ls56 pourquoi une assistance laser en endodontie

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Laser 46 N°56 - novembre 12 L S S POURQUOI UNE ASSISTANCE LASER EN ENDODONTIE Docteur Michel COSTESSEQUE Orange (84) - IMLA I. INTRODUCTION Les traitements endodontiques sont en constante évolution (1) (2) du fait de la complexité de l’anatomie de l’endodonte. De nom- breuses zones de ce réseau canalaire sont souvent difficilement accessibles, en particulier : certains canaux principaux très courbés ou aux sections non circulaires, des canaux latéraux fins, certains deltas apicaux multiples, les tubuli dentinaires radiculaires, des anastomoses intercanalaires, des pulpolithes qui obstruent certains passages cana- laires… (Figure 1). Or durant le traitement, nous n’avons qu’une notion très sommaire de son anatomie : comment être certain d’avoir traité correcte- ment la totalité de son volume réel? Les objectifs des trai- tements endodon- tiques sont la décon- tamination de la totalité de ce réseau canalaire, ainsi que son isolement du milieu extra-radicu- laire. La décontamination repose principalement sur le passage répété d’antiseptiques par irrigations depuis la chambre pulpaire. Aussi devons-nous élargir les canaux principaux afin d’amener ces liquides au plus près de toutes ces zones difficiles d’accès, voire inaccessibles. Toutefois, dans ces zones étroites, les actions essen- tielles de désinfection et d’élimination du tissu pulpaire puis de scel- lement périphérique restent passives et peu contrôlables par l’opé- rateur. Pourtant ces zones sont peut-être les plus importantes à traiter : mal décontaminés et scellés, ces canalicules directement ouverts sur le parodonte augmenteraient fortement les risques d’in- fections périradiculaires ultérieures. Certains lasers permettent au praticien d’avoir des actions méca- niques contrôlées dans la plupart des zones inaccessibles à nos ins- truments endodontiques actuels (3) : il s’agit de lasers impulsionnels possédant une fibre optique souple de 200μm de diamètre au plus. Les lasers actuellement les plus adaptés semblent être les lasers Nd : YAG et Nd : YAP : leur coefficient d’absorption dans la dentine n’est pas excessif afin de ne pas créer de butées dans les courbures canalaires (sous réserve d’une gestuelle précise) ; les énergies et les fréquences disponibles sont suffisantes pour obtenir les effets recherchés. Nous allons présenter quelques avantages de l’assistance laser pouvant compléter et simplifier utilement les traitements endodon- tiques classiques. Nous exposerons brièvement certains méca- nismes d’action des lasers illustrés par des résultats cliniques. (...) Figure 1 : zones apicales (d’après B.W. Hartmann)

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Parution Lettre de la Stomatologie 56 - Novembre 2012 Pourquoi une assistance laser en endodontie

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Page 1: Ls56 pourquoi une assistance laser en endodontie

Lase

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46N°56 - novembre 12LLSS

POURQUOI UNE ASSISTANCE LASER EN ENDODONTIE

Docteur Michel COSTESSEQUE

Orange (84) - IMLA

I. INTRODUCTIONLes traitements endodontiques sont en constante évolution (1) (2)du fait de la complexité de l’anatomie de l’endodonte. De nom-breuses zones de ce réseau canalaire sont souvent difficilementaccessibles, en particulier : certains canaux principaux très courbésou aux sections non circulaires, des canaux latéraux fins, certainsdeltas apicaux multiples, les tubuli dentinaires radiculaires, desanastomoses intercanalaires, des pulpolithes qui obstruent certainspassages cana-laires… (Figure 1). Ordurant le traitement,nous n’avons qu’unenotion très sommairede son anatomie :comment être certaind’avoir traité correcte-ment la totalité de sonvolume réel?

Les objectifs des trai-tements endodon-tiques sont la décon-tamination de latotalité de ce réseaucanalaire, ainsi queson isolement dumilieu extra-radicu-laire.

La décontamination repose principalement sur le passage répétéd’antiseptiques par irrigations depuis la chambre pulpaire. Aussidevons-nous élargir les canaux principaux afin d’amener cesliquides au plus près de toutes ces zones difficiles d’accès, voireinaccessibles. Toutefois, dans ces zones étroites, les actions essen-tielles de désinfection et d’élimination du tissu pulpaire puis de scel-lement périphérique restent passives et peu contrôlables par l’opé-rateur. Pourtant ces zones sont peut-être les plus importantes àtraiter : mal décontaminés et scellés, ces canalicules directementouverts sur le parodonte augmenteraient fortement les risques d’in-fections périradiculaires ultérieures.

Certains lasers permettent au praticien d’avoir des actions méca-niques contrôlées dans la plupart des zones inaccessibles à nos ins-truments endodontiques actuels (3) : il s’agit de lasers impulsionnelspossédant une fibre optique souple de 200µm de diamètre au plus.Les lasers actuellement les plus adaptés semblent être les lasers Nd :YAG et Nd : YAP : leur coefficient d’absorption dans la dentinen’est pas excessif afin de ne pas créer de butées dans les courburescanalaires (sous réserve d’une gestuelle précise) ; les énergies et lesfréquences disponibles sont suffisantes pour obtenir les effetsrecherchés.

Nous allons présenter quelques avantages de l’assistance laserpouvant compléter et simplifier utilement les traitements endodon-tiques classiques. Nous exposerons brièvement certains méca-nismes d’action des lasers illustrés par des résultats cliniques.

(...)

Figure 1 : zones apicales (d’après B.W.

Hartmann)

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II. QUELQUES EFFETS LASERSAPPLIQUES A L’ENDODONTIEA. ACTIONS PHOTOMÉCANIQUES DES LASERS

La fibre optique pénètre un canal principal alésé et rempli deNaOCl (Figure 2 et Figure 3). A l’extrémité de la fibre, le fais-ceau laser est absorbé par l’eau intracanalaire et la dentinepariétale. Il s’en suit une élévation de température locale de plu-sieurs centaines de degrés en quelques microsecondes à peine. Sila fibre optique obstrue correctement la lumière canalaire, labulle de vapeur d’eau qui apparaît amène une brutale et impor-tante élévation de pression (pouvant être supérieure à 1 bar).NaOCl est alors propulsé violemment en aval puis en amont del’extrémité de la fibre. Ensuite, une dépression apparaît au boutde cette fibre. Nous créons ainsi des effets de cavitation intraca-nalaires très puissants dont la puissance et par voie de consé-quence les actions peuvent être finement contrôlées. Un autre inté-rêt du laser, par rapport aux ultrasons par exemple, est depouvoir générer des effets de cavitation excessivement puissants àdes endroits très précis, sans risquer d’altérer les zones cana-laires adjacentes : il suffit de bien positionner l’extrémité de lafibre dans un environnement correctement préparé.

Cet effet, que nous pouvons appeler « effet canon » (4), permetnon seulement de nettoyer les surfaces des canaux principaux (unpeu comme le ferait un KarcherTM), mais également d’améliorerl’extraction des matières organiques et des bactéries logées dansdes zones très étroites et inaccessibles aux autres instrumentsendodontiques. La décontamination et l’obturation de ces zonesmieux nettoyées sont ainsi nettement améliorées.

Dans les canaux latéraux situés le long de la fibre optique, seproduit une surpression suite à la création de la bulle de vapeur ;ensuite, l’écoulement rapide de NaOCl en direction coronairecrée une dépression par effet Venturi à l’entrée de cescanalicules : ces pompages mécaniques bidirectionnels amélio-rent le vidage et le nettoyage de ces canaux inaccessibles.

B. ACTIONS PHOTOACOUSTIQUES

Elles sont liées aux ondes de choc consécutives aux variationsbrutales de pressions intracanalaires positives et négatives.

Ces ondes mécaniques aident à :

- décoller la matière organique des parois canalaires ainsi qu’ausein des canalicules,

- tuer davantage de bactéries, en particulier celles inaccessibles àNaOCl : si des bactéries pathogènes résistent assez bien à des sur-pressions, elles sont plus facilement tuées par les dépressions quileur succèdent.

C. ACTIONS PHOTOCHIMIQUE ET THERMOLYTIQUE

Les lasers permettent d’améliorer et faciliter la décontamination deszones inaccessibles :

- ils chauffent NaOCl dans le canal, ce qui potentialise son actiondésinfectante, de façon classique,

- outre qu’ils peuvent propulser NaOCl dans des zones inacces-sibles, le laser provoque des réactions photochimiques complexescréant un chlore beaucoup plus bactéricide,

- ils évaporent les antiseptiques : les vapeurs créées diffusent mieuxque les liquides dans les fins canalicules des réseaux canalaires (lepouvoir de pénétration de NaOCl liquide dans les tubuli n’est quede 100 µm environ (5)).

D. ACTIONS THERMIQUES

Elles détruisent également les bactéries : contre les parois cana-laires irradiées, les liquides atteignent des températures avoisinantles 700 degrés Celsius (6).

Toutefois toutes les différentes actions bactéricides se cumulent :nous savons depuis longtemps que les lasers ont une actiondésinfectante dans la dentine jusqu’à 1 à 2mm de profondeur(selon les conditions expérimentales) (7). Cette propriété paraîtintéressante au regard de l’épaisseur de la paroi canalairedans son tiers apical.

Par ailleurs, nous pou-

vons porter la paroi

canalaire à une tempéra-

ture supérieure à 1100

degrés pendant quelques

dizaines de microse-

condes sans bien sûr éle-

ver la paroi externe de la

racine de plus de 5

degrés. D’ailleurs, il est

conseillé de réaliser

toutes les reprises de traitement sans anesthésie : cela permet au

patient d’informer le praticien de toute éventuelle apparition de

chaleur. Par contre à ces températures, la dentine fond puis se soli-

difie en créant une couche amorphe. Nous recherchons ici à créer

une couche de dentine non cristallisée de « Type II » qui scelle les

tubuli (4) (Figure 4), couche qui résiste aux attaques acides : ceci

permet de mieux isoler les canaux principaux des bactéries encore

(...)47N°56 - novembre 12LLSS

Figure 2 (4) : la bulle de vapeurcrée des mouvements centrifugesde NaOCl

Figure 3 (4) : suivent des mouve-ments centripètes de NaOCl

Lase

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Figure 4 (4): dentine de "Type II" scel-lant les tubuli (MEB - laser Nd: YAP)

Page 3: Ls56 pourquoi une assistance laser en endodontie

éventuellement présentes

dans les tubuli denti-

naires en fin de traite-

ment. Cette dentine de

« type II » aide à dimi-

nuer les risques d’infec-

tion périradiculaires

futures (Figure 5).

III. QUELQUES RESULTATS CLI-NIQUES SUITE A L’ASSISTANCELASER

A. CAS CLINIQUE N°1

Les effets photomécaniques permettent d’obtenir des actions méca-niques latérales puissantes sur la totalité de la longueur des canauxprincipaux. A la suite de la biopulpectomie de la dent 26 (Figure6), nous pouvons constater la présence d’anastomoses interca-nalaires dans deux racines. Ce résultat a pu être obtenu rapi-dement grâce à une assistance laser simple : un vidage-net-toyage efficace, suivi d’une mise sous pression relativementimportante de la pâte d’obturation. Le résultat obtenu est stableà 6 années postopératoires.

B. CAS CLINIQUE N°2

Il est constant que tout traitement endodontique assisté par lasercorrectement géré évite au patient toute arthrite post opératoire,même légère. La présence d’une arthrite post opératoire signegénéralement un traitement incomplet du réseau canalaire.

En conséquence, dans notre expérience clinique, les rares inflam-mations ligamentaires ressenties dans les jours qui suivent imposenttoujours de reprendre le traitement endodontique : chaque fois,nous avons découvert un canal supplémentaire, ou des canaliculesnon traités lors de la première intervention. Et fort logiquement,l’arthrite cède alors spontanément.

La pathologie de la dent 34 illustre le principe précédent (Figure7). La radiographie postopératoire (Figure 8) montre que les deuxcanaux principaux bien qu’obturés, n’ont pas été instrumentésmécaniquement sur plusieurs millimètres dans la zone apicale.Seule l’assistance laser (grâce à ses actions photothermiques, pho-tochimiques, photomécaniques) permet d’obtenir ce type de résul-tat dans cette zone courbe, totalement calcifiée mais très infectée.Bien sûr, cette assistance laser répond à des protocoles très strictstrop longs à développer dans le cadre de cette publication.

C. CAS CLINIQUE N°3

Les lasers présentent également un intérêt lorsqu’il faut réaliser unerésection apicale (Figure 9 à Figure 12) (8).

Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer une cicatri-sation accélérée et sans douleurs :

- action décontaminante très efficace de la cavité purulente ou kys-tique (associé à H2O2),

- traitement de la surface dentinaire sectionnée (4) : décontamina-tion et scellement des tubuli (dentine de « Type II »),

- aide à l’obturation « a retro »,

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Figure 7 (4) : Dent 34, préopéra-toire : abcès périodique depuis desmois, présence de calcificationscanalaires.

Figure 9 (4) : dent 14 : fistule ves-

tibulaire.

Figure 10 (4) : fissure apicale(bruxisme) : section laser del’apex en suivant la fêlure.

Figure 8 (4) : postopératoire.Canaux très courbes. Deux canauxprincipaux dont un bifide.Disparition des signes infectieux,sans aucune arthrite résiduelle,même 6 ans plus tard.

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Figure 5 (4) : coupe transverse d’une paroicanalaire – tubuli scellés du côté de ducanal

Figure 6 (4) : radiographie 6 ans

après la reprise du traitement suivi

immédiatement par la pose d’un

tenon dans la racine palatine et

d’une couronne. 5 canaux princi-

paux avaient été traités, avec de

nombreuses anastomoses interca-

nalaires dans les 2 racines vestibu-

laires.

(...)

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- contrôle facilité du saignement (possibilités de l’augmenter, ouaide à la coagulation),

- greffe osseuse (éventuelle) facilitée,

- biostimulation de toute la zone d’intervention.

IV. CONCLUSION

Certains lasers permettent de simplifier et d’accélérer les traitementsendodontiques tout en améliorant les résultats de façon répétitive etavec une sécurité probablement inégalée. Il devient possible deréaliser pratiquement tous ces traitements même les plus complexesen une seule séance (Figure 13, Figure 14, Figure 15). Cette assis-tance améliore la qualité du nettoyage, de la décontamination, duséchage et de l’obturation périphérique du réseau canalaire, etdonc le pronostic. La simplification des traitements concourt égale-ment à augmenter le confort immédiat du patient.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES1 SCHERMAN L., - La reprise de traitement endodontique. Analysebibliographique et protocoles cliniques. CDF. 1521 – 1525, 2012.

2 CALAS P., ROCHD T., – Utilisation d’un laser Nd: YAP pour lapréparation canalaire : étude préliminaire.

Tribune Dentaire, Vol.3, N°20 – 29-11-1995

3 STABHOLZ A. – The role of laser technology in modern endodon-tics. International Congress Series 1248, 21-27, 2003.

4 COSTESSEQUE M., – « Particularités du laser Nd : YAG enomnipratique » in Les lasers et la Chirurgie dentaire: innovations etstratégies cliniques, REY G., MISSIKA P. et Coll., pp 51-75, LesEditions CdP, 2010.

5 VAHDATY A., PITT FORD T.R., WILSON R.F. – Efficiency of chlor-kexidine in disinfecting dentinal tubules in vitro. Endod. Dent.Traumatol., 9, 243-248, 1993.

6 GUTKNECHT N., MORITZ A., CONRADS G., SIEVERT T., LAM-PERT F. – Bactericidal effects of the Nd: YAG laser in vitro rootcanals. J Clin. Laser Med & Surg. Vol.14, n°2. 77-80, 1996

7 SCHOOP U., KLUGER W., MORITZ A., NEDJELIK N., GEORGO-POULOS A., SPERR W. - Bactericidal effect of different laser sys-tems in the deep layers of dentine. Lasers in Surgery and Medicine.35:111-116, 2004.

8 STABKOLZ A. et RAVANSHAD S.H. – Effects of Nd: YAG laser onapical seal of teeth after apicectomie and retrofill. Journal ofEndodontics, 18: 371-375, 1992

49N°56 - novembre 12LLSS

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Figure 11 (4) : 8 jours post opéra-

toire : disparition des signes cli-

niques d’une présence d’infection.

Figure 12 (4) : cicatrisation

osseuse à 10 semaines postopé-

ratoire.

Figure 13 (4) : 46 préopératoire :

nécrose pulpaire, ostéite puru-

lente, cellulite jugale.

Figure 14 (4) : postopératoire :“endodontie en 1 séance”.Traitement de 5 canaux princi-paux, deltas et nombreux fora-mina.

Figure 15 (4) : cicatrisation

osseuse, stabilité de l’obturation

dans les deltas et canaux laté-

raux.