mami wata · 2011. 9. 20. · mami wata se place dans le genre fantastique avec son manoir hanté...

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Mami Wata Un scénario de long-métrage de fiction de Jocelyn Ismaël Copyright : 00048594-4 Contact : [email protected] Site : jocelynismael.wordpress.com

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  • Mami Wata

    Un scénario de long-métrage de fiction de

    Jocelyn Ismaël

    Copyright : 00048594-4 Contact : [email protected] Site : jocelynismael.wordpress.com

  • SOMMAIRE :

    — SYNOPSIS — NOTE D’INTENTION — SCÉNARIO — SYNOPSIS DÉVELOPPÉ

  • SYNOPSIS À dix années d’écart, deux chasseurs de gènes, l'un travaillant pour un laboratoire public, l'autre pour un privé, sont à la recherche d'un requin aux propriétés extraordinaires. Leur enquête les mène dans l'étrange manoir d'un mystérieux et riche collectionneur passionné de zoologie marine...

  • NOTE D’INTENTION Mami Wata se place dans le genre fantastique avec son manoir hanté et sa créature mythique, mais mon objectif a été d’en détourner les codes, pour en réinventer l’univers et tenter de surprendre le spectateur en l’emmenant là où il ne s’y attend pas. Le procédé narratif s’articule en deux histoires parallèles décalées dans le temps dont chacune des découvertes de l’une nourrit l’aventure de l’autre, augmentant le suspens à chaque voile levé sur un nouveau mystère, et qui finissent par se rejoindre à la fin. Nous suivons deux approches d’une même enquête à dix ans d’écart où nos deux héros rencontrent une galerie de personnages atypiques et touchants, parfois abjects ou inquiétants, mais loin des stéréotypes habituels que leur fonction véhicule d’habitude dans le genre. Il s’agit néanmoins de raconter une histoire fantastique au sens classique du terme : c’est à dire organiser un glissement progressif mais inexorable de la réalité vers un univers cauchemardesque et fatal, glissement d’autant plus redoutable qu’il concerne deux scientifiques à l’esprit cartésien. Ainsi la majeure partie de l’action se joue dans un mystérieux manoir hanté, caché au cœur des landes, où une âme damnée entretient les aquariums et la collection océanographique de son défunt propriétaire. Là, nous irons au cœur des rêves et des ténèbres, jusque dans une crypte pleine d’aquariums où sommeille une créature qui vampirise sur le plan onirique puis physique. L’élément aquatique est prépondérant et omniprésent, vecteur formel et thématique s’il en est du rêve et des peurs ancestrales, et l’aquarium la tentative de sa maîtrise : élément tout à la fois rassurant et riche de vies, amniotique et absout de pesanteur, mais aussi élément sombre et inquiétant de la noyade et de l’horreur tapie dans les profondeurs. L’eau est ici le medium idéal du fantastique car il est insaisissable, en perpétuel mouvement et contient autant de merveilles à découvrir que de dangers inconnus à redouter.

  • Ainsi la créature de cette histoire, Mami Wata, est empruntée au folklore haïtien. C’est une déesse de l’océan, une sirène à la frontière des continents et des mondes, de la civilisation et de la nature primitive, de la terre et de la mer, de l’Afrique et de l’Occident. Et dans notre histoire, elle devient une terrible malédiction, punition de la vanité des hommes qui pensent pouvoir capturer un dieu et s’en approprier le pouvoir. Mon objectif avec Mami Wata est d’offrir à un auteur réalisateur un terrain de jeu lui permettant de construire des ambiances étranges et inquiétantes, originales et atypiques. Mais c’est aussi le désir d’écrire un film fantastique classique qui raconte une intrigue s’adressant au plus grand nombre, avec du mystère et du suspens, de l’action et du spectaculaire. Voici quelques références qui ont accompagné mon écriture : Le film The Host de Joon-ho Bong pour l’art de réinventer le genre du film de monstre et d’emmener le spectateur là où il ne s’y attend pas, avec des personnages touchants et terriblement humains. Le film Shining de Stanley Kubrick pour la maestria dans le mélange entre le cauchemar et le réel et la contamination du présent par le passé. Le film Dark Water de Hideo Nakata pour sa vision esthétique et glaçante du revenant et surtout la gestion admirable de l’élément aquatique comme vecteur de la peur. La série Carnivàle (HBO) pour la galerie de monstres, le fantastique prégnant et la construction de deux histoires parallèles qui se rejoignent au climax. La bande dessinée (et non son adaptation au cinéma) La Ligue des Gentlemen Extraordinaires d’Alan Moore et Kevin O’Neill pour la réappropriation et la modernisation des mythes classiques de la littérature fantastique. Le jeu vidéo Bioshock (2K Games) pour le mélange des ambiances sous-marines gothiques et art déco, théâtre idéal et original de l’horreur génétique. Et bien d’autres auteurs : Lovecraft, H.G. Wells, Buzzati, Maupassant, Stephen King, Clive Barker, Tod Browning, Terence Fisher, Tim Burton, James Cameron, Peter Jackson, Guillermo del Toro, Mike Mignola...

    Bonne lecture.

  • SCENARIO

  • 1 EXT. NUIT. - INT. NUIT. MANOIR : COULOIRS - SALONS -

    CRYPTE

    Ouverture sur une vieille porte de bois massive : un

    magnifique heurtoir en fer forgé représentant une tête de

    poisson à la bouche béante trône au milieu de la porte.

    La porte s’ouvre comme par enchantement : on avance

    rapidement dans le manoir d’une pièce à l’autre

    (TRAVELLING AVANT avec MENTIONS GÉNÉRIQUE).

    Les premières pièces sont comme abandonnées (des draps

    blancs couvrent les meubles, il n’y a pas ou presque pas

    de lumière).

    Plus on avance profondément dans le manoir, plus les

    pièces semblent habitées, entretenues, et éclairées d’une

    douce lumière orangée. La décoration est de style art déco

    : de nombreux squelettes, animaux empaillés, trophées,

    photos et dessins scientifiques illustrant le règne animal

    (principalement aquatique), bibliothèques rayonnées de

    vieux ouvrages, vitrines emplies de pierres et de fossiles

    font ressembler l’endroit à un musée privé d’histoire

    naturelle.

    On entend le CHANT incroyablement perché d’une femme

    soprano sur un VIEUX MAMBO (Gopher par Yma Sumac). Cette

    musique est ponctuée par les SONS DE RAYURES d’un vinyle

    sur un vieux tourne-disque.

    On arrive devant une porte métallique (PAUSE DU

    TRAVELLING). UNE MAIN D’HOMME ÂGÉ manucurée insère une

    grande clef métallique dans la serrure et ouvre la porte.

    REPRISE DU TRAVELLING : on avance dans un couloir sombre

    et humide. La MUSIQUE DISPARAÎT peu à peu au profit du son

    de CLAPOTIS de gouttes d’eau.

    On descend des escaliers, le lambris fait place à la

    pierre. On arrive dans la crypte : une immense cave voutée

    pleine d’aquariums.

    MENTION TITRE : MAMI WATA

    On passe d’un aquarium à l’autre. Les premiers aquariums

    sont sales et mal entretenus, certains vides, d’autres

    envahis d’algues.

    Le rythme des gouttes d’eau se mue en MUSIQUE

    AFRO-CARIBÉENNE de plus en plus frénétique au fur et à

    mesure que l’on découvre les différents aquariums :

    Plus on avance, plus on découvre des aquariums grands et

    beaux, certains d’eau douce, d’autres d’eau de mer, tous

    habités de poissons, crustacés et diverses créatures

    aquatiques aux formes et aux couleurs variées.

    [.../...]

  • [SUITE] 2.

    Les aquariums du fond de la pièce sont immenses et pour la

    plupart marins : là une raie passe devant nous, ici un

    petit REQUIN ROSE (une cinquantaine de centimètres,

    couleur étrangement rose scintillant de reflets bleus) se

    faufile pour se cacher derrière des algues, aussitôt une

    murène émerge brusquement d’une grotte de rochers comme

    pour nous mordre en exhibant ses dents acérées, ailleurs

    un crabe araignée dévore de la chair en putréfaction.

    On voit une fissure d’une dizaine de centimètres sur la

    paroi d’un aquarium. Une goutte d’eau glisse depuis la

    fissure le long de la paroi, puis tombe...

    2 INT. JOUR. TOILETTES DE LA STATION-SERVICE

    ... une goutte tombe dans un lavabo immaculé. Une autre

    goutte coule depuis le robinet.

    HECTOR (HORS CHAMP)

    Salope...

    Son de CHASSE D’EAU. HECTOR se regarde dans le miroir des

    toilettes d’une station service : yeux noirs et perçants

    bien que les globes injectés, quarantaine, visage fatigué,

    rasé de près, cheveux bruns courts ébouriffés parsemés de

    nombreux cheveux blancs, 1m90, carrure athlétique, costume

    noir bien taillé, cravate rouge vif défaite et chemise

    bleu électrique débraillée.

    HECTOR

    (à lui-même)

    Bordel : c’est moi qui ai payé

    cette putain de baraque...

    Hector range le smart phone qu’il tient en main dans sa

    poche de pantalon. On voit une alliance sur l’annulaire de

    sa main gauche.

    HECTOR

    Quelle pute !

    Un GROS MONSIEUR sort des WC derrière lui et le regarde

    avec insistance en ajustant sa ceinture. Hector croise son

    regard dans le miroir et se retourne vers lui :

    HECTOR [suite]

    (très agressif)

    Quoi ?!

    Le Gros Monsieur baisse les yeux et sort précipitamment.

    HECTOR [suite]

    (à lui-même)

    Pas moyen d’être tranquille...

    Hector fait couler l’eau dans le lavabo et s’asperge le

    visage et les cheveux qu’il recoiffe vers l’arrière. Il

    referme le robinet.

    [.../...]

  • [SUITE] 3.

    HECTOR [suite]

    Allez Hector, c’est pas la fin du

    monde. Reprends-toi.

    Hector se CLAQUE les deux joues, referme le haut de sa

    chemise, rajuste sa cravate.

    HECTOR [suite]

    Voilà.

    Il se mire de trois-quarts gauche en ajustant sa veste,

    puis de droite et se fait un clin d’œil dans le miroir

    avec un léger sourire avant de sortir des toilettes.

    Dans les toilettes désormais vides, on peut voir son

    alliance posée à côté du lavabo dont le robinet continue

    son goutte-à-goutte dans la vasque immaculée.

    3 EXT. JOUR. STATION-SERVICE - AIRE D’AUTOROUTE

    Les CLIENTS entrent et sortent de la station sous un

    soleil de plomb. Une jolie JEUNE FEMME en robe légère

    fleurie entre dans la station au moment où Hector en sort.

    MENTION : AUTOROUTE DES DEUX MERS, AOÛT 2003

    Hector lui tient la porte et s’écarte pour la laisser

    entrer avec un grand sourire. Elle entre. Il sort, non

    sans jeter un regard concupiscent sur le dandinement du

    postérieur de la Jeune Femme.

    Hector se dirige vers le parking, toujours le sourire aux

    lèvres. Les yeux éblouis par le soleil, il sort de sa

    poche intérieure des lunettes de soleil qu’il chausse.

    Hector enclenche le BIP d’ouverture de sa voiture (berline

    noire haut de gamme).

    Tout en montant dans sa voiture, Hector regarde une

    famille qui s’est installée pour pique-niquer sur l’aire

    d’autoroute: les PARENTS sont attablés à une table en bois

    où gisent une montagne de déchets, gobelets et papiers

    gras.

    Ils digèrent, presque inertes, pendant que deux gamins

    d’une dizaine d’années vêtus de leur seul slip courent

    autour d’eux et s’aspergent en RIANT à l’aide de fusils à

    eau.

    Hector ferme sa portière et allume son autoradio : on

    entend le morceaux de MUSIQUE CLASSIQUE Aquarium du

    Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saëns.

    HECTOR

    C’est quoi cette merde...

    [.../...]

  • [SUITE] 4.

    Il règle son autoradio, passant sur PLUSIEURS STATIONS

    RADIOS puis s’arrête sur un ROCK ÉNERGIQUE (Killing In The

    Name de Rage Against The Machine).

    Hector MONTE LE SON À FOND en souriant : il secoue la tête

    d’avant en arrière en rythme et DÉMARRE sa voiture.

    Il met sa ceinture. Ses pneus CRISSENT sur le bitume

    auréolé de chaleur. Sa voiture part en TROMBE sur la

    bretelle qui rejoint l’autoroute.

    4 INT. NUIT. LABO PUBLIC - BUREAU D’ANNE

    Un gobelet en plastique vide. Son d’un BOUCHON DE

    CHAMPAGNE qui saute. Le gobelet est rempli à ras bord du

    liquide mousseux blanc qui déborde un peu puis se tasse en

    liquide ambré.

    MENTION : PARIS, JUIN 2013, 10 ANS PLUS TARD

    Trois gobelets pleins de champagne sont entrechoqués pour

    trinquer, off : RIRES, CRIS DE JOIE.

    THÉA (H.C.)

    Et de 500 !

    Des listes interminables de séquences génétiques

    (A-C-T-G-G-T-A-A-A- etc.) sur des bandes de papier, des

    ordinateurs, certains éteints, d’autres allumés sur des

    séquences biochimiques, une demi-douzaine de bureaux

    séparés les uns des autres par des cloisons en plexiglas,

    des piles de livres, des documents en vrac.

    LÉO (H.C.)

    Et encore un gène que les grands

    labos n’auront pas, un !

    RIRES (H.C.). Une main de femme vient punaiser une fiche

    cartonnée sur laquelle on peut lire :

    N 500 : GÈNE DE SYNTHÈSE DE LA SACCHARASE-ISOMALTASE,

    suivi d’une modélisation d’une molécule complexe

    organique.

    APPLAUDISSEMENTS. La fiche est sur un mur couvert d’autres

    fiches de couleurs variées et représentant toutes une

    molécule organique.

    ANNE recule pour admirer la 500ème fiche : femme d’une

    quarantaine d’années, les cheveux courts, traits fatigués

    mais regard vif et pétillant, 1m70, pantalon noir et pull

    mauve, pas de bijoux, maquillage discret.

    Elle sourit de toutes ses dents en se retournant vers ses

    assistants qui APPLAUDISSENT :

    [.../...]

  • [SUITE] 5.

    LÉO (vingtaine d’années, blondinet mignon, habillé en

    chemise débraillée et pantalon baggy) tient son gobelet de

    champagne entre les dents pour applaudir.

    Et THÉA, une femme d’une vingtaine d’années également, un

    peu forte mais au visage extrêmement beau et doux, en jupe

    et chemisier.

    ANNE

    Merci à vous deux aussi !

    Elle pose son gobelet sur le bureau le plus proche et

    écarte les bras en invitation à l’accolade.

    Théa vient l’embrasser.

    Léo pose lui aussi son verre de champagne puis s’invite à

    l’accolade des deux femmes.

    ANNE [suite]

    On est les meilleurs !

    THÉA

    C’est toi la meilleure, Anne.

    Léo hausse les sourcils avec un sourire de satisfaction

    malicieux, tout en se serrant un peu plus contre les deux

    femmes :

    LÉO

    Mmm... J’adore...

    Théa le repousse sans méchanceté mais fermement :

    THÉA

    N’en profite pas toi.

    Théa serre un peu plus fort Anne :

    THÉA

    Merci Anne... Merci pour tout...

    Anne se dégage, un peu gênée.

    Léo reprend son gobelet et le tend vers les deux femmes

    côte-à-côte :

    LÉO

    À nous !

    THÉA ET ANNE

    À nous !

    Ils boivent, RIENT. Anne remplit les gobelets même s’ils

    ne sont pas complètement vides. Ils trinquent à nouveau.

    Anne s’isole pour contempler son mur de fiches alors que

    Léo fait le pitre pour amuser Théa.

    [.../...]

  • [SUITE] 6.

    Une main vient se poser sur l’épaule d’Anne : elle se

    retourne :

    ANNE

    (au propriétaire de la main)

    T’as vu ? 500 !

    Devant elle se tient LE DIRECTEUR, très grand homme d’une

    cinquantaine d’années, plutôt bel homme, costume pied de

    poule haut de gamme, chevelure blanche sauvage mais

    maitrisée, il porte un dossier dans sa main gauche.

    Nullement soucieux de partager l’ambiance festive, il se

    penche pour regarder la 500ème fiche de plus prêt.

    DIRECTEUR

    Qui est l’heureux élu ?

    ANNE

    (embarrassée)

    Saccharase-isomaltase.

    DIRECTEUR

    Je vois ça, Anne, je vois ça...

    Le Directeur fixe Anne en laissant échapper un SOUPIR

    RÉPROBATEUR et secoue lentement la tête de droite à

    gauche.

    DIRECTEUR [suite]

    On peut s’isoler deux minutes

    dans ton bureau ?

    Anne se dirige vers son bureau (petit espace de 10m2 isolé

    du reste de la pièce par des parois vitrées) et y entre,

    suivie de près par le Directeur qui referme la porte

    derrière eux.

    Ils restent debout. Le Directeur est immobile devant le

    bureau. Il fixe Anne qui range avec une très légère

    nervosité des documents sur son bureau tout en évitant

    soigneusement de croiser son regard.

    DIRECTEUR [suite]

    (ferme mais calme)

    Comment veux-tu que je te défende

    là dessus Anne ?

    Anne répond du tac au tac sans pour autant le regarder :

    ANNE

    Inutile de me défendre.

    Il pouffe de mécontentement :

    [.../...]

  • [SUITE] 7.

    DIRECTEUR

    Anne, je...

    Cette fois, elle lui coupe la parole et le regarde droit

    dans les yeux :

    ANNE

    Ni de m’accuser !

    DIRECTEUR

    (s’enflammant un peu)

    Notre mission... Non ! TA mission

    est de breveter un maximum de

    gènes avant les grands

    laboratoires pour qu’ils tombent

    dans le domaine public ! Ce n’est

    pas un jeu Anne, c’est une course

    ! Plus vite nous les faisons

    tomber dans le domaine public,

    moins vite les labos se

    l’accaparent pour des futurs

    médicaments hors de prix !

    ANNE

    Te fatigue pas avec ton laïus je

    le connais par cœur.

    DIRECTEUR

    Tu ne peux pas perdre du temps

    comme ça sur des maladies

    orphelines... Parce que tu peux

    leur faire confiance Anne ! Eux

    ils ne vont pas perdre leur temps

    là dessus ! Tout ce que tu fais

    en t’intéressant à ce type de

    gènes c’est leur laisser une

    longueur d’avance dans la

    privatisation du vivant.

    Anne regarde Théa de l’autre côté de la vitre : elle rit

    devant Léo qui mime un joueur d’accordéon avec une

    modélisation de double hélice d’ADN.

    ANNE

    Je ne te demande pas un cours

    d’éthique.

    DIRECTEUR

    Arrête, tu sais très bien ce que

    je veux dire ! Tu n’as pas le

    droit de faire passer l’intérêt

    personnel avant l’intérêt

    général, Anne, ça tu peux le

    comprendre.

    Le Directeur pointe un doigt accusateur en direction de

    Théa en continuant de parler à Anne.

    [.../...]

  • [SUITE] 8.

    De son côté, Théa surprend ce geste alors que Léo continue

    ses pitreries sans même réaliser que l’attention de Théa

    est détournée.

    DIRECTEUR [suite]

    Surtout si ça implique un membre

    de ton personnel !

    Théa serre les dents et recentre son attention sur Léo qui

    utilise deux modélisations moléculaires comme des bois de

    cerf en grimaçant.

    Anne détourne de nouveau le regard sur ses documents.

    ANNE

    Je ne vois pas de quoi tu parles.

    Le Directeur émet un PETIT RIRE NERVEUX.

    DIRECTEUR

    Parce que tu crois vraiment que

    ça va passer inaperçu ?! C’est

    une coïncidence si ce gène là...

    Il désigne le mur de fiches sans se retourner.

    DIRECTEUR [suite]

    ... celui que tu viens de décoder

    synthétise le type d’enzyme

    responsable du diabète rare dont

    souffre le petit frère de ta

    collègue ?!

    Anne baisse les yeux. Elle soupire. Elle regarde Théa à

    travers la vitre puis fixe Le Directeur droit dans les

    yeux. Anne regarde le dossier que Le Directeur tient sous

    le bras. Elle le désigne avec un petit coup de tête :

    ANNE

    (hautaine)

    C’est quoi ça ?

    Comme s’il n’attendait que ça, il vient aussitôt se placer

    à côté d’Anne et pose le dossier sur son bureau. On peut y

    lire : DOSSIER 109, B&C 2003, H. ALBUMINE.

    DIRECTEUR

    Une bombe.

    ANNE

    C’était pour ça ton prêchi-prêcha

    moralisateur ?! Pour me mettre la

    pression et que j’accepte de

    bosser sur ce gène ? C’est ça ?

    Je suis la seule à décider de

    l’orientation de mes

    recherches...

    [.../...]

  • [SUITE] 9.

    DIRECTEUR

    Regarde de quoi il s’agit avant

    de pester...

    Il lui ouvre le dossier. Anne parcourt le dossier feuille

    après feuille (on aperçoit subrepticement le dessin du

    Requin Rose). Anne a l’air tout d’abord dubitatif, puis

    son intérêt croît en fébrilité au fur et à mesure qu’elle

    feuillette le dossier 109.

    ANNE

    (plongée dans sa lecture)

    Tu te rends compte des

    implications de ce truc ?!

    Il hoche la tête en signe positif.

    ANNE [suite]

    Tu crois vraiment un truc pareil

    ? C’est de la science-fiction !

    D’où vient ce dossier ?

    DIRECTEUR

    Les archives du laboratoire

    Bloche et Crique d’il y a dix

    ans. Ne me demande pas comment

    j’y ai eu accès tu vas encore me

    traiter de queutard.

    Anne lui fait une petite moue réprobatrice et désabusée

    avant de replonger dans le dossier.

    DIRECTEUR [suite]

    Je ne sais pas si c’est de l’info

    ou de l’intox mais ça mérite

    enquête et ce labo n’a pas pour

    habitude de s’intéresser à des

    chimères.

    ANNE

    Si ce poisson existe et qu’il

    possède bien un gène capable de

    synthétiser cette molécule... Les

    applications dans les maladies

    dégénératives et le cancer

    sont...

    DIRECTEUR

    (sourire de satisfaction)

    Allez je te laisse digérer ça. Et

    puis Anne, entre nous, c’est bien

    beau de défendre la veuve et

    l’orphelin, mais même un

    organisme public comme le nôtre a

    besoin d’autre chose que

    d’autosatisfaction et d’onanisme

    judéo-chrétien.

    [.../...]

  • [SUITE] 10.

    (sortant du bureau)

    Alors finies les célébrations et

    au boulot !

    ANNE

    (sans véhémence, blasée)

    Fous le camp, salopard.

    Anne JETTE son gobelet de champagne contre la porte vitrée

    juste refermée par Le Directeur.

    Puis elle s’assoit pour replonger dans la lecture

    attentive du dossier.

    Le liquide ambré dégouline le long de la paroi en

    plexiglas.

    5 EXT. JOUR. VOITURE D’HECTOR - FORÊT DES LANDES

    Soleil de plomb. Une goutte de sueur coule le long du

    front d’Hector. Il conduit sa voiture au cœur de la forêt

    landaise sur une interminable départementale parfaitement

    droite.

    MENTION : FORÊT DES LANDES, AOUT 2003

    AUTORADIO

    ...alors que le sinistre bilan

    des morts chez les personnes

    âgées pour cause de

    déshydratation ne cesse de

    s’alourdir. Les météorologues

    tirent la sonnette d’alarme :

    selon eux, l’Europe atteint des

    records inégalés en cet été 2003.

    Cette canicule ne serait que la

    première manifestation des

    dérèglements à venir conséquences

    du réchauffement climatique. Car

    il faut s’attendre dans les

    prochaines décennies à des

    sécheresses et des canicules de

    ce type, mais aussi à une

    généralisation des cyclones et

    des tempêtes violentes, ainsi

    qu’à des inondations dues aux

    fortes crues et surtout à

    l’élévation progressive du niveau

    de la mer. Ainsi on peut

    s’attendre à un nouveau type de

    réfugiés : des réfugiés

    climatiques venus de pays comme

    le Bangladesh ou encore le...

    Hector TAPOTE nerveusement contre les boutons à droite du

    tableau de bord, il s’acharne en particulier sur celui de

    la climatisation :

    [.../...]

  • [SUITE] 11.

    HECTOR

    Saloperie !

    SONNERIE DE TÉLÉPHONE. Hector COUPE LA RADIO et insère une

    oreillette.

    HECTOR [suite]

    Salut Laurence. Comment va au

    labo?

    VOIX DE LAURENCE

    T’es où Hector ?

    HECTOR

    Tu verrais ce coin paumé... Au

    fin fond du trou du cul de... Je

    ne sais pas vraiment où en

    fait... En pleine forêt landaise

    et en plein cagnard. Et sans

    clim’ !

    VOIX DE LAURENCE

    Je viens de te défendre... le DRH

    t’avait mis sur la liste du

    prochain dégraissage.

    HECTOR

    Merde ! Le salaud ! Heu... Merci

    Laurence, je....

    VOIX DE LAURENCE

    Inutile de te dire que tes

    récents échecs n’ont pas pesé en

    ta faveur au conseil

    d’administration.

    HECTOR

    Attends, attends... Je... Je me

    suis laissé distancer sur

    quelques gènes, OK, mais là avec

    celui-là je vais tout rattraper.

    Je suis sur un coup énorme, là !

    VOIX DE LAURENCE

    Oui et bien justement, donne-moi

    un peu de viande, histoire de les

    faire patienter.

    Hector SOUPIRE. Visiblement gêné.

    VOIX DE LAURENCE [suite]

    Je ne veux pas te piquer ce gène,

    rassure toi. Je veux juste de

    quoi retarder ton licenciement.

    [.../...]

  • [SUITE] 12.

    HECTOR

    Carcharhinus Barbarosatus.

    VOIX DE LAURENCE

    Un requin ?

    HECTOR

    Oui. Très rare. Officiellement

    disparu même. Il synthétise une

    substance qui régénère les

    cellules nerveuses. Si j’arrive à

    trouver un spécimen, le labo va

    se faire des couilles en or,

    Laurence. Les applications sont

    infinies pour les maladies

    dégénératives.

    VOIX DE LAURENCE

    Et tu m’expliques pourquoi tu

    chasses une espèce disparue de

    requin au fin fond de la forêt ?

    HECTOR

    Là je t’en dirai pas trop non

    plus.

    VOIX DE LAURENCE

    Hector...

    HECTOR

    Bon... Disons qu’un

    collectionneur a peut-être un

    spécimen vivant en aquarium.

    C’est là-bas que je vais. Inutile

    de me demander qui et où. Je t’ai

    envoyé un dossier complet. Il

    arrivera dans trois jours au plus

    tard.

    VOIX DE LAURENCE

    C’est ta dernière chance Hector.

    Mais si un labo public te

    distance une fois de plus parce

    que tu fais de la rétention

    d’information, je ne pourrais

    plus te défendre. Et puisque

    tu...

    HECTOR

    Laurence ? Laurence ?

    Hector quitte la route des yeux le temps de regarder

    l’écran de son téléphone portable :

    HECTOR [suite]

    Et merde, plus de réseau, mais

    quel trou ! C’est pas possible...

    [.../...]

  • [SUITE] 13.

    Au moment où Hector regarde de nouveau devant lui, il voit

    un ENFANT au beau milieu de la route, à une cinquantaine

    de mètres de la voiture qui roule à plus de 100 km/h :

    l’Enfant a entre dix et quinze ans, grand pré ado habillé

    en pantalon de velours trop grand et en tee-shirt rouge à

    motif bleu, il regarde bêtement Hector lui foncer dessus.

    Hector a tout juste le temps de donner un violent coup de

    volant pour éviter l’Enfant qui ne bronche pas.

    L’aile avant droite frôle le pantalon de l’Enfant.

    La voiture part en tête à queue. Hector voit le paysage

    vriller. Il FREINE. Les pneus CRISSENT.

    Malgré la ceinture, le visage d’Hector vient violemment

    HEURTER le volant.

    La voiture tourne deux fois sur elle-même en laissant des

    traces de gomme sur le bitume avant de s’immobiliser au

    milieu de la route.

    NOIR.

    Hector ouvre les paupières, la tête écrasée contre son

    volant. Il se redresse en GÉMISSANT. Son nez et sa bouche

    sont couverts de sang.

    Il porte sa main à son visage et GEINT de douleur. Il

    TOUSSE ET CRACHE un peu de sang. Il se masse la mâchoire

    endolorie.

    Il regarde la route devant lui : rien. Il regarde alors

    dans son rétroviseur : rien non plus.

    HECTOR [suite]

    Bordel...

    Hector DÉCROCHE sa ceinture et pose la main sur

    l’ouverture de sa portière.

    Regardant alors sur sa gauche par la vitre conducteur, il

    voit l’Enfant posté devant la portière, presque collé au

    véhicule, qui le regarde, impassible : surpris, Hector

    SURSAUTE comme un diable.

    HECTOR [suite]

    Putain le con !

    Hector sort maladroitement de son véhicule alors que

    l’Enfant s’écarte pour le laisser passer.

    Encore sonné, Hector vacille, trébuche et TOMBE.

    L’Enfant le regarde sans rien faire : il a les yeux

    inexpressifs avec un léger strabisme et un vilain eczéma

    au coin des lèvres. Le motif de son tee-shirt représente

    une baleine dont le geyser projette un petit personnage.

    [.../...]

  • [SUITE] 14.

    Hector se relève en prenant appui sur sa voiture.

    HECTOR [suite]

    Ne m’aide pas surtout...

    6 INT. NUIT. LABO PUBLIC - BUREAU D’ANNE

    Une FEMME DE MÉNAGE ramasse les gobelets vides et les

    jette dans la poubelle de son chariot. Elle traverse le

    labo désert.

    À l’exception du bureau d’Anne où cette dernière est

    plongée dans la lecture du dossier 109. Une tasse de café

    fume sur son bureau.

    Elle regarde une vieille photo floue d’un grand aquarium

    où nage le Requin Rose :

    ANNE

    (dans un souffle)

    Carcharhinus Barbarosatus...

    Anne prend la souris de son ordinateur en main et clique

    sur une icône de logiciel pour ouvrir une BASE DE DONNÉES

    ZOOLOGIQUE.

    Elle tape CARCHARHINUS BARBAROSATUS dans la fenêtre de

    recherche prévue à cet effet. Les termes RECHERCHE EN

    COURS clignotent en même temps qu’une icône de panda en

    animation flash se gratte la tête en boucle.

    Anne boit une gorgée de son café. BIP SONORE. Elle regarde

    son écran.

    Le panda fait la grimace, on peut lire : CARCHARHINUS

    BARBAROSATUS, PETIT REQUIN DE L’ATLANTIQUE EST, MER DES

    SARGASSES, ESPÈCE DISPARUE DEPUIS LES ANNÉES 90.

    ANNE [suite]

    Merde... Ça commence bien.

    Anne reprend la photo du Requin Rose du dossier et la

    retourne. On peut y lire les inscriptions manuscrites

    suivantes :

    CARCHARHINUS BARBAROSATUS, COLLECTION PRIVÉE, MANOIR

    BARBESSIAN, OCTOBRE 1995.

    ANNE [suite]

    Hum... Peut-être pas disparue

    pour tout le monde...

  • 15.

    7 EXT. JOUR - CRÉPUSCULE. VOITURE D’HECTOR - FORÊT DES

    LANDES

    Hector conduit sur une route encore plus petite que la

    précédente.

    Il tient le volant d’une main et maintient un mouchoir en

    papier sur son nez de l’autre. Sa voiture stoppe à un

    croisement en fourche.

    Hector retire le mouchoir de son nez et pivote le

    rétroviseur vers lui : son nez est bleuté mais le sang a

    coagulé.

    Il jette son mouchoir plein de sang par la vitre ouverte

    de sa voiture puis regarde vers le siège passager.

    HECTOR

    Et là ?

    L’Enfant est assis sur le siège passager. Ils se

    regardent. Un temps.

    HECTOR [suite]

    Alors ?

    L’Enfant répond juste par un grand sourire qui laisse

    apparaître une rangée de dents chaotique.

    HECTOR [suite]

    (mi amusé mi agacé)

    Tu ne perds pas le nord toi.

    Hector plonge sa main dans sa veste pour en sortir son

    portefeuille. Il en extrait un billet de vingt euros qu’il

    tend à l’Enfant.

    Mais Hector retient le billet au moment où l’Enfant tend

    la main pour le saisir entre le pouce et l’index.

    HECTOR [suite]

    C’est le dernier.

    L’Enfant ne bronche pas. Hector soupire et lâche le

    billet. L’Enfant enfourne le billet dans son pantalon.

    Puis il lève le bras et désigne du doigt la branche droite

    de la fourche.

    La voiture s’enfonce dans les sous-bois de plus en plus

    denses.

    La route en goudron fait bientôt place à un chemin étroit

    de terre et de sable.

    Des ronces griffent la carrosserie de la voiture avec UN

    CRISSEMENT DÉSAGRÉABLE.

    [.../...]

  • [SUITE] 16.

    HECTOR [suite]

    Bordel, ma bagnole ! J’espère

    pour toi que c’est bien là et que

    je vais pas en plus m’ensabler

    dans ce merdier.

    Alors que la voiture continue de s’enfoncer plus avant

    dans la forêt, l’Enfant se cure le nez sans vergogne puis

    porte le fruit de sa recherche à sa bouche.

    Hector qui surprend ce geste fait une grimace de dégout en

    reportant son attention sur le chemin.

    La voiture stoppe devant une double grille en fer forgé

    rouillé. De part et d’autres de cette grille un haut mur

    de pierre de trois mètres de haut s’enfonce dans les bois,

    délimitant l’immense propriété.

    HECTOR [suite]

    T’es certain que c’est là ?

    L’Enfant acquiesce en silence. Hector soupire et sort de

    sa voiture. Il avance près de la grille derrière laquelle

    le chemin continue dans les bois.

    Perché sur la grille, UN MERLE semble fixer Hector de son

    œil noir cerclé de jaune. L’oiseau lance son CRI D’ALARME

    puis s’envole par dessus Hector qui le suit du regard.

    Hector aperçoit une plaque en métal recouverte de lierre

    rivetée sur le mur d’enceinte.

    Il en écarte les feuilles et recule légèrement pour mieux

    lire l’inscription patinée par le temps : MANOIR

    BARBESSIAN.

    Hector sourit. Il sort son portefeuille et en extirpe un

    billet de cinquante euros qu’il tend en l’air :

    HECTOR [suite]

    T’as gagné le gros lot gamin.

    Bien joué.

    Hector se retourne : rien. La portière du passager est

    ouverte mais plus aucune trace de l’Enfant.

    HECTOR [suite]

    Merde... Bof...

    (rangeant le billet)

    Tant pis pour toi après tout.

    Hector ouvre les deux battants de la lourde grille qui

    GRINCE.

    Il regarde le soleil qui commence à disparaître derrière

    les pins.

  • 17.

    La voiture passe entre les grilles. Le merle revient se

    poser à sa place d’origine et suit la voiture du regard.

    8 INT. JOUR - MATIN. BUREAU D’ANNE - LABO PUBLIC

    Anne est assise devant son bureau au téléphone. Elle

    griffonne nerveusement d’une main sur un calendrier (date

    lisible : 10 JUILLET 2013) et tient son téléphone de

    l’autre.

    ANNE

    (au téléphone)

    Oui... Je sais... Je...

    À l’extérieur du bureau, Théa frappe à la porte vitrée du

    bureau d’Anne.

    Anne lui fait un signe de la main pour lui faire

    comprendre de patienter et continue sa discussion au

    téléphone.

    ANNE [suite]

    (s’énerve)

    Non ! J’ai dit pas touche à mes

    assistants ! J’en ai rien à

    foutre... J’assume tout.

    Elle raccroche brutalement. Elle se prend la tête dans les

    mains et SOUPIRE. Théa FRAPPE à nouveau.

    Anne relève la tête, lui fait signe d’entrer et se force à

    sourire.

    THÉA

    (entrant)

    C’est à cause de moi, c’est ça ?

    ANNE

    (peu crédible)

    Non Théa... Non non, des soucis

    administratifs. Tu sais comment

    ils sont... Tu veux ?

    THÉA

    J’ai fait les recherches que tu

    m’avais demandées sur monsieur

    Barbessian et je n’ai pas trouvé

    grand chose.

    ANNE

    Pas grand chose c’est toujours

    mieux que rien. Je t’écoute.

    THÉA

    Ben... Regarde ton courrier

    électronique. Je t’ai envoyé le

    peu de docs que j’ai trouvés.

    [.../...]

  • [SUITE] 18.

    Anne fait glisser sa souris, et regarde son écran

    d’ordinateur.

    THÉA [suite]

    Apparemment c’est le riche

    héritier d’une vieille famille

    d’industriels.

    Pendant que Théa parle, Anne continue de regarder son

    ordinateur.

    ANNE

    Tu as trouvé ses coordonnées ?

    THÉA

    Non, malheureusement. J’ai juste

    une vieille photo de son manoir.

    Théa se penche par dessus l’épaule d’Anne pour désigner du

    doigt un fichier sur l’écran.

    THÉA [suite]

    Ce Jpeg là. Regarde.

    Anne DOUBLE CLIC sur le fichier : on voit la photo d’un

    vaste manoir (imitation des manoirs anglais de style

    Tudor) perdu au milieu d’un océan de pins, deux étages.

    Une allée serpente jusqu’à l’entrée, encadrée par deux

    statues de sirènes armées de trident, sensuelles et

    lascives.

    THÉA [suite]

    Il l’a fait construire dans les

    années 30.

    ANNE

    Dans les années 30 !? Mais il a

    quel âge ce type ?

    9 EXT. CRÉPUSCULE. DEVANT LE MANOIR

    THÉA (OFF)

    Ben ça non plus j’ai pas trouvé.

    La voiture d’Hector arrive devant le manoir. La façade est

    recouverte de beaucoup plus de lierre que sur la photo de

    Théa.

    THÉA (OFF) [suite]

    Il est même peut-être mort.

    Hector sort de sa voiture et contemple la façade du

    manoir.

    MENTION : MANOIR BARBESSIAN, AOÛT 2003

    [.../...]

  • [SUITE] 19.

    Aucune lumière derrière les fenêtres. L’une des deux

    sirènes qui encadrent la porte a perdu sa tête, l’autre

    son trident.

    Hector vient devant la porte et se saisit du heurtoir à

    tête de poisson puis FRAPPE TROIS COUPS.

    Il contemple la façade et les alentours en attendant : le

    lierre recouvre presque toute la façade, certaines pierres

    sont lézardées, des mauvaises herbes envahissent les

    graviers de l’allée.

    Impatient, il FRAPPE de nouveau plusieurs coups un peu

    plus forts que la première fois. Toujours rien.

    HECTOR

    Et merde, y’a personne là-dedans.

    Encore une fausse piste. Foutu

    marseillais qui m’a envoyé dans

    ce trou !

    Hector regarde son téléphone portable : aucun réseau.

    Il va jusqu’à une fenêtre du rez-de-chaussée et se fraye

    un chemin à travers les plantes du parterre.

    Il se griffe la main et la veste sur un rosier.

    HECTOR [suite]

    Bordel...

    Il arrive à la fenêtre et se colle contre la vitre pour

    regarder dans le manoir.

    Il voit une grande pièce visiblement abandonnée, des draps

    blancs recouvrent les meubles.

    Hector SOUPIRE de mécontentement.

    Mais une silhouette passe subrepticement entre deux

    meubles au fond de la pièce ! Aussitôt Hector FRAPPE

    contre la vitre:

    HECTOR [suite]

    Hé ho, je vous ai vu ! Arrêtez

    votre manège. Ouvrez-moi !

    Hector sort maladroitement du parterre en trébuchant et

    retourne devant la porte d’entrée qu’il essaie d’ouvrir.

    À sa grande surprise, elle n’est pas fermée à clef. Il

    l’entrouvre, passe la tête dans l’entrebâillement et dit :

    HECTOR [suite]

    Excusez-moi de vous importuner à

    une heure aussi tardive mais...

    Je suis à la recherche de

    [...]

    [.../...]

  • [SUITE] 20.

    HECTOR [suite]

    monsieur Barbessian. C’est bien

    ici ? C’est... C’est encore

    habité ou vous êtes un squatter ?

    Hou hou. Je ne vous veux aucun

    mal !

    (à lui-même)

    Merde. C’est quoi cette

    embrouille! Un squatter au milieu

    de la forêt, t’es con ou quoi...

    N’importe quoi... Bon.

    Hector regarde le ciel : le soleil se couche. Il entre

    dans le manoir et referme la lourde porte derrière lui.

    10 INT. NUIT. MANOIR : ENTRÉE - COULOIRS

    L’entrée est très sombre. Hector tâtonne les murs en

    cherchant dans l’obscurité.

    Il trouve un vieil interrupteur en porcelaine sur le mur.

    Il l’enclenche.

    Les vieilles ampoules GRÉSILLENT en s’allumant, éclairant

    les lieux d’une lumière orangée et chaude : l’entrée est

    une grande salle donnant sur un escalier monumental qui

    permet l’accès aux étages.

    HECTOR

    S’il vous plaît ? Il y a

    quelqu’un?

    Un léger ÉCHO fait résonner sa voix dans le vide. Il

    regarde autour de lui : les meubles sont recouverts de

    draps blancs.

    Sur l’un des murs, une photo encadrée et poussiéreuse

    attire l’attention d’Hector.

    Il s’en approche, la décroche du mur et souffle dessus

    pour faire s’envoler la poussière en un nuage éphémère: on

    y voit un HOMME d’une cinquantaine d’année, petit (un

    mètre soixante maximum) mais large d’épaules, jovial et

    complètement chauve, mais pourvu d’une barbe brune

    impressionnante ; il est habillé d’un short et d’un pull

    marin. L’Homme pose à côté du COMMANDANT COUSTEAU à peu

    près au même âge, le dépassant d’au moins trois têtes, son

    sempiternel bonnet rouge vissé sur la tête. Ils sont sur

    un port, la CALYPSO en arrière-plan.

    HECTOR [suite]

    Enchanté monsieur Barbessian.

    On observe Hector. Il repose la photo. Il quitte l’entrée

    et avance dans le manoir

    Il allume les lumières les unes après les autres. Il

    traverse ainsi plusieurs pièces et couloirs.

  • 21.

    11 INT. NUIT. MANOIR : PETIT SALON - COULOIR

    Hector arrive dans ce qui ressemble à un petit salon.

    Contrairement aux autres pièces, il n’y a pas de draps sur

    les meubles.

    L’une des issues du petit salon est un long couloir se

    terminant par une porte métallique.

    Hector passe son doigt sur une commode et constate

    l’absence de poussière.

    HECTOR

    Hum...

    Il regarde tout autour de lui et voit trois fauteuils

    d’époque disposés autour d’un guéridon devant une

    cheminée. Une panière de fruits est sur le guéridon (des

    pommes, des oranges, bananes, kiwis).

    Hector s’approche du guéridon, méfiant, regardant toujours

    autour de lui.

    Il prend une belle pomme rouge et jaune et la fait tourner

    devant lui.

    Sur le rebord de la cheminée se trouve une statuette de

    bronze d’une vingtaine de centimètres de haut représentant

    une sirène : elle est assise et tient un trident comme les

    statues de pierre de l’entrée ; elle est également très

    sensuelle, la poitrine opulente, mais lève son trident au

    dessus d’elle avec la bouche ouverte comme criant,

    carnassière et vindicative.

    Hector remarque la statuette et s’en approche pour mieux

    l’observer tout en croquant la pomme à pleines dents.

    Il se fige soudain ! La statuette a la bouche fermée et

    esquisse un sourire.

    Hector crache le contenu de sa bouche avec une grimace de

    dégout. Il regarde la pomme : elle est pourrie et

    recouverte de moisissures.

    Il la jette par terre nerveusement et regarde la panière :

    les fruits sont tous pourris et moisis, deux BLATTES sont

    au festin.

    Hector regarde de nouveau la sirène : elle ne sourit pas,

    sa bouche est ouverte comme auparavant.

    HECTOR [suite]

    Qu’est-ce que c’est que ce

    merdier?!

    [.../...]

  • [SUITE] 22.

    Il se fige de nouveau, subitement, les yeux plein

    d’effroi, et lève lentement les mains au ciel : le double

    canon d’un fusil de chasse est collé contre sa nuque

    (canons juxtaposés à 2 coups).

    JONAS (H.C.)

    En quoi peut-on vous être utile ?

    Cette voix est celle d’un homme, douce mais ferme : il

    parle lentement en articulant presque à l’excès avec un

    rythme assez monotone.

    HECTOR

    Je... Pardon... Excusez-moi...

    Je... J’ai frappé, j’ai appelé...

    Personne n’a répondu... La porte

    était ouverte... Et je pensais

    que...

    JONAS (H.C.)

    Que voulez-vous ?

    HECTOR

    Je... Je suis à la recherche de

    monsieur Barbessian... Je...

    JONAS (H.C.)

    Il est absent. Vous êtes là pour

    lui dérober quelque chose ?

    HECTOR

    Non ! Non, je... Je ne suis pas

    un voleur...

    Le canon se décolle de sa nuque :

    JONAS (H.C.)

    Retournez-vous.

    Hector se retourne et voit JONAS : homme d’une bonne

    soixantaine d’années, grand et sec, habillé d’un pantalon

    en velours beige et d’une veste en laine kaki.

    Il regarde Hector de haut en bas tout en le maintenant en

    joue de son fusil de chasse.

    JONAS

    Qui êtes-vous ?

    HECTOR

    Je m’appelle Hector. Je suis

    chercheur pour Bloche et Crique,

    le grand laboratoire

    pharmaceutique...

    Hector baisse lentement sa main jusqu’à sa poche de veste

    pour en ressortir une carte bristol qu’il tend à Jonas :

    [.../...]

  • [SUITE] 23.

    HECTOR [suite]

    ... Vous connaissez forcément.

    Nous sommes leader sur le marché

    français.

    Jonas regarde la carte sans la prendre :

    JONAS

    Jamais entendu parler.

    HECTOR

    (étonné de la réponse)

    Vous avez forcément déjà pris un

    de nos médicaments !?

    Jonas baisse lentement le canon de son fusil :

    JONAS

    Je me méfie de la médecine, je me

    soigne par les plantes.

    Hector baisse les bras et sourit :

    HECTOR

    Ah mais nous avons aussi toute

    une gamme de produits naturels

    pour à peu près tous les types de

    maladies.

    JONAS

    Je ne suis jamais malade.

    HECTOR

    Ah...

    Hector regarde autour de lui, un peu gêné du silence qui

    s’installe. Jonas, le fusil le long du corps, continue de

    le fixer, impassible.

    HECTOR [suite]

    Et... Monsieur Barbessian ?

    Vous... Vous croyez que je peux

    l’attendre? Il revient quand ?

    JONAS

    Jamais.

    HECTOR

    Pardon ?

    JONAS

    Il est mort.

    HECTOR

    Merde !

    [.../...]

  • [SUITE] 24.

    JONAS

    "Condoléances" serait plus

    approprié à la circonstance.

    HECTOR

    Ah oui... Pardon, condoléances.

    C’est embêtant ça...

    JONAS

    Certes.

    SILENCE.

    HECTOR

    Mais... Sa collection ? Elle

    existe toujours ? Son musée privé

    ?

    JONAS

    Oui.

    HECTOR.

    Ah bien. Et... Et vous croyez que

    ce serait possible d’y jeter un

    coup d’œil ?

    Jonas scrute Hector de haut en bas comme une bête

    curieuse.

    HECTOR. [suite]

    Pour mes recherches...

    JONAS

    Oui.

    HECTOR

    Bien bien, très bien.

    Hector regarde Jonas, les yeux écarquillés dans

    l’attente...

    HECTOR [suite]

    Et... Où est-ce ?

    JONAS

    Demain.

    HECTOR

    Pardon ?

    JONAS

    Nous verrons cela demain

    monsieur. Pour l’instant il est

    tard je vais vous montrer votre

    chambre.

    [.../...]

  • [SUITE] 25.

    HECTOR

    (un peu déçu mais content)

    Ah... Mais appelez-moi Hector,

    pas monsieur.

    JONAS

    Comme vous voulez monsieur

    Hector. Suivez-moi.

    Jonas invite Hector à le suivre, ils commencent à se

    diriger vers la sortie de la pièce.

    HECTOR

    Serait-il possible de vous

    emprunter un téléphone, mon

    portable ne passe pas ici et il

    faudrait que...

    JONAS

    Nous n’avons plus le téléphone.

    Les câbles ont été coupés lors de

    la dernière tempête.

    HECTOR

    Ah... Mince... Bon.. Pas grave ça

    attendra... Et... Ce ne serait

    pas trop abuser de vous demander

    un petit quelque chose à manger.

    Je... Je ne pensais pas que le

    manoir était aussi éloigné de

    tout et je n’ai rien prévu...

    Alors je me suis permis de manger

    l’un de vos fruits mais ils...

    JONAS

    Si vous n’aimez pas les fruits,

    je vous apporterai une collation

    dans votre chambre.

    HECTOR

    Si si j’aime les fruits... Mais

    ceux là sont pourris...

    JONAS

    Ils ne sont pas pourris...

    Monsieur Hector.

    HECTOR

    Mais si ! Regardez ils sont...

    Hector se retourne vers la corbeille de fruit : les fruits

    ne sont effectivement pas pourris.

    HECTOR [suite]

    Merde. Je...

    [.../...]

  • [SUITE] 26.

    JONAS

    Quelque chose ne va pas Monsieur

    Hector ?

    HECTOR

    (se masse les tempes)

    Non non... Je... Ça doit être le

    choc, j’ai eu un léger accident

    de voiture avant de venir ici,

    rien de bien méchant. Tout va

    bien... Une bonne nuit de sommeil

    me fera du bien.

    Ils quittent la pièce.

    12 INT. NUIT. MANOIR : CHAMBRE D’HECTOR

    Une truite aux amandes est à moitié mangée dans une

    assiette. L’assiette est sur un plateau, lui-même sur un

    couvre-lit cramoisi aux motifs d’acanthes dorées. Sur le

    plateau, il y a aussi le squelette d’une grappe de raisin

    ainsi qu’une carafe de vin rouge presque vide.

    Hector mire la robe du verre de vin rouge qu’il tient. Il

    fait tournoyer le liquide avec souplesse avant de se

    l’enfiler. Il SOUPIRE de plaisir.

    Il est avachi sur un vieux lit à baldaquin à coté du

    plateau des restes de son repas. Sa chambre est plutôt

    petite mais richement décorée. En face du lit, au dessus

    d’une cheminée, une reproduction du Radeau de la Méduse de

    Géricault est accrochée.

    Hector se lève pour regarder le tableau de plus près.

    Il regarde son téléphone portable et constate l’absence de

    réseau. Il se dirige vers la fenêtre.

    Il voit sa voiture garée dans l’allée. La fenêtre de sa

    chambre est au deuxième étage.

    Un SON DE PAS MOUILLÉS attire son attention vers la porte

    de sa chambre.

    Il traverse la pièce et colle son oreille contre la porte

    pour mieux entendre : FLOC, FLOC, FLOC... Les PAS se

    rapprochent et semblent même s’arrêter devant sa porte.

    Hector recule de quelques pas et scrute la poignée de la

    porte, s’attendant à ce qu’elle bouge...

    Mais elle ne bouge pas. En revanche, de l’eau glisse

    lentement sous la porte et forme peu à peu une flaque

    informe d’un mètre de diamètre.

    Fasciné, Hector ne bouge pas, et se contente de regarder

    la flaque qui s’agrandit toujours jusqu’à venir devant ses

    pieds.

    [.../...]

  • [SUITE] 27.

    À l’instant même où l’eau vient toucher la semelle

    d’Hector, la flaque se réduit aussitôt comme reculant sous

    la porte dans un étrange BRUIT DE SUCCION ET DE SIPHON.

    Alors qu’elle disparait sous la porte, Hector BONDIT comme

    un diable POUR L’OUVRIR :

    Il n’y a rien derrière la porte. Hector regarde à droite

    et à gauche dans le long couloir vide : rien non plus. Il

    SOUPIRE.

    Il regarde de nouveau dans le couloir et secoue

    négativement la tête de droite à gauche :

    HECTOR

    (à lui-même)

    Va donc te coucher...

    Alors qu’il REFERME la porte derrière lui, on voit

    subrepticement dans le couloir des traces de pieds nus

    humides sur le parquet.

    Hector s’allonge sur le lit tout habillé. Il se masse les

    tempes comme sous l’emprise d’un mal de tête.

    Il regarde la porte. Puis se détend et ferme les yeux.

    La flaque revient sous la porte. Hector dort. Elle s’étend

    très rapidement.

    Elle emplit très vite la totalité de la pièce. Ce n’est

    plus une flaque mais une véritable inondation silencieuse.

    Le niveau monte peu à peu dans la chambre.

    L’eau arrive maintenant au niveau du lit et recouvre

    Hector complètement.

    13 INT. NUIT. MANOIR : CHAMBRE INONDÉE

    Hector est toujours sur le lit mais la pièce est emplie

    d’eau.

    Il ouvre les yeux, panique, HURLE en émettant des bulles.

    Il se débat en se noyant, terrifié et incrédule.

    14 INT. AUBE. BUREAU D’ANNE

    Anne se réveille en suffoquant, comme si elle avait

    partagé en rêve cette noyade.

    Elle reprend ses esprits et voit qu’on lui tend une tasse

    de café fumant. Elle s’étire et prend le café :

    [.../...]

  • [SUITE] 28.

    ANNE

    Merci.

    DIRECTEUR

    Ça va ?

    ANNE

    Oui oui. Juste un cauchemar.

    DIRECTEUR

    T’as encore passé la nuit ici ?

    Tant qu’à découcher, je

    préfèrerais que tu viennes chez

    moi...

    Il passe tendrement sa main sur son épaule. Elle retire la

    main du Directeur avec fermeté.

    DIRECTEUR [suite]

    T’aurais bien besoin de te

    détendre en ce moment, tu m’as

    l’air trop stressée.

    Le Directeur regarde les papiers sur son bureau.

    DIRECTEUR [suite]

    Alors ? Ça avance ?

    ANNE

    Bof. L’espèce est officiellement

    disparue. Sauf un spécimen chez

    un collectionneur. Un riche

    excentrique passionné de sciences

    naturelles et surtout des milieux

    aquatiques : Barbessian.

    DIRECTEUR

    Et bien il suffit de trouver ce

    monsieur.

    ANNE

    Tout le problème est là.

    Complètement insaisissable le

    bonhomme, très secret voire

    complètement paranoïaque,

    impossible de trouver l’adresse

    de ce foutu manoir. Ah... et

    autre chose...

    DIRECTEUR

    Oui ?

    ANNE

    Faut que je vérifie des infos

    importantes, j’ai besoin d’aller

    à Monaco, au musée

    océanographique.

    [.../...]

  • [SUITE] 29.

    DIRECTEUR

    Hum... Encore des notes de frais,

    c’est ça ?

    ANNE

    Je veux être sûre que ce n’est

    pas un banal requin. Ce serait

    dommage de chasser une chimère,

    non ?

    Il la regarde fixement. Elle soutient son regard :

    ANNE [suite]

    Tu le veux ou pas ton gène ?

    Barbessian a collaboré avec

    Monaco d’après ton dossier. Il

    peut y avoir des infos

    essentielles dans leurs archives.

    DIRECTEUR

    Soit. Mais sans frais. Je ne veux

    pas non plus te payer un séjour

    de bronzette méditerranéenne.

    ANNE

    Quelques jours me suffiront.

    DIRECTEUR

    Prends le temps qu’il faudra. Ça

    ne te fera pas de mal de te

    détendre un peu.

    ANNE

    Merci. Tu ne seras pas déçu.

    DIRECTEUR

    Je te fais confiance pour ça.

    Trouve-nous le requin de ce

    monsieur...

    ANNE

    Barbessian.

    DIRECTEUR

    Oui... Barbessian...

    ANNE

    Et l’auteur du dossier, tu n’as

    aucune info sur lui, il pourrait

    peut-être nous aider ?

    Anne referme le dossier pour désigner du doigt le nom H.

    ALBUMINE, écrit en bas à gauche de la couverture.

    DIRECTEUR

    Albumine ? Drôle de nom... Je

    pensais qu’il s’agissait de la

    protéine.

    [.../...]

  • [SUITE] 30.

    ANNE

    Non non, ça a bien l’air d’être

    le nom du type qui a constitué ce

    dossier, tous les rapports sont

    signés de ce nom.

    DIRECTEUR

    Albumine... Pas courant ça. Très

    bien. Mais faut que je demande à

    Laurence, c’est par elle que j’ai

    eu ce dossier.

    ANNE

    (murmure)

    Les marins ont une femme dans

    chaque port, toi une chercheuse

    dans chaque labo...

    Le Directeur se dirige vers la fenêtre du bureau et en

    ouvre les stores : la lumière de l’aube inonde la pièce.

    DIRECTEUR

    (contre-jour)

    Oh ça va ta morale, et puis

    honnêtement j’ai couché avec elle

    uniquement pour avoir ce dossier.

    Cette fois rien à voir avec mon

    insatiable appétit sexuel.

    ANNE

    Tu me dégoutes.

    DIRECTEUR

    Moi aussi je t’aime, Anne. Pour

    en revenir à nos moutons,

    Laurence est en expédition en

    pleine Amazonie en ce moment...

    Difficilement joignable. Mais je

    vais faire mon possible.

    15 INT. JOUR. MANOIR : CHAMBRE D’HECTOR

    Une SILHOUETTE EN CONTRE-JOUR tire les rideaux de la

    chambre d’Hector.

    ANNE (OFF)

    Et bien dès que t’as du nouveau

    sur ce monsieur Albumine,

    préviens-moi, on a pas grand’

    chose à se mettre sous la dent

    là.

    C’est Jonas. Il prend un plateau de petit déjeuner complet

    posé sur la cheminée en dessous de la reproduction du

    Géricault et le porte jusqu’au lit.

    [.../...]

  • [SUITE] 31.

    JONAS

    Bonjour monsieur Hector.

    La tête d’Hector est dissimulée sous les coussins, son

    corps nu en sueur est à demi couvert pas les draps

    froissés dans lesquels il semble complètement emmêlé. Il

    est parfaitement immobile.

    Jonas pose le plateau sur la table de chevet. Puis il se

    penche sur Hector.

    JONAS [suite]

    Monsieur Hector ?

    Jonas lui touche le bras du bout du doigt : Hector

    SURSAUTE et CRIE, luttant contre les draps !

    Hector regarde tout autour de lui, apeuré, puis voit Jonas

    qui le fixe, sans émotion.

    Hector CONTRÔLE SA RESPIRATION et remonte les draps pour

    cacher sa nudité.

    Jonas prend le plateau et le pose sur les genoux d’Hector

    :

    JONAS [suite]

    Un mauvais rêve peut-être

    monsieur Hector.

    HECTOR

    Oui... Je... Merci... Oui...

    C’est ça... Un mauvais rêve...

    Jonas prend les habits d’Hector épars au pied du lit et

    les plie un à un dans ses bras.

    HECTOR [suite]

    Laissez... Je...

    JONAS

    Je vais m’occuper de votre

    costume, il est tout froissé.

    HECTOR

    Mais je...

    JONAS

    Ne vous inquiétez pas, je me suis

    permis de vous monter vos valises

    vous aviez laissé votre véhicule

    ouvert.

    Hector constate la présence de ses bagages dans un coin de

    la pièce : une grande valise de voyage, un sac à

    ordinateur portable, ainsi qu’un petit attaché-case noir à

    code.

    [.../...]

  • [SUITE] 32.

    HECTOR

    Ah merci bien... C’est...

    JONAS

    Il est midi passé, je me suis

    permis de vous réveiller pensant

    que vous souhaiteriez commencer

    vos recherches.

    HECTOR

    Midi passé ? Merde, je... Ah

    parfait, vous avez bien fait.

    Merci beaucoup.

    JONAS

    Vous avez fait beaucoup de bruit

    hier soir Monsieur Hector.

    HECTOR

    Ah bon ? Désolé, je... je ne me

    suis pas rendu compte...

    JONAS

    Oh non. Ne soyez pas désolé

    Monsieur Hector, cela m’a rappelé

    les jours anciens quand le manoir

    était plein de vie et

    d’animation.

    Jonas sort. Hector regarde son petit-déjeuner : toast,

    beurre, confiture, café, fruits, œuf sur le plat.

    HECTOR

    (souriant)

    C’est mieux que l’hôtel ici...

    Les restes du plateau du petit déjeuner gisent sur le lit.

    La grande valise de voyage est ouverte.

    Hector termine de s’habiller. Il prend l’attaché-case, le

    met bien à plat sur le lit et entre un code pour l’ouvrir.

    On y voit le kit du parfait petit biologiste naturaliste :

    lamelles de verre, coupelles, boîtes de pétri, scalpels,

    cotons-tiges, pinces chirurgicales, tubes de prélèvement

    etc.

    On frappe trois coups à sa porte : Jonas entre sans

    attendre de réponse. Hector referme aussitôt son

    attaché-case pour que Jonas n’en voie pas le contenu.

    JONAS

    Si vous voulez bien me suivre, je

    vais vous emmener au grand salon,

    où vous pourrez voir la plus

    grande partie de la collection de

    monsieur Barbessian.

    [.../...]

  • [SUITE] 33.

    HECTOR

    Très bien... Je vous suis heu...

    Comment vous appelez vous ?

    16 INT. JOUR. MANOIR : COULOIR - GRAND SALON

    Hector suit Jonas dans le couloir.

    JONAS

    Jonas, monsieur Hector.

    Appelez-moi Jonas.

    HECTOR

    Très bien Jonas. Et arrêtez donc

    vos "monsieur", Hector suffit.

    Jonas ne répond pas. Ils traversent le dédale des couloirs

    et escaliers du manoir.

    Au passage, Hector constate que plusieurs pièces sont dans

    un état de délabrement avancé.

    JONAS

    Veuillez excuser le mauvais état

    du manoir monsieur Hector, mais

    en dehors des communs et de

    quelques chambres, je

    n’entretiens plus que l’aile Est

    du manoir, là où se trouve la

    collection de monsieur

    Barbessian.

    HECTOR

    Oui, je vous comprends, c’est

    immense ici, surtout si vous y

    vivez seul. Et...

    Hector a le souffle coupé sur la fin de sa phrase alors

    qu’il découvre le grand salon :

    C’est une immense pièce ovale (environ trente mètres de

    long, dix mètres de large et cinq mètres de haut)

    richement aménagée de meubles anciens, fauteuils

    confortables, tables en bois massif. Les murs sont

    couverts de trophées marins pour la plupart, de vitrines

    de fossiles, de photos, de dessins, de squelettes de

    mammifères marins, etc. Un escalier métallique en

    colimaçon dans le coin de la pièce mène à une bibliothèque

    en coursive qui s’étend en étage tout autour du salon.

    HECTOR [suite]

    (souffle admiratif)

    Waouh...

    JONAS

    Monsieur Barbessian a passé sa

    vie entière à réunir cette

    [...]

    [.../...]

  • [SUITE] 34.

    JONAS [suite]

    collection. Et il a ramené

    lui-même la plupart des spécimens

    que vous pouvez admirer.

    Hector sort un petit appareil photo numérique de sa poche.

    HECTOR

    Je... Je peux ?

    JONAS

    Prenez autant de photos que vous

    le voulez. Mais ne dérangez ni

    n’abimez rien s’il vous plaît, et

    si vous vous intéressez aux

    ouvrages de la bibliothèque,

    merci de les replacer à l’endroit

    où vous les avez pris après les

    avoir consultés.

    HECTOR

    (ébahi par la collection)

    Bien sûr Jonas... Bien sûr...

    Jonas désigne un cordon qui pend dans un angle de la pièce

    à coté d’un fauteuil.

    JONAS

    Si vous avez besoin de quoi que

    ce soit vous pouvez me sonner

    monsieur Hector.

    Jonas sort de la pièce, laissant Hector à sa

    contemplation.

    Hector mitraille avec son petit appareil numérique tel

    sujet, objet, dessin ou photo.

    Il s’arrête devant un immense portrait peint de Barbessian

    qui trône au milieu de l’un des murs : le portrait est un

    gros plan criant de vérité, les couleurs sont à dominantes

    vertes et bleues ; Barbessian y a un sourire d’ogre

    entouré de son impressionnante barbe hirsute. Son regard

    est pénétrant.

    Hector en frissonne.

    En dessous du portrait, sur un meuble en marqueterie se

    trouve la maquette d’un grand bateau à moteur (style

    Calypso, environ un mètre à l’échelle 1/40ème). Une petite

    plaque en cuivre indique le nom du bateau devant la

    maquette: LA RHODÉ.

    Hector est sur la coursive et regarde les rayons de la

    bibliothèque remplis de différents livres traitant presque

    tous de biologie animale.

    [.../...]

  • [SUITE] 35.

    Hector s’arrête plus spécifiquement sur un rayonnage où

    des JOURNAUX DE BORD sont classés par année.

    Hector est en bas. Il scrute avec intérêt les multiples

    dessins naturalistes de différents animaux aquatiques

    encadrés sur l’un des murs. Ils sont tous datés (dans une

    fourchette allant de 1940 à 1975) et signés de l’unique

    lettre "B".

    Hector s’arrête devant le dessin du Requin Rose :

    HECTOR

    Carcharhinus Barbarosatus... Te

    voilà...

    (lisant la date du dessin :)

    Août 75...

    Hector prend le dessin en photo. Il grimpe l’escalier

    métallique quatre à quatre et va au rayonnage des journaux

    de bord.

    Son index parcourt les différentes tranches :

    HECTOR

    72... 73... 74... 75 !

    Hector se saisit du journal de bord 1975 (le dernier de la

    série).

    Hector est en bas, assis dans un confortable fauteuil,

    juste sous le portrait de Barbessian. Il commence à lire

    le journal de bord.

    C’est une très belle écriture manuscrite à la plume et à

    l’encre bleue :

    5 AOÛT 1975, 23H15. LATITUDE : 27.40 NORD. LONGITUDE :

    65.53 OUEST. LA RHODÉ A QUITTE PORTO RICO CE MATIN...

    HECTOR (VOIX INTÉRIEURE)

    La Rhodé a quitté Porto Rico ce

    matin. Le temps est exécrable,

    impossible de mouiller l’ancre

    dans cette zone...

    17 INT. NUIT. RHODÉ : CABINE DU CAPITAINE

    Une énorme MAIN musclée et calleuse écrit au stylo plume

    sur le journal de bord :

    BARBESSIAN (VOIX INTÉRIEURE)

    (voix chaude et caverneuse)

    ... Impossible de mouiller

    l’ancre dans cette zone, nous

    devrons attendre demain matin

    pour commencer les recherches.

    [.../...]

  • [SUITE] 36.

    Barbessian est dans une toute petite cabine d’un navire

    qui tangue énormément. LE TONNERRE GRONDE et les VAGUES

    CLAQUENT contre la coque du navire (H.C.), dont le bois

    travaille en CRAQUANT.

    MENTION : MER DES SARGASSES, AOÛT 1975

    En short et marcel trop petit pour sa bedaine, Barbessian

    est d’une carrure impressionnante malgré sa petite taille,

    râblé et poilu jusqu’aux épaules. Il écrit son journal de

    bord, nullement incommodé par la houle furieuse, se

    caressant sa barbe fournie de temps à autre.

    BARBESSIAN (VOIX INTÉRIEURE) [suite]

    La folle de Port-au-Prince ne m’a

    probablement raconté que des

    âneries avec ses histoires de

    requin sacré vaudou mais je ne

    perds rien à essayer. J’ajouterai

    un nouveau spécimen à ma

    collection et peut-être même je

    découvrirai une espèce jusque là

    non répertoriée. Espérons juste

    que la Rhodé va tenir le coup

    dans cette tempête.

    18 INT. JOUR. MANOIR : GRAND SALON

    Hector regarde la maquette de la Rhodé juste à côté de

    lui, puis le portrait de Barbessian, et reprend sa lecture

    :

    7 AOÛT 1975, 23H55. LATITUDE : 30.15 NORD. LONGITUDE :

    67.22 OUEST. LE TEMPS EST MIRACULEUSEMENT PASSÉ AU CALME

    PLAT DANS...

    BARBESSIAN (OFF)

    Le temps est miraculeusement

    passé au calme plat dans la nuit

    du six au sept. Nous avons

    mouillé l’ancre. Et j’ai plongé

    ce matin...

    19 EXT. JOUR. OCÉAN ATLANTIQUE : MER DES SARGASSES

    Barbessian nage dans l’océan en maillot de bain rouge et

    panoplie de plongée classique (palmes, bouteille, masque,

    ceinture avec lest de plomb, couteau à la cheville), un

    harpon à air comprimé accroché dans le dos ainsi qu’un sac

    de capture à la ceinture.

    BARBESSIAN (VOIX INTÉRIEURE)

    J’ai plongé à l’aube dans ces

    eaux calmes où prolifèrent les

    algues. Et j’ai fait cette

    rencontre extraordinaire que je

    n’oublierai jamais de toute ma

    vie de plongeur.

    [.../...]

  • [SUITE] 37.

    Barbessian descend de plus en plus profondément dans les

    eaux turquoises pour atteindre un récif riche en grandes

    algues mais pauvre en faune.

    Il évolue avec naturel parmi ces algues, étrange poisson

    barbu, chauve et bedonnant en slip de bain rouge vif.

    Alors qu’il joue avec les tentacules d’une grosse anémone

    qui se collent à sa main, son regard est soudain attiré

    par le Requin Rose qui aussitôt apparu se faufile et

    disparait derrière une anfractuosité rocheuse.

    Barbessian donne d’énergiques coups de palmes pour le

    poursuivre et file à son tour dans l’anfractuosité.

    UNE OMBRE passe alors sur son dos : Barbessian se retourne

    aussitôt mais son mouvement lui fait se COGNER la tête

    contre la partie supérieure de la roche.

    Un petit nuage rouge se dilue dans l’eau. Barbessian porte

    sa main derrière sa tête et constate une égratignure à

    l’arrière de son crâne chauve.

    L’Ombre repasse sur lui. Barbessian se retourne de nouveau

    vers la surface en dégainant son poignard de son étui de

    cheville.

    L’espace d’un instant, il croit voir une SILHOUETTE

    FÉMININE dans le contre-jour aquatique.

    Il secoue la tête et cligne des yeux derrière son masque

    comme pour chasser cette vision : plus rien.

    Barbessian regarde partout au dessus de lui : rien non

    plus.

    Il se retourne alors vers le récif et tombe nez à nez avec

    le Requin Rose qui nage à à peine un mètre devant lui.

    Fasciné, Barbessian admire les reflets bleutés qui irisent

    la peau rosée de cet étrange petit Requin de cinquante

    centimètres de long.

    Il remet son poignard dans son étui et tend la main pour

    venir caresser le Requin qui se laisse faire, docile.

    BARBESSIAN (VOIX INTÉRIEURE) [suite]

    Il m’est impossible de décrire ce

    que j’ai éprouvé au contact de ce

    requin. Sa peau et la mienne

    vibraient à l’unisson. Jamais je

    n’avais ressenti quelque chose

    d’aussi étrange.

    Barbessian regarde sa main avec laquelle il vient de

    caresser le Requin : un reflet bleuté identique à ceux du

    Requin passe dans sa paume tel un petit éclair bleu

    courant sous sa peau.

    [.../...]

  • [SUITE] 38.

    Le Requin est maintenant face à lui, à quelques

    centimètres de son visage : ils se regardent dans les yeux

    l’un de l’autre.

    Barbessian attrape le sac de capture à sa ceinture et en

    ouvre doucement l’entrée.

    L’Ombre Humanoïde repasse sur lui mais il ne la voit pas,

    entièrement absorbé par le Requin.

    Barbessian place l’entrée du sac devant le Requin. Ce

    dernier reste un instant devant, sans bouger, puis entre

    doucement de son propre chef dans le filet que Barbessian

    referme.

    Entièrement concentré sur sa prise, Barbessian ne semble

    pas entendre un CRI AQUATIQUE STRIDENT ainsi que l’Ombre

    Humanoïde en contre-jour qui lui fonce dessus !

    JONAS (OFF)

    Un thé monsieur Hector ?

    20 INT. JOUR. MANOIR : GRAND SALON

    Hector quitte sa lecture pour regarder Jonas, juste à côté

    de lui, portant un plateau avec une théière, une tasse,

    une petite cruche de lait, un sucrier et une coupelle

    emplie de gâteaux secs.

    Hector se frotte les yeux comme s’il s’éveillait :

    HECTOR

    Heu... Oui merci...

    Hector pose le journal de bord à côté de la maquette et

    regarde avec intérêt Jonas servir le thé.

    HECTOR [suite]

    Cela fait longtemps que

    Barbessian est mort, Jonas ?

    JONAS

    Un nuage de lait ?

    Hector refuse d’un geste de la tête en levant la main.

    JONAS [suite]

    Je ne saurais trop dire monsieur

    Hector, cela fait si longtemps

    que je vis seul ici. Les jours

    passent et se ressemblent. Sucre

    ?

    HECTOR

    Trois. Merci.

    [.../...]

  • [SUITE] 39.

    JONAS

    J’ai dû en perdre la notion du

    temps.

    (met les trois sucres un à

    un)

    D’ailleurs cela est bien agréable

    d’avoir de nouveau un peu de

    compagnie. Et de sentir un peu de

    vie dans ce manoir.

    HECTOR

    Mais pourquoi êtes vous resté ici

    après la mort de Barbessian ?

    JONAS

    (touillant le thé)

    Ce furent les dernières volontés

    de monsieur Barbessian,

    entretenir sa collection.

    HECTOR

    Je vois.

    Jonas tend la tasse de thé à Hector qui la prend et la

    hume avec l’air de quelqu’un qui sait reconnaître la

    qualité.

    Jonas tourne les talons, mais Hector l’interpelle :

    HECTOR [suite]

    Restez donc prendre un thé avec

    moi.

    JONAS

    Je ne bois pas monsieur Hector.

    HECTOR

    Ah...

    JONAS

    Mais je peux vous tenir compagnie

    si vous le désirez.

    HECTOR

    Heu... Oui... Par exemple.

    Jonas s’assoie sur un fauteuil non loin d’Hector et le

    regarde fixement.

    HECTOR [suite]

    Et vous avez toujours travaillé

    ici, Jonas ?

    JONAS

    Aussi loin que je m’en souvienne,

    oui. Mon père travaillait déjà

    pour les parents de Monsieur

    [...]

    [.../...]

  • [SUITE] 40.

    JONAS [suite]Barbessian. Il était leur

    jardinier. À sa mort, j’ai pris

    sa place et je suis devenu

    l’homme à tout faire de la

    famille Barbessian.

    HECTOR

    (buvant son thé)

    Vous n’avez jamais quitté ce

    manoir?

    JONAS

    Non, pas depuis sa construction.

    Je gardais le manoir pendant les

    expéditions de monsieur

    Barbessian.

    HECTOR

    Fichtre.

    JONAS

    Ce n’est pas si terrible que ça.

    Le manoir est agréable à vivre.

    Et il y a des métiers bien plus

    éreintants et mal payés.

    HECTOR

    Mais depuis sa mort, la solitude

    ne vous pèse pas ?

    JONAS

    On s’habitue à tout.

    Hector repose sa tasse de thé vide sur le plateau. Jonas

    regarde le portrait de Barbessian :

    JONAS [suite]

    Et, étrangement, m’occuper de sa

    collection, c’est comme prolonger

    son séjour chez les vivants.

    HECTOR

    Oui je comprends. Mon père était

    conservateur d’un musée de la

    préhistoire. Mais bon, moi j’ai

    préféré les petites bêtes et la

    génétique. Il aurait voulu que je

    prenne la suite mais je n’avais

    pas la patience de dépoussiérer

    toutes ces vieilleries. Disons

    que j’ai toujours préféré les

    choses vivantes aux choses

    mortes.

    Jonas se lève et prend le plateau :

    [.../...]

  • [SUITE] 41.

    JONAS

    (regardant la collection)

    Toutes ces choses "mortes" comme

    vous dites, elles sont bien

    vivantes pour moi.

    HECTOR

    Je ne voulais pas vous vexer.

    JONAS

    Vous ne me vexez pas, monsieur

    Hector. Cela est appréciable de

    discuter avec quelqu’un de vivant

    depuis tout ce temps.

    Jonas sort du grand salon.

    HECTOR

    (sourire de sympathie)

    Je le prends comme un compliment

    Jonas.

    Hector s’étire, puis reprend le journal de bord de

    Barbessian :

    JAMAIS JE N’AVAIS RESSENTI QUELQUE CHOSE D’AUSSI ÉTRANGE.

    À partir de là l’écriture de Barbessian change

    sensiblement, moins linéaire et plus brouillonne :

    10 AOÛT 1975, 21H47. LATITUDE : 29.25 NORD. LONGITUDE :

    58.59 OUEST. CE CALME PLAT SUR CETTE MER D’ALGUES

    M’EXASPERE, ET JE SUIS...

    BARBESSIAN (OFF)

    ... et je suis fatigué. J’ai très

    mal dormi. Les crampes et les

    douleurs de ma jambe reviennent.

    Nous rentrons. Je ne peux

    m’empêcher d’aller visiter cet

    étrange poisson. Une espèce de

    requin non répertoriée jusque là.

    J’en suis certain.

    21 INT. NUIT. RHODÉ : CABINE DU CAPITAINE

    Barbessian est dans sa cabine, habillé plus chaudement

    qu’auparavant. Il écrit son journal de bord.

    BARBESSIAN (VOIX INTÉRIEURE)

    Je l’ai nommé Carcharhinus

    Barbarosatus. Carcharhinus car il

    s’agit bien d’une variété de

    requin, Barbarosatus pour sa

    couleur et parce que c’est moi

    qui l’ai découvert.

    [.../...]

  • [SUITE] 42.

    Barbessian regarde la paume de sa main, et la caresse,

    l’air songeur... Puis il reprend l’écriture de son journal

    de bord.

    BARBESSIAN (VOIX INTÉRIEURE) [suite]

    Dès que nous serons arrivés au

    port je dois appeler Jonas pour

    qu’il lui prépare sa nouvelle

    demeure dans la crypte.

    Sous la porte de la cabine, une petite flaque d’eau

    s’étend peu à peu sans que Barbessian n’y prête attention.

    22 INT. JOUR. MANOIR : GRAND SALON

    Hector continue sa lecture du journal, il tourne la page :

    JE LUI RESERVE MON PLUS BEL AQUARIUM.

    BARBESSIAN (OFF)

    Je lui réserve mon plus bel

    aquarium.

    À la suite de cette phrase, sur le journal qu’Hector

    feuillette, quelques pages ont manifestement été arrachées

    et il n’y a plus que des croquis d’installation

    d’aquariums, et des dessins du Requin sous toutes les

    coutures, encore et encore. On trouve aussi des esquisses

    et brouillons de sirènes, parfois des phrases illisibles

    au milieu desquelles reviennent souvent les seuls mots

    compréhensibles : MAMI WATA. Enfin d’étranges signes, des

    ratures, puis plus rien, les dernières pages sont vides.

    Hector referme le journal.

    JONAS (H.C.)

    Ce fut sa dernière expédition...

    Jonas prend le journal que lisait Hector et le feuillette

    à son tour.

    Il caresse avec un air nostalgique les croquis de l’une

    des dernières pages.

    JONAS

    Monsieur Barbessian n’est jamais

    reparti après.

    HECTOR

    Ah ?

    Jonas referme le journal de bord d’un geste sec.

    JONAS

    Je vais le ranger si vous avez

    terminé.

    [.../...]

  • [SUITE] 43.

    HECTOR

    Oui oui.

    Jonas monte lentement l’escalier en colimaçon et va

    replacer religieusement le journal dans la bibliothèque.

    En bas, Hector regarde fixement le dessin du Requin

    accroché au mur :

    HECTOR [suite]

    Jonas ?

    JONAS

    Oui monsieur Hector ?

    HECTOR

    À la fin du journal, Barbessian

    parle d’aquariums où il conserve

    ses spécimens vivants... Est-ce

    que...

    JONAS

    (le coupant)

    Il n’y a plus d’aquariums.

    HECTOR

    Ah... c’est bien dommage... Et...

    La crypte ? Je pourrai y jeter un

    coup d’œil.

    JONAS

    (redescendant)

    Non.

    HECTOR

    Ah mince... Pourquoi donc ?

    JONAS

    C’est trop dangereux. Elle est en

    mauvais état avec l’humidité. Je

    ne voudrais pas qu’il vous arrive

    malheur.

    HECTOR

    Je ferai attention, c’est juste

    pour...

    JONAS

    (le coupant)

    N’insistez pas Monsieur Hector.

    Pour votre bien, la crypte est

    condamnée.

    HECTOR

    Bon.

    Jonas sort de la pièce, laissant seul Hector qui se tourne

    vers le portrait de Barbessian :

    [.../...]

  • [SUITE] 44.

    HECTOR [suite]

    (au portrait)

    Que me cachez-vous tous les deux

    ? Hein ?

    23 EXT. JOUR. - INT. JOUR. MUSÉE OCÉANOGRAPHIQUE DE MONACO

    Les vagues ÉCLATENT contre le rocher surplombé par

    l’impressionnant bâtiment du musée monégasque.

    MENTION : PRINCIPAUTÉ DE MONACO, JUILLET 2013

    Anne est au milieu des TOURISTES dans la salle de la

    baleine du musée océanographique de Monaco qu’elle

    contemple visiblement pour passer le temps.

    ANGELO (H.C.)

    Anne ! Mia bella !

    Anne se retourne pour embrasser ANGELO, rondouillard en

    costard d’une cinquantaine d’année, le front ruisselant de

    sueur et les cheveux gras, petites lunettes rondes

    remontées sur un front dégarni avec une mèche ridicule

    tentant vainement de cacher sa nudité crânienne, foulard

    en soie violet noué autour du cou.

    ANNE

    Angelo ! Comment vas-tu depuis

    tout ce temps ?

    Il se recule pour mieux la voir.

    ANGELO

    Moins bien que toi, le temps t’a

    épargné mia bella !

    ANNE

    Vil flatteur. Arrête où je vais

    croire que tu te moques.

    ANGELO

    Mais non mais non, regarde moi,

    les ravages du temps sont sans

    pitié pour moi... alors que

    toi... Tu es toujours aussi

    appétissante. Tu as probablement

    plus de chance que moi pour

    séduire de jeunes éphèbes. Hi hi

    ! Mais trêve de plaisanteries, ce

    ne sont probablement pas les jeux

    de l’amour et du hasard qui

    t’amènent sur notre rocher.

    ANNE

    J’aurais besoin d’accéder à vos

    archives pour mes recherches. Tu

    peux me faciliter ça ?

    [.../...]

  • [SUITE] 45.

    ANGELO

    Ça risque de prendre du temps de

    t’obtenir les autorisations mais

    je peux sortir en mon nom tout ce

    dont tu as besoin et te laisser

    mon bureau. Et en plus je te

    servirai le café.

    Angelo regarde avec concupiscence le postérieur d’un JEUNE

    TOURISTE moulé dans son pantalon blanc.

    ANGELO [suite]

    Des italiens bien serrés...

    ANNE

    Merci Angelo. Tu es un amour.

    ANGELO

    (séducteur)

    Si seulement mia bella, si

    seulement...

    ANNE

    Arrête ton char, Angelo, je sais

    que tu n’as d’italien que le

    prénom, garde tes simagrées pour

    tes petits étudiants.

    ANGELO

    Bah, j’aurai essayé... Alors de

    quoi as-tu besoin précisément ?

    ANNE

    Tout ce que tu peux trouver sur

    un certain Barbessian, il aurait

    collaboré avec Cousteau pendant

    plusieurs années. Mais plutôt

    dans le genre mécène et loup de

    mer que biologiste ou

    documentariste... Et aussi tout

    ce que tu as sur un requin des

    Sargasses aujourd’hui disparu :

    Carcharhinus Barbarosatus dit

    aussi Requin Rose.

    ANGELO

    Barbessian et Barbarosatus. Le

    premier a découvert le second je

    suppose.

    ANNE

    C’est probable.

    ANGELO

    Très bien ma chérie, je te trouve

    ça dans la journée, je t’ouvre

    mon bureau demain matin et

    [...]

    [.../...]

  • [SUITE] 46.

    ANGELO [suite]

    entre-temps tu dînes avec moi, et

    plus si affinité...

    ANNE

    (amusée)

    OK pour l’invitation, du moins la

    première partie... Je vais aller

    me promener et me baigner un peu

    en attendant.

    ANGELO

    Profite mia bella, j’adore les

    peaux un peu salées. À tout à

    l’heure.

    ANNE

    À tout à l’heure vieux cochon.

    24 INT. NUIT. MANOIR : CHAMBRE D’HECTOR

    Hector est sur son lit, allongé sur le dos, il scrute une

    tâche d’humidité au plafond, songeur.

    L’appareil photo d’Hector est câblé à son ordinateur

    portable, posé sur une chaise, sous le Géricault. On voit

    sur l’écran les photos prises par Hector défiler au fur et

    à mesure de leur téléchargement.

    Les paupières d’Hector cillent puis se ferment.

    Le défilement sur l’écran de son ordinateur s’arrête sur

    celle du croquis du Requin Rose. L’écran est animé d’un

    étrange bug l’espace d’un instant : l’image se tord comme

    sous l’effet d’une distorsion numérique, ce qui a pour

    effet d’animer brièvement la photo du schéma du Requin.

    Hector RONFLE. Un son de PAS HUMIDES provient du couloir :

    FLOC... FLOC... FLOC...

    Une flaque d’eau apparait peu à peu se faufilant sous la

    porte d’entrée : tout comme la première fois, la flaque

    s’agrandit lentement mais surement inondant rapidement la

    totalité de la pièce.

    Hector dort toujours tout habillé sur son lit. Le niveau

    de l’eau monte inexorablement. L’eau vient lécher Hector

    puis le recouvre complètement.

    25 INT. NUIT. - EXT. JOUR. MANOIR : CHAMBRE INONDÉE - OCÉAN

    Hector est toujours sur le lit mais la pièce est emplie

    d’eau. Il ouvre les yeux, nullement paniqué et se met à

    évoluer en nageant dans la pièce entièrement inondée comme

    si c’était parfaitement naturel. Il ne semble pas avoir

    besoin de respirer.

    [.../...]

  • [SUITE] 47.

    Le Radeau de la Méduse et la truite à demi mangée de la

    veille flottent dans la pièce.

    Hector voit une lumière bleutée à travers la fenêtre. Il

    nage jusqu’à cette dernière pour l’ouvrir.

    Il passe par la fenêtre et découvre qu’il est comme au

    fond de l’océan. Sa voiture est posée sur le fond de sable

    blanc.

    Il nage un peu puis se retourne pour admirer le paysage

    invraisemblable :

    Le manoir de Barbessian et la voiture d’Hector reposent

    par 30 mètres de fond sur un lit immense de sable blanc

    pur dans une eau azur et limpide.

    Contrairement à la réalité les statues de sirènes qui

    encadrent l’allée sont en parfait état, le lierre est

    remplacé par des algues et les parterres sont fleuris de

    coraux et d’anémones de mer.

    Hector voit soudain le petit Requin Rose se faufiler

    devant lui et nager rapidement vers la surface.

    Hector le suit mais le Requin se place exactement dans

    l’axe du soleil disparaissant au profit du contre-jour.

    Hector continue néanmoins de monter vers la surface. UNE

    SILHOUETTE FÉMININE passe alors dans le contre-jour entre

    lui et la surface. Il la suit.

    Il s’en approche sans pour autant discerner plus nettement

    sa cible et tend la main pour venir en attraper la

    cheville droite.

    26 EXT. JOUR - EXT. SOLEIL COUCHANT. MÉDITERRANÉE - CRIQUE

    Anne en maillot de bain nage en apnée à deux trois mètres

    de la surface. Elle est subitement arrêtée dans l’élan de

    sa nage, le pied droit comme coincé par quelque chose.

    Elle panique et se débat un bref instant puis regarde plus

    calmement son pied :

    Il est coincé dans un morceau de filet de pêche lui-même

    accroché à une roche couverte d’algues.

    Anne prend le temps de dégager son pied, puis, donnant de

    grands battements de jambes, remonte à la surface.

    Elle émerge à la surface, INSPIRANT un grand bol d’air

    bienvenu.

    Encore ESSOUFLÉE, elle RIT et se laisse aller en arrière

    en faisant la planche.

  • 48.

    On aperçoit une crique derrière laquelle le soleil se

    couche alors qu’Anne revient lentement vers le rivage à la

    brasse.

    27 INT. NUIT. MANOIR : CHAMBRE D’HECTOR - COULOIRS -

    ESCALIERS

    Hector ouvre subitement de grands yeux écarquillés et

    ASPIRE goulument une bouffée d’air comme si lui aussi

    sortait d’une apnée. Son visage est ruisselant de sueur.

    Il est sur son lit dans la même position que lorsqu’il

    s’était endormi avant son rêve aquatique.

    Il se lève, va à la fenêtre, et regarde sa voiture qui n’a

    pas bougé devant la façade du manoir. La lune est grosse

    et rouge.

    La porte de sa chambre jusque là entrouverte SE REFERME

    soudain.

    Hector sursaute et se retourne. Il bondit vers la porte et

    l’ouvre dans le même mouvement pour regarder dans le

    couloir du manoir : rien.

    Il s’apprête à refermer la porte quand il remarque

    subitement quelque chose qui arrête son geste.

    Hector retourne dans sa chambre sans fermer la porte et va

    fouiller dans sa valise de laquelle il sort une petite

    lampe torche (style Maglite).

    Il revient à l’entrée du couloir et se penche pour

    observer plus attentivement le sol en l’éclairant de sa

    lampe torche:

    Il voit des emp