le porte bonheur
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7/23/2019 Le Porte Bonheur
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Noir.
J'ouvre péniblement un œil. Toujours noir. Je sors mon briquet à essence
de la poche de mon pantalon. J'ai du mal à respirer, sûrement une côte
brisée. J'actionne le mécanisme du briquet, jusqu'à ce que la lueur
tremblotante révèle l'intérieur d'une cabane délabrée et poussiéreuse. De
nombreux débris et des restes de nourriture recouvrent le sol de terre
baue. J'essaie de me redresser. Une douleur aiguë me déchire le genou
droit. J'étouffe un cri et me rallonge, résigné. Un goût de sang envahit mabouche.
Un souvenir me revient brusquement.
Le Porte-bonheur
Une courte nouvelle dans l'enfer forestier de Millevaux
par Dino Van Bedt
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I
C'était au début du printemps, et les premiers rayons d'un soleil poussif
découpaient des ombres difformes sur le mur en bois brut de la cabane. J'étais comme tous les matins installé à ma table pour terminer les restes du
repas de la veille. Comme souvent ces derniers temps, la chasse n'avait pas
été très généreuse, et j'achevais de mastiquer lentement l'écorce amère de ce
qui avait ressemblé à un agrume quelconque. Je sortis mon porte-bonheur
de la poche de ma veste, et comme chaque matin, je fixai mon aention sur
mon fétiche, essayant de remonter le temps dans ma mémoire fragile.
Combien de printemps chétifs avais-je vu naître de ma fenêtre ? La réponsem'échappait, comme toujours. Je lui adressai finalement une prière
d'abondance et de sécurité, puis le rangeai dans ma poche, avant de prendre
mon matériel et de quier la cabane.
La brume matinale baignait encore le paysage, et les arbres semblaient en
surgir à mon approche, comme autant de créatures monstrueuses qui
étendraient leurs tentacules difformes pour m'agripper et me dévorer vif.
Une légère brise printanière me fit frissonner, et je relevai le col de maveste. Comme chaque matin, je m'engageai à contre-cœur dans la forêt
malsaine qui avait si souvent failli me prendre la vie, et si rarement
contribué à ma nourriture.
J'avais posé des collets la veille, et je pris soin de tous les relever, de n'en
oublier aucun. J'avais pris l'habitude de les placer toujours aux mêmes
endroits, afin de luer contre ma mémoire défaillante. Tout de même ceeroutine avait ses failles, et il m'arrivait de retrouver une bestiole déjà à
moitié décomposée et aux trois-quarts dévorée dans un collet oublié
quelques jours. Aujourd'hui j'étais assez content de moi, car il me restait
une bonne dizaine d'emplacements à vérifier, et j'avais déjà récupéré deux
gros rats dans ma besace.
C'est alors que j'entendis au loin le bruit d'un engin à moteur lancé à vive
allure dans ma direction. Je fis le choix de me cacher derrière un buissonépineux pour observer le passage de la machine. Mon cœur commença à
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s'emballer alors que l'engin ralentissait à proximité de ma cachee. Un
véhicule à deux roues apparut, traînant derrière lui une charree en bois.
Deux individus en descendirent. Le premier, celui qui dirigeait la chose, un
grand costaud au crâne rasé, défit une sangle sur la charree et un canidé
difforme bondit au sol et partit se dégourdir les paes. Le second, un vieil
homme chétif qui portait un chapeau haut de forme, prit la parole :
« Laisse le moteur tourner, gros Jacquot, nous allons vider nos sacoches
sur ce buisson.
– Vas-y vieux, fais ton affaire, répondit le colosse vêtu de cuir, mais
magne-toi, on a pas que ça à foutre ! »
Je fis tout mon possible pour rester absolument silencieux alors que le
vieux barbu vidait sa vessie sur mon abri de fortune. Certainement airé
par l'odeur de mes rats crevés, le canidé rouquin avait repéré ma cachee, et
graait frénétiquement le cuir de ma besace. Je tentai de repousser l'animal
du pied. La main plongée dans la poche de ma veste, j'adressai une rapide
prière à mon porte-bonheur.
« Cher Jacquot, comme cee petite pause soulage nos organes usés, lâcha
le vieux dans un soupir de soulagement, il était grand temps.
– Q'est-ce qu'il fout, ce con de goupil ? demanda le gros.
– Comment, gros Jacquot ? Nous ne voyons pas le goupil, répondit le
vieux. »
De peur d'être repéré, je pris le plus petit des rats dans la besace et le
lançai au loin, espérant éloigner le canidé. Celui-ci n'en demanda pas plus
et courut se cacher pour déguster son déjeuner. Hélas, mon geste aira
l'aention du gros Jacquot, qui entonna d'une voix profonde :
« Hé là, on se planque dans les buissons pour mater les vieux pisser ? »
Pris de panique, je pris la fuite à travers les bois. J'avais fait confiance aux
hommes autrefois, et j'en gardais le souvenir gravé dans la chair. Tous les
matins cee cicatrice sur mon bras gauche me rappelait à quel point j'avais
eu tort. Alors que je m'élançai, j'entendis derrière moi les deux individus
m'interpeller :
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« Ho, t'en va pas, le gueux, on va pas te bouffer, lança le gros !
– Gros Jacquot, va donc raraper ce manant, cria le vieux, il ne nous a
pas présenté ses hommages ! Cela va à l'encontre de toutes les règles de
protocole ! De plus, cee veste noire nous siérait à merveille !
– T'as entendu le vieux, machin ? Tu vas donner ta veste, hurla le gros Jacquot en s'élançant à ma poursuite. »
Je courus aussi vite que je pus, esquivant les branches basses, les ronces
me lacérant les jambes. Toute la forêt semblait décidée à me ralentir, et l'air
brumeux brûlait mes poumons alors que je m'essoufflais rapidement. Le
gros Jacquot, lui, semblait bien plus à l'aise – certainement en meilleure
condition physique – et il gagnait rapidement du terrain. A ce moment, je
jurerais qu'un arbre se déplaça et lança ses tentacules dans ma direction
pour m'intercepter. En un instant, je me retrouvai couché sur le dos, sonné
par l'impact avec une grosse branche sortie de nulle part. Le gros Jacquot
arriva rapidement au dessus de moi, et j'expirai douloureusement alors qu'il
appuyait lourdement son pied boé sur ma poitrine. Il me cracha alors :
« T'as voulu t'enfuir, le gueux. On aime pas ça, le vieux et moi, les
trouillards. Tu veux savoir ce qu'on leur fait, aux trouillards, gueux ? »
J'eus à peine la force de secouer timidement la tête, luant pour respirer
malgré le poids du gros Jacquot. Il continua :
« On leur fait la peau, aux trouillards, gueux. Tu sais, ça nous fout hors
de nous, les trouillards. Surtout le vieux. Il déteste ça le vieux, les
trouillards. Pas vrai, vieux ? »
Le vieillard avait eu le temps de nous rejoindre, et il répondit alors
froidement :
« C'est vrai, Jacquot. Nous avons les pleutres en horreur. Mais cee veste
nous plaît. Et ceci nous enjoint à une grande clémence.
– T'as entendu ça, le gueux ? On dirait que le vieux est de bon poil, c'est
ton jour de chance ! »
Ma dernière vision fut celle d'un gourdin dans les mains de gros Jacquot.
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II
Noir.
J'ouvris péniblement un œil. Vert. Je revins à moi, allongé sur un tapis defeuilles mortes trempées, grouillant de vermine rampante. Le feuillage
presque noir de l'arbre au dessus de moi laissait à peine passer la lumière
timide du froid soleil de printemps. Combien de temps étais-je resté
évanoui ? Je devinai au froid qui me saisissait que les brigands m'avaient
pris ma veste. Le porte-bonheur ! Je me relevai d'un bond, ignorant la
douleur dans ma tête, et vérifiai frénétiquement toutes mes poches à la
recherche de ma relique sacrée. Rien. Seuls me restaient mon pantalon gris,mon briquet, ma besace usée et mon rat crevé. Mon porte-bonheur, le seul
lien avec mon passé, la seule possession terrestre à laquelle je me
raccrochais encore, m'avait été arraché par un duo de coupe-jarrets
grotesques, et je n'avais rien pu faire. Déjà, loin de mon fétiche, je sentais
mon passé m'échapper, happé par la gueule béante de cee maudite forêt,
qui broyait les hommes après avoir brisé leurs espoirs. N'ayant plus rien à
perdre, je pris rapidement ma décision. Il me fallait retrouver mon porte-bonheur, coûte que coûte.
Je retrouvai rapidement la piste qu'avait suivi l'engin à moteur, les roues
de la machine ayant laissé derrière elles de profondes ornières dans la boue
du sentier forestier. J'eus l'impression de marcher pendant des jours, dans le
froid et l'humidité de ce printemps maussade, et la nuit tombait lorsque
j'aperçus la lueur diffuse d'un feu de camp dans le brouillard du soir. Jem'approchai alors à pas feutrés, contournant le campement à travers la
végétation. Je vis le vieillard au chapeau, vêtu de ma veste noire, dressé de
toute sa hauteur devant les flammes, brandissant ma relique et déclamant
un discours dément comme s'il s'adressait à une foule amassée devant lui.
« …oui, nous vous le disons, nous saurons être digne de votre confiance, ô
peuple de la Forêt ! Nous avons en nous la solution ! Nous connaissons les
secrets les plus sombres, car la Forêt nous a parlé ! La Forêt nous a choisipour être le purificateur ! Nous consommerons toute la crasse de ce monde,
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et la digérerons afin de la neoyer ! Nous vous transmerons leur force
vitale par nos pures défécations ! »
Ce vieillard sénile et malsain osait profaner l'objet qui m'était le plus cher,
mon idole de pureté, par ses paroles démentes et hérétiques ! Je ne pouvais
le laisser faire. Ne voyant le gros Jacquot nulle part, je choisis de tenter ma
chance sans plus aendre, et bondis de ma cachee en direction du vieux
fou, saisissant une bûche enflammée au passage. Je fis pleuvoir sur le
vieillard un déluge de coups, usant de toutes mes forces pour le mere hors
d'état de nuire. La peau de son visage, cuisant sous les coups de la bûche
brûlante, se déformait, rougissait, cloquait, sa barbe brûlée dégageant une
désagréable odeur de ragondin trop cuit. Je relâchai mon emprise sur le
morceau de bois éteint alors que le vieux gémissait faiblement, tremblant
par terre, défiguré, le crâne enfoncé par mes assauts répétés, presque mort.
Je récupérai ma veste trempée de sang et au col roussi, et vérifiai l'intégrité
de mon porte-bonheur, puis entrepris de traîner le vieux jusqu'au feu, par
pur esprit de vengeance. Il trouva en lui la force de pousser un immonde
hurlement lorsque les flammes s'emparèrent de son vieux corps sec et tordu.
Une épaisse fumée se dégagea, portant en elle une terrible odeur de viande
brûlée. Je le regardai se tortiller dans le brasier un moment puis, réalisant la
situation, pris la fuite à toutes jambes.
Je n'avais pas parcouru une lieue que la forêt prit à nouveau plaisir à se
jouer de mon destin. A bout de souffle, tous les muscles des jambes brûlant
de l'effort, je ne vis pas sortir du néant le gourdin du gros Jacquot.
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III
Noir.
J'ouvre péniblement un œil. Toujours noir. Je sors mon briquet à essencede la poche de mon pantalon. J'ai du mal à respirer, sûrement une côte
brisée. J'actionne le mécanisme du briquet, jusqu'à ce que la lueur
tremblotante révèle l'intérieur d'une cabane délabrée et poussiéreuse. De
nombreux débris et des restes de nourriture recouvrent le sol de terre
baue. J'essaie de me redresser. Une douleur aiguë me déchire le genou
droit. J'étouffe un cri et me rallonge, résigné. Un goût de sang envahit ma
bouche.
La porte de la cabane s'ouvre, une silhouee large apparaît. Entre ses
jambes se faufile un canidé roux et mal formé.
« Alors le gueux, on s'en prend aux vieillards, hein ? »
Le colosse fait un pas vers moi, et derrière lui, figure boursouflée et
noircie d'où surgissent deux yeux complètement déments, le vieux
s'engouffre dans la cabane, un couteau rouillé dans la main.
« Bien, ami Jacquot, laisse-nous, nous avons un gueux à purifier, et nous
avons grand faim. »
Dino Van Bedt
hp://dinovanbedt.fr/
Texte placé sous licence
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Millevaux est un univers créé par omas Munier
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