omrane

42
47 LA SOUVERAINETE DE L’ASSEMBLEE GENERALE DES ACTIONNAIRES DANS LA SOCIETE ANONYME Ahmed OMRANE Doyen de la Faculté de Droit de Sfax Le droit commercial et le droit constitutionnel sont a priori deux disciplines juridiques que tout sépare et que rien ne rapproche. Le droit commercial 1 est un droit mercantile fondé sur la spéculation 2 . Le droit constitutionnel, en revanche, est le droit qui régit le gouvernement de l’Etat dépositaire de l’intérêt général. Et pourtant, les analogies sont frappantes entre les deux disciplines juridiques. Partant d’une constatation, devenue par la suite évidente, et selon laquelle « pour que l’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir », Montesquieu distinguait trois pouvoirs autonomes, dont les fonctions sont nettement différenciées et qui se contrebalancent et coopèrent au gouvernement des Etats, à savoir le législatif qui vote la loi, l’exécutif qui veille à l’exécution des lois, dispose pour ce faire de l’administration et peut édicter des mesures à 1 Le droit commercial est classiquement défini comme l’ensemble des règles de droit privé applicables aux commerçants et aux actes de commerce. Cette définition fait apparaître d’emblée l’une des ambiguïtés de la matière, tenant à la coexistence de deux conceptions. Dans la conception subjective, le droit commercial est le droit des commerçants : il s’agit d’un droit professionnel et dont l’application est déclenchée par la qualité des personnes en cause. Dans la conception objective, le droit commercial est le droit des actes de commerce, c'est-à-dire des opérations commerciales : son application est conditionnée non pas par la profession de l’intéressé mais par la nature de l’acte ou, plus largement, par la réunion de certaines circonstances objectivement définies. D’une manière générale, on peut définir le droit commercial comme étant une branche spéciale du droit privé qui régit l’activité commerciale, c'est-à-dire le monde des échanges économiques. 2 Considérée par certains auteurs comme constituant le fondement même de la commercialité (Lyon-Caen et Rénaud, Traité de droit commercial, Tome premier, n° 103), la spéculation est l’opération qui consiste à profiter des fluctuations du marché pour réaliser un bénéfice. L’article 2 du code de commerce en cite comme exemples l’achat, la vente ou la location de biens quels qu’ils soient, les opérations de change, les opération de banque et les opérations de bourse.

Upload: omar-alami

Post on 27-Sep-2015

3 views

Category:

Documents


2 download

DESCRIPTION

kk

TRANSCRIPT

  • 47

    LA SOUVERAINETE DE LASSEMBLEE GENERALE DES ACTIONNAIRES DANS LA SOCIETE ANONYME Ahmed OMRANE Doyen de la Facult de Droit de Sfax

    Le droit commercial et le droit constitutionnel sont a priori deux disciplines juridiques que tout spare et que rien ne rapproche. Le droit commercial1 est un droit mercantile fond sur la spculation2. Le droit constitutionnel, en revanche, est le droit qui rgit le gouvernement de lEtat dpositaire de lintrt gnral. Et pourtant, les analogies sont frappantes entre les deux disciplines juridiques. Partant dune constatation, devenue par la suite vidente, et selon laquelle pour que lon ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrte le pouvoir , Montesquieu distinguait trois pouvoirs autonomes, dont les fonctions sont nettement diffrencies et qui se contrebalancent et cooprent au gouvernement des Etats, savoir le lgislatif qui vote la loi, lexcutif qui veille lexcution des lois, dispose pour ce faire de ladministration et peut dicter des mesures 1 Le droit commercial est classiquement dfini comme lensemble des rgles de droit

    priv applicables aux commerants et aux actes de commerce. Cette dfinition fait apparatre demble lune des ambiguts de la matire, tenant la coexistence de deux conceptions. Dans la conception subjective, le droit commercial est le droit des commerants : il sagit dun droit professionnel et dont lapplication est dclenche par la qualit des personnes en cause. Dans la conception objective, le droit commercial est le droit des actes de commerce, c'est--dire des oprations commerciales : son application est conditionne non pas par la profession de lintress mais par la nature de lacte ou, plus largement, par la runion de certaines circonstances objectivement dfinies. Dune manire gnrale, on peut dfinir le droit commercial comme tant une branche spciale du droit priv qui rgit lactivit commerciale, c'est--dire le monde des changes conomiques.

    2 Considre par certains auteurs comme constituant le fondement mme de la commercialit (Lyon-Caen et Rnaud, Trait de droit commercial, Tome premier, n 103), la spculation est lopration qui consiste profiter des fluctuations du march pour raliser un bnfice. Larticle 2 du code de commerce en cite comme exemples lachat, la vente ou la location de biens quels quils soient, les oprations de change, les opration de banque et les oprations de bourse.

  • 48

    caractre rglementaire, et le judiciaire charg de ladministration de la justice. Or, si ce modle, qui a t repris par toutes les constitutions des Etats qui se veulent dmocratiques, visait dans lesprit de Montesquieu, les institutions publiques, il semble avoir influenc le droit des socits et principalement lorganisation du pouvoir dans la socit ou ce quil est convenu dappeler le gouvernement dentreprise. Cest ainsi que la socit anonyme sest progressivement oriente vers un mode qui ressemble un Etat notamment au niveau de son organisation. Lexcutif est reprsent par le directoire ou le conseil dadministration et le prsident directeur gnral3, le juridictionnel est compos des commissaires aux comptes institus dans le but de suppler la dfaillance des actionnaires qui ne sintressent que de loin la marche de la socit sil nexiste pas dans la socit anonyme un pouvoir juridictionnel comme la envisag Montesquieu pour lEtat, il existe une institution quasi-juridictionnelle qui est le commissaire aux comptes, et qui rappelle la Cour des Comptes charge de contrler la rgularit de la dpense publique et de la commission consultative dentreprise4 qui pourrait faire 3 Le code des socits commerciales renferme le choix entre trois formules

    dorganisation des pouvoirs de direction pour les socits anonymes. Une formule classique avec un conseil dadministration et un prsident directeur gnral, ou bien un conseil dadministration et la possibilit de dissociation des fonctions de prsident du conseil dadministration et celles de directeur gnral. Enfin, la dernire innovation du lgislateur tunisien avec la formule de direction dualiste avec un directoire et un conseil de surveillance.

    4 Larticle 157 du code du travail dispose qu il est institu dans chaque entreprise rgie par les dispositions du prsent code et employant au moins quarante travailleurs permanents, une structure consultative dnomme commission consultative dentreprise .

    Larticle 158 du code du travail ajoute que la commission consultative dentreprise est compose dune faon paritaire de reprsentants de la direction de lentreprise dont le chef dentreprise et de reprsentants des travailleurs lus par ces derniers. La commission est prside par le chef dentreprise ou, en cas dempchement, son reprsentant dment mandat .

    Larticle 160 du code du travail prcise que la commission consultative dentreprise est consulte sur les questions suivantes : a- lorganisation du travail dans lentreprise en vue damliorer la production et

    la productivit ; b- les questions se rapportant aux uvres sociales existantes dans lentreprise au

    profit des travailleurs et de leurs familles, c- la promotion et le reclassement professionnel, d- lapprentissage et la formation professionnelle,

  • 49

    figure de conseil conomique et social. Le lgislatif est reprsent par les assembles gnrales des actionnaires5 qui contrlent laction des organes de gestion. Chaque organe a ses fonctions propres et influe sur les dcisions des autres.

    En droit constitutionnel, cette branche juridique dont lobjet est ltude des rgles rgissant lorganisation et lexercice du pouvoir 6, le concept de souverainet fait lobjet dusages multiples. La souverainet constitue llment caractristique de lEtat. Le vocable souverain peut dsigner soit le chef de lEtat soit le peuple, et on parle aussi de la souverainet de la loi ou de la souverainet du parlement7. Or, traitant la question relative la situation dans laquelle les pouvoirs ou les organes de la socit se trouvent placs les uns par rapport aux autres, la doctrine commercialiste na pas hsit parler de la souverainet de lassemble gnrale des actionnaires8 qui apparat, au vu de la loi, comme lme

    e- la discipline et dans ce cas la commission srige en conseil de discipline et

    applique la procdure fixe par les textes lgislatifs, rglementaires ou conventionnels rgissant lentreprise .

    5 Il existe plusieurs sortes dassembles. En plus des assembles constitutives qui votent les statuts et nomment les premiers organes de la socit, la loi distingue trois catgories dassembles : 1- Les assembles gnrales extraordinaires ont comptence pour modifier les

    statuts. 2- Les assembles gnrales ordinaires, assembles de droit commun, prennent

    toutes les dcisions qui excdent la gestion courante de la socit sans pour autant impliquer une modification des statuts (approuver les comptes de lexercice, statuer sur la rpartition des bnfices, nommer les administrateurs et les commissaires aux comptes).

    3- Les assembles spciales : Ce sont des assembles extraordinaires runissant les titulaires dactions dune catgorie dtermine.

    6 Nji BACCOUCHE, Droit constitutionnel, souverainet et suprmatie, Etudes juridiques, Revue publie par la Facult de Droit de Sfax, N 11, 2004, p. 7, spcialement n 5.

    7 Nji BACCOUCHE, Droit constitutionnel, souverainet et suprmatie, Etudes juridiques, Revue publie par la Facult de Droit de Sfax, N 11, 2004, p. 7.

    8 Au plan smantique, le mot souverainet na pas subi de mutation majeure depuis son apparition vers la fin du treizime sicle. En tant que concept juridique, la souverainet a reu plusieurs acceptions. La dfinition la plus classique est celle de Jean Bodin pour lequel la souverainet est la puissance absolue et perptuelle dune Rpublique (Jean Bodin, Les six livres de la Rpublique, Livre premier, Chapitre VIII, De la souverainet). Maurice Hauriou estime quil existe une

  • 50

    de la personne morale 9. La souverainet de lassemble gnrale est dabord une souverainet puissance apparaissant travers limportance de ses attributions. En effet, si, comme laffirme Paillusseau, la souverainet consiste dans laptitude dtenir la plnitude des comptences , cest lassemble gnrale des actionnaires qui dtient les pouvoirs les plus importants dans la socit. Elle dtient ainsi la puissance lgislative. Au mme titre que lEtat qui reste soumis au respect de la lgislation et notamment aux dispositions constitutionnelles, la socit anonyme est galement soumise la mme obligation. Tous les actes accomplis par les organes de la socit doivent tre conformes aux statuts. Or, ces statuts doivent tre approuvs par lassemble gnrale constitutive10, et peuvent tre modifis par lassemble gnrale extraordinaire. A ce titre, celle-ci peut augmenter le capital social11 ou le

    souverainet de gouvernement, une souverainet de sujtion (qui sera celle de la nation) et une souverainet de la chose publique (Hauriou (M), La souverainet nationale, Recueil de lgislation de Toulouse, 1912, p. 96). Carr de Malberg a identifi trois acceptions de la souverainet. Dans son sens originaire, le mot souverainet dsigne le caractre suprme de la puissance publique. Dans une seconde acception, il dsigne lensemble des pouvoirs compris dans la puissance de lEtat. Enfin, il sert concrtiser la position quoccupe dans lEtat le titulaire suprme de la puissance tatique et, ici, la souverainet est identifie avec la puissance de lorgane (R. Carr de Malberg, Contribution la thorie gnrale de lEtat, tome premier, p. 69 et s. La notion franaise de souverainet. Paris, Sirey, 1920, Rimp. C.N.R.S. 1962 spcialement p. 79). Michel Troper a affin la troisime de ces acceptions et la analyse, elle-mme, en trois moments : la qualit de lorgane qui na pas de suprieur parce quil exerce la puissance la plus leve, cest--dire la puissance lgislative ou quil participe cet exercice ; la qualit de lorgane qui est au dessus de tous les autres, la qualit de ltre au nom duquel lorgane qui na pas de suprieur exerce sa puissance . On en dduit que si lon carte les dfinitions spcifiques au souverain, au titulaire de la souverainet, pour ne retenir que celles relatives la souverainet elle-mme, on peut constater quil yen a deux. La souverainet dsigne soit la qualit du pouvoir, en dautres termes la suprmatie, soit le pouvoir lui-mme, c'est--dire la puissance.

    9 Thaller, note au D.P. 1883 -1- p. 108. 10 Article 172 du code des socits commerciales. 11 Articles 293 alina premier et 388 du code des socits commerciales. Remarquons

    que si la socit est soumise une procdure de redressement judiciaire, larticle 39 de la loi n 95-34 du 17 avril 1995 relative au redressement des entreprises en difficults conomiques, tel que modifi par la loi n 99-63 du 15 juillet 1999, dispose que ladministrateur judiciaire labore le plan de redressement qui comporte les moyens mettre en uvre pour le dveloppement de lentreprise y compris, au besoin, le rchelonnement de ses dettes, le taux de rduction du

  • 51

    rduire12, changer la forme de la socit13, dcider, au cours de lexistence de la socit, du choix du mode dadministration fond sur le directoire et le conseil de surveillance ou sa suppression14, dissoudre la socit avant larrive du terme15 ou lorsque les comptes ont rvl que les fonds propres de la socit sont devenus infrieurs la moiti de son capital en raison des pertes16, dcider la scission des actions en certificats dinvestissement17 et en certificat de droit de vote18, dcider que les titulaires dactions dividende prioritaire sans droit de vote auront un droit prfrentiel souscrire ou recevoir des actions dividende prioritaire sans droit de vote qui seront mises dans la mme proportion19, dcider la cration dactions dividende prioritaire sans droit de vote20, ou autoriser lmission dobligations convertibles en actions21. Lassemble gnrale choisit aussi les principaux organes sociaux. Partant du fait que le choix des personnes est lune des principales manifestations de la souverainet, le lgislateur reconnat lassemble gnrale des actionnaires le pouvoir de choisir les principaux organes sociaux. Celle-ci dsigne ainsi les commissaires aux comptes22, et peut les rvoquer avant lexpiration de la dure de leur mandat sil est tabli quils ont commis une faute grave dans lexercice de leurs fonctions23. Elle dsigne et rvoque aussi les membres du conseil dadministration. Les premiers administrateurs sont nomms par

    principal de ces dettes ou des intrts y affrents. Il peut proposer le changement de la forme juridique de lentreprise ou laugmentation de son capital .

    12 Articles 307 et 388 du code des socits commerciales. 13 Article 434 du code des socits commerciales. 14 Article 224 alina 3 du code des socits commerciales. 15 Article 387 alina 2 du code des socits commerciales. 16 Article 388 du code des socits commerciales. 17 Le certificat dinvestissement reprsente les droits pcuniaires attachs laction. Il

    est dit privilgi lorsquun dividende prioritaire lui est attach. 18 Le certificat de droit de vote reprsente les autres droits attachs laction. Article 375 du code des socits commerciales. 19 Article 366 alina 3 du code des socits commerciales. 20 Article 347 du code des socits commerciales. 21 Article 340 du code des socits commerciales. 22 Article 260 alina premier du code des socits commerciales. 23 Article 260 alina 2 du code des socits commerciales.

  • 52

    lassemble gnrale constitutive24. En cours de vie sociale, les administrateurs sont nomms par lassemble gnrale ordinaire25. Lassemble gnrale dsigne enfin les membres du conseil de surveillance dans les socits anonymes directoire26. Le lgislateur reconnat enfin lassemble gnrale des comptences financires qui touchent lessentiel des activits sociales. Lassemble gnrale ordinaire se prononce sur les comptes annuels tablis par les organes de gestion. Elle peut, soit les dsapprouver, soit les approuver. Lapprobation est habituelle lorsque les commissaires aux comptes ont certifi la rgularit et la sincrit des tats financiers27. Elle est gnralement suivie dun quitus donn aux dirigeants pour leur gestion. Cette dcharge nempche cependant pas lexercice ultrieur dune action en responsabilit28. Lassemble gnrale ordinaire affecte aussi les rsultats. Lorsquil ya des bnfices, elle procde leur affectation en dcidant leur mise en rserves libres, condition que sa dcision ne soit pas entache dun abus de majorit29, soit leur

    24 Article 172 du code des socits commerciales. 25 Article 190 du code des socits commerciales. 26 Aux termes de larticle 239 alina premier du code des socits commerciales, les

    membres du conseil de surveillance sont nomms par lassemble gnrale constitutive ou par lassemble gnrale ordinaire pour une dure dtermine par les statuts et qui ne peut excder trois ans . Ce mme article ajoute dans son alina 2 qu en cas de fusion ou de scission, leur nomination peut tre faite par lassemble gnrale extraordinaire pour la priode sus- indique .

    27 Article 275 du code des socits commerciales. 28 Cest ce que prvoyant expressment larticle 80 alina 3 du code de commerce

    daprs lequel aucune dcision de lassemble gnrale ne peut avoir pour effet dteindre une action en responsabilit contre les administrateurs pour fautes commises dans laccomplissement de leurs fonctions . Et si le code des socits commerciales ne contient pas une disposition analogue pour la socit anonyme, il consacre la mme rgle pour la socit responsabilit limite, en dclarant nulle de nullit absolue, toute dcision de lassemble gnrale ayant pour effet dinterdire lexercice de laction en responsabilit contre le grant pour faute commise dans lexercice de son mandat28. La solution se justifie parfaitement dans la mesure o les assembles dactionnaires sont souvent contrles par les administrateurs qui disposent en fait de la majorit, sinon parce quils possdent rellement le contrle de la socit, du moins parce que, laide des pouvoirs en blanc, ils disposent de la majorit des voix.

    29 Article 290 du code des socits commerciales.

  • 53

    distribution aux actionnaires sous forme de dividendes30. Lorsque les comptes annuels font apparatre des pertes, lassemble peut, ou bien les laisser subsister dans un compte de report nouveau, ou bien les imputer sur les comptes de rserves, y compris la rserve lgale. Cependant, lorsque les pertes entament srieusement les fonds propres de la socit, le lgislateur obligent les actionnaires den tirer les consquences. Larticle 388 du code des socits commerciales, applicable aux socits anonymes lexception de celles faisant lobjet de rglement amiable ou judiciaire, dispose que si les comptes ont rvl que les fonds propres de la socit sont devenus en de de la moiti de son capital en raison des pertes, le conseil dadministration ou le directoire doit dans les quatre mois de lapprobation des comptes, provoquer la runion de lassemble gnrale extraordinaire leffet de statuer sur la question de savoir sil ya lieu de prononcer la dissolution de la socit. Lassemble gnrale extraordinaire qui na pas prononc la dissolution de la socit dans lanne qui suit la constatation des pertes, est tenue de rduire le capital dun montant gal au moins celui des pertes ou procder laugmentation du capital pour un montant gal au moins celui de ses pertes. Si lassemble gnrale extraordinaire ne sest pas runie dans le dlai prcit, toute personne intresse peut demander la dissolution judiciaire de la socit 31.

    La souverainet de lassemble gnrale des actionnaires est aussi et surtout une souverainet suprmatie. Reprsentant le capital social, lassemble gnrale des actionnaires a t dote dune primaut sur les autres organes sociaux, savoir les commissaires aux comptes et notamment les administrateurs. En effet, bien que lorgane de gestion, 30 Le schma de principe est que le dividende, comme son nom lindique, est le

    rsultat de la division du bnfice distribu par la part de chaque action dans le capital de la socit. Laction est ainsi rmunre au prorata de ce quelle reprsente dans le capital social. Cependant, lapplication de ce calcul thorique est affecte par certaines limitations. Cest ainsi que les actions de jouissance reoivent en gnral un dividende moins lev que celui donn aux actions ordinaires. Celle-ci ont souvent un double coupon : lun dit dintrt, lautre de dividende. De mme, les actions de prfrence peuvent, suivant les conditions de lmission, recevoir un dividende avant les autres ou un dividende suprieur.

    31 La mme rgle est consacre dans les articles 27 du code des socits commerciales relatif aux causes de dissolution des socits et 142 du mme code relatif la socit responsabilit limite.

  • 54

    directoire et conseil dadministration dans la socit anonyme, sous linfluence conjugue des tendances absolutistes et de labsentisme des actionnaires, exerce souvent une prminence de fait sur lassemble gnrale32, il nest pas juridiquement possible de lui donner une prminence de droit33. Cette primaut, qui peut tre considre comme

    32 Dans les petites socits anonymes, la majorit du capital social est souvent

    dtenue par un actionnaire ou un groupe dactionnaires qui exerce aussi les fonctions dadministration et de direction. Dans ces conditions, aucune discussion srieuse nest possible au sein de lassemble gnrale : les rsolutions, prpares par les dirigeants, y sont votes telles quelles. Parfois mme, bien que cette pratique soit illgale, lassemble ne se runit pas ; les actionnaires se contentent de signer une feuille de prsence et les dirigeants rdigent un procs verbal comme si lassemble avait dlibr. Dans les grandes socits anonymes, la situation est un peu diffrente. Thoriquement, les dirigeants ne dtiennent que rarement assez dactions pour avoir la majorit absolue. Mais ils ont toujours plus dactions que les autres, et de ce fait, peuvent imposer leur point de vue. Les petits actionnaires, nombreux, disperss et mal informs, ont limpression quils ne peuvent exercer aucune influence. Ils se dsintressent donc de la vie sociale et, dans la meilleure des hypothses, ils se bornent renvoyer aux dirigeants une procuration de vote renforant ainsi la majorit dtenue par ceux-ci. Les assembles se droulent, sinon devant des salles vides, au moins devant des salles qui ne sont pas reprsentatives des forces vives de la socit.

    C. Jauffret Spinosi, Les assembles gnrales dactionnaires dans les socits anonymes : ralit ou fiction (tude comparative). Mlanges Rodire, Paris, 1982, p. 125 ; L. Mazeaud, La souverainet de fait dans les socits par actions en droit franais, Travaux de lassociation Henri Capitant, Tome XV, p. 330 ; A. Tunc, Leffacement des organes lgaux de la socit anonyme, D. 1952, Chr. 73.

    33 Dans un arrt de la Cour dappel de Lyon en date du 12 mai 1952 (J.C.P. 1953, 7344, note BASTIAN), on peut lire qu Il importe peu que sous linfluence des tendances absolutistes de certains conseils dadministration, favorises par lapathie ou labsentisme des actionnaires, cette primaut de lassemble gnrale soit devenue le plus souvent en fait une fiction. Cest la loi et non les pratiques abusives que les tribunaux ont le droit de faire respecter . V. galement, Trib. Civ. De Lille, 14 dcembre 1955, D. 1956, p. 670, note GORE. Cest dailleurs dans ce cadre que sinscrit lannulation par la jurisprudence des techniques -notamment les clauses statutaires- oprant un renversement de la structure dirigeante de la socit anonyme en permettant notamment au conseil dadministration de modeler la majorit sa guise et de contrler lassemble gnrale au lieu dtre contrl par elle. Cest le cas notamment des techniques tendant assurer lirrvocabilit des administrateurs et des clauses statutaires soumettant lautorisation du conseil dadministration toutes les cessions dactions mme entre actionnaires. C.A. Paris, 24 novembre 1954, J.C.P. 1955, 8448, note BASTIAN.

  • 55

    une illustration du systme capitaliste traditionnel, se manifeste travers le fait que les dlibrations de lassemble gnrale simposent, non seulement aux actionnaires minoritaires, mais aussi au conseil dadministration qui doit les excuter34. Cette primaut de lassemble gnrale sur les autres organes sociaux se manifeste aussi et surtout travers la reddition des comptes. Aux termes de larticle 1136 du code des obligations et des contrats, tout mandataire doit rendre compte au mandant de sa gestion, lui prsenter le compte dtaill de ses dpenses et de ses recouvrements, avec toutes les justifications que comporte lusage ou la nature de laffaire, et lui faire raison de tout ce quil a reu par suite ou loccasion du mandat . Or, comme les administrateurs et les commissaires aux comptes agissent pour le compte de la socit, ils doivent rendre compte de leur gestion lassemble gnrale des actionnaires. Cette reddition des comptes, qui peut tre tantt gnrale, tantt spciale, a deux aspects : un aspect chiffr, ou les comptes proprement dits, savoir les tats financiers35 et un aspect explicatif, ou le compte rendu, savoir les rapports du conseil dadministration et des commissaires aux comptes36. 34 C. Cass. Fr. Ch. Com. 14 mars 1950, J.C.P. 1950, 2, 5694 note BASTIAN. 35 Larticle 201 du code des socits commerciales dispose dans son alina premier

    qu la clture de chaque exercice, le conseil dadministration tablit, sous sa responsabilit, les tats financiers de la socit conformment la loi relative au systme comptable des entreprises . Sils sont sincres et exacts, ces tats financiers ont une importance particulire. Dabord, ils indiquent ltat de lactif et du passif35 de la socit. Ensuite, les tats financiers permettent, par comparaison avec les comptes antrieurs, de suivre la marche de lexploitation et de se rendre compte des profits raliss ou des pertes enregistres. Enfin, les tats financiers permettent aux cranciers dapprcier la solvabilit de la socit.

    36 Laspect chiffr de la reddition des comptes est complt par un aspect explicatif. Cest ainsi que larticle 85 du code de commerce disposait dans son alina premier qu la clture de chaque exercice, le conseil dadministration doit, conjointement aux documents comptables, prsenter lassemble gnrale un rapport annuel dtaill sur la gestion de la socit. Le rapport annuel dtaill doit tre communiqu au commissaire aux comptes 36. De leur ct, les commissaires aux comptes, chargs par lassemble gnrale des actionnaires dune mission permanente de contrle sur la situation comptable et financire de la socit, tablissent un rapport dans lequel ils rendent compte lassemble gnrale du mandat quelle leur a confi et doivent signaler les irrgularits quils auraient releves. Ils font, en outre, un rapport spcial sur les oprations prvues larticle 78 du prsent code 36. Ces rgles ont t consacres et consolides par le code des socits commerciales. Cest ainsi que conjointement aux documents comptables,

  • 56

    En droit constitutionnel, les auteurs constatent que la souverainet, qui a rsist lpreuve du temps, subit aujourdhui le choc de la confrontation entre le droit interne et le droit supranational 37 entranant ainsi un partage des pouvoirs entre lEtat et des instances supranationales. Le mme phnomne damenuisement de la souverainet caractrise aussi les assembles gnrales des actionnaires. En effet, si au vu de la loi lassemble gnrale apparat comme lorgane social souverain, la pratique tmoigne que cette prminence est plus thorique que relle. Par un phnomne classique dans toutes les dmocraties consistant en un passage de la dmocratie la technocratie, le pouvoir effectif et rel est pass de lassemble gnrale aux organes dadministration et de direction entranant un divorce complet entre la loi et la ralit et faisant de la souverainet de lassemble gnrale une fiction renforant les pouvoirs des dirigeants sociaux. Ainsi, au fil des annes, lassemble gnrale en tant que forum

    le conseil dadministration doit prsenter lassemble gnrale un rapport annuel dtaill sur la gestion de la socit. Le rapport annuel dtaill doit tre communiqu au commissaire aux comptes 36. De son ct, larticle 269 du code des socits commerciales dispose que les commissaires aux comptes sont tenus de prsenter leur rapport dans le mois qui suit la communication qui leur est faite des tats financiers de la socit. Si les membres du conseil dadministration ou du directoire ont jug opportun de modifier les comptes annuels de la socit, en tenant compte des observations du ou des commissaires aux comptes, ces derniers devront rectifier leur rapport en fonction des observations sus dsignes. En cas de pluralit de commissaires aux comptes et de divergence entre leurs avis, ils doivent rdiger un rapport commun qui indique lopinion de chacun deux. Les commissaires aux comptes doivent dclarer expressment dans leur rapport quils ont effectu un contrle dtaill et quils approuvent expressment ou sous rserves les comptes ou quils les dsapprouvent. Est considr nul et de nul effet le rapport du commissaire aux comptes qui ne contient pas davis explicite ou qui renferme des rserves incompltes et imprcises .

    37 Nji BACCOUCHE, Droit constitutionnel, souverainet et suprmatie, Etudes juridiques, Revue publie par la Facult de Droit de Sfax, N11, 2004, p. 7, spcialement n 13. Lauteur affirme aussi que le droit constitutionnel contemporain , dont lobjet principal a t ltude du statut juridique de lEtat souverain, se trouve confront des dfis multiples lis cette ncessit ressentie par des Etats de faire partie dune structure supranationale dote dun pouvoir normatif qui simpose lEtat. De mme, le droit constitutionnel actuel est de plus en plus domin par le concept dEtat de droit qui suppose la soumission de lEtat, pourtant souverain, un droit supra tatique devant garantir le respect des droits fondamentaux .

  • 57

    dexpression de la volont des actionnaires est devenue en fait un simple simulacre ou crmonial. Loin de reflter la volont de la collectivit des actionnaires, lassemble gnrale nexprime le plus souvent que lopinion dun groupe plus ou moins restreint dactionnaires, ceux qui exercent en fait le contrle de la socit ou les contrlaires suivant lexpression de Monsieur CHAMPAUD38. Parfois, elle nest quune tribune denregistrement dun procs verbal tabli lavance par un employ de la socit, dans son bureau, conformment aux recommandations et consignes de la majorit dirigeante39. Tenant compte de ce phnomne, le lgislateur na pas hsit attnuer les attributions de lassemble gnrale des actionnaires (PREMIERE PARTIE) et reconnatre un droit dingrence au profit du juge qui peut sanctionner la politique de lassemble gnrale par application de la thorie de labus de majorit (DEUXIEME PARTIE).

    38 Le pouvoir de concentration de la socit par actions, Sirey, 1962. 39 A ce phnomne, il ya certainement des raisons de fait. La dispersion

    gographique, la simultanit des assembles gnrales, la publicit insuffisante des convocations, sont autant de facteurs qui expliquent labsentisme des actionnaires aux assembles gnrales. Notamment dans les socits anonymes de grandes dimensions, les actionnaires sont mal informs et parfois mme indiffrents la vie sociale. A cet gard, la collecte des pouvoirs en blanc par lquipe dirigeante, considre par certains auteurs comme la grande tare de la dmocratie sociale et en mme temps la condition de survie des assembles, a retenu tout particulirement lattention de la doctrine. Comme, malgr lindiffrence et la passivit de la presque totalit des actionnaires, il faut runir les assembles avec le quorum lgal, une certaine pratique sest dveloppe entranant une transformation profonde de la physionomie de la socit anonyme. Cette pratique est celle de la collecte des pouvoirs en blanc. Les socits avaient pris lhabitude denvoyer leurs actionnaires des procurations sur lesquelles ne figurait pas le nom du mandataire, ajoutant quelles dsigneraient elles mmes ce mandataire au moment voulu. En fait cette dsignation sera effectue par le conseil dadministration le plus souvent au profit de lun de ses membres. Et ainsi, par ce moyen, lorgane dexcution parvenait exercer un contrle, et mme une vritable mainmise sur lorgane lgislatif de la socit. Ds lors, de ltat dquilibre entre les pouvoirs, tel quil a t initialement conu par le lgislateur, on est pass un rgime de confusion, de concentration des pouvoirs entre les seules mains des administrateurs. Cette nouvelle situation, caractrise par la concentration des pouvoirs au sein du conseil dadministration navait pas t sans avantages. Lefficacit de la socit sur le plan conomique stait renforce. Les conseils dadministrations navaient plus subir le contrle parfois goste des actionnaires, et ils avaient pu ainsi pratiquer une politique dautofinancement laquelle les actionnaires auraient pu sopposer.

  • 58

    PREMIERE PARTIE :

    LASSEMBLEE GENERALE DES ACTIONNAIRES : DES ATTRIBUTIONS DE PLUS EN PLUS LIMITEES :

    Le principe de lomnipotence de lassemble gnrale extraordinaire connat des limites de plus en plus importantes (SECTION I), et si le lgislateur reconnat lassemble gnrale des actionnaires le pouvoir de choisir les principaux organes sociaux, il faut bien reconnatre que cette prrogative est en train de glisser vers dautres organes (SECTION II). SECTION I : LES LIMITES DE LOMNIPOTENCE DE LASSEMBLEE GENERALE DES ACTIONNAIRES Bien que statuant la majorit des deux tiers des actionnaires prsents ou reprsents40 et non lunanimit, lassemble gnrale extraordinaire est seule habilite modifier toutes les dispositions des statuts. Toute clause contraire est nulle 41 . Cette possibilit accorde la majorit des deux tiers des actionnaires, appele rgle domnipotence et dont la conscration a t progressive42, tout en constituant une rupture avec les conceptions contractuelles classiques, sexplique par le caractre institutionnel de la socit anonyme. En effet, modifier les statuts nest pas seulement modifier un contrat, mais aussi perfectionner un

    40 Article 291 in fine du code des socits commerciales. 41 Article 291 du code des socits commerciales. 42 En droit franais, laffirmation de lomnipotence de la majorit a t progressive.

    Au lendemain de la loi de 1867, il tait admis que lunanimit seule pouvait modifier les statuts. En 1892, la Cour de cassation avait dcid que le consentement de tous nest requis que pour porter atteinte aux bases essentielles de la socit (C. Cass. Fr. Ch. Civ. 30 mai 1892 D. 1893 -1- p. 105 note Thaller ; C. Cass. Fr. Ch. Civ. 9 janvier 1894 D. 1894 -1- p. 313 Conclusions Desjardins et note Lacour). Et en 1913, le lgislateur avait fix la matire en posant un principe et des exceptions. Le principe est lomnipotence de lassemble statuant la majorit. Les exceptions sont linterdiction daugmenter les engagements des actionnaires ou de changer la nationalit de la socit. Telles sont les modifications statutaires mises hors datteinte du pouvoir majoritaire.

  • 59

    organisme 43. Cette rgle de lomnipotence doit cependant composer avec deux lments savoir : Premier lment : La hirarchisation et la sparation des organes de la socit anonyme : De la conception institutionnelle de la socit anonyme dcoule le caractre dordre public de la rpartition des pouvoirs et des comptences dans la socit. Ds lors, si lassemble gnrale extraordinaire peut modifier les statuts, elle ne peut pas modifier les dispositions lgales et porter ainsi atteinte lorganisation hirarchique de la socit anonyme comme par exemple exercer les attributions qui relvent lgalement de lassemble gnrale ordinaire ou des autres organes de la socit44, priver les assembles spciales des pouvoirs que la loi leur confre, ou dcider quune rsolution impliquant leur ratification sera dfinitive et excutoire sans cette dernire, supprimer le conseil dadministration ou le priver de ses attributions lgales. Cest ainsi que la Cour dappel de Sousse, dans son arrt n 2973 du 11 novembre 197245, a refus de faire droit une demande qui voulait soumettre un acte dadministration rentrant dans la gestion normale de la socit lapprobation des actionnaires runis en assemble gnrale. Son refus tait d au fait que lobjet de la demande ne concerne que la gestion normale et ladministration qui ne rentrent pas dans les dcisions ncessitant lapprobation et lautorisation des actionnaires . Commentant cette dcision, Philippe FOUCHARD a soulign que les pouvoirs de reprsenter la socit sont confrs au prsident directeur gnral par la loi tout autant et mme plus que par ses mandants .

    Deuxime lment : Les droits des actionnaires : Mme en matire de modification des statuts, lassemble gnrale extraordinaire ne peut pas tout faire. En effet, ds que le principe majoritaire a t admis, les juristes se sont efforcs de dcouvrir dans les droits individuels de lassoci ce que Ripert appelait cette partie intangible laquelle le groupement ne

    43 Thaller, note sous C. Cass. Fr. Ch. Civ. 30 mai 1892 D. 1893 -1- p. 105. 44 Si larticle 9 du code des socits commerciales fait du sige social une mention

    obligatoire des statuts, larticle 230 du mme code, applicable la socit anonyme directoire et conseil de surveillance, prcise que le dplacement du sige social ne peut tre dcid que par le conseil de surveillance sous rserve de ratification de cette dcision par la prochaine assemble gnrale ordinaire .

    45 RTD 1973 p. 226 note P. FOUCHARD.

  • 60

    pourra porter atteinte 46. La position du droit tunisien sur la question na pas t toujours la mme. Sous lempire du code de commerce, et recherchant un quilibre entre lintrt de la socit tel que le dtermine la majorit et les intrts personnels des actionnaires, larticle 101 du code de commerce, aprs avoir formul le principe de lomnipotence de lassemble gnrale extraordinaire, prcisait que celle-ci ne peut toutefois pas, augmenter les engagements des actionnaires . Cette limite au pouvoir de la majorit, qui se fondait sur lorigine contractuelle des engagements des associs, constituant une survivance des principes du droit civil (autonomie de la volont et effet relatif des conventions) face aux conqutes du droit commercial, et qui tait dapplication gnrale valant pour toute socit et pour toute espce dobligations, pcuniaire ou personnelle, positive ou ngative47, avait entran les consquences suivantes :

    1-Linterdiction pour lassemble gnrale extraordinaire de transformer la socit anonyme en socit en nom collectif ou en socit en commandite simple48, et de procder une augmentation de capital par majoration ou lvation du montant nominal des actions, dobliger les actionnaires souscrire une augmentation du capital en numraire, ou daggraver les conditions statutaires de libration des actions, soit par une anticipation des chances fixes pour cette libration, soit par une augmentation des intrts de retard stipuls par les statuts vis--vis des actionnaires qui ne librent pas leurs actions temps, soit par une interdiction aux actionnaires de librer leurs actions par voie de compensation alors que les statuts ninterdisaient pas ce mode de libration. 46 G. Ripert, La loi da la majorit dans le droit priv, Mlanges Sugiyama 1940

    spcialement p. 358. 47 Ainsi, en prsence de textes analogues, la Cour de cassation franaise avait jug

    que lunanimit tait ncessaire pour introduire dans les statuts une clause imposant une obligation de non concurrence aux actionnaires qui se retireraient de la socit (C. Cass. Fr. Ch. Com. 26 mars 1996).

    48 La transformation de la socit anonyme en socit responsabilit limite tait discute puisque larticle 154 alina 2 du code de commerce obligeait les associs de la socit responsabilit limite de rpondre solidairement, vis--vis des tiers, de la valeur attribue aux apports en nature. Or, on pouvait se demander si cette garantie ventuelle des apports en nature naugmentait pas les engagements des actionnaires.

  • 61

    2-La possibilit pour lassemble gnrale extraordinaire de diminuer les droits des actionnaires. Si laugmentation des engagements des actionnaires tait interdite lassemble gnrale extraordinaire, celle-ci pouvait, en revanche, dcider une simple diminution de leurs droits. Certes, la distinction entre laugmentation des engagements et la diminution des droits tait incertaine et difficilement applicable aux cas despce49. Cependant, la solution ne posait aucun problme. Non seulement une interprtation stricte de larticle 101 du code de commerce imposait de consacrer cette distinction, mais aussi et surtout larticle 115 du code de commerce en donnait une illustration propos du droit prfrentiel de souscription. En effet, si les statuts ne pouvaient, en principe, le supprimer, cette suppression pouvait nanmoins tre dcide par lassemble gnrale extraordinaire des actionnaires. Dailleurs, la distinction entre augmentation des engagements et rduction des droits tait consacre par la jurisprudence franaise50. 3- La possibilit pour lassemble gnrale extraordinaire daugmenter les engagements de la socit. En effet, en visant les engagements des actionnaires et non ceux de la socit, larticle 101 du code de commerce autorisait lassemble gnrale extraordinaire de dcider des modifications statutaires qui entranaient une charge supplmentaire pour la socit. Cela se produisait notamment, chaque fois quune opration de restructuration saccompagnait dune reprise ou dune garantie du passif.

    49 Un exemple type est fourni par larrt de la premire chambre civile de la Cour de

    cassation franaise du 22 juin 1982 (D. 1983 p. 87 note GOURALAY). En lespce, une socit cooprative vinicole avait modifi ses statuts. Ceux-ci prvoyaient que les associs pouvaient se retirer chaque anne. La rsolution litigieuse avait dcid que, dsormais, le cooprateur ne pourrait plus quitter la socit quaprs cinquante ans. La doctrine stait empar de cet exemple pour se demander sil sagissait dune diminution permise du droit de sortir, ou dune augmentation interdite de lobligation de rester.

    50 C. Cass. Fr. Ch. Civ. 9 fvrier 1937 D. 1937 -1- p. 73 note Besson, S. 1937 -1- p. 129 note ROUSSEAU ; Versailles 29 novembre 1990 D. 1991 p. 134. En lespce, la mesure prise, savoir la rduction du capital zro, navait pas augment les engagements des actionnaires, mais avait simplement fait disparatre leurs droits.

  • 62

    Or, si le code des socits commerciales na pas repris, dans son article 291, cette limite lomnipotence de lassemble gnrale extraordinaire, il consacre cependant certaines de ses applications. Cest ainsi que : 1-Tout en affirmant que laugmentation du capital social doit tre dcide par lassemble gnrale extraordinaire, dans les conditions prvues par la loi, sauf stipulation contraire des statuts et condition quil ( ?) ne contredise pas les dispositions lgales impratives 51, le code des socits commerciales prcise que laugmentation du capital social par majoration de la valeur nominative ( ?) des actions est dcide lunanimit des actionnaires, sauf si laugmentation a t ralise par incorporation des rserves, des bnfices ou des primes dmission 52. 2-Tout en affirmant que toutes les socits lexclusion de la socit en participation peuvent opter pour une transformation en choisissant lune des formes prvues au prsent code 53, et que la dcision de transformation de la socit est prise par lassemble gnrale extraordinaire conformment aux dispositions du prsent code et aux dispositions particulires rgissant chaque type de socit 54, le code des socits commerciales prcise que la socit anonyme ne peut se transformer quen socit en commandite par actions ou en socit responsabilit limite 55. Le fondement de cette rgle ne peut tre que linterdiction implicite certes- daugmenter les engagements des actionnaires. Dailleurs, larticle 143 du code des socits commerciales permet dappuyer davantage cette ide puisquil dispose que la transformation dune socit responsabilit limite en socit en nom collectif, en commandite simple ou en commandite par actions est ralise par une dcision de lassemble gnrale extraordinaire, prise sous peine de nullit lunanimit des associs . 3-Larticle 296 du code des socits commerciales reconnat aux actionnaires, proportionnellement au montant de leurs actions, un droit de 51 Article 293 alina premier du code des socits commerciales. 52 Article 293 alina 3 du code des socits commerciales. 53 Article 433 alina premier du code des socits commerciales. 54 Article 434 du code des socits commerciales. 55 Article 433 alina 2 du code des socits commerciales.

  • 63

    prfrence la souscription des actions de numraire mises pour raliser une augmentation de capital, et rpute non avenue toute clause contraire. Or, larticle 300 du mme code dispose que lassemble gnrale extraordinaire qui dcide ou autorise une augmentation du capital social peut supprimer le droit prfrentiel de souscription pour la totalit de laugmentation du capital ou pour une ou plusieurs parties de cette augmentation . SECTION II : LE GLISSEMENT DU CHOIX DES PERSONNES VERS DAUTRES ORGANES : Lassemble gnrale est exclue de la nomination de certains organes. Dans les socits anonymes de type classique, si lassemble gnrale peut nommer tous les administrateurs, elle ne peut dsigner directement le prsident du conseil dadministration et le directeur gnral de la socit qui sont dsigns par le conseil dadministration56. Dans les socits anonymes directoire, le conseil de surveillance exerce une influence directe sur la nomination des membres du directoire, et qui apparat travers les deux rgles suivantes. Dune part, Selon larticle 226 alina premier du code des socits commerciales, les membres du directoire sont nomms par le conseil de surveillance pour une dure maximale de six ans renouvelable, sauf stipulation contraire des statuts.. Il dcoule de cette disposition que le conseil de surveillance dispose dune comptence exclusive pour nommer les membres du directoire. Mme lassemble gnrale se voit refuser le pouvoir de nomination57. Dautre part, larticle 226 alina premier du code des socits commerciales prcise que le conseil de surveillance confre lun des membres du directoire la qualit de prsident 58.

    56 Articles 208 et 217 du code des socits commerciales. 45 Cette comptence apparat premire vue inadquate. En effet, outre le fait quil

    nest pas normal que lorgane de contrle dsigne directement les personnes quil est appel contrler, le conseil de surveillance est investi dune mission de surveillance, alors que la nomination des membres du directoire est une tche de gestion. Cependant, cette solution semble se justifier par le fait que, reprsentant les actionnaires de la socit, et tant charg de sauvegarder leurs intrts, le conseil de surveillance a une lgitimit sociale dsigner les dirigeants de la socit.

    58 Cette comptence reconnue au conseil de surveillance de dsigner le prsident du directoire est choquante plus dun titre :

  • 64

    Lassemble gnrale partage souvent son pouvoir de nomination avec dautres organes. Deux hypothses de partage du pouvoir peuvent tre releves. Premire hypothse : Les commissaires aux comptes, qui sont nomms normalement par lassemble gnrale ordinaire59, peuvent ltre, exceptionnellement, par le prsident du tribunal de premire instance du lieu du sige de la socit60. Cette nomination judiciaire intervient gnralement lorsque lassemble gnrale omet de dsigner un commissaire aux comptes, ou lorsque le commissaire aux comptes dsign par lassemble gnrale refuse la tche qui lui est confie ou se trouve dans un cas dempchement. A ces trois cas prvus par larticle 261 du code des socits commerciales, on peut ajouter un quatrime non prvu par la loi. En effet, lorsquune action en justice tendant rcuser le ou les commissaires aux comptes dsigns par lassemble gnrale est intente, le juge qui fait droit cette demande procdera directement la nomination du ou des commissaires aux comptes qui exerceront leurs fonctions la place de ceux qui ont t rcuss. Deuxime hypothse : Si les membres du conseil dadministration sont normalement nomms par lassemble gnrale, ils

    1- Dans les socits anonymes avec conseil dadministration, larticle 208 alina

    premier du code des socits commerciales dispose que le conseil dadministration lit parmi ses membres un prsident qui a la qualit de prsident directeur gnral , et on ne voit vraiment pas pourquoi le lgislateur a priv les membres du directoire de cette comptence qui leur appartient normalement.

    2- La nomination du prsident du directoire par le conseil de surveillance risque de perturber lhomognit du directoire et menace son efficacit, dans la mesure o lhomognit est un lment ncessaire pour lefficacit de tout organe collgial.

    3- La nomination du prsident du directoire par le conseil de surveillance met ce dernier en position de force vis--vis du directoire puisque cest lui qui construit ce rassemblement de personnes quest lquipe de gestion et choisit son prsident. Les membres du conseil de surveillance, qui sont gnralement dimportants actionnaires attachs la direction de la socit, peuvent ainsi dsigner les personnes qui se prtent le mieux leur politique.

    59 Article 260 du code des socits commerciales. 60 Article 261 du code des socits commerciales.

  • 65

    peuvent ltre exceptionnellement par le conseil dadministration61, voire par le juge des rfrs. Le droit des socits est certes domin par le principe de non immixtion du pouvoir judiciaire dans les affaires sociales. Il nappartient pas au tribunal de substituer un mandataire de justice aux dirigeants sociaux. Cependant, dans certaines circonstances exceptionnelles, notamment lorsque le fonctionnement de la socit nest plus correctement assur, lorsque le bloc majoritaire risque de prendre des dcisions dangereuses au regard de lintrt social, ou que la survie de la socit est gravement mise en cause, il devient ncessaire de protger la fois les minoritaires et la personne morale. Dans ces cas, lintervention judiciaire devient une ncessit. Lintervention judiciaire dans ladministration des socits commerciales est admise en cas de difficults conomiques. Cest ainsi quen imposant la prsence dun juge conciliateur au cours de la priode du rglement amiable62, et dun juge commissaire pendant le rglement judiciaire63, la loi n 95-34 du 17 avril 1995 relative au redressement des entreprises en difficults conomiques64 permet lautorit judiciaire dintervenir massivement pour aider les entreprises surmonter leurs difficults conomiques65.

    61 En effet, en cas de vacance, par dcs ou dmission dun ou de plusieurs

    administrateurs, le conseil dadministration peut, entre deux assembles gnrales, procder des nominations provisoires pour atteindre le minimum lgal, et lassemble gnrale la plus proche dans le temps aura statuer sur la ratification de ces nominations. Cest la pratique de la cooptation consacre par larticle 195 du code des socits commerciales.

    62 Article 10 de la loi du 17 avril 1995. 63 Article 22 de la loi du 17 avril 1995. 64 JORT n 33 du 25 avril 1995, p. 792. 65 La loi n 97-71 du 11 novembre 1997 relative aux liquidateurs, mandataires de

    justice, syndics et administrateurs (JORT n 91 du 14 novembre 1997, p. 2047) a largi, le domaine dintervention de lautorit judiciaire dans ladministration des socits. En fait, mis part les liquidateurs judiciaires et les syndics de faillite qui ninterviennent gnralement qu une priode irrmdiable de la vie sociale, savoir la liquidation et la faillite de la socit, cette loi a permis aux mandataires de justice et aux administrateurs provisoires de suppler les organes sociaux dans ladministration sociale. Larticle 2 de cette loi prcise que les fonctions des administrateurs provisoires consistent dans ladministration des entreprises dans le cadre de la lgislation spcifique qui traversent des difficults conomiques ou qui sont lobjet dun conflit relatif leur gestion. Le tribunal peut leur confier

  • 66

    Lintervention judiciaire dans ladministration des socits commerciales est admise aussi en cas de difficults politiques. En effet, ds quun danger imminent et rel menace la socit, tout associ peut demander au juge des rfrs la dsignation dun mandataire de justice charg de prserver les biens de la socit et de ladministrer en cas de besoin. Disposant que dans tous les cas durgence, il est statu en rfr par provision et sans prjudice au principal , larticle 201 du code de procdure civile et commerciales soumet lintervention du juge des rfrs deux conditions savoir lurgence et labsence de prjudice au principal66. Appliques en droit des socits, ces conditions subissent une dformation certaine. La pntration ou linfiltration du but conomique par la prise en considration de lintrt de lentreprise dans le motif juridique, le dplacement du problme du plan juridique classique sur lequel il se situait en droit commun au plan conomique, a entran une modification sensible, une adaptation et donc une dformation des critres juridiques dintervention du juge des rfrs (PARAGRAPHE I) et mme dans certains cas leur dpassement (PARAGRAPHE II). Paragraphe I : la dformation des critres dintervention du juge des rfrs :

    Mme si les deux conditions durgence et labsence de prjudice au principal ne sont pas compltement ignores, la prise en considration du motif conomique par le juge travers la notion dintrt de lentreprise, leur a confr une coloration particulire. La dtermination de lurgence se ramne la dtermination des hypothses de fonctionnement anormal de la socit (A), et labsence de prjudice au

    dautres fonctions . On en dduit que ladministrateur charg de grer la socit doit pouvoir procder tous les actes ncessaires pour surmonter la crise et bnficier dune marge importante dinitiative pour excuter ou rsilier les contrats conclus par la socit, pour grer celle-ci dans les conditions les plus favorables qui permettent sa survie, et enfin, et si possible, pour concilier entre les diffrents antagonistes en provoquant par exemple la runion dune assemble gnrale.

    66 Lurgence qui dtermine lintervention du juge des rfrs, constitue le seuil de sa comptence dattribution. Le prjudice au principal constitue la limite de sa comptence.

  • 67

    principal se ramne empcher le juge des rfrs de heurter les principes de fonctionnement de la socit en se substituant ses organes pour trancher des litiges internes (B).

    A- le fonctionnement anormal de la socit constitue lurgence :

    Lurgence, critre retenu par la loi67 et appliqu par la jurisprudence68 pour dterminer la comptence du juge des rfrs, est une notion fonctionnelle ne se dfinissant pas dans labstrait et dont le contenu varie selon les cas despce69. En gnral, il ya urgence chaque fois quun pril pressant ou quun retard entranerait un prjudice irrparable ou que les intrts dune partie seraient en pril ou quil sagira de prendre les mesures conservatoires ncessaires et que les dlais des autres juridictions, si abrgs soient-ils, entraneraient une sorte de dni de justice 70. Dans le cadre particulier du fonctionnement des socits commerciales, lurgence, qui doit sapprcier non dans la personne de celui qui agit ft-il un actionnaire majoritaire mais dans celle de la socit71, sentend dun pril imminent menaant les intrts rels de la socit 72. Ce pril existe sans aucun doute chaque fois que les organes sociaux ne sont pas en tat de fonctionner normalement. Le fonctionnement normal de toute personne morale qui de part sa nature ne

    67 Article 201 du code de procdure civile et commerciale : Dans tous les cas

    durgence, il est statu en rfrs . 68 C.Cass, Arrt civil n 1401 du 3 Mai 1979, BCC, 1979-1-, P. 211, C.Cass, Arrt

    civil N 476 du 18 Mars 1978, BCC, 1978-1-, P. 123, C.Cass. Arrt civil N 2044 du 15 Avril 1978, BCC, 1978-1-, P. 185, C.Cass. Arrt civil N 867 du 22 Avril 1978, BCC, 1978-1-, P. 212, C.Cass. Arrt civil N 815 du 29 Avril 1978, BCC, 1978-1-, P. 231, C.Cass. Arrt civil N 816 du 6 Juin 1978, BCC, 1978-1-, P. 289.

    69 Dans ces conditions, la question de savoir sil ya ou non urgence devient une question relevant de lapprciation souveraine des juges du fond.

    C.Cass. Arrt civil n 816 du 6 Juin 1978, BCC, 1979-1-, P. 289 ; C.Cass, Arrt civil n 8182 du 3 Novembre 1982 ; Mohamed Njib Rekik : Lurgence en rfr, Mmoire pour le D.E.S de droit priv. Facult de droit de Tunis, 1975-1976.

    70 Daniel Bastian : Note au JCP 1948-4116. Cest le cas lorsquun bailleur demande lexpulsion momentane de son locataire

    afin de procder des rparations ncessites par ltat de son local qui menace ruine et dont une partie est dj tombe.

    C.Cass. Arrt civil N 10608 du 19 Janvier 1960, RJL 1960, P. 461. 71 C.A. Aix 14 Novembre 1957, JCP 1957-10304. 72 D. Bastian : Note au J.C.P. 1948-4116.

  • 68

    peut agir delle-mme73, suppose, en effet lexistence dune structure compose gnralement dun organe de dlibration, dun organe de gestion et dun organe de contrle ou de surveillance. Toute dfectuosit constate au niveau de lun de ces organes paralyse la socit, compromet mme son existence et justifie lintervention du juge des rfrs. Cette dfectuosit peut couvrir deux hypothses. La premire hypothse concerne linexistence des organes sociaux. Lexemple type cet gard est celui du conseil dadministration de la socit anonyme, soit que celui-ci dmissionne en bloc, soit que les pouvoirs des administrateurs sont expirs, soit enfin lorsque, pour une raison quelconque, la dlibration de lassemble gnrale ayant nomm les administrateurs a t annule74. La deuxime hypothse concerne limpossibilit de dlibrer valablement dans laquelle les organes sociaux peuvent se trouver. Pour quune socit fonctionne normalement, il ne suffit pas que ses organes existent, il faut encore quils excutent les tches qui leur incombent ou du moins quils aient la possibilit de les excuter. Or, il se peut que tout en existant, les organes sociaux ne soient pas mme de dlibrer valablement, soit pour des considrations internes telles que leur composition incomplte ou les difficults irrductibles surgissant entre leurs membres, soit pour des considrations extrieures, lorsque, par exemple le conseil dadministration dune socit anonyme, par inertie et par crainte dtre rvoqu, refuse de convoquer lassemble gnrale des actionnaires ou de mettre lordre du jour de celle-ci la rvocation de certains administrateurs75. Ainsi, dans laffaire Hill-Diar, le prsident du tribunal de premire instance de Sousse a accept la dsignation dun squestre judiciaire charg dadministrer momentanment les affaires sociales du moment que le litige opposant les associs peut rellement nuire aux intrt de la socit76. Mais pour viter que le pouvoir du juge ne dgnre en une immixtion flagrante dans les affaires sociales, la Cour de cassation a prcis que la crise existant entre les organes sociaux doit engendrer

    73 Article 5 du code des obligations et des contrats. 74 La nullit de la dcision de lassemble gnrale a, en effet, pour consquence,

    dannuler la nomination du conseil dadministration ; Par ailleurs, la dmission de lancien conseil le met dans limpossibilit dassurer la marche des affaires sociales.

    75 CA Sousse arrt n 12799 du 25 octobre 1987. 76 C. Cass. Arrt n 51214 du 18 janvier 1996, RTD 1996, p. 315.

  • 69

    une paralysie effective de ces organes 77, et quune simple menace de crise incertaine ne doit pas tre retenue du moment que les organes sociaux fonctionnent normalement.

    B- Labsence de prejudice au principal devient le respect des principes regissant le fonctionnement de la societe :

    Si la doctrine et la jurisprudence sont loin dtre daccord sur le sens et la porte de la condition dabsence de prjudice au principal, les processualistes modernes tendent y voir une expression du principe de dpendance et de subordination du juge des rfrs par rapport au juge du principal, et une consquence du caractre provisoire des dcisions de rfrs. Cest ainsi que le juge des rfrs qui ne doit ni trancher la problme au fond, ni prendre une mesure qui aurait pour effet dteindre les droits des parties, ni mme fonder sa dcision sur des motifs tirs du fond du droit, doit constater doffice son incomptence sil nest pas possible de faire droit la demande sans que lapprciation des intrts respectifs des parties nimplique ou ne suppose un pr jugement du principal78. De mme, la dcision du juge des rfrs ne lie pas le juge qui statuera ultrieurement sur le fond79.

    Or, si les dcisions jurisprudentielles rendues propos des socits commerciales ont parfois appliqu la condition dabsence de prjudice au principal dans son sens classique, originel, qui est dinterdire au juge des rfrs dempiter sur le domaine rserv au juge du fond, elles nont pas hsit la dformer. En effet, subissant linfluence des principes gouvernant le fonctionnement des socits, la rgle de labsence de prjudice au principal est souvent analyse comme une interdiction faite au juge des rfrs de se substituer aux organes sociaux. Cest ainsi quune action intente par le grant dune socit responsabilit limite et tendant lannulation de sa rvocation, a t rejete comme portant prjudice au principal au motif quayant t rvoqu, ce grant ne peut pas prtendre rester la tte de la socit80. 78 R. Perrot : Note la RTD 1975, P. 205 et s. et la RTD 1976, P. 149 et s. 79 C.Cass..Arrt civil n 1999 du 18 Octobre 1979. BCC 1979-II- P. 65. 80 Trib.1re Instance Mahdia (Rf) Jugement N 1903 du 7 Mai 1981, RJL 1984-1-

    P. 135.

  • 70

    Plus gnralement, cette nouvelle conception de labsence de prjudice au principal est de nature interdire au juge des rfrs de juger de lopportunit81 des actions fin sociale82 exerces devant lui par les associs et tendant gnralement la dsignation dun mandataire de justice charg de convoquer une assemble gnrale, et cela pour deux raisons au moins. Dune part, la structure de la socit repose sur lquilibre entre deux pouvoirs concurrents, le pouvoir reconnu aux dirigeants, et le pouvoir reconnu aux associs agissant individuellement. Et tout dveloppement du pouvoir du dirigeant se traduit par un renforcement des actions fins sociales mises la disposition des associs. Dans ce contexte, contrler lopportunit des actions fin sociales revient, pour le juge des rfrs, remettre en cause lquilibre voulu par le lgislateur83. Dautre part, la loi de la majorit qui prside au fonctionnement de certaines socits permet la seule majorit et non au juge dapprcier si la demande dun associ est ou non opportune pour la socit84. Paragraphe II : le dpassement des critres dintervention du juge des rfrs :

    Si une partie de la jurisprudence, anime par la volont de limiter au strict ncessaire lintervention du juge des rfrs dans le fonctionnement des socits, contrle les conditions durgence et dabsence de prjudice au principal85, celles-ci sont gnralement ngliges, dpasses, refoules. Non seulement lurgence a t reconnue

    81 Le juge des rfrs peut contrler la finalit de laction en vrifiant que la demande

    ne tend pas la satisfaction de fins propres du demandeur, distinctes de lintrt social ou trangres lui, mais tend plutt aux fins que le lgislateur a prvu, savoir le contrle des organes sociaux.

    82 La loi et la jurisprudence accordent aux associs le droit dagir en justice pour des questions concernant le fonctionnement de la socit, soit poar pallier son fonctionnement dfectueux ou irrgulier, soit pour leur permettre dintervenir dans la vie sociale par lexercice dun droit de contrle.

    83 D. Schmidt : Note au D. 1972. 84 D. Schmidt : Note au D. 1972. 84 Trib.1re Instance de Tunis. Jugement des rfrs N 9499 du 18 Avril 1962,

    RJL 1965, P. 167. 85 Trib.1re Instance de Tunis. Jugement des rfrs N 9499 du 18 Avril 1962,

    RJL 1965, P. 167.

  • 71

    mme lorsque les organes sociaux fonctionnent normalement (A) mais aussi labsence de prjudice au principal a t souvent confondue avec la condition durgence (B). A- Il ya urgence mme si les organes sociaux fonctionnent normalement :

    Sentendant dun pril imminent menaant les intrts rels de la socit 86, lurgence, qui peut exister lorsque les organes sociaux ne fonctionnent pas normalement, ne doit pas exister lorsque ces organes sont on tat de fonctionner normalement. Et pourtant, mme dans ce cas, le juge des rfrs simmisce dans les affaires de la socit, notamment lorsque le fonctionnement de la socit, sans tre paralys, est truqu. Limmixtion du juge des rfrs peut ainsi constituer une technique de protection de la socit personne morale contre les agissements de ses associs tendant son dmantlement. Tel est le cas dun associ dune socit responsabilit limite qui, voulant se dbarrasser de ses coassocis, a runi une assemble gnrale, dcid la dissolution de la socit, et sest dsign comme liquidateur de celle-ci, ce qui lui a permis de disposer des biens sociaux comme de ses biens propres87. Tel est galement le cas lorsque le Prsident Directeur Gnral dune socit anonyme sest rserv exclusivement la gestion de la socit aprs avoir renvoy ses actionnaires de leur travail dans la socit et cess de payer leur salaire, provoquant une situation de grave msintelligence entre les actionnaires tout en refusant de convoquer une assemble gnrale88. Limmixtion du juge des rfrs peut galement constituer une technique de prvention de labus de majorit. Il arrive que des associs majoritaires disposant du droit dadministrer ou de diriger la socit, essaient den faire linstrument plus ou moins serviable de leurs intrts personnels, et partant, agissent dans un sens contraire lesprit de socit. Les tribunaux voient dans ce cas un abus de majorit et le sanctionnent par divers moyens. Les associs lss peuvent, dabord, agir en responsabilit contre les dirigeants. Mais, quil sagisse de laction

    86 D. Bastian : Note au JCP 1948-4116. 87 C.Cass..Arrt civil n 5008 du 10 Dcembre 1981. B.C.C.1981-IV- P. 226. 88 C.Cass..Arrt civil n 8182 du 3 Novembre 1982. Indit.

  • 72

    individuelle ou de laction sociale exerce ut singuli, leurs consquences sont souvent dcevantes puisque naboutissant pas la rparation intgrale du prjudice subi89. Les associs lss peuvent, ensuite, demander lannulation de la dcision abusive. Cest la sanction classique et normale de labus de majorit. Mais elle nest pas elle aussi approprie. En effet, outre le fait que lannulation sanalyse comme une substitution du juge lorgane social comptent pour dcider de la conduite suivre dans les affaires sociales, elle ne procure aux actionnaires demandeurs quune satisfaction de principe puisque ne sauvegardant pas lavenir et neffaant pas entirement les consquences dj produites par labus90. Cest pourquoi les tribunaux, tenant compte du fait que ces abus sont souvent commis par les organes dadministration, ont trouv dans ladministration judiciaire un moyen dy remdier efficacement. Lorsque ces organes violent le pacte social, soit en prenant des dcisions contraires lintrt social ou favorables la majorit et dfavorables la minorit, soit en refusant de rgler les comptes entre les associs91, le juge des rfrs les dessaisit temporairement de leurs fonctions en leur substituant un administrateur nomm par lui. B- Labsence de prjudice au principal est ramene a la condition durgence : Analyse comme une interdiction faite au juge des rfrs de se substituer aux organes lgaux, la condition dabsence de prjudice au principal entrane, a priori, une extension de lobligation du juge, et ds lors, une restriction des pouvoirs du juge des rfrs en matire de socits commerciales par rapport au droit commun, dans la mesure o, mme si elle ne risque pas dempiter sur le domaine rserv au juge du fond, la dcision du juge des rfrs peut porter atteinte aux pouvoirs reconnus par la loi et les statuts aux diffrents organes de la socit anonyme. Il ne faut cependant pas exagrer la dmonstration, les tribunaux dcidant quil ya ou non prjudice au principal selon que latteinte aux principes de fonctionnement normal de la socit leur parat

    89 Guyon : Note au JCP 1970-16219. 90 Guyon : Note au JCP 1970-16219. 91 C.Cass. Arrt civil n 4302 du 2 Novembre 1981. BCC 1981-IV- P. 46.

  • 73

    ou non justifie par la situation de celle-ci. Ainsi entendu, le prjudice au principal est bien prs de se confondre avec le dfaut durgence. Il apparat en dfinitive que la condition essentielle de lintervention du juge des rfrs dans ladministration de la socit anonyme est lurgence, lobligation de ne pas prjudicier au principal apparaissant comme une limite assez vague aux pouvoirs du juge des rfrs. Lexemple le plus significatif cet gard est celui de la substitution judiciaire dun administrateur provisoire aux organes de gestion de la socit. Outre le fait que le principe mme de cette nomination porte atteinte au droit des actionnaires de choisir librement les organes qui peuvent administrer la socit, elle peut aussi apparatre anormale compte tenu des pouvoirs dont le juge des rfrs investit ladministrateur provisoire. Limmixtion du juge des rfrs reste normale lorsque les fonctions dont il investit ladministrateur provisoire sont de courte dure et limites quant leur tendue. Cest le cas lorsque le juge des rfrs se contente de nommer un administrateur ad hoc, soit pour faire respecter un droit quelconque dun associ (veiller la communication de documents, tablir un procs verbal de lassemble gnrale ou vrifier la liste de prsence), soit pour assister et contrler des administrateurs dont la gestion na pas toujours t exempte de reproches et qui, dans une socit en liquidation ont la tche de prsenter un concordat92, soit pour contrler un conseil dadministration auquel rien en fait ntait reproch, mais dont les pouvoirs taient expirs et quaucune assemble gnrale navait pu renouveler93. Le problme devient plus dlicat lorsque le juge des rfrs procde la nomination dun administrateur provisoire charg de convoquer une assemble gnrale et, au besoin, de la prsider. Apparemment, cette dcision ne prjudicie pas au principal puisque lintervention du juge des rfrs est limite et a seulement pour but de chercher replacer la socit sous le pouvoir de ses actionnaires. Il en est notamment ainsi lorsquil ny a pas dorgane dadministration ou lorsque

    92 CA Paris 7 Mai 1937, JCP 1937-292. 93 Cass.Fran. 29 Juin 1925, DH 1925, P. 593.

  • 74

    le conseil dadministration est paralys. Mais lorsque les organes dadministration existent encore, et quil est simplement reproch aux administrateurs un manquement leurs obligations, il ya prjudice au principal puisque la dcision du juge des rfrs dessaisit le conseil dadministration de son pouvoir lgal de runir lassemble gnrale, bien quil ait t jug, dans un domaine diffrent il est vrai, que la mise de la socit sous squestre judiciaire tranger aux parties pour la prservation des droits de ceux-ci ne portant prjudice aucune de ces parties, ne constitue pas une atteinte au principal94. La situation devient plus grave encore lorsque le juge des rfrs confre ladministrateur provisoire tous pouvoirs pour rsoudre la difficult qui avait motiv sa dsignation. Du fait que le juge des rfrs ne peut trancher une difficult srieuse, ladministrateur judiciaire ne peut, en principe, tre charg que de lexpdition des affaires courantes sans engager lavenir de la socit. Il a t ainsi jug quautoriser un administrateur provisoire engager des dpenses importantes mme ncessaires (en lespce, renouveler entirement le matriel de lentreprise), serait dpossder les associs de leur droit de dcision et donc prjuger au fond95. Et pourtant, certaines dcisions estiment logique de confier ladministrateur provisoire tous pouvoirs pour rsoudre la crise qui avait motiv sa dsignation et assurer la gestion courante, en attendant le retour une situation normale. Certaines dcisions ont mme confi ladministrateur provisoire la mission de grer activement et passivement la socit96.

    94 C.Cass. Arrt civil n 5008 du 10 Dcembre 1981, BCC 1981-IV-226. 95 Trib.Com. Seine 23 Mars 1949, JCP 1949-4980. 96 CA Rouen 25 Septembre 1969, JCP 1970-16219.

  • 75

    DEUXIEME PARTIE : LA SANCTION DE LA POLITIQUE DE LASSEMBLEE

    GENERALE : LABUS DE MAJORITE : Comme il est devenu impossible de runir le consentement unanime des membres dune socit en raison de la multiplication de leur nombre notamment dans les socits de capitaux, la loi de la majorit sest substitue progressivement lunanimit comme mode de rgulation de la vie sociale. Reposant sur une prsomption selon laquelle la majorit est prsume exprimer la volont sociale, le mcanisme majoritaire permet dviter les situations de blocage dues labstention ou au refus de certains actionnaires. La volont de la majorit simpose dsormais aux rcalcitrants qui nauront dautres alternatives que de sincliner. Le vote des assembles nest cependant pas tout fait souverain et les tribunaux se rservent le droit de contrler sinon la conformit de la dcision lintrt social, du moins labsence dintrt personnel vident ou dintention de nuire. Il est vrai que limmixtion du juge dans la vie des socits oppose depuis longtemps la doctrine commercialiste. Sagissant des conflits entre actionnaires, certains auteurs estiment que lefficacit de la loi de la majorit ne doit pas tre sape par des actions continues des minoritaires cherchant dans lenceinte judiciaire le moyen de compenser une infriorit politique 97. Dautres estiment que mme rare, lventuelle intervention du juge demeure un trs utile garde-fou contre ce que Tocquville baptisait la tyrannie de la majorit, ou Jean-Jacques Daigre, le risque de drive fonctionnaliste qui menace toute socit : Les politiquement majoritaires doivent savoir quils peuvent avoir juridiquement tort 98. En fait, sil ya un principe qui fait lunanimit, cest bien celui selon lequel le droit cesse l o labus commence . Cest ainsi que sest exprim PLANIOL99 pour dmontrer les limites lexercice dun droit. Et cest justement pour viter de tels abus que le droit des socits permet lautorit judiciaire de rgler les crises qui affectent la personne morale en rtablissant un quilibre social menac suite un abus de minorit, un

    97 Caussain et Viandier, J.C.P. 1991, ed. E., 61, n 5. 98 Jacques Mestre, Rev. Jur. Com., novembre 1991, p. 114. 99 Cit par CARTERON, Labus de droit et le dtournement de pouvoirs dans les

    assembles gnrales des socits anonymes, Rev. Socits, 1964, p. 181.

  • 76

    abus dgalit ou mme un abus de majorit100. Mme dcides par une majorit des associs, les dcisions sociales ne sont pas labri dune ventuelle annulation judiciaire si elles sont abusives101. Cette censure judiciaire peut se fonder sur le fait que si la loi de la majorit permet aux actionnaires majoritaires de dfinir la politique de la socit et dimposer leurs dcisions aux actionnaires minoritaires, laspect institutionnel de la socit anonyme entrane une consquence importante savoir la nature fonctionnelle des pouvoirs de la majorit. Lexpression signifie que lactionnaire majoritaire occupe dans la socit un poste analogue celui du fonctionnaire dans le secteur public, c'est--dire quil ne reprsente, ni ses propres actions, ni mme un groupe, mais la socit toute entire et, par consquent, les pouvoirs des actionnaires majoritaires sont limits par la poursuite des buts sociaux, et la majorit excde ses pouvoirs lorsquelle prend des dcisions non conformes lintrt social et qui doivent tre censures judiciairement. Daprs larticle 103 du code des obligations et des contrats, il ny a pas lieu responsabilit civile lorsquune personne, sans intention de nuire, a fait ce quelle avait le droit de faire. Cependant lorsque lexercice de ce droit est de nature causer un dommage notable autrui, et que ce dommage peut tre vit ou supprim, sans inconvnient grave pour layant droit, il ya lieu responsabilit civile si on na pas fait ce quil fallait pour le prvenir ou pour le faire cesser . Cette thorie civiliste de labus de droit, qui permet au juge de redresser les situations qui risquent dtre dnatures est-elle transposable la socit anonyme, en dautres termes, les actionnaires majoritaires engagent-ils leur responsabilit lorsquils prennent une dcision prjudiciable, soit la 100 Il sagit pour le juge, appel rsoudre une crise que la socit traverse, soit du fait

    dun conflit entre ses associs, soit du fait de la carence ou de la paralysie de ses organes, dassurer le fonctionnement normal et mme la survie des entreprises qui, par leur capacit de production, et par le nombre de salaris quelles emploient, sont devenues lagent essentiel du progrs conomique et social, et par suite, lobjectif central et la proccupation majeure des pouvoirs publics ( Mme si elle est prive par lorigine de ses capitaux, lentreprise devient publique par sa finalit conomique et sociale (Paul DURAND, Les fonctions publiques de lentreprise prive, Droit social, 1945, p. 246).

    101 Article 290 du code des socits commerciales ; C. Cass. Arrt n 19416, du 14 juin 1986, RTD, 1990, p. 289, note Mohamed LARBI HACHEM ; CA Monastir, arrt n 3065 du 28 juin 1990, RTD, 1990, p. 392, note Mohamed LARBI HACHEM

  • 77

    socit toute entire, soit seulement aux actionnaires minoritaires ? A priori, rien ne sy oppose, dautant plus que la thorie de labus de droit est applique dans toutes les institutions juridiques. Toutefois, la transposition ne doit pas se faire sans une modification de son contenu102. En droit civil, le critre de labus est lanormalit dans lexercice dun droit, en ce sens quabuse de son droit celui qui lexerce avec intention de nuire ou dans des conditions entranant un prjudice notable autrui. Ce critre danormalit est difficilement applicable en droit des socits en raison des diffrences qui sparent le droit du pouvoir. Alors que le droit est confr en vue de la satisfaction dintrts particuliers, le pouvoir est donn la majorit pour satisfaire lintrt de la collectivit des associs. Dans ces conditions, le juge appel sanctionner les agissements abusifs de la majorit doit tre guid par un souci de conciliation entre le respect des prrogatives de la majorit en matire de dtermination des grandes orientations de la politique de la socit, dune part, et la protection des actionnaires minoritaires et de lintrt suprieur de lentreprise, dautre part. Effectivement, Selon une jurisprudence franaise constante, labus de majorit est constitu lorsque la dlibration sociale a t prise contrairement lintrt gnral de la socit et dans lunique dessein de favoriser les membres de la majorit au dtriment des membres de la minorit 103. Il ya abus de majorit si

    102 Andrien PEYTEL et Georges HEYMAN, De labus de droit dans les socits

    commerciales, Gaz. Pal. 1951, 1, Doctrine, p. 50 ; Georges HEYMAN, La notion dabus de droit et la censure judiciaire de la gestion des socits commerciales, Gaz. Pal. 1965, 1, Doctrine p. 15 ; Georges HEYMAN, La sanction de labus de droit aprs la rforme du droit des socits, Gaz. Pal. 1971, 1, Doctrine p. 76 ; Nolle LESOURD, Lannulation pour abus de droit des dlibrations dassembles gnrales,

    103 Cass. Com. 18 avril 1961, JCP, 1961, II, 12164, note D.B., D. 1961, p. 661 ; Gaz. Pal. 1961, 2, 15 ; Cass. Com. 16 octobre 1963, RTDCom 1966, p. 115 ; Cass. Com. 11 octobre 1967, RTDCom. 1968, p. 94. Cass. Com. 21 janvier 1970, RTDCom. 1970, p. 738 ; Cass. Com. 29 mai 1972, JCP, 1973, II, 17337, note Y. Guyon ; CA Paris, 17 novembre 1972, RTDCom ; 1972, p. 431 ; CA Paris 7 novembre 1972, RTDCom. 1972, p. 917 ; Cass. Com. 22 janvier 1991, Rev. Socits, 1991, Somm. Jur. P. 345 ; CA Paris, 24 janvier 1992, Dr. Socits, 1992, n 138, obs. H. Le Nabasque ; Andrien Peytel et Georges Heymann, De labus de droit dans les socits commerciales, Gaz. Pal. 1951-1- Doctrine p. 50 ; Georges Heymann, La notion dabus de droit et la censure judiciaire de la gestion des socits commerciales, Gaz. Pal. 1965, 1, Doctrine, p. 15 ; Georges Heymann, La sanction

  • 78

    les majoritaires ont la volont de voter une dlibration sociale dans leur seul intrt, quelle est prise contrairement lintrt gnral de la socit et quelle cause un prjudice aux minoritaires. Cest ce que consacre larticle 290 du code des socits commerciales daprs lequel les actionnaires dtenant au moins vingt pour cent du capital social pourront demander lannulation des dcisions prises contrairement aux statuts ou portant atteinte aux intrts de la socit, et prises dans lintrt dun ou de quelques actionnaires ou au profit dun tiers 104. A travers ce texte, le lgislateur prcise la notion dabus de majorit (SECTION I) et sa sanction (SECTION II). SECTION I : LA NOTION DABUS DE MAJORITE : Larticle 290 du code des socits commerciales sanctionne par la nullit certaines dcisions sociales soit en raison de leur violation des statuts, soit en raison de leur contrarit avec lintrt social (PARAGRAPHE I) et la rupture dgalit quelles engendrent entre les majoritaires et les minoritaires (PARAGRAPHE II).

    de labus de droit aprs la rforme du droit des socits, Gaz. Pal. 1971, 1, Doctrine, p. 76.

    104 La conscration par le code des socits commerciales des tendances jurisprudentielles franaises connat cependant certaines limites. Cest ainsi que ce code ignore compltement la thorie de la faute personnelle dtachable des fonctions de direction. Lorsque la socit est en mesure de supporter financirement les consquences des fautes de ses dirigeants, la Cour de cassation franaise les protge comme le Conseil dEtat protge les fonctionnaires, en admettant que le dirigeant nest responsable lgard des tiers quen cas de faute dtachable de ses fonctions (G. AUZERO, Lapplication de la notion de faute personnelle dtachable des fonctions en droit priv, D. 1998, p. 502 ; V. WESTER-OUISSE, Critique dune notion imprcise : la faute du dirigeant de socit dtachable des fonctions, D. 1999, p. 782). Les juges ont ainsi transpos en droit des socits les solutions admises en droit administratif selon lesquelles lagent ne rpond que de sa faute personnelle dtachable de ses fonctions et non de la simple faute de service. Autrement dit, en cas de dommage caus par le fait fautif dun dirigeant, le tiers doit en principe se retourner contre la personne morale reprsente, la responsabilit du reprsentant ntant quexceptionnelle et subordonne la preuve dune faute dtachable de ses fonctions et qui lui soit imputable personnellement. Il est vrai que cette transposition, et la quasi-irresponsabilit laquelle elle conduit, nest pas justifie dans la mesure o la gestion des personnes morales de droit priv nest pas soumise aux contraintes du service public et que, contrairement lEtat, une socit nest pas toujours solvable.

  • 79

    Paragraphe I : la non conformit de la dcision majoritaire a lintrt social :

    Si les minoritaires doivent accepter de se conformer aux dcisions majoritaires, il ne faut pas oublier que le pouvoir de dcision qui appartient la majorit lui est confr non dans son intrt personnel, mais dans celui de la socit. Est ds lors abusive toute dcision non conforme lintrt gnral de la socit. Tout en constituant lun des lments fondamentaux de lorganisation du pouvoir dans la socit 105, lintrt social, au mme titre que la bonne foi en matire contractuelle, lintrt de lenfant106 , lintrt des poux107 et lintrt

    105 J. PAILLUSSEAU, Les groupes de socits : analyse du droit positif franais et

    perspectives de rforme, RTD Com 1972, p. 174. 106 Lintrt de lenfant domine le droit de la garde. Pour rglementer la garde, le code

    du statut personnel sest dans un premier temps inspir essentiellement du droit musulman. En effet, les caractristiques essentielles de la hadhana du droit musulman se retrouvaient dans le code du statut personnel. La garde revient en principe la mre ainsi qu sa parentle fminine. Le pre ne la retrouve que lorsque lenfant atteint un certain ge. Avec la rforme du 3 juin 1966, le lgislateur a rompu avec cette tendance. Dsormais, la garde ne saccorde quen fonction de lintrt de lenfant. La notion de lintrt de lenfant nest plus un correctif, elle est devenue le critre dattribution de la garde. Selon larticle 67 du code du statut personnel relatif la garde, tel que modifi par la loi n 93-74 du 12 juillet 1993, en cas de dissolution du mariage par dcs, la garde est confie au survivant des pre et mre. Si le mariage est dissout du vivant des poux, la garde est confie soit lun deux, soit une tierce personne. Le juge en dcide en prenant en considration lintrt de lenfant. Au cas o la garde de lenfant est confie la mre, cette dernire jouit des prrogatives de la tutelle en ce qui concerne les voyages de lenfant, ses tudes et la gestion de ses comptes financiers. Le juge peut confier les attributions de tutelle la mre qui a la garde de lenfant, si le tuteur se trouve empch den assurer lexercice, fait preuve de comportement abusif dans sa mission, nglige de remplir convenablement les obligations dcoulant de sa charge, ou sabsente de son domicile et devient sans domicile connu, ou pour toute cause portant prjudice lintrt de lenfant .

    107 Selon larticle 5 du code du statut personnel, les deux futurs poux ne doivent pas se trouver dans lun des cas dempchements prvus par la loi. En outre, avant vingt ans rvolus et la femme avant dix-sept ans rvolus ne peuvent contracter mariage. Au-dessous de cet ge, le mariage ne peut tre contract quen vertu dune autorisation spciale du juge qui ne laccordera que pour des motifs graves et dans lintrt bien compris des deux futurs poux . Cette disposition est une application de larticle 2 de la Convention de New York du 10 dcembre 1962 qui dispose que ne pourront contracter lgalement mariage, les personnes qui

  • 80

    de la famille108 dans le domaine du statut personnel, lintrt de lentreprise en droit du travail109, est une notion cadre, un concept standard qui peut difficilement tre apprhend dans une dfinition globale. En matire de droit pnal des affaires et notamment du dlit dabus des biens et du crdit de la socit110, lintrt social se distingue la fois de lobjet social111 et de lintrt des associs112 et repose sur les

    nauront pas atteint cet ge moins dune dispense dge accorde par lautorit comptente pour des motifs graves et dans lintrt des futurs poux .

    108 R. Thry, Lintrt de la famille, JCP 1972, I, 2495. 109 Le droit du travail utilise le concept de lintrt de lentreprise comme fondement

    justifiant le pouvoir de lemployeur lgard du salari et en mme temps comme un critre encadrant le pouvoir et le contrlant. Cest ainsi que la jurisprudence a reconnu lemployeur le droit dapporter des modifications non substantielles au contrat de travail sans affecter ses lments essentiels, en fonction de lintrt de lentreprise.

    G. Couturier, Lintrt de lentreprise, in mlanges J. Savatier, 1992, p. 143 ; B. Grelon, Qui peut juger de lintrt de lentreprise ?, Dr. Ouvrier, 1988, p. 128.

    . .1996- 1995

    110 La lecture des articles 51, 146, 158 et 223 du code des socits commerciales permet de dgager trois lments constitutifs du dlit dabus des biens et du crdit de la socit savoir lusage des biens et du crdit de la socit, latteinte lintrt social et llment intentionnel compos dun dol gnral, la mauvaise foi, et dun dol spcial, lintrt personnel des dirigeants sociaux.

    111 0Lintrt social se distingue ainsi de lobjet social dans la mesure o un acte de gestion peut tre conforme lobjet social tout en contrariant lintrt de la socit. Cest ainsi notamment quun prt consenti un taux dintrt normal ou mme lev peut constituer un acte contraire lintrt social sil est manifeste que les sommes ayant reu cette affectation auraient d tre utilises dautres fins nettement plus conformes aux intrts sociaux et quelles auraient pu procurer la socit des avantages suprieurs.

    112 Deux thses ont t avances pour justifier la distinction entre lintrt social et celui des associs. 1- La thse de la socit institution ou de la socit personne morale : Selon

    cette thse, lintrt social se distingue de lintrt des associs pour exprimer lintrt de la personne morale. Cest ainsi que les biens sociaux tant la proprit de la socit qui a la personnalit morale et non ceux de ses associs, lassentiment, mme unanime, de lassemble gnrale na aucune influence sur la culpabilit du dirigeant et le dirigeant dune socit unipersonnelle responsabilit limite peut tre condamn pour abus de biens sociaux. La socit a un intrt distinct et autonome par rapport ses associs, mme en prsence dun associ unique.

  • 81

    critres dabsence de contrepartie113 ou du risque social114. En matire dabus de majorit, lintrt social est apprci par rapport lobjet de la socit. Lapprciation de lintrt gnral de la socit par rapport son objet entrane deux con