fébrile chezun patient atteint de lupus doit faire éliminer de principeune thrombose veineuse profonde, une embolie pulmo-naire ou une réaction médicamenteuse.

Principes du traitement

Lupus cutanés

Le traitement des lupus cutanés repose essentiellementsur la protection solaire, et l’hydroxychloroquine à ladose de 400 mg/j qui permet une amélioration des

lésions dans plus de 80 % des cas. L’efficacité est jugéeau bout de 3 mois. Une surveillance ophtalmologiqueannuelle par vision des couleurs et électrorétinogrammeest nécessaire, ainsi qu’un électrocardiogramme à larecherche d’un bloc auriculo-ventriculaire. Ce traitementn’est pas contre-indiqué pendant la grossesse. Le thali-domide peut également être utilisé, permettant la plupartdu temps une rémission complète. Ce traitement térato-gène doit faire réaliser un test de grossesse préalable etprescrire une contraception efficace obligatoire. Unesurveillance par électromyogramme est nécessaire. Letraitement doit être pris le soir en raison de l’inductiond’une somnolence. La corticothérapie locale est utilisablesauf sur le visage où elle peut induire une atrophie cutanée.La corticothérapie générale n’a pas d’indication dans letraitement des lésions purement dermatologiques.

Lupus systémique

Les différents traitements du lupus systémique souffrentde 2 limites : leur non-sélectivité et leur caractère suspensif.Le traitement des atteintes extracutanées doit être adaptéà chaque situation. La corticothérapie est la base du traitement (voir :Pour approfondir 5). Les doses quoti-diennes varient de quelques milligrammes par jour à desbolus intraveineux allant jusqu’à 1 g. Les traitementsimmunosuppresseurs sont utilisés dans certaines formessévères, néphropathies proliférantes et atteintes sévèresdu système nerveux central. L’azathioprine (Imurel), àla différence du cyclophosphamide (Endoxan), ne mena-ce pas les gonades et n’est donc pas contre-indiquée enpériode gravidique. Lorsqu’ils sont indispensables, lesbolus de corticoïdes sont précédés d’un dosage de kalié-mie et d’un électrocardiogramme. La diminution de lacorticothérapie est toujours progressive, en expliquantbien au patient le risque d’insuffisance surrénale lorsd’un arrêt brutal du traitement.

Situations particulières

1. GrossesseLa grossesse doit être programmée au mieux. Le traite-ment par hydroxychloroquine peut être poursuivi pen-dant cette période à une dose inférieure à 6,5 mg/kg/j.La corticothérapie est maintenue à la dose minimale (10 à 15 mg/j de prednisone). La prednisone et la predni-solone ne franchissent pas la barrière placentaire.L’azathioprine a montré sa très faible tératogénicité.L’allaitement peut être pratiqué, en sachant que les anti-paludéens de synthèse passent à taux faible dans le lait.

2. Hormones• La contraception œstroprogestativeest contre-indiquée.Seuls les progestatifs (Lutéran ou Androcur) peuventêtre utilisés.• Le traitement substitutif de la ménopausene doit pasêtre prescrit aux patientes, exception faite des patientesayant un lupus parfaitement calme depuis plusieursannées et ayant un risque fracturaire majeur.

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3. Thrombopénie périphériqueLa thrombopénie périphérique spécifique est souventsensible à la corticothérapie. Les formes cortico-résistantesou fortement cortico-dépendantes peuvent être traitéespar danazol ou hydroxychloroquine. La splénectomieprécédée d’une vaccination antipneumococcique peutêtre réalisée dans les cas particulièrement résistants.

4. Syndrome des antiphospholipidesLe traitement du syndrome des antiphospholipides repose sur l’anticoagulation par antivitamine K avec unINR visé entre 3 et 3,5. La prévention des complicationsobstétricales repose sur l’aspirine à 100 mg/j associée à une corticothérapie la plus faible possible. En cas degrossesse associée au syndrome des antiphospholipideset en cas d’antécédent thrombotique, un relais par héparine sous-cutanée est mis en place (voir :Pourapprofondir 3).Au total, le traitement du lupus érythémateux disséminédoit être adapté à chaque cas individuel. L’éducation despatients, leur observance, les mesures hygiéno-diététiques(par exemple arrêt du tabac et diététique), ainsi que laplanification des grossesses sont des points très impor-tants de la prise en charge. Toute prescription doit fairel’objet d’une surveillance en parfaite connaissance despotentiels effets secondaires à court et à long termes. ■

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• La prise en charge des patients lupiques nécessite une étroite collaboration entre internistes, rhumatologues, dermatologues et obstétriciens.

• L’amélioration du pronostic avec une survie de plus de 90 % des patients à 10 ans s’est faiteau prix d’une morbidité iatrogénique importante(infection, athérome accéléré).

• Le traitement de chaque patient doit être adaptéà chaque situation clinique.

• L’éducation des malades atteints de lupus estcapitale.

• La prise en charge de ces patients nécessite unedisponibilité au quotidien et un bon maniementdes traitements classiques.

Points Forts à retenir

Meyer O, Kahn MF. Lupus érythémateux systémique. In : Maladieset syndromes systémiques. Paris : Médecine-Sciences Flammarion,2000 : 131-368 bis.

POUR EN SAVOIR PLUS

1 / 11 critères de l’ARA retenus en 1982 et modifiés en 1997 pour la classification de la maladie lupique

a Éruption malaire en ailes de papillon

b Éruption de lupus discoïde

c Photosensibilité

d Ulcérations buccales ou nasopharyngées

e Polyarthrite non érosive

f Pleurésie ou péricardite

g Atteinte rénale : protéinurie supérieure à 0,5 g/24 h (ou +++) oucylindres urinaires

h Atteinte neurologique : convulsion ou psychose

i Atteinte hématologique : anémie hémolytique avec hyperréticulo-cytose ou leucopénie < 4 000/mm3 ou lymphopénie < 1 500/mm3

ou thrombopénie < 100 000/mm3

j Désordre immunologique : anticoagulant circulant ou anticorpsanticardiolipine ou anti-ADN natif ou anti-Sm ou fausse sérologiesyphilitique (VDRL+ [venereal diseases research laboratory], TPHA-[treponema pallidum hæmagglutination assay])

k Présence d’un titre anormal d’anticorps anti-nucléaires

2 / Score pondéré des critères préliminaires du lupus érythémateux systémique (LES)

POUR APPROFONDIR

Critère Score pondéré

Cytopénie 1,5Érythème malaire 1,0Sérite 0,6Alopécie 0,6Photosensibilité 0,6Protéinurie > 3,5 g/j 1,0Cylindres cellulaires 1,5Psychose ou convulsions 0,7Lupus discoïde 1,5Phénomène de Raynaud 0,3Fausse sérologie syphilitique 0,5Arthrite 0,1Ulcérations nasales ou orales 0,1

Biologie FAN + 0,5FAN + anti-ADN- anti-Sm - 0,3FAN + anti-ADN + anti-Sm - 1,3FAN + anti-ADN- anti-Sm + 1,3FAN + anti-ADN + anti-Sm + 1,4FAN - -1,8

Lupus érythémateux systémique si score > 2 : sensibilité 92 % ; spécificité 96%

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3 / Syndrome des antiphospholipides : principalesmanifestations cliniques et biologiques

Principales manifestations cliniques :

– thrombose de siège inhabituel ;– accident vasculaire cérébral du sujet jeune;– valvulopathie (insuffisance mitrale ++) ;– infarctus myocardique du sujet jeune ; – hypertension artérielle pulmonaire ;– ulcère nécrotique, hémorragies sous-unguéales, livedo, perforation

de la cloison nasale ;– fausses couches spontanées répétées, mort fœtale à plus de 10

semaines de gestation, retard de croissance intra-utérin, prééclampsie,hématome rétroplacentaire.

Éléments biologiques en faveur d’un syndrome des antiphos-pholipides :– sérologie syphilitique dissociée (VDRL +, TPHA -) ;– temps de céphaline activé (TCA) spontanément allongé ;– présence d’anticorps anti-cardiolipine à titre élevé ;– temps de thromboplastine diluée au 1/500e allongé ;– thrombopénie chronique inexpliquée.

La présence d’anticorps anti-phospholipides n’est pas synonyme desyndrome des antiphospholipides. Un syndrome des antiphospholipidesest présent dans 30 % des cas de lupus symptomatique. Le syndromedes antiphospholipides isolé rend compte d’environ 15% des avortementsrépétés.

4 / Principaux médicaments inducteurs de manifestations lupiques

POUR APPROFONDIR

Dénomination commune internationale Nom commercial

acébutolol Sectral

D-pénicillamine Trolovol

quinidine Longacor, Cardioquine

isoniazide Rimifon

chlorpromazine Largactil

sulfasalazine Salazopyrine

minocycline Mynocine

carbamazépine Tégrétol

interféron α et γ Roféron, Laroféron et Imukin

dihydralazine Népressol

5 / Fiche de traitement d’une femme de 30 ans, antillaise, ayant révélé son lupus par une pleurésie et une polyarthrite (une infection a été éliminée)

✓ Prévention de l’anguillulose (albendazole [Zentel]).

✓ Cortancyl 0,5 mg/kg/j, puis dose progressivement décroissante avec mesures adjuvantes (régime, restriction sodée, apport potassique,apport de calcium et de vitamine D).

✓ Photoprotection (chapeau, Photoderm spécial 70 B 20 A).

✓ Contraception (acétate de chlormadinone [Lutéran] ou acétate de cyprotérone [Androcur]).

✓ Surveillance biologique (numération formule sanguine, ionogramme sanguin, créatinine, protéinurie, protéine C réactive, complément et sous-fractions, anticorps anti-ADN natif).

✓ Prise en charge à 100 % (affection de longue durée).

✓ Il est également important d’expliquer à la patiente la liste des traitements susceptibles d’induire une rechute de la maladie (voir :Pour approfondir 4).

✓ Association française du lupus.

✓ Il faut également connaître les produits ou médicaments photosensibilisants : psoralènes, sulfamides, phénothiazines, certains antibiotiques (cyclines, quinolones), diurétiques thiazidique et furosémide, antidépresseurs tricycliques, amiodarone, certains anti-inflammatoires (indométacine, piroxicam, phénylbutazone), carbamazépine….

✓ Un traitement inducteur enzymatique est susceptible d’entraîner une poussée de la maladie, en augmentant le catabolisme des corticoïdes.

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Cancérologie

Le but de la radiothérapie est d’utiliser les radiations ionisantes à visée théra-peutique, afin de détruire les cellules cancéreuses. La radiobiologie étudie leseffets des radiations sur les cellules normales et tumorales. Son but ultime, enclinique, est de permettre l’amélioration de l’efficacité des radiations sur lestumeurs et de minimiser les effets secondaires sur les tissus sains traversés parles radiations ionisantes.

Notions radiobiologiques

Mécanismes d’action des radiations ionisantesLes effets biologiques d’une irradiation sur les tissus sont l’aboutissement d’unechaîne de phénomènes déclenchés par le passage du rayonnement. Les événe-ments initiaux sont des ionisations (éjection d’un électron) ou des excitations(passage d’un électron sur une couche d’énergie supérieure), provoquées parl’interaction des radiations avec les atomes des molécules. Ces modificationsphysiques entraînent des effets physico-chimiques puis chimiques, avant d’abou-tir à un effet biologique. Les différentes étapes de cette action biologique finaleont des temps très différents, très courts pour les étapes physico-chimiques, pluslongs pour les effets biologiques, représentés sur la figure 1.

Action sur la cellule1. Différents sites d’actionLes lésions cellulaires élémentaires se font à 3 niveaux.Au niveau du noyau, l’ADN représente la principable cible de l’action des radia-tions sur la cellule. La molécule d’ADN est lésée directement par les électronsou indirectement par les radicaux libres, formés à partir de la radiolyse de l’eausous l’influence des photons (fig. 2). Il peut s’agir de lésions des bases ou dessucres, de pontages, ou surtout de ruptures de chaînes, ruptures simples lorsqu’unseul brin d’ADN est rompu, ou ruptures doubles, lorsque les deux brins sont rom-pus. Classiquement, une dose d’irradition de 1 Gy induit 40 lésions double brin,de 500 à 1 000 lésions simple brin, 1 000 à 2 000 lésions des bases et environ 200 pontages. Les lésions double brin sont souvent létales pour la cellule.L’irradiation agit au niveau de la membrane cellulaire sur la perméabilité et eninduisant des chaînes de réactions encore incomplètement connues, par l’inter-médiaire de la dégradation des phospholipides (peroxydation lipidique).L’irradiation agit au niveau du cytoplasme sur les ribosomes et les mitochon-dries. Ce site d’action semble peu important.

2. Mort cellulaireLes lésions dues aux radiations, dites radiolésions, peuvent entraîner la mort cel-lulaire aussi bien pour les cellules normales que cancéreuses. Cependant, lesradiolésions peuvent être réparées, dans certaines conditions, par des enzymes

RadiothérapieNotions radiobiologiques, principaux effetssecondaires

Pr Françoise MORNEX 1, Dr Éric LARTIGAU 2, Pr Jean-Marc COSSET 3

1. Département de radiothérapie et oncologie (Pr Gérard), centre hospitalier Lyon-Sud,69310 Pierre Bénite.2. Département de radiothérapie, institut Gustave-Roussy, 94805 Villejuif.3. Département d’oncologie radiothérapique, institut Curie, 75005 Paris.

• On utilise en radiothérapiedeux types principaux de radiations :– les photons (X ou γ), qui agissent en profondeur et permettent de traiter des tumeurs profondes ;– les électrons, qui pénètrentmoins profondément les tissus,et permettent de traiter des tumeurs superficielles.• L’action des radiationsionisantes est due à une cascaded’événements.• Les effets secondaires sontprécocement observés pour les tissus à renouvellementrapide, et tardivement observéspour les tissus à renouvellementlent.

Points Fortsà comprendre

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389

L’ADN nucléaire peut être lésé, soit directement, soit indirectement, par l’intermé-diaire des produits de la radiolyse de l’eau cellulaire (cassure simple brin ou double brin).(D’après Mazeron JJ, Locoche T, Maugis T. Techniques d’irradiation des cancers,Vigot ed ; 1994).

2

Séquence des phénomènes induits par les radiations ionisantes. (D’après Mazeron JJ, Locoche T, Maugis T. Techniques d’irradiation des cancers, Vigot ed ; 1994).

1

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R A D I O T H É R A P I E

Différents typesde rayonnements

• Les radiations ionisantes comprennent :– les rayonnements électromagnétiques dehaute énergie, composés de photons, quicomprennent les rayons X et les rayons γ;ces deux types de photons ont les mêmespropriétés biologiques ; la différence reposesur leur mode de production (cf. infra) ;– des particules chargées (électrons, protons,atomes ionisés) ou non chargées (neutrons),animées d’une vitesse élevée, du mêmeordre de grandeur que celle de la lumière.Les photons et les électrons sont, de très loin,les plus utilisés en radiothérapie.• Les radiations ionisantes sont produites par2 types de mécanismes :– la désintégration des atomes radioactifsnaturels ou artificiels (électrons et surtoutphotons γ) : Co60 (cobalt) provenant desappareils de cobalt, Ce137(césium) et Ir192(Iri-dium) utilisés en curiethérapie ;– l’accélération artificielle de particules(neutrons, protons, ions lourds et surtoutphotonx X et électrons), obtenue grâce auxaccélérateurs de particules, qui représententactuellement la majorité des équipementsdes départements de radiothérapie.Les radiations ionisantes utilisables en radio-thérapie ont une énergie généralement com-prise entre quelques dizaines de KeV (kilo-électronvolt) et quelques dizaines de MeV(mégaélectronvolt).

Effet photo-électrique,effet Compton

• Dans les niveaux d’énergie utilisés enradiothérapie, deux effets sont importants àconnaître : l’effet photo-électrique et l’effetCompton, qui est largement prédominant enradiothérapie de haute énergie.• Effet photo-électrique : l’intégralité del’énergie du photon incident est transmise àun électron arraché à une couche interned’un atome. L’arrachement de l’électronentraîne un réarrangement électronique, quiproduit à son tour soit un électron Auger,soit un photon de fluorescence.• Effet Compton : l’énergie du photon inci-dent est partagée entre un électron arraché àune couche périphérique de l’atome, et unphoton, dit photon diffusé. La proportiond’énergie emportée par l’électron est d’autant plus forte que l’énergie initiale estélevée.

0

10-15 s

10-5 s

seconde

minute

heure

jour

semaine

mois

année

descendance

RÉPARATION CELLULAIRE

IRRADIATION

IONISATIONS - EXCITATIONS

RADICAUX LIBRES

RÉACTIONS BIOCHIMIQUES

MORT DIFFÉRÉE

RÉPARATION TISSULAIRE

CANCÉRISATIONMUTATIONS

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Cancérologie

contenues dans la cellule, et empêcher ainsi la mort cellulaire. Ces systèmesenzymatiques hautement performants dans les cellules saines le seraient moinsdans les cellules tumorales.• Effet différentiel : la différence de comportement entre une cellule normale,qui répare, et une cellule cancéreuse, qui ne répare pas ou répare mal les radio-lésions, permet d’utiliser les radiations ionisantes de façon indirectement sélec-tive, en entraînant la mort des cellules cancéreuses et le maintien des cellulesnormales. Ce phénomène est appelé « effet différentiel ».• Lésions létales, sublétales, potentiellement létales : les lésions sont dites létalessi elles sont irréparables et touchent des fonctions vitales pour la cellule. Ellessont dites sublétales si elles ne sont pas individuellement létales, et sont répa-rables. Ce n’est que leur accumulation dans une cellule qui aboutit à la mort decelle-ci. Les lésions potentiellement létales entraînent la mort de la cellule aprèsune division rapide, mais peuvent se réparer si les conditions survenant aprèsirradiation sont favorables (pH…).• Mort immédiate, mort différée, apoptose : la mort immédiate est rare, elle seproduit après une irradiation à très haute dose (plusieurs centaines de Gy), ou siles lésions de l’ADN sont létales d’emblée, ou par l’intermédiaire du phénomèned’apoptose (cf. infra).La plupart du temps, la cellule irradiée cesse de se diviser après une ou plusieursmitoses : c’est le phénomène de mort mitotique différée ; la cellule continue àvivre jusqu’à la division suivante (c’est une mort en mitose). Dans certains cas,la cellule peut se diviser un certain nombre de fois, mais finalement le clone estabortif, ce qui correspond à une perte de la capacité d’une cellule à proliférer defaçon infinie (cela explique le délai observé entre l’irradiation et la régressionclinique du volume tumoral).L’apoptose est une mort cellulaire programmée, active, qui fait partie du pro-cessus normal de développement cellulaire. L’apoptose radio-induite est encoremal connue ; un fonctionnement normal du gène p53 est indispensable au phé-nomène d’apoptose radio-induite. Les radiations ionisantes activeraient certainsgènes, dits radio-inductibles, qui entraîneraient de façon inéluctable la celluledans le cycle de l’apoptose.

3. Facteurs influençant l’effet des radiations• Radiosensibilité intrinsèque : c’est la capacité qu’a une cellule de réparer ounon les radiolésions qui la rend radiosensible (si elle ne répare pas les radiolé-sions), ou radiorésistante (si elle répare les radiolésions).On définit, aussi bien pour les tissus normaux que pour les tissus cancéreux, dif-férents degrés de radiosensibilité, connus des oncologues, radiothérapeutes etutilisés en clinique.• Cycle cellulaire : le cycle cellulaire se décompose en 4 phases : la phase G1,qui suit la mitose et dont la durée est variable ; la phase S, pendant laquelle l’ADNest répliqué ; la phase G2 ; la phase de mitose M. Les cellules qui ne se divisentpas sont dites hors cycle, ou en G0. La radiosensibilité est maximale durant lesphases G2 et M, et minimale en S. L’irradiation provoque un ralentissement dela synthèse de l’ADN, donc un allongement de la phase S, et un blocage tem-poraire des cellules en G2, avec un retard à la mitose et une synchronisation cel-lulaire. On cherche actuellement des moyens d’utiliser la variation de sensibi-lité des cellules aux radiations au cours du cycle pour rendre l’irradiation plusefficace.• Effet oxygène : la présence d’oxygène est indispensable à l’action biologiquedes radiations ionisantes. Des radicaux libres à durée de vie très courte (de l’ordrede 10-5 s) sont formés par les particules chargées traversant la matière. Ils entraî-nent des manifestations biochimiques au niveau des cellules-cibles, avec for-mation, en présence d’O2, de peroxydes responsables de lésions de l’ADN (cas-sures) qui ne peuvent être toutes réparées. L’efficacité de ce processus estmaximale si l’oxygène est présent au moment de l’irradiation.En l’absence d’oxygène (hypoxie), les cellules sont moins sensibles aux radia-tions. La dose nécessaire pour détruire une cellule en hypoxie est 2,5 à 3 fois

Définition du gray• Les doses délivrées en radiothérapieexterne font appel au gray (Gy).• Le gray est l’unité qui définit la dose absor-bée par l’eau ou un tissu ; elle correspond àune absorption d’énergie de 1 J/kg ; 1 Gy =1 J/kg-1.• Cette unité remplace le rad (1 Gy =100 rads). Utilisée en Europe, elle est plusprogressivement adoptée aux États-Unis, oùl’on s’exprime souvent en centigray (cGy),qui correspond au rad, unité utilisée depuis1953. Cette unité décrit la dose d’une irra-diation, dose totale, ou dose par séance d’ir-radiation.

Radiothérapiede conformation

• Il s’agit d’un progrès technique, nécessi-tant l’acquisition d’un équipement lourd, quiassocie un accélérateur linéaire, porteur d’unsystème de collimation permettant d’obte-nir un faisceau de forme complexe, grâce àl’interposition dans le faisceau primaire delames (collimateur multilames) ou de cachespersonnalisés, qui bloquent la transmissiondes radiations, et un système informatiquesophistiqué permettant l’acquisition desimages anatomiques en 3 dimensions.• Des moyens de contention (masques, mate-las…) et de vérification du repositionnementdu patient (imagerie portale) permettentd’assurer une reproductibilité parfaite del’installation d’un jour à l’autre.• On peut alors mieux épargner les tissussains et, de ce fait, délivrer une dose plus éle-vée dans le volume tumoral, afin d’aug-menter les chances d’obtenir la stérilisationde la lésion considérée. Les résultats obte-nus sont en cours d’évaluation.

Choix du rayonnementen fonction

de la tumeur

On dispose de différentes énergies de pho-tons et d’électrons, qui permettent de traitertoutes les tumeurs quelle que soit leur pro-fondeur. Les lésions superficielles (chaînesganglionnaires spinales, tumeurs cuta-nées…) peuvent être traitées par des élec-trons qui pénètrent sur quelques centimètres.Les lésions plus profondes sont traitées pardes photons, d’énergie variable de 5 à 25MV : 6 MV pour un cancer du sein, cancerde la sphère ORL, 10 à 18 MV pour un can-cer bronchique, cancer abdominal ou pel-vien.

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R A D I O T H É R A P I E

plus importante que celle nécessaire pour détruire la même cellule bien oxygé-née. Ce phénomène, appelé effet oxygène est très important en radiothérapie.On sait qu’une cellule située à plus de 200 microns d’un vaisseau est hypoxique.Or, si une cellule tumorale est hypoxique, elle est peu sensible aux radiations,la dose nécessaire à sa stérilisation sera beaucoup plus élevée que si cette cel-lule tumorale était bien oxygénée. On utilise cette observation pour tenter deréoxygéner les tumeurs, afin de les rendre plus radiosensibles.• Facteurs temps : ils comprennent le fractionnement et l’étalement d’une irra-diation. Le fractionnement est le nombre de fractions (ou de séances) d’une irra-diation, le fractionnement conventionnel est d’une fraction par jour de 2 Gy. Lefractionnement permet la restauration, grâce aux systèmes enzymatiques de répa-ration, de l’ADN des cellules normales ; il est un élément important de la sur-venue ou non des complications tardives. Le bifractionnement (2 séances parjour) permet de délivrer à chaque séance une faible dose, non toxique pour lescellules normales qui réparent, et plus toxique pour les cellules tumorales quiréparent mal. On protège donc les tissus sains, tout en délivrant une dose d’ir-radiation efficace.L’étalement est la durée totale du traitement. La plupart des tumeurs prolifèrentrapidement. En réduisant l’étalement, on « prend de vitesse » la prolifération descellules tumorales, leur destruction est plus importante. Ainsi, il est possible demodifier l’efficacité biologique d’une irradiation en agissant sur les facteurstemps.• Effet dose : in vitro, les cellules tumorales ne sont pas entourées de tissu sain,et de très fortes doses d’irradiation permettent d’obtenir 100 % de stérilisation.En clinique, l’augmentation des doses se heurte cependant à la tolérance des tis-sus sains, qui est limitée, expliquant certains échecs observés. Néanmoins, il aété montré (cancers bronchiques, ORL, gynécologiques) que l’augmentation dela dose totale d’irradiation, pour une même tumeur, améliore ses chances de sté-rilisation. Cet effet dose est constamment recherché en clinique pour les tumeursradiorésistantes.

Doses de tolérance des tissus sains,doses nécessaires à la stérilisation des tumeurs

Il est important de connaître les doses de tolérance de chaque organe ou tissu.En effet, lorsqu’on veut irradier et détruire une tumeur qui, le plus souvent, estprofonde et entourée de tissus sains, on irradie obligatoirement ces tissus sains.Dans la technique d’irradiation choisie, on respecte les doses de tolérance dechaque organe sain. On peut délivrer de fortes doses sur une partie d’un organe,et une dose beaucoup plus faible sur la totalité de cet organe. Ainsi la moelleépinière tolère 45 Gy, le parenchyme pulmonaire 70 Gy sur un petit volume et20 Gy sur un poumon entier.On connaît également la dose nécessaire à la stérilisation d’une tumeur, quidépend de la tumeur considérée (radiosensibilité propre), et du volume de cettetumeur.Ainsi, schématiquement, un séminome du testicule est détruit par une dose de 30Gy, une maladie de Hodgkin par 40 Gy, un cancer du sein par 50-60 Gy, un petitcancer ORL par 60 Gy, un très volumineux cancer ORL par 70-80 Gy. Il semblequ’une dose de plus de 100 Gy serait nécessaire à la destruction d’un gliome.

Principaux effets secondaires

Les effets secondaires sont en fait souvent le « prix à payer » de la guérison. Leurgravité varie selon l’organe considéré et leur fréquence est de plus en plus faibleavec l’amélioration des techniques d’irradiation.Le principal facteur à considérer est la tolérance limitée des organes sains situésdans le volume à irradier : la plupart des tissus sains sont lésés pour une dose

Différents typesde radiothérapie

• Radiothérapie externeC’est de très loin la forme d’irradiation laplus utilisée. Elle fait appel à un équipementlourd, appareil de cobalthérapie qui tend àêtre remplacé par les accélérateurs de parti-cules. La source d’énergie est à distance duvolume à irradier.Les radiations ionisantes traversent l’air,puis les tissus sains et déposent leur énergieen profondeur, détruisant ainsi les cellulestumorales. La multiplication des faisceauxd’irradiation permet de concentrer l’énergiedans la tumeur et de ne pas irradier à hautedose les tissus sains traversés.Une technique récente est représentée parl’irradiation peropératoire, qui consiste àdélivrer une dose unique d’irradiation pen-dant une intervention chirurgicale. Ainsi onpeut irradier, après résection du pancréas parexemple, le lit tumoral si l’on suspecte larésection de n’être pas complète. À ventreouvert, l’irradiation n’intéresse que la zoneà risque de récidive, et épargne au maximumles tissus sains environnants.

• CuriethérapieCette méthode d’irradiation utilise dessources radioactives mises en place à l’inté-rieur de l’organisme. On distingue la curie-thérapie interstitielle (les sources sont pla-cées à l’intérieur du tissu à irradier) et lacuriethérapie endocavitaire ou intralumi-nale, (où les sources sont introduites dansune cavité naturelle, au contact ou à faibleproximité du tissu à irradier). Durant letemps pendant lequel les sources sont à l’in-térieur de l’organisme, l’irradiation estcontinue. Elle dure de quelques minutes àquelques jours, en fonction du débit utilisé(haut débit = quelques minutes), et de la doseà délivrer. En France, on utilise commesources radioactives l’iridium (Ir192) et lecésium (Cs137). L’intérêt de la curiethérapiepar rapport à l’irradiation externe est de déli-vrer en un faible laps de temps une dose fortedans un très petit volume, car la dose chutetrès vite en périphérie du volume irradié.

• Radio-immunothérapieou radiothérapie interneDe développement récent, elle utilisecomme vecteur d’un agent irradiant un anti-corps monoclonal dirigé contre une struc-ture spécifiquement portée par une celluletumorale. Le but est d’irradier de façonsélective la cellule tumorale, grâce à un iso-tope radioactif lié à l’anticorps monoclonal.Une fois l’anticorps fixé sur la cellule tumo-rale, l’isotope, choisi pour son rayonnementpuissant mais peu pénétrant (quelquesmicrons) va irradier la cellule tumorale sansendommager les tissus sains. Cette tech-nique est en voie de développement enFrance.

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Cancérologie

Principaux effets secondaires des radiations ionisantes

Organe Cellules Effets histologiques Effets cliniques Traitement Effets histologiques Effets cliniques Traitement Diagnosticen cause précoces précoces effets précoces * tardifs tardifs effets tardifs * différentiel

Encéphale Astrocytes œdème hypertension macromolécules démyélinisation somnolence corticoïdes évolution Toligodendrocytes intracrânienne corticoïdes troubles cognitifsvaisseaux majoration signes diurétiques troubles mémoire

neurologiques hydrocéphalie dérivationpréexistants démence

radionécrose exérèse zonenécrotique

Moelle épinière olifodendrocytes œdème signe de Lhermitte macromolécules démyélinisation myélite radique métastase,astrocytes Brown-Séquard ± corticoïdes Brown-Séquard ± atteintevaisseaux complet complet vasculaire

Nerfs Cellules de Schwann plexite radique corticoïdes compressionvaisseaux signes sensitifs vitamines B tumorale

et/ou moteurs (chirurgie)Poumon pneumocytes œdème alvéolaire toux, fièvre corticoïdes fibrose rétractile dyspnée O2 si besoin évolution T

vaisseaux prolif. vasculaire dyspnée oblitération vaisseaux surinfectionTissu conjonctif

Œsophage muqueuse dénudation dysphagie anesthésiques locaux sclérose conjonctive dysphagie dilatation évolution Tmuscle, séreuse muqueuse, corticoïdes oblitération vaisseaux hémorragievaisseaux antifungiques ulcérations

Cœur endocarde, myocarde troubles rythme etpéricarde péricardite aiguë corticoïdes conduction, péricardite corticoïdes, évolution Tcoronaires constrictive chirurgie

sténose des coronaires dilatation, chirurgiePancréas nausées sétrons, corticoïdes

vomissements métoclopramide(primpéran)

Estomac muqueuse œdème paroi nausées, sétrons, corticoïdes ulcérations hémorragiemuscle, séreuse vomissements métoclopramide atrophie muqueusevaisseaux (primpéran)

Foie hépatocytes veines cytolyse hépatomégalie thrombose veines malaladie veino-centrolobulaires biologique centrolobulaires occlusive

Intestin muqueuse œdème diarrhée, antidiarrhéiques ulcérations hémorragies nutrition IV évolution Tmuscle, séreuse dénudation météorisme régime sans résidus sclérose paroi fistules chirurgievaisseaux muqueuse douleurs et sans produits lactés sténose paroi occlusion

Rein néphron atrophie néphron insuffisancevaisseaux fibrose rénalerétropéritoine rétropéritonéale hydronéphrose

Vessie muqueuse œdème cystite antiseptiques atrophie muqueuse hématurie évolution Tmusculeuse dénudation sclérose atrophie vésicalevaisseaux muqueuse oblitération vasculaire

Rectum muqueuse œdème, faux besoins, épreintes corticoïdes sclérose sténose évolution Tmusculeuse dénudation ténesme anesthésiques atrophie muqueuse rectorragies cautérisationvaisseaux locaux télangiectasies lavements

Peau épiderme érythème érythème antiseptiques ulcérations atrophie dermo- corticoïdesderme œdème desquamation corps gras fibrose épidermique,vaisseaux phlyctènes antibiotiques pigmentation nécrose

ORL Voir peau et muqueuse œsophagienne « larynx radique » dysphonie, dyspnée (trachéotomie) évolution Tatrophie glandes asialie salive salivaires jabot, douleurs artificiellefibrose cutanée douleurs, trismus,ostéoradionécrose O2, chirurgiefracture

Cristallin cataracte troubles visuels chirurgie

* Le traitement est précisé lorsqu’il est spécifique.

inférieure à celle requise pour stériliser la tumeur. Les doses délivrées peuventdonc entraîner des effets néfastes.Les effets stochastiques (ou probabilistes) sont essentiellement des effets carci-nogènes, à type de cancers secondaires (rares) chez les survivants à long terme(maladie de Hodgkin par exemple), dont le risque d’apparition est lié notam-ment au volume d’irradiation et aux thérapeutiques associées (chimiothérapie).Les effets déterministes, apparaissent pour une dose seuil et leur sévérité estdose-dépendante. Il s’agit des effets tissulaires, à traduction clinique immédiateou différée.Parmi les effets déterministes, on doit différencier les effets précoces (transi-toires et réversibles, attendus et inévitables, dont le patient sera prévenu, surve-nant au cours du traitement et dans les 6 premiers mois qui suivent) et les effetstardifs (définitifs, survenant après 6 mois, et pouvant être observés après un délai

TABLEAU

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R A D I O T H É R A P I E

parfois de 10 ans, qu’on cherche à minimiser car ils peuvent handicaper le confortde vie du patient). Il n’y a pas de lien direct systématique entre les effets aiguset la gravité potentielle des séquelles tardives.L’intensité des effets des rayonnements ionisants est liée à la proportion de cel-lules saines détruites. Cette mort cellulaire se traduit par une diminution de lafonction de l’organe auquel ces cellules appartiennent. Les cellules survivantespeuvent heureusement compenser ces effets, si les cellules souches ont survécuet peuvent proliférer.L’intensité des réactions aiguës est liée à la dose totale délivrée pendant l’irra-diation, et non à la dose délivrée par fraction, à l’inverse des réactions tardives.Pour une dose totale équivalente, les réactions aiguës augmentent si la duréetotale du traitement est diminuée. L’effet clinique n’apparaît qu’à partir d’unedose seuil, correspondant à un taux de dépeuplement cellulaire responsable d’al-térations de la fonction de l’organe irradié.Le délai d’apparition des lésions dépend directement de la vitesse de proliféra-tion d’une cellule. Si le temps de division (ou de renouvellement) d’une celluleest de 2 jours, les lésions apparaissent très précocement. Si ce temps de divisionest de 6 mois, les lésions sont tardives. Ainsi, l’irradiation de la cavité buccaledonne-t-elle des réactions aiguës (atteinte muqueuse d’un tissu à renouvellementrapide) et des réactions tardives (atteinte du tissu conjonctif et des parois vas-culaires, tissus à renouvellement lent).Les lésions tissulaires vont conjuguer des atteintes des tissus de soutien et desatteintes des tissus fonctionnels, expliquant la diversité des types de réactionsobservées en fonction des organes irradiés, et la variabilité du délai d’apparition.La sensibilité aux radiations peut varier d’un individu à l’autre.La sensibilité aux radiations est également influencée par les antécédents despatients (brides intestinales, chirurgies délabrantes) et d’éventuelles tares vis-cérales (diabète, athéromatose sévère, tabagisme…), pouvant fragiliser les tis-sus irradiés. Les principaux effets secondaires, précoces et tardifs, sont résumésdans le tableau.

Conclusion

Les progrès technologiques ainsi que l’augmentation des connaissances biolo-giques permettent d’optimiser l’efficacité de la radiothérapie et de réduire leseffets secondaires, afin d’augmenter le taux de guérison sans séquelles du can-cer. ■

Les auteurs tiennent à remercier Gérald Raverot, interne des hôpitaux de Lyon, pour son aide pré-cieuse à la rédaction du manuscrit.

Cosset JM. Radiothérapie, notions radiobiologiques, principaux effets secon-daires. Impact Med 1996 ; 429-38.

Monographie, Rev Prat (Paris) 1994 ; 44 : 1001-50.

Monographie. Sem Hop Paris 1995 ; 19-20 : 557-610.

Mornex F, Mazeron JJ. Radiobiologie. In : Techniques d’irradiation des cancers.Mazeron JJ, Locoche T, Maugis A, eds. Paris : Vigot 1992 : 9-33.

POUR EN SAVOIR PLUS

• De nombreux facteursinfluencent l’effet des radiations :– radiosensibilité intrinsèque(certains types cellulaires sontradiosensibles, d’autresradiorésistants) ;– cycle cellulaire(radiosensibilité maximale en G2 et M) ;– effet oxygène (O2 potentialisel’effet des radiations) ;– facteurs temps : le fractionnement influencesurtout les tissus à renouvellement lent ;l’étalement influence surtout lestissus à renouvellement rapide ;– effet dose : l’efficacité d’uneirradiation augmente avec la dose totale.• Un bon rapport dose utile(fixée pour chaquetumeur)/dose seuil (fixée pourchaque type cellulaire) est nécessaire pour obtenir une efficacité thérapeutique(destruction de la tumeur) en limitant les effets secondaires(toxicité des tissus sains).

Points Fortsà retenir

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Médecine interneA 29

1709L A R E V U E D U P R A T I C I E N ( P a r i s ) 1 9 9 9 , 4 9

Les valeurs normales de la vitesse de sédimentation sontplus basses chez l’homme que chez la femme (vitesse de sédimentation inférieure à 16 chez l’homme, et à 25 chez la femme) et elles augmentent avec l’âge. Lacorrection de Miller donne les normes de la vitesse desédimentation en fonction de l’âge et du sexe : vitesse desédimentation < 0,5 x âge pour l’homme ; vitesse desédimentation < 0,5 x (âge + 10 ans) pour la femme.Une vitesse de sédimentation supérieure à 100 mmconduit à un diagnostic 9 fois sur 10. Les maladiesinfectieuses représentent la moitié des cas, l’autre moitiéétant le fait d’une pathologie inflammatoire ou tumorale.L’élévation de la vitesse de sédimentation n’est pas tou-jours synonyme de syndrome inflammatoire. À l’inverse,certains facteurs diminuent cette vitesse et peuvent masquer un syndrome inflammatoire (tableau I). La vitesse de sédimentation est indépendante de la tem-pérature corporelle et de traitements par aspirine ouanti-inflammatoires non stéroïdiens.

DéfinitionLe syndrome inflammatoire biologique est défini parl’augmentation des protéines de l’inflammation dont lesplus utiles en pratique clinique sont le fibrinogène, laprotéine C réactive (CRP), l’haptoglobine, et l’oroso-mucoïde, qui peuvent (inconstamment) élever aussi lavitesse de sédimentation des hématies (VS). La connais-sance incomplète du rôle joué par ces diverses protéinesrend difficile la présentation d’un schéma global deleurs activités. Des perturbations de l’hémogrammeaccompagnent souvent un syndrome inflammatoire bio-logique persistant : anémie, thrombocytose. Le caractèrepersistant est arbitrairement fixé lorsque le syndromeinflammatoire biologique dure plus de 3 semaines.

Élévation de la vitesse de sédimentation

La mesure de la vitesse de sédimentation est un examensimple et peu coûteux (15 F). Seule la mesure à la première heure exprimée en millimètres a un intérêt.

Syndrome inflammatoirebiologique persistantOrientation diagnostique

DR Olivier LIDOVE, 1 PR Patrice CACOUB 2

1. Service de médecine interne, hôpital Foch, 92151 Suresnes.2. Service de médecine interne, groupe hospitalier La Pitié-Salpêtrière, 75651 Paris Cedex 13.

• La réaction inflammatoire est une défense de l’organisme, non spécifique mais témoignanttoujours d’une pathologie organique, dirigéecontre les infections, les traumatismes,les tumeurs, les maladies inflammatoires et ayant pour but de diminuer les effets de l’agression. Elle comprend un ensemble de réactions locales et générales dans lesquellesinterviennent entre autres des hormones,des lymphokines, le système du complément et les cellules phagocytaires.

• Une inflammation importante ou trop prolongéepeut aboutir localement à une destruction articulaire ou avoir des répercussions généralestelles qu’une dénutrition ou des thromboses.Nous n’aborderons que les problèmes de syndrome inflammatoire chez l’adulte.

Points Forts à comprendre

❑ Âge❑ Sexe féminin❑ Anémie :insuffisance rénale chronique,grossesse (à partir du 2e

trimestre et jusqu’à 3 mois après l’accouchement)❑ Hypergammaglobulinémies :polyclonales, monoclonales(taux élevé)❑ Hyperlipoprotéinémies :obésité, syndrome néphrotique❑ Œstroprogestatifs❑ Héparine❑ Macromolécules

❑ Polyglobulie❑ Drépanocytose❑ Cryoglobulinémies❑ Hypolipoprotéinémies :cachexie, insuffisance hépato-cellulaire❑ Androgènes❑ Coagulation intravasculairedisséminée (CIVD)❑ Corticothérapie à forte dose

Élévation de la vitesse de sédimentation

Diminution de la vitessede sédimentation

Variation de la vitesse de sédimentation en l’absence de syndrome inflammatoire

TABLEAU I

Augmentation des protéines de l’inflammation

Les principales protéines de l’inflammation utilisées enpratique courante sont présentées ici (tableau II). D’autresprotéines sont moins utilisées, qu’elles soient en coursd’évaluation ou que leur dosage soit de pratique moinscourante : α1-antitrypsine, α1-antichymotrypsine,protéine SAA (serum amyloid A), céruloplasmine…L’interprétation des dosages doit tenir compte d’un cer-tain nombre de facteurs susceptibles d’interférer : unehémolyse s’accompagne d’une diminution de l’hapto-globine ; l’insuffisance rénale chronique s’accompagnefréquemment d’une augmentation du fibrinogène ; unecorticothérapie abaisse le fibrinogène ; une coagulationintravasculaire disséminée (CIVD) diminue le fibrino-gène par « consommation » ; une insuffisance hépato-cellulaire diminue toutes les protéines de l’inflamma-tion, par défaut de synthèse ; un syndrome néphrotiqueaugmente les protéines de l’inflammation, à l’exceptionde la protéine C réactive, et cela en réponse à la baissede pression oncotique.• La protéine C réactiveest très intéressante car de ciné-tique rapide. Elle augmente dès le début d’une infection,diminue 48 heures après la disparition de celle-ci, et senormalise en 10 jours environ (contre 3 à 6 semaines pourla vitesse de sédimentation). Son élévation est très nettedans les infections bactériennes et elle est également utileau cours des connectivites pour distinguer une poussée dela maladie (protéine C réactive normale) d’une complica-tion infectieuse (protéine C réactive élevée). • Le dosage de l’haptoglobineest surtout intéressantdans les maladies inflammatoires subaiguës ou chro-niques telles que la maladie de Horton, pour s’assurer del’évolution sous traitement.

• L’électrophorèse des protéines(EPP) est un examensimple qui permet de doser albumine,α1-, α2-, β- et γ-globulines. Elle permet d’évaluer de façon globalemais non spécifique l’augmentation des protéines del’inflammation. • Notons que le taux de certaines protéines,à l’opposédes précédentes, s’abaisse parfois de façon importanteen cas d’inflammation chronique : albumine, préalbumine,transferrine.• Le « profil protéique », comprenant les 3 protéinesprécédentes, l’haptoglobine, l’orosomucoïde, la protéineC réactive, la fraction C3 du complément et 3 immuno-globulines (IgA, IgG, IgM) peut être proposé pourexplorer l’inflammation.• En pratique courante, l’association de 2 des 4 paramètres suivants permet d’affirmer le syndromeinflammatoire : protéine C réactive > 15 mg/L ; hapto-globine > 2,5 g/L ; orosomucoïde > 1,5 g/L ; fibrinogè-ne > 5 g/L.

Ne pas se tromper de cible

• Une anémie,même profonde, n’élève que modéré-ment la vitesse de sédimentation. Donc, la constatationd’une vitesse de sédimentation supérieure à 50 nécessitede rechercher une autre cause associée à l’anémie pourexpliquer l’augmentation de la vitesse de sédimentation.• L’existence d’un syndrome néphrotiquerend indé-finissable une élévation de la vitesse de sédimentation etde la plupart des protéines de l’inflammation, seule laprotéine C réactive reste contributive dans un tel contexte.• Une maladie inflammatoireassociée à un taux nor-mal ou bas d’haptoglobine doit faire rechercher unehémolyse.

S Y N D R O M E I N F L A M M A T O I R E B I O L O G I Q U E P E R S I S T A N T

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Protéine C réactive

Fibrinogène

Haptoglobine

Orosomucoïde

< 15 mg/ L

2-4 g/L

0,8-2 g/L

0,5-1 g/L

1

4-6

4

2-3

γ∗

β–γ

α2

α1

10-100

2-4

2-4

2-4

72 F

72 F

72 F

72 F

Normale Demi-vie(jours)

Migration àl’électrophorèse

des protéinessériques

Tauxmultiplicatif

en casd’inflammation

Coût d’un dosagejournalier

(juillet 1999)

Caractéristiques des principales protéines de l’inflammation

TABLEAU II

* Même les variations importantes ne sont pas visibles sur l’électrophorèse des protéines sériques.

, hépatites B et C, cytomégalovirus (CMV), mononu-cléose infectieuse (MNI), réaction de Wright, maladiede Lyme,Chlamydia, mycoplasme, légionelle, rickett-sie, amibiase, paludisme, hydatidose…]. Dans ce sens,la conservation d’un tube de sérum s’avère parfois utile. • Rechercher un cancer profond :bronchopulmonaire(cliché de thorax), intra-abdominal (échographie abdo-mino-pelvienne), une hémopathie lymphoïde (écho-graphie abdomino-pelvienne, augmentation des lactico-déshydrogénase). Le dosage de certains marqueurstumoraux n’est réalisé que s’il existe un fort argumentclinique et en gardant à l’esprit qu’une élévation n’estpas synonyme de cancer. Le tabagisme augmente l’anti-gène carbohydrate 19-9 (CA 19-9) ; l’antigène spéci-fique de la prostate (PSA) est élevé en cas de prostatiteaiguë ; l’antigène CA 125 s’élève en cas d’ascite oud’épanchement pleural…• S’orienter vers une maladie inflammatoire :un fac-teur rhumatoïde positif oriente vers une polyarthrite rhumatoïde (il peut être négatif à un stade précoce maispeut également être positif en présence d’une autreaffection telle une cryoglobulinémie). Des anticorpsanti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles(ANCA) peuvent orienter vers une polyangéite micro-scopique ou vers une maladie de Wegener. Une augmen-tation des créatines phosphokinases oriente vers unemyosite. Des facteurs antinucléaires positifs, bien qu’aspécifiques, peuvent guider la recherche d’un lupus(baisse associée du complément) ; enfin la constatationd’une inflammation persistante chez un sujet âgé de plusde 60 ans doit faire envisager de principe une maladie de Horton, même en l’absence des signes cliniques classiques. En effet, dans ce dernier cas, un retard àl’instauration d’une corticothérapie peut entraîner unecécité souvent définitive. • Si au terme des examens précédentsle diagnostic n’apas pu être établi, et si l’état du patient le permet, il peutêtre proposé une surveillance en ambulatoire (poids,apparition d’un élément clinique nouveau, évolution desmarqueurs de l’inflammation). Cette attitude est justi-fiée d’une part, par le fait que deux tiers des syndromesinflammatoires biologiques persistants disparaissent enquelques mois sans qu’aucun diagnostic n’ait été établiet, d’autre part, par le fait que la probabilité d’identifierune affection à un stade précoce et d’en améliorer lepronostic est faible. Dans les cas où l’état général du patient oriente vers unemaladie évolutive, il est licite de poursuivre les explo-rations (voir :Pour approfondir 4). Certains examensdéjà réalisés précédemment pourront l’être à nouveau(hémocultures à garder 10 jours – germes à croissancelente, sérologies 2e prélèvement, stigmates d’auto-immunité). Parmi les examens cités, certains méritent unintérêt particulier : les tubages gastriques à la recherched’une tuberculose ; le scanner abdominal et pelvien ; labiopsie ostéomédullaire ; la biopsie d’artère temporale,d’emblée bilatérale pour certains auteurs

Orientation diagnostique

Interrogatoire et examen clinique

Cette étape nécessaire, mais pas toujours suffisante, estla plus importante dans la démarche pouvant conduireau diagnostic. L’interrogatoire recherche des rensei-gnements qui ne sont pas toujours mis en avant sponta-nément par le patient (voir :Pour approfondir 1). Parmi ces éléments, les prises médicamenteuses méritent d’être détaillées. En effet, certains médica-ments peuvent être responsables de syndromes inflam-matoires chroniques : antiarythmiques (amiodarone,quinidiniques), antiépileptiques (carbamazépine,diphénylhydantoïne), antibiotiques,β-bloquants (lupusinduit), méthysergide (fibrose rétropéritonéale). Descas de vascularites ont été rapportés à la suite de prisesde benzylthio-uracile, dihydralazine, D-pénicillamine.Des médicaments réputés (à tort) anodins telle l’huilede paraffine peuvent être en cause (pneumopathie « huileuse » ou paraffinome). L’imputabilité repose surles arguments suivants : introduction récente, fièvre,éruption cutanée, hyperéosinophilie. En cas de doute,seul l’arrêt du médicament suspecté permet de confir-mer rétrospectivement sa responsabilité dans le syndro-me inflammatoire. L’examen clinique doit être très complet (voir :Pour approfondir 2), éventuellement renouvelé régu-lièrement à la recherche d’un signe récent. Les signesde « pancarte » sont colligés : poids, température,pression artérielle aux deux bras, fréquences cardiaqueet respiratoire.

Examens complémentaires

Si au terme de la première étape, aucune orientation diagnostique n’a pu être dégagée, il semble logique deproposer un certain nombre d’examens complémen-taires de « débrouillage » (voir :Pour approfondir 3).Ces examens sont peu traumatiques, certains nécessitantune coopération minimale du patient : radiographies,examen ophtalmologique, panoramique dentaire (lepatient doit être capable de tenir assis). Ces examens ont plusieurs objectifs.• Éliminer un processus infectieux :foyer ORL,dentaire, pulmonaire, urinaire, ou abdominal profond(sigmoïdien, appendiculaire, périrénal…), une tubercu-lose, une endocardite. L’étude du couple oroso-mucoïde-haptoglobine peut constituer une aide pour lediagnostic d’endocardite infectieuse, lorsque celle-ciest suspectée, en révélant et en quantifiant une hémoly-se de diagnostic délicat en présence d’un syndromeinflammatoire (dissociation orosomucoïde élevée ethaptoglobine normale ou basse). La réalisation systé-matique de sérologies est discutable et doit dépendre ducontexte [virus de l’immunodéficience humaine (VIH)

Médecine interne

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(sujets de plus de 60 ans, ou plus jeunes en présence designes cliniques évocateurs) ; la biopsie hépatique n’estréalisée qu’en cas de fièvre et (ou) de perturbations destests hépatiques.Ces examens de « deuxième ligne » devront être mûrement réfléchis avant d’être réalisés. En effet, leuréventuelle contribution au diagnostic doit toujours être mise en balance avec leur pénibilité pour le patientet (ou) avec leur toxicité potentielle. Deux questionsillustrent, à titre d’exemple, ce dernier point : faut-ilréaliser un scanner avec injection d’iode chez un patientdiabétique et insuffisant rénal ? Faut-il réaliser une arté-riographie chez un patient ayant une athéromatosegénéralisée, avec le risque de voir apparaître une mala-die des emboles de cholestérol après l’artériographie ?Les réponses à ces questions et bien d’autres devrontêtre réfléchies au cas par cas en tenant compte de l’avisdu patient, de sa demande, et de son état général. Certains diagnostics difficiles méritent d’être connuspour être recherchés efficacement :• une pathologie vasculaire :embolie pulmonaire(scintigraphie pulmonaire), dissection aortique (scannerthoracique), anévrisme de l’aorte abdominale fissurée(scanner abdominal), infarctus du myocarde indolore dusujet diabétique, de l’hypothyroïdien, ou du vieillard(échographie cardiaque), maladie de Takayasu, vascula-rite (artériographie cœlio-mésentérique). Une phlébiteentraîne inconstamment un syndrome inflammatoire, etque l’existence d’une phlébite doit faire rechercher unecause favorisante responsable de l’inflammation ;• une pathologie cardiaque :syndrome de Dressler,myxome auriculaire (échographie cardiaque) ;• une fibrose pulmonaire(scanner thoracique), rétro-péritonéale (scanner abdomino-pelvien) ;• la maladie de Whipple :fibroscopie œsogastro-duodénale avec biopsies, coloration au periodic acid Schiff (PAS) ;• le syndrome de Münchausen :pathomimie avecinjections, abcès… ;• la scintigraphie au galliumpeut être utile lorsque lediagnostic de sarcoïdose est évoqué, la scintigraphie auxpolynucléaires marqués serait utile pour rechercher unfoyer inflammatoire profond mais est encore en coursd’évaluation. Enfin, dans les cas les plus difficiles, les confrontationsanatomo-, bio-, et radiocliniques peuvent être très utiles.

Faut-il envisager un traitement d’épreuve ?

Dans certains cas, pendant ou au terme de la réalisationdes examens complémentaires, l’altération progressivede l’état général du patient peut faire discuter la mise enroute d’un traitement d’épreuve. Celui-ci doit toujoursêtre discuté au cas par cas, en gardant à l’esprit qu’il estparfois moins agressif que certains examens, parexemple chez des sujets âgés. Les principaux traitements à discuter sont :

• un traitement antituberculeux :il doit être prolongé auminimum 3 mois pour juger de son éventuelle efficacité ;• une antibiothérapie :sa seule indication est peut-être la suspicion de foyer infectieux profond intra-abdominal. Une association synergique (bêtalactamineet aminoside) peut être proposée en sachant qu’un prélèvement bactériologique préalable doit toujours êtrepréféré ;• une corticothérapie :elle n’est envisagée qu’aprèsavoir éliminé une pathologie infectieuse évolutive. Dansle doute, le traitement de l’infection, et en particulier dela tuberculose, doit toujours précéder cette alternative.Une bonne indication à retenir est la suspicion de mala-die de Horton avec biopsie(s) d’artère(s) temporale(s)négative(s). L’interprétation de l’effet de ce traitementest parfois difficile car un effet positif peut être constaté,par exemple sur une pathologie tumorale. De plus, toutecorticothérapie abaisse les protéines de l’inflammation,sans toujours améliorer conjointement la maladie responsable de son élévation. ■

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• Dans la grande majorité des cas, la cause est retrouvée et l’évolution du syndromeinflammatoire constitue un élément de surveillance permettant de s’assurer de la guérison de l’affection sous traitement.

• Dans les autres cas où le diagnostic de syndromeinflammatoire n’est pas convaincant, et aprèsreprise de l’anamnèse et de l’examen cliniquecomplet, il faut organiser les explorations de façon à éviter les examens inutiles, invasifs,avec risque de complications (terrain), et (ou)coûteux. En effet, les examens systématiquessont peu rentables et peuvent conduire à deserreurs diagnostiques (faux positifs).

• La prise en compte de l’état du patient est un élément essentiel dans la démarche. Elle peut justifier l’instauration d’un traitement d’épreuve dans certains cas,alors que dans d’autres une simple surveillancepeut être proposée.

Points Forts à retenir

Vital Durand D, Rousset H, Bienvenu J, Sibille M. Le syndromeinflammatoire. In : Diagnostics difficiles en médecine interne. Paris : Maloine, 1998 : 913-32.

POUR EN SAVOIR PLUS

Médecine interne

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1 / Éléments d’interrogatoire à rechercher chez un patient présentant un syndrome inflammatoire persistant biologique inexpliqué

• âge• origines ethnique et géographique• antécédents familiaux (arbre généalogique)• antécédents personnels : récupérer dossiers médicaux antérieurs ; tuber-culose ancienne (+++) ; cancer considéré comme guéri (+++) ; sondage,infiltration, cathétérisme, extraction dentaire récente ; chirurgie esthétique(prothèses)• habitus : tabagisme, alcoolisme, toxicomanie, habitudes sexuelles• animaux• alimentation : fruits de mer, lait de ferme, fromages, viande crue…• prises médicamenteuses• allergies connues• vaccinations (BCG, tests tuberculiniques)• profession• loisirs• voyages récents• mode de découverte de l’inflammation (fortuite ou orientée par dessignes cliniques)

2 / Éléments cliniques à rechercher chez un patientprésentant un syndrome inflammatoire persistantbiologique inexpliqué

Adapté d’après Vital-Durand D et al., avec l’autorisation des auteurs.

Tête et cou• palpation du crâne et des sinus : tuméfaction, sinusite chronique• palpation des artères temporales (+++) et occipitales : maladie deHorton• examen des cartilages (oreilles, nez) : polychondrite atrophiante, maladiede Wegener, plastie nasale• examen des conduits auditifs externes et des tympans : infection, écoule-ment, otite• examen de la cavité buccale : état dentaire (+++), lésion ulcérée suspec-te, aphtes, hypertrophie gingivale (maladie de Wegener, médicaments)• examen cutané : éruption des pommettes, alopécie (lupus), télangiectasies (sclérodermie), pigmentation péri-orbitaire (amylose, der-matomyosite)• examen des yeux : uvéite, kératite, syndrome sec• palpation des aires ganglionnaires : infection dentaire, ORL, cutanée, sys-témique (cytomégalovirus, mononucléose infectieuse, toxoplasmose, virusde l’immunodéficience humaine…), tuberculose, métastase• palpation des glandes salivaires : infection, cancer, syndrome deGougerot-Sjögren• examen de la thyroïde : goitre, thrill, souffle, nodule(s)

Thorax, abdomen, pelvis• palpation des creux sus-claviculaires et des aires ganglionnaires, y compris rétrocrurales : adénopathie inflammatoire, métastase (ganglionde Troisier sus-claviculaire gauche)• palpation des seins et des côtes : prothèse, nodule, fracture pathologique• palpation du rachis et des masses musculaires : douleur d’une épineuse,d’un interligne sacro-iliaque, hématome• examen cutané : livedo (emboles de cholestérol), traces d’injection (toxi-comanie), psoriasis, rash vespéral (maladie de Still)• auscultation pulmonaire, cardiaque et vasculaire : crépitants des bases(pneumopathie interstitielle), péricardite, insuffisance aortique, souffles vasculaires cervicaux et abdominaux, recherche d’un anévrisme de l’aorteabdominale (+++)• palpation abdomino-lombaire : hépato et (ou) splénomégalie, contactlombaire, hypersensibilité du cæcum ou du sigmoïde (abcès, tuméfaction,colite inflammatoire ou ischémique)• palpation testiculaire et examen de la verge : épididymite, lésion muqueuse,écoulement, aphte• toucher rectal (+++) : anomalie prostatique (infection, tumeur), anomalieanale (fistule) ou rectale (rectite, tumeur)• examen gynécologique et toucher vaginal (+++) : réaction péritonéale,tumeur, prélèvement gynécologique• examen des urines à la bandelette (protéines, sang, leucocytes, nitrites)

Membres• mobilité articulaire active et passive : arthrite, pseudopolyarthrite rhizo-mélique, chondrocalcinose, goutte• palpation des masses musculaires : hématome, phlébite, myosite• examen neuromusculaire : fasciculations, signe du tabouret, aréflexie,hypoesthésie• palpation et auscultation vasculaire : abolition d’un pouls, asymétrie ten-sionnelle, anévrisme artériel, inflammation variqueuse, phlébite superficiel-le• examen des extrémités et des phanères : œdème, syndrome de Raynaud,sclérodactylie, livedo, érythème noueux, orteils pourpres (embolies decholestérol, panartérite noueuse), troubles trophiques, hippocratisme digi-tal

3 / Examens complémentaires à réaliser en première intention

Examens biologiques• numération formule sanguine, plaquettes• vitesse de sédimentation, protéine C réactive, haptoglobine, orosomucoïde• taux de prothrombine, temps de céphaline activée, fibrinogène• électrophorèse des protides sériques• 3 hémocultures ± sérologies• examen cytobactériologique des urines, bandelette urinaire• protéinurie sur échantillon• transaminases, phosphatase alcaline, gamma GT, bilirubine totale et conju-guée• ionogramme sanguin, urée, créatinine, calcémie• créatine phosphokinase, lacticodéshydrogénase• facteurs antinucléaires, anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires neu-trophiles• facteur rhumatoïde (Latex, Waaler-Rose)• complément (C3, C4, CH50)

Examens morphologiques et autres• radiographie de thorax (face et profil)• échographie abdominale et pelvienne• radiographie des sinus• panoramique dentaire• examen ophtalmologique avec fond d’œil• intradermo-réaction à 10 U de tuberculine• électrocardiogramme

4 / Examens complémentaires qui peuvent êtreutiles en deuxième intention

Les examens soulignés semblent avoir la plus grande rentabilité diagnostique.

• 3 tubages gastriques à la recherche de bacilles de Koch• scanner abdominal et pelvien (abcès, adénopathies, tumeur)• biopsie ostéomédullaire (granulomatose, lymphome) ± myéloculture(tuberculose, leishmaniose)• frottis sanguin, myélogramme, caryotype médullaire• biopsie(s) d’artère(s) temporale(s) (maladie de Horton)• scanner thoracique (dissection aortique, néoplasie pulmonaire, fibrosepulmonaire)• échographie cardiaque transpariétale, voire transœsophagienne (endo-cardite, infarctus du myocarde indolore)• fibroscopie bronchique (néoplasie, sarcoïdose)• mammographie• écho-doppler veineux (thrombose)• scintigraphie pulmonaire (embolie)• fibroscopie œsogastroduodénale, coloscopie (néoplasie)• transit du grêle (néoplasie, colite inflammatoire)• biopsie des glandes salivaires accessoires (syndrome de Gougerot-Sjögren)• électromyogramme (recherche d’une neuropathie infraclinique qui pour-rait guider une biopsie musculaire• biopsie musculaire (vascularite)• biopsie hépatique (granulome)• artériographie cœlio-mésentérique (vascularite, cancer profond)• scintigraphie au gallium (?)• scintigraphie aux polynucléaires marqués (?)

POUR APPROFONDIR