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Aider les parents et les bébés d’où qu’ils viennent Marie Rose Moro MILLE ET UNE FACONS DE BIEN S’OCCUPER DES BEBES

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Aider les parents et les bébésd’où qu’ils viennent

Marie Rose Moro

Marie Rose Moro

Il y a mille et une manières de bien s’occuper des bébés de par le monde.

Ce livre, destiné à tous les professionnels et les curieux, veut aider

chacun à mieux comprendre, mieux accueillir, mieux soigner les migrants,

d’où qu’ils viennent, et leurs bébés.

Il plaide pour une prévention et une clinique précoce adaptées à tous les

bébés qui ne grandissent pas dans le même monde que leurs parents

(migrants, couples mixtes, adoptions internationales...). Pour ainsi mieux agir dans notre société avec toute sa

diversité sociale et culturelle.

Aider les parents et les bébésd’où qu’ils viennent

MILLE ETUNE FACONS

DE BIENS’OCCUPERDES BEBES

MILLE ETUNE FACONS

DE BIENS’OCCUPERDES BEBES

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Cet ouvrage a été exclusivement financé par la Fondation Mustela.

Placée sous l’égide de laFondation de France depuis sa création, en 1982, la Fondation Mustela encourage les travaux ou projets sur le développement du jeune enfant et les relations avec son milieu.

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Marie Rose Moro

Aider les parents et les bébésd’où qu’ils viennent

MILLe eTUne fACOnS

De BIenS’OCCUPeRDeS BeBeS

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Marie Rose Moro

Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Université Paris Descartes, chef de service de la Maison de Solenn-Maison des adolescents de Cochin (Paris) et du service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Avicenne (Bobigny, France), Directrice de la revue transculturelle L’autre, Cliniques, Cultures et Sociétés.

Maison de Solenn-Maison des adolescents, Hôpital Cochin (AP-HP), 97, boulevard du Port Royal, 75014 Paris cedex, E-mail : [email protected] Sites : www.maisondesolenn.fr, www.marierosemoro.fr et www.clinique-transculturelle.org

Comité de relecture : Christophe Philippe (pédiatre, Casita, Bobigny), Véronique Boulinguez (sage-femme, puéricultrice, Maternité de Port Royal, Paris), François Bernard (pédiatre, Maison de Solenn, Paris), Serge Bouznah (médecin de PMI, Seine-St-Denis), Léokadie Ekoué (sage-femme, Seine-St-Denis), Catherine Lewertowski (médecin PMI, Seine-St-Denis), Claire Mestre (médecin, anthropologue, psychothérapeute, Bordeaux)

Mieux comprendre, mieux accueillir, mieux soigner les migrants et leurs enfants en Europe, tels sont les enjeux d’une prévention et d’une clinique précoce engagés dans la société avec toute sa diversité sociale et culturelle.

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1 COMMenTSe fABRIQUenTDeS PARenTS ?

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1 Cf. par exemple Lallemand, Journet, Ewombe-Moundo (1991) pour une très bonne synthèse sur ce thème.

On ne naît pas parent, on le devient... La parentalité, cela se fabrique avec des ingrédients complexes. Certains sont collectifs, ils appartiennent à la société toute entière, changent avec le temps, ceux-là sont historiques, juridiques, sociaux et culturels. D’autres sont plus intimes, privés, conscients ou inconscients, ils appartiennent à chacun des deux parents en tant que personne et en tant que futur parent, au couple, à la propre histoire familiale du père et de la mère. Ici se joue ce qui est transmis et ce que l’on cache, les blessures de l’enfance et la manière dont chacun les a colmatées. Et puis, il est une autre série de facteurs qui appartiennent à l’enfant lui-même qui transforme ses géniteurs en parents. Certains bébés sont plus doués que d’autres, certains naissent dans des conditions qui leur facilitent cette tâche, d’autres, par les conditions de leur naissance (prématurité, souffrance néonatale, handicap physique ou psychique...) doivent vaincre bien des obstacles et déployer des stratégies multiples, souvent à leur détriment, pour entrer en relation avec l’adulte sidéré. Le bébé, on le sait depuis les travaux de Cramer, Lebovici, Stern… et bien d’autres, est un partenaire actif de l’interaction parents-enfant et par-là même de la construction de la parentalité. Il contribue à l’émergence du maternel et du paternel dans les adultes qui l’entourent, le portent, le nourrissent, lui procurent du plaisir dans un échange d’actes et d’affects qui caractérise les tout premiers moments de la vie de l’enfant.

Il y a mille et une façons d’être père et d’être mère comme le montrent les travaux, nombreux, des sociologues et des anthropologues1. Toute la diffi culté réside donc dans le fait de laisser de la place pour qu’émergent ces potentialités et que nous nous abstenions de tout jugement sur « la meilleure façon d’être père ou d’être mère ». Mais c’est un travail ardu, car la tendance naturelle de tout professionnel est de penser qu’il sait mieux que les parents comment être avec l’enfant,

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quels sont ses besoins, ses attentes... Notre rôle devient alors, non pas de dire comment il faut être, ou même comment il faut faire, mais de permettre que les capacités émergent chez les parents et que nous les soutenions. Des éléments sociaux et culturels participent donc à la fabrication de la fonction parentale. Les éléments culturels ont une fonction préventive en permettant d’anticiper le « comment devenir parent » et si besoin, de donner un sens aux avatars quotidiens de la relation parents-enfant, de prévenir l’installation d’une souffrance.

Comment avoir de beaux bébésLes éléments culturels se mêlent et s’imbriquent avec les éléments individuels et familiaux de manière profonde et précoce. Même lorsqu’on croyait les avoir oubliées, la grossesse, par son caractère initiatique, nous remet en mémoire nos appartenances mythiques, culturelles, fantasmatiques. Comment protéger nos enfants ? La puériculture est un art, une callipédie ou « l’art d’avoir de beaux enfants », plus qu’une science. Elle est inscrite dans le temps et dans l’espace et c’est plus un art d’interprétation, de protection et de conjuration des dangers auxquels les enfants sont soumis qu’un traité de science exacte qu’il faudrait suivre à la lettre. Il n’est qu’à voir sa labilité dans le temps ou dans l’espace.

Là, il ne faut pas annoncer sa grossesse ; ailleurs, il faut éviter de manger certains poissons ou des tubercules qui ramollissent à la cuisson. Ailleurs encore, il ne faut pas que le mari mange certains types de viande pendant que sa femme est enceinte... Plus loin, il faut garder ses rêves, les interpréter et respecter les demandes qui y sont faites car c’est l’enfant qui parle... Ces éléments de l’ordre du privé dans l’exil (ils ne sont pas partagés par la société) vont parfois s’opposer aux logiques extérieures médicales, psychologiques, sociales et culturelles. Puis vient le moment de l’accouchement, moment technique et public - on accouche à l’hôpital sans les siens. Là encore, il y a mille et une façons d’accoucher, d’accueillir l’enfant, de lui présenter le monde puis de penser son altérité, parfois même sa souffrance. Tous ces « petits riens » réactivés en situation de crise, ravivent des représentations qui sont des formes, des pensées, des images parfois dormantes ou que l’on croyait dépassées. C’est la même chose pour une mère française qui mettrait au monde un bébé au Mali ou au Togo, loin de sa famille, loin de son monde.

Au nom d’une universalité vide et d’une éthique réductionniste et abstraite, nous n’intégrons pas ou pas assez ces logiques complexes, qu’elles soient sociales ou culturelles, dans nos dispositifs de 8

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prévention et de soins, dans nos manières de penser et de faire. Nous nous interrogeons rarement sur la dimension culturelle de la parentalité mais surtout, nous ne considérons pas que ces manières de penser et de faire sont utiles pour établir une alliance, comprendre, prévenir, soigner. Nous estimons sans doute que la technique est nue, sans impact culturel et qu’il suffit d’appliquer un protocole pour que l’acte soit correctement accompli.

Pourtant, cela ne suffit pas ! Plusieurs travaux le montrent2, la prise en compte de ces représentations culturelles est d’une grande efficacité. Elle renouvelle nos manières de penser, nous oblige à nous décentrer, à penser des modèles plus complexes et à nous départir de nos jugements hâtifs. Penser cette altérité, c’est permettre à ces femmes migrantes de vivre les étapes de la grossesse et de la parentalité de manière non traumatique et de se familiariser avec d’autres pensées, d’autres techniques... Car la migration entraîne avec elle, cette nécessité du changement. Ignorer cette altérité, c’est non seulement se priver de l’aspect créatif de la rencontre, c’est aussi prendre le risque que ces femmes ne s’inscrivent pas dans nos systèmes de prévention et de soins, c’est aussi les contraindre à une solitude de pensée et de vie.

92 Moro, Neuman, Real, 2008.

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Traditionnellement, la grossesse est un moment initiatique où la future mère est nécessairement portée par les femmes du groupe : accompagnement, préparation aux différentes étapes, interprétation des rêves… La migration entraîne plusieurs ruptures dans ce processus de portage et de construction du sens. Tout d’abord, une perte de l’accompagnement par le groupe, de l’étayage familial, social et culturel et une impossibilité à donner un sens culturellement acceptable aux dysfonctionnements tels que tristesse de la mère, sentiment d’incapacité, interactions mère-bébé dysharmonieuses... De plus, les femmes sont confrontées à des manières de faire médicales qui ne respectent pas les moyens de protection traditionnelle. Ces pratiques médicales occidentales sont parfois, pour ces femmes, violentes, impudiques, traumatiques voire «pornographiques» (plusieurs de mes patientes ont utilisé ce mot). J’ai perçu avec acuité l’importance de l’effraction vécue par les femmes migrantes enceintes au tout début de mon travail avec elles, je parle ici des femmes migrantes venant de régions rurales du Maghreb, d’Afrique noire, du Sri Lanka… Pour les femmes citadines, ces processus existent aussi de toute évidence, mais sans doute de manière moins explicite.

ne pas faire mal à la future mèreL’histoire de MedinaJe reçois Medina, une femme soninké du Mali que l’on m’avait adressée pour dépression du post-partum avec des éléments en apparence délirants, mais qui se sont avérés être, après une évaluation transculturelle, l’expression culturelle d’un vécu traumatique. Il n’y avait pas de délire, même si l’expression était singulière, rien que du trauma. Medina est une superbe femme, grande et élancée, au regard profondément triste. Lors de notre première rencontre, elle est

2 LeS MALenTenDUS CULTUReLS PenDAnT

LA gROSSeSSeeT L’ACCOUCheMenT

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habillée d’un boubou jaune vif et porte un pagne de même couleur autour de ses cheveux. Son visage grave est entaillé de scarifications rituelles : un trait vertical au niveau du menton, deux traits horizontaux au niveau des pommettes et un petit trait vertical au niveau du front. Elle parle en soninké d’une voix monocorde. De temps en temps, des larmes coulent sur ses joues, elle les ignore et continue à parler de son incompréhension totale de ce qui s’est passé pour elle alors que son fils Mamadou était encore dans son ventre. Elle porte, ce jour-là, Mamadou sur son dos. Il est âgé de deux mois et c’est son premier enfant : l’enfant est tout petit, il mange mal, pleure beaucoup, geint douloureusement. Elle n’a pu l’allaiter, il tétait très faiblement le sein et par ailleurs, Médina était persuadée de ne pas avoir de lait ou du moins de lait suffisamment nourrissant pour son bébé. Medina est en France depuis un an, elle est venue rejoindre son mari qui, lui, vit ici depuis huit ans.

Plusieurs moments peuvent fonctionner comme de véritables effractions culturelles et psychiques pour ces femmes migrantes rurales. Mais avant même de les analyser, insistons sur le fait que ce qui est violent, c’est l’acte lui-même effectué sans préparation. Ces gestes techniques sont intimement liés au contexte culturel occidental ; pour ceux qui ne le partagent pas, ces actes deviennent, par leurs implicites, de véritables violences. Les femmes peuvent à peine les anticiper et se les représenter. La conclusion qui s’impose, ce n’est pas de les en priver, ce serait tout à fait intolérable sur le plan éthique et sur le plan de la santé publique. Les en priver serait les exclure encore une fois de notre système de soins et contribuer à leur marginalisation sociale. Au contraire, il s’agit de les faire de manière à ce que ces actes soient efficients et atteignent réellement leurs objectifs. Pour adapter nos stratégies de prévention et de soins, nous sommes contraints de penser cette altérité pour que, loin d’être un obstacle à l’interaction, elle devienne une chance de nouvelle rencontre.

Quels sont les moments qui peuvent fonctionner comme de possibles effractions pour les femmes migrantes enceintes ? Reprenons, pour les décrire, le parcours de Medina tel qu’elle le raconte.

La déclaration de grossesse : un moment délicat

Traditionnellement, la grossesse doit être cachée le plus longtemps possible ou du moins, l’on doit en parler le moins possible pour ne pas éveiller l’envie de la femme stérile, de celle qui n’a pas de garçon, de celle qui a moins d’enfants, de l’étrangère… D’où cette peur que Medina a eue au moment où elle est allée voir l’assistante sociale pour qu’elle 12

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lui remplisse les formulaires de « déclaration de grossesse ». Elle se sentait menacée car non protégée. Tout pouvait lui arriver, même être « attaquée en sorcellerie » et perdre l’enfant qu’elle portait. Cette peur l’a suivie tout au long de sa grossesse, et même lorsque l’enfant est né, elle continuait à être terrorisée : cet enfant n’était pas protégé, il pouvait repartir à chaque moment dans le monde des ancêtres, c’est-à-dire, mourir. Si on sait l’importance de cette écriture, alors on fera la déclaration de grossesse de manière intime en respectant la crainte et l’appréhension qui ne sont pas pathologiques mais culturelles. Et si l’on sait cela alors, si la future maman tarde à déclarer sa grossesse, on ne l’interprétera pas comme un désir ambivalent de grossesse, mais au contraire comme une manière d’être une bonne mère, à sa façon. Les malentendus culturels sont nombreux dès le début de la grossesse. L’échographie en est un autre.

L’échographie : deviner et protéger

Les choses ont continué selon la même logique pour Medina : à l’hôpital on a fait des « photos » qui montraient ce qu’il y avait à l’intérieur du ventre, qui « montraient ce que Dieu tenait encore caché » disait Medina. Cette échographie, c’était pour elle quasi-pornographique en fait. D’autant que l’équipe médicale lui montrait des images presque sans commentaire dans la mesure où elle comprenait très peu le français. Ces images sans mot, sans accompagnement sont encore plus violentes ! L’échographiste ne comprenant pas son refus de voir, lui parlait, lui disait sans doute de regarder, de ne pas s’inquiéter… Elle fermait les yeux pour tenter de ne pas voir. Lui interprétait ce refus de regarder les images, comme une difficulté d’investissement du bébé. Pour d’autres femmes migrantes qui ont l’habitude de demander des actes divinatoires pendant la grossesse, ainsi les femmes mina ou ewe, par exemple, du Togo ou du Bénin, l’échographie est parfois assimilée à de telles pratiques et dans ce cas, elle fait partie du familier. Chaque situation individuelle et culturelle est singulière. Ainsi, pour certaines femmes l’échographie permet d’accéder à la nature même de l’enfant avant sa naissance. Qui est cet enfant ? Quelle sera sa place dans la famille et dans la société ? L’échographie a donc une fonction divinatoire mais l’échographiste a perdu sa fonction de « prêtre ».

L’accouchement sans violence superflue

Puis il y a eu l’accouchement, seule, sans interprète, avec la présence quasi-obligatoire de son mari, un bon musulman, que l’on a fait entrer dans la salle « d’accouchement » car les choses se passaient mal. On a pensé faire une césarienne, Medina et son mari ont refusé, terrorisés. 13

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Finalement on a attendu un peu, on a apaisé Medina en allant chercher une autre femme soninké qui se trouvait dans le même service et qui venait d’accoucher. Alors, comme dit Medina, l’enfant a bien voulu sortir « tout seul ». L’on sait maintenant les conséquences désastreuses des césariennes sur les femmes migrantes et la nécessité de respecter chaque fois que c’est possible, c’est-à-dire lorsque la vie de l’enfant et de la mère ne sont pas en jeu, la lenteur du travail physiologique des femmes d’Afrique noire.

Ces paroles, maintes fois répétées par d’autres femmes migrantes depuis, m’ont obligée à reconnaître la violence d’un certain nombre d’actes médicaux qu’on pense a priori anodins…

Pour Medina, il y a cette idée récurrente que l’enfant qu’elle a porté et qui est né dans ces conditions n’est pas protégé, il est en danger, elle l’est aussi. Ici, c’est la catégorie « manque de protection de la mère et de l’enfant » et sa conséquence culturelle la vulnérabilité à une « attaque de sorcellerie » qui est la catégorie « bonne à penser » si on en croit la suite du travail avec Medina. En effet, Medina a commencé à s’apaiser à partir d’actes culturels qui ont contribué à reconstruire cette effraction, cette protection défaillante : les parents ont demandé à leurs familles, au pays, de faire des protections rituelles pour Mamadou, le bébé, et ainsi introduire l’enfant dans la chaîne des générations et dans la famille élargie. En même temps, nous avons élaboré avec la mère sa tristesse et sa perte d’étayage en rendant vivantes des représentations culturelles qui avaient perdu leur sens du fait de l’exil et des conflits familiaux, c’est-à-dire en reconstruisant partiellement le portage culturel dans le groupe thérapeutique : elle était partie du pays sans l’accord de son père, son premier enfant n’était donc pas protégé. Ce travail de co-construction d’un sens culturel est la première étape de tout travail avec Medina.

Sur le plan préventif, on perçoit à travers cette histoire, et tant d’autres de même nature, la nécessité de permettre à la femme enceinte d’avoir une représentation acceptable de ce dont elle a besoin pour elle-même et pour son bébé, quelles que soient les difficultés qu’elle traverse. La parentalité ne peut se construire qu’à partir de ses propres ingrédients qui se métissent en situation migratoire. L’apaisement des enfants en dépend.

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Les premières images, sensations, projections, anticipations que la mère et le père se font de l’enfant à naître vont structurer la mise en place des interactions précoces.

Un berceau plein d’histoiresCette idée s’est maintenant imposée depuis longtemps. On sait qu’avant d’être un bébé réel, le bébé est imaginaire et fantasmatique (Lebovici, 1983). Tous ceux qui ont travaillé hier et aujourd’hui sur« ce premier chapitre » ont démontré, s’il en était besoin, l’importance de cet avant pour le meilleur et pour le pire. On trouve ici l’importance des fantasmes, des rêveries, des imaginaires qui permettent au désir d’enfant de naître et qui font le berceau des enfants s’appuyant non seulement sur ce qui se vit à la génération des parents mais aussi dans les générations qui les ont précédés. Cet arbre de vie a été essentiellement étudié par la psychanalyse et par les thérapeutes familiaux qui savent qu’on ne fait pas seulement un enfant à deux mais à beaucoup plus. L’enfant s’inscrit dans cet arbre de vie imaginaire et fantasmatique qui le nourrit et le porte et qui lui est transmis de manière consciente et inconsciente, avec ses confl its et ses avatars. Cependant le bébé, par sa présence, rejoue une partition légèrement différente de ceux qui l’ont précédé sauf si une répétition mortifère le contraint à une névrose de destinée. En grandissant, il est alors contraint à répéter des choses qui s’imposent à lui et qui ne lui appartiennent pas, comme par exemple des échecs et des dysfonctionnements. Le plus souvent, le moment présent et la manière d’interagir avec des personnages nouveaux du contexte lui permettent un peu de distance et de liberté par rapport à ce mandat transgénérationnel, quel qu’il soit.

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IMPORTAnCe DeS PReMIeReS

InTeRACTIOnSMeRe-BeBe

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Un berceau plein de cultureCes travaux se sont développés parallèlement à d’autres qui, eux, insistaient sur le berceau culturel de l’enfant (Moro, 1994) : nous transmettons la culture d’une génération à l’autre à travers le corps des bébés par un processus qui est maintenant bien connu depuis Margaret Mead (1963), l’enculturation. La manière dont on pense les enfants, dont on se prépare à les accueillir, à les aimer (Moro, 2007), à les protéger, à les éduquer, à se séparer d’eux… est profondément culturelle et donc collective. Ce berceau culturel est à la fois profondément ancré à l’intérieur de nous et nous différencie les uns des autres, d’un groupe culturel à l’autre. Pourtant, à l’intérieur d’un groupe, cela nous semble tout à fait naturel, évident, comme s’il n’y avait qu’une seule manière de faire et comme si celui qui procède différemment avec ses enfants ne peut être que « contre-nature » et contre l’intérêt des enfants. Ce courant de recherches essentiellement menées par des anthropologues, et de surcroît des femmes, dans le sillage de Margaret Mead, grande pionnière sur ce sujet, a dû attendre la féminisation importante de ce métier pour que ce « petit sujet », l’enfant, devienne un sujet suffisamment valorisé pour être étudié en lui-même dans une perspective de comparaison et surtout de compréhension de l’intérieur de « ces petits riens » qui font la grandeur du quotidien des mères et des bébés. Une anthropologie du peu, du quotidien et de l’intime car non seulement, cela se passe en partie à l’intérieur des maisons, mais aussi à l’intérieur des liens établis entre l’enfant et les différents protagonistes de l’interaction. Par l’observation et le récit, a pu être mise en évidence l’importance de ce berceau culturel et des anticipations faites par la culture, non pas extérieures au sujet, mais intériorisées et recréées par lui. Cette dimension culturelle est structurante pour la mère, pour le père et la famille avant la naissance, elle le sera encore plus après, dans les interactions au quotidien. Les échanges aux niveaux visuel, auditif (le parler, les bruits échangés…), kinesthésique (l’oreille interne et le rythme), corporel varient beaucoup d’une aire à l’autre. Et on ne valorise pas ces différents registres de la même façon en fonction du lieu où l’on vit.

Ici, des bébés très regardés et à qui on parle comme à des grandsEn Occident, on valorise beaucoup les échanges visuels et auditifs, au détriment des autres registres. Regarder son bébé avec tendresse est un des paradigmes des interactions mère-bébé. Il n’est qu’à voir 18

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toutes ces Vierges à l’enfant qui regardent l’enfant Jésus comme des prototypes d’une maternité resplendissante et assumée. L’œil à œil apparaît alors comme une voie royale de l’échange des sentiments. La mère aime son enfant et donc elle le regarde avec amour et elle lui parle, second registre de plus en plus valorisé et ce d’autant plus que la psychanalyse, depuis Dolto, a beaucoup insisté sur le fait que le bébé comprend. Il ne perçoit pas simplement la matérialité de l’échange verbal, mais aussi son contenu ou du moins son intention. Ceci est même un des principes de base des psychothérapies qui incluent les bébés et qui cherchent à expliciter ce que le bébé peut percevoir implicitement : l’inquiétude, la non compréhension, la peur, l’angoisse, la perte… Et de plus en plus, ici, on parle aux bébés comme s’ils comprenaient l’essentiel, en accentuant un peu le rythme de la voix mais sans « parler bébé ». Enfin, ces bébés sont peu manipulés, peu touchés, peu massés, tenus à distance du corps des mères par des poussettes de plus en plus sophistiquées qui insistent davantage sur le fait que les bébés doivent voir le monde que sur celui d’être près de leurs mères et manipulés par elle ou par des substituts. Ces interactions sont alors dites distales dans la mesure où elles établissent une distance importante entre le bébé et l’adulte : les bébés sont tenus à distance des adultes et de leurs corps et la relation adulte-bébé est médiatisée par de nombreux outils ingénieux développés dans ce monde que Mauss (1934) appelait, le « monde à berceau » par opposition au « monde sans berceau » dans lequel nous allons maintenant entrer.

Protéger les bébés du regard A l’opposé, on trouve des cultures qui regardent très peu les bébés. On se méfie même du regard trop direct des mères ou d’autres femmes sur les bébés. Au Maghreb, on se protège du mauvais œil (l’aïn) qui peut être porté aussi bien par la mère que par des femmes de passage autour du bébé, femmes envieuses d’avoir des enfants, d’avoir des garçons ou tout simplement envieuses des enfants des autres et de leur beauté (Touhami, 2010). On ne doit donc pas complimenter un beau bébé, car c’est signe d’un regard envieux et donc menaçant. Il en va de même en Afrique de l’Ouest ou dans certaines régions d’Amérique latine par exemple. D’une manière plus générale, on ne regarde pas les bébés directement, on ne cherche pas à les accrocher et à les stimuler de manière répétée, même si on peut le faire dans certains moments d’intimité et loin du regard des autres, lorsque par exemple la mère ou la grand-mère va jouer avec le bébé. D’autres registres sensoriels sont cependant beaucoup plus valorisés et développés que le regard, il s’agit du registre corporel et kinesthésique. En Inde, comme l’a montré magistralement Hélène Stork 19

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(1986) par exemple, mais on peut retrouver des résultats assez proches dans les zones rurales d’Afrique de l’Ouest, les bébés sont très stimulés du point de vue moteur et kinesthésique. Cette stimulation s’exprime aussi bien dans des portages au dos de longue durée, les enfants sont associés à tous les travaux quotidiens de la mère, par exemple dans l’Afrique de l’Ouest ou dans l’Afrique centrale rurales. Où encore les enfants sont bercés et lavés de manière très tonique, comme en Inde du Sud par exemple. Enfin, partout dans le monde non occidental, on peut retrouver des techniques de massages qui nous sembleraient très stimulantes, voire hyperstimulantes, avec des mouvements rythmiques intenses et de grande amplitude qui souvent remplissent d’aise les bébés, voire les endorment quand ils sont destinés à le faire. Si nous faisions la même chose à nos bébés, cela les réveillerait, voire leur ferait mal. Ce qui signifie que ce n’est donc pas seulement dépendant de la technique apprise et transmise par les mères mais aussi, du contexte dans lequel évolue l’enfant et qui donne un sens à ces gestes du quotidien. En ce qui concerne le dialogue établi avec les bébés, il est lui aussi très différent dans cette aire où les interactions sont proximales. Ce monde sans berceau suppose donc que ce soit le corps de la mère ou des adultes qui serve de berceau avec cette composante tonique que cela suppose pour l’enfant, ajusté au corps de l’adulte, à ses rythmes, à ses courbures, à sa cambrure… Cela suppose par ricochet que le corps de la mère puisse assumer cette fonction contenante et stimulante pour l’enfant et que cela soit transmis, appris et validé à la naissance de l’enfant. On apprend à porter les enfants dès toute petite. Ainsi, ce monde sans berceau suppose que la mère soit aidée lors de la naissance du premier enfant et qu’elle ne soit pas seule pour mettre en place ces techniques profondément interactives. Ces interactions proximales ont du mal à s’exporter, aussi bien dans les migrations intérieures de la campagne à la ville, que dans les grandes migrations internationales qui supposent des ruptures de liens et de transmission.

Bébés au beurre, bébés à l’huile, bébés au curry ou au piment...Ainsi ce qui est partagé avec le bébé et les modalités de ce partage varient d’un lieu à l’autre. Là-bas, le bébé passe beaucoup de temps accroché à sa mère, qui lui parle peu, parfois on dit même qu’il ne comprend pas, qui le regarde peu, qu’il est très peu stimulé par le regard au début, quand il est encore porté au dos par sa mère, et qu’il voit peu du monde extérieur. En revanche, il est très stimulé sur le plan corporel et moteur et aussi sur le plan olfactif, puisqu’il participe à toutes les activités de la mère et s’imprègne des odeurs du corps de sa mère et de son environnement quotidien.

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Sur le plan olfactif et gustatif, le codage culturel est très fort, profond et implicite. Des études expérimentales faites dans différents pays quelques minutes à peine après la naissance des enfants à qui on fait téter différentes tétines empreintes de goûts différents, montrent qu’en fonction des lieux où ils naissent et donc de ce qui les a nourris dans le ventre de leurs mères, les bébés reconnaissent et apprécient les goûts qu’ils connaissent déjà. Les bébés peuvent donc aimer les tétines au piment ou au curry si leurs mères ont mangé des mets épicés de cette façon. Et ce n’est donc pas vrai que les bébés aiment les choses fades et sans saveur. Il en va de même avec les langues ou les couleurs. Les couleurs préférées des bébés ne sont pas des couleurs pastel comme on se plaît à le dire, mais les contrastes les plus forts entre le blanc et le noir. Bien sûr, leurs mères peuvent, elles, préférer les couleurs pastel. Tout dépend donc du lieu où on naît et des goûts des adultes plus que de nécessités du développement. Lorsque nous voyons des mamans africaines donner du piment aux bébés à suçoter pour leur faire plaisir, nous ne devrions pas crier à la maltraitance des bébés sans regarder les bébés et écouter les mères.

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Dans les sociétés sans berceau, le bébé dort avec la mère jour et nuit, il est nourri à la demande. Le bébé est dans un dialogue tonique constant avec sa mère. S’ils échangent peu de paroles, ils vont communiquer par des bruits qui vont bientôt faire sens pour le bébé. Ces bruits vont participer aux stimulations : s’apaiser, se réveiller, faire pipi… Ici, le bébé passe beaucoup moins de temps avec sa mère ou avec les substituts maternels qui vont lui apprendre très tôt à être seul et isolé de l’adulte et à regarder le monde. Les modes de portage favorisent le fait que les enfants découvrent le monde très tôt et l’investissent. De plus, rapidement, on va lui donner des objets que Winnicott (1951) appellera « transitionnels », pour apprendre à se passer de sa mère ou de ses équivalents. Au-delà des objets transitionnels, il investira les objets du monde à petites doses à travers des jouets par exemple, ce que Winnicott appelle la présentation du monde à petites doses. Dans notre société, on fabrique de nombreux jouets destinés aux enfants. Dans nombre de sociétés, en particulier majoritairement rurales, on ne fabrique pas d’objets spécifi ques pour les enfants, mais les enfants jouent avec le corps de sa mère et de celles qui le portent (pagnes, cheveux, objets rituels qui sont sur le corps…) et avec les objets de la vie quotidienne qui sont utilisés par les enfants pour imaginer des jeux…

Les jouets, puis des fragments de ce monde extérieur, seront investis et perçus à travers la mère, le père et toutes les personnes signifi antes autour de l’enfant. Ici la question de la séparation est première, les enfants apprennent très tôt à se séparer des adultes et à être seuls, même en présence des adultes, puis en leur absence. Cette importance de la séparation est inscrite dans la manière que nous avons de concevoir des enfants qui vont se séparer de leur mère avec l’intervention d’une fonction tierce qui est le père ou ensuite, d’autres tiers séparateurs. On voit comment cette fonction de séparation, pierre angulaire des théories psychologiques et psychanalytiques, est inscrite dans un contexte culturel qui pense l’enfant comme uni symbiotiquement à sa

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Se SePAReROU Se ReUnIR

D’ABORD ?

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mère et qui doit s’individualiser le plus tôt possible. La fabrication d’un individu autonome étant considérée comme une valeur en soi.

Si au contraire, comme dans le monde sans berceau, on considère que l’enfant vient du monde des ancêtres, des génies, des divinités ou des dieux, alors la première fonction qui incombe aux parents et en premier lieu à la mère est d’humaniser cet être, d’identifier sa nature, d’être le plus proche de lui et ensuite seulement, il conviendra de se séparer quand le moment sera venu. Quand cet enfant sera complètement inscrit dans le monde des humains, par sa nomination, par l’allaitement, par les massages ou les rites qui doivent être faits pour humaniser l’enfant et bien le réunir à sa mère. L’enfant est une énigme qu’il convient de résoudre, d’où l’importance de tous les processus qui conduisent à une nomination adaptée du bébé qui s’appuie sur l’observation du bébé, de son entourage, sur les rêves faits autour de ce bébé et sur les événements qui peuvent survenir autour de la naissance de l’enfant. Après la nomination, vient la question de la protection des bébés pour ne pas qu’ils repartent dans le monde des ancêtres ou des génies, puis celle des soins. Si un bébé tombe malade, on va interroger son premier monde d’appartenance, celui d’où il vient, pour chercher à savoir pourquoi il est malade. Des rituels pourront alors être faits pour identifier ce que l’ancêtre ou le génie veulent dire à travers l’enfant malade ou qui se développe mal.

Se séparer n’est donc pas une fin en soi mais plutôt une étape liée à la manière dont on voit le processus de maturation et d’humanisation de l’enfant, les temps de sa socialisation. Là-bas, on s’agrège d’abord au groupe des humains en s’arrimant à sa mère et au groupe familial et la séparation future passe par une bonne qualité du lien. Ce n’est pas tant de la dépendance que du lien. Ici, on loue la nécessité de se séparer très tôt de sa mère et du groupe des adultes qui vous portent. On craint la dépendance à l’autre et au groupe car on cherche l’autonomisation et la construction d’un individu séparé et on cherche très tôt à sortir de la dépendance réciproque. Sans doute ces valeurs ne sont-elles que les différentes facettes du processus d’individuation/séparation et d’humanisation qui passe par la dialectique du lien à l’autre. Il n’y a pas une meilleure forme que l’autre, simplement un accent mis sur tel ou tel ingrédient de ce processus de construction du lien à l’autre.

Si ces variations de manière de penser et de faire avec les enfants sont si importantes et si nombreuses, on peut penser que cela a des effets sur le développement des enfants ici et ailleurs ?

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Ces importantes variations du contexte peuvent être considérées comme des variations expérimentales en milieu naturel. En effet, comme dans une expérience, on peut se demander ce que provoque pour le développement des enfants le fait que les interactions soient essentiellement proximales et donc motrices et kinesthésiques, ou essentiellement visuelles et auditives comme dans le modèle plus distal ? Et ce, tout en sachant que dans un lieu donné, les modalités peuvent varier un peu de la campagne à la ville ou en fonction des classes sociales, et qu’il y a des variations individuelles comme dans tout processus humain. Cette question des effets a été posée depuis longtemps essentiellement avec une méthodologie comparative. De plus, l’introduction de la vidéo dans l’étude des interactions nous a permis de nous décentrer et d’essayer de voir ce que ces différents types d’interactions ont comme effets sur l’enfant, aussi bien sur l’expérience vécue par lui qu’ensuite, sur son développement. Il existe donc essentiellement dans le monde anglo-saxon et depuis les années soixante, des méta-analyses qui tentent d’isoler des variables du contexte et de voir leur effet sur l’enfant et son développement, qu’il soit moteur, cognitif, affectif ou même moral. Nous allons en donner ici les résultats les plus importants pour la pratique3.

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273 Pour en savoir plus sur ces études, cf. Moro (2004).

effeTS De CeSvARIATIOnS

CULTUReLLeS SURLe DeveLOPPeMenT

DeS BeBeS

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Bébés durs, bébés mousQuelles que soient les méthodologies utilisées, toutes ces études montrent des effets importants des variables interactionnelles sur le corps des enfants. Dans le monde où les interactions mères-bébés sont essentiellement proximales, les bébés ont une avance motrice importante et ce jusqu’au sevrage. Ils marchent plus tôt, à partir de 8 mois, sont beaucoup plus toniques, « plus durs » disait une maman africaine et développent des compétences motrices plus grandes que les autres. Alors que les bébés du monde où prédominent les interactions distales sont plus mous, moins toniques, ils marchent bien plus tard que les autres, après un an, mais en revanche, parlent plus tôt et accrochent et suivent du regard plus tôt, à partir de 8 mois, car ils sont très stimulés sur le plan visuel. Ainsi que l’attention conjointe n’existe pas à 8 mois chez un bébé porté au dos, c’est-à-dire la capacité à accrocher le regard d’un bébé pour regarder un objet ensemble, n’est pas un signe de dysfonctionnement de la communication mais simplement un reflet des stimulations prédominantes chez ce bébé. La culture n’est pas une source de pathologie mais une source de diversité. En soit, la culture protège et sa transmission doit être valorisée pour protéger les bébés.

Ainsi, le portage au dos est un portage très actif où très tôt le bébé s’adapte au corps de sa mère et des autres filles ou femmes qui vont le porter : ses grandes sœurs, ses jeunes tantes, sa grand-mère… C’est un dialogue tonique intense entre les deux corps qui stimule le tonus des bébés, leur capacité à s’ajuster, à rester vigilant quand la mère l’est et à se reposer quand il en a besoin ou que sa mère l’autorise. Le pagne qui recouvre le corps du bébé rend plus sûr le portage quand il est petit et qu’il ne peut s’ajuster complètement au corps de sa mère. Mais bien vite, il va avoir essentiellement une fonction esthétique, dans la mesure où la vraie sécurité est assurée par l’ajustement au corps de sa mère. D’ailleurs si pour une raison ou une autre, le bébé ne peut s’ajuster au corps de sa mère, il risque de tomber et de se faire mal malgré le tissu qui le soutient.

Je me souviens de Maryatou qui avait déjà eu deux bébés au Mali et qui avait accouché de son troisième enfant en France. Maryatou savait très bien porter les bébés, elle l’avait fait pour ses deux premiers enfants à Bamako et comptait bien le faire de nouveau pour Bobo, son troisième enfant né en migration. D’ailleurs elle portait encore les deux grands quand c’était nécessaire, quand elle voulait les apaiser ou quand ils le lui demandaient. Mais voilà, Bobo ne se comportait pas comme les deux grands nés à Bamako. Elle avait toujours peur 28

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qu’il tombe et à deux ou trois reprises, il est tombé malgré le pagne blanc qui le serrait contre elle et le pagne de couleur qu’elle mettait par-dessus ce pagne blanc, pagne qu’elle coordonnait à son vêtement. Pour elle, ces chutes n’étaient pas normales, elles étaient dues à des anomalies du bébé. Elle avait beau redoubler de précautions, ce bébé ne s’ajustait pas à son corps, il était mou, s’endormait à contretemps et ne réagissait pas beaucoup à ses stimulations corporelles. Pourquoi ce bébé se laissait-il porter sans agripper le corps de sa mère ? Sans faire le même travail qu’elle faisait implicitement, se cambrer de manière à le retenir et s’ajuster à ses mouvements ? Elle décida d’aller consulter aux urgences pédiatriques. Personne ne comprenait le motif de consultation. Cela ne rentrait dans aucune des classifications connues et encore moins des motifs de consultation en urgence. « Madame, si votre bébé tombe, serrez plus fort le pagne ou ne le portez plus au dos… » L’examen physique du bébé, retrouvait un bébé au tonus semblable aux autres au même âge, mais pour elle, il était mou et peu réactif. Quelques mois plus tard, on diagnostiqua chez ce bébé un trouble de la communication dont les premiers signes ont pu être ce tonus insuffisant et peu adapté pour un bébé de cette aire là, porté au dos et très stimulé sur le plan moteur. Effectivement, Maryatou avait raison, ce bébé ne se comportait pas comme les autres, ne s’adaptait pas au corps de sa mère comme les autres et ne réagissait pas aux stimulations du monde extérieur comme les autres. Il devenait parfois comme une poupée de chiffon et c’est à ce moment-là qu’il tombait.

Des bébés portés et massésA ce portage tonique et interactif s’ajoutent des massages ou parfois aussi des bercements toniques eux aussi. Ces massages sont effectués au quotidien au moment de la toilette par exemple, au moment des soins de prévention qui sont prodigués aux bébés, rituels prophylactiques qui servent aussi bien à le purifier qu’à prévenir des maladies ou à le rendre plus fort ou à soigner le bébé malade. Ces massages viennent s’ajouter aux soins hygiéniques ou médicaux pour fortifier le corps du bébé. On masse son crâne, son corps, certaines parties de son corps. Souvent ces massages sont sexués, ils sont différents s’ils sont faits à une fille ou à un garçon car on ne valorisera pas de la même façon les différentes parties de son corps. Souvent on massera le sexe du garçon avec détermination pour lui donner de la force et de la virilité alors que ce sexe ne sera pas massé de la même manière chez les filles. Ces massages sont effectués avec des onguents divers caractéristiques des propriétés inférées à tel ou tel produit dans cette société-là : de l’huile d’olive dans de nombreux endroits comme au Maghreb ou de 29

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l’huile d’amande douce, du beurre de Karité en Afrique de l’Ouest, du beurre clarifié au Népal ou en Afghanistan, de l’eau de rose au Moyen-Orient… On recherche les qualités visibles de l’huile ou du beurre : la douceur, le parfum… mais aussi les propriétés symboliques : donner de la force, enraciner l’enfant dans la terre où il est né, lui donner de la souplesse…

Ces techniques de massage participent au marquage du corps des bébés, à leur enculturation et sont transmises. On ne laisse jamais une jeune accouchée seule avec son bébé. C’est une femme de la famille qui va initier les massages et quand la mère se sentira assez sûre d’elle, elle massera elle-même sous le regard d’une autre femme. C’est bien sûr ce compagnonnage qui manque dans la migration. La technique n’est pas nue, elle est incarnée par une autre femme du groupe investie de cette fonction de transmettre. Pour faire grandir un enfant, on a besoin de commères au sens de « mères avec ».

Toutes ces techniques corporelles et le type d’interactions plutôt proximales provoquent donc des avances motrices chez les enfants de ces aires là et des avances langagières chez les enfants du monde des interactions distales jusqu’à environ deux ans. Puis entre deux et trois ans, les compétences tendent à se rejoindre, mais resteront des avances motrices chez les premiers et des avances langagières chez les seconds. A ces compétences différenciées, s’ajoute la question de ce qui est valorisé par l’éducation sphinctérienne : les bébés de familles africaines peuvent être propres beaucoup plus tôt que les bébés de familles européennes non pas pour des raisons de maturation neurologique, mais par ce qui est attendu par les adultes et mis en acte dans le corps des enfants. Il en va de même pour nombre de compétences et de valeurs valorisées par une société donnée à un moment donné de son histoire. Bien sûr, des circonstances exceptionnelles qu’il nous a été donné de vivre, nous ont montré que les bébés s’adaptaient eux aussi à ces situations extrêmes. Ainsi, dans la guerre, j’ai remarqué que les bébés pleuraient peu et étaient très vigilants. Dans d’autres circonstances, on aurait sans doute dit qu’ils étaient hypervigilants avec un éveil de tous les instants pour s’adapter à la situation de danger. Le silence qui règne dans les camps de réfugiés est aussi un reflet de cette adaptation des bébés et des enfants dans ces situations limites. L’extrême pour moi est ce bébé qui au Sierra Leone, avait assisté sur son dos à la mutilation de sa mère qui, sans doute pour ne pas trop l’effrayer, avait à peine crié lors de cet acte barbare. Ce que ceux qui ont reçu cette mère mutilée ensuite en consultation ont ressenti, lors du récit de cette mutilation par la mère, fut un sentiment d’effroi, ce qui est sans doute révélateur de ce que le bébé lui-même avait ressenti, mais en silence.

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Aller au-delà des apparences Ainsi le développement des bébés, leurs rythmes, leurs compétences immédiates et préférentielles dans le futur, leurs facilités et leurs difficultés dépendent à la fois des attentes des adultes, conscientes et inconscientes, de la structuration familiale, du contexte culturel et social qui les structure et de la représentation de la nature de l’enfant et des parents. En somme, de ce qui est attendu et toléré par le groupe. D’où l’importance de resituer le développement du bébé dans le monde qui le porte. Ainsi, longtemps on a décrit les interactions proximales comme des interactions idylliques mère-bébé jusqu’au sevrage qui survient brutalement et laisse l’enfant dans un état de solitude. Des études approfondies et moins ethnocentrées ont montré plus récemment comment nous caricaturions les différences en matière de soins aux enfants. Ainsi, sur cette question du sevrage, si on regarde non seulement la dyade mère-bébé mais aussi le bébé dans son contexte familial, social et culturel, on peut voir aisément qu’à ce moment-là, le bébé n’est pas seulement séparé brutalement de sa mère mais qu’il est aussi introduit dans d’autres interactions structurantes pour lui : il est porté par ses grandes sœurs, par des cousines ou d’autres jeunes filles de la parenté ou du voisinage. Il joue avec ses frères et sœurs ou d’autres enfants qui ont quelques années de plus que lui ; il est choyé par ses grands parents et il ira plus fréquemment avec son père ou les hommes de la famille, dans la mesure où le sevrage l’a effectivement séparé physiquement de sa mère. Il faut donc regarder horizontalement et pas seulement verticalement la relation exclusive mère-bébé, cette relation est contextualisée et ce contexte participe activement à l’interaction avec le bébé (Rabain, 1979). Il n’y a donc pas de séparation brutale mais on passe d’une relation corps à corps à une relation diversifiée entre le bébé et son entourage. La présentation du monde n’incombe plus seulement à la mère mais à tous ceux qui entourent l’enfant. Les soins aux enfants et les fonctions de la parenté sont partagés par tous ceux qui sont en lien avec ce bébé.

Il en va de même pour la place des pères auprès des enfants au quotidien et dans les fonctions symboliques. Faisons un détour par l’Afghanistan et le Moyen-Orient.

Les pères afghans aussiOn a l’habitude de dire que les hommes ne s’occupent pas des bébés dans le monde musulman et dans les sociétés patriarcales. Avant de partir travailler en Afghanistan, j’avais donc lu toute la littérature anthropologique sur le sujet des bébés et je m’attendais à ce que les

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soins et l’éducation des tous petits soient d’abord l’affaire des femmes. Quelle n’a pas été ma surprise de voir le soir, les pères, au retour de journées difficiles ou de séjours lointains (on imaginait qu’ils étaient allés se battre ou préparer la résistance dans ces temps de guerre) ou encore les jours où ils n’avaient pas d’activités sociales à l’extérieur, de voir ces pères pachtouns par exemple, jouer avec les bébés, filles ou garçons. Ils jouent avec eux de manière très tonique, de manière très vive, avec une joie partagée avec leurs enfants. Ils jouent pour jouer, avec les petits, avec les plus grands aussi, mais cela pouvait être plus attendu. Les mères les préparent pour l’arrivée de leur père, les lavent, les habillent avec leurs plus beaux habits, les maquillent aussi, même les garçons qui dans ces régions peuvent avoir du khôl autour des yeux autant pour des raisons esthétiques qu’hygiéniques. On sent l’excitation monter pour tous, femmes et enfants, et lorsque les pères arrivent, c’est le moment du jeu. Les interactions avec les pères sont un peu différentes de celles avec les mères, les pères stimulent les enfants, de manière plus tonique et leur parlent peut-être davantage. Les enfants doivent donc s’adapter à ces différences et établir un dialogue différencié en fonction de l’interlocuteur. Aux heures de retour des pères, pas de consultation ni de visite possible, la vie se réorganisait ainsi autour du lien avec eux. Mais bien sûr, on pouvait ne pas le savoir, ne pas le voir et même ne pas imaginer la place du père, dans la mesure où il ne venait pas aux consultations du matin, considérées comme l’espace des femmes et des petits, et dans la mesure où nous avions des a priori culturels préalables liés tant à la littérature sur ce sujet qu’à notre représentation de ce que c’est un homme et un père afghan.

Ces travaux anthropologiques et cliniques ont donc montré que, après la naissance, les interactions mères-bébés sont aussi culturelles en plus d’être réelles (comportementales), imaginaires et fantasmatiques et que les pères et le reste de la famille aussi participent, mais à la place qui leur est assignée par le groupe social et culturel.

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Les travaux linguistiques, montrent l’importance des premières interactions langagières dans la langue de la mère et du groupe. A la naissance l’enfant reconnaît la voix de sa mère et reconnaît aussi la langue parlée par sa mère de manière préférentielle. Les expérimentalistes ont montré que l’enfant est capable de discriminer non seulement sa mère dans sa dimension affective et linguistique, mais aussi une autre femme, par exemple qui parle la même langue que sa mère. Quand c’est une autre femme, qui parle la langue de la mère, il réagit différemment que quand c’est sa mère, avec moins d’affect mais il réagit plus que quand c’est une femme qui parle une autre langue que celle de la mère. Au-delà de travaux expérimentaux importants, dans la mesure où ils montrent l’impact fort des aspects affectifs mais aussi des aspects linguistiques, les travaux psychanalytiques d’une part et les travaux transculturels d’autre part, montrent l’importance de ces premiers échanges langagiers portés par la mère, dans la langue de la mère. Ces échanges constituent l’empreinte initiale qui constituera sa base. L’enfant est introduit dans le monde du langage par une langue particulière et singulière qui est la langue de la mère. L’enfant apprend à parler par une langue particulière, on apprend à parler dans une langue spécifi que et à partir de là, on est un être parlant qui pourra d’ailleurs apprendre d’autres langues particulières (Bentolila). Ce travail d’inscription dans une langue, il importe de le faire avec plaisir et sécurité. A partir de cette base, pourra se faire le travail ultérieur d’apprentissage d’une ou plusieurs langues, par nécessité, dans la migration, ou pour le plaisir des langues. On n’apprend pas à parler de manière générale et universelle, mais dans une langue particulière, investie comme un plaisir et comme un lien qui vous relie aux autres autour de vous. La question de la langue initiale, première, maternelle… est donc importante car elle participe à la construction de la sécurité de l’être et à l’émergence de sa capacité à construire des liens qui renforcent son identité et ne le menacent pas.

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IMPORTAnCeDe LA LAngUe

De SA MeRe

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Au total, à partir de ces travaux anthropologiques, cliniques et linguistiques, nous avons été amenés ces dernières années à proposer de prendre en compte trois dimensions pour comprendre les parents et l’enfant en situation transculturelle. Ce sont ces trois niveaux de lecture que nous allons maintenant étudier.

L’être, le sens et le faireAu travers du détour par l’ailleurs, nous avons expérimenté le fait que les manières dont on se représente le bébé, sa mère, son père, les liens qu’il entretient avec le monde, son être même, sont multiples et profondément liée aux représentations culturelles qui nous portent. Ces représentations ontologiques sont des berceaux qui préexistent à la réalité même de l’enfant ou de la mère et permettent justement l’émergence des êtres et des fonctions qu’ils assument dans un lieu donné. Comme toute représentation collective, ces images qui sont là dans nos têtes et dans nos attentes, avant même l’arrivée du bébé réel ou de la construction de la mère, sont le plus souvent structurantes. Pour ce qui concerne le bébé, ces représentations ontologiques sont un véritable berceau qui prépare sa venue et permet de le penser et de l’accueillir sans même le connaître. Il est accueilli comme un être de la catégorie « bébé ». La manière dont on pense un bébé est constituée sur le plan individuel, comme l’a montré par exemple Lebovici, par le bébé réel, imaginaire et fantasmatique. Le bébé tel qu’on l’observe, mais avant, tel qu’on le perçoit, l’imagine, et tel qu’il apparaît dans nos fantasmes, tels qu’ils se sont construits dans l’enfance sur des matériaux transgénérationnels. Mais ces ingrédients individuels et familiaux s’accrochent à des représentations collectives, les représentations ontologiques du bébé et de ceux qui le portent et l’entourent.

En situation de migration, vont coexister autour de la mère plusieurs représentations ontologiques du bébé, de ce que c’est qu’une mère

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QUe Se PASSe-T-IL ALORS en SITUATIOn

D’exIL, De vOyAgeOU De MeTISSAge ?

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ou un père : celle portée par les parents, représentation transmise par les générations antérieures dans lesquelles s’inscrit la mère, et celle du pays d’accueil que les parents connaissent plus ou moins mais qui imprègne l’ensemble des actes qui sont faits pour et autour des bébés aussi bien à la maternité, dans les lieux de soins, dans les dispensaires de Protection Maternelle et Infantile, dans les lieux d’accueil et de loisirs, dans les médias et plus tard à l’école.

Un second niveau est celui du sens que je donne à ce qui arrive au bébé au quotidien mais surtout à ses avatars ou à ses dysfonctionnements. Quel sens je donne à l’insensé qu’est la maladie. Etant entendu qu’il s’agit de sens et pas de cause. La cause appartient aux techniciens et aux spécialistes, mais n’épuise pas le sens que lui donne celui qui vit cet événement. Un enfant tombe malade à répétition, le médecin dit qu’il a attrapé des infections virales, c’est là la cause que je comprends parfaitement, mais si je suis inquiète pour l’enfant ou si l’enfant supporte mal ces maladies à répétition, s’il est épuisé, ne mange plus ou se montre triste, alors je vais chercher un autre sens. Pourquoi je n’arrive pas à protéger cet enfant ? Pourquoi cet enfant ne sait pas se défendre ? Pourquoi c’est lui qui est toujours malade et pas son frère ou son camarade ? Et cette recherche de sens est d’autant plus importante que ce qui arrive à mon enfant est difficile à nommer ou à comprendre. Si moi, sa mère, je me sens en difficulté, voire responsable ou coupable, je cherche d’autant plus un sens. Ainsi, ce bébé de huit mois qui pleure tous les soirs à la tombée de la nuit et qui, à ce moment-là, est très difficile à consoler. La maman soninké du Mali, venant d’un petit village de la région de Kayes mais vivant en France depuis plus de dix ans, emprunte d’abord les théories d’ici. On lui dit qu’il n’y a rien d’organique, qu’il s’agit d’angoisses vespérales classiques chez les bébés et qu’il suffit de l’apaiser par la présence de sa mère. Elles lui sont présentées comme passagères et sans cause. Mais le bébé continue à pleurer chaque jour plus, dit-elle. Elle va alors chercher dans sa mémoire et parmi les théories culturelles entendues quand elle était au pays et va trouver plusieurs théories étiologiques (les théories qui donnent du sens) dont une qui va lui permettre de donner un véritable sens à ce qui arrive à ce bébé-là, alors qu’elle n’avait jamais été confrontée à cela pour ses frères et sœurs eux aussi nés en France. Elle s’est souvenue qu’au village on ne laissait pas sortir les bébés, même sur le dos de leur mère, au moment de la tombée de la nuit. On disait que les bébés, étant des êtres fragiles, pouvaient être attaqués par les esprits qui habitent autour des humains, les djinne4. Cette théorie

38 4 Djinne est le pluriel de Djinna, terme qui désigne dans le monde musulman les esprits.

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étiologique culturelle a permis à la mère de donner un sens qui lui appartenait à ce qui arrivait à l’enfant et par conséquent, à partir de là, elle a trouvé une manière d’apaiser et de protéger le bébé des djinne qui le menaçaient. Toutes les cultures mettent à disposition de leurs membres des théories étiologiques mouvantes, souvent bricolées de bric et de broc, des théories qui sont retravaillées par tous les événements et les apports multiples d’un contexte donné. Ces théories étiologiques sont propres à un moment et à un lieu, elles se transmettent et se transforment d’une génération à l’autre et sont universelles au sens où chaque culture favorise leur émergence. Toutes les sociétés construisent ces théories étiologiques mais certaines, comme la nôtre, considèrent qu’elles font de la science et que les autres sociétés, en particulier celles du Sud, se satisfont de croyances. Bien sûr la science contribue elle aussi à construire des théories étiologiques provisoires, de la même façon que les traditions, les rites, les mythes ou les religions. Dans nos sociétés, les médias aussi contribuent à construire des théories qui donnent du sens à ce qui arrive à nos enfants. Ces théories étiologiques repassent ensuite par la subjectivité des êtres qui les lestent de leur propre imaginaire et leurs fantasmes. Ce sens est donc une alchimie d’autant plus importante à respecter qu’elle appartient à la personne, qu’elle lui est propre dans la mesure où elle puise dans le pot commun. Ce sens aide à comprendre et à soigner.

A l’être et au sens s’ajoute le faire. Comment fait-on quand un enfant pleure, sachant qu’un enfant vient de l’au-delà, du monde des ancêtres et que s’il pleure, c’est que les ancêtres sont mécontents de la manière dont on les traite ? Voilà une situation où l’être et le sens sont explicités, mais reste le faire. Quel est le statut de la parole ? Faut-il parler ou se taire ? Qu’est ce qui fait l’efficacité symbolique ou réelle d’une parole ou d’un acte ? Est-ce que les bébés comprennent le sens de ce qu’on leur dit ou seulement l’intention, le rythme, la prosodie de la parole qui lui est adressée ? Et en conséquence, faut-il leur parler ou au contraire les porter et les stimuler ? Que faut-il faire quand un bébé est malade, quand il ne mange plus, quand son développement s’arrête ? Les questions du faire vont être très importantes pour la vie quotidienne et aussi pour les soins dans la mesure où rien ne va de soi en matière de faire. Il y a mille et une manières de faire et ces manières sont cohérentes avec la manière de penser et de donner un sens à ce qui arrive aux bébés par exemple. C’est pour cela d’ailleurs que c’est si important et que des conseils qui voudraient imposer une autre manière de faire aux mères migrantes ne fonctionnent pas, car ils sont en contradiction avec leur manière de penser les bébés. Parfois, ils entraînent du doute, voire de la culpabilité, sans parvenir à modifier le faire. 39

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Le doute et le manqueNous voilà donc en présence d’une situation où les représentations de ce que sont une mère et un bébé, un père, des grands-parents ou des frères et sœurs, sont multiples, de même que les manières de donner un sens à ce qui arrive. La mère et les parents ont donc à leur disposition deux sources au moins, celle d’ici et celle de là-bas qui devraient avoir le même statut, dans la mesure où elles émanent de l’universalité psychique et de l’histoire de cette famille. Pourtant, dans la pratique, ce qui vient du pays d’origine est souvent dévalorisé par le regard que la société d’accueil porte sur ce pays d’origine : ils ne savent pas, ils sont moins développés que nous, ils n’ont pas encore accédé à ce savoir là… En abrasant complètement au passage l’idée que ce qui est précieux et structurant pour une personne, c’est ce qu’elle a choisi et ce qui fait sens pour elle. Si je cherche à abraser ce qui lui appartient au nom « de la prétendue connaissance », je mets l’autre dans une position d’infériorité et j’abrase ses propres ressources et compétences. D’autant que l’exil fragilise la transmission et la cohérence des théories et manières de faire de la famille, qui ne peut plus s’appuyer sur personne, ou très peu, pour continuer à faire vivre les mythes, les rites, les images, les pensées culturelles. Le voyage et la distance fragilisent cette transmission vivante et mouvante des manières de penser et de faire autour du bébé. Et les motifs du voyage aussi. Parfois, j’ai justement migré pour mettre de la distance entre ma mère et moi et toutes ses préconisations. Il n’en reste pas moins que devant le non-sens que constitue un enfant qui ne se développe pas comme les autres et qui ne communique pas, on peut avoir besoin de s’appuyer sur d’autres théories que celles qui sont données par le pays d’origine, surtout si elles ne fonctionnent pas. Le doute s’installe du fait de la détresse et il s’insinue aussi du fait de la migration et de la distance prise par rapport à ces logiques culturelles initiales qui sont confrontées à celles que je perçois du monde d’ici.

Parfois encore, face au dénuement que constitue pour certaines mères la situation d’exil, plus que le doute par rapport à ce qui m’appartient ou appartient à ceux qui m’ont précédée, c’est le manque qui prédomine. Manque de cet aller-retour entre les autres et moi, mouvement qui nourrit ma propre pensée et la rend vivace et créative en particulier dans ces situations où un bébé m’inquiète ou me met en difficulté. Les mères migrantes intériorisent donc du manque et du doute et doivent acquérir, souvent très rapidement, une confiance dans ce monde externe qui les a accueillies mais qui ne cherche pas toujours à être désirable ni à transmettre ses valeurs et ses manières de penser et de faire. Si ce monde était désirable et accueillant, sans doute le travail de métissage entre les images et les apports d’ici et de là-bas se ferait-il avec plus 40

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de souplesse et cela favoriserait-il la construction de systèmes de représentations métissées, complexes et opérantes comme on le voit dans les situations où les mères ont pu s’approprier des choses du monde d’ici en gardant ce qui leur était nécessaire du monde de là-bas. Que les mères puissent faire ce travail favorise le fait qu’elles puissent ensuite présenter les mondes à leurs enfants à « petites doses » comme le disait Winnicott, en rendant ces mondes désirables à leurs enfants en particulier, celui qui va devenir le leur, le monde d’ici. S’appuyer sur leur port d’attache pour mieux explorer les nouvelles eaux. La solitude, contrainte liée à l’isolement mais aussi à l’individualisme de nos sociétés occidentales, peut empêcher les femmes d’utiliser et de transmettre leur propre savoir-faire de maternage. Nos sociétés favorisent plus la transmission professionnelle que la transmission intrafamiliale. L’attitude bienveillante des professionnels sera alors déterminante pour les aider à se souvenir de ce savoir, et à l’utiliser conjointement avec nos techniques d’ici.

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Cette multiplicité des manières de penser et de faire vaut pour les familles migrantes mais aussi pour tous ceux qui, pour une raison ou une autre, sont confrontés à la diversité.

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Les bébés des couples mixtesAinsi les bébés qui naissent dans des familles formées par des couples mixtes. Dans ce cas, chacun se représente le bébé d’une certaine façon, son être, ses besoins, sa place, ses appartenances, non pas seulement en termes individuels mais aussi collectifs. Chez nous, chez vous… Et souvent, il est nécessaire de créer un troisième espace qui transcende mais aussi métisse ces appartenances et ces manières de voir et de faire avec un rapport de forces constant qui peut réapparaître dans des moments de crise. Parfois, pour éviter le conflit d’appartenance, on choisit un troisième espace, différent des deux autres, où on espère repartir de nouveau, créer un bébé nouveau. Mais dans ce troisième lieu, on projette aussi nos fantasmes individuels et collectifs ; on emmène aussi ses bagages. Parfois on les met sous le lit pendant un temps, le temps de la passion qui abrase les appartenances, mais le temps du quotidien va ramener les préoccupations : avec un bébé, on ne fait pas comme cela, on fait plutôt comme cela… un garçon doit être circoncis et une fille doit porter des boucles d’oreilles dès sa naissance… Le métissage dans le couple, oblige à anticiper et à négocier ce qui pourrait faire problème pour les enfants ou pour les familles. Cette période autour de la naissance de l’enfant est le moment propice pour faire ce travail de métissage dans le corps de l’enfant. Jusque-là, il s’agissait d’une juxtaposition entre des êtres et des mondes dans le couple dit mixte, chacun pouvait garder pour lui ce qui lui était nécessaire et ne partager ou ne rendre public que ce qui lui importait. L’enfant du couple mixte incarne ce métissage et contraint à le penser et à le faire vivre. C’est la naissance de l’enfant qui figure le métissage, le présentifie, le vivifie.

Quand les petites différences font mal

Le métissage du couple peut concerner les origines culturelles ou sociales de chacun, mais aussi les croyances religieuses ou idéo-logiques. Dans toutes ces appartenances, il y a des différences. Parfois elles semblent petites voire infimes, d’autres fois elles semblent importantes mais ceci est une illusion d’optique, ce qui fait que ces différences sont petites ou grandes est souvent l’importance qu’on leur donne. Lors de la rencontre, ces différences peuvent apparaître comme secondaires aux yeux de l’homme et/ou de la femme, mais lors d’un moment de crise ou d’un moment jugé comme signifiant pour l’un ou l’autre ou par exemple au moment d’une séparation ou d’un divorce, ces différences deviennent très grandes car elles sont investies comme telles par les deux personnes engagées dans un moment différent de la relation. De même ces différences peuvent être vues 44

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comme importantes par l’entourage, alors que le couple peut négocier jusqu’au moment où le regard des autres devient significatif pour l’un ou l’autre. Il ne s’agit pas seulement de différences anthropologiques ou religieuses mais de représentations ontologiques, étiologiques ou de manières de faire qui constituent le système de sens porté par des êtres et donc remaniés par des sentiments et des conflits. Le prénom des enfants est souvent le théâtre de ces discussions et de ces peurs de l’autre ou de la manière de voir l’autre.

Le choix du prénom

Faut-il donner un prénom maghrébin lorsque l’enfant naît dans un couple mixte franco-maghrébin par exemple ? La question se pose d’abord dans le désir des parents mais ensuite les parents vont y intégrer le regard social qui peut être stigmatisant. Avoir un prénom du Maghreb peut être en France encore aujourd’hui stigmatisant, surtout pour les garçons. Des études (Fine et Ouellette, 2005) faites sur les noms et prénoms donnés en France et au Québec montrent que malgré « l’ouverture du marché des prénoms » peu de Français inscrits dans une tradition familiale chrétienne puisent dans le registre des prénoms français connotés comme musulmans et peu de musulmans de naissance choisissent pour leurs enfants des prénoms chrétiens. Alors la question se pose forcément dans un couple mixte, où chacun peut être de tradition différente, par exemple catholique et musulmane, même non croyant ; il s’agit ici d’appartenance religieuse au sens large. Et depuis la réforme des noms de 2005 en France, la question se pose aussi pour les noms : quel nom donner à l’enfant ? Celui du père ? De la mère ? Des deux ? Avec lequel en premier ? Toutes ces questions se posent maintenant dans les couples mixtes en fonction de la législation des noms de famille. Cette possibilité de choisir entre le nom du père et de la mère ou de les associer existe aussi au Québec. Les couples mixtes, encore plus que les autres, sont confrontés à cette décision quant au prénom et au nom de l’enfant, sachant l’importance de l’acte de nomination pour définir l’enfant en tant qu’être sexué et appartenant à une famille et à un groupe.

Circoncire ou pas ?

Il est d’autres moments où des conflits peuvent apparaître, par exemple autour de la circoncision. Elle peut être importante et non négociable pour les hommes musulmans ou juifs, mais peut être perçue comme une pratique mutilante par les femmes non musulmanes ou non juives. Comment faire alors pour que l’enfant soit à la fois inscrit dans son monde d’appartenance et dans sa filiation aussi bien maternelle que paternelle ? Comment faire pour que les deux parents se sentent 45

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parent de cet enfant-là, de ce garçon ? Comprendre et négocier mais comment, quand on sent le corps de son enfant menacé par la culture de l’autre ? Il importe d’avoir envisagé ces questions avant même la naissance de l’enfant pour ne pas choisir dans l’émotion et dans des moments de fragilité, pour que chacun soit prêt. Mais il faut savoir que la culture de l’autre est toujours perçue comme violente et que souvent ces questions ne deviennent conflictuelles que quand le bébé est là, avant, elles paraissent totalement abstraites. Si on sait, si on a discuté et négocié avant, on est tout de même mieux préparé pour choisir et éventuellement choisir une stratégie métissée qui tente de prendre des deux. Forcément, ce sera asymétrique : le garçon est circoncis ou il ne l’est pas ! Mais les conditions et les modalités peuvent être discutées.

S’expatrier ou avoir une nounou d’ailleursIl est bien d’autres situations de métissages au sens où nous l’entendons : les enfants de familles expatriées qui traversent des univers culturellement, socialement, linguistiquement différents doivent aussi faire un travail de lien, même si leurs parents tentent souvent de maintenir du même et du familier. Ici les métissages concernent plus les enfants que les parents, dans la mesure où les parents restent habités par des représentations et des images qui appartiennent au monde d’où ils viennent. Cependant, les bébés vont être parfois confiés à des nounous du pays où vit la famille, nounous qui elles, peuvent avoir des représentations différentes de comment on doit faire avec un bébé, de quels sont ses besoins et comment on le calme ou on le soigne. Ceci est rarement étudié, de même que le rôle en France des nounous de culture différente des mères l’est peu. On considère implicitement que la nounou ne transmet pas sa culture en même temps que les soins du quotidien. Or, elle transmet par la langue, ou même sans parler la langue, par les soins au quotidien, par sa manière de faire avec le bébé, toute une vision du monde et du bébé dans ce monde. Elle établit avec lui des interactions selon un style qui façonne le bébé d’une manière différente de celle de sa mère. Le bébé intègre alors les deux styles et prend dans chacun des systèmes interactifs ce qu’il peut prendre, il se métisse en général harmonieusement. Parfois, il y a des hiatus ou des contradictions. La nounou ne transmet pas seulement des valeurs et des modalités culturelles, elle les transmet dans un climat affectif qui lui aussi importe beaucoup. Je me souviens de ce bébé de neuf mois gardé en France par une nounou portugaise. Ce bébé présentait une dépression suffisamment intense pour que ses parents constatent un changement brutal du comportement du bébé et un repli. Rien ne semblait expliquer cette dépression qui ne prit 46

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sens que lorsque j’appris que la nounou venait de perdre sa mère et se sentait profondément triste. Une exploration plus fine montra que la nounou avait investi ce bébé comme un confident à qui elle pouvait dire et chanter sa détresse et son deuil. Au-delà de ces situations particulières, les bébés portés par des nounous du monde où on est expatrié vivent des expériences de métissages qui les relient à ce monde où ils ont grandi. Ils sont reliés à lui par l’affect et le sensoriel, parfois aussi par les mots de la nounou. Mais l’attachement à la nounou et par là même à ces appartenances se situe en deçà des mots, le plus souvent.

Diversité des constellations familialesIl existe aussi des familles homoparentales, le plus souvent des mères seules, mais maintenant parfois des pères seuls aussi qui doivent négocier avec leurs propres représentations de ce que sont une famille et des besoins des enfants. Ici, la mère seule doit jouer les rôles de mère et de père, ce qui suppose qu’elle modifie aussi ses propres représentations pour assumer ces fonctions et s’aider de l’entourage pour les assumer.

De plus en plus dans nos sociétés, rejoignant par là d’autres sociétés dites traditionnelles, la procréation et la filiation sont dissociées du fait des nouvelles filiations ou des nouvelles constellations familiales : les enfants nés par procréation médicalement assistée (PMA), les enfants de couples homoparentaux… Autant de situations qui nous rappellent ce que l’anthropologie dit avec vigueur (Cadoret, 2002) : que la parenté est d’abord culturelle et pas seulement biologique. Le culturel prévaut sur le biologique et lui donne sens. Dans ces situations, les bébés sont accueillis dans une famille qui doit faire un travail de tissage, relier cet enfant à la famille et au groupe par les sentiments et les représentations, et pas seulement par ce qui serait naturel car issu du biologique, qui serait donné et s’imposerait à nous. Ces nouvelles filiations ont non seulement montré que procréation et filiation pouvaient se dissocier dans notre monde contemporain, mais elles ont entraîné aussi des modifications de la notion de père et de mère. Eux aussi sont des enfants d’aujourd’hui et de demain et transforment les parents et la parentalité.

Parentés choisiesIl est beaucoup d’autres situations où les bébés viennent d’un autre monde que celui de leurs parents : les bébés de l’adoption 47

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internationale par exemple, les parentés choisies comme les appelle Agnès Fine (1998). Au travers de la grossesse et des premières empreintes linguistiques et sensorielles, les enfants ont vécu une première expérience affective et culturelle primordiale, dans la mesure où elle initie la vie de l’enfant. L’enfant est ensuite séparé de sa mère plus ou moins vite et dans des conditions qui peuvent être violentes. Il peut ensuite être placé dans une institution puis rejoindre un nouveau pays et une nouvelle famille. Ici c’est le bébé qui fait le voyage et qui se métisse tout en gardant à l’intérieur de lui des traces de ces premiers moments et de ce premier monde, parfois aussi de ces premiers traumas. Ici seul le bébé est porteur de ces premières traces culturelles dont on connaît mal le devenir, car cela a été peu étudié sauf par quelques études américaines en cours qui se sont intéressées à ces premières empreintes culturelles pour voir si leur soutien pouvait favoriser le développement des enfants5. Mais peu d’études peuvent nous permettre de répondre à cette question chez les bébés ; chez les enfants nous savons que le travail de construction identitaire est favorisé par le fait qu’ils peuvent s’identifier à d’autres membres de leur communauté d’origine. Que devient dans l’adoption internationale la mémoire généalogique de la famille de naissance ? Comment construit-on une nouvelle parenté en gardant, si c’est nécessaire à l’enfant, la mémoire des origines ? L’enfant adopté a besoin de se construire une histoire qui intègre cette multiplicité culturelle. Il est sans nul doute d’ici mais avec une histoire qui a commencé là-bas.

Et restent toujours, quelles que soient les situations de ces enfants qui ont traversé plusieurs langues, des traces qu’il convient de valoriser pour que les enfants se construisent avec cela et pas contre.

5 Une étude est en cours menée sous ma direction et coordonnée par A. Harf, C. Mestre

et S. Skandrani à la consultation « adoption internationale » de la Maison des adolescents-Maison de Solenn de l’Hôpital Cochin à Paris.

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Dans cette réalité où différents niveaux interagissent entre eux, la dimension psychologique a une place spécifi que en termes de prévention et de soins. La prévention, en effet, commence dès la grossesse, il faut aider les mères en diffi culté à penser leur bébé à naître, à l’investir, à l’accueillir malgré la solitude dans laquelle elles vivent, solitude sociale mais plus encore existentielle. La culture partagée permet d’anticiper ce qui va se passer, de le penser, de se protéger. Elle sert de support pour construire une place à l’enfant à venir. Les avatars de cette construction du lien parents-enfant trouvent dans l’expérience du groupe social des noyaux de sens qui, dans la migration, sont beaucoup plus diffi ciles à appréhender. Les seuls points fi xes sont alors le corps et le psychisme individuel, tout le reste devient mouvant et précaire. Pour les autres, les femmes autochtones en rupture sociale, tout aussi isolées, elles se retrouvent, elles aussi, seules pour faire tout le travail d’humanisation du bébé, propre à toute naissance - l’enfant est un étranger qu’il faut apprendre à connaître et à reconnaître.

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1. Mettre des traducteurs pour se comprendreLors de la période périnatale, les ajustements sont nécessaires entre la mère et le bébé mais aussi entre le mari et la femme. Les dysfonctionnements sont possibles, parfois inévitables, mais souvent transitoires si on intervient suffisamment tôt. Pour cela, il faut déceler sous des traductions somatiques ou fonctionnelle, des demandes parfois difficiles à formuler car on ne sait pas à qui les adresser et comment on doit le faire. Il faut donc apprendre à reconnaître le désarroi et le doute des mères migrantes à travers des petites choses (plaintes somatiques, plaintes par rapport au bébé, demandes d’aide sociale, vomissements gravidiques plus fréquents chez les femmes isolées…). Il faut surtout leur permettre de le dire dans leur langue en mettant des traducteurs dans toutes nos consultations, et par l’intermédiaire d’autres femmes de la communauté quand nous pouvons identifier des femmes médiatrices là où nous travaillons. Travailler avec des traducteurs coûte beaucoup moins cher que faire des consultations inefficaces ou prescrire des médicaments mal adaptés. Se comprendre est la base d’un accueil et d’une médecine humanistes et humains.

2. Trouver des commères pour faire grandir son enfantPour soutenir la fonction parentale, nous devons donc devenir des commères, des « mères avec », et soutenir les mères dans leurs propres manières de faire pour qu’elles construisent leur propre métissage entre les manières d’ici et de là-bas. Avant d’être des médecins, des sages-femmes ou des infirmières, nous devons d’abord être des commères.

3. Où faire cette prévention ?La prévention précoce se situe dès le début de la vie, dans les centres de Protection Maternelle et Infantile (PMI), les services de maternité et de pédiatrie, dans les lieux d’accueil des tout-petits, dans les cabinets des médecins de famille, dans les lieux de neuropsychiatrie infantile... Cette prévention en période périnatale est essentielle car cette période est cruciale pour le développement du bébé, c’est aussi, à ce moment-là, que se construit la place de l’enfant dans la famille. Prévention certes, mais soins aussi. Les difficultés quotidiennes avec les familles migrantes, ou les familles socialement défavorisées, et leurs enfants, nous contraignent à modifier notre technique de soins psychologiques et notre théorie pour les adapter à ces nouvelles situations cliniques de plus en plus complexes - nos manières de faire, mais aussi nos modes de pensée. Il s’agit alors de modifier son propre cadre pour accueillir de manière adaptée ces enfants et leurs parents, ou de passer le relais à une consultation spécialisée, s’il y a lieu, dans le cadre d’un réseau 52

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qui permet des liens et des allers-retours entre des lieux de prévention et de soins dans une complémentarité nécessaire. Leur donner envie de se métisser en les acceptant avec leurs richesses culturelles et leurs histoires.

4. Prendre en charge et quand c’est nécessaire, adresser à des dispositifs transculturels spécialisés. Quand et comment ?Les familles migrantes et leurs enfants doivent être pris en charge dans les dispositifs de soins habituels, consultations publiques et privées, hôpitaux ou cliniques avec des professionnels sensibilisés à cette diversité culturelle et qui font en sorte que cette multiplicité ne les empêche pas de bien s’occuper des familles d’où qu’elles viennent. Et pour cela, il faut s’assurer qu’on se comprend bien en utilisant chaque fois que nécessaire des interprètes et en s’assurant qu’au-delà des questions linguistiques, niveau essentiel au demeurant, les informations sont bien transmises dans les deux sens entre le patient et le médecin. Plus les professionnels seront culturellement sensibles, plus ce niveau-là sera suffisant et moins la diversité culturelle sera un obstacle pour bien accueillir et soigner.

On fait appel à des lieux transculturels de deuxième intention quand, soit les patients, soit les professionnels, pensent que la question culturelle fait obstacle à l’alliance ou à la mise en place d’une prise en charge efficace. Si le patient utilise des théories culturelles ou des manières de faire avec lesquelles on n’est pas familier. La consultation transculturelle peut être également une indication dans le cas où la mère a subi un traumatisme grave juste avant ou lors de la grossesse (trauma de guerre, ou lié à la migration) ; les interactions mère-enfant sont alors perturbées et l’on peut craindre avec raison une transmission traumatique. On vient alors avec le patient et sa famille dans un dispositif transculturel pour faire une évaluation et voir si en introduisant les aspects culturels, on comprend la situation autrement et on est plus efficace. La question ne doit pas être seulement linguistique car sinon, il suffit de prendre un traducteur, mais culturelle (au niveau des représentations et des manières de faire). La consultation transculturelle va travailler sur le niveau de l’être, du sens et du faire tels que le patient et sa famille les envisagent. Cette prise en charge transculturelle se fera en plus d’une prise en charge individuelle : cela permettra de reprendre ce qui est compris en consultation transculturelle. La consultation transculturelle s’adresse à l’ensemble de la famille. Elle se fait en général en présence d’un traducteur qui fait partie de la consultation spécialisée. Les consultations sont en général longues, autour d’une heure trente, et se font en présence d’un groupe de plusieurs co-thérapeutes expérimentés en clinique transculturelle et polyglottes. 53

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QUeLQUeS LIeUx TRAnSCULTUReLS PARenTS-jeUneS enfAnTS en RégIOn PARISIenne

Paris

Hôpital Cochin, Consultation transculturelle Maison des Adolescents - Responsable, Pr Marie Rose Moro Maison de Solenn Consultation pour tous les enfants, les adolescents et leurs familles Consultations les mardis et mercredis Mail : [email protected] Tél : 01 58 41 28 02 Site : www.maisondesolenn.fr

Consultation transculturelle Responsable, Yoram Mouchenik de Ste-Anne Consultations les jeudis après-midi Tél : 01 45 65 81 23

Consultation transculturelle Responsable, Kouakou Kouassi du 18e arrondissement Consultations adultes Consultations les mardis 258, rue Marcadet. 75018 Paris Pour les Rdv, prendre contact avec le secrétariat (Valérie Roche Quideau): CMP 40 rue Ordener 75018 Paris (Service du Dr Annie Msellati) Tél : 01 42 59 83 40

Consultation transculturelle Responsable, Kouakou Kouassi du 19e arrondissement Consultations un jeudi sur deux CMP Infanto-Juvénile (Service du Dr Catherine Zittoun) 18-25, rue Goubet 75019 Paris. Tél : 01 42 00 30 26

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Bobigny - 93

Hôpital Avicenne, Consultation transculturelle Service de psychopathologie Responsables, Pr Marie Rose Moro de l’enfant et de l’adolescent et Pr Thierry Baubet Consultations les mercredis et vendredis Mail : [email protected] Tél : 01 48 95 54 74 Site : www.clinique-transculturelle.org

Bondy - 93

Maternité de Jean Verdier Responsable, Pr Thierry Baubet Consultation destinée aux patientes de la maternité Consultations les mardis

Asnières - 92

Consultation transculturelle Responsable, Yoram Mouchenik Consultations le 4e jeudi matin du mois Tél : 01 41 32 24 10

Créteil - 94

Consultation Responsable, Darius Eros ethnopsychiatrie CHI Créteil parent-enfant Service de psychopatologie de l’enfant et de l’adolescent (Dr J. Sarfati) CATTP Le Petit Moulin 40, avenue de Verdun. Créteil Consultations le mercredi matin Tél secrétariat (M. Pigache) : 01 45 17 59 01

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en PROvInCe

Bordeaux

Association Mana Responsable, Dr Claire Mestre Hôpital St André Tél : 05 56 79 57 14 Mail : [email protected]

Marseille

Association Séréna Professionnels formés à la clinique transculturelle : Dr I. Hénin et .M Géry Consultations ambulatoires pour enfants, adolescents et leur famille. Accueil familial ou individuel CMPP, 25, rue des trois mages 13006 Marseille Tél : 04 96 12 14 20

IMAJE Santé Sylvie Dutertre et Franck Descombas Psychologues cliniciens Mail : [email protected] Tél : 06 16 27 17 19 35, rue Estelle 13001 Marseille Tél : 04 91 13 71 87 Site : http://www.imajesante.fr transculturalite-des-actions.php

QUeLQUeS LIeUx TRAnSCULTUReLS PARenTS-jeUneS enfAnTS

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Dole

Pédiatrie, Responsable, Dr Jonathan Ahovi Maison des adolescents Centre Hospitalier Louis Pasteur Consultations le jeudi matin Avenue Léon Jouhaux BP79 - 39100 Dole Mail : [email protected] Tél : 06 84 37 78 02

Clermont Ferrand

Cabinet Responsables, Drs Hélène Asensi et Christian Lachal 17, rue des Minimes 63000 Clermont-Ferrand Tél : 04 73 19 23 90 Centre 26, rue de la Garde Médico-Psychologique 63110 Beaumont Consultation Tél : 04 73 15 21 45 d’Ethnopsychiatrie

eT AUSSI en SUISSe, en BeLgIQUe, AUx PAyS BAS, AU CAnADA...Pour plus d’informations, cf. www.clinique-transculturelle.org

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Bibliographie

T. Baubet, M.R. Moro (Eds) Psychopathologie transculturelle. Paris : Masson ; 2009.

A. Cadoret Des parents comme les autres. Homosexualité et parenté. Paris : Odile Jacob ; 2002.

A. Fine Adoptions, ethnologie des parentés choisies. Paris : Maison des sciences de l’homme ; 1998.

A. Fine et FR Ouellette Adoptions, ethnologie des parentés choisies. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail ; 2005

S. Lallemand, O. Journet Ewombé-Moundo E. et Al. Grossesse et petite enfance en Afrique Noire et à Madagascar. Paris : L’Harmattan ; 1991.

S. Lebovici Le nourrisson, la mère et le psychanalyste. Les interactions précoces. Paris : Le Centurion ; 1983.

M. Mauss (1934) Les techniques du corps. In : Sociologie et anthropologie. Paris : P.U.F. ; 1950, 365-88.

M. Mead Mœurs et sexualité en Océanie (trad. fr.). Paris : Plon ; 1963.

M.R. Moro Parents en exil. Paris : PUF ; 1994.Moro M.R. Nos enfants demain. Pour une société multiculturelle. Paris : O Jacob ; 2010.

M.R. Moro Aimer ses enfants ici et ailleurs. Histoires transculturelles. Paris : Odile Jacob ; 2007. Moro M.R., Neuman D., Réal I (Eds), 58

POUR en SAvOIR PLUS

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Maternités en exil. Mettre des bébés au monde et les faire grandir en situationtransculturelle. Grenoble : La Pensée sauvage ; 2008.

J. Rabain (1979) L’enfant du lignage. Du sevrage à l’intégration à la classe d’âge chez les Wolof du Sénégal. Paris : Payot-Rivages ; 1994.

H. Stork Enfances indiennes. Etude de psychologie transculturelle et comparée du jeune enfant. Paris : Paidos/Le Centurion ; 1986.

S. Touhami La part de l’œil. Une ethnologie du Maghreb de France. Paris : Editions du CTHS ; 2010.

D.W. Winnicott (1935-1963) De la pédiatrie à la psychanalyse (trad. fr.). Paris : Payot ; 1975.

filmographie

Laurence Petit-Jouvet « J’ai rêvé d’une grande étendue d’eau », Abecaris Films, 2008. www.abacaris-films.fr

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1 COMMenT Se fABRIQUenT LeS PARenTS ? 7 • Comment avoir de beaux bébés

2 LeS MALenTenDUS CULTUReLS PenDAnT LA gROSSeSSe eT L’ACCOUCheMenT 11 • Ne pas faire mal à la future mère. L’histoire de Medina

3 IMPORTAnCe DeS PReMIèReS InTeRACTIOnS MèRe-BéBé 17 • Un berceau plein d’histoires • Un berceau plein de culture • Ici, des bébés très regardés et à qui on parle comme à des grands • Protéger les bébés du regard • Bébés au beurre, bébés à l’huile, bébés au curry ou au piment...

4 Se SéPAReR OU Se RéUnIR D’ABORD ? 23

5 effeTS De CeS vARIATIOnS CULTUReLLeS SUR Le DéveLOPPeMenT DeS BéBéS 27 • Bébés durs, bébés mous • Des bébés portés et massés • Aller au-delà des apparences • Les pères afghans aussi

6 IMPORTAnCe De LA LAngUe De SA MèRe 35

TABLe DeSMATIeReS

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7 QUe Se PASSe-T-IL ALORS en SITUATIOn D’exIL, De vOyAge OU De MéTISSAge ? 37 • L’être, le sens et le faire • Le doute et le manque

8 LeS BéBéS De L’ADOPTIOn InTeRnATIOnALe, DeS COUPLeS MIxTeS, LeS BéBéS QUI S’exPATRIenT, LeS BéBéS QUI OnT DeS nOUnOUS D’AILLeURS eT TOUS LeS BéBéS QUI TRAveRSenT DeS MOnDeS 43 • Les bébés des couples mixtes • S’expatrier ou avoir une nounou d’ailleurs • Diversité des constellations familiales • Parentés choisies

9 en PRATIQUe : POUR Une PRévenTIOn PRéCOCe DeS DIffICULTéS De LA PARenTALITé eT De LA MISe en PLACe DeS InTeRACTIOnS PRéCOCeS PARenTS-BéBéS 51 • 1. Mettre des traducteurs pour se comprendre • 2. Trouver des commères pour faire grandir son enfant • 3. Où faire cette prévention ? • 4. Prendre en charge et quand c’est nécessaire, adresser à des dispositifs transculturels spécialisés

QUeLQUeS LIeUx TRAnSCULTUReLS PARenTS-jeUneS enfAnTS 55 POUR en SAvOIR PLUS 59

1 COMMenT Se fABRIQUenT LeS PARenTS ? 7 • Comment avoir de beaux bébés

2 LeS MALenTenDUS CULTUReLS PenDAnT LA gROSSeSSe eT L’ACCOUCheMenT 11 • Ne pas faire mal à la future mère. L’histoire de Medina

3 IMPORTAnCe DeS PReMIèReS InTeRACTIOnS MèRe-BéBé 17 • Un berceau plein d’histoires • Un berceau plein de culture • Ici, des bébés très regardés et à qui on parle comme à des grands • Protéger les bébés du regard • Bébés au beurre, bébés à l’huile, bébés au curry ou au piment...

4 Se SéPAReR OU Se RéUnIR D’ABORD ? 23

5 effeTS De CeS vARIATIOnS CULTUReLLeS SUR Le DéveLOPPeMenT DeS BéBéS 27 • Bébés durs, bébés mous • Des bébés portés et massés • Aller au-delà des apparences • Les pères afghans aussi

6 IMPORTAnCe De LA LAngUe De SA MèRe 35

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Edition Fondation Mustela10, avenue de l’Arche

92400 Courbevoie

Tel. 01.43.34.65.04

www.fondationmustela.com

octobre 2011

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Design graphique

La Maisonwww.lamaison.fr

Imprimé par Caractère

sur papier issu de forêts

gérées durablement.

PEFC/10-31-945

Edition Fondation Mustela10, avenue de l’Arche

92400 Courbevoie

Tel. 01.43.34.65.04

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octobre 2011

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Aider les parents et les bébésd’où qu’ils viennent

Marie Rose Moro

Marie Rose Moro

Il y a mille et une manières de bien s’occuper des bébés de par le monde.

Ce livre, destiné à tous les professionnels et les curieux, veut aider

chacun à mieux comprendre, mieux accueillir, mieux soigner les migrants,

d’où qu’ils viennent, et leurs bébés.

Il plaide pour une prévention et une clinique précoce adaptées à tous les

bébés qui ne grandissent pas dans le même monde que leurs parents

(migrants, couples mixtes, adoptions internationales...). Pour ainsi mieux agir dans notre société avec toute sa

diversité sociale et culturelle.

Aider les parents et les bébésd’où qu’ils viennent

MILLE ETUNE FACONS

DE BIENS’OCCUPERDES BEBES

MILLE ETUNE FACONS

DE BIENS’OCCUPERDES BEBES

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