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- 445 - ORIGINES DE L'ARCHITECTURE GOTHIQUE -. EN ESPAGNE Coiiféreuee par M. ENLART - Voir Bulletin (troiskmo volume. n' Ii), ]n ge 235 p M ssicu ils, C'est avec un vif p''" que je me retrouve dans ce milieu ami; je 'tic saurais oublier l'accueil sympathique dont vous avez honoré mes précédentes causeries sur l'influence de l'art fiançais du moyen ùge en Italie et clans les pays (]il nid Aujourd'hui nous reviendrons, si vous Je voulez bien, vers le sud; je me propose de vous parler de l'architecture gothique française en Espagne. L'architecture gothique de l'Espagne est beaucoup plus belle et mieux comprise que celle de l'Italie et des pays scandinaves, mais ses origines se ramènent moins facilement à quelques prin- cipes simples en effet, les initiateurs n'ont pas été seulement iêi quelques moines peu nombreux et pratiquant une doctrine uniforme et bien définie. Avant les moines de Citeaux, les moines dc Clun y , tout-puissants en Languedoc. avaient passé delà en Espagne ils y avaient implanté l'architecture romane du Languedoc; Sain t-lacques-de-Compostelle est sorti du môme moule que Sainte-Foy de Couques et Saint-Sernin de Toit- buse, Saint-Isidore de Léon et beaucoup d'autres églises sont 'les exemples très frappants clii même arl. L'Espa g ne ne fut jamais éprise d'ascétisme de la même façon que l'italie l'Espagne aimait le faste; les Maures qu'elle s'évertuait à chasser au xi et au xi[' siècle et les moines de Clu.ny qu'elle appelait à venir bâtir et diriger des églises dans les provinces reconquises ne l'aimaien t pas moins; sous ce rapport. 011 peut dire que la population iiid gène, les alliés qu'elle appelait du nord'et les envahisseurs qu'elle repoussait vers le sud s'entendaient complètement. • Quand les moines de Citeaux vinrent en Espagne. ils trou- vèrent encore très vivace l'ordre ,de Cluny et ses tLaslitions et ne -purent les supplanter là comme ailleurs, Document I H liii IlI III lIl IIIlIIIIIIII 0000005777020

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  • - 445 -

    ORIGINES DE L'ARCHITECTURE GOTHIQUE-.EN ESPAGNE

    Coiiféreuee par M. ENLART -Voir Bulletin (troiskmo volume. n' Ii), ]n ge 235

    p

    M ssicu ils,

    C'est avec un vif p''" que je me retrouve dans ce milieuami; je 'tic saurais oublier l'accueil sympathique dont vousavez honoré mes précédentes causeries sur l'influence de l'artfiançais du moyen ùge en Italie et clans les pays (]il nidAujourd'hui nous reviendrons, si vous Je voulez bien, vers lesud; je me propose de vous parler de l'architecture gothiquefrançaise en Espagne.

    L'architecture gothique de l'Espagne est beaucoup plus belleet mieux comprise que celle de l'Italie et des pays scandinaves,mais ses origines se ramènent moins facilement à quelques prin-cipes simples en effet, les initiateurs n'ont pas été seulementiêi quelques moines peu nombreux et pratiquant une doctrineuniforme et bien définie. Avant les moines de Citeaux, lesmoines dc Clun y, tout-puissants en Languedoc. avaient passédelà en Espagne ils y avaient implanté l'architecture romanedu Languedoc; Sain t-lacques-de-Compostelle est sorti du mômemoule que Sainte-Foy de Couques et Saint-Sernin de Toit-buse, Saint-Isidore de Léon et beaucoup d'autres églises sont'les exemples très frappants clii même arl.

    L'Espa gne ne fut jamais éprise d'ascétisme de la même façonque l'italie l'Espagne aimait le faste; les Maures qu'elles'évertuait à chasser au xi et au xi[' siècle et les moines deClu.ny qu'elle appelait à venir bâtir et diriger des églises dans lesprovinces reconquises ne l'aimaien t pas moins; sous ce rapport.011 peut dire que la population iiid gène, les alliés qu'elleappelait du nord'et les envahisseurs qu'elle repoussait vers lesud s'entendaient complètement.• Quand les moines de Citeaux vinrent en Espagne. ils trou-vèrent encore très vivace l'ordre ,de Cluny et ses tLaslitions et ne

    -purent les supplanter là comme ailleurs,

    Document

    IH liii IlI III lIl IIIlIIIIIIII0000005777020

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    Un autre lait est à considérer; c'est que les cisterciens d'Es-pagne ne sont pas venus directement des abbayes bourgui-gnonnes de Citeaux, Clairvaux et Pontigny, mais (les établis-seinents.qu'ils avaient déjà fondés en Languedoc et en Aquitaine,et il se passe en Espagne un phénomène analogue à celuiqu'on observe dans les pays du nord; les cisterciens qui sontvenus en Norvège avaient d'abord passé par l'Angleterre, ceuxqui se sont établis en Suède avaient d'abord passé par l'Alle-magne, ceux qui vinrent en Espagne avaient d'abord passé parle sud de la France dans ces divers pays, les moines deCîteaux n'ont jamais apporté. leurs modèles bourguignons quetrès modifiés par l'influence de lu contrée intermédiaire. Etcomme en Espagne les Clunistes sont généralement venus euxaussi du Languedoc, c'est de cette province qu'ils ont appeléleurs architectes gothiques en sorte qu'il y a sinon unité dedirection, du moins unité de source dans l'importation du stylegothique en Espagne. Cette unité ne produit pas toutefois unegrande uniformité l'art roman du Languedoc est assez coin-plexe, il a subi un peu l'influence de l'Auvergne, à laquelle ildoit ses tours centrales octogones et ses absides ornées decolonnes; il a subi celle de la Provence qui lui u donné lesarcs de décharge intérieurs accolés aux murs latéraux, les absidespolygonales à l'extérieur seulement, les sodés élevés de certainescolonnes. Le Poitou même a influencé le Languedoc par l'in-teimédiaire des moines de Saint-Hilaire (c'est ce qu'a très bienmontré mon jeune et savant confrère M. Noël i'hiollier dansnue thèse remarquable souten ne cette semaine à l'Ecole (lesChartes). Enfin lit petite école byzantine du Périgorda poussé aussi des pointes dans cette grande région qui verres-pond à peu près à l'archidiocèse de Bourges. Il faut ajouter quedans cette région, il existe des subdivisions artistiques, (lesmanières locales, telles que celles du Limousin qu'ont étudiéeM. de Baudot et M. A.nthvme Saint-Paul et celle du Berry queM. Buhot de Kersers a mise en lumière.

    Quant à l'architecture gothique, l'archidiocèse de Bourgesl'a reçue un peu de la Champagne, dont l'architecture se recon-naît à Saint-Pierre de Bourges, et beaucoup plusde l'Aquitaine,et la région de Toulouse a eu une manière ou sous-écolegoihique dont L'originalité frappante consiste dans le partiintelligent que les artistes ont su tirer de l'emploi de la brique.Les écoles très originales de ces deux provinces sont inspiréesde celle de lIle-de-France, car aucune d'elles n'a d'édiFice

  • - il Il. -

    gothique qui ne soit de dix ans postérieur au choeur de Saint-Denis.

    Plus tard, à la lin du xiii 0 siècle, le Languedoc fut conquispar cette école gothique très pauvre (lui SO créa en ! Provence sousJ'influence des dominicains.

    Les premiers édifices gothiques bâtis en Espagne appartien-nent surtout à l'art que le Languedoc avait reçu de l'Aquitaineet de ['Anjou. Avant de parler des détails (le CCS monuments,il sera bon de rappeler en quelques mots l'histoire de notreécole gothique du sud-ouest.- Nous verrons que c'est d'elle ques'inspirent, malgré quelques mélanges d'influences bourgui-gnonnes, les monuments bâtis clans la péninsule sous Ii n-fluence (tes moines de Citeaux et de Cluny. Plus tard, en pleinxni° siècle, nous verrons l'influence des grandes cathédraless'exercer à son tour, mais nous noterons la place prépondéranteque tient l'influence de collette Bourges. Nous constatons toute-fois qu'à latin du xiii 0 siècle l'Espagne cherchad'autres modèleset que l'architecture de la Champagne fut alors imitée là commeen beaucoup d'autres pays.

    L'Anjou avait adopté le style gothique environ dix ans aprèsi'lle-de-France. Quand mourut, en 1152, l'évêque d'AngeisNormand de Doué, il laissait inachevées les voûtes d'ogivesdont il avait voulu doter sa cathédrale et qui sont le plusancien morceau d'art gothique angevin dont on sache la date.A Saint-Maurice d'Angers, le système français de la croiséed'ogives s'applique à des travées carrées sur un vaisseau large etdune élévation médiocre; les dispositions du plan sont cellesqu'on avait pris l'habitude d'adopter dans cette région pour élu-Mir des séries de coupoles. Un peu plus tard, à Bordeaux et àAgen on procéda de même et l'école d'Aquitaine reprit bientôtailleurs plus qu'à Saint-Maurice d'Angers ses anciens erre-ments elle essaya d'appliquer des branches d'ogives à diverstracés de voûtes romaines, soit en coupoles, soit en berceau avecpénétrations latérales comme dans les églises de Saint-Pierred'Airvault et de Saint-Jouin de Marnes. Mais on appliqua plussouvent la croisée d'ogives à la forme seule de la voûte en cou-poles je dis à la forme, car si les voûtes d'ogives de l'Aquitaineprésentent des suites de calottes et des culs de four renforcésde branches d'ogives, l'appareil de la coupole ou de la demi-scoupole n'y subsiste que rarement les assises sont disposéesle plus souvent comme dans l'lle-de-France ou en Normandie,et cela est surtout vrai dans les plus anciens monuments.

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    • L'école tUAq uilai ic continue de bâtir des églises à lino nef ouk trois nefs d'égale hauteifr. et n'eut que peu ou point d'arcs-boutants. Les plus beaux types de ce genre sont la cathédralede Poitiers, les églises de Saint-Maixent. du Puy Noire-Dameet de Cancles près Saumur.

    Ce type d'églises est certainement celui qui a inspiré dansl'école du Languedoc Saint-Martin de 13i'ives, le transept et lechoeur de l'église de la Souierrainc ; les voûtes bombées à doublecroisée d'ogives du cloître de la cathédrale de Tulle et du cloitre(le l'abbaye cistercienne de Fontfroide près Narbonne, appar-tiennent franchement à l'école gothique de l'Aquitaine suriinfluence u donc traversé tout le Languedoc.

    Nous allons VOit' comment celte variété de l'arcbi [cet tiregothique qui a influencé aussi l'Angleterre, le Danemark et larégion germanique a été portée de l'Aquitaine et du Languedociii Espagne par les Cisterciens d'une part de l'autre par desévècfues fiançais presque tous clunistes, après quoi nous envi-sagerons dans la période suivante l'influence des grandes cthé-draies françaises sur l'Espagne:

    Quatre abbayes cisterciennes d'Espagne ont fait connail re etpropagé le style gothique, ce sont, eu Catalogne, les abbayes dePoblet; de Sautas Creus et \Teruela toutes trois. fondées par lesmoines de Fontfroide Veruela de 1 U43 k 1151 ; Poblet cil 1153;Santas Creus en 1157 ; auprès de Burgos, une abbaye defemmes, Las Huelgas, fondée par la reine Aliénor, femmedAlfonse VIII, fille du roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine,Flemri II Plantagenet cil enfin, l'abbaye d'Alco.haza,bàtic de 11 8 à 1222.

    Les plans de ces grandes abbayes sont les mêmes qui furenten usage dans toutes les régions et surtout dans les monastèresde Citeaux, l'église occupe un côté (]il cloitre à l'opposé setrouve le réfectoire, tout contre lequel est la cuisine dansl'arrglele plus proche de l'entrée du monastère et des magasins à pro-visions; ces magasins ou celliers occupent l'étage inférieur dubâtiment qui règne sur la façade; au-dessus des celliers, est lelogis des religieux convers ou serviteurs, à, portée de la cuisineet tIc la porte d'une part, cl communiquant de l'antre avec lanef de l'église. C'est au contraire avec le choeur que continu-nique le dortoir des moines, qui occupe l'étage supérieur desbàtiments de l'est. Le rez_de :. chaussée des mèmes bâtimentscoin prend la salle du trésor ou sacristie contiguë à l'église, lasalle capitulaire, lieu où les moines tiennent leurs réunions

  • - -

    solennelles 011 délibératives, et le ehanifoir, local aménagé pourloirs les travaux d'intérieur. hors tic l'enceinte dit outrouve lu logis des novices, qui y est relié, le logis des étran-gers qui en est soigneusement séparé cL à portée de l'entréedu monastère, de celte de l'église et du bâtiment des convers,enfin, l'inflrnieiie isolée plus soigneusement encore.

    Les églises des abbayes cisterciennes d'Espagne ont des plansempruntés à celles tic la Bourgogne Veruela, Poblel et 'Alco

    'Fig. 1.

    baza ont le plan tic Clairvaux et Pontign y, avec une absidecirculaire entourée d'une suite continue de eh apelies, et d'an Ireschapelles sur les bras du transept.

    PoLIcÉ a le plan de Fontenay choeur carié avec groupe detrois fenêtr'es clans le mur de fond, et suite (le chapelli s égatement cariées au transept. Quant aux détails en élévationÀlcobaza représente une église à trois nefs du type poitevin etles attires églises empruntent leur architecture au Languedoc.

    Occupons-nous (lu détail i:le ces abbayes cisterciennes d'Es-pagne, afin de connaître mieux le caractère de ces édifices.

    Le parti adopté dans le dortoir des moines k Santas Croit,(fig. 4) et dans deux salles semblables, mais plus vastes qui

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    existent dans l'abbaye de Poblet, est lemème que dans plusieurssalles d'abbayes cisterciennes d'Italie et du midi de la France,et nous en trouvons un bel exemple aussi dans une église duLanguedoc, que l'on appelle Laniourguié â .Narbonne. Ce partiétait économique el très approprié à des contrées chaudes etpauvres en. grandes pièces de bois. Il n'à cessé, par exemple,d'être eu grand usage clatis l'île de Chypre depuis le *n10 sièclejusqu'à'nos jours. Il consiste à rempla:er lés Fermes dô 1u char-

    Fig. 2.

    pente apparente par de grands arcs doubleaux en tiers point,la longueur des travées est coin mandée par celle des pannes quel'on pose sur les reins (les arcs doubleaux. C'est simple et d'uneffet. très monumental.

    La salle capitulaire de l'abbaye de Poblet (fig. 2) est enterréede la hauteur de quelques marches, disposition que les moinesavaient dû emprunter à l'architecture civile des Orientaux etqu'ils avaient adoptée partout. Cette disposition entretient u ne tem-pérature moyenne. Le style est une bonne architecture françaisedes environs de l'an 1200; les encorbellements coniques rap-pellent la Bourgogne, les colonnes à paris coupés rappellent la

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    salle capitulaire iieNoirIac en Beh'i èL heiuéhp ae monuments champenois; quant à la sculpture traitée toute en méplatet découpée comme à l'emporte-pièce, c'est un travail de stylemauresque dû à des artistes locaux.

    Le réfectoire (le Poblet est plus ancien que la salle capitu-

    Fig. h

    litire il est couvert d'une épaisse voûte en berceau tracée entiers point et.qui entretient la fraiclicur ; de plus, au centre dela salle est une fontaine monumentale cil pierre, avec un ra[raicliissoir pour les bouteilles.

    Selon l'usage, la chaire du lecteur (fig. 3) est desservie jarun escalier pris aux dépens de la muraille, elle est placée dansl'embrasure d'une,ne fenêtre qui éclaire le lecteur. On petit w] mirer

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    la belle simplicité de l'ar6hikcture, lapurelé déspioportionset des profils.-

    La foriLaine du cloître oii les moines devaient d laver' lesmains avant et après le repas est abritée sous unédicWc octo-gone (fig. 4), •doiU. la date est voisine aussi de 4200 .ei.t1tii

    ressemble assez à l'édicule du xi' 0 siècle qui joue le même rûIôdans l'abbaye de Valmagne près Montpellier. Au x. iv0 siècle on fitune travée de galerie pour relier entre eux le cloître et le lavabode Polie!; Fédieule devait être isolé auparavant, dispositionqu 'on jugea avec raison peti commodè. Le cloître est de deuxépoques, fin du xit° et xiii 0 siècle. Dans les parties du xii 0 , insculpture est française et excessivement sobre; dans les parties

  • 53 -.

    CI ii Nil le , 1arehi1eeLurerdste .françîise lu ais la sculpture est mau-Ee59 CC.

    Une chapelle de l'église, de Las Huelgas, près Burgos (fig. 5),montre combienlarchilecture de l'Anjou n. été exactement repro-duite dans celte église. Les voûtes bombées reposent sur des

    Fi g. b.

    ogives à ramifications multiples; Informe est celle de trois demi-calot Les dont deux forment trompes pour passer du plan carréde la chapelle ait plan circulaire de la voûte, mais l'appareilna rien de la coupole. C'est absolument l'architecture de Saint-Serge d'Ai gers, Candes, Le Puy Notre-Dame, Agnières prèsMon treuil.-Bellay.

    Dans les églises de Nèrueta., de Poblet, d'Alcobaza, les absides

    n

    N

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    plus anciennes sont voûtées d'un véritable cul de Tour porté surdes branches d'ogives, c'est là un procédé assez usité aussi dansl'Aquitaine et le Languedoc. On le trouve cii Poitou à Jase-.treuil et à Lusignan en Languedoc à Chirac près Marvéjols.

    L'influence des cisterciens est prouvée par les archives commepar le style (le la cathédrale de Tarragone et de son cloître. Oitsait qu'un des architectes, mort en 1256, était un certain frèreBernard, venu probablemeni. de Fontfroide. Or le cloître de tacathédrale de Tarragone est une copie manifeste de celui deFontfroide, et la cathédrale elle-même imite d'assez près l'ab-batiale de Poblet.

    Passons tuai n tenant aux monuments ha tis pour le clergéséculier dont presque tous les membres importants au xii 6 etau xiii0 siècle étaient sortis des rangs de l'ordre de Cluny.

    L'église Saint-Vincent d'Avila (fig. 6) u été commencée en styleroman, au xii0 siècle, sous l'influence des clunistes et sous lerègne du roi Alfonse Baimond (1109 à 112G) qui était fils d'unduc de Bourgogne et neveu du pape duniste, Calixte II.

    Le choeur et le transept de cette église appartiennent au styleroman du Languedoc il en est de même de la nef les piliersreposent sur des socles circulaires pareils à ceux que l'on trouveà la cathédrale de Salamanque, et dans l'Ave yron à Conques,à Aubin,• à Villeneuve-de-Bouerg ue, mais le petit portail del'église est bourguignon, le grand. portail est une copie de celuide Saint-Lazare ct'Avallon, et le cordon sculpté pu se trouvéau-dessus des arcades de la nef reproduit très exactementcelui de l'abbatiale de Cluny. Au-dessus vient lui triforium quine semble pas avoir de caractère bien tranché les bas côtésont des voûtes d'arêtes, et la nef, où l'on avait prévu unevoûte en berceau, a été terminée au xu° siècic.par mie voûted'ogives. Les profils y sont les mûmesqu'à Poissy. Pour, accor-der cette voûte d'ogives avec les supports, on a ingénieuse-ment placé des chapiteaux en biais sur les dosserets. Pareilartifice est employé dans deux églises de l'Yonne, à Pontigiiyet à Vermanton. Sur le transept s'élève une lanterne cariéeromane, analogue à celles dEbreuil (Allier) et Saint-Désiré(Cher) qui a reçu un peu plus tard, air siècle, des voûtesd'ogives gothiques celles-ci appartiennent au type de l'Aqui-taine; elles sont semblablés à celles des chapelles de Las Huelgas.

    L'influence de l'Aquitaine s'est fait franchement sentir danstrois curieuses églises de transition les cathédrales de Zamoraet de Salamanque et la collégiale de Toro.

    's

  • - 4i5

    La cathédrale de Zamora n eu successivement cieux évêquespérigourdins, liertiard de Périgueux et .Jérôme de Périgueux,mais comme le second est mort en 442G et (jute l'église n'a étéconsacrée qu'en 11 7&, leur influence n'a pu s'exercer directe-ment sur la construction, La cathédrale de Salamanque, où le

    Fig. G.

    même Jérôme fut archevêque, ne date pas non plus de sontemps : elle a été iclievée un peu avant 11 -18 enfle, la collé-giale de Toro date des dernières années du xtt° et du xiii 0 siècle.

    Ces trois églises rappellent beaucou .p 'es églises i'om&n'es duLimousin, le Dorai. Beaulieu, Obazine, Saint-Junien, Bénévent,La Souterraine, Figeac. Elles ont une tour carrée à l'ouesl.et unelanterne octogone au carré du transept, lanterne qui, du reste,existe aussi à Conques. A ]'ol'o, la nef est trop basse pour qu'on

  • - -

    ait percé ds'fenêtres. À Zamora et à Toro, ks ioiïails'.ntd'es voussures dentlées d'une suitede quarts de cercles coiiinieà la cathédrale (le Tulle, ah .Dorat. à Saint-.Jtinien, à la Souter-raine et aussi dans d'autres monuments (le l'école du Langiiedoccomme Bains (Flaute-Loire) et Saint-Amand (Cher). A-Salainan-que, le bras sud du transept actes branches d'ogives dentelées enzigzags comme à l'abbatiale tic Figeac et dans la dernière travéetIc nef de la cathédrale de Tulle. Les voûtes de la salle capitu-laire de Tulle et celles (lu cloît deTarragone offrent cette mêmeornementation.talion.

    Une autre similitude frappante se trouve dans les chapiteauxdans la région limousine, à la cathédrale de Tulle, k Obazine.au Dorat, à Rocamadour, la presque totalité (les chapiteaux n'aqu'une corbeille nue et lisse, (lue le tracé de son galbe rendquand même élégante. Ce type de chapiteau est parfaitemen tmotivé parl'emploi du granit, En Espagnerles églises de Poblet,Zamora et Toro ont des chapiteaux iclentiq uernen t semblables.

    Les formes générales de ces églises sont encore romanes, maiselles sont assez postérieures à la plupart des types limousins dontelles sinspirent, aussi monlrent-elles toutes l'emploi (10 la croi-sée d'ogives combiné avec celui de la voùlc d'arêtes, de la voûteen berceauberceau et de la coupole.

    Ici se.place une remarque curieuse et qui serait importantesi les dates de l'histoire, l'étude des monuments, et la naturemôme des lois de la construction permettaient de pi'endu'e enconsidération un paradoxe au moins étrange émis il y aquelques années. Vous savez qu'on a tenté de démontrer quela voûte d'ogives dérivait non de la voûte d'arêtes niais (le lacoupole et avait son origine non dans Hie-de-France mais enAnjou. Cette théorie :a pleinement atteint son but, puisqu'ellea attiré l'attention je m'accuse de m'être donné un des pro-ni iers la peine d'y répondre, et mon savant confrère M. Bru-laits vient de lui faire l ' honneur de la réfuter dans une polé-mique éloquente et serrée. Je vous demande la permission dene pasrevenir sur, cette question que le bon sens d'abord etl'histoire ensuite devraient suffire à résoudre, je neveux ici quetendre une perche amicale et inespérée à l'inventeur (le la cou-pole génératrice du style gothique. JE a toute chance de triom-pher en prouvant (et - il saura Certainement le démontrer) que lestyle gothique est venu d'Espagne en Anjou avant de venird'Anjou en France : l'Espagne est bien autrement fertile quel'Aquitaine én vieilles coupoles sur croisées d'ogives.

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    En effet; sans . parler des culs de four .sur croisées d'ogivesqueje vous ai déjà signalés, on trouve en Espagne des coupolesportées sur branches d'ogives au carré (lu transept-des églisesde Zamora, de Saamauque, d'Irache et de Taro (fig. 1), dans lesbas côtés de celle dernière église, plusieurs travées sont couvertes

    Fi g . 7.

    de coupolesportées sur croisées d'ogives, et k la vieille cathé-drale de Salarnarique, le procédé est, on peut le dire, systéma-tiqiie.Pour parler sérieusement, je crois qu'on peut chercherla source de ce procédé dans le Limousin qui fournit celle depresque tous les détails de construction et d'ornementation dees mêmes églises: en eftet,,à la Souterraine, une travée (lu

    xiii0 siècle présente le même système d'appareil, et dès la fin

  • -458— -

    du xii', il est appliqué à deux chapelles du lransept de Saint-Junien. Il est regrettable que la coupole (le la cathédrale deTulle ait disparu et que celle (le Figeac ait Ôté refaite, car il niesemble probable qu'elles seraient analogues à la coupole ccii-

    ltig. 8.

    traie de l'église de Foro A. Zamora, à Salamanque (fig. 8),même disposition.

    A lexiérieur, ces Louis lanternes ne rappellent plus leLimousin, niais l'Aquitaine elles ont le type des tours cen-trales de Sainte-Marie (le Saintes, de Montier-Neuf et de Notre-Dame de Poitierselles ont une Ikelie obtuse et bombée,couverte d'imbrications comme dans ces exemples et à Saint.

  • 59 -

    Front de Périgueux. et elles sont canonnées de quatre clo-chetons (le forme analogue (fig. 8).

    A cette influence générale de l'architecture française du sudde la Loire, succède dans l'Espagne du xiii 0 siècle l'influence(les grandes cathédrales surtout du centre de la France, puisl'influence de la Champagne, qui semble avoir été très étenduedurant la seconde moitié du xiii 0 siècle.

    Nos grandes cathédrales de France sont des créations rienscuiemen t plus grandioses et plus savantes, mais souvent pluslibres que les petites églises; si les grands artistes qui les ontbâties étaient du pays, ils ont interprété largement les traditionsde l'école locale ; et d'autres fois, ils sont venus de loin. C'est ainsiqu'il serait difficile de trouver une parenté entre les cathédralesde Clermont, de Limoges (sa tour exceptée) ou de Bayonne et leséglises élevées en mème temps dans la même région. Si l'ontrouve (le dOS rapports, ce sont des imitations plus fréquemment(lite des préparations. En attendant que s'affirme la personna-lité des grands artistes, les grandes oeuvres d'art du xiù° siècleont toutes leur personnalité, et cette personnalité s'impose lesarchitectes apprentis étudiaient ces clic fs-dwuvre; les aréhitectessecondaires les copiaient et au besoin en amalgamaient les mor-ceaux, comme Vilard de Honnecourt ramassant sur son album lesroses des catliéilralesde Chartres et deLausanne, une toui de cellede Laon et de nombreux détails de celle de Reims. : De leurcôté, les peuples et les grands personnagçs ambitionnaientd'avoir des reproductions de ces édifices célèbres c'ést ainsique de 4471 à 1179, Guillaume de Sens alla faire à Cantorberyune imitation de la cathédrale de sa ville natale ; c'est ainsiiDIC vers le milieu du xii 0 siècle, Vilard de 1-Ionnecourt fut mandéen llongiïe et qu'en 4288, Etienne de Bonneuit quitta Parispour la Suède où il fit à.Upsal une imitation libre de Notre-Dame.Mathieu d'Arras commençait en même temps lacathéçirale dePrague et si nous avions l'histoire de celle de Roskilde en Dane-mark, il est probable qu'elle donnerait aussi le nom d'un artiste

    - (lu nord de la France, tant elle ressemble à celles d'Arras etde Noyon.

    Déjà aussi les , artistes tenaient à mettre leur nom sur unecomposition Vilard de Honnecourt et Pierre de Corbie ontsigné ensemble un curieux plan de choeur d'église où desabsidioles alternent avec des chapelles carrées. Or, pour enrevenir à l'Epagne, ce plan' si particulier ne s'est retrouvénulle part si ce n'est à la cathédrale de i'olède-; ce rapport a

    Zr

  • - 460 -

    tI.é signalé pur Street, arclulecte anglais, mais ce dont Streetne s'est pas avisé, c'est que l'architecte du choeur (le la cathé-drale tic Tolède, mort en 4270, s'appelait Pierre et était, fiançaisde nation rien n'empêcherait d'y voir Pierre de Côrbie lui-même, mais ce n'est là qu'une hypothèse.

    -s

    11 g. O.

    La cathédrale de iFolède (fig. 9) n'appartient, pas toutefois abso-lument à l'ait du nord de la France elle il un rapport infimeavec la cathédrale un peu antérieure de Burgos. celle-ci futconsacrée en 1230 celle de Tolède fut commencée en 1227.L'une et l'autre ressemblent fort ii la cathédrale de Bourges,avec cette différence qu'elles ont nu transept. Les doubles colla-téraux, leurs proportions - larges, le plan et l'élévation despiliers ronds cantonnés de colonnettes maigres et toutes cou-

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    ronflées de petits çiiai tffiiaux carrés, trapus et insignifiants sontautant de - pointe de ressemblance Burgos a, de plus commeBourges, un triforiuni liés particulier à larges baies surbaisséesdont les colonnettes poilent un remplage percéde quelquestrèfles. À. 1'olêde, on trouve des galeries à jour qui imppellentla mode adoptée dès lors en Frande.

    La cathédrale de Léon montre un style gothique français plusparlait encore cet édifice, auquel on travaillai t avec activitéen 128, était achevé en 1303. Elle est plus petite et beaucoupplus légère que la cathédrale (le Tolède ; les arcs boutants etles meneaux sont ;iussi minces que possible ; les travées sontcomplètement ajourées de fenêtres ; 011 a même pratiqué (lesécoinçons à jour entre l'extrados de celles-ci et les chéneauxcomme à la chapelle du clièteau de Saint-Germain-en-Laye et kSaint-Urbain de Troyes ; ces chéneaux sont portés entre le muret la voûte sur des arcs comme en Champagne comme enChampagne aussi, un chemin de ronde intérieur est établi surl'appui des fenêtres des bas côtés (fig. 4O),et traverse les piliers,et une moulureure arrondie passe sous ce chemin de ronde et sous letriforium en formant des bagues autour de toutes les colonnes.

    Enfin, le triforium et le porche ont des arcs suraigus cham-penois, et les chapiteaux des colonnes du choeur ont deux cor-beilles superposées comme dans les cathédrales de Jleirns et deChartres et à l'église de Saiul.- Quenlin qui imite en plus (l'unpoint la cathédrale de Beims.

    Cette influence de la Champagne se trouve au XIII' siècle (unième degré dans plusieurs pays de l'élranger ; Vilard de flou-necourt u surtout étudié en Champagne et les architectes queles croisés ont appelés en Grèce et dans hile de Chypre ontcertainement fait de même. En Chypre, les cathédrales (leNicosie et de Famagouste sont champenoises; en Grèce, celle(le Misira, fondée du rdste par Villeliardouin, a un clocherchampenois.

    A Léon , l'imitation de la cathédrale de Chartres s'ajoute àces traditions cii ciTer, le porche occidental qui précède cettecathédrale est presque une copie des porches latéraux quifurent ajoutés au ximi° siècle à celle de Chartres vous connais-sez tous la composition si originale de ces porches, formés del.rws travées égales, couvertes de courtes voûtes en berceau,perpendiculaires à la façade et séparées entre elles par deuxtravées extrêmement étroites. Les berceaux renforcés (le ner-'Aires qui reposent sur des tètes sculptées, sont Portés sur (les

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    linteaux que soutiennent des quillages de colonnettes appuyées kun noyau central Orné (le niches et de statues. L'exactereproduction (le CC système se voit à Léon. La statuaire aussi aquelques analogies avec celle (les porches de Chartres, maisressemble bien plus à celle de lleiins quant aux tympans, ils

    Fig. 10.

    sont sculptés et celui du centre présente un très beau Jugementdernier, imité peut-être (le celui de Bourges, mais plus analogueencore ù celui (le Saint-Eugène près Orbais, et présentant desvariantes très originales. Alors que les artistes fiançais réser-vaient toute leur imagination pour les scènes de l'enfer, celuide Léon a été surtout invenlif dans la représentation du para-dis, où les élus se couronnent (le fleurs et dansent au son del'épinette. Le sculpteur de Saint-.Eugène a donné aussi quelque

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    développement au ..Iwadis qu'il .a orné d'un arbre couvertd'oiseaux.

    Une autre particularité du beau porche de Mon est que l'unedes travées étroites (fig. 11) est formée par un pilier portantcette inscription Locus appellationis: « c'est ici qu'on appelle

    Fig. II.

    en justice. » Dans le tympan de cette travée on voit en effet unegrande figure de Salomon sur son trône, et cette figure est à rap-procher du grand jugement de Salomon sculpté sur un contrefortde la façade de la cathédrale d'Auxerre. C'est probablementaussi sous cette sculpture que l'on rendait la justice, et Von saitdu reste par quelques textes, que l'usage de rendre la justicedevant la porte clos églises rentrait dans les coutumes dumoyen age. La seule particularité qui manque à la cathédrale

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    de Léon pour ûfte complètement à la dernière mode de Francedes environs de 4300, c'est (l'avoir remplacé les tympans rie por-tails par des verrières, comme à la cathédrale de Peints et àSaint-Urbain de Troyes mais l'Espagne a connu aussi ce pro-grès Il est uMiisé à la façade de la cathédrale de Tarragoiie;mais comme il était malheureux de renoncer aux belles seul p-[tires des tympans, on a imaginé d'y sculpter le Jugement dey—n eu' sur le linteau. N' y aurait-il pas là un élément de restitutionpour le grand portail de Boiras où le linteau portait (lessculptures dont nous rie connaissons pas le sujet et que l'ona huchées au xvii1 0 siècle pour y substituer une niaise iiuscrip-lion. Une scène de résurrection comme celle de Tarragonecompléterait précisément la sculpture de ce portait dont lesvoussures et le fronton contiennent les autres scènes du J Lige-ment dernier. Les copies de nos anciens édifices à l'étrangerseraient souvent bien précieuses à étudier sous ce rapportc'est ainsi par exemple qu'à Saint-Vincent d'A vila un portailimité de celui de Saint-Lazare d'Avallon a un tympan figurantnue histoire de Lazare qui semble avoir été à peu près pareilleà celle dont il subsiste des fragments affreusement mutités àAvallon. Je serais heureux, messieurs, si les rapprochementsqui m'ont frappé vous paraissaient exacts à vous qui, étudiant,,os' monuments sur le tas, en connaissez mieux que personne,le caractère intime, et je serais plus heureux encore si mesmodestes études d'archéologue pouvaient fournir quelque 'en-seigriemeniL utile aux- artistes à qui les archéologues doiventla sauté et la vie de leurs chers monuments historiques.