maniglier 2005 us et signes

Upload: vdb59

Post on 14-Apr-2018

216 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    1/21

    DES US ET DES SIGNES.Lvi-Strauss : philosophie pratiquePatrice Maniglier

    P.U.F. | Revue de mtaphysique et de morale

    2005/1 - n45

    pages 89 108

    ISSN 0035-1571

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2005-1-page-89.htm

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Maniglier Patrice , Des us et des signes. Lvi-Strauss : philosophie pratique,

    Revue de mtaphysique et de morale , 2005/1 n45, p. 89-108. DOI : 10.3917/rmm.051.0089

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour P.U.F..

    P.U.F.. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire quece soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur enFrance. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

    D o c u m e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c

    a i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 - 3 1

    / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    02

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    2/21

    Des us et des signes.Lvi-Strauss : philosophie pratique

    RSUM. Le programme de la sociologie franaise semble li celui dune rduc-tion du phnomne de lobligation un genre de causalit. Le structuralisme de Lvi-Strauss naurait fait que dplacer le niveau o il faut chercher ces contraintes : impos-sibilits de pense plus quinterdits sociaux, leur ncessit serait comparable lalogique. Mais il sexposerait l aux critiques formules par Wittgenstein. Cet articlemontre que le vritable apport du structuralisme est plutt davoir mis en vidence un problme la fois mthodologique et philosophique commun toutes les sciences dela culture , qui porte sur la nature mme de leurs observables : de mme queSaussure montre que le problme de la linguistique nest pas celui du sens, mais de ladtermination mme des signes, de mme Lvi-Strauss, dans lesMythologiques , montreque le problme des sciences sociales nest pas celui des causes du comportement maisde la catgorisation mme de lacte ou de lusage, problme que la mthode statistiquemise au point par Durkheim dansLe Suicidene rsout pas, et que la philosophie ignoresouvent.

    ABSTRACT. French sociology is associated with a reductionnist program of socialnorms to a kind of causality. Lvi-Strausss structuralism would do nothing but shift thelevel where these constraints should be looked for : they would be logical impossibilitiesrather than collective prohibitions. Therefore it would fall under Wittgensteins argu-ments. This article shows that the true interest of structuralism is to have raised amethodological and philosophical problem that all the sciences of cultures encounter : just as Saussure showed that linguistics is not concerned with the problem of meaning,but with that of the determination of signs, Lvi-Strauss, in hisMythologiques , showed that social sciences are not concerned with the causes of human behaviors, but with thevery categorization of acts or uses problem that the statistical method designed by

    Durkheim inLe Suicidedoesnt solve, and that philosophy often doesnt see.

    Pourquoi obissions-nous ? La question ne se posait gure ; nous avionspris lhabitude dcouter nos parents et nos matres. Cest ainsi que Bergsonintroduisait ce qui reste sans doute lun des plus grands livres de philosophiedes sciences sociales (1932 : 1). Il navait pas chapp en effet sa perspicacitque ces disciplines, en particulier travers Durkheim, avaient montr, mieuxque la philosophie, que le vritable problme la fois thorique et thique quepose lobligation est prcisment quil ne se pose gure. Contre la philosophie

    Revue de Mtaphysique et de Morale, N o 1/2005

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    3/21

    qui ne peut penser lobligation quen interrogeant les conditions lgitimes souslesquelles des sujets peuvent se soumettre consciemment lautorit dautrui,le concept de socit construit par la sociologie relve la figure paradoxale

    dune obissance dautant plus efficace quelle est sans fondement : Nous nenous en rendions pas compte, mais derrire nos parents et nos matres nousdevinions quelque chose dnorme ou plutt dindfini, qui pesait sur nous detoute sa masse par leur intermdiaire. Nous dirions plus tard que cest lasocit (ibid.). Cet effacement du problme de lobligation ne serait donc quelindice de ce que le social dterminerait, de manire originaire, un ordre decausalit , irrductible aux causalits individuelles et conscientes. Lobjet dessciences sociales serait prcisment de mieux comprendre pourquoi les individusfont des choses qui simposent eux pour des raisons qui dpassent leur propreraison.

    Lvi-Strauss sest lui-mme inscrit dans lhritage de lcole sociologiquefranaise de Durkheim et de Mauss. On peut tre tent de dfinir son projetcomme un moment dans cette triade, chacun proposant une rponse au problmede lobligation. Durkheim aurait attribu la force contraignante certaines repr-sentations qui diffreraient en nature des autres reprsentations. Mauss lauraitattribue non pas la nature des reprsentations elles-mmes, mais au faitquelles fassent partie dun systme (Karsenti, 1997). Lvi-Strauss, quant lui,aurait tent dexpliquer le caractre contraignant des normes sociales par lidequelles expriment des contraintes logiques ou plutt cognitives : si je rends demanire diffre un don qui ma t fait, cest parce quil y a une sorte de contrainte mentale qui my force (Descombes, 1996 : 250 s.)... Mais, commeen tmoigne la critique dveloppe par Vincent Descombes partir des argu-ments du Wittgenstein desRecherches philosophiques, le philosophe na gurede mal montrer que toutes les manires de substantialiser les rgles en enfaisant des contraintes ne peuvent aboutir qu des apories. Reprenant uneinlassable objection faite en particulier Lvi-Strauss, il reprochera aux tho-

    riciens des sciences sociales leur volont d expliquer les comportements, aulieu de les comprendre .Pourtant, la question pourquoi les hommes font-ilsce qui se fait , Lvi-

    Strauss rpondait invariablement quils le disent eux-mmes fort clairement etquil ny a pas de raison de ne pas les croire : parce que a se fait1 . Cestque le problme nest pas de comprendre pourquoi ils font ce quils font, maiscomment ils dterminent ce qui esttel quil doit tre fait , autrement dit ce quon

    1. quelque socit quil appartienne, le sujet est rarement capable dassigner une cause ce

    conformisme : tout ce quil sait cest que les choses ont toujours t ainsi, et quil agit comme ona agi avant lui. Ce genre de rponse nous parat parfaitement vridique (Lvi-Strauss, 1962 :105-106). Pour les rfrences, se reporter la Bibliographie en fin darticle.

    90 Patrice Maniglier

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    4/21

    peut appeler unusage ou mieux encore unus, au sens des us et coutumes. Caril nest pas vrai quon puisse dfinir un comportement collectif comme unesquence dactions observables commune plusieurs individus entretenant des

    relations stables. Le vritable apport du structuralisme dans les sciences socialesnest pas davoir dplac le niveau o lon devait rechercher les causes descomportements observables, mais plutt davoir mis en vidence un problmeliminaire commun toutes les sciences de la culture (linguistique, anthro-pologie, histoire, etc.), portant sur la nature de leurs donnes. Le structuralismepart dun fait, tout ngatif en apparence, mais profondment instructif : les unitsdes pratiques culturelles, quil sagisse du langage, des rites, des rcits mythi-ques ou des coutumes vestimentaires, ne sont pas donnes de manire obser-vable. Lunivers de pratiques culturelles se dfinit par une essentielle variabilit,et mme une double variabilit : variabilit des manires de parler une mme langue, variabilit des langues elles-mmes. On sest complu dnoncer dansle structuralisme un nouvel latisme , alors quil sest en ralit efforc demontrer que cette variabilit nest pas contingente, mais tient prcisment aumode mme de dtermination des units qui scandent les pratiques culturelles.

    Nous voudrions ici montrer que Lvi-Strauss, dans lesMythologiques, enredfinissant lanalyse structurale par le concept detransformation, a curieuse-ment retrouv pour son propre compte le problme qui a t originairementcelui de Saussure, celui de lidentit du signe. Mais nous voudrions aussi mettreen vidence que la construction dune nouvelle mthode, la mthode structurale,avec en particulier les concepts opratoires de diffrence et de systme, a dncessairement passer par la formulation dun nouveau problme philosophique,celui dun certain genre didentit ou dunit constitu uniquement par la cor-rlation entre des diffrences problme quon peut bien dire ontologique.Alors quon semble aujourdhui dispos relire les auteurs identifis un tempsau structuralisme , tels que Saussure, Lvi-Strauss, Jakobson ou Troubetzkoy,mais la condition de les sparer du mouvement structuraliste lui-mme, quon

    relgue dans les limbes de la mode (voir Bouquet, 1997 ; Fehr, 2000 ; Scubla,1998 ; Sriot, 1999), il nous semble ncessaire de les ressaisir dans le mouve-ment de position dun problme qui a t la fois transversal aux sciences dela culture et immdiatement philosophique. Lunit, par ailleurs si incertaine,si contestable, de ce qui a t connu sous le nom de structuralisme, doit trecherche dans cette sorte dexcs interne quimpose aux thories de la prati-que la dcouverte dun problme philosophique au sein mme de leur propredmarche. La smiologie dsigne plutt la rptition de ce problme dans desdisciplines diverses quun nouveau compartiment thorique. Loin donc quonait beaucoup gagner opposer, comme on le fait si frquemment, un bonstructuralisme, purement mthodologique, limit des disciplines thoriques,

    91 Des us et des signes. Lvi-Strauss : philosophie pratique

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    5/21

    et un mauvais structuralisme, se jetant corps perdu dans la spculation phi-losophique, ce nest quen comprenant larticulation de projets thoriques et deconstructions spculatives quon pourra comprendre les vraisproblmesque lestructuralisme a poss. La grandeur du structuralisme est davoir montr,au passage, que la philosophie nest pas condamne ntre quune remonte versles principes, assez indiffrente, bien souvent, ce quelle cherche fonder,mais aussi un moment ncessaire dans le mouvement de constitution dunsavoir .

    SAUSSURE ET LA PHILOSOPHIE :LE PROBLME ONTOLOGIQUE DE LIDENTIT DU SIGNE

    On commence savoir que lon ne sait rien ou presque propos de Saussure.Il faut reconnatre que le dcalage est tel entre le Saussure labor en pense-btedu structuralisme et le Saussure des ditions critiques et des commentairessavants, que cela peut dcourager de rouvrir le dossier. Pourtant, il est possiblede donner une interprtation unifie de la tentative de Saussure : conditiondadmettre que le problme de Saussure ntait pas tant le sens lui-mme quele signe. Son ambition na jamais t de faire une thorie gnrale de la signi-

    fication, et Wittgenstein a bien raison de dire quavec les signes on peut fairetoutes sortes de choses, au milieu desquelles ce quon appelle signifier ou communiquer napparat que comme un jeu parmi dautres (1961 : 23).Mais la question de Saussure est plus simple et plus immdiate : on ne peut pasparler si facilement de la manipulation des signes, car leur identification posedes problmes redoutables : Chaque fois que jemploie le mot Messieurs, jenrenouvelle la matire ; cest un nouvel acte phonique et un nouvel acte psycho-logique. Le lien entre les deux emplois du mme mot ne repose ni sur lidentitmatrielle, ni sur lexacte similitude des sens, mais sur des lments quil faudrarechercher et qui feront toucher de trs prs la nature vritable des unitslinguistiques (Saussure, 1972 : 152). Il faut bien comprendre quetout change,quil ny a pas simple variation , mais quil devient mme impossible deconserver un noyau minimal, donc impossible de sparer laccidentel delessentiel. Le signe, sil est une ralit, est une ralitnon observable.Nonobservable, au sens prcis de non mesurable, et donc de non exprimentable.Lhistoire postrieure Saussure se chargera de montrer que tous les appareilsde mesure mis en place pour dgager des dlimitations empiriques du signetaient vains : Jakobson (1976) le rappelle dans la premire de cesSix leonssur le sens et sur le sonquil avait donnes la New School for Social Research

    92 Patrice Maniglier

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    6/21

    New York devant cet auditeur trs attentif que fut Claude Lvi-Strausslui-mme.

    Mais Saussure, avant que dmonstration ne soit faite de la justesse de son

    point de vue, avait dj franchi le pas, et pos que la linguistique commescience ne pouvait avoir un objet au mme titre que les autres, et cela pourune raison trs simple et trs vertigineuse la fois. Car si, pour dlimiter etdfinir par exemple le son pain (dans la phrase, elle-mme dlimiterdailleurs, je voudrais du pain ), il ne suffit pas denregistrer les particula-rits distinctives empiriques du son lui-mme, cest tout simplement quil fautlui associer une signification, ou plus exactement il faut quon puisseassocier, une (ou plusieurs) diffrence sonore, une (ou plusieurs) diffrence sur un tout autre plan (dont la nature exacte importe peu, dans un premier temps dumoins). Ce qui importe, cest donc uniquement la concomitance ou corrlationde deux diffrences ou deux sries de diffrences. Saussure ne dit donc passimplement que le signe se dfinit par lensemble de ses traits distinctifs ; ilmontre surtout que, pour quil y ait une diffrence entre les sonorits /pain/ et /bain/, il faut quil y ait une autre diffrence, tout fait htrogne. Unestructure au sens linguistique nest donc pas et na jamais t un systme dergles formelles, ou unesyntaxe: cest un systme construit par la dfinitionrciproquede deux systmes de diffrences. Une structure au sens logique desystme formelpourrait tre ce que Chomsky a dgag dans sesStructuressyntaxiques. Mais prcisment, Chomsky nest pas structuraliste, si lon veutbien entendre par l le mouvement problmatique expansif qui est pass de lalinguistique lanthropologie, et de lanthropologie lensemble de la culture.Cette centralit du concept de diffrence et de biplanit est dune impor-tance considrable, trop souvent sous-estime par les philosophes qui se rap-portent un concept de structure qui ne correspond pas celui qui ressort dela pratique mme des analyses structurales, prfrant aller chercher gnrale-ment ailleurs que chez les auteurs structuralistes eux-mmes la dfinition

    du concept de structure2

    .Pourtant, autour de cette question du signe, un savoir positif et une rflexionphilosophique se rencontrent. Ainsi, dans une note manuscrite sur les lgendes plusieurs fois cite par Lvi-Strauss lui-mme (1968 : 259 ; 1983 : chap.X] Saussure crit :

    2. Les philosophes les plus proches de lamthodestructurale ne sont pas ceux qui sen rclamentle plus fortement (voir Granger, 1967). Des auteurs tels que G. Deleuze, J. Derrida, M. Foucault,

    ou L. Althusser ont parfaitement compris que le problme que la mthode structurale posait laphilosophie tenait cet usage de la diffrence. Voir en particulier quoi reconnat-on le struc-turalisme ? (Deleuze, 2002 : 238-270).

    93 Des us et des signes. Lvi-Strauss : philosophie pratique

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    7/21

    Il est vrai quen allant au fond des choses on saperoit dans ce domaine, commedans le domaine parent de la linguistique, que toutes les incongruits de la penseproviennent dune insuffisante rflexion sur ce questlidentit ou les caractres de

    lidentit lorsquil sagit dun tre inexistant comme le mot ou la personne mythiqueou une lettre de lalphabet, qui ne sont que diffrentes formes du SIGNE, au sensphilosophique, mal aperu il est vrai de la philosophie elle-mme. (Saussure, 2003 :387.)

    Ainsi, une clarification philosophique est ncessaire pour sortir des apories danslesquelles pitine la pense linguistique, et cette clarification conduira recon-natre que les problmes aussi bien mthodologiques que philosophiques quepose la linguistique sont en ralit communs un ensemble dautres phnom-

    nes. La smiologie ne se dfinit donc pas par lhypothse que ses objets ontune fonction commune, celle de signifier quelque chose, mais par la mise envidence que leur nature, leur mode dtre , fait quils ne peuvent se rptersans varier. La note continuait ainsi :

    Lindividu graphique et de mme en gnral lindividu smiologique naura pascomme lindividu organique un moyen de prouver quil est rest le mme parce quilrepose depuis la base sur une association libre. Comme on le voit, au fond lincapacit maintenir une identit certaine ne doit pas tre mise sur le compte des effets du

    Temps cest l lerreur remarquable de ceux qui soccupent de signes , mais estdpose davance dans la constitution mme de ltre que lon choie et observe commeun organisme alors quil nest que le fantme obtenu par la combinaison fuyante dedeux ou trois ides. Tout est affaire dedfinition. [...] il faudrait bien en venir voir,de proche en proche, quelle est la nature fondamentale de ces tres sur lesquelsraisonne en gnral la mythographie. [Saussure, 2003 : 387.]

    Cest que le vritable problme de Saussure nest pas de retrouver des identitsde langue sous la varit des manires de parler, mais bien de comprendre

    pourquoi, force de parler une langue, on finit par en parler une autre. Lexgsesaussurienne a suffisamment tabli dsormais que le problme de Saussure estde raliser une pistmologie de la grammaire compare (Bouquet, 1997 ;Fehr, 2000 ; Utacker, 2002). On peut dire les choses trs simplement. Le faitmis en vidence par la grammaire compare, lorsquelle a montr que deslangues apparemment aussi diffrentes que le latin, le gothique et le sanskritont toutes t originellement la mme langue, est qu force de parler unelangue, on finit par en parler une autre. Le franais, disait Saussure dans sesconfrences inaugurales lUniversit de Genve, ne vient pas du latin, ilest le latin (Saussure, 2002 : 152)... Cest cette dcouverte que la rptition dessignes linguistiques entrane leur transformation qui a conduit Saussure, pour

    94 Patrice Maniglier

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    8/21

    ainsi dire rtroactivement, montrer que lidentit synchronique elle-mme nestpas garantie. Pour navoir pas compris, du fait mme de la prsentation que lesditeurs ont donne duCours, que le problme de Saussure dcoulait dune

    pistmologie de la grammaire compare, ses hritiers ont aussi oubli un desaspects les plus riches de la rponse : que cette variabilit tenait au mode mmede dtermination du signe, autrement dit que le concept desystme de valeursservait penser la logique de ce qui est susceptible de varier3. Or, pour Saussure,il sagit prcisment dencourager la philosophie prendre la mesure des dcou-vertes positives de la grammaire compare, lorsquelle montre quon peutreconstruire une langue partir de ses expressions dialectales divergentes : Cesera la raction capitale du langage sur la thorie des signes, ce sera lhorizon jamais ouvert, que de lui avoir appris et rvl tout un ct nouveau du signe, savoir que celui-ci ne commence tre rellement connu que quand on a vuquil est une chose non seulement transmissible, mais de sa nature destin tre transmis, 2, vou se modifier (Saussure, 2002 : 220). Cette gnrali-sation philosophique permet la fois de redfinir la mthode comparatiste etdtendre son champ dapplication dautres domaines : les faits de folklore,les mythes, les lgendes, les habitudes vestimentaires, etc. On peut donc tenircette variabilit intrinsque comme une proprit qui dfinit lobjet des scien-ces de la culture (voir Rastier et Bouquet, 2003). Cest dailleurs curieuse-ment, on la rarement not la dfinition mme de la smiologie : sciencequi tudie lavie des signes au sein de la vie sociale (1972 : 33) autrementdit science des manires dont les signes ne cessent de se transformer au fur et mesure quils sont utiliss ou quils circulent . Concluons donc que lla-boration par Saussure de ce qui deviendra la mthode structurale visait la fois poser et rsoudre deux problmes corrls : le premier concerne la dter-mination des signes eux-mmes, dece qui se dit , et non pas linterprtation designes donns par ailleurs ; le second relve que lidentit de ce qui se dit esttelle que sa rptition entrane, plus ou moins court terme, sa variation.

    EN DE DES CAUSES ET DES RAISONS :LIDENTIT DE CE QUI SE FAIT

    Ce double problme est aussi ce qui motive pour Lvi-Strauss lextension dela mthode structurale au domaine des sciences sociales, et cela prcismentparce que celles-ci se dfinissent partir du fait premier de lobligation. De

    3. Pour une relecture complte de Saussure partir de cette hypothse, je ne peux que renvoyer ma thse (Maniglier, 2002b).

    95 Des us et des signes. Lvi-Strauss : philosophie pratique

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    9/21

    mme que Saussure affirmait que Nous disonshommeet chienparce quavantnous on a dithommeet chien (Saussure, 1972 : 108), Lvi-Strauss crit quele sujet a raison de dire quil agit comme on a agi avant lui (Lvi-Strauss,1962 : 105-106). Si cette rponse des sujets la question pourquoi ? est parfaitement vridique , cest parce quelle montre que le problme nest pastant celui des causes de laction que de sa dfinition, trs exactement commele problme de lapprentissage dune langue trangre selon Saussure nest pastant celui de la comprhension des phrases que dabord de leur perception. Demme que pour Saussure le problme nest pas tant le sens que le signe, demme, pour Lvi-Strauss, le vritable problme des sciences sociales est dedlimiter, dans ce continu quil dsignait, dansLa Pense sauvage, dun motqui, pour en tre dmod, nen est pas moins finalement assez adquat, la praxis , comment se dcoupe un acte, unusage, ou encore llment dune pratique , cest--dire ce qui, lintersection de nous et du monde, est telque a se fait . Il faut dire : ase fait. En effet, faire quelque chose, agir, pourun individu, par exemple se marier, mais aussi regarder sa montre, ou encorecrire un article de philosophie, voire se suicider, nestquelque choseque dansla mesure o a apparat comme la ralisation dune identit culturelle, autre-ment dit comme unemanire de faire ce qui se fait , au mme sens o chacunedes manires de dire /messieurs/ est une manire dactualiser un signe, et neserait pas mme perceptible si on ny reconnaissait leffectuation dune possi-bilit pralable. Lidentit dece qui se fait est aussi problmatique que celledu signe. Il sagit mme dun problme liminaire pour les sciences sociales,comme peut en tmoigner une relecture de ce livre fondateur questLe Suicidede Durkheim.

    Dans lintroduction, Durkheim cherche une dfinition pralableobjectivedusuicide, en refusant le sens ordinaire , courant, cest--dire le sens quilappelait lui-mme dusage (Durkheim, 1897 : 2). Cette dfinition objective

    est ncessaire la mise en uvre de la dmarche statistique que dfend Durk-heim. Il sagit de traiter tous les suicides particuliers comme autant doccur-rences dun vnement gnrique, en faisant totalement abstraction de la diver-sit qualitative que les agents sont ncessairement enclins y reconnatre(manires dont ils ont t perptrs, motivations invoques, personnalit delauteur, etc.), afin de pouvoir simplement lescompter . Mon suicide nest jamaisquun suicide, cest--dire un suicidede plus. Cest afin de rduire les actes des instanciations quelconques dune catgorie, ne se distinguant plus les unsdes autres que numriquement, que Durkheim construit une dfinition objective(suicide = x). Cette manire de traiter les actes comme des faits silencieux,susceptibles dtre enregistrs, soulve cependant beaucoup de difficults, que

    96 Patrice Maniglier

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    10/21

    les lecteurs de Durkheim ont trs rapidement rencontres4. Dabord, Durkheimse trouve en ralit lui aussi oblig dintroduire des considrations intention-nelles ou subjectives : sil refuse la dfinition du suicide par les motifs

    conscients, il le dfinit par le fait de commettre un acte dont onsait quilentranera la mort, quil sagisse du soldat qui se sacrifie ou du malheureux quise jette sous un train : en connaissance de cause (ibid . : 3, 5). Mais leproblme reste entier : comment, tout dabord, savoir si le sujet savait ? pire, ladfinition de la mort nest-elle pas au mieux tout aussi ordinaire quecelle du suicide ? autrement dit ne risque-t-elle pas dtre tout aussi quivoque ?Ensuite, cette dfinition semble entrer en contradiction avec les donnes statis-tiques dont Durkheim lui-mme dispose. Sous linfluence de lethnomthodo-logie, des auteurs comme Douglas (1967), Atkinson (1978) ou dj Sacks (1963)ont insist sur le fait que les statistiques nenregistrent pas le nombre de foiso un individu sest suicid, mais plutt le nombre de fois o une mort a tclassecomme suicide par ceux qui sont chargs de le faire. Le vrai problmesociologique serait alors celui des procdures institutionnelles et cognitives quiconduisent les agents responsables classer certaines morts comme des suici-des5. Bourdieu, de son ct, a insist sur le fait que la mthode statistiqueprsuppose ce qui est en question, savoir lappartenance ou non une classedtermine, par exemple la classe des crivains, et fait de la lutte des classe-ments un objet de la sociologie (voir par exemple Bourdieu [1979 : 16 s.] ouencore [1994 : 66 s.]). Si donc lamthodedurkheimienne enveloppe dans sondploiement mme un problme philosophique, ce nest pas tant parce quilprtend, comme le croient complaisamment les philosophes,expliquer les acteshumains par des causes objectives (au lieu de les comprendre ), mais parcequil a besoin de lesdfinir de manire objective, comme si lvnement portaitsur lui-mme les marques observables qui permettent de le ranger dans unecatgorie gnrale.

    Il faut cependant prciser. Car on aurait tort de croire que Durkheim prtende

    saisir par sa dfinition du suicide une chose sociale homogne, et que lamise en vidence dun taux de suicide relativement constant renvoie ncessai-rement une seule et unique cause sociale6. Durkheim sefforce au contrairede dissoudresa propre catgorie, en montrant que ce taux masque une diversitde natureentre les suicides, que seule ltude des corrlations statistiques permet

    4. Le problme est dj soulev par Halbwachs, qui interroge le rapport entre suicide et sacrifice[1930 : 339-360].

    5. On trouvera dans Conein (2000) une prsentation de ces travaux, dautant plus intressante

    quelle est associe une rflexion sur lontologie des faits sociaux.6. Cette simplification de Durkheim est au cur de la critique mene par Douglas, Atkinson ouSack et reprise par Conein.

    97 Des us et des signes. Lvi-Strauss : philosophie pratique

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    11/21

    de faire apparatre travers la dpendance (covariation) ou lindpendance dessries statistiques : Un rsultat se dgage ds prsent de notre recherche,cest quil ny a pas un suicide, mais des suicides (1897 : 312). Ce sont les

    suicides goste, altruiste et anomique. Mieux : lambition de Durkheim nestpas tant dexpliquer pourquoi les individus se suicident, que de construire une classification des suicides sur des bases scientifiques, et le passage par lacausalit nest quun moyen pour cette taxinomie. Celle-ci en effet exige une mthode renverse , qui consiste prfrer une classification tiologique plutt que morphologique , cest--dire renoncer classer les suicides surla base des dissemblances qualitatives entre les proprits internes de chaqueacte, pour ne retenir que les corrlations statistiques entre des circonstancesextrieures lacte lui-mme (appartenance de lagent telle ou telle confession,classe dge, rgion, etc.)7. De ce point de vue, le caractre relativement arbi-traire de lindicateur importe finalement peu, pour autant quil soit homogne :car il sagit de faire apparatre les variations entre les taux de suicide en fonctiondautres indicateurs et, travers elles, des tendances statistiques tout faithtrognes8. Dans un premier temps, cette mthode ne permet que de postulerla diversit des types sans les atteindre directement. Elle peut en tablir lexis-tence, le nombre, non les caractres distinctifs (ibid ., 142). Mais dans undeuxime temps, Durkheim propose de retrouver dans une certaine mesure ladiversit qualitative partir de la distribution quantitative des suicides : tel estlobjet du chapitreVI du livre II, sur les formes individuelles des diffrentstypes de suicides . La forme se remplit ainsi progressivement. Mieux, ellepermet de faire apparatre que certains suicides ne sont eux-mmes que desvariantes dautres actes (par exemple, lhomicide et le suicide altruiste), et deretrouver ainsi, sous la diversit apparente des activits quotidiennes, des iden-tits relles, qui ne sont jamais que destendancescollectives, des virtualitssociales qui sactualisent de manires diverses en fonction des contextes. Ladfinition objective , loin donc de prjuger duneessencedu suicide, est une

    condition mthodologique permettant de traiteren masse des phnomneshumains, et de les faire apparatre comme des variables. On va ainsi du quel-conque au divers, de la quantit la qualit, du nombre la nature, de la cause

    7. Sur tout ceci, voir les pages 139-143 : Malheureusement, une classification des suicidesraisonnables daprs leurs formes ou caractres morphologiques est impraticable [...]. Mais nouspourrons arriver notre but par une autre voie. Il suffira de renverser lordre de nos recherches. Eneffet, il ne peut y avoir des types diffrents de suicides quautant que les causes dont ils dpendentsont elles-mmes diffrentes. [...].

    8. Cette remarque rejoint les mises au point aussi bien empiriques que thoriques faites par

    Baudelot et Establet sur la pertinence et les limites des critiques de Durkheim (Baudelot et Establet,1984 : 46-75). Ce qui importe, ce nest pas tant le volume absolu des suicides, mais leur distributionrelative en fonction des diffrents facteurs retenus.

    98 Patrice Maniglier

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    12/21

    aux effets, de lexplication la comprhension. Le problme que pose la dmar-che de Durkheim nest donc pas tant quil hypostasie la catgorie statistiquedu suicide dans une chose sociale , mais quil suppose que certaines pro-prits empiriques ou observables de lacte lui-mme permettent, au moins dansun premier temps, de lidentifier sur la base de critres objectifs une massedautres actes.

    Or la mthode structurale, telle quelle est mise en uvre dans lesMytholo-giquesde Lvi-Strauss, a prcisment pour origine la mise en question radicalede cette possibilit. Cest ce titre que Lvi-Strauss, dansLOrigine des mani-res de table, lopposait la mthode historique :

    Les difficults commencent avec la dlimitation des faits. aucun moment, lamthode historique ne se demande en quoi consiste un fait de folklore. Ou plusexactement, elle reconnat comme fait tout lment que lapprciation subjective delobservateur lui dsigne pour tel en se fondant sur le contenu apparent du rcit.Jamais ou presque, on ne tente une rduction do rsulterait que deux ou plusieursmotifs, spars sur un plan superficiel, sont en rapport de transformation, de sorteque le caractre de fait scientifique nappartient pas chaque motif ou tels dentreeux, mais au schme qui les engendre bien quil reste lui-mme ltat latent. [1968 :186.]

    Au contraire, la mthode structurale ne prjuge pas de lidentit ou de la dif-frence entre des rcits sur la base de leurs ressemblances, qui ne peuvent treque subjectives, puisque ce sont celles qui apparaissent telles lethnographe.

    La tche que nous nous assignons est autre, elle consiste prouver que des mythesqui ne se ressemblent pas, ou dont les ressemblances paraissent premire vueaccidentelles, peuvent nanmoins prsenter une structure identique et relever du mmegroupe de transformations. Il ne sagit pas pour nous de cataloguer des traits communs,mais de montrer quen dpit de leurs diffrences, sinon mme causes delles, des

    mythes que rien nincite rapprocher procdent des mmes principes et sont engendrspar une seule famille doprations. [1968 : 164.]

    Ainsi ce qui apparat comme un porc-pic dans une rgion peut tre le mmesigne que ce qui apparat ailleurs comme un grbe. On peut donc tirer imm-diatement deux conclusions : lidentit serastructuraleou ne sera pas ; et dece fait, elle ne pourra tre atteinte que par une mthodecomparatiste.

    Cest prcisment de ce point de vue que Lvi-Strauss revendique alors unefiliation saussurienne, citant le texte manuscrit de Saussure sur le problme philosophiquede lidentit du signe (L. S., 1968 : 259). On commence donc comprendre que, si lanthropologie relve dune smiologie gnrale, si tous

    99 Des us et des signes. Lvi-Strauss : philosophie pratique

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    13/21

    les phnomnes auxquels sintresse lanthropologie sociale offrent le caractrede signe (L. S., 1973 : 19), ce nest pas parce quils ont, comme ceux dulangage, lafonctionde communiquer, mais parce que leurnature pose le mme

    problme indissolublement philosophique et mthodologique que ceux du lan-gage : savoir quils ne peuvent, tout comme eux, tre dtermins, individus,singulariss, que commevariantes, et non pas partir de proprits observablescommunes. Il ne sert donc rien de critiquer, la manire de Vincent Descombes(1983 : 179 s.), la conception structuraliste de la signification, car le vritableenjeu du structuralisme est prcisment davoirrelativis cette question du sensen montrant quun problme liminaire se pose ce quon peut appeler les sciences de la culture du point de vue de leur mthode mme, celui de ladfinition de leurs donnes. Ce quil faut comprendre, cest plutt pourquoi lamthode mise en place par le structuralisme pour rsoudre ce problme estsolidaire dune dfinition de son objet comme signe . Pourquoi, notamment,lextension de la mthode structurale lanthropologie sociale a d passer parle clbre nonc de Lvi-Strauss : il ne faut pas chercher une thorie socio-logique du symbolisme , mais une origine symbolique de la socit (1950 :XXII).

    VIE PRATIQUE ET VIE SMIOLOGIQUE

    Le vritable problme que doit rsoudre la mthode structurale est donc quonne peut prjuger de la nature des traits pertinents pour la dfinition dun com-portement. De ce fait, elle soppose presque terme terme celle de Durkheim :au lieu de partir dune dfinition pralable et abstraite du suicide, pour regagnerla diversit qualitative en examinant les relations entre les sries quantitatives,on part dun mythe particulier et on analyse la manire dont les variationsqualitatives quil prsente relativement dautres versions sont concomitantes

    les unes des autres (transformation conjointe des motifs narratifs). Car lechangement est comme le malheur : il ne se produit jamais seul, mais encorrlation avec dautres changements (L. S., 1971 : 604). Ces transformationscorrles font apparatre un systme des compatibilits et des incompatibili-ts (L. S., 1973 : 162), qui permet de dfinir chaque motif non par sa qualitsubstantielle, mais par la rpartition des oppositions quil actualise : il nimportepas que le trait A soit + ou , pourvu quon puisse monter que, quand il est +,le trait B est , et que, inversement, quand il est , le trait B sera +. De mmeque pour Saussure seuls les traits distinctifs phontiques associs des traitsdistinctifs smantiques seront considrs comme pertinents, de mme pour Lvi-Strauss, cest lacorrlationentre les traits distinctifs qui permet de dduire les

    100 Patrice Maniglier

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    14/21

    traits pertinentspour les acteurs eux-mmes. Ds lors, on peut redfinir chaqueversion par sapositionrelative dans un systme detransformations, cest--direpar les termes auxquels il peut tresubstitu . Mieux : un systme de transfor-

    mations ne peut lui-mme tre dfini que dans un systme de systmes detransformations. Ainsi lanalyse structurale est-elle conduite stendre et sedvelopper de proche en proche, embrassant toujours plus de mythes des conti-nents amricains, pour pouvoir ne serait-ce que dfinir la version de rfrencequi ouvre le premier tome desMythologiques9.

    Il faut donc remarquer deux choses. Premirement, les contenus concrets (telrcit mythique, telle formule de parent) sont progressivement rduits desvaleurs algbriques, dfinissables en termes formels par leur position dans unestructure, sans quon ait besoin de prjuger de la nature dune variable (sui-cide = x) sous laquelle les diffrents contenus seraient subsums. Mais deuxi-mement, la variable est conquise progressivement, mme les variations qua-litatives, et par ltude des corrlations entre ces variations qui font apparatreles contenus comme desvariantesles uns des autres. On ne va pas du quelconqueau divers, mais du divers la structure. On comprend ds lors que Lvi-Straussinsiste toujours sur le fait que cette mthode vraiment galilenne quest lamthode structurale10 sinscrit dans lhorizon dune logique des qualits ,qui loppose aussi bien la mthode statistique11 quau formalisme : linverse du formalisme, le structuralisme refuse dopposer le concret labs-trait, et de reconnatre au second une valeur privilgie. Laformese dfinit paropposition une matire qui lui est trangre ; mais lastructure na pas decontenu distinct : elle est le contenu mme, apprhend dans une organisationlogique conue comme proprit du rel (L. S., 1958 : 139). Ce que Lvi-Strauss appelle une structure nest pas un schma de relations entre destermes rduits des variables abstraites (cest--dire indiffrentes aux contenusqui pourraient la remplir), mais le groupe de transformations sur le fondduquel chacun de ces contenus est dterminable au titre de variante. Si les

    contenus sont donc structurs , ce nest pas parce quils sont soumis commede lextrieur la dtermination duneformeabstraite, mais parce quils ne

    9. Jai montr les attendus et les consquences de cette dmarche clairement expose par Lvi-Strauss dans lintroduction duCru et le Cuit dans Maniglier (2000). On trouvera dautres dvelop-pements sur le concept de groupe de transformations dans monVocabulaire de Lvi-Strauss(Maniglier, 2002a).

    10. Galilenne dans la mesure o elle cherche dterminer la loi des variations concomitantesau lieu de sattacher, la manire aristotlicienne, aux simples corrlations inductives (L. S.,1958 : 332).

    11. La mthode structurale est symtrique et inverse de lanalyse statistique : elle substitue la

    rigueur qualitative la rigueur quantitative, mais lune et lautre ne peuvent prtendre la rigueurque parce quelles disposent dune multiplicit de cas qui manifestent la mme tendance sorga-niser spontanment dans lespace et dans le temps (L. S., 1971 : 604).

    101 Des us et des signes. Lvi-Strauss : philosophie pratique

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    15/21

    peuvent tre dfinis que relativement les uns aux autres12. Une structure nestpas un ensemble de rgles sparables de leurs applications, mais un champ devirtualits sur le fond duquel chaque acte apparat comme une variante, cest-

    -dire lactualisation dune possibilit relative.Cest ce titre que ces units pratiques que sont les rcits mythiques, les actesrituels, les coutumes vestimentaires, les techniques mmes, peuvent tre consi-dres comme dessignes, conformment la dfinition de Peirce que Lvi-Strauss reprend : ce qui remplace quelque chose pour quelquun (1973 : 19),autrement dit ce qui est quivalent un autre signe moyennant plusieurs transfor-mations systmatiquement corrles. Il appartient essentiellement au signe de pouvoir tre autre. Ainsi, si un outil comme une hache de pierre est un signe,disait Lvi-Strauss dans sa leon inaugurale au Collge de France, cest dans lamesure o dans un contexte dtermin il tient lieu, pour lobservateur capableden comprendre lusage, de loutil diffrentquune autre socit emploierait auxmmes fins (ibid.: 20). Autrement dit, un comportement est symbolique non parce quon lui accordea priori la fonction de porter une signification (en quelque sens quon lentende), mais parce quil nestdfinique par ce quoiil est substituable, parce quil nest apprhendable que par une mthodecompa-ratiste. Quand Lvi-Strauss dfinissait lanthropologie comme une thorie deslois universelles de lesprit humain, lui-mme identifi la fonction symboli-que , il ne cherchait pas retrouver les contraintes mentales qui forcent lessujets par exemple rendre un don qui leur a t fait. Il cherchait ce qui leurpermet de constituer des units ou des identits incorporelles au sens deSaussure, de devenirsensibles des units non observables, en fonction deparamtres purement diffrentiels. La pense symbolique est avant tout cettemanire dorganiser la ralit sensible, qui fait merger des entits qui ne corres-pondent aucune invariance substantielle, parce quelles ont cette propritdtre identiques sous (au moins) deux rapports diffrents : il suffit en effetdinverserensembleles valeurs des paramtres (haut ou bas, etc.), pour produire

    le mmesigne.En quoi ce concept de signe permet-il de faire une thorie de la pratique ?Cest quun acte particulier (par exemple tel rcit mythique) ne peut tre saisidans sa particularit par les agents eux-mmes que dans la mesure o il sagitde la ralisation dune entit purement diffrentielle qui aurait pu tre actualiseautrement (en donnant une autre valeur absolue aux oppositions, sans rien

    12. Ainsi, si Jocelyn Benoist a raison dcrire que la forme des structuralistes est le contrairede lessence parce quelle nest pas lie la nature de tel ou tel contenu, mais leur indiffrence

    (Benoist, 2003), son analyse gagnerait distinguer la forme au sens de Lvi-Strauss et au sens des rgles grammaticales , en insistant sur le fait que la forme lvi-straussienne est, si lon peut dire,faite de contenus.

    102 Patrice Maniglier

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    16/21

    changer leurs corrlations), cest--dire dans la mesure o les agentshabitent un systme symbolique conu comme champ de possibilits de vie (par exemplele systme mythologique virtuel lintrieur duquel cette version est dter-

    minable). Il ny a dacte quau sein dunepratique, cest--dire dun systmevirtuel dusages. On comprend alors pourquoi nous disions quagir, cest tou- jours fairece qui se fait , ou encore la ralisation dunusage : cest quil ny apas dautre manire de dterminer une unit pratique, mais aussi parce quecequi se fait nest pas un type empirique daction. Un usage nest pas une squencecomportementale observable qui se rpterait chez plusieurs individus et donton pourrait compter les occurrences, mais cette virtualit purement diffrentiellequi sactualise de manires diverses et qui nest dlimitable que par opposition dautres usages. Si donc, comme le dit Lvi-Strauss, nous ne cessons de faire ce qui se fait , ce nest pas en obissant des normes reprsentesou agissantes en tant que telles, mais parce quun acte est toujours uneperfor-mance, non pas au sens chomskyen dapplication de cet ensemble de rglesmatrises qui dfinit une comptence, mais au sens musical de manire deraliser ce qui peut tre ralis autrement. Le suicide mme est une performance(a se fait), et le problme dune anthropologie du suicide nest pas dexpliquerpourquoi un agent a ralis un acte dont nous croyons savoir sans examen ceen quoi il consiste, mais au contraire de reconstruire le systme des pratiquesqui dfinit lacte lui-mme en se fondant sur les variations corrlatives qui fontapparatre les traits pertinents dans tel ou tel contexte.

    Si donc on a besoin dune thorie de la pratique et si celle-ci requiert unemthode originale, ce nest pas parce que nous sommes dtermins agir pourdes causes que nous ignorons, mais parce que, comme le disait le Christ sur sacroix : Ils ne savent pas ce quils font13. Ce nest peut-tre pas une raisonpour leur pardonner, pas plus que pour leur en vouloir, mais du moins en est-ceune pour pratiquer lanthropologie structurale14... Peut-tre dcouvrira-t-on ainsique pour les contemporains de Durkheim lacte du soldat qui se donne la mort

    lui-mme est identique celui de la femme qui donne la vie un autre, alorsque, pour nous, celui du dsespr qui agit la possibilit de renoncer sa propre

    13. Il est dailleurs notable que beaucoup de personnes qui ont tent de se suicider dnientsouvent avoir voulu mourir, affirment avoir vis tout autre chose ou semblent naccorder aucuneimportance ce qui leur est arriv (Morel, 2002).

    14. Le travail de Philippe Descola illustre bien en quoi la thorie de la pratique est lhorizon delanthropologie structurale. Ainsi, lorsquil dgage les traits pertinents dun acte comme celui deconstruire une maison pour les Achuar travers la corrlation entre la structuration symbolique delespace, la rpartition diffrentielle des sexes et des activits, et la distribution des places entre les

    morts et les vivants telle que le mythe la laisse transparatre (Descola, 1986 : 136-168), lopposantdailleurs ponctuellement la variante Shuar (ibid.: 145), propos de laquelle on aimerait voirdvelopper une comparaison plus systmatique de ce point de vue.

    103 Des us et des signes. Lvi-Strauss : philosophie pratique

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    17/21

    vie lest celui du bouillant conducteur qui oublie la possibilit de prendre celledes autres... Non parce quils se ressemblent, mais au contraire parce quilssopposent. Et de mme que des termes apparemment diffrents peuvent se

    rvler identiques dun point de vue structural (cest--dire par leur compl-mentarit), de mme des termes apparemment identiques peuvent se rvlerdiffrents du point de vue structural : ainsi le suicide en Chine nest pas un actede mmenature quen France, dans la mesure o les oppositions de la vie etde la mort, de la fminit et de la masculinit, etc. ne sont pas distribues dela mme manire15. Une enqute anthropologique serait alors susceptible derendre compte aussi bien des constances que des variations statistiques sansrecourir aux explications psychologiques auxquelles Durkheim et tant de socio-logues aprs lui se trouvent finalement rduits.

    On a donc bien raison de rappeler la manire dont Wittgenstein, dans les Inves-tigations philosophiques, soulevait les apories que suscite lide que nous suivonsdesrglescommesicelles-citaient sparesdeleurs applications , etconcluaitquobir des rgles ce nest jamais qutre pris dans despratiques, les pratiquestantncessairementcollectives16.Maisilfautremarquerque,enmmetempsqueWittgensteinatendancepenserlusagecommeusagedequelquechosededonn,la rfrence la pratique ne dsigne pas pour lui la rponse un problme philo-sophiquebienpos,maispluttllmentdeladposition philosophiquedunfauxproblme philosophique (celui de la dfinition gnrale dun langage). Aucontraire, ceque nous montre lextension de la mthode structurale tous les faitsculturels par Lvi-Strauss, cest la fois quune pratique nest pas lemploiconstant de quelque chose de matriel ou la rptition dun comportement,et quela tentative pour faire une thorie de nos pratiques doit passer par une reconstruc-tiondes conceptsphilosophiquesdidentit, dunit, devirtualit, etc. Cequi dfi-nit la pratique, ce nest pas quil y ait des agents (mme en supposant, avec Bour-dieu, que ceux-ci se dfinissent les uns par rapport aux autres de manire

    structurale), mais bien quil y ait deschoses faire. Lirrductibilit dune thorie

    15. Je songe larticle de Lon VANDERMESCH, Le suicide en Chine (Morel, 2002 : 53-63),ainsi quau beau livre de Maurice Pinguet (1984). Je remarque par ailleurs que Baudelot et Establetreconnaissent eux-mmes que le travail de Durkheim doit tre complt dans une direction cultu-raliste (1984 : 97), mme sil est vrai quils songent plutt une histoire des formes de sociabilitqu une thorie des systmes symboliques...

    16. Ainsi le clbre paragraphe 202 : Et cest pourquoi obir la rgle constitue une pratique.Et croire quon obit la rgle nest pas obir la rgle. Voil pourquoi il nest gure possibledobir la rgle en particulier : autrementcroire quon obit la rgle serait la mme choseque lui obir. Ainsi, une personne ne se dirige suivant un poteau indicateur quautant quil existe

    un usage constant de poteaux indicateurs (une pure habitude) (1960 : 198), et, plus gnralement, obir une rgle, faire une communication, donner un ordre, faire une partie dchecs [nouspourrions ajouter : se suicider] sont deshabitudes(usages, institutions) (ibid . : 199).

    104 Patrice Maniglier

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    18/21

    de la pratique tient au mode dtre propre aux usages. Lusage est immdiatementcollectif, non parce que son identit serait rductible unconcept gnrique mais,aucontraire,parcequecetteidentitesttoujourspourainsidirengocieaumilieu

    delaconcomitancedevariationshtrognes.Lintrtdecetteapprocheestaussidenouspermettredecomprendrequelidentitdunusagenesauraittrefixeparla reprsentation que les sujets se font de leur propre pratique, parce quelle estdtermineen dehorsdu sujet, par les autres usages possibles, nayant elle-mmeaucune intriorit. Il suffit que ceux-ci changent, pour que la valeur cest--dire ladfinitiondunusagechange.Cetteintuition,lafoistrssimpleettrscomplexe,selon laquelle on ne peut prjuger de la nature dune pratique en se fondant uni-quement sur les relations de ressemblances que nous sommes enclins y trouver,estaucurdetoutedmarchedinspiration structuraliste .Nest-cepasellequiguide par exemple Foucault dansSurveiller et Punir , lorsquil montre que cetteprocdure punitive quest la prison achang de naturelorsquelle sest inscritedans lensembledes disciplines ,aveclcole, larme,lhpital,etc. ? Oncom-prend ds lors que ce soit la mme chose qui nous permette de sembler suivredes rgles , et qui nous entrane sans cesse changer de rgles . Les pratiquessymboliques ressemblent un peu au cricket auquel doit jouer Alice, au pays desmerveilles, avec des flamants roses en guise de battes et des hrissons en guise deballes, dont les uns relvent inopinment la tte au moment o elle va frapper,tandis que les autres en profitent pour avancer de quelques pas. Le structuralismeaainsiposunproblmeindissolublementthoriqueetspculatif :dequellenatureest donccequisefait pourquforce de le faire, nousfinissions par faire toutautrechose ? Il a li leproblmedune thorie de lapratique celui dune ontologie desusages et dune logique de la variation. On comprend ds lors que le dploiementdes analyses structurales ait pu tre accompagn de diverses formes de renver-sement du platonisme , avec Foucault, Deleuze ou mme Derrida. La force deLvi-Strauss est davoir la fois reconnu la ncessit de ce passage par la philo-sophie nous ne pouvons pas dans une certaine mesure nous empcher de faire

    de laphilosophie ,et refusdenfaire enelle-mme une finalit la rflexionphilosophique est un moyen, non une fin (L. S., 1966 : 54)17. La philosophie dustructuralisme serait donc, tous gards, unephilosophie pratique.

    Patrice MANIGLIERENS Ulm

    17. On trouvera laffirmation du caractreinstrumentalde la philosophie aussi dans Lvi-Strauss(1955 : 53-54).

    105 Des us et des signes. Lvi-Strauss : philosophie pratique

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    19/21

    Bibliographie

    ATKINSON, J. Maxwell1978 :Discovering Suicide : Studies in the Social Organization of Sudden Death, Cambridge University Press, 2003.

    BAUDELOT, Christian, et ESTABLETRoger1984 :Durkheim et le suicide, Paris, PUF.

    BENOIST, Jocelyn2003 : Structures, causes et raisons. Sur le pouvoir causal de la structure , Archives de philosophie, 66/1, 2003.

    BERGSON, Henri

    1932 :Les Deux Sources de la morale et de la religion, Paris, PUF.BOURDIEU, Pierre1979 :La Distinction. Critique sociale du jugement , Paris, d. de Minuit.1994 :Raisons pratiques. Sur la thorie de laction, Paris, d. du Seuil.

    BOUQUET, Simon1997 :Introduction la lecture de Saussure, Paris, Payot Rivages.

    CONEIN, Bernard2000 : Le suicide est-il une chose sociale ? Catgorisation, classification etconnaissance sociale , dans Pierre LIVET et Ruwen OGIEN (dir.),LEnquteontologique. Du mode dexistence des objets sociaux, Paris, d. de lcoledes hautes tudes en sciences sociales.

    DELEUZE, Gilles2002 :LIle dserte et autres textes. Textes et entretiens, 1953-1974, Paris,d. de Minuit.

    DESCOLA, Philippe1986 : La Nature domestique. Symbolisme et praxis dans lcologie des Achuar , Paris, d. de la Maison des sciences de lhomme.

    DESCOMBES, Vincent1983 :Grammaire dobjets en tout genre, Paris, d. de Minuit.1996 :Les Institutions du sens, Paris, d. de Minuit.

    DOUGLAS, Jack D.1967 :The social meaning of suicide, New Jersey, Princeton University Press.

    DURKHEIM, mile1897 :Le Suicide, Paris, PUF, coll. Quadrige , 1930.

    FEHR, Johannes2000 :Saussure entre linguistique et smiologie, trad. Pierre Caussat, Paris,PUF, coll. Sciences, Modernits, Philosophies (dition allemande : Suhr-kam Verlag, Francfort-sur-le-Main, 1997).

    106 Patrice Maniglier

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    20/21

    GRANGER, Gilles-Gaston1967 :Pense formelle et sciences de lhomme, Paris, Aubier-Montaigne.

    HALBWACHS, Maurice1930 :Les Causes du suicide, Paris, PUF, coll. Le lien social , 2002.JAKOBSON, Roman1976 :Six leons sur le son et sur le sens, Paris, d. de Minuit, coll. Argu-ments .

    KARSENTI, Bruno1997 :LHomme total. Sociologie, anthropologie et philosophie chez Marcel Mauss, Paris, PUF.

    LVI-STRAUSS, Claude1950 : Introduction luvre de Marcel Mauss , dans Marcel MAUSS,Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, coll. Quadrige , p. IX-LII.1958 :Anthropologie structurale, Paris, Plon.1962 :Le Totmisme aujourdhui, Paris, PUF.1966 : Philosophie et anthropologie ,Cahiers de philosophie, no 1, Paris.1968 :Mythologiques ***, LOrigine des manires de table, Paris, Plon.1971 :Mythologiques ****, LHomme nu, Paris, Plon.1973 : Anthropologie structurale deux, Paris, Plon (rd. Agora Pocket,1996).

    MANIGLIER, Patrice2000 : Lhumanisme interminable de Claude Lvi-Strauss ,Les Tempsmodernes, 609, p. 21-241.2002a :Le Vocabulaire de Lvi-Strauss, Paris, Ellipses.2002b :Ltre du signe. Linguistique et philosophie dans le projet smiolo-gique de Ferdinand de Saussure, Thse de doctorat sous la direction deM. E. Balibar, Universit Paris X Nanterre, Nanterre ( paratre au Seuil, coll. LOrdre philosophique en 2005).

    MOREL

    , Genevive2002 :Clinique du suicide, Ramonville-Saint-Agne, rs.PINGUET, Maurice

    1984 :La Mort volontaire au Japon, Paris, Gallimard.SACKS, Harvey

    1963 : La description sociologique ,Cahiers de recherche ethnomthodo-logique, 1, Universit de Paris VIII, p. 7-23, 1993.

    SAUSSURE, Ferdinand1972 :Cours de linguistique gnrale, d. Tullio de Mauro, Payot.2002 :crits de linguistique gnrale, Paris, Gallimard.2003 : La lgende de Siegfried et lhistoire burgonde , prsentation et

    107 Des us et des signes. Lvi-Strauss : philosophie pratique

    D o c u m

    e n

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0

    PUF

  • 7/30/2019 Maniglier 2005 Us Et Signes

    21/21

    dition de Batrice Turpin, dans Simon BOUQUET(d.),Saussure, Paris, d.de lHerne, p. 351-429.

    SCUBLA, Lucien

    1998 :Lire Lvi-Strauss. Le dploiement dune intuition, Paris, Odile Jacob.SRIOT, Patrick1999 :Structure et totalit. Les origines intellectuelles du structuralisme enEurope centrale et orientale, Paris, PUF, coll. Linguistique nouvelle .

    UTAKER, Arild2002 :La Philosophie du langage, une anthropologie saussurienne, Paris,PUF, Pratiques thoriques .

    WITTGENSTEIN, Ludwig1961 :Tractatus logico-philosophicus, suivi deInvestigations philosophiques,trad. Pierre Klossowski, Paris, Gallimard.

    108 Patrice Maniglier

    t t l c h a r g

    d e p u

    i s w w w . c a

    i r n . i n

    f o - - -

    9 6

    . 2 2 4

    . 4 3

    . 1 2 3 -

    3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 0 5 h 3 7

    . P

    . U . F .D

    me

    g

    d

    sw

    c

    rnno

    9

    2

    4

    1

    3

    0

    2

    0