noblement drapées des pasteurs...

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Vêtements et coiffures du Rwanda: quelles traditions? Une mode néotraditionnelle Les fonctionnaires coloniaux, les missionnaires, les voyageurs qui parcourent le Rwanda dans les années 1930 sont fascinés par la prestance et les vêtements des chefs tutsi. Ils sont d'autant plus fascinés que les tenues vestimentaires des hommes, les hautes coiffures des femmes semblent à leurs yeux corroborer les théories raciales dont ils sont imbus: les Tutsi ne sont décidément pas tout à fait des Africains: ils sont venus d'Ethiopie, d'Egypte, de plus loin peut-être. Ils en ont la preuve sous les yeux dans les « toges » noblement drapées des pasteurs tutsi. Or ces tenues « éthiopiennes » voire « égyptiennes », ces coiffures des femmes « à la Nefertiti » sont de date toute récente. Elles n'ont rien à voir avec les vêtements traditionnels qui, comme on le verra, sont faits de peau et d'écorce de ficus. La diffusion des cotonnades blanches est assurée par les Européens et on doit se demander quel a été leur rôle, et surtout celui des missionnaires, dans l'adoption par les Rwandais d'une mode vestimentaire manifestement inspirée par l'idéologie hamitique. Aux mythiques sources du Nil, les Européens habillaient les « indigène » à l'image de leurs fantasmes. On aimerait que des chercheurs se penchent sur la question.

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Vêtements et coiffures du Rwanda: quelles traditions?

Une mode néotraditionnelle

Les fonctionnaires coloniaux, les missionnaires, les voyageurs qui

parcourent le Rwanda dans les années 1930 sont fascinés par la

prestance et les vêtements des chefs tutsi. Ils sont d'autant plus

fascinés que les tenues vestimentaires des hommes, les hautes

coiffures des femmes semblent à leurs yeux corroborer les

théories raciales dont ils sont imbus: les Tutsi ne sont décidément

pas tout à fait des Africains: ils sont venus d'Ethiopie, d'Egypte, de

plus loin peut-être. Ils en ont la preuve sous les yeux dans les «

toges » noblement drapées des pasteurs tutsi.

Or ces tenues « éthiopiennes » voire « égyptiennes », ces

coiffures des femmes « à la Nefertiti » sont de date toute récente.

Elles n'ont rien à voir avec les vêtements traditionnels qui, comme

on le verra, sont faits de peau et d'écorce de ficus.

La diffusion des cotonnades blanches est assurée par les

Européens et on doit se demander quel a été leur rôle, et surtout

celui des missionnaires, dans l'adoption par les Rwandais d'une

mode vestimentaire manifestement inspirée par l'idéologie

hamitique.

Aux mythiques sources du Nil, les Européens habillaient les «

indigène » à l'image de leurs fantasmes.

On aimerait que des chercheurs se penchent sur la question.

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Le roi Mutara et la reine Nyiramakomari Photo revue Grands Lacs 1939

Voici à titre d'exemple quelques descriptions dues à des missionnaires ou

à des voyageurs.

Dans le numéro de mars 1936 de la revue GRANDS LACS revue

mensuelle des missionnaires d'Afrique, n° spécial Urundi, ( p.

439), le chanoine de Decker, alors professeur au grand séminaire

de Kabgayi, décrit parmi la foule qui assiste à la cérémonie de

baptême du 21 décembre 1935 (1100 adultes baptisés, 200

enfants!), quelques chefs tutsi. Le drapé des pagnes et les

coiffures amasunzu, tout lui rappelle l'Egypte des pharaons.

D'où son enthousiasme!

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Certains types de batutsi, des chefs surtout sont d'une

impressionnantes majesté. Grands, élancés, impassibles, la

taille toute entière drapée d'étoffe claire aux larges plis

tombants, ne croirait-on pas retrouver des frères de l'antique

Tou Tank Amon! (...)Le visage ovale de face, de profil

triangulaire qu'on ne croirait pas noir, sans compter ces grands

yeux aux pupilles ardentes, qui vous regardent insistants et

limpides. Et puis encore cette coiffe fantastique et altière,

dressée en minces lames divergentes, que sépare les reluis

impeccable d'une peau fraîchement rasée.

Toujours dans la même revue, celle en date du 15 mars 1938, le

docteur Burkhart Wladecker, docteur en philosophie et

explorateur, décrit lui aussi à une cérémonie de baptême (324

adultes), le 25 septembre 1937 à Kabgayi. Pour lui, le vêtement

des Tutsi est nettement éthiopien! (p. 333)

Les Batutsi, de taille étonnement haute, accentuée par leurs

haute coiffure « amasunzu » stylisée en forme de croissant, se

meuvent dans leurs longues toge, où brillent de grandes étoiles

rouges. Cet ensemble évoque puissamment le costume éthiopien.

La reine-mère Nyiramavugo Ph. Grands Lacs, 1 juillet 1939

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Ici avec le chanoine de Lacger Ph. Grands Lacs, 1 juillet 1939

Julien Vanhove qui visite le Rwanda peu avant la seconde guerre

mondiale et publie en 1943 un ouvrage intitulé Regards sur

notre Congo se croit lui aussi transporté dans l'Egypte des

Pharaons.

Nombreuses sont d'ailleurs les choses qui me font songer ici au

temps des pharaons: la finesse des profils, parfois allongés

d'une courte barbe qui rappelle le postiche ornant le menton des

rois d'Egypte, les longues cannes sur lesquelles les batutsi

s'appuient, le bras tendu, ce qui leur donne un air de majesté

souveraine, mais surtout cet amour de la vache qui s'est

hypertrophié dans l'institution des inyambo.

Cité par Jacques Delforge, Le Rwanda tels qu'ils l'ont vu,

L'Harmattan, 2008, p. 57-58.

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Une coiffure néotraditionelle "à l'égyptienne" Ph. Grands Lacs, 15 avril 1938

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"Le type physique des batutsis se rapproche singulièrement de celui des anciens

égyptiens. Tel profil de chef rappelle de façon troublante le momie de Sésostris." Pierre Ryckmans, gouverneur général du Congo Belge.

Grands Lacs, mars 1936 (légende originale)

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Les vêtements avant l'arrivée des Européens

Les vêtements que portaient les anciens Rwandais étaient soit

faits de peaux d'animal ( antilope, léopard, vache, chèvre etc.)

soit constitué d'étoffes de obtenues à partir de l'écorce de ficus.

Les premiers voyageurs donnent de nombreuses descriptions de

ces vêtements en particulier de ceux que l'on portait à la cour

royale. La rencontre avec le roi, le mwami, ou avec celui qu'on

leur a présenté comme tel, constitue certainement pour ces

voyageurs l'un des moments forts de leur périple.

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Ph. Grands Lacs, 1 juillet 1939

MAI 1884, VON GÖTZEN ET KIGERI RWABUGIRI

Le premier, en mai 1884, le comte von Götzen est mis en

présence du mwami Kigeri Rwabugiri. Cela nous vaut une

description des vêtements portés à la cour:

Le vêtement de ces géants, qui d'ailleurs caractérise tout le

Rouanda, consiste en une seule pièce: c'est une longue bande de

peau de chèvre, rendue merveilleusement fine et moelleuse par

le travail du tanneur; elle passe deux fois autour des hanches, et

laisse tomber en avant , presque jusqu'à terre, plusieurs cordons

bruns et blancs. Le tablier couvrant les hanches que portait le

roi était presque tout entier brodé de perles blanches, rouges et

bleues, combinées et assorties avec beaucoup de goût. Ce

costume était complété par des amulettes autour du cou, et par

d'innombrables bracelets finement tressés aux poignets et aux

chevilles. La chevelure était entièrement rasée presque toute

entière; il ne restait sur le sommet de la tête qu'une touffe en

forme de bourrelet, semblable à la chenille des anciens casques

bavarois.

(Jacques Delforge, op.cit, P. 184, la traduction est extraite du

livre Le Tour du Monde, tome III, janvier 1897)

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15 JUIN 1898: RICHARD KANDT ET LE FAUX MUSINGA

Richard Kandt dirige en 1897-1898 une expédition pour percer

le mystère des sources du Nil. Doit-on les chercher en remontant

la Ruvubu ou la Nyabarongo? Il faut pour cela comparer le débit

des deux fleuves. Le plus gros conduira à la source du Nil.

Kandt reconnaîtra les rivages du lac Kivu. Le compte rendu de

son expédition paraîtra sous forme de lettre avec le titre de

Caput Nili.

Richard Kandt est un personnage tout à fait extraordinaire.

Docteur en médecine,linguiste, admirateur de Nietzsche qu'il lit

au campement, il sera nommé Résident à Kigali en 1907 et le

restera jusqu'en 1913. Gravement blessé durant la Grande

Guerre, il meurt en 1918.

Son livre Caput Nili mériterait d'être traduit et édité et sa

biographie constituerait sans nul doute un passionnant roman

d'aventures.

La maison de Richard Kandt existe toujours à Kigali (rue de la

Justice) et abrite le Musée d'histoire naturelle. Une partie est

toutefois consacrée à Richard Kandt.

J'étais stupéfait car d'après ce que j'avais entendu Juhi (Yuhi)

devait être un jeune homme d'environ 16 ans, mais celui que je

voyais à côté de moi était un homme d'une quarantaine d'années.

Il avait les yeux fermés, l'air endormi. Sa peau avait le teint de

cuivre. Mais il portait l'insigne royal: un bandeau de 20

centimètres de large, orné de lignes dentelées de perles roses.

Des bords supérieurs du bandeau partait une crinière soyeuse

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qui retombait sur l'arrière de la tête. Au bas du bandeau, il y

avait une quinzaine de lacets finement ornés de perles blanches

et rouges, se terminant par des glands longs et larges comme un

doigt et qui cachaient la figure jusqu'à la lèvre supérieure.

Pour tout vêtement, il portait une peau finement tannée, plus

bas que la taille, repliée à sa partie supérieure, avec une

centaine de petits morceaux cousus ensemble qui formaient un

ornement en ligne. A la partie inférieure pendaient une

vingtaine de lanières, en peau de serpent sans doute. Des

colliers de perles enserraient sa taille et dix à qinze ronds

tressés avec des herbes et ornés de trois perles blanches

pendaient au-dessus. Un collier de perles fines ornait son cou et

toutes une série d'amulettes lui couvrait la poitrine. Les

amulettes faisaient penser à de petites bouteilles et étaient

recouvertes de perles qui faisaient un dessin en zigzag. A

chaque bras, il portait 150 à 200 anneaux de fil de laiton ou de

cuivre dont la plupart portaient une grande perle bleue ou de

petites clochettes de même métal. Ils étaient presque tous en fer

ce qui explique la démarche lourde, décrite précédemment.

Caput Nili, Lettre XXIII

in Etudes Rwandaises, Université Nationale du Rwanda vol.XIV,

octobre 198O, (traduction, Bernard Lugan).

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2 FEVRIER 1900: LA VISITE DE MGR. HIRTH A NYANZA

Le 2 février 1900, la caravane de monseigneur Hirth parvient à

Nyanza, résidence royale. Il espère y établir une mission, ce qui

lui sera refusé. Le jour même de son arrivée, il est mis en

présence d'un personnage qu'on lui présente comme Yuhi

Musinga mais qui n'est encore une fois qu'un figurant et

l'accueil apparemment cordial et empressé cache toutes les

réticences.

Le père Brard, futur fondateur de Save, en fait la description

suivante:

Le jour même de notre arrivée, le roi, qui a l'habitude de laisser

faire antichambre plusieurs jour à ses visiteurs, voulut nous

recevoir, et il s'abaissa jusqu'à venir en personne. Il était

entouré de plusieurs milliers de sujets. Vêtu comme dans les

grandes cérémonies, la tête couverte d'un bonnet d'un bonnet à

poils de colobus orné sur le devant de tresse de perles lui

voilant à demi le visage, les reins ceints d'une étroite peau de

lion, tandis que de l'épaule lui tombait, comme une riche

draperie, une magnifique peau de léopard. Yuhi fut aimable et

accueillit favorablement toutes nos propositions.

Cité par le chanoine de Lacger in Le Ruanda ancien et

moderne, GRANDS LACS, revue générale des missions

d'Afrique, 1 juillet 1939, p.79.

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Le mwami Yuhi Musinga Grands Lacs, 1 juillet 1939

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10 AOÛT 1907 LE DUC CHEZ MUSINGA

En 1907-1908, une grande expédition organisée et dirigée par le

duc Adolphe Frédéric de Mecklembourg parcourt l'Afrique des

Grands Lacs. Elle dispose de gros moyens (700 porteurs, 35

militaires askaris) et est puissamment épaulée par

l'administration coloniale. Elle comporte des scientifiques:

topographe, botaniste, géologue, météorologue.

Jan Czekanowski, polonais de nationalité russe en est

l'ethnologue et l'anthropologue. On peut le considérer comme

l'un des meilleurs observateurs du Rwanda ancien bien que

l'expédition ne séjourne au Rwanda qu'entre août et décembre

1907. Son oeuvre est malheureusement non traduite en Français.

Seule une partie de ces carnets de voyage ( la plus grande partie,

celle portant sur le Rwanda, ayant été détruit pendant

l'insurrection de Varsovie en 1944) a été publiée en français.

( Jan Czekanowski, Carnets de route au coeur de Afrique,

éditions Noir sur Blanc, traduit du polonais par Lidia Meschy)

Le duc et son expédition sont reçu à Nyanza par le mwami

Yuhi Musinga où le Résident von Grawert a d'ailleurs préparé

l'accueil. Le duc décrit avec précision les tenues vestimentaires

portée à la cour du mwami venu en personne au devant du noble

visiteur.

Tout de suite après, résonna un roulement de tambours venant

du palais. Et alors, nous vîmes un spectacle d'une rare

originalité comme on en trouve seulement loin des voies

touristiques. Deux à deux, avec un calme presque solennel, les

princes rwandais suivis de leurs fils avançaient dans toutes leur

magnificence . La chaise à porteurs de Msinga, qui venait de

quitter l'entrée de la résidence, suivait lentement. Ils portaient

tous des costumes de fêtes, les mêmes dans les quels s'étaient

montrés Nanturu et Bussissi. Le corps est nu. Seules les hanches

sont entourées d'une sorte de tablier fait de peau de boeuf,

tanné en deux pans transversaux dont les lacets en peau de

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serpent ou de boeuf pendent jusqu'aux chevilles,ces dernières

parées d'anneaux métalliques. Sur la tête, ils portent un peigne

sur lequel brille un petit collier de perles et qui va d'une oreille

à l'autre. Plusieurs lacets jaunes en fibres de bananier sur

lesquels sont fixés des bijoux de perles de grandeur différente,

appelés « imitako », descendent jusqu'à la poitrine. Sur les

poignets, ils portent des bracelets en cuivre et des perles

multicolores. C'est ainsi qu'ils avançaient avec un calme

distingué vers ma tente. Le sous-officier qui commandait

l'escorte de l'expédition ainsi que la garde du roi prirent les

armes. La chaise à porteurs du roi, une simple corbeille dont les

branches de bambou reposaient sur les épaules des Batwa, fut

descendue avec précaution et Msinga me donna la main avec

ces mots: « Je salue votre Altesse ».

Etudes Rwandaises, op. cit, p. 134.

Jan Czekanowski rédige, dans le compte rendu de

l'expédition, le chapitre consacré à l'ethnologie. Il décrit lui aussi

la rencontre avec la mwami Yuhi Musinga. Le roi, précise-t-il,

porte des vêtements d'étoffe mais qui ne sont pas drapés « en

toge » comme le sera le pagne des chefs sous le mandat belge.

Les tissus sont portés comme les peaux: une cape sur les épaules

et un pagne autour des reins;

On notera la fascination de l'observateur pour le cortège royal

lors de la visite officielle du lendemain. Jan Czekanowski,

malgré son esprit scientifique, n'échappe, pas à l'air du temps: il

est lui aussi imprégné du mythe de l'origine non-africaine des

Tutsi.

J'eus l'occasion de voir le souverain pour la première fois le 10

août 1907. Vers midi, j'arrivai avec l'expédition principale et

Musinga vint vers 15 h. rendre visite à sa Grandeur le Duc. Un

jeune homme de 197 cm. de taille, mince, bien bâti, les yeux

louches et myopes, les dents saillantes: c'était Musinga. Il avait

entouré ses épaules d'un morceau d'étoffe rouge (bendera) et

ceint ses reins d'une étoffe blanche. Cette dernière était fixée sur

la taille par une ceinture sur laquelle pendait un couteau de

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chasse. Les gens de sa suite était plus distingué que le roi lui-

même.

La visite officielle que Musinga fit le jour suivant

m'impressionna beaucoup; il vint dans son « ngobi » portant un

diadème sur la tête, il était entouré de gens solennels habillés de

« mukane » et accompagné des chants sauvages mais mélodieux

des Batwa. Ce défilé dépourvu de toute influence européenne

était d'une beauté féérique: tout était si parfait et soigné, si

distingué et élégant! La cérémonie silencieuse fut tenue avec

une exactitude et une élégance admirable. On remarqua

l'absence du style nègre ordinaire, comme je pus l'observer chez

mes porteurs qui paradaient en frac en renonçant aux pantalons.

Etudes rwandaises, op.cit. p. 168

Transport des tambours

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Le mwami Musinga bat le tambour Grands Lacs, 1 juillet 1939

1951: VÊTEMENTS ANCIENS: UN PASSE MANIPULE

En 1951, Georges Sandrarts, Résident au Rwanda de 1944

à1951, publie dans la n° 10 de la revue Panorama du monde un

article consacré au Congo belge intitulé « Une curiosité de

l'Afrique: les étranges Batutsi » . Il y expose encore une fois la

thèse de l'origine « hamite » des Tutsi, « ces pasteurs venus du

Nord ». On sait comment cette théorie pseudo-scientifique,

devenue la vulgate officielle de l'histoire du Rwanda répandue et

enseignée par l'administration coloniale et les missions servira

de base idéologique aux massacres des Tutsi perpétrés depuis

1959.

L'auteur décrit les habits de peau traditionnels qui, dans les

années 50, ont disparu, mais donne une description brève mais

intéressante des vêtements des femmes. Les habits de ficus ne

sont certes pas, comme il le prétend, réservés aux Bahutu. Ma

mère, Stéphania, se rappelait avoir eu enfant pour seul vêtement

un petite jupe en écorce de ficus, ishabure, plus courte, disait-

elle, que la mini-jupe que je portais alors. Au Burundi voisin, les

étoffes de ficus constituaient le costume national.

Ancien hôte des steppes sèches du Nord, son costume est

sommaire: il se ceint d'une large ceinture lombaire en peau,

ornée par devant de longues franges de loutre ou d'antilope.

Par temps frais, il se couvre les épaules d'un mantelet tiré d'une

peau de félin. Là où domine l'influence des cultivateurs bantous,

il a adopté l'humble pagne d'écorce battu, qu'il porte telle une

toge. La femme mariée se distingue par une ample et lourde

jupe de cuir aux tons rougeâtres, dont la ceinture recèle tout un

choix de charmes et d'amulettes destinées à lui assurer les

faveurs de l'amour et de la fécondité. La rapide et large

distribution des tissus étrangers a peu à peu porté un coup

mortel aux pittoresque vêtements de peau et d'écorce et le

Mututsi se drape orgueilleusement aujourd'hui dans d'amples

péplum ou … parade en complet veston!

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Cité par Jacques Delforge, op. cit. p. 237

Bergers

Grands Lacs, 1 juillet 1939

A suivre ... Bientôt les coiffures ...!

Scholastique Mukasonga