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Le 20, Lenz traversa la montagne. Les sommets et les hauts plateaux étaient sous la neige ; dans les
vallées, en bas, des pierres grises, des plaines vertes, des rochers et des sapins. Il faisait un froid
humide ; l’eau ruisselait le long des rochers et aillissait sur le chemin. Les branches des sapins pendaient lourdement dans l’air moite. !u ciel couraient des nuages gris, le tout fort épais ; puis le
brouillard s’élevait en fumant et pénétrait peu " peu " travers les buissons, paresseusement,
pesamment. Lenz avan#ait avec indifférence, sans souci de la route, tant$t montant, tant$t
descendant. Il n’éprouvait aucune fatigue ; il lui était seulement parfois désagréable de ne pouvoir
marcher sur la t%te. !u commencement il se sentait la poitrine oppressée, &uand il entendait les
pierres se détacher autour de lui en bondissant, la for%t grise secouer sa chevelure, et &ue le
brouillard tant$t dévorait les formes, tant$t les rev%tait de membres gigantes&ues ; il était fort agité,
il cherchait &uel&ue chose, comme des r%ves perdus, mais il ne trouvait rien. 'out lui semblait si
petit, si rapproché de lui, &u’il aurait pu mettre la terre dans un coin ; il ne comprenait pas &u’il lui
fall(t aussi longtemps pour arriver au bas d’une pente, pour atteindre un point éloigné ; il
s’imaginait pouvoir tout mesurer en deux pas. )arfois seulement, &uand la temp%te lan#ait lesnuages dans les vallées et &ue ceux*ci tourbillonnaient en fumant au*dessus de la for%t ; &uand les
voix s’éveillaient sur les rochers, tant$t comme des tonnerres expirant au loin, tant$t bruissant
violemment, en notes &ui, dans leur oie sauvage, semblaient vouloir célébrer la terre ; &uand les
nuages s’élan#aient comme des chevaux indomptés &ui hennissent, &ue le soleil les pénétrait de ses
ra+ons et &ue son glaive étincelant, imprimé sur les plaines neigeuses, découpait le sommet des
vallées en tranches de lumire claire et aveuglante ; ou bien, lors&ue l’orage repoussait la nuée en +
creusant un lac bleu, &ue le vent mourait et arrivait en bourdonnant des ravins profonds, des
sommets des sapins, comme un chant de nourrice ou un carillon de cloches ; lors&ue au ciel bleu
apparaissait une légre rougeur, &ue de petits nuages filaient sur des ailes d’argent, et &ue les cimes
des montagnes, aigu-s et nettes, brillaient et flambo+aient " une grande distance, alors sa poitrine
se déchirait, il s’arr%tait, haletant, le corps courbé en avant, les +eux et la bouche grands ouverts,
comme s’il voulait aspirer en lui et absorber la temp%te; il s’étendait et se couchait sur la terre, il se
plongeait.au sein de l’univers, éprouvant une oie &ui le faisait souffrir; ou bien il se tenait
tran&uille, reposant sa t%te sur la mousse et fermant " demi les +eux. !lors tout s’éloignait de lui, la
terre cédait sous son corps, elle devenait petite comme une étoile en marche et se plongeait dans un
fleuve mugissant dont les flots limpides coulaient " ses pieds. /ais cela ne durait &u’un instant.
se relevait bient$t, dégrisé, ferme et calme, comme si un spectacle fantasmagori&ue avait tout
simple* ment passé devant ses +eux; il ne se souvenait plus de rien. 1ers le soir il arriva au sommet
de la montagne, sur le plateau neigeux par le&uel on regagne la plaine du c$té de l’ouest; il s’+ assit.
! cette heure la nature s’était rassérénée; les nuages reposaient immobiles dans le ciel ; aussi loin
&ue s’étendait le regard, rien &ue des sommets d’o partaient de larges plaines. 'out était tran&uille,gris, crépusculaire. Il se sentait affreusement isolé, il était seul, tout seul; il voulait se parler " lui*
m%me, mais il ne le pouvait pas. Il osait " peine respirer. La flexion de son pied résonnait sous lui
comme le tonnerre. Il dut s’asseoir. 3ne angoisse indicible s’empara de lui dans ce néant II se leva
brus&uement et descendit la pente précipitamment. L’obscurité était venue, ciel et terre se con*
fondaient. 4’était comme si &uel&ue chose le pour* suivait, &uel&ue chose d’horrible &ui voulait
l’atteindre et &ue ne peuvent supporter les hommes; comme si la folie chevauchait derrire lui.
5nfin il entendit des voix, il vit des lumires, il se sentit soulagé ; on lui dit &u’il avait encore une
demi* heure us&u’" 6aldbach . Il traversa le village. Les lumires brillaient " travers les fen%tres.
Il vit " leur clarté des enfants " table, des vieilles femmes, des eunes filles, tous visages calmes et
paisibles des&uels, " son avis, devaient s’échapper les ra+ons. Il se sentit " l’aise. Il fut bient$t "
6aldbach, au presb+tre. 7n soupait. Il entra. 8es boucles blondes pendaient sur son visage p9le,ses +eux et sa bouche tressaillaient, ses habits étaient déchirés. 7berlin lui souhaita la bienvenue 2;
il le prenait pour un ouvrier. : 8o+ez . 4hef*lieu d’une des deux paroisses &ui se partageaient le
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an de la rédéricA, na&uit " 8trasbourg le C
ao(t DE0, d’une famille protestante distinguée. !prs avoir songé d’abord " embrasser la carrire
des armes, il se décida pour le ministre évangéli&ue. ! l’9ge de vingt*sept ans il accepta par
dévouement la cure de 6aldbach, dans le an de la le bienvenu, &uoi&ue e ne vous connaisse
pas F.
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travers la chambre, descendit l’escalier, enamba le seuil. /ais inutilement, tout était sombre; il était
" lui*m%me un r%ve, des pensées successives naissaient rapidement en lui, il s’+ accrochait, il lui
semblait &u’il devait touours dire )ater noster. Il ne pouvait plus se retrouver, un vague instinct le
poussait " se sauver; il se heurtait aux pierres, il se déchirait avec ses ongles ; la douleur ne tarda
pas " lui faire reprendre ses sens. Il s’élan#a dans la fontaine; mais l’eau n’était pas profonde, il s’+
débattit. !lors arriva du monde. 7n l’avait entendu, on l’appela. 7berlin accourut ; Lenz était
revenu " lui. La conscience de son état lui apparut en plein, il recouvra sa raison. Il était honteux etaffligé d’avoir in&uiété ces braves gens ; il leur dit &u’il avait l’habitude de prendre des bains froids,
et il remonta dans sa chambre ; son épuisement le laissa enfin reposer.
Le lendemain tout alla bien. Il traversa la vallée " cheval avec 7berlin. )artout de larges plateaux
&ui d’une grande hauteur se réunissaient dans une vallée étroite et serpentante, la&uelle se dirigeait
en divers sens vers les montagnes; de vastes masses de rochers, &ui s’étendaient en bas; peu de bois,
mais tout d’une teinte grise et sévre ; une vue du c$té de l’ouest sur le pa+s et sur la chane de
montagnes &ui descendait tout droit vers le sud et vers le nord, et dont le sommet imposant et
silencieux se dressait comme un r%ve crépusculaire. H’immenses nappes de lumire ruisselaient
parfois des vallées, semblables " un fleuve d’or &ui s’enfle; puis de nouveau des nuages &ui
pendaient sur le plus haut sommet, et &ui ne tardaient pas " s’acheminer lentement du bois us&u’au
bas de la vallée ou bien " s’abaisser et " se lever dans les éclairs du soleil comme un spectred’argent ailé ; aucun bruit, aucun mouvement, aucun oiseau, rien &ue le souffle tant$t proche, tant$t
lointain du vent.
7n vo+ait aussi apparatre des points, des s&uelettes de cabanes, des planches couvertes de paille, de
couleur noire, triste. Les gens, silencieux et graves, comme s’ils n’osaient pas troubler le repos de
leur vallée, les saluaient tran&uillement sur leur passage. Hans les cabanes on se remuait, on se
pressait autour d’7berlin, &ui les admonestait,leur donnait d’utiles avis, les consolait; partout des
regards pleins de confiance, des prires. Les gens racontaient leurs r%ves, leurs pressentiments.
)uis rapidement on passe " la prati&ue O on plante des routes, on creuse des canaux, on visite
l’école. 7berlin était infatigable. Lenz l’accompagnait continuellement, se livrant tant$t " la
causerie, tant$t au travail, ou se plongeant dans la nature. 'out exer#ait sur lui une influence
bienfaisante et apaisante. Il avait besoin de regarder souvent 7berlin dans les +eux, et la sérénité
puissante &ui nous vient au sein de la nature endormie, dans les for%ts profondes et durant les
douces nuits d’été éclairées par lune, lui apparaissait plus sensible encore dans cet Gil tran&uille, sur
ce vénérable et sérieux visage. Il était timide, mais il faisait des remar&ues, il parlait.
7berlin aimait sa conversation, et la gracieuse ph+sionomie enfantine de Lenz le remplissait de oie.
/ais aussi longtemps seulement &ue la vallée restait claire, son état était supportable; aux
approches du soir une in&uiétude étrange s’emparait de lui, il aurait voulu suivre le soleil " la
course; au fur et " mesure &ue les obets devenaient plus sombres, tout prenait " ses +eux un aspect
fantasti&ue et désagréable ; il lui venait une angoisse comme aux enfants &ui dorment dans les
ténbres ; il lui semblait &u’il était aveugle ; cette angoisse augmentait encore, le cauchemar de la
folie s’asse+ait " ses pieds ; la pensée désespérée &ue tout n’était &ue son propre r%ve s’ouvraitdevant lui ; il se cramponnait " tous les obets ; des figures passaient rapidement auprs de lui, il se
pressait contre ellesO cQétaient des ombres; la vie le &uittait et ses membres étaient tout raides. Il
parlait, il chantait, récitait des passages de 8haSespeare, il recourait tous les mo+ens &ui autrefois
avaient fait circuler son sang plus vite, il essa+ait de tout, mais vainement, vainement. Il lui fallait
alors le grand air.
La faible lumire répandue " travers la nuit lui faisait du bien, une fois &ue ses +eux se furent
habitués " l’obscurité ; il s’élan#ait dans la fontaine, un froid subit de l’eau avait sur lui une action
salutaire ; il espérait secrtement aussi gagner une maladie, et maintenant il prenait son bain avec
moins de bruit. /ais plus il se familiarisait avec la vie, plus il devenait tran&uille ; il aidait 7berlin,
dessinait, lisait la ible ; d’anciennes espérances disparues rentraient en lui ; le @ouveau 'estament
mit ici " sa portée, et un matin il sortit. 7berlin a+ant raconté comment une main irrésistible avaitretenu sur le pont, comment, sur la hauteur, une lueur avait ébloui ses +eux, &u’il avait entendu une
voix, &u’on lui avait parlé dans la nuit, et &ue Hieu avait pénétré si profondément dans son 9me
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&u’il s’était mis, comme un enfant, " &uestionner le sort, pour savoir ce &u’il devait faire, cette
foi, ce ciel éternel dans la vie, cette existence en Hieu, tout cela pour la premire fois lui fit
comprendre l’5criture. 4omme la nature, dans la ible, se rapproche des hommes et leur révle ses
m+stres divins, non pas dans une maesté hautaine, mais en pleine intimité encore M
Le matin il sortit. La nuit, la neige était tombée; le soleil brillait dans la vallée ; mais plus loin le
pa+sage était " demi plongé dans la brume. Il &uitta bient$t le sentier, et gravit une légre colline ;
plus aucune trace de pas ; il longeait une for%t de sapins. Le soleil découpait des cristaux, la neigeétait légre et floconneuse, et elle offrait #" et l" certaines traces de gibier &ui se perdaient dans la
montagne. @ul mouvement dans l’air si ne n’est un léger souffle,le fr$lement d’un oiseau &ui de sa
&ueue époussetait la neige. )artout une grande &uiétude, et au loin, dans l’air bleu, les arbres
couverts de plumes blanches &ui s’agitaient. L’apaisement rentrait peu " peu dans son 9me. Les
plaines et les lignes monotones et puissantes, &ui semblaient parfois lui parler sur un mode
maestueux, étaient voilées ; une douce émotion religieuse s’emparait de lui. Il cro+ait parfois &ue
sa mre allait sortir de derrire un arbre, imposante, et lui dire &ue c’était " elle &u’il était redevable
de tout ce bonheur. 5n descendant, il vit &u’autour de son ombre se posait un arc*en*ciel de ra+ons O
&uel&ue chose semblait lui toucher le front, l’5tre lui parlait. Il arriva en bas. 7berlin était dans la
chambre. Lenz s’avan#a gaiement vers lui et lui dit &u’il voudrait bien pr%cher O : 5tes*vous
théologien F : 7ui. F : 5h bienM dimanche prochain F.Lenz rentra o+eux dans sa chambre. Il songea " un texte de sermon et se mit " méditer ; ses nuits
devinrent tran&uilles. Le dimanche matin arriva. Il était tombé de la rosée ; des nuages passaient,
laissant voir l’azur. L’église était tout prs, sur la montagne, faisant saillie ; le cimetire l’entourait.
Lenz se tenait en haut au moment o les cloches résonnaient et o les paroissiens, les femmes et
les filles dans leur sombre costume noir, leur mouchoir blanc plié sur leur livre de prires et le
romarin en main, montaient et descendaient de différents c$tés les sentiers étroits entre les
rochers. 3n ra+on de soleil apparaissait parfois au*dessus de la vallée. L’air tide se mouvait
lentement, le pa+sage baignait dans une atmosphre vaporeuse. 7n entendait des sons de cloches
lointains, et tout semblait se résoudre en une onde harmoni&ue.
8ur le petit cimetire la neige avait fondu; on vo+ait de la mousse brune au pied des croix noires, un
rosier tardif s’inclinait vers le mur, des fleurs tardives sortaient de la mousse ; parfois du soleil, puis
de nouveau l’obscurité. Le service divin commen#a. Les voix d’hommes se rencontraient dans un
accord pur et clair, &ui faisait l’impression d’une source limpide et transparente. Le chant se tut.
Lenz parla O il était timide. !u son de ces accents son spasme convulsif avait compltement cessé,
toute sa douleur maintenant se réveillait et se concentrait dans son cGur. 3n doux sentiment de
bonheur s’empara de lui. Il parla simplement aux assistants. Ils souffraient tous avec lui, et ce lui
était une consolation de pouvoir apporter le sommeil " des +eux fatigués de pleurer et le repos " des
cGurs torturés, de pouvoir soulager de leurs lourdes souffrances, en les offrant au ciel, ces %tres
tourmentés par les besoins de la vie. Il était devenu plus ferme en finissant. Les voix reprirent O
QLaisse s’ouvrir en moi les saintes douleurs, 4omme des sources profondes ; Tue la souffrance
soit tout mon lot, Tue la souffrance soit mon culte MQ Texte en italique8on émotion intime, la musi&ue, la douleur l’ébranlrent. 8on univers, c’était la souffrance ; il
ressentait une douleur inexprimable. 4’était maintenant une autre existence ; des lvres divines et
palpitantes se penchaient sur lui et s’attachaient " ses lvres. Il entra dans sa chambre solitaire. Il
était seul, seul M !lors la source aillit, des torrents coulrent de ses +eux, il se ramassa sur lui*
m%me, ses membres tressaillirent, il lui sembla &u’il allait se dissoudre, il ne pouvait trouver la fin
de sa volupté ; enfin il + eut en lui une éclaircie, il éprouva une douce et profonde compassion pour
lui*m%me, il pleura sur son sort ; sa t%te tomba sur sa poitrine, il s’endormit. La lune brillait en plein
au ciel. 8es boucles pendaient sur ses tempes et sur son visage,les larmes étaient suspendues " ses
cils et séchaient sur ses oues. Il était couché ainsi l" seul, tandis &u’autour de lui tout était calme,
silencieux et froid, et &ue la lune continuait " luire au*dessus de la montagne.
Le lendemain matin il descendit, et raconta tout tran&uillement " 7berlin comment sa mre lui étaitapparue la nuit; &u’elle était sortie, habillée de blanc, de la muraille sombre du cimetire ; &u’elle
avait sur la poitrine une rose blanche et une rose rouge; &u’ensuite elle s’était affaissée dans un
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coin, et &ue les roses avaient grandi lentement sur elle O elle était certainement morte, il savait " &uoi
s’en tenir " ce suet. 7berlin lui narra de son c$té comment, " la mort de son pre, il était seul dans
la campagne, &u’il avait ensuite entendu une voix, et &u’ainsi il sut &ue son pre était mort; et, une
fois de retour " la maison, il vit &ue la chose était vraie. 4eci les amena plus loin. 7berlin parla des
habitants des montagnes, de eunes filles &ui découvrent l’eau et les métaux sous la terre, d’hommes
&ui, sur certains sommets, ont été atta&ués et ont lutté avec un esprit; il lui dit aussi comment un
our, dans la montagne, la contemplation d’un torrent aux eaux claires et profondes l’avait eté dansune sorte de somnambulisme. Lenz déclara &ue l’esprit des eaux l’avait visité et &u’il s’était
assimilé &uel&ue chose de son essence particulire. Il continua O 4’est la nature la plus simple et la
plus pure, dit*il, &ui a les rapports les plus intimes avec les éléments ; plus l’homme apporte de
raffinement dans sa vie et dans sa pensée, plus ce sens élémentaire s’émousse. Be ne regarde pas cet
état comme bien haut, il n’est pas assez indépendant; mais e pense &u’on doit éprouver une
immense félicité " %tre ainsi en contact avec la vie particulire de cha&ue forme, " avoir une 9me
pour les pierres, les métaux, l’eau et les plantes, " absorber en soi, comme un r%ve, cha&ue %tre de la
nature, ainsi &ue les fleurs absorbent l’air suivant la croissance ou le déclin de la lune.
Il s’expli&ua plus longuement, parlant de l’harmonie inexprimable, de l’accord, de la félicité &ui
existent en tout, &ui se répandent, &ui résonnent, &ui s’affirment avec plus d’organes dans les
formes supérieures, et &ui en consé&uence rev%tent un caractre d’autant plus profond; de m%me, aucontraire, dans les formes inférieures, tout est plus refoulé, plus borné; mais, en revanche, le calme
de celles*ci est d’autant plus grand. Il poursuivit sur ce terrain. 7berlin brisa l"; cette conversation
l’amenait trop loin de sa manire simple.
3ne autre fois, 7berlin lui montra des tablettes coloriées lui exposant les rapports entre cha&ue
couleur et l’homme; il apporta les douze ap$tres, dont chacun était représenté par une couleur. Lenz
comprit cela. Il examina la chose de plus prs, tomba dans des r%ves pleins d’agitation, commen#a,
comme 8tilling , " lire l’!pocal+pse, et feuilleta beaucoup la ible.
1ers ce temps, Raufmann 2 arriva au 8teinthal avec sa fiancée. H’abord cette rencontre fut
désagréable " Lenz, &ui s’était arrangé une petite place et pour &ui ce léger repos avait tant de prix;
or,
. Bean*Uenri Iung, dit 8tilling, né en DE0, fut d’abord tailleur, puis matre d’école, ensuite
médecin*oculiste, et enfin professeur d’économie politi&ue; il mourut en KD " Rarlsruhe, avec le
titre de conseiller secret de la cour. 4’était un m+sti&ue &ui vo+ait dans tout événement, dans tout
accident, le doigt de Hieu, avec &ui il cro+ait avoir des relations particulires. )armi une foule
d’ouvrages bizarres et incohérents il a laissé une autobiographie, Beunesse d’Uenri 8tilling,
extr%mement curieuse, et, par endroits, vraiment remar&uable au point de vue littéraire. ?@ote du
traducteurA.
2. 4hristophe Raufmann de 6interthVr, médecin de la communauté de Uerrnhut, mort en DJP,
était une manire de charlatan &ui singeait 4agliostro et &ui " un moment donné vint grossir les
rangs de la réunion dé" fort nombreuse de 6eimar. WGthe, &ui parle de lui dans ses /émoires,
écrivit au*dessus de sa porte le &uatrain suivant, &u’on trouve dans ses Invectives et Xénies O : B’ai,comme limier de Hieu, touours mené librement ma vie impure; maintenant &ue la trace divine a
disparu, le chien seul est resté en moi F. Rlinger s’est également atta&ué " lui dans sa curieuse satire
intitulée )limplamplasSo. ?@ote du traducteurA. maintenant, il vo+ait arriver un homme &ui lui
rappelait une infinité de choses, avec &ui il devait parler, converser, &ui connaissait ses affaires
particulires. 7berlin ignorait tout. Il l’avait recueilli, soigné ; il vo+ait l"*dedans un coup de la
)rovidence &ui lui avait adressé cet infortuné ; il l’aimait cordialement.
!ussi sa présence était*elle indispensable " tous. Il faisait partie de la famille comme s’il + vivait
depuis trs longtemps, et personne ne lui demandait d’o il était venu et o il irait. ! table, Lenz
retrouva sa bonne humeur ; on parla littérature, il était sur son terrain. !lors commen#ait la période
idéaliste. Raufmann en était partisan; Lenz le contredit impétueusement. : Les po-tes &ui, dit*on,
donnent la réalité, n’en ont pourtant aucune idée ; mais ils sont en tout cas beaucoup plussupportables &ue ceux &ui veulent transfigurer cette réalité. Le bon Hieu a bien fait le monde, tout
comme il doit %tre, et nous ne pouvons gure barbouiller &uel&ue chose de mieux ; notre uni&ue
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effort doit %tre d’+ aouter un peu. 4e &ue e réclame en tout, c’est la vie, la possibilité de
l’existence, et alors c’est bien; nous n’avons pas " demander ensuite si c’est beau ou laid. Le
sentiment d’avoir créé &uel&ue chose de vivant l’emporte sur la beauté ou la laideur, et constitue
l’uni&ue critérium dans les choses de l’art. 4ette vie, d’ailleurs, ne se rencontre &ue rarement O nous
la trouvons dans 8haSespeare, elle renait avec toute sa puissance dans les chants aires, parfois aussi
dans WGthe. 7n peut eter le reste au feu. 8ans doute, il ne faut pas non plus décrire des chenils. 7n
a voulu des figures lestes, mais tout ce &ue ’en ai vu ressemble " des poupées en bois. 4etidéalisme est le mépris le plus honteux de la nature humaine. 5ssa+ez, une fois de vous plonger
dans la vie du plus chétif des %tres et de la rendre avec ses convulsions, ses manifestations, toute sa
mimi&ue si subtile et " peine remar&uée ; ’ai tenté cela dans le )récepteur et les 8oldats. 4e sont les
hommes les plus proches &ui existent sous le soleil ; mais la veine du sentiment est chez pres&ue
tous la m%me ; il n’+ a de différence &ue dans le plus ou moins d’épaisseur de la peau " traverser. Il
suffit d’avoir pour eux des +eux et des oreilles.
Uier, en passant par la vallée, e vis deux eunes filles assises sur une pierre; l’une nouait ses
cheveux ,l’autre l’aidait; la chevelure dorée de la premire pendait sur son dos ; son visage était
sérieux et p9le, bien &u’elle f(t toute eune, et elle était v%tue de noir; l’autre s’effor#ait de lui venir
en aide. Les tableaux les plus beaux, les plus intimes, des matres allemands,donnent " peine une
idée de cela. 7n désirerait parfois %tre la tte de /éduse pour pouvoir changer en pierre un telgroupe, et appeler les gens. 5lles se levrent, le groupe était détruit; mais en descendant entre les
rochers, elles formrent un autre tableau. Les tableaux les plus beaux, les notes les plus sonores se
groupent, s’évanouissent.
: Il ne reste &u’une chose, une beauté infinie &ui d’une forme passe " une autre, éternellement
accessible, éternellement variée. 7n ne peut pas touours, il est vrai, la fixer et la placer dans les
musées ou la traduire en sons, puis convo&uer fieux et eunes en les laissant radoter et s’émerveiller
sur ce suet. 7n doit aimer l’humanité, pour pénétrer l’essence particulire de chacun ; nul ne doit
%tre " nos +eux trop chétif ou trop laid O c’est le seul mo+en de le comprendre. Le visage le plus
insignifiant cause une impression plus profonde &ue la pure sensation du beau, et l’on peut faire
sortir les figures d’elles*m%mes sans + aouter &uel&ue chose copié du dehors, au&uel cas on ne sent
battre et palpiter ni vie, ni muscles, ni pouls F.
Raufmann lui obecta &u’il ne trouverait pourtant pas dans la réalité de t+pes pour un !pollon du
elvédre ou une madone de
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!prs le repas, Raufmann le prit " part. Il avait re#u des lettres du pre de Lenz O son fils devait
revenir, devait l’assister. Raufmann lui dit &u’il gaspillerait ici sa vie, &u’il la perdrait inutilement,
&u’il devait se proposer un but, et ainsi de suite. Lenz lui répli&ua brus&uement O : )artir d’ici M
partir d’ici M retourner chez mon pre + devenir fou 'u sais &ue e ne puis vivre &u’ici, dans cette
contrée. 8i e ne puis gravir &uel&uefois la montagne, voir le pa+s, retourner ensuite " la maison, me
promener dans le ardin, regarder par la fen%tre, e deviendrai fou, fou M Laissez*moi donc en reposM
8eulement un peu de paix, maintenant &ue e commence " aller mieux M )artir M Be ne comprends pascela M Il suffit de ce mot pour me dégo(ter du monde. 4hacun a son besoin propre ; s’il peut vivre
en repos, &ue demanderait*il de plusM 'ouours monter, lutter, reeter perpétuellement ce &u’apporte
le moment et se condamner " l’indigence pour ouir une bonne fois M !voir soif, tandis &ue des
sources limpides aillissent sur votre cheminM Be me trouve*maintenant dans un état supportable, et
c’est pour cette raison &ue e veux rester ici. )our&uoi pour&uoi Bustement parce &ue e suis bien.
Tue veut mon pre )eut*il me donner ce &u’il me faut Impossible M Laissez*moi tran&uille F.
Il s’emportait. Raufmann s’en alla. Lenz était de mauvaise humeur.
Le lendemain, Raufmann voulut partir; il engagea 7berlin " l’accompagner en 8uisse. Le désir de la
connaissance personnelle de Lavater avec &ui il était depuis longtemps en correspondance. Il le
promit. Il fallait attendre un our " faire les préparatifs. 4e départ affligea Lenz. )our se débarrasser
de sa torture, il s’était cramponné anxieusement " tout ; il sentait profondément Inventeur de la )h+siognomonie, né " Yurich en DE et mort en K0. Lavater est une des figures
les plus curieuses du sicle. 5sprit exalté et m+sti&ue, il avait la conviction &u’il était venu sur terre
pour : témoigner de la vérité Z et dans certains cercles on le regarda comme un un saint. 'outefois,
pour arriver " la gloire, il
nait pas les mo+ens terrestres plus ou moins
son humilité apparente recouvrait une vanité et infatuation de soi*m%me illimitées. 5n un mot, il +
avait
prophte et du charlatan. !ussi fut*il l’obet d’atta&ues, entre autres de la part de 6ieland et du
profond Lichtenberg. WGthe lui*m%me, &ui l’avait intimement fré&uenté et avait un moment subi
son influence, le uge sévrement dans ses /émoires et dans ses Xnies, dont sept ou huit lui sont
consacrées. Il + dit dans l’une ?la douzimeA, avec une spiri* esse O : Womment la nature procde*t
*elle pour l’homme la grandeur et la petitesse 5lle place entre les deux F. 5t dans une autre ?la
vingtimeA, nent O : Il est dommage &ue la nature n’ait tiré de lui &u’un seul individu M car il + avait
de l’étoffe et pour un honorable et pour un co&uin F. ?@ote du traducteurA. " certains moments
combien sa situation s’améliorait; il se traitait comme un enfant malade, il + avait certaines pensées,
certains sentiments impérieux dont il ne pouvait se débarrasser &u’avec le plus grand effort; un
trouble infini s’empara de nouveau de lui, il se mit " trembler, ses cheveux se dressrent pour ainsi
dire sur sa t%te; enfin, le plus terrible épuisement vint mettre un terme " cet état. Il trouva la
guérison, gr9ce " une figure &ui planait touours devant ses +eux, et " 7berlin, dont les paroles et la
vue lui firent le plus grand bien. !ussi était*ce avec terreur &u’il songeait au départ de celui*ci.
Il s’effra+ait de rester seul " la maison. Le temps s’était adouci; il résolut d’accompagner 7berlindans la montagne. Ils se séparrent du c$té opposé, l" o les vallées finissaient dans la plaine. Il
revint seul. Il parcourut la montagne en différentes directions. He larges plateaux descendaient dans
les vallées; il + avait peu de bois, rien &ue des lignes puissantes, et plus loin la vaste plaine fumante;
l’air était violemment agité.
!ucune trace d’hommes, sinon, #" et l", adossée " la colline, une hutte abandonnée o les bergers
passaient l’été. devint tran&uille, pres&ue r%veur; tout se fondait pour lui en une ligne semblable
au flux et au reflux d’une vague entre le ciel et la terre, il se trouvait comme au milieu d’une mer
sans limites &ui ondulait doucement en tous sens )arfois il s’asse+ait, puis il continuait sa marche,
mais lentement, en r%vant. ne cherchait pas de chemin.
Hepuis longtemps dé" le soir était tombé, &uand il arriva " une cabane habitée, sur la pente du
8teinthal. La porte était fermée. Il se dirigea vers la fen%tre, " travers la&uelle scintillait une lueur.3ne lampe éclairait pour ainsi dire un seul point. 8a lumire tombait sur le visage p9le d’une eune
fille &ui reposait derrire, les +eux " moitié ouverts, agitant doucement les lvres. )lus loin, dans
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l’obscurité, était assise une vieille femme &ui, d’une voix nasillarde, chantait dans un livre de
prires. !prs &u’il eut longtemps frappé, elle ouvrit. 5lle était " moitié sourde. 5lle lui apporta
&uel&ue nourriture et lui indi&ua un lit, tout en continuant son canti&ue. La eune fille n’avait pas
bougé. )eu de temps aprs entra un homme long et maigre, les cheveux dé" gris, le visage in&uiet
et troublé. Il alla vers la eune fille, &ui tressaillit et s’agita. Il prit " la muraille une herbe desséchée
et lui en mit les feuilles sur la main ; elle devint plus tran&uille et murmura des mots
compréhensibles sur un ton tranant et per#ant. L’homme raconta &u’il avait entendu une voix sur lamontagne et vu ensuite un éclair au*dessus des vallées, &u’il avait été atta&ué et avait d( lutter
comme Bacob. Il se eta " genoux et pria tout bas avec ferveur, tandis &ue la malade chantait sur une
note monotone, &ui expirait tout doucement. 5nsuite il se livra au repos.
Lenz s’endormit en r%vant, puis il entendit dans son sommeil le tic*tac de l’horloge. ! travers le
chant léger de la eune fille et la voix de la vieille passait le sifflement du vent, tant$t tout prs,
tant$t plus loin, et la lune tour " tour claire et voilée etait m+stérieusement dans la chambre sa
lumire changeante. 3ne fois les sons s’élevrent, la eune fille parlait distinctement; elle disait
&u’en face d’elle, sur le roc, il + avait une église. Lenz regarda. 5lle était assise toute droite derrire
la table, les +eux tout grands ouverts, et la lune etait sa placide lueur sur ses traits, &ui semblaient
répandre un éclat in&uiétant ; en m%me temps la vieille nasilla, et ce va*et*vient, cette disparition de
la lumire, ces sons et ces voix, plongrent enfin Lenz dans un profond sommeil.Il s’éveilla de bonne heure. 'out dormait dans la chambre faiblement éclairée. La eune fille était
désormais tran&uille ; elle était penchée en arrire,les mains croisées sous la oue gauche ; le
caractre spectral de ses traits avait disparu, ils étaient maintenant empreints d’une expression de
souffrance indicible. Il alla " la fen%tre et l’ouvrit O l’air froid du matin le frappa en plein visage. La
maison était située " l’extrémité d’une vallée étroite et profonde &ui s’ouvrait vers l’est ; des ra+ons
rouges passaient " travers le ciel gris9tre dans la vallée crépusculaire, plongée dans une fumée
blanche; ils étincelaient sur la pierre et tombaient sur les fen%tres des cabanes. L’homme " son tour
s’éveilla. 8es +eux rencontrrent sur la muraille un portrait &ue baignait la lumire ; ils s’+ fixrent.
Il commen#a " agiter les lvres et " prier " voix basse, puis de plus en plus haut.
)endant ce temps des gens entrrent dans la cabane, ils s’agenouillrent silencieusement. La eune
fille tressaillait, la vieille nasillait son chant et bavardait avec les voisins. Les gens racontrent "
Lenz &ue l’homme était arrivé il + avait longtemps dans la contrée, on ne savait d’o; il avait la
réputation d’un saint, il vo+ait les sources sous terre et pouvait adurer les esprits, et l’on se rendait
en plerinage vers lui. Lenz apprit en m%me temps &u’il s’était fort éloigné du 8teinthal ; il s’en
retourna avec &uel&ues b(cherons &ui allaient dans le pa+s. Il se trouva bien d’avoir de la
compagnie ; il se sentait maintenant mal " l’aise, en face de cet homme &ui lui semblait " certains
moments proférer des paroles terribles. Il avait peur aussi de lui*m%me dans la solitude.
Il rentra " la maison. 4ependant la nuit précédente avait fait sur lui une profonde impression. Le
monde était devenu clair " ses +eux, et il se sentait attiré vers un abme par une force irrésistible. Il
fouillait en lui*m%me, il mangeait peu ; la moitié de ses nuits se passait en prires et en r%ves
fiévreux. Il avait une soif violente d’action, puis retombait épuisé ; il versait les larmes les plus br(lantes, puis soudain recouvrait la force, se relevait froid et indifférent ; ses larmes lui faisaient
alors l’effet d’%tre de la glace, il lui fallait rire. 8on abattement était en raison de son énergie
premire. 'out affluait de nouveau en lui. He vagues souvenirs de son ancien état le faisaient
tressaillir et etaient des éclairs dans le vaste chaos de son esprit. Le our il restait ordinairement
assis en bas dans la chambre. /adame 7berlin entrait et sortait ; lui, il dessinait, peignait, lisait,
saisissait cha&ue distraction, passant h9tivement d’une chose " une autre.
/ais maintenant il s’attachait en particulier " /adame 7berlin. Il aimait " la voir assise l", son livre
de messe devant elle, " c$té une plante domesti&ue, son plus eune enfant entre ses genoux. Lenz
s’occupait beaucoup aussi de cet enfant. 3n our il était assis dans la chambre, lors&ue tout " coup il
bondit, se mit " courir de long en large. La porte " demi ouverte, il entendait chanter la servante,
d’abord d’une fa#on indistincte, puis il per#ut les paroles O En ce monde je n’ai pas de joie; B’ai monamant, et il est loin.
4ela l’empoigna, ces sons le mirent hors de lui. /adame 7berlin le regarda. Il prit courage, il ne
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pouvait plus se taire, il devait parler de celaO : 4hre /adame 7berlin, ne pouvez*vous me dire E
lenz il reprit O 1o+ez*vous, e veux partir; certes, %tes les seules personnes chez les&uelles e rais
vivre, et pourtant... pourtant, e dois vous
er pour aller chez elle mais e ne puis pas,
Ase pas. Il était violemment agité et sortit, rs le soir il revint ; il commen#ait " faire Are dans la
chambre. Il s’assit prs de ame 7berlin. a 1o+ez*vous, recommen#a*t *il " &uand elle traversait la
chambre en chantant mi voix, et &ue chacun de ses pas était une [&ue, il se dégageait d’elle unefélicité &ui ait en moi ; ’étais touours heureux &uand . regardais, ou &u’elle appu+ait sa t%te sur ..
!h, Hieu M !h, Hieu M depuis longtemps e ais plus heureux... 3ne véritable enfant... Il Alait &ue le
monde était trop vaste pour elle, se retirait en elle*m%me, elle cherchait la e place la plus étroite de
toute la maison, et s’asse+ait l" comme si tout son bonheur ne t &ue dans un seul petit point ; alors il
en de m%me pour moi ; alors ’aurais pu ouer ne un enfant. /aintenant e me sens si " l s’agit ici de
>rédéri&ue rion, la fdle du pasteur de heim, " la&uelle le fugitif amour de WGthe a donné ortalité.
?@ote du traducteurA. l’étroit, vo+ez*vous, il me semble parfois &ue e touche des mains le ciel. 7hM
’étouffe M Be crois en outre souvent sentir une douleur ph+si&ue, l", au c$té gauche, au bras avec
le&uel e l’étreignais. 4ependant e ne puis plus me la représenter, son image s’enfuit, et cela me
torture ; ce n’est &ue si par hasard elle redevient claire " mes +eux, &ue e me trouve de nouveau
bien.Il revint plus tard souvent encore sur ce suet avec /adame 7berlin, mais ordinairement en phrases
entrecoupées; elle ne savait trop &ue lui répondre, mais ses &uel&ues paroles faisaient du bien "
Lenz.
4ependant ses tortures religieuses continuaient. )lus il se sentait intérieurement vide, froid, prs de
mourir, plus il br(lait du désir d’éveiller en lui une ardeur ; il lui vint des souvenirs des temps o
tout s’agitait dans son %tre, o il s’affaissait sous le poids des sensations; et maintenant si mort M Il
désespérait de lui*m%me, il se etait " terre, il se tordait les mains, il remuait tout en lui ; mais mort M
!lors il suppliait Hieu de lui faire un signe, alors il fouillait en lui*m%me, il e(nait, il s’étendait sur
le sol et r%vait.
Le C février, il entendit dire &u’un enfant était mort " >ouda+, et cette nouvelle s’empara de lui
comme une idée fixe. Il se retira dans sa chambre et resta un our sans manger. Le E il entra
subitement dans la chambre de /adame 7berlin, le visage couvert de cendre, et il demanda un
vieux sac. 5lle s’effra+a. 7n lui donna ce &u’il réclamait. Il enroula le.sac autour de lui, comme un
pénitent, et prit le chemin de >ouda+. Les gens de la vallée le connaissaient dé" ; on racontait
diverses choses étranges sur son compte. Il entra dans la maison*o était l’enfant. Les gens se
rendaient insouciamment " leurs affaires. 7n lui indi&ua une chambre O l’enfant était étendu en
chemise sur une table en bois recouverte de paille.
Lenz frissonna en touchant les membres froids et en vo+ant les +eux vitreux " moitié ouverts.
L’enfant lui semblait si abandonné, et lui*m%me se sentait si seul et si solitaire M Il se eta sur le
cadavre. La mort lui fit peur, une vive douleur s’empara de lui O ces traits, ce visage immobile
devaient se corrompre M s’agenouilla, il demanda " Hieu, avec tous les gémissements dudésespoir, de lui faire un signe et de ressusciter l’enfant, et il lui dit combien il était malheureux;
puis il s’enfon#a dans ses pensées et concentra toute sa volonté sur un point; il resta ainsi longtemps
assis, immobile.
5nsuite il se leva et saisit les mains de l’enfant en disant d’une voix haute et ferme O : Lve*toi et
marche M F /ais les murailles lui renvo+rent froidement l’écho de ses paroles, comme une raillerie,
et le cadavre resta froid. !lors il tomba sur le sol, " moitié fou ; puis il se sentit poussé irrésistible*
ment vers la montagne. Hes nuages passaient rapidement au*dessus de la lune, tant$t enveloppant
tout dans l’obscurité, tant$t montrant le pa+sage, &ui disparaissait " la lueur de l’astre nocturne
comme un brouillard. Il courait en tous sens. Hans sa poitrine retentissait un h+mne de triomphe
infernal. Le vent résonnait comme un chant de 'itan. Il lui semblait pouvoir lancer us&u’au ciel un
poing formidable, en arracher Hieu et le traner entre ses nuages; pouvoir bro+er le monde sous sesdents et le cracher au visage du 4réateur ; il urait, il blasphémait. Il arriva ainsi au haut de la
montagne. La lumire incertaine s’étendait au bas, l" o gisaient les masses blanches pierreuses. Le
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ciel était un Gil bleu stupide, et la lune + apparaissait risiblement, comme une niaise. Lenz ne put
s’emp%cher de rire tout haut, et avec le rire l’athéisme pénétra en lui et le saisit d’une fa#on s(re,
calme, ferme. Il ne se rappelait plus ce &ui tout " l’heure l’avait tant ému, il avait froid, il pensait
&u’il voudrait bien aller se coucher, et il traversa de sang*froid et sans trembler l’obscurité
in&uiétante. 'out pour lui était vide et creux ; il courut " son lit.
Le lendemain il ressentit une grande horreur de son état de la veille ; il était maintenant sur l’abme,
poussé par un désir insensé d’+ regarder sans cesse et de renouveler sa torture. !lors son angoisses’accrut, le péché et le 8aint*5sprit se présentrent " ses +eux. Tuel&ues ours aprs, 7berlin revint
de 8uisse, beaucoup plus t$t &u’on ne l’attendait. 4e retour frappa Lenz, &ui, pourtant, devint gai
&uand 7berlin lui eut parlé de ses amis d’!lsace. )uis 7berlin alla #" et l" dans la chambre,
déballant, arrangeant. Il parla de )feffel et dit &ue la vie d’un pasteur de campagne lui semblait
heureuse. 8ur &uoi il l’exhorta, pour se soumettre au désir de son pre et pour vivre conformément "
sa vocation, " retourner chez lui. Il lui dit O Uonore ton pre et ta mre, et beaucoup de choses de ce
genre.
! la suite de cette conversation, Lenz fut violemment troublé ; il soupirait profondément, les larmes
aillissaient de ses +eux, il parlait par saccades, Z 7ui, mais cela est au*dessus de mes forces ;
voulez*vous me chasser 4e n’est &u’en vous &ue se trouve la voie vers Hieu. /ais c’en est fait de
moi M Be suis un apostat, maudit pour l’éternité, e suis le Buif*5rrant F. 7berlin lui dit &ue pour celaétait mort Bésus, &u’il devait se tourner vers lui avec ferveur, et &u’il aurait part " sa gr9ce.
Lenz releva la t%te, tordit ses mains et dit O : Uélas M hélas M consolation divine F. )uis soudain
. 5crivain alsacien né " 4olmar en DCN, mort dans la m%me ville comme président du consistoire,
en K0J. Hepuis l’9ge de vingt et un ans il était compltement aveugle. He ses nombreux ouvrages,
écrits la plupart en allemand, ses >ables seules ont conservé &uel&ue réputation. ?@ote du
traducteurA. il demanda d’un air affable ce &ue faisait la femme, 7berlin lui répondit &u’il n’en
savait rien, &u’il voulait l’aider et le conseiller en tout, mais &ue lui*m$me devait lui indi&uer le
lieu, les circonstances et la personne. Il ne répli&ua &ue par des paroles entrecoupées O : !h M elle
est morte M 1it*elle encore 0 ange, elle m’aimaite l’aimais, elle le méritait, $ ange M /audite
alousieM e l’ai sacrifiée elle en aimait encore un autre e l’aimais, elle le méritait $ ma
bonne mre, celle* l" aussi m’aimait. Be suis un meurtrier F.
7berlin lui répondit O : 'outes ces personnes vivent peut*%tre encore, et heureuses; &ue cela soit ou
non, Hieu pourra, si vous revenez " lui, gr9ce " vos prires et " vos larmes, leur faire assez de bien
pour &ue l’utilité &u’elles tireront de vous l’emporte peut*%tre sur le tort &ue vous leur avez causé F.
Lenz s’apaisa peu " peu et se remit " sa peinture.
L’aprs*midi il reparut, a+ant sur l’épaule gauche un morceau de fourrure et dans la main un pa&uet
de baguettes &u’on avait remises " 7berlin avec une lettre pour Lenz. 4elui*ci tendit les baguettes "
7berlin en lui demandant de l’en frapper. 7berlin les lui prit de la main, lui imprima plusieurs
baisers sur la bouche et lui dit &ue c’étaient l" les coups &u’il avait " lui donner ; &u’il pouvait %tre
en repos, arranger ses affaires avec Hieu seul, &ue tous les coups possibles ne rachteraient pas un
seul de ses péchés. Bésus, aouta*t *il, a songé a tout cela, et c’est vers lui &u’il faut vous tourner. Ilsortit.
!u souper, il fut, comme d’ordinaire, &uel&ue peu morose. )ourtant il parla de toutes sortes de
choses, mais avec une précipitation in&uite. !u milieu de la nuit un bruit réveilla 7berlin. Lenz
courait " travers la cour, il criait d’une voix creuse et dure, en le pronon#ant avec une extr%me
violence m%lée de trouble et de désespoir, le nom de >rédéri&ue ; puis il se plongea dans le réservoir
de la fontaine, s’+ débattit, en sortit, remonta dans sa chambre, se précipita de nouveau dans le
réservoir, et ainsi " plusieurs reprises O enfin il se calma. Les servantes &ui dormaient dans la
chambre des enfants, au*dessous de lui, dirent &ue souvent, et particulirement dans cette nuit
m%me, elles avaient entendu un bourdonnement &u’elles ne pouvaient comparer &u’au son d’un
pipeau d’avoine. )eut*%tre étaient*ce ses gémissements et sa voix creuse, terrible, désespérée.
Le lendemain, Lenz ne parut pas de longtemps. 7berlin monta dans sa chambre O il le trouva dansson lit, calme et immobile. 7berlin eut beaucoup de peine " lui arracher une réponse ; enfin il lui
dit O : 7ui, /onsieur le pasteur, vo+ez*vous, l’ennui M l’ennui M oh M e m’ennuie tant &ue e ne sais
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plus &ue dire, ’ai dé" dessiné toutes les figures sur la muraille F. 7berlin lui répli&ua &u’il devrait
se tourner vers Hieu. Il se mit " rire et répondit O : 7ui, si ’étais assez heureux pour découvrir,
comme vous, un passe*temps agréable, e pourrais remplir les ournées de cette fa#on. 'out nat de
l’oisiveté. La plupart prient par ennui, les autres s’aiment par ennui, ceux*ci sont vertueux, ceux*l"
vicieux, et moi rien du tout, rien du tout ; e ne veux m%me pas me tuer, c’est trop ennu+eux.
O Dieu ! dans le flot de ta lumière, Hans la clarté de ton midi br(lant, La veille a blessé mes +eux.
@e fera*t*il donc plus amais nuit»7berlin le regarda d’un air mécontent et s’appr%ta " s’en aller. Lenz se glissa rapidement derrire
lui, et, l’examinant d’un Gil in&uiétant O : 1o+ez*vous, fit*il, ’ai pourtant une idée ;
malheureusement e ne puis distinguer si e r%ve ou si e veille ; vo+ez*vous, c’est trs important, il
faut nous livrer " cette recherche F. )uis il regagna de nouveau son lit.
L’aprs*dner, 7berlin songea " faire une visite dans le voisinage ; sa femme était dé" sortie. Il se
disposait " partir, &uand on frappa " sa porte; Lenz entra, le corps courbé en avant, la t%te pendante,
le visage entirement couvert et l’habit parsemé #" et l" de cendre, soutenant son bras gauche de sa
main droite. Il pria 7berlin de lui tirer le bras ; il se l’était démis en se précipitant par la fen%tre ;
personne ne l’a+ant vu, il ne voulait le dire " personne. 7berlin s’effra+a vivement, mais il ne dit
mot et fit ce &ue Lenz lui demandait ; en m%me temps il écrivit au matre d’école de ellefosse de
descendre dans la vallée, et lui donna ses instructions ; puis il partit " cheval. L’homme vint. Lenzl’avait vu souvent dé" et s’était attaché " lui. L’autre fit semblant d’avoir eu besoin de parler "
7berlin, puis de vouloir repartir. Lenz l’invita " demeurer, et ainsi ils restrent ensemble. Lenz pro*
posa encore une promenade vers >ouda+. Il visita le tombeau de l’enfant &u’il avait t9ché de
ressusciter, s’agenouilla " diverses reprises, embrassa la terre de la fosse, parut prier, mais avec un
grand trouble, cueillit &uel&ues fleurs sur la tombe, reprit la route de 6aldbach, puis retourna avec
8ébastien.
'ant$t il allait lentement en se plaignant d’une grande faiblesse dans les membres, tant$t il marchait
avec une rapidité désespérée. Le pa+sage lui causait des angoisses, il était si étroit, &u’il craignait de
se heurter " tout. 3n sentiment inexprimable de malaise le saisit, son compagnon lui devint enfin "
charge ; peut*%tre aussi devinait*il son dessein et cherchait*il " l’éloigner. 8ébastien parut cédera son
désir, mais il trouva secrtement mo+en d’avertir son frre du danger ; Lenz avait donc maintenant
deux surveillants au lieu d’un. Il les entrana plus loin, puis reprit la route de 6aldbach. !rrivés prs
du village, il se retourna rapide comme l’éclair et bondit tel &u’un cerf dans la direction de >ouda+.
'andis &u’ils le cherchaient dans cet endroit, deux marchands arrivrent et leur racontrent &u’on
avait lié dans une maison un étranger &ui se donnait comme meurtrier, mais &ui certainement ne
pouvait pas l’%tre. Ils + coururent et l’+ trouvrent en effet. 3n eune homme dans sa fra+eur l’avait
lié, sur sa demande instante. Ils le délirent et le ramenrent " 6aldbach, o dans l’intervalle
7berlin était revenu avec sa femme. Il paraissait troublé; mais &uand il eut remar&ué &u’on
l’accueillait affectueusement et amicalement, il reprit cGur, son visage changea " son avantage, il
remercia sur un ton de tendresse ses deux compagnons, et la soirée se passa paisiblement. 7berlin le
supplia de ne plus se baigner, de rester la nuit en paix dans son lit, et, &uand il ne pourrait dormir, des’entretenir avec Hieu. Il le promit et le fit la nuit suivante ; les servantes l’entendirent prier pres&ue
sans interruption.
Le matin il entra, la mine toute o+euse, dans la chambre d’7berlin. !prs lui avoir parlé de
différentes choses, il lui dit avec une affabilité extraordinaire O : 4her /onsieur le pasteur, la
femme dont e vous ai parlé, elle est morte, elle est morte, l’ange MF : H’o le savez*vous F
: Uiérogl+phes M hiérogl+phes M F puis il regardait au ciel et recommen#ait O : 7ui, morte,
hiérogl+phes M F* Impossible de tirer de lui autre chose. Il s’assit et écrivit &uel&ues lettres &u’il
remit " 7berlin en le priant d’+ aouter &uel&ues lignes. 1o+ez ces lettres
5n attendant, son état était devenu de plus en plus désespéré. Le calme &ue lui avaient procuré le
voisinage d’7berlin et le silence de la vallée avait disparu; le monde dans le&uel il avait voulu vivre
avait une déchirure immense ; il ne ressentait ni haine, ni amour, ni espérance, rien &u’un videeffro+able,et avec cela une impatience douloureuse de le remplir. Il ne ressentait rien. 4e &u’il
faisait, il le faisait consciemment, et pourtant un instinct intérieur l’+ poussait. Tuand il était seul, la
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solitude lui pesait tellement, &u’il se parlait sans cesse " haute voix, criait, s’effra+ait de nouveau, et
&u’il lui semblait &u’une voix étrangre avait conversé avec lui. Il béga+ait souvent en parlant, une
anxiété indéfinissable s’emparait de lui, il avait perdu le fil de sa phrase; alors il cro+ait devoir
retenir le dernier mot et continuer " parler, et c’est seulement " l’aide d’un vigoureux effort &u’il
étouffait cette envie. 8es h$tes étaient profondément attristés &uand, dans ses moments de calme,
alors &u’il était assis auprs d’eux et &u’il parlait tout naturellement, ils l’entendaient bient$t
. uchner a l’air de parler ici de lettres authenti&ues, et non fictives. Il semble &ue son dessein aitété de m%ler " sa nouvelle des lettres de Lenz &ue l’on possédait alors ou &u’il s’était procurées, et
dont la trace s’est depuis perdue. ?@ote du traducteurA. bredouiller; &u’une terreur inexprimable se
peignait sur ses traits, &u’il saisissait convulsivement par le bras les personnes proches de lui, et
&u’enfin il retrouvait progressivement sa raison. 5tait*il seul ou lisait*il, c’était pire encore O toute
son activité intellectuelle tenait parfois dans une seule pensée ; songeait*il " une personne étrangre,
ou se la représentait*il avec vivacité O il se prenait alors pour elle, il s’embrouillait, et il avait " cette
occasion un désir infini de soumettre dans son imagination tout " sa volonté ; la nature, les hommes,
" l’exception d’7berlin, tout lui faisait l’effet d’un songe et était froid ; il s’amusait " mettre
les maisons sur les toits, " habiller et " déshabiller les individus, " inventer les plaisanteries les plus
insensées.
)arfois il se sentait une envie irrésistible d’exécuter la chose &u’il avait précisément dans l’idée ; etil se livrait " des grimaces horribles. 3n our il était assis prs d’7berlin; le chat reposait en face de
lui sur une chaise. 8oudain ses +eux devinrent fixes, il les tint obstinément dirigés sur l’animal, puis
il glissa lentement de sa chaise. Le chat fit aussit$t de m%me. Womme magnétisé par son regard, il
éprouva une crainte, énorme et se hérissa timidement, tandis &ue Lenz conservait la m%me attitude,
le m%me visage terrible et grima#ant; tous deux, comme en proie au désespoir, fondirent
impétueusement l’un sur l’autre, et il fallut &ue /adame 7berlin se lev9t pour aller les séparer.
Lenz fut de nouveau extr%mement
confus. 4et incident, la nuit, prit l’aspect le plus terrifiant 4e n’est &u’avec la plus grande peine
&u’il s’endormit, tandis &u’il avait encore cherché un peu auparavant " remplir ce vide désespéré. Il
tomba entre le sommeil et la veille, dans un état affreux; il se heurtait " &uel&ue chose
d’épouvantable, d’horrible, la folie l’empoignait; il se leva en sursaut avec des cris effro+ables,
baigné de sueur, et c’est peu " peu seulement &u’il se remit. Il lui fallut, pour revenir " lui,
recommencer par les choses les plus simples. 5n réalité ce n’était pas lui &ui faisait cela, mais un
puissant instinct de conservation ; il lui semblait &u’il était double et &u’une de ses parties cherchait
" sauver l’autre et se faisait appel " elle*m%me; il racontait, il déclamait des poésies. 5nfin il
recouvra la raison.
4es accidents se produisaient également le our, et ils étaient encore plus terribles ; us&u’alors la
clarté l’en avait préservé. Il lui semblait alors &u’il existait seul au monde, &ue celui*ci ne subsistait
&ue dans son imagination, &u’il n’+ avait rien en dehors de lui*m%me ; &u’il était l’éternel damné, le
8atan, seul avec ses pensers douloureux. Il passait en revue sa vie avec une rapidité insensée, puis
disait O Logi&ue, logi&ue; si &uel&u’un ouvrait la bouche O Illogi&ue, illogi&ue ; c’était le gouffred’une folie irrémédiable, d’une folie " travers l’éternité. Le vif désir de la santé morale le
poursuivait ; il se etait dans les bras dQ7berlin il se cramponnait " son ami comme s’il voulait
pénétrer en lui ; c’était le seul %tre &ui pour lui vivait et par le&uel il se reprenait " l’existence.
Insensiblement les paroles d’7berlinle ramenaient " lui, il tombait " ses genoux, ses mains dans les
mains du pasteur, son visage couvert d’une sueur froide sur le sein de celui*ci, frémissant et
tremblant de tous ses membres. 7berlin éprouvait une compassion sans bornes, la famille
s’agenouillait et priait pour le malheureux, les servantes s’enfu+aient et le tenaient pour possédé.
Tuand il retrouvait un certain calme, c’était comme les lamentations d’un enfant; il sanglotait, il
concevait pour lui*m%me une profonde, profonde pitié ; c’étaient aussi ses moments les plus
délicieux.
7berlin parla de Hieu. Lenz se retourna tran&uillement, le regarda avec l’expression d’une douleur infinie, et dit enfin O : /ais moi, si ’étais tout puissant, vo+ez*vous, si e l’étais, e ne pourrais
supporter la souffrance, e sauverais,e sauverais; e ne demande &ue le calme, le calme, seulement
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un peu de calme, pour pouvoir dormir F. 7berlin lui dit &ue c’était une profanation. Lenz secoua la
t%te d’un air désolé. Les demi*tentatives de suicide &ue, dans l’intervalle, il essa+a sans
discontinuer, n’étaient pas trs sérieuses. 4’était moins le désir de la mort, car pour lui il n’+
avait aucun repos et aucune espérance dans la tombe, &u’un effort destiné, dans ses moments de
sombre désespoir ou de calme morne voisin du néant, " lui rendre la raison gr9ce " la douleur
ph+si&ue. Les moments o son esprit paraissait chevaucher sur n’importe &uelle idée folle étaient
encore les plus heureux. 4’était du moins un peu de repos, et son regard troublé n’était pas aussiterrible &ue lors&u’il ressentait cette aspiration affamée de salut, cette torture éternelle de
l’in&uiétude M 8ouvent il se frappait la t%te contre la muraille, ou il provo&uait en lui une violente
douleur ph+si&ue.
Le K au matin il resta au lit. 7berlin monta. Il reposait pres&ue nu sur le lit et était violemment agité.
7berlin voulut le couvrir, mais il se plaignit trs fort &ue tout était lourd, excessivement lourd; il ne
cro+ait pas m%me pouvoir marcher, il ressentait enfin la prodigieuse pesanteur de l’air. 7berlin
l’encouragea. /ais il resta dans sa position la plus grande partie du our,sans m%me songer "
prendre de nourriture. 1ers le soir on manda 7berlin vers un malade dans la direction de ellefosse.
Le temps était doux et il faisait clair de lune. Lenz le rencontra lors&u’il revenait. Le eune homme
paraissait tout " fait raisonnable et il causa tran&uillement avec le pasteur. 4elui*ci le pria de ne pas
retourner O il le promit. 5n s’en allant il fit tout " coup volte*face, s’approcha d’7berlin et lui dit brus&uement O : 1o+ez*vous, /onsieur le pasteur, si seulement e ne devais plus entendre cela, e
serais sauvé. F * : Tuoi donc, mon ami F : @’entendez*vous donc rien, n’entendez*vous
donc pas la voix effro+able &ui crie autour de tout l’horizon, et &u’on nomme habituellement le
silence Hepuis &ue e suis dans cette vallée paisible, e l’entends touours, elle ne me laisse pas
dormir; ahM /onsieur le pasteur, si e pouvais recommencer " dormir M F. )uis il avan#a en secouant
la tte. 7berlin revint vers 6aldbach et allait lui envo+er &uel&u’un, &uand il l’entendit monter
l’escalier de sa chambre. 3n moment aprs &uel&ue chose tomba dans la cour avec un si grand
bruit, &u’7berlin ne pouvait croire &ue ce bruit provnt de la chute d’un homme. La servante
apparut p9le comme une morte et toute tremblante ..... Il était assis avec une froide résignation dans
la voiture ; celle*ci &uittait la vallée et s’avan#ait vers l’ouest. )eu lui importait o on le conduisait;
plusieurs fois m%me, les mauvais chemins mettant la voiture en danger, il n’+ resta pas moins trs
tran&uillement ; il était indifférent " tout. 4’est dans cet état &u’il fit route " travers la montagne.
1ers le soir ils étaient dans la vallée du