noblement drapées des pasteurs...
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Vêtements et coiffures du Rwanda: quelles traditions?
Une mode néotraditionnelle
Les fonctionnaires coloniaux, les missionnaires, les voyageurs qui
parcourent le Rwanda dans les années 1930 sont fascinés par la
prestance et les vêtements des chefs tutsi. Ils sont d'autant plus
fascinés que les tenues vestimentaires des hommes, les hautes
coiffures des femmes semblent à leurs yeux corroborer les
théories raciales dont ils sont imbus: les Tutsi ne sont décidément
pas tout à fait des Africains: ils sont venus d'Ethiopie, d'Egypte, de
plus loin peut-être. Ils en ont la preuve sous les yeux dans les «
toges » noblement drapées des pasteurs tutsi.
Or ces tenues « éthiopiennes » voire « égyptiennes », ces
coiffures des femmes « à la Nefertiti » sont de date toute récente.
Elles n'ont rien à voir avec les vêtements traditionnels qui, comme
on le verra, sont faits de peau et d'écorce de ficus.
La diffusion des cotonnades blanches est assurée par les
Européens et on doit se demander quel a été leur rôle, et surtout
celui des missionnaires, dans l'adoption par les Rwandais d'une
mode vestimentaire manifestement inspirée par l'idéologie
hamitique.
Aux mythiques sources du Nil, les Européens habillaient les «
indigène » à l'image de leurs fantasmes.
On aimerait que des chercheurs se penchent sur la question.
Le roi Mutara et la reine Nyiramakomari Photo revue Grands Lacs 1939
Voici à titre d'exemple quelques descriptions dues à des missionnaires ou
à des voyageurs.
Dans le numéro de mars 1936 de la revue GRANDS LACS revue
mensuelle des missionnaires d'Afrique, n° spécial Urundi, ( p.
439), le chanoine de Decker, alors professeur au grand séminaire
de Kabgayi, décrit parmi la foule qui assiste à la cérémonie de
baptême du 21 décembre 1935 (1100 adultes baptisés, 200
enfants!), quelques chefs tutsi. Le drapé des pagnes et les
coiffures amasunzu, tout lui rappelle l'Egypte des pharaons.
D'où son enthousiasme!
Certains types de batutsi, des chefs surtout sont d'une
impressionnantes majesté. Grands, élancés, impassibles, la
taille toute entière drapée d'étoffe claire aux larges plis
tombants, ne croirait-on pas retrouver des frères de l'antique
Tou Tank Amon! (...)Le visage ovale de face, de profil
triangulaire qu'on ne croirait pas noir, sans compter ces grands
yeux aux pupilles ardentes, qui vous regardent insistants et
limpides. Et puis encore cette coiffe fantastique et altière,
dressée en minces lames divergentes, que sépare les reluis
impeccable d'une peau fraîchement rasée.
Toujours dans la même revue, celle en date du 15 mars 1938, le
docteur Burkhart Wladecker, docteur en philosophie et
explorateur, décrit lui aussi à une cérémonie de baptême (324
adultes), le 25 septembre 1937 à Kabgayi. Pour lui, le vêtement
des Tutsi est nettement éthiopien! (p. 333)
Les Batutsi, de taille étonnement haute, accentuée par leurs
haute coiffure « amasunzu » stylisée en forme de croissant, se
meuvent dans leurs longues toge, où brillent de grandes étoiles
rouges. Cet ensemble évoque puissamment le costume éthiopien.
La reine-mère Nyiramavugo Ph. Grands Lacs, 1 juillet 1939
Ici avec le chanoine de Lacger Ph. Grands Lacs, 1 juillet 1939
Julien Vanhove qui visite le Rwanda peu avant la seconde guerre
mondiale et publie en 1943 un ouvrage intitulé Regards sur
notre Congo se croit lui aussi transporté dans l'Egypte des
Pharaons.
Nombreuses sont d'ailleurs les choses qui me font songer ici au
temps des pharaons: la finesse des profils, parfois allongés
d'une courte barbe qui rappelle le postiche ornant le menton des
rois d'Egypte, les longues cannes sur lesquelles les batutsi
s'appuient, le bras tendu, ce qui leur donne un air de majesté
souveraine, mais surtout cet amour de la vache qui s'est
hypertrophié dans l'institution des inyambo.
Cité par Jacques Delforge, Le Rwanda tels qu'ils l'ont vu,
L'Harmattan, 2008, p. 57-58.
Une coiffure néotraditionelle "à l'égyptienne" Ph. Grands Lacs, 15 avril 1938
"Le type physique des batutsis se rapproche singulièrement de celui des anciens
égyptiens. Tel profil de chef rappelle de façon troublante le momie de Sésostris." Pierre Ryckmans, gouverneur général du Congo Belge.
Grands Lacs, mars 1936 (légende originale)
Les vêtements avant l'arrivée des Européens
Les vêtements que portaient les anciens Rwandais étaient soit
faits de peaux d'animal ( antilope, léopard, vache, chèvre etc.)
soit constitué d'étoffes de obtenues à partir de l'écorce de ficus.
Les premiers voyageurs donnent de nombreuses descriptions de
ces vêtements en particulier de ceux que l'on portait à la cour
royale. La rencontre avec le roi, le mwami, ou avec celui qu'on
leur a présenté comme tel, constitue certainement pour ces
voyageurs l'un des moments forts de leur périple.
Ph. Grands Lacs, 1 juillet 1939
MAI 1884, VON GÖTZEN ET KIGERI RWABUGIRI
Le premier, en mai 1884, le comte von Götzen est mis en
présence du mwami Kigeri Rwabugiri. Cela nous vaut une
description des vêtements portés à la cour:
Le vêtement de ces géants, qui d'ailleurs caractérise tout le
Rouanda, consiste en une seule pièce: c'est une longue bande de
peau de chèvre, rendue merveilleusement fine et moelleuse par
le travail du tanneur; elle passe deux fois autour des hanches, et
laisse tomber en avant , presque jusqu'à terre, plusieurs cordons
bruns et blancs. Le tablier couvrant les hanches que portait le
roi était presque tout entier brodé de perles blanches, rouges et
bleues, combinées et assorties avec beaucoup de goût. Ce
costume était complété par des amulettes autour du cou, et par
d'innombrables bracelets finement tressés aux poignets et aux
chevilles. La chevelure était entièrement rasée presque toute
entière; il ne restait sur le sommet de la tête qu'une touffe en
forme de bourrelet, semblable à la chenille des anciens casques
bavarois.
(Jacques Delforge, op.cit, P. 184, la traduction est extraite du
livre Le Tour du Monde, tome III, janvier 1897)
15 JUIN 1898: RICHARD KANDT ET LE FAUX MUSINGA
Richard Kandt dirige en 1897-1898 une expédition pour percer
le mystère des sources du Nil. Doit-on les chercher en remontant
la Ruvubu ou la Nyabarongo? Il faut pour cela comparer le débit
des deux fleuves. Le plus gros conduira à la source du Nil.
Kandt reconnaîtra les rivages du lac Kivu. Le compte rendu de
son expédition paraîtra sous forme de lettre avec le titre de
Caput Nili.
Richard Kandt est un personnage tout à fait extraordinaire.
Docteur en médecine,linguiste, admirateur de Nietzsche qu'il lit
au campement, il sera nommé Résident à Kigali en 1907 et le
restera jusqu'en 1913. Gravement blessé durant la Grande
Guerre, il meurt en 1918.
Son livre Caput Nili mériterait d'être traduit et édité et sa
biographie constituerait sans nul doute un passionnant roman
d'aventures.
La maison de Richard Kandt existe toujours à Kigali (rue de la
Justice) et abrite le Musée d'histoire naturelle. Une partie est
toutefois consacrée à Richard Kandt.
J'étais stupéfait car d'après ce que j'avais entendu Juhi (Yuhi)
devait être un jeune homme d'environ 16 ans, mais celui que je
voyais à côté de moi était un homme d'une quarantaine d'années.
Il avait les yeux fermés, l'air endormi. Sa peau avait le teint de
cuivre. Mais il portait l'insigne royal: un bandeau de 20
centimètres de large, orné de lignes dentelées de perles roses.
Des bords supérieurs du bandeau partait une crinière soyeuse
qui retombait sur l'arrière de la tête. Au bas du bandeau, il y
avait une quinzaine de lacets finement ornés de perles blanches
et rouges, se terminant par des glands longs et larges comme un
doigt et qui cachaient la figure jusqu'à la lèvre supérieure.
Pour tout vêtement, il portait une peau finement tannée, plus
bas que la taille, repliée à sa partie supérieure, avec une
centaine de petits morceaux cousus ensemble qui formaient un
ornement en ligne. A la partie inférieure pendaient une
vingtaine de lanières, en peau de serpent sans doute. Des
colliers de perles enserraient sa taille et dix à qinze ronds
tressés avec des herbes et ornés de trois perles blanches
pendaient au-dessus. Un collier de perles fines ornait son cou et
toutes une série d'amulettes lui couvrait la poitrine. Les
amulettes faisaient penser à de petites bouteilles et étaient
recouvertes de perles qui faisaient un dessin en zigzag. A
chaque bras, il portait 150 à 200 anneaux de fil de laiton ou de
cuivre dont la plupart portaient une grande perle bleue ou de
petites clochettes de même métal. Ils étaient presque tous en fer
ce qui explique la démarche lourde, décrite précédemment.
Caput Nili, Lettre XXIII
in Etudes Rwandaises, Université Nationale du Rwanda vol.XIV,
octobre 198O, (traduction, Bernard Lugan).
2 FEVRIER 1900: LA VISITE DE MGR. HIRTH A NYANZA
Le 2 février 1900, la caravane de monseigneur Hirth parvient à
Nyanza, résidence royale. Il espère y établir une mission, ce qui
lui sera refusé. Le jour même de son arrivée, il est mis en
présence d'un personnage qu'on lui présente comme Yuhi
Musinga mais qui n'est encore une fois qu'un figurant et
l'accueil apparemment cordial et empressé cache toutes les
réticences.
Le père Brard, futur fondateur de Save, en fait la description
suivante:
Le jour même de notre arrivée, le roi, qui a l'habitude de laisser
faire antichambre plusieurs jour à ses visiteurs, voulut nous
recevoir, et il s'abaissa jusqu'à venir en personne. Il était
entouré de plusieurs milliers de sujets. Vêtu comme dans les
grandes cérémonies, la tête couverte d'un bonnet d'un bonnet à
poils de colobus orné sur le devant de tresse de perles lui
voilant à demi le visage, les reins ceints d'une étroite peau de
lion, tandis que de l'épaule lui tombait, comme une riche
draperie, une magnifique peau de léopard. Yuhi fut aimable et
accueillit favorablement toutes nos propositions.
Cité par le chanoine de Lacger in Le Ruanda ancien et
moderne, GRANDS LACS, revue générale des missions
d'Afrique, 1 juillet 1939, p.79.
Le mwami Yuhi Musinga Grands Lacs, 1 juillet 1939
10 AOÛT 1907 LE DUC CHEZ MUSINGA
En 1907-1908, une grande expédition organisée et dirigée par le
duc Adolphe Frédéric de Mecklembourg parcourt l'Afrique des
Grands Lacs. Elle dispose de gros moyens (700 porteurs, 35
militaires askaris) et est puissamment épaulée par
l'administration coloniale. Elle comporte des scientifiques:
topographe, botaniste, géologue, météorologue.
Jan Czekanowski, polonais de nationalité russe en est
l'ethnologue et l'anthropologue. On peut le considérer comme
l'un des meilleurs observateurs du Rwanda ancien bien que
l'expédition ne séjourne au Rwanda qu'entre août et décembre
1907. Son oeuvre est malheureusement non traduite en Français.
Seule une partie de ces carnets de voyage ( la plus grande partie,
celle portant sur le Rwanda, ayant été détruit pendant
l'insurrection de Varsovie en 1944) a été publiée en français.
( Jan Czekanowski, Carnets de route au coeur de Afrique,
éditions Noir sur Blanc, traduit du polonais par Lidia Meschy)
Le duc et son expédition sont reçu à Nyanza par le mwami
Yuhi Musinga où le Résident von Grawert a d'ailleurs préparé
l'accueil. Le duc décrit avec précision les tenues vestimentaires
portée à la cour du mwami venu en personne au devant du noble
visiteur.
Tout de suite après, résonna un roulement de tambours venant
du palais. Et alors, nous vîmes un spectacle d'une rare
originalité comme on en trouve seulement loin des voies
touristiques. Deux à deux, avec un calme presque solennel, les
princes rwandais suivis de leurs fils avançaient dans toutes leur
magnificence . La chaise à porteurs de Msinga, qui venait de
quitter l'entrée de la résidence, suivait lentement. Ils portaient
tous des costumes de fêtes, les mêmes dans les quels s'étaient
montrés Nanturu et Bussissi. Le corps est nu. Seules les hanches
sont entourées d'une sorte de tablier fait de peau de boeuf,
tanné en deux pans transversaux dont les lacets en peau de
serpent ou de boeuf pendent jusqu'aux chevilles,ces dernières
parées d'anneaux métalliques. Sur la tête, ils portent un peigne
sur lequel brille un petit collier de perles et qui va d'une oreille
à l'autre. Plusieurs lacets jaunes en fibres de bananier sur
lesquels sont fixés des bijoux de perles de grandeur différente,
appelés « imitako », descendent jusqu'à la poitrine. Sur les
poignets, ils portent des bracelets en cuivre et des perles
multicolores. C'est ainsi qu'ils avançaient avec un calme
distingué vers ma tente. Le sous-officier qui commandait
l'escorte de l'expédition ainsi que la garde du roi prirent les
armes. La chaise à porteurs du roi, une simple corbeille dont les
branches de bambou reposaient sur les épaules des Batwa, fut
descendue avec précaution et Msinga me donna la main avec
ces mots: « Je salue votre Altesse ».
Etudes Rwandaises, op. cit, p. 134.
Jan Czekanowski rédige, dans le compte rendu de
l'expédition, le chapitre consacré à l'ethnologie. Il décrit lui aussi
la rencontre avec la mwami Yuhi Musinga. Le roi, précise-t-il,
porte des vêtements d'étoffe mais qui ne sont pas drapés « en
toge » comme le sera le pagne des chefs sous le mandat belge.
Les tissus sont portés comme les peaux: une cape sur les épaules
et un pagne autour des reins;
On notera la fascination de l'observateur pour le cortège royal
lors de la visite officielle du lendemain. Jan Czekanowski,
malgré son esprit scientifique, n'échappe, pas à l'air du temps: il
est lui aussi imprégné du mythe de l'origine non-africaine des
Tutsi.
J'eus l'occasion de voir le souverain pour la première fois le 10
août 1907. Vers midi, j'arrivai avec l'expédition principale et
Musinga vint vers 15 h. rendre visite à sa Grandeur le Duc. Un
jeune homme de 197 cm. de taille, mince, bien bâti, les yeux
louches et myopes, les dents saillantes: c'était Musinga. Il avait
entouré ses épaules d'un morceau d'étoffe rouge (bendera) et
ceint ses reins d'une étoffe blanche. Cette dernière était fixée sur
la taille par une ceinture sur laquelle pendait un couteau de
chasse. Les gens de sa suite était plus distingué que le roi lui-
même.
La visite officielle que Musinga fit le jour suivant
m'impressionna beaucoup; il vint dans son « ngobi » portant un
diadème sur la tête, il était entouré de gens solennels habillés de
« mukane » et accompagné des chants sauvages mais mélodieux
des Batwa. Ce défilé dépourvu de toute influence européenne
était d'une beauté féérique: tout était si parfait et soigné, si
distingué et élégant! La cérémonie silencieuse fut tenue avec
une exactitude et une élégance admirable. On remarqua
l'absence du style nègre ordinaire, comme je pus l'observer chez
mes porteurs qui paradaient en frac en renonçant aux pantalons.
Etudes rwandaises, op.cit. p. 168
Transport des tambours
Le mwami Musinga bat le tambour Grands Lacs, 1 juillet 1939
1951: VÊTEMENTS ANCIENS: UN PASSE MANIPULE
En 1951, Georges Sandrarts, Résident au Rwanda de 1944
à1951, publie dans la n° 10 de la revue Panorama du monde un
article consacré au Congo belge intitulé « Une curiosité de
l'Afrique: les étranges Batutsi » . Il y expose encore une fois la
thèse de l'origine « hamite » des Tutsi, « ces pasteurs venus du
Nord ». On sait comment cette théorie pseudo-scientifique,
devenue la vulgate officielle de l'histoire du Rwanda répandue et
enseignée par l'administration coloniale et les missions servira
de base idéologique aux massacres des Tutsi perpétrés depuis
1959.
L'auteur décrit les habits de peau traditionnels qui, dans les
années 50, ont disparu, mais donne une description brève mais
intéressante des vêtements des femmes. Les habits de ficus ne
sont certes pas, comme il le prétend, réservés aux Bahutu. Ma
mère, Stéphania, se rappelait avoir eu enfant pour seul vêtement
un petite jupe en écorce de ficus, ishabure, plus courte, disait-
elle, que la mini-jupe que je portais alors. Au Burundi voisin, les
étoffes de ficus constituaient le costume national.
Ancien hôte des steppes sèches du Nord, son costume est
sommaire: il se ceint d'une large ceinture lombaire en peau,
ornée par devant de longues franges de loutre ou d'antilope.
Par temps frais, il se couvre les épaules d'un mantelet tiré d'une
peau de félin. Là où domine l'influence des cultivateurs bantous,
il a adopté l'humble pagne d'écorce battu, qu'il porte telle une
toge. La femme mariée se distingue par une ample et lourde
jupe de cuir aux tons rougeâtres, dont la ceinture recèle tout un
choix de charmes et d'amulettes destinées à lui assurer les
faveurs de l'amour et de la fécondité. La rapide et large
distribution des tissus étrangers a peu à peu porté un coup
mortel aux pittoresque vêtements de peau et d'écorce et le
Mututsi se drape orgueilleusement aujourd'hui dans d'amples
péplum ou … parade en complet veston!
Cité par Jacques Delforge, op. cit. p. 237
Bergers
Grands Lacs, 1 juillet 1939
A suivre ... Bientôt les coiffures ...!
Scholastique Mukasonga