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Introduction au Droit constitutionnel Professeurs : Jean-Louis Iten / Maxime Tourbe TRAVAUX DIRIGES (1ER SEMESTRE) LICENCE I (L 1) Année universitaire 2016-2017

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Introduction au Droit constitutionnel

Professeurs : Jean-Louis Iten / Maxime Tourbe

TRAVAUX DIRIGES (1ER SEMESTRE)

LICENCE I (L 1)

Année universitaire 2016-2017

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel(Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 1 : Présentation et méthodologie

Présentation du programme et des règles du jeu

− Séance n° 2 : La Constitution− Séance n° 3 : La justice constitutionnelle− Séance n° 4 : L’État− Séance n° 5 : La participation au pouvoir− Séance n° 6 : La séparation des pouvoirs et la classification des régimes politiques− Séance n° 7 : Galop d'essai− Séance n° 8 : Les États-Unis d’Amérique− Séance n° 9 : Le Royaume-Uni− Séance n° 10 : Aperçu d'histoire constitutionnelle française : la consécration de la

République

Explications méthodologiques :

− La préparation de la séance− La dissertation− Le commentaire de texte ou de jurisprudence

Documents joints :

− Méthodologie de la dissertation

− Méthodologie du commentaire (Marie-Anne Cohendet, Méthodes de travail – Droit public, Montchrestien, 3e éd., 1998, pp. 153-159)

− Indications bibliographiques

− Tableau synthétique : l'histoire constitutionnelle française

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Indications bibliographiques (non exhaustives)

• Manuels

ARDANT PH. et MATHIEU B., Institutions politiques et droit constitutionnel, LGDJ, 28e éd., 2016BARANGER D., Le droit constitutionnel, PUF, coll. « Que sais-je ? », 6e éd., 2013CHANTEBOUT B., Droit constitutionnel, Sirey, 32e éd., 2015CONSTANTINESCO V. et PIERRÉ-CAPS S., Droit constitutionnel, PUF, 7e éd., 2016DUHAMEL O. et TUSSEAU G., Droit constitutionnel et institutions politiques, Seuil, 4e éd., 2016FAVOREU L. et al., Droit constitutionnel, Dalloz, 19e éd., 2016GICQUEL J. et GICQUEL J.-E., Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, 30e éd., 2016PACTET P., MÉLIN-SOUCRAMANIEN F., Droit constitutionnel, Sirey, 35e éd., 2016HAMON F. et TROPER M., Droit constitutionnel, LGDJ, 37e éd., 2016ROUVILLOIS F., Droit constitutionnel, 2 t. (1. Fondements et pratiques, 4e éd., 2015 ; 2. La Ve République, 5e éd. à paraître, 2016), FlammarionTURPIN D., Droit constitutionnel, PUF, 2e éd., 2007

• TraitéCHAGNOLLAUD D. et TROPER M., Traité international de droit constitutionnel, Dalloz, 3 t.- t. 1 : Théorie de la Constitution, 2012 - t. 2 : Distribution des pouvoirs, 2012- t. 3 : Suprématie de la Constitution, 2012

• Histoire constitutionnelleMORABITO M., Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), Montchrestien, 14e éd., 2016

• Droit constitutionnel comparéLAUVAUX PH., LE DIVELLEC A., Les grandes démocraties contemporaines, PUF, 4e éd., 2015MÉNY Y. et SUREL Y., Politique comparée. Les démocraties, Montchrestien, 8e éd., 2009

• Textes constitutionnelsBOUDON J. et RIALS S., Textes constitutionnels étrangers, PUF, coll. « Que sais-je ? », 15e éd., 2015GODECHOT J., Les Constitutions de la France depuis 1789 (accompagnées chacune d’une présentation contextualisée), Flammarion, 2006RIALS S., Textes constitutionnels français, PUF, coll. « Que sais-je ? », 27e éd., 2015

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• Dictionnaires et lexiquesALLAND D. et RIALS S. (DIR.), Dictionnaire de la culture juridique (v. spécialement les entrées « Constitution et droit constitutionnel » et « Constitutionnalisme »), PUF, 2003AVRIL P. et GICQUEL J., Lexique de droit constitutionnel, PUF, coll. « Que sais-je ? », 4e éd., 2013DE VILLIERS M. et LE DIVELLEC A., Dictionnaire du droit constitutionnel, Sirey, 10e éd., 2015MBONGO P., HERVOUËT F., SANTULLI C. (DIR.), Dictionnaire encyclopédique de l’État, Berger-Levrault, 2014MÉNY Y. et DUHAMEL O. (DIR.), Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992

• Ressources électroniques- Sites officiels : Présidence de la République, Premier ministre, Assemblée nationale, Sénat, Conseil constitutionnel (qui contient de nombreux dossiers, liens, textes constitutionnels français et étrangers), mais aussi Commission européenne pour la démocratie par le droit (dite « Commission de Venise »)- Autres sites : v. notamment Jus Politicum. Revue de droit politique (revue en ligne)

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel(Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 2 : La Constitution

Document n° 1. Kelsen, H., Théorie pure du droit, trad. par Ch. Eisenmann,Dalloz, 1962, pp. 299-302 (extraits).

Document n° 2. Prélot, M., Boulouis, J., Institutions politiques et droitconstitutionnel, Dalloz, 1990, pp. 28-37 (extraits).

Document n° 3. Mény, Y., « Constitutionnalisme », dans Y. Mény, O. Duhamel,dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, pp. 212-213 (extraits).

Document n° 4. Beaud, O., « Constitution et constitutionnalisme », dans P.Raynaud, S. Rials, dir., Dictionnaire de philosophie politique, PUF, 1996, pp. 117-126 (extraits).

Document n° 5. « Constitution », dans De Villiers M., Le Divellec A.,Dictionnaire du droit constitutionnel, Sirey, 10e éd., 2015, pp. 73-78.

Document n° 6. Constitution du 3 septembre 1791 (extraits).

Dissertation : La Constitution, norme juridique

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Document n° 1. Kelsen, H., Théorie pure du droit, trad. par Ch.Eisenmann, Dalloz, 1962, pp. 299-302 (extraits).

« […]. Dans les développements précédents, on a déjà évoqué à mainte reprise cette particularitéque présente le droit de régler lui-même sa propre création. On peut distinguer deux modalitésdifférentes de ce règlement. Parfois, il porte uniquement sur la procédure : des normesdéterminent exclusivement la procédure selon laquelle d’autres normes devront être créées.Parfois, il va plus loin et porte également sur le fond : des normes déterminent – jusqu’à un certainpoint – le contenu, le fond d’autres normes dont elles prévoient la création. On a déjà analysé lerapport entre les normes qui réglementent la création d’autres normes et ces autres normes : enaccord avec le caractère dynamique de l’unité des ordres juridiques, une norme est valable si etparce qu’elle a été créée d’une certaine façon, celle que détermine une autre norme ; cettedernière constitue ainsi le fondement immédiat de la validité de la première. Pour exprimer larelation en question, on peut utiliser l’image spatiale de la hiérarchie, du rapport de supériorité-subordination : la norme qui règle la création est la norme supérieure, la norme crééeconformément à ses dispositions est la norme inférieure. L’ordre juridique n’est pas un système denormes juridiques placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, unepyramide ou hiérarchie formée (pour ainsi dire) d’un certain nombre d’étages ou couches denormes juridiques. Son unité résulte de la connexion entre éléments qui découle du fait que lavalidité d’une norme qui est créée conformément à une autre norme repose sur celle-ci ; qu’à sontour, la création de cette dernière a été elle aussi réglée par d’autres, qui constituent à leur tour lefondement de sa validité ; et cette démarche régressive débouche finalement sur la normefondamentale – norme supposée. La norme fondamentale hypothétique – en ce sens – est parconséquent le fondement de validité suprême, qui fonde et scelle l’unité de ce système de création.Commençons par raisonner uniquement sur les ordres juridiques étatiques. Si l’on s’en tient auxseules normes positives, le degré suprême de ces ordres est formé par leur Constitution. Il fautentendre ici ce terme en un sens matériel ; où il se définit : la norme positive ou les normespositives qui règlent la création des normes juridiques générales. La Constitution ainsi entenduepeut être créée soit par la voie de coutume, soit par un acte ayant cet objet et ayant pour auteursun individu ou plusieurs individus, autrement dit : par acte de législation. Dans le second cas, elle esttoujours consignée dans un document ; pour cette raison, on l’appelle une Constitution ‘écrite’ ;alors que la Constitution coutumière est une Constitution non-écrite. Il se peut aussi qu’uneConstitution au sens matériel se compose pour partie de normes légiférées et écrites, pour partiede normes coutumières et non-écrites. Il est également possible que les normes d’uneConstitution créée coutumièrement soient codifiées à un moment donné ; si cette codification estl’oeuvre d’un organe de création du droit et a par suite un caractère obligatoire, la Constitutionnée coutumière devient une Constitution écrite.

Le terme Constitution est pris aussi en un sens formel : la Constitution au sens formel estun document qualifié de Constitution, qui – en tant que Constitution écrite – contient nonseulement des normes qui règlent la création des normes juridiques générales, c’est-à-dire lalégislation, mais également des normes qui se rapportent à d’autres objets politiquementimportants, et, en outre, des dispositions aux termes desquelles les normes contenues dans cedocument ne peuvent pas être abrogées ou modifiées de la même façon que les lois ordinaires,mais seulement par une procédure particulière, à des conditions de difficulté accrue. Cesdispositions représentent la forme constitutionnelle ; en tant que forme, cette formeconstitutionnelle peut recevoir n’importe quel contenu, et elle sert en première ligne à stabiliserles normes que l’on a appelées la Constitution matérielle, et qui sont la base positive de l’ensemblede l’ordre juridique étatique ».

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Document n° 2. Prélot, M., Boulouis, J., Institutions politiques et droitconstitutionnel, Dalloz, 1990, pp. 28-37 (extraits).

« […] Dans le langage courant, on parle de la ‘constitution’ d’un être humain ou de celle de lamatière. Si nous transposons cette notion dans le domaine des sciences sociales, nousconstaterons aisément que chaque groupe, à partir du moment où il se différencie, possède uneorganisation déterminée, c’est-à-dire une certaine constitution. Celle-ci est embryonnaire ou plusou moins développée, mais partout elle existe. Restreindre à la seule société politique cette notionde constitution, c’est jeter les esprits dans une première incertitude, sinon dans une premièreerreur. Il y a du droit constitutionnel en deçà et au-delà de l’Etat.

En deçà de l’Etat, il existe une constitution de la famille. L’expression est courante chez lessociologues. Elle doit sa vogue à Le Play, mais l’idée est beaucoup plus ancienne ; elle se trouve déjàchez Bodin. Malgré la résistance de beaucoup de juristes, dominés par les traditions individualistesdu code napoléonien, sa notion n’a pas cessé de s’imposer à l’esprit. Il en va de même pour lessociétés commerciales, notamment pour les sociétés anonymes. Sur ce point, les spécialistes eux-mêmes ont souligné les analogies. Par exemple, Thaller a comparé à plusieurs reprises l’assembléegénérale des sociétés anonymes au pouvoir délibérant dans le droit constitutionnel politique ; demême, Bourcart a insisté sur la correspondance profonde entre les différentes structures dessociétés commerciales et les diverses constitutions des Etats. Dans le droit du travail, on constatepareillement qu’il n’existe pas seulement, entre l’entreprise et ses membres, le lien d’un droitcontractuel, mais les obligations d’un droit constitutionnel.

Au-delà de l’Etat, l’Eglise catholique et d’autres sociétés religieuses possèdent un droitconstitutionnel dont la mise en relief est plus aisée encore. Les beaux travaux de Léo Moulin ontmontré l’influence exercée jadis par les constitutions des ordres religieux sur les constitutionspolitiques. Le déroulement de Vatican II a montré le concile réinventant peu à peu les règles de laprocédure parlementaire qu’il avait d’abord cru pouvoir dédaigner. La communauté universelle dudroit des gens elle-même repose, ainsi que les collectivités internationales plus étroitementintégrées, sur un ensemble de règles constitutives essentielles. Georges Scelle s’estparticulièrement attaché à mettre en lumière l’existence et les caractères de ce droitconstitutionnel international.

Ainsi, chaque discipline juridique connaît-elle un droit ‘constitutionnel’, produit de lafonction organisatrice du milieu qu’elle a vocation à régir et qui se distingue d’un droit ‘relationnel’correspondant à la fonction régulatrice des relations qui se développent dans ce milieu ainsiorganisé […]. A s’en tenir toujours à la logique des termes, le droit public constitutionnel couvreun très vaste domaine. Il englobe l’ensemble des règles qui fondent l’Etat dans son existence, endéterminent les formes, lui procurent ses structures et son organisation. Or, un Etat n’est pasconstitué lorsque le statut de l’autorité politique y est seul fixé. Il ne le devient qu’à partir dumoment où, par le statut des nationaux, est circonscrite la collectivité humaine dont il estl’expression, déterminée l’organisation administrative, établie la justice.

Cette extension du droit constitutionnel à toute la contexture de l’Etat n’est pas, commeon l’a objecté, une vue de l’esprit ou une simple opinion. Elle correspond au contraire à une réalitésociologique que confirme le droit positif. Sociologiquement, il existe, en effet, des affinités étroites,des correspondances fondamentales, une solidarité institutionnelle inévitable entre ladétermination de la collectivité nationale, l’organisation politique, les structures administratives, lestatut de la justice […]. Cette conception large du droit public constitutionnel est confirmée par ledroit positif tel qu’il résulte du texte des constitutions elles-mêmes […].

De nature contingente, la conception qui résulte […] pour le droit constitutionnel de saréduction au droit constitutionnel politique apparaît proprement arbitraire. Elle ne correspond, ni à

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la notion d’un droit constitutionnel défini par opposition au droit relationnel, ni à la notion d’undroit propre aux phénomènes politiques par opposition aux phénomènes qui, quoique collectifs etpublics, n’auraient pas, s’il en existe, ce caractère ; ni même à celle d’un droit dont l’objet etl’étendue seraient tout simplement déterminés par le texte juridique dénommé constitution et quien est la source, sinon exclusive, du moins principale. Si force est donc d’admettre que laconception du droit dit constitutionnel est de pure convention, il est d’autant plus nécessaire d’enmarquer les faiblesses et les insuffisances […]. Il paraît indéniable que l’ensemble des normes quiinforment l’organisation de l’Etat, qu’il s’agisse des organes gouvernementaux, administratifs oujuridictionnels, constitue une catégorie spécifique, tant du point de vue de leur objet même, que decelui de la technique juridique en ce qui concerne la nature des règles et les conséquences qui s’endéduisent quant à leur qualification, leur interprétation et leur application […]. Mais la conceptiond’un droit constitutionnel opposé au droit relationnel a l’inconvénient d’exclure rationnellement dupremier l’étude des normes constitutives de tout système politique. Il en est tout d’abord ainsi decelles, proprement relationnelles, qui, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, régissent lesrapports des organes entre lesquels est répartie l’autorité politique, et qui, servant de fondement àla classification classique des systèmes de gouvernement, ne sauraient, en tant que telles, êtreexclues du droit ‘constitutionnel’ dont elles forment d’ailleurs l’une des parties les plusimportantes […] ».

Document n° 3. Mény, Y., « Constitutionnalisme », dans Y. Mény, O.Duhamel, dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, pp. 212-213(extraits).

L’expression, d’un usage relativement récent en France (tout au moins dans sa significationactuelle), reprend l’usage du terme ‘constitutionalism’ aux Etats-Unis et de ses synonymes allemandou italien. Elle traduit l’acception à la fois juridique et politique de la supériorité de la Constitutionsur toute autre norme. Politiquement, le constitutionnalisme signifie que la loi fondamentale est latraduction du pacte social conclu entre toutes les composantes du pays. Parce qu’elle incarnel’adhésion de l’immense majorité des éléments du corps social, la Constitution bénéficie d’unelégitimité érigée en mythe sacralisé. C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis où la Constitution(qui commence symboliquement par ‘We, the people…’) est l’un des éléments – peu nombreux –autour desquels se rassemble toute la nation américaine. Ce fut le cas encore dans la nouvelleRépublique fédérale d’Allemagne où les menaces extérieures firent toutefois insérer des mesuresde sauvegarde contre les ennemis de la Constitution. De même en Italie, à l’exclusion de l’extrêmedroite et de l’extrême gauche, toute la classe politique, du PCI à la Démocratie chrétienne, s’estrassemblée (au sein de ce que l’on a appelé de façon imagée ‘l’arc constitutionnel’) dans unecommune dévotion à la Constitution de la Première République. Chez ces précurseurs ou cestard-venus à la démocratie, la Constitution représente le point d’ancrage et le dénominateurcommun […].

Mais le constitutionnalisme ne se réduit pas à l’adhésion diffuse au texte constitutionnel ouà ce qui en tient lieu (par exemple, les conventions et autres règles traditionnelles qui en Grande-Bretagne servent de substitut à une constitution écrite inexistante). Encore faut-il que lasuprématie déclarée de la Constitution soit juridiquement garantie. Le ‘constitutionnalisme’ estdevenu réalité tangible aux Etats-Unis à partir du moment où la Cour suprême s’est affirmée legardien vigilant de la suprématie de la Constitution non seulement à l’égard des lois fédérales maisaussi des Constitutions d’Etats. Evolution plus lente et difficile qu’on ne le croit puisqu’il en coûtaune guerre civile et qu’en 1955 encore la plénitude des droits civiques proclamés par lesamendements à la Constitution n’était pas assurée à de nombreux citoyens (noirs) du Sud. EnAllemagne et en Italie, ce sont également les cours constitutionnelles qui ont permis au

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constitutionnalisme de s’enraciner. Faut-il rappeler que l’évolution des esprits en France eût puêtre fragile et précaire si la transformation du rôle du Conseil constitutionnel n’avait permisd’affirmer pleinement la supériorité de la loi fondamentale. Bien qu’en principe, leconstitutionnalisme ne soit pas en contradiction avec la théorie de la souveraineté populaire, dumoins s’oppose-t-il à la forme que celle-ci a prise en France, c’est-à-dire l’omnipotenceparlementaire. Il n’y a pas de constitutionnalisme possible là où l’on peut affirmer ‘que vous avezjuridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire’. Le constitutionnalismeaujourd’hui en France s’exprime en revanche avec éclat dans la formule qu’utilise le Conseilconstitutionnel : ‘la loi n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution’ ».

Document n° 4. Beaud, O., « Constitution et constitutionnalisme »,dans P. Raynaud, S. Rials, dir., Dictionnaire de philosophie politique,PUF, 1996, pp. 117-126 (extraits).

À l’origine, le terme de constitution, qui vient du latin constitutio, renvoie aussi bien à lamédecine (où il décrit l’idée d’état, d’ordre ou d’organisation d’un tout) qu’au droit où il désigne àla fois un ensemble de textes pontificaux ou monastiques et une sorte d’acte authentique. Demême, il peut renvoyer à la fois tant au corps d’un individu (‘la constitution humaine’) qu’à uncorps social ou abstrait. La riche polysémie du terme lui a permis un usage très extensif. Quant auconcept de constitution, il est traversé par une opposition radicale entre deux conceptions qu’onappellera respectivement institutionnelle (Bobbio) et normative.

Selon la conception institutionnelle ou ‘organique’, la constitution est ‘l’ordre’ politique oule ‘principe premier de l’unité politique ou de l’ordre politique’ (Fioravanti). En tant qu’organisation,elle règle l’action et la vie de l’Etat tout comme la constitution règle la vie et le mouvement ducorps physique. D’où il résulte que tout Etat a une constitution, ‘car tout ce qui existe a unemanière d’existence, bonne ou mauvaise, conforme ou non à la raison’ (P. Rossi). Très souvent, cetteconception de la constitution est attachée à une pensée politique antilibérale car cette primauté del’ordre politique – du Tout – suppose d’admettre une (ou des) autorité(s) capable(s) de créer et demaintenir un tel ordre. La constitution est alors ce qui permet de conserver l’unité d’un peupleface aux forces centrifuges (internes à l’Etat ou externes) qui la menacent de manière permanente[…]. En revanche, la conception normative perçoit la constitution comme une loi fondamentale,c’est-à-dire comme une norme juridique suprême. Elle correspond au courant de la penséepolitique qui, remontant à Locke et passant par Constant jusqu’à Rawls, envisage la constitutioncomme une technique de limitation du pouvoir destinée à garantir la liberté de l’individu.

Le concept de constitutionnalisme n’est pas moins plurivoque que celui de constitution.Dans son acception la plus large (lato sensu), il décrit la ‘technique consistant à établir et àmaintenir des freins effectifs à l’action politique et étatique’ (C. J. Friedrich). Ainsi défini, leconstitutionnalisme condenserait deux idées essentielles et anciennes de la philosophie politique :d’abord, la promotion d’un gouvernement limité, et, ensuite, le gouvernement de la loi qui se seraitsubstitué au gouvernement des hommes. Ainsi permettrait-il de rendre compte de la limitation tantdu pouvoir de la Cité (‘constitutionnalisme ancien’) que du pouvoir de la royauté par un droitcoutumier (‘constitutionnalisme médiéval’). En revanche, dans son acception plus restreinte (strictosensu), le constitutionnalisme désigne certes l’idée de limitation du pouvoir politique, mais cepouvoir politique est uniquement l’Etat moderne. Le constitutionnalisme fait en effet partieintégrante de la philosophie de la démocratie libérale qui présuppose une distinction entre lasphère privée ou sociale et la sphère publique et politique, c’est-à-dire entre l’Etat et la sociétécivile, distinction inconnue des anciens modes de pensée constitutionnalistes ».

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Seule sera ici retenue l’acception stricto sensu de constitutionnalisme parce que leconstitutionnalisme ancien ou médiéval est devenu obsolète depuis la naissance de la souverainetéet de l’Etat moderne. Le constitutionnalisme postule l’existence d’un ensemble de règlesintangibles formant ce qu’on appelle la ‘constitution’. Mais, contrairement à ce qu’affirme MacIlwain, l’apparition de l’Etat moderne (qui est souverain) a totalement déclassé leconstitutionnalisme médiéval dans la mesure où la souveraineté met à la disposition du Souverainle droit non étatique – le droit coutumier par exemple. En d’autres termes, l’Etat souverain peutmodifier tout le droit positif (donc les règles coutumières formant la ‘constitution’) au gré de savolonté, de la raison politique. Ce constat n’invalide cependant pas l’idée d’un constitutionnalismemoderne pour la simple raison que celui-ci se développera à l’intérieur de l’Etat, par une sorte deprocessus d’involution. La souveraineté de l’Etat est donc impliquée dans le concept deconstitutionnalisme moderne. Ce dernier vise à limiter cette puissance de l’Etat au moyen derègles ‘intangibles’ appelées constitutionnelles et qui sont hors de portée des gouvernants. Plusprécisément, la naissance de la constitution moderne témoigne de l’effort visant à soustraire une partiedu droit positif à la volonté des gouvernants en faveur de la défense des droits des citoyens. Leconstitutionnalisme est inséparable de l’idée du trust – propre à Locke, son premier théoricien –selon laquelle le peuple (la community), devenu souverain, investit des gouvernants de la confianceet les contrôle afin que les droits des citoyens soient respectés. Ainsi, inscrits dans la relation entredroits de l’homme et souveraineté du peuple, le constitutionnalisme obéit au programme lockien :‘le peuple a […] proclamé les limites de la ‘prérogative’ royale dans des domaines où cela lui a semblénécessaire’ (Second traité, § 162). Historiquement, son triomphe signifie d’abord et avant tout lerecul de la ‘prérogative’ royale, c’est-à-dire du pouvoir absolu du monarque. On peut donc direque, depuis Locke, l’opposition cardinale en matière politique passe entre le pouvoir absolu, qualifiéd’arbitraire, et le pouvoir limité, qualifié de constitutionnel. Dans un Etat constitutionnel, lesgouvernants sont liés par le droit qui les protège contre les abus du pouvoir. Leconstitutionnalisme peut s’accommoder de la monarchie et donner naissance à ce qu’on a appeléla ‘monarchie limitée’ (S. Rials) dans le cas français et qu’on appelle généralement ‘monarchieconstitutionnelle’. La question de la forme du gouvernement (monarchique ou démocratique) estdonc reléguée au second plan par les principes et techniques du constitutionnalisme.

Toutefois, si le constitutionnalisme procède indubitablement de la philosophie politiquelibérale, sa spécificité provient du fait que la limitation du pouvoir politique qu’il poursuit estréalisée au moyen du droit, au moyen de la constitution conçue comme juridique. De ce point devue, il se distingue autant du constitutionnalisme grec (constitution-ordre) que duconstitutionnalisme médiéval (constitution coutumière). Comme le droit moderne lui-même tendvers la norme juridique, le constitutionnalisme moderne tend lui aussi vers la constitution-norme,ainsi que l’indiquent les définitions courantes de la constitution. Celle-ci, prise dans son acceptionusuelle (c’est-à-dire normative) ‘se caractérise par la prétention à régir de manière globale etunique, par une loi supérieure à toutes les autres normes, le pouvoir politique dans sa formation etses modes d’exercice (D. Grimm). De cette définition découlent quatre grandes caractéristiques dela constitution-norme.

Selon la première, elle règle et organise la dévolution et le fonctionnement des pouvoirspublics de l’Etat. Elle habilite les gouvernants à agir en fixant et donc en délimitant leurs pouvoirsqui deviennent des compétences. Juridiquement, elle est davantage un acte d’habilitation qu’uncommandement. Le second trait de la constitution est de protéger les droits de l’individu contreles abus potentiels du pouvoir. Telle est sa première dimension spécifiquement libérale en ce qu’ellerelie la problématique des droits naturels de l’homme avec l’idée de limitation du pouvoir desgouvernants. Selon sa troisième caractéristique, la constitution vise à limiter l’exercice du pouvoiret garantit cette limitation en organisant une séparation des pouvoirs, c’est-à-dire une division desfonctions exercées par les pouvoirs actifs de l’Etat. On sait que l’article 16 de la Déclaration desdroits de l’homme et du citoyen de 1789 résume ces deux derniers traits en énonçant que ‘toute

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société, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirsdéterminée, n’a point de constitution’. Enfin, la dernière marque de la constitution moderne estd’être, formellement, une loi suprême, supérieure aux autres normes juridiques, condensée dans unseul document. Sauf dans certains pays, notamment le Royaume-Uni et Israël, la constitution estune loi écrite, une sorte de code constitutionnel (G. Stourzh) ».

Document n° 5. « Constitution », dans De Villiers M., Le Divellec A.,Dictionnaire du droit constitutionnel, Sirey, 10e éd., 2015, pp. 73-78.

La notion qui a donné son nom à la discipline du « droit constitutionnel » est polysémique et peutêtre appréhendée de diverses manières, qu'il convient d'utiliser de concert.

1. Constitution descriptive

Historiquement, en premier lieu, la Constitution a d'abord désigné un certain état de fait, unensemble d'agencements et de relations par lesquels s'exerçait une domination au sein d'unecollectivité humaine quelconque. De ce point de vue, il n'y a pas de société, grande ou petite,publique ou privée, qui n'ait une forme d'organisation de son autorité interne (par exemple, lamanière dont ses dirigeants accèdent au pouvoir). On sait ainsi ce que les techniquesconstitutionnelles et électorales doivent aux pratiques très anciennes des ordres religieux.Essentiellement descriptive, cette notion renvoyait à un certain type d'ordre au sein d'un corpspolitique. De toutes les sociétés, celle qui a donné ses lettres de noblesse au droit constitutionnelest la société politique organisée sous la forme de l’État moderne, apparu en Europe à partir duXVIe siècle. La Constitution apparaît alors comme la façon dont l’État est effectivement gouverné.On peut, par extension, qualifier la constitution ainsi comprise de « système politique » ou encorede « constitution réelle ».

2. Constitution normative

Dans une deuxième approche, la Constitution renvoie à l'idée de contrainte, d'obligation. Elle nedésigne plus exclusivement un état de fait mais un certain ordre qui doit être, qui est censé seproduire (même si cela ne correspond pas tout à fait à la réalité). Elle fait alors plus intimementcorps avec l'idée de droit, de normativité. Ainsi comprise, la Constitution est un ensemble derègles, principalement (mais non exclusivement) juridiques, écrites ou non, qui prétendent poser uncertain type d'organisation politique, énoncer des principes la structurant, créer ou reconnaître desinstitutions, prescrire des obligations et des procédures. Cette conception repose en grande partiesur l'idée de volonté. Cette idée permet d'imputer le caractère obligatoire d'une Constitution.Cette volonté peut être très évanescente ou très implicite, notamment lorsque la Constitution estvue comme un legs de l'histoire.Ainsi pour une constitution dite « coutumière » comme celle de la Grande-Bretagne : œuvre dutemps, façonnée par les traditions, elle n'en comporte pas moins des aspects contraignants pour lesgouvernants (qu'il s'agisse de lois écrites votées par le Parlement, ou bien de coutumes, c'est-à-direde véritables règles de droit mais non écrites, auxquelles il faut ajouter les « conventions de laconstitution », c'est-à-dire des règles politiques précisant la façon dont les organes doivent exercerleurs compétences. Au contraire, la volonté peut être plus explicite et exprimée de façonsolennelle. Il était ainsi fréquent, jadis, que la constitution d'un État repose sur un pacte ou uncontrat (par exemple, entre le monarque et le peuple ou ses représentants). À l'époque moderne,la constitution est le plus souvent réputée être l'expression de la volonté unique d'un souverain(ainsi notamment de monarques qui, au XIXe siècle, ont octroyé un texte constitutionnel ; de

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même, en démocratie, le peuple est réputé avoir « voulu » la constitution), que l'on peut appeler lepouvoir constituant.

3. Constitution écrite

Divers courants de pensée (notamment le protestantisme, le rationalisme et une certaine penséedémocratique) ont convergé, à partir du XVIe siècle, pour privilégier la mise sous forme écrite desrègles constitutionnelles auxquelles on souhaitait donner un caractère obligatoire.L'expérience américaine est ici particulièrement importante : elle a développé l'idée qu'uneconstitution devait être écrite et même consignée dans un document solennel. C'est ainsi que dèsleur fondation au XVIIe siècle, les colonies d'Amérique du Nord puis, en 1787, les États-Unisd'Amérique eux-mêmes, se dotent de constitutions écrites. À partir de 1789, cette idée est repriseen France et va progressivement gagner la plus grande partie de l'Europe puis du reste du mondeaux siècles suivants. Aujourd'hui, dans chaque État, de très nombreuses règles constitutionnellessont écrites. Mais elles n'épuisent pas le sens de la Constitution.

4. Constitution matérielle et constitution formelle

• Au sens matériel, c'est-à-dire envisagée sous l'angle de sa matière, de son contenu, laconstitution désigne l'ensemble des règles juridiques selon lesquelles les gouvernantsexercent l'autorité au nom de l'État. Il est délicat de déterminer très précisément lepérimètre d'une constitution matérielle. On considère généralement qu'elle inclut les règlesgouvernant les institutions politiques ainsi que, dans l'esprit du constitutionnalisme libéralmoderne, les droits et libertés essentiels reconnus aux individus (droits de l'Homme, droitsfondamentaux). Ces règles peuvent avoir un statut très différent : être écrites ou non, avoirune valeur juridique différenciée (certaines seront juridiquement supérieures à d'autres).Tout État moderne possède une constitution au sens matériel.

• Au sens formel (c'est-à-dire envisagée sous l'angle de sa forme), en revanche, la constitutiondésigne un acte écrit consigné dans un document solennel unique (la Constitution fédéraleaméricaine et la Constitution française actuelle en sont deux exemples ; en revanche, laConstitution du Royaume-Uni n'est pas formelle car si elle comporte, elle aussi, quelquestextes écrits, ils ne sont pas rassemblés dans un document unique et l'essentiel des règlesde droit constitutionnel britannique sont coutumières ou conventionnelles). Ce documentpeut porter des noms divers : « constitution », « charte », comme en France en 1814,« statut », ou encore « loi fondamentale » comme en Allemagne depuis 1949. Certains cassont moins nets : ainsi, la « Constitution » de la IIIe République se composait de trois « lois »(écrites) distinctes, l'une « relative à l'organisation des pouvoirs publics », une autre« relative à l'organisation du Sénat », la dernière « sur les rapports entre pouvoirs publics ».De même, Israël ne possède pas un document unique appelé constitution mais plusieurs« lois fondamentales » écrites adoptées à des dates différentes et réglant des sujetsdifférents (l'organisation du Parlement, le président de l'État, le gouvernement, le budget del'État, la justice, etc.). Dans la France de la Ve République, le « bloc de constitutionnalité » apeu à peu débordé très largement la Constitution formelle promulguée le 4 octobre 1958.

La constitution matérielle et la constitution formelle se correspondent dans une très large mesure.Toutefois, il n'y a jamais identité totale entre elles : outre des règles non écrites, de nombreusesrègles écrites matériellement constitutionnelles sont placées en dehors de la constitution formelle(ainsi, par exemple, les règles relatives à l'élection des députés et sénateurs en France sont

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consignées dans des lois organiques et ordinaires). À l'inverse, il arrive que soient intégrées dansune constitution formelle des dispositions dont l'objet n'est manifestement pas constitutionnel.Ainsi, par exemple, la Constitution fédérale suisse de 1874 contenait-elle depuis 1893 un articleinterdisant de « saigner les animaux de boucherie sans les avoir étourdis préalablement ». Latendance contemporaine est de multiplier les dispositions de détail dans les constitutions écrites,même si leur objet n'est pas matériellement constitutionnel.

5. Constitution souple (ou flexible) et constitution rigide

Il convient de souligner que, contrairement à une erreur répandue, la constitution formelle nepossède pas toujours une valeur juridique supérieure aux autres règles de droit dans un ordrejuridique donné. Certaines constitutions formelles peuvent être qualifiées de « souples » (ou« flexibles »), parce qu'une simple loi suffit en principe à les modifier. Tel était par exemple le casdes Chartes constitutionnelles françaises de 1814 et 1830, ou encore du Statut Albertin italien de1848. À l'inverse, sont qualifiées de « rigides » les constitutions qui ne peuvent être modifiées quepar une loi spéciale, adoptée selon des exigences différentes de celles imposées aux lois ordinaires(on parle alors de loi constitutionnelle au sens formel). Ce type de constitution est le plus répanduaujourd’hui dans le monde. (Il existe quelques cas, rares, de pays dans lesquels la constitution estessentiellement souple, mais comporte certaines dispositions « rigides », comme en Nouvelle-Zélande). L'idée fondamentale des constitutions rigides est la volonté de faire échapper les règlesessentielles d'un État aux caprices des gouvernants d'un jour. Elle vise à donner un caractèresuprême aux principes et règles « voulus » par le pouvoir constituant (originel ou dérivé). Onconsidérait naguère qu'un système de « balance des pouvoirs » suffisait à assurer celui-ci. Puis s'estpeu à peu imposée l'idée que cette primauté pouvait être mieux assurée par la justiceconstitutionnelle et en particulier le contrôle de constitutionnalité des lois, qui se sontdéveloppées dans un grand nombre de pays au XXe siècle.Mais le degré de « rigidité » peut varier considérablement. La procédure de révision de laConstitution fédérale aux États-Unis est ainsi particulièrement lourde. Quoique moins complexe,celle de la Constitution française de 1958 l'est également (art. C 89). En revanche, la Loifondamentale allemande de 1949 impose seulement une loi parlementaire adoptée à la majoritédes deux tiers des voix dans chacune des deux chambres du Parlement. Compte tenu de cettediversité, on pourrait, par exemple, distinguer parmi les constitutions rigides, celles dont lamodification suppose obligatoirement l'intervention du peuple dans le processus (soit par unréférendum obligatoire, comme en Suisse ou au Danemark, soit par de nouvelles électionsparlementaires, comme aux Pays-Bas ou en Finlande), ou bien son intervention facultative (par ex.France et Italie) et celles pour lesquelles la révision est exclusivement opérée par les organesreprésentatifs constitués, même si les exigences requises sont modifiées par rapport à laprocédure législative ordinaire (par ex. Allemagne, Portugal).Il arrive enfin que des lois constitutionnelles formelles soient votées sans être placées dans laconstitution formelle rigide (cela est très fréquent, par exemple, en Autriche ou au Canada).

6. Constitution vivante

Une constitution ne se réduit jamais complètement à sa forme, au statut technique de sesdispositions. Même s'il existe un document écrit solennel censé regrouper les principales règlesd'organisation du pouvoir, il doit toujours être complété par d'autres éléments :

• les textes secondaires (par ex. en France, les lois organiques, les règlements des assembléeset même des lois ordinaires comme la loi fixant le mode de scrutin pour l'élection desdéputés) ;

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• les règles non écrites, soit juridiques (les coutumes), soit politiques (les conventions), ainsid'autre part que les pratiques, usages et comportements des acteurs constitutionnels c'est-à-dire l'application qui est faite de la Constitution : ce sont des éléments qui révèlent le vraivisage d'une constitution. La question du statut juridique de ces règles et pratiques est unedes questions les plus délicates qui se posent en droit constitutionnel ;

• les décisions de la jurisprudence. Qu'il s'agisse, selon les cas, des décisions d'un juge ordinaireou bien d'un juge spécialisé dans la protection des règles constitutionnelles, on peutconstater que la jurisprudence constitutionnelle modifie, de façon très substantielle, lecontenu et la signification des constitutions, en particulier des constitutions écrites. Endégageant des principes non-écrits ou bien en interprétant des dispositions écrites, lajurisprudence constitue aujourd’hui une source de plus en plus importante du droitconstitutionnel.

En somme, pour appréhender utilement le phénomène constitutionnel, on peut considérer qu'uneconstitution s'apparente sans doute davantage à un « ordre constitutionnel » complexe, qu'à unenorme suprême. En tout état de cause, loin d'être statique (même lorsque prédomineessentiellement l'écrit), la constitution fait l'objet d'un travail continuel de redéfinition par lesacteurs du jeu constitutionnel, attestant par là que le droit constitutionnel est marqué par unedynamique particulière et constitue un droit irréductiblement politique.

Document n° 6. Constitution du 3 septembre 1791 (extraits)

Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen du 26 août 1789(placée ensuite en tête de la Constitution de 1791)

[…]

L'Assemblée nationale voulant établir la Constitution française sur les principes qu'elle vient de reconnaître et de déclarer, abolit irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et l'égalitédes droits.- Il n'y a plus ni noblesse, ni pairie, ni distinctions héréditaires, ni distinctions d'ordres, ni régimeféodal, ni justices patrimoniales, ni aucun des titres, dénominations et prérogatives qui en dérivaient,ni aucun ordre de chevalerie, ni aucune des corporations ou décorations, pour lesquelles onexigeait des preuves de noblesse, ou qui supposaient des distinctions de naissance, ni aucune autresupériorité, que celle des fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions.- Il n'y a plus ni vénalité, ni hérédité d'aucun office public.- Il n'y a plus, pour aucune partie de la Nation, ni pour aucun individu, aucun privilège, ni exceptionau droit commun de tous les Français.- Il n'y a plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et métiers.- La loi ne reconnaît plus ni voeux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire auxdroits naturels ou à la Constitution.

TITRE PREMIER - Dispositions fondamentales garanties par la ConstitutionLa Constitution garantit, comme droits naturels et civils :1° Que tous les citoyens sont admissibles aux places et emplois, sans autre distinction que celle

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des vertus et des talents ;2° Que toutes les contributions seront réparties entre tous les citoyens également en proportionde leurs facultés ;3° Que les mêmes délits seront punis des mêmes peines, sans aucune distinction des personnes.La Constitution garantit pareillement, comme droits naturels et civils :- La liberté à tout homme d'aller, de rester, de partir, sans pouvoir être arrêté, ni détenu, que selonles formes déterminées par la Constitution ;- La liberté à tout homme de parler, d'écrire, d'imprimer et publier ses pensées, sans que les écritspuissent être soumis à aucune censure ni inspection avant leur publication, et d'exercer le cultereligieux auquel il est attaché ;- La liberté aux citoyens de s'assembler paisiblement et sans armes, en satisfaisant aux lois depolice ;- La liberté d'adresser aux autorités constituées des pétitions signées individuellement.Le Pouvoir législatif ne pourra faire aucunes lois qui portent atteinte et mettent obstacle àl'exercice des droits naturels et civils consignés dans le présent titre, et garantis par laConstitution ; mais comme la liberté ne consiste qu'à pouvoir faire tout ce qui ne nuit ni aux droitsd'autrui, ni à la sûreté publique, la loi peut établir des peines contre les actes qui, attaquant ou lasûreté publique ou les droits d'autrui, seraient nuisibles à la société.La Constitution garantit l'inviolabilité des propriétés ou la juste et préalable indemnité de cellesdont la nécessité publique, légalement constatée, exigerait le sacrifice. - Les biens destinés auxdépenses du culte et à tous services d'utilité publique, appartiennent à la Nation, et sont dans tousles temps à sa disposition.La Constitution garantit les aliénations qui ont été ou qui seront faites suivant les formes établiespar la loi.Les citoyens ont le droit d'élire ou choisir les ministres de leurs cultes.Il sera créé et organisé un établissement général de Secours publics, pour élever les enfantsabandonnés, soulager les pauvres infirmes, et fournir du travail aux pauvres valides qui n'auraientpu s'en procurer.Il sera créé et organisé une Instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard desparties d'enseignement indispensables pour tous les hommes et dont les établissements serontdistribués graduellement, dans un rapport combiné avec la division du royaume. - Il sera établi desfêtes nationales pour conserver le souvenir de la Révolution française, entretenir la fraternité entreles citoyens, et les attacher à la Constitution, à la Patrie et aux lois.Il sera fait un Code de lois civiles communes à tout le Royaume.

TITRE II - De la division du royaume, et de l'état des citoyensArticle 1. - Le Royaume est un et indivisible : son territoire est distribué en quatre-vingt-troisdépartements, chaque département en districts, chaque district en cantons.Article 2. - Sont citoyens français : - Ceux qui sont nés en France d'un père français ; - Ceux qui, nés en France d'un père étranger, ont fixé leur résidence dans le Royaume ; - Ceux qui, nés en pays étranger d'un père français, sont venus s'établir en France et ont prêté le serment civique ; - Enfin ceux qui, nés en pays étranger, et descendant, à quelque degré que ce soit, d'un Français ou d'une Française expatriés pour cause de religion, viennent demeurer en France et prêtent le serment civique. (…)

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TITRE III - Des pouvoirs publicsArticle 1. - La Souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à laNation ; aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s'en attribuer l'exercice.Article 2. - La Nation, de qui seule émanent tous les Pouvoirs, ne peut les exercer que pardélégation. - La Constitution française est représentative : les représentants sont le Corps législatifet le roi.Article 3. - Le Pouvoir législatif est délégué à une Assemblée nationale composée de représentantstemporaires, librement élus par le peuple, pour être exercé par elle, avec la sanction du roi, de lamanière qui sera déterminée ci-après.Article 4. - Le Gouvernement est monarchique : le Pouvoir exécutif est délégué au roi, pour êtreexercé sous son autorité, par des ministres et autres agents responsables, de la manière qui seradéterminée ci-après.Article 5. - Le Pouvoir Judiciaire est délégué à des juges élus à temps par le peuple.

[...]TITRE VII - De la révision des décrets constitutionnelsArticle 1. - L'Assemblée nationale constituante déclare que la Nation a le droit imprescriptible dechanger sa Constitution ; et néanmoins, considérant qu'il est plus conforme à l'intérêt nationald'user seulement, par les moyens pris dans la Constitution même, du droit d'en réformer lesarticles dont l'expérience aurait fait sentir les inconvénients, décrète qu'il y sera procédé par uneAssemblée de révision en la forme suivante :Article 2. - Lorsque trois législatures consécutives auront émis un voeu uniforme pour lechangement de quelque article constitutionnel, il y aura lieu à la révision demandée. (…)Article 8. - L'Assemblée de révision sera tenue de s'occuper ensuite, et sans délai, des objets quiauront été soumis à son examen : aussitôt que son travail sera terminé, les deux cent quarante-neuf membres nommés en augmentation, se retireront sans pouvoir prendre part, en aucun cas,aux actes législatifs. Les colonies et possessions françaises dans l'Asie, l'Afrique et l'Amérique,quoiqu'elles fassent partie de l'Empire français, ne sont pas comprises dans la présenteConstitution.Aucun des pouvoirs institués par la Constitution n'a le droit de la changer dans son ensemble nidans ses parties, sauf les réformes qui pourront y être faites par la voie de la révision,conformément aux dispositions du titre VII ci-dessus.L'Assemblée nationale constituante en remet le dépôt à la fidélité du Corps législatif, du roi et desjuges, à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l'affection des jeunes citoyens,au courage de tous les Français.Les décrets rendus par l'Assemblée nationale constituante, qui ne sont pas compris dans l'Acte deConstitution, seront exécutés comme lois ; et les lois antérieures auxquelles elle n'a pas dérogé,seront également observées, tant que les uns ou les autres n'auront pas été révoqués ou modifiéspar le Pouvoir législatif.L'Assemblée nationale, ayant entendu la lecture de l'Acte constitutionnel ci-dessus, et après l'avoirapprouvé, déclare que la Constitution est terminée, et qu'elle ne peut y rien changer. - Il seranommé à l'instant une députation de soixante membres pour offrir, dans le jour, l'Acteconstitutionnel au roi.

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel(Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 3 : La justice constitutionnelle

Document n° 1. Favoreu, L., « Justice constitutionnelle », dans Y. Mény, O.Duhamel, dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, pp. 556-558 (extraits).

Document n° 2. Fromont, M., Justice constitutionnelle comparée, Dalloz, 2013,pp. 80-81 et 107-108 (extraits).

Document n° 3. Cour suprême américaine, Marbury v. Madison (1803)(extraits), cité dans E. Zoller, Les grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis,Dalloz, coll. « Grands arrêts », 2010, pp. 10-12.

Document n° 4. Tocqueville, A., De la Démocratie en Amérique, 1835, Livre I,Chapitre VI, 1ère partie (extraits).

Document n° 5. Carcassonne G., Duhamel O., Duffy A., QPC. La questionprioritaire de constitutionnalité, Dalloz, 2e éd., 2015 (extraits).

Document n° 6. Avril, P., « Le juge et le représentant », Le Débat, 1993, n° 74,pp. 151-155 (extraits).

Document n° 7. Troper, M., « Le bon usage des spectres. Du gouvernement desjuges au gouvernement par les juges », dans Le nouveau constitutionnalisme.Mélanges en l’honneur de Gérard Conac, Économica, 2001, pp. 49-65 (extraits).

Document n° 8. Conseil constitutionnel, décision n°2015-480 QPC, AssociationPlastics Europe

Document n° 9. Constitution de la République du Mali (1992) - extrait

Commentaire : document n° 9

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Document n° 1. Favoreu, L., « Justice constitutionnelle », dans Y.Mény, O. Duhamel, dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, pp.556-558 (extraits).

« Notion. L’expression désigne l’ensemble des institutions et techniques grâce auxquelles estassurée, sans restriction, la suprématie de la Constitution. Il s’agit évidemment d’une premièredéfinition qui demande à être affinée et précisée mais est susceptible de fournir un point dedépart.

Il est difficile de déterminer exactement quand apparaît la notion ; mais on notera que HansKelsen et Charles Eisenmann l’utilisent dès 1928 avec le sens qu’on lui connaît aujourd’hui. PourKelsen, la justice constitutionnelle, c’est ‘la garantie juridictionnelle de la constitution’. Eisenmanndonne une première définition simple, aux termes de laquelle ‘la justice constitutionnelle est cettesorte de justice ou mieux de juridiction qui porte sur les lois constitutionnelles’. Il complèteracette première définition en distinguant ‘justice constitutionnelle’ et ‘juridiction constitutionnelle’, laseconde étant l’organe par lequel s’exerce la première, et en dégageant ensuite le sens juridique dela justice constitutionnelle.

‘Le sens juridique de la justice constitutionnelle… est donc, en dernière analyse, de garantirla répartition de la compétence entre législation ordinaire et législation constitutionnelle, d’assurerle respect de la compétence du système des règles ou de l’organe suprême de l’ordre étatique’.Cela nous paraît être l’élément décisif permettant de déceler l’existence de la justiceconstitutionnelle : s’il ne rentre pas dans les attributions d’une juridiction de ‘garantir la répartitionde la compétence entre législation ordinaire et législation constitutionnelle’, cette juridictionn’exerce pas la justice constitutionnelle et n’est donc pas une juridiction constitutionnelle. C’est lecas en France de toutes les juridictions administratives et judiciaires y compris le Conseil d’Etat etla Cour de cassation.

Ce vocabulaire moderne ne sera pas utilisé, pendant longtemps, par la doctrine française quipréférera parler de ‘contrôle de constitutionnalité des lois’. En fait, le contrôle de constitutionnalitédes lois n’est qu’une des techniques à la disposition de la justice constitutionnelle. C’est sans doutela plus importante mais elle ne représente que l’un deséléments de la théorie de la justice constitutionnelle et ne s’identifie pas à celle-ci.

Missions. La justice constitutionnelle peut assumer quatre missions principales et des missionssecondaires : mais il convient de préciser que chaque système de justice constitutionnelle necomporte pas nécessairement l’ensemble de ces missions et qu’il y a une assez grande variété desituations possibles.

Une première mission consiste à veiller à l’authenticité des manifestations de volonté dupeuple souverain, soit que celui-ci désigne des représentants par la voie de l’élection, soit qu’ilprenne lui-même des décisions par voie de référendum. Le contentieux des votations peut êtreconfié au juge constitutionnel soit directement (comme en Autriche ou en France), soit en appeldes décisions de l’assemblée parlementaire procédant elle-même à la vérification des pouvoirs deses membres (République fédérale d’Allemagne). Il est également des cas où cette mission n’est pasconfiée au juge constitutionnel, le système de la vérification des pouvoirs par l’assemblée étant seulconcevable (par exemple, aux Etats- Unis).

Il entre généralement dans les tâches de la justice constitutionnelle de veiller au respect desrépartitions horizontales et verticales des pouvoirs établies par la Constitution. La répartitionhorizontale des pouvoirs est contrôlée par le juge constitutionnel de diverses manières. Il peutexister, tout d’abord, une procédure particulière permettant aux divers pouvoirs publics de saisirdirectement la justice constitutionnelle afin de faire trancher les conflits de compétence lesopposant entre eux et résultant d’interprétation divergentes de la Constitution (c’est le cas, parexemple, en République fédérale d’Allemagne, Autriche, Italie et Espagne). Mais il est également

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possible que le maintien de l’équilibre entre les divers pouvoirs publics, tel qu’il est voulu par laConstitution, soit assuré, de manière indirecte par le juge constitutionnel : ainsi, en France, peut-onconsidérer que les diverses procédures permettant au Conseil constitutionnel de faire respecter larépartition des compétences entre le Parlement et le gouvernement, telle qu’elle est établienotamment par les articles 34 et 37 de la Constitution, ont pour résultat d’assurer le respect de ladivision horizontale des pouvoirs.

La répartition verticale des pouvoirs a surtout une importance dans les Etats fédéraux etquasi fédéraux et c’est dans ces Etats que la justice constitutionnelle joue un grand rôle enmaintenant l’équilibre entre pouvoir central et pouvoirs locaux. Ainsi en est-il, évidemment, auxEtats-Unis ou au Canada ou encore en République fédérale d’Allemagne ; et aussi dans les Etatsparfois appelés régionaux ou autonomiques, tels que l’Espagne ou l’Italie. Mais l’expériencefrançaise depuis 1982 montre que ce rôle peut aussi être important dans un pays comme laFrance.

La dernière mission essentielle est la protection des droits et libertés fondamentaux. On asouvent tendance à considérer que l’activité de la justice constitutionnelle est, principalement sinonexclusivement, consacrée à cela, alors que d’autres missions ont une importance très grande. AuCanada, par exemple, la justice constitutionnelle a longtemps eu pour activité essentielle lecontrôle de la répartition verticale des pouvoirs et ce n’est qu’à partir de ‘l’enchâssement’ d’uneDéclaration des droits dans la Constitution, en 1982, que la protection des droits fondamentauxest devenue une attribution essentielle. Il est vrai cependant que, dès qu’elle se développe, cettemission de la justice constitutionnelle a tendance à reléguer les autres au second plan (exemples dela France, après 1974, et du Canada, après 1982) ».

Document n° 2. Fromont, M., Justice constitutionnelle comparée,Dalloz, 2013, pp. 80-81 et 107-108 (extraits).

Les procédures permettant l'exercice de la justice constitutionnelle se sontconsidérablement diversifiées depuis le début du XIXe siècle. A priori, il existe trois grandes massesde contentieux constitutionnel : le contentieux du fonctionnement des pouvoirs publics qui opposeles principales autorités politiques, le contentieux de la constitutionnalité des règles de droit et lecontentieux des actes attentatoires aux droits de l'homme, ces deux derniers contentieux pouvantêtre déclenchés tant par certaines autorités publiques que par de simples particuliers. Mais, enréalité, il y a trop de connexions entre ces deux derniers contentieux pour qu'ils puissent êtreprésentés de façon entièrement distincte.

[...]

Aujourd'hui, l'essentiel du contentieux constitutionnel concerne la constitutionnalité desrègles de droit et de leur application aux particuliers. Par règles de droit, il faut entendreprincipalement les lois. Toutefois, dans certains pays, ce contrôle s'étend à une grande variété derègles de droit : règlements administratifs, traités internationaux et même lois constitutionnelles.Mais les règles de droit ne produisent leur plein effet que lorsqu'elles sont appliquées auxpersonnes privées soit par les autorités exécutives, principalement les autorités administratives,soit par les autorités juridictionnelles. C'est pourquoi le contrôle de la constitutionnalitéde l'application des lois est aussi important que le contrôle de constitutionnalité des lois elles-mêmes.

À première vue, on pourrait penser que le contentieux des règles de droit et lecontentieux de l'application des règles de droit constituent deux masses bien distinctes. En réalité,il convient de distinguer au moins trois catégories de contentieux. En premier lieu, il y a lecontentieux de la constitutionnalité de l'application des lois (et autres règles de droit), qu'il soit le

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fait d'un administrateur ou d'une juridiction ; dans ce cas, le juge qui exerce la justiceconstitutionnelle contrôle la constitutionnalité des décisions individuelles des autoritésadministratives et des jugements rendus par les juridictions. En second lieu, il y a le contentieux dela constitutionnalité des lois (et autres règles de droit) lors de leur application ; les juristesallemands appellent ce contentieux celui du contrôle concret des normes, parce que la loi (ou, plusgénéralement la règle de droit) est contestée à l'occasion de son application à une situationconcrète et, le plus souvent à la demande de l'une des parties à un litige interindividuel. Entroisième lieu, il y a le contentieux de la constitutionnalité des lois en dehors de toute application àdes situations concrètes ; c'est pourquoi les juristes allemands parlent de contrôle abstrait de laconstitutionnalité. Le plus souvent, ce contrôle est déclenché par des autorités politiques endehors de toute application concrète ; il peut l'être soit dès l'adoption de la loi, que celle-ci ait étésimplement votée, mais encore inapplicable, soit qu'elle soit promulguée et donc applicable ; enfin,ce contrôle consiste à confronter la règle constitutionnelle non à la solution à laquelle conduitl'application de la loi, mais à la règle abstraite contenue dans la loi.

Ces trois types de contentieux correspondent à trois degrés d'abstraction. Le premier typeest principalement concret. Le second est en réalité mixte, c'est-à-dire mi-concret, mi-abstrait, carle juge constitutionnel est amené nécessairement à considérer le problème de compatibilité oud'incompatibilité avec la constitution en prenant déjà en considération les cas voisins de celui quiest à l'origine de la question de droit constitutionnel. Seul le troisième cas est à peu prèstotalement abstrait, encore qu'il arrive que le législateur ait été amené à édicter la nouvelle loi enayant à l'esprit un certain nombre de situations concrètes qu'il a pu observer dans les mois qui ontprécédé l'élaboration de la loi.

Document n° 3. Cour suprême américaine, Marbury v. Madison(1803) (extraits), cité dans E. Zoller, Les grands arrêts de la Coursuprême des États-Unis, Dalloz, coll. « Grands arrêts », 2010, pp. 10-12.

[…]La question de savoir si un acte contraire à la Constitution peut devenir la loi du pays est unequestion d’intérêt essentiel pour les Etats-Unis […]. Pour la résoudre, il n’est besoin que derappeler certains principes depuis longtemps fermement établis. Que le peuple ait le droitoriginaire d’établir son futur gouvernement sur les principes qui, d’après lui, permettrontd’atteindre son bonheur, est le fondement sur lequel repose toute la société américaine. La mise enoeuvre de ce droit originaire exige une grande énergie et, de ce chef, ne peut, ni ne doit êtrerépétée fréquemment. Aussi bien les principes qui sont ainsi établis sont-ils considérés commefondamentaux. Et comme l’autorité dont ils émanent est suprême, et ne peut agirqu’exceptionnellement, les principes en question sont conçus pour être permanents.

La volonté originaire et suprême organise le gouvernement, et assigne aux différents pouvoirs leurscompétences respectives. Elle peut soit s’arrêter là, soit établir des limites que ces pouvoirs nedevront pas dépasser.

Le gouvernement des Etats-Unis ressort du deuxième modèle. Les compétences du pouvoirlégislatif sont définies et limitées ; et c’est pour que ces limites ne soient pas ignorées ou oubliéesque la Constitution est écrite. À quoi servirait-il que ces pouvoirs soient limités et que ces limitessoient écrites si ces dites limites pouvaient, à tout moment, être outrepassées par ceux qu’elles ontpour objet de restreindre ? Lorsque ces limites ne s’imposent pas aux personnes qu’elles obligentet lorsque les actes interdits et les actes permis sont également obligatoires, il n’y a plus de

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différence entre un pouvoir limité et un pouvoir illimité. C’est une proposition trop simple pourêtre contestée que, soit la Constitution l’emporte sur la loi ordinaire qui lui est contraire, soit lepouvoir législatif peut modifier la Constitution au moyen d’une loi ordinaire.

Entre ces deux possibilités, il n’y a pas de troisième voie. Ou la Constitution est un droit supérieur,suprême, inaltérable par des moyens ordinaires ; ou elle est sur le même plan que la loi ordinaireet, à l’instar des autres lois, elle est modifiable selon la volonté de la législature. Si c’est la premièrepartie de la proposition qui est vraie, alors une loi contraire à la Constitution n’est pas du droit ; sic’est la deuxième qui est vraie, alors les constitutions écrites ne sont que d’absurdes tentatives dela part des peuples de limiter un pouvoir par nature illimité.

Il est certain que ceux qui élaborent les constitutions écrites les conçoivent comme devant formerle droit fondamental et suprême de la nation, et que, par conséquent, le principe d’un telgouvernement est qu’un acte législatif contraire à la Constitution est nul.

Ce principe est consubstantiel à toute constitution écrite et doit, par conséquent, être considérépar cette Cour comme l’un des principes fondamentaux de notre société […]. Si un acte dupouvoir législatif, contraire à la Constitution, est nul, doit-il, nonobstant sa nullité, être considérécomme liant les juges et oblige-t-il ceux-ci à lui donner effet ? Ou, en d’autres termes, bien qu’il nesoit pas du droit, constitue-t-il une règle qui serait en vigueur ? […]. Ce serait renverser en fait cequi est établi en théorie ; et cela constituerait, à première vue, une absurdité trop énorme pourqu’on y insistât. Il faut pourtant y consacrer une réflexion plus attentive.

C’est par excellence le domaine et le devoir du pouvoir judiciaire de dire ce qu’est le droit. Ceuxqui appliquent la règle à des cas particuliers doivent par nécessité expliquer et interpréter cetterègle. Lorsque deux lois sont en conflit, le juge doit décider laquelle des deux s’applique.

Dans ces conditions, si une loi est en opposition avec la Constitution, si la loi et la Constitutions’appliquent toutes les deux à un cas particulier, de telle sorte que le juge doit, soit décider del’affaire conformément à la loi et écarter la Constitution, soit décider de l’affaire conformément àla Constitution et écarter la loi, le juge doit décider laquelle de ces deux règles en conflit gouvernel’affaire. C’est là l’essence même du devoir judiciaire.

Si donc les juges doivent tenir compte de la Constitution, et si la Constitution est supérieure à laloi ordinaire, c’est la Constitution, et non la loi ordinaire, qui régit l’affaire à laquelle toutes les deuxs’appliquent.

Ceux qui contestent le principe selon lequel la Constitution doit être tenue par le juge comme uneloi suprême en sont réduits à la nécessité de soutenir que les juges doivent ignorer la Constitutionet n’appliquer que la loi […].

Document n°4. Tocqueville, A., De la Démocratie en Amérique, 1835, Livre I, Chapitre VI, 1ère partie (extraits).

Le juge américain ressemble donc parfaitement aux magistrats des autres nations. Cependant il estrevêtu d'un immense pouvoir politique.

D'où vient cela ? Il se meut dans le même cercle et se sert des mêmes moyens que les autresjuges ; pourquoi possède-t-il une puissance que ces derniers n'ont pas ?

La cause en est dans ce seul fait : les Américains ont reconnu aux juges le droit de fonder leursarrêts sur la constitution plutôt que sur les lois. En d'autres termes, ils leur ont permis de ne pointappliquer les lois qui leur paraîtraient inconstitutionnelles. (...) Si, en France, les tribunaux pouvaient

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désobéir aux lois, sur le fondement qu‘ils les trouvaient inconstitutionnelles, le pouvoir constituantserait réellement dans leurs mains, puisque seuls ils auraient le droit d‘interpréter une constitutiondont nul ne pourrait changer les termes. Ils se mettraient donc à la place de la nation etdomineraient la société, autant du moins que la faiblesse inhérente au pouvoir judiciaire leurpermettrait de le faire.

Je sais qu‘en refusant aux juges le droit de déclarer les lois inconstitutionnelles, nous donnonsindirectement au corps législatif le pouvoir de changer la constitution, puisqu‘il ne rencontre plusde barrière légale qui l‘arrête. Mais mieux vaut encore accorder le pouvoir de changer laconstitution du peuple à des hommes qui représentent imparfaitement les volontés du peuple, qu‘àd‘autres qui ne représentent qu‘eux-mêmes.

Il serait bien plus déraisonnable encore de donner aux juges anglais le droit de résister auxvolontés du corps législatif, puisque le parlement, qui fait la loi, fait également la constitution, et que,par conséquent, on ne peut, en aucun cas, appeler une loi inconstitutionnelle quand elle émane destrois pouvoirs.

Aucun de ces deux raisonnements n'est applicable à l'Amérique.

Aux États-Unis, la constitution domine les législateurs comme les simples citoyens. Elle est donc lapremière des lois, et ne saurait être modifiée par une loi. Il est donc juste que les tribunauxobéissent à la constitution, préférablement à toutes les lois. Ceci tient à l‘essence même dupouvoir judiciaire : choisir entre les dispositions légales qui l‘enchaînent le plus étroitement est, enquelque sorte, le droit naturel du magistrat.

En France, la constitution est également la première des lois, et les juges ont un droit égal à laprendre pour base de leurs arrêts ; mais, en exerçant ce droit, ils ne pourraient manquerd'empiéter sur un autre plus sacré encore que le leur : celui de la société au nom de laquelle ilsagissent. Ici, la raison ordinaire doit céder devant la raison d‘État.

En Amérique, où la nation peut toujours, en changeant sa constitution, réduire les magistrats àl‘obéissance, un semblable danger n‘est pas à craindre. Sur ce point, la politique et la logique sontdonc d‘accord, et le peuple ainsi que le juge y conservent également leurs privilèges.

Lorsqu‘on invoque devant les tribunaux des États-Unis, une loi que le juge estime contraire à laconstitution, il peut donc refuser de l‘appliquer. Ce pouvoir est le seul qui soit particulier aumagistrat américain, mais une grande influence politique en découle. (...)

Les Américains ont donc confié à leurs tribunaux un immense pouvoir politique ; mais en lesobligeant à n'attaquer que des lois que par des moyens judiciaires, ils ont beaucoup diminué lesdangers de ce pouvoir.

Document n° 5. Carcassonne G., Duhamel O., Duffy A., QPC. Laquestion prioritaire de constitutionnalité, Dalloz, 2e éd., 2015(extraits).

Cela nous aura pris plus de deux siècles. Plus de deux siècles pour admettre qu'une loipuisse être imparfaite, et des représentants du peuple mal inspirés ; qu'un gouvernement et samajorité agissent trop souvent pressés, et que la Constitution s'en trouve malmenée. Que laprotéger fait progresser la liberté. Deux siècles pour admettre que sur ce point la révolutionaméricaine avait vu plus juste que la française.

Les révolutionnaires, ici très rousseauistes, ne vénéraient que la loi, « expression de lavolonté générale ». Encore convient-il de ne pas caricaturer. Montesquieu les inspirait aussi, puisquel'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen affirme rien moins que :

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« Toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs n'est pas assurée, ni la séparationdes pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Quant à la loi adulée, le même textefondateur s'en défiait déjà discrètement, par exemple lorsqu'il éprouvait le besoin de disposer enson article 5 qu'elle « n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ».

Nos pères fondateurs se faisaient donc bien une plus haute idée de la Constitution, et de laDéclaration des droits qui la fonde, que de la loi. Mais ils n'envisageaient pas de confier le contrôleà un juge, quel qu'il fût. Les Parlements de l'Ancien Régime, composés de magistrats, s'étaient eneffet opposés par leurs remontrances aux réformes royales – inconcevable alors de les laisserbrider la grande transformation enclenchée par la Révolution. La Déclaration de 1789 confia donc,en son préambule, la protection des droits fondamentaux « à tous les Membres du corps social »et, le cas échéant, par son article 2, à « la résistance à l'oppression ». En termes plus modérés,notre première constitution, celle de 1791, s'achève par un appel « à la vigilance des pères defamille, aux épouses et aux mères, à l'affection des jeunes citoyens, au courage de tous lesFrançais ».

La suite de l'Histoire révéla combien cet idéalisme se nourrissait de naïveté. L'idée degarantir le respect de la Constitution subit alors d'autres malheurs. Les Bonaparte, dont lesrégimes sacrifiaient la liberté à l'autorité, chargèrent un « Sénat conservateur », et plus encoresoumis, d'apprécier la constitutionnalité des lois. Du coup, les Républiques qui les remplacèrent segardèrent bien de reprendre un tel mécanisme.

Cela nous aura pris près d'un siècle. En Autriche, grâce à Hans Kelsen, la suprématie de laConstitution fut reconnue et garantie par une cour constitutionnelle dès 1920. En France, nousignorâmes longtemps jusqu'à la notion d'État de droit, d'État limité par le droit et ne pouvant agirque dans son cadre. Combien de fois lit-on encore « état de droit », sans majuscule, comme s'ils'agissait d'une situation conjoncturelle et non d'un agencement structurel ! La France ne sesouciait guère d'établir et de conforter un État de droit – même si, sans le dire, elle commençait àle faire, notamment grâce à la jurisprudence de moins en moins docile du Conseil d'État. Lapréoccupation première restait de conforter le pouvoir, dès lors qu'il était républicain.

Cela nous aura pris un demi-siècle. Nos voisins d'outre-Rhin ou transalpins ont instauré descours constitutionnelles et des recours pour y accéder dès les lendemains de la Seconde Guerremondiale – ils sortaient du nazisme et du fascisme, et ne lésinaient pas sur les solutions pour seprotéger de la dictature ou, tout simplement, de l'arbitraire. En France, à la Libération, un Comitéconstitutionnel fut créé. Il avait cependant pour seul objet d'inciter les deux chambres à s'accorderpour rendre une loi conforme à la Constitution – et cela, bien entendu, seulement s'il était saisi, cequi impliquait une action conjointe du président de la République et de celui du Sénat. Il ne le futdonc qu'une seule fois, le 16 juin 1948, sur une pure question de procédure que les deux chambress'empressèrent de régler. À tout le moins avait-on introduit le début du commencement du mot –en aucun cas la chose.

Cela nous aura pris plus de trente ans. Nos voisins transpyrénéens ont suivi les autresexemples européens dès qu'ils se sont débarrassés du salazarisme ou du franquisme. [...]

En France, il aura donc fallu attendre beaucoup plus longtemps. Dès la fin des annéesquatre-vingt, le mouvement était lancé, un président social-jacobin se ralliait à une idée pourtantplus associée au libéralisme politique qu'à son républicanisme. Mais parce que cela venait de lui, etde Robert Badinter, les socialistes approuvèrent. Parce que cela s'inspirait de Montesquieu, unepartie de la droite tel Édouard Balladur, approuva. Parce que cela venait de la gauche au pouvoir, unautre, tel Nicolas Sarkozy, fit barrage, et, en 1990, la tentative échoua – sous les feux croisés descommunistes et des gaullistes. […]

Deux ans plus tard, le Comité Vedel pour la révision de la constitution tenta de la relancer.François Mitterrand, président de la République, déposa un ample projet de loi constitutionnelle

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dans lequel, après les élections législatives aussitôt intervenues, le nouveau Premier ministre,Édouard Balladur, picora ce qui l'intéressait, dont l'extension du contrôle de constitutionnalité nefaisait pas partie à l'époque. […]

Le temps ayant passé, les réalités s'étant imposées, les esprits ayant évolué, le sujet étaitmûr et la victoire finale, tout bien considéré, fut assez aisée. […]

Désireux de moderniser et rééquilibrer les institutions, Nicolas Sarkozy créa, par un décretdu 18 juillet 2007, un « comité de réflexion et de proposition », présidé par Édouard Balladur,ancien Premier ministre, et composé de treize autres membres (dont les deux auteurs). Le chef del'État leur adressa une lettre de mission dans laquelle il écrivait notamment : « vous examinerez lesconditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel pourrait être amené à statuer, à la demandedes citoyens, sur la constitutionnalité des lois existantes. Des voix s'élèvent dans notre pays pourregretter que la France soit le seul grand pays démocratique dans lequel les citoyens n'ont pasaccès à la justice constitutionnelle [...] ».

La révision dans son ensemble fut adoptée de justesse, grâce aux parlementaires radicauxde gauche, avec seulement une voix de plus que les nécessaires trois cinquièmes des suffragesexprimés […].

La Constitution s'est trouvée ainsi enrichie d'un nouvel article 61-1. Selon le premier alinéade celui-ci :

« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'unedisposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseilconstitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour decassation qui se prononce dans un délai déterminé ». […]

Au-delà de la communauté juridique, le rapport des citoyens avec la Constitution seraprogressivement transformé. Tout ou presque, en France, contribuait à ce qu'il fût placé sous lesigne du scepticisme sinon du mépris. Notre première constitution, en 1791, était censée durerquasiment une éternité, et sa révision aurait d'ailleurs pris des décennies. Elle ne dura pas deux ans.La suivante, démocratique en diable, adoptée par référendum, n'entra même pas en vigueur. Lestextes constitutionnels, ou équivalents, se succédèrent frénétiquement. Les autres démocraties, aupremier chef l'américaine et la britannique, pratiquaient l'alternance politique, nous y substituionsl'alternance des régimes. La IIIe République fit exception : elle permit enfin la naissance d'unconsensus sur le régime légitime. Et elle dura. Mais elle s'effondra lamentablement en 1940. La IVe

était supposée en avoir tiré les leçons, elle disparut au bout de douze petites années.La Ve République, née il y a maintenant plus d'un demi-siècle, paraît avoir mis un terme à

cette « constitutionnalite » aiguë et chronique. Sauf que la guérison laisse encore sérieusement àdésirer si l'on songe au nombre d'articles constitutionnels fréquemment malmenés. […]

Bref, notre Constitution n'ayant qu'une consistance très relative, elle ne pouvait susciterqu'un intérêt et un attachement très relatif.

La QPC ne supprimera pas ces anomalies. En tout cas pas directement, pas immédiatement.Personne n'imagine un Premier ministre refusant de céder sa place, un chef de l'État le traînant enjustice, et l'accusé poser une QPC… Mais la QPC va tisser petit à petit des liens qui n'existaientpas entre les Français et les principes constitutionnels dont ils se sont dotés au fil du temps. Parceque désormais ils peuvent invoquer ces principes, au moins lorsqu'ils ont maille à partir avec lajustice. La Constitution n'était que la chose des gouvernants, par eux appliquée ou contournée. Elleest dorénavant appelée à devenir progressivement notre bien commun et indivis.

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Document n° 6. Avril, P., « Le juge et le représentant », Le Débat,1991, n° 64, pp. 151-155 (extraits).

« Les questions soulevées par Philippe Raynaud concernant les rapports du droit et de ladémocratie peuvent être discutées sur le mode théorique […] : compte tenu à la fois des termescontemporains du débat et de la situation que nous avons sous les yeux, est-il vraiment nécessairede déplacer le curseur dans un sens ou dans l’autre et dans lequel ? Est-ce même raisonnable ?Cette démarche conduit à parler moins du droit que du juge, moins de la démocratie que dureprésentant – et du citoyen –, pour apprécier l’infléchissement éventuel de leurs statuts respectifs(je m’en tiendrai à l’ordre interne, bien que le développement communautaire rende de plus enplus difficile de l’isoler).

Sur le fond, il suffit de constater que le présent engouement pour l’idée de droit et pourson incarnation, la figure du juge, tend à attribuer une légitimité pour le moins équivalente à ladémocratie, c’est-à-dire à la souveraineté de la volonté populaire, et à l’Etat de droit, identifié aucontrôle juridictionnel de cette volonté. Pierre Pescatore, qui joua un rôle décisif à la cour dejustice des Communautés, parle ainsi de ‘légitimités plurielles’, et Dominique Rousseau, spécialistedu Conseil constitutionnel, évoque à son propos ‘un régime d’énonciation concurrentiel de lavolonté générale’. Si l’on comprend la satisfaction des juristes devant la promotion de leurdiscipline et, plus généralement, le sentiment sécurisant qui s’attache à la revalorisation du droit,cet enthousiasme n’en soulève pas moins quelques problèmes parce qu’il suppose que ladémocratie et l’Etat de droit sont les deux branches d’un même tronc. Or s’il est vrai que nosrégimes peuvent être correctement décrits par leur combinaison, il n’en existe pas moins uneantinomie latente entre le représentant qui fait la loi et le juge qui l’applique : le principedémocratique implique la supériorité de la volonté du premier sur celle du second, mais l’idéal del’Etat de droit suppose aussi que le législateur respecte la justice, les droits de l’homme, etc.Lorsque tel n’est pas le cas au regard du juge, celui-ci cherchera à interpréter la loi de façon à enconcilier l’application avec les valeurs qui sont au fondement de son office. Mais si la volontéexprimée clairement par le législateur ne permet pas une telle conciliation ?

L’institution du contrôle de constitutionnalité de la loi est censée résoudre la difficulté enrappelant au législateur qu’il doit respecter les principes sur lesquels repose le pacte social et enl’empêchant d’y déroger subrepticement. L’apparente clarté de cette solution ne résiste cependantguère à une analyse réaliste du concept d’interprétation qui montre que la question estsimplement déplacée, car le contrôle s’exerce sur la conformité à la constitution telle quel’interprète le juge, dont l’appréciation tend à prévaloir en dernière instance sur celle dureprésentant.

Si l’on n’y prend garde, le développement inconsidéré de ce qui nous est présenté demanière rassurante comme un perfectionnement de l’ordre démocratique (et qui l’esteffectivement dans la plupart des cas) risque d’apporter une justification théorique à ce quis’esquisse sous nos yeux : les techniciens de l’administration produisent des normes ; ils le font eninteraction avec les groupes de pression spécialisés dans la défense des intérêts (matériels ouidéologiques) ; le tout sous l’arbitrage du juge. Un tel schéma ne relève pas de l’utopie futuriste, ilest déjà l’oeuvre dans le système de la Communauté européenne, et ce n’est pas un hasard si l’on apu citer Pierre Pescatore comme avocat des ‘légitimités plurielles’. Au stade présent, il n’estévidemment pas question d’évacuer la légitimité démocratique, et telle n’est certainement pasl’intention des adeptes de la promotion du juge, mais il faut bien en voir les implications dans uncontexte qui remet en cause le principe et la pratique de la représentation démocratique […]. Unetelle orientation tend évidemment à la dévalorisation de la figure du citoyen, éclatée entre les rôlesdu consommateur-producteur en ce qui concerne la représentation, du téléspectateur en ce quiconcerne un gouvernement largement occupé par des vedettes médiatiques, du plaideur, enfin,

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auquel on propose de saisir le juge des lois dont il estime qu’elles briment ses droits. Si l’on ajouteque le juge constitutionnel est, par définition pourrait-on dire, l’agent des minorités, lesquellesvoient en lui le recours naturel à leurs revendications, et sauf à susciter un improbable «patriotisme constitutionnel », cet ensemble d’indices risque de consacrer la dégradation du liensocial au moment même où il apparaît menacé de toutes parts […].

Littéralement, le texte de la Constitution ne veut rien ‘dire’, ce sont ses lecteurs qui le fontparler, et plus précisément les lecteurs qu’elle a désignés elle-même en les habilitant à l’appliquer.Ces lecteurs privilégiés sont d’abord les pouvoirs publics, mais aussi, et en fin de compte, lesélecteurs qui tranchent par leurs votes les conflits portant sur l’application de la Constitutioncomme ils tranchent les autres conflits. En d’autres termes, la signification de la Constitution serévèle à travers son application. La ‘lecture’ dont il s’agit est une lecture à plusieurs voix, parce quela Constitution a établi des organes séparés dont l’interaction détermine le sens et la portée deses dispositions, le tout sous l’arbitrage du corps électoral.

Le ressort en est la responsabilité politique. On voit immédiatement que la lecture par lejuge constitutionnel se situe sur un autre plan ; elle est unilatérale, car ses décisions s’imposent endernière instance, elle se fonde sur le raisonnement juridique, elle tend enfin à un arbitrage qui necensure qu’en faveur de la minorité puisque ce sont les lois adoptées par la majorité qui lui sontdéférées. Mais le juge, lui aussi, fait parler la Constitution en l’interprétant, car il choisitnécessairement entre plusieurs possibilités que lui propose le texte […] ».

Document n° 7. Troper, M., « Le bon usage des spectres. Dugouvernement des juges au gouvernement par les juges », dans Lenouveau constitutionnalisme. Mélanges en l’honneur de Gérard Conac,Économica, 2001, pp. 49-65 (extraits).

[…] Le concept de gouvernement des juges stricto sensu est employé à propos des seuls jugesconstitutionnels, dès lors qu’ils exercent le pouvoir législatif. Mais les concepts d’exercice dupouvoir législatif sont eux aussi nombreux et le gouvernement des juges est ou n’est pas réaliséselon qu’on emploie tel ou tel d’entre eux.Certains auteurs, à vrai dire assez rares, admettent que les juges exercent le pouvoir législatif dèslors qu’ils peuvent interpréter la constitution, parce que l’interprétation est toujours une fonctionde la volonté et que celui qui interprète peut ainsi donner au texte la signification qui lui permettrad’obtenir la décision souhaitée. Ainsi, Édouard Lambert, qui cite la formule de l’évêque Hoadley,souvent invoquée par les réalistes américains : « quand quelqu’un a une autorité absolue pourinterpréter des lois écrites ou orales, c’est lui qui est en réalité le législateur à tous égards et àtoutes fins, et non pas la personne qui la première les a écrites ou prononcées ». Dans cesconditions, il n’y a pas de système de contrôle de constitutionnalité qu’on ne puisse appelergouvernement des juges.C’est pourquoi la plupart des auteurs préfèrent réserver cette appellation à certaines situations oùle pouvoir d’appréciation des cours est plus important. Ainsi, quelques-uns, comme Léo Hamon,considèrent qu’il y aurait en France un gouvernement des juges si le Conseil constitutionnelpouvait s’auto-saisir, comme il en avait été question en 1974. Celui lui permet de considérer que,puisque l’auto-saisine n’existe pas, il n’y a pas de gouvernement des juges, si bien que le ‘spectre aété écarté’ […]. D’autres estiment que le juge constitutionnel ne dispose du pouvoir législatif ques’il est en mesure de créer lui-même les principes qu’il est censé appliquer. Ces auteurs peuvent seréclamer du premier Kelsen, qui estimait que le contrôle de constitutionnalité ne devait pas êtreexercé conformément à des Déclarations des droits, parce que ces textes sont nécessairementvagues et que le juge peut les interpréter librement. On sait que l’auteur de la Théorie pure s’est

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par la suite rallié à une théorie réaliste de l’interprétation et qu’il a considéré que l’autorité quidispose d’un pouvoir d’interprétation authentique dispose de la même liberté quelle que soit laprécision du texte à interpréter. Mais son influence sur ce terrain s’est principalement exercéedans la première période et l’on peut retrouver des thèses analogues dans les écrits de CharlesEisenmann […]. Il s’agirait d’une usurpation de l’autorité judiciaire et la cour aurait un pouvoirconstituant. Faut-il alors en conclure que, puisque en France le bloc de constitutionnalité comprenddes principes énoncés d’une manière vague, le Conseil constitutionnel serait en mesure d’énoncerlui-même les principes applicables, et qu’on serait bien en présence d’un gouvernement des juges ?Rares sont ceux qui adoptent une pareille thèse […]. Le plus souvent, les auteurs ajoutent unnouveau critère. Il ne suffit pas, pour qu’on doive parler de gouvernement des juges, que le jugedispose d’un pouvoir important dans la détermination des normes de référence. Encore faut-il queces normes ne soient pas rattachées à des textes. Or, le Conseil constitutionnel prend toujourssoin de rattacher à des textes les principes qu’il invoque […]. Pour d’autres, le critèresupplémentaire n’est pas un lien entre le principe applicable et un texte, mais seulement l’usagequ’en fait le juge constitutionnel. Il n’y a gouvernement des juges que si le juge fait un mauvaisusage de son pouvoir, c’est-à-dire s’il l’emploie contre la volonté du législateur […].Cependant, les cours constitutionnelles, même si elles peuvent interpréter librement les textesapplicables, c’est-à-dire déterminer les normes de référence, dès lors qu’elles ne peuvent pass’auto-saisir, ne peuvent être considérées que comme des autorités législatives partielles. C’estpourquoi, Jean Gicquel, après avoir noté que le Conseil constitutionnel représente un ‘authentiquepouvoir politique’, peut écrire que ‘ce pouvoir, même lorsqu’il est entièrement actif, ne peut êtrequalifié de gouvernemental, car il ne représente qu’une faculté d’empêcher. Il contribue à équilibrerle moteur principal, ou à rétablir, comme en 1974, l’équilibrage du système constitutionnel’. Ilrejoint ainsi la théorie du législateur négatif de Hans Kelsen, qui estime que si le juge est bien unlégislateur (car ‘la décision de la cour constitutionnelle annulant une loi avait le même caractèrequ’une loi abrogeant une autre loi […], il est néanmoins un législateur d’un autre type, parce qu’il ya une grande différence entre faire seul une loi et s’opposer à une loi déjà faite’. Il est donc facilepour ces auteurs d’écarter encore l’appellation de gouvernement des juges, puisque, en France aumoins, le Conseil constitutionnel ne peut faire office de législateur positif.

Document n°8. Conseil constitutionnel, décision n°2015-480 QPC, Association Plastics Europe

Vu la Constitution ; Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; Vu la loi n° 2010-729 du 30 juin 2010 tendant à suspendre la commercialisation de biberons produits à base de bisphénol A ; Vu la loi n° 2012-1442 du 24 décembre 2012 visant à la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A ; Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ; Vu les observations produites pour l'association requérante par la SCP Delaporte, Briard et Trichet,enregistrées les 10 et 27 juillet 2015 ; Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 10 et 27 juillet 2015 ; Vu la lettre du 9 septembre 2015 par laquelle le Conseil constitutionnel a communiqué aux partiesun grief susceptible d'être relevé d'office ;

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Vu les pièces produites et jointes au dossier ; Me François-Henri Briard pour l'association requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 10 septembre 2015 ; Le rapporteur ayant été entendu 1. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 30 juin 2010 susvisée dans sa rédaction résultant de l'article 1er de la loi du 24 décembre 2012 susvisée : « La fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de tout conditionnement, contenant ou ustensile comportant du bisphénol A et destiné à entrer en contact direct avec des denrées alimentaires pour les nourrissons et enfants en bas âge, au sens des a et b de l'article 2 de la directive 2006/141/CE de la Commission du 22 décembre 2006 concernant les préparations pour nourrissons et les préparations de suite et modifiant la directive 1999/21/CE, sont suspendues à compter du premier jour du mois suivant la promulgation de la loi n° 2012-1442 du 24 décembre 2012 visant à la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A, jusqu'à ce que le Gouvernement, après avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, autorise la reprise de ces opérations. « Cette suspension prend effet, dans les mêmes conditions, au 1er janvier 2015 pour tout autre conditionnement, contenant ou ustensile comportant du bisphénol A et destiné à entrer en contact direct avec des denrées alimentaires. « Avant le 1er juillet 2014, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les substitutspossibles au bisphénol A pour ses applications industrielles au regard de leur éventuelle toxicité » ;

2. Considérant que l'association requérante soutient que les dispositions contestées, en prévoyant la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement, contenant ou ustensile comportant du bisphénol A et destiné à entrer en contact avec des denrées alimentaires, ne concourent pas à la protection de la santé dans la mesure où, ni la dangerosité du bisphénol A, ni l'innocuité des produits de substitution au bisphénolA ne seraient démontrées ; que, selon l'association requérante, les dispositions contestées créent également une distorsion de concurrence au détriment des entreprises localisées en France, qui sont contraintes d'adapter leur production par le recours à des substituts au bisphénol A ; que par suite, les dispositions contestées méconnaîtraient la liberté d'entreprendre ; qu'en outre, en application de l'article 7 du règlement du 4 février 2010 susvisé, le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de la méconnaissance de l'étendue de sa compétence par le législateur ;

3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deux premiers alinéas de l'article 1er de la loi du 30 juin 2010 ;

- SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'ATTEINTE À LA LIBERTÉ D'ENTREPRENDRE :

4. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à desexigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;

5. Considérant qu'en vertu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère (...) la protection de la santé » ;

6. Considérant qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu prévenir les risques susceptibles de résulter de l'exposition au bisphénol A pour la santé des personnes, et notamment de celles qui sont les plus sensibles aux perturbateurs endocriniens ; qu'il n'appartient

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pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances, les dispositions prises par le législateur ;

7. Considérant qu'en prévoyant la suspension de l'importation et de la mise sur le marché national à titre gratuit ou onéreux des conditionnements, contenants ou ustensiles comportant du bisphénol A et destinés à entrer en contact direct avec des denrées alimentaires, le législateur a porté à la liberté d'entreprendre une atteinte qui n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif de protection de la santé qu'il a poursuivi ;

8. Considérant que la commercialisation des conditionnements, contenants ou ustensiles comportant du bisphénol A et destinés à entrer en contact direct avec des denrées alimentaires est autorisée dans de nombreux pays ; qu'ainsi, la suspension de la fabrication et de l'exportation de ces produits sur le territoire de la République ou à partir de ce territoire est sans effet sur la commercialisation de ces produits dans les pays étrangers ; que, par suite, en suspendant la fabrication et l'exportation de ces produits en France ou depuis la France, le législateur a apporté àla liberté d'entreprendre des restrictions qui ne sont pas en lien avec l'objectif poursuivi ; que, par suite, les mots « La fabrication » et « , l'exportation » figurant au premier alinéa de l'article 1er de la loi du 30 juin 2010 doivent être déclarés contraires à la Constitution ;

- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE PAR LE LÉGISLATEUR DE SA PROPRE COMPÉTENCE :

9. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;

10. Considérant qu'en permettant au Gouvernement de mettre un terme à la suspension, édictée par la loi, de l'importation et de la mise sur le marché des conditionnements, contenants ou ustensiles comportant du bisphénol A et destinés à entrer en contact direct avec des denrées alimentaires après un avis motivé de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence ;

11. Considérant que le surplus des dispositions contestées, qui n'est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution ;

- SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTIONNALITÉ :

12. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans

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les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la datede l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;

13. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité des mots « La fabrication » et « , l'exportation » figurant au premier alinéa de l'article 1er de la loi du 30 juin 2010 prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date,

D É C I D E :

Article 1er.- Les mots « La fabrication » et « , l'exportation » figurant au premier alinéa de l'article 1er de la loi n° 2010-729 du 30 juin 2010 tendant à suspendre la commercialisation de biberons produits à base de bisphénol A sont contraires à la Constitution.

Article 2.- Le surplus de l'article 1er de la loi du 30 juin 2010 précitée est conforme à la Constitution.

Article 3. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 13.

Article 4. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Document n° 9. Constitution de la République du Mali (1992) -extrait

TITRE IX - DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

ARTICLE 85 La Cour Constitutionnelle est juge de la constitutionnalité des lois et elle garantit les droitsfondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques.Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des Pouvoirs Publics.

ARTICLE 86 La Cour Constitutionnelle statue obligatoirement sur :- la constitutionnalité des lois organiques et des lois avant leur promulgation ;- les règlements intérieurs de l’Assemblée Nationale, du Haut Conseil des Collectivités et du Conseil Economique, Social et Culturel avant leur mise en application quant à leur conformité à la Constitution ;- les conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat ;- la régularité des élections présidentielles, législatives et des opérations de référendum dont elle proclame les résultats.

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ARTICLE 87 La Cour Constitutionnelle est saisie, en cas de contestation sur la validité d’une élection, par toutcandidat, tout parti politique ou le délégué du Gouvernement, dans les conditions prévues par uneloi organique.

ARTICLE 88 Les lois organiques sont soumises par le Premier Ministre à la Cour Constitutionnelle avant leurpromulgation.Les autres catégories de lois, avant leur promulgation, peuvent être déférées à la CourConstitutionnelle soit par le Président de la République, soit par le Premier Ministre, soit par lePrésident de l’Assemblée Nationale ou un dixième des Députés, soit par le Président du HautConseil des Collectivités ou un dixième des Conseillers Nationaux, soit par le Président de laCour Suprême.

ARTICLE 89 La Cour Constitutionnelle statue dans un délai d’un mois selon une procédure dont les modalitéssont fixées par une loi organique.Toutefois, à la demande du Gouvernement et en cas d’urgence, ce délai est ramené à huit jours.Le recours suspend le délai de promulgation de la loi.Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ou appliquée.

ARTICLE 90Les engagements internationaux prévus aux articles 114 à 116 doivent être déférés avant leurratification à la Cour Constitutionnelle, soit par le Président de la République, soit par le PremierMinistre, soit par le Président de l’Assemblée Nationale ou par un dixième des Députés, soit par lePrésident du Haut Conseil des Collectivités ou par un dixième des Conseillers Nationaux.La Cour Constitutionnelle vérifie, dans un délai d’un mois, si ces engagements comportent uneclause contraire à la Constitution.Toutefois, à la demande du Gouvernement, s’il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours.Dans l’affirmative ces engagements ne peuvent être ratifiés.

ARTICLE 91La Cour Constitutionnelle comprend neuf membres qui portent le titre de Conseillers avec unmandat de sept ans renouvelable une fois.Les neuf membres de la Cour Constitutionnelle sont désignés comme suite :- trois nommés par le Président de la République dont au moins deux juristes ;- trois nommés par le Président de l’Assemblée Nationale dont au moins deux juristes ;- trois Magistrats désignés par le Conseil Supérieur de la Magistrature.Les Conseillers sont choisis à titre principal parmi les Professeurs de droit, les Avocats et lesMagistrats ayant au moins quinze ans d’activité, ainsi que les personnalités qualifiées qui ont honoréle service de l’Etat.

ARTICLE 92

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Le Président de la Cour Constitutionnelle est élu par ses pairs.En cas d’empêchement temporaire, son intérim est assuré par le Conseiller le plus âgé.En cas de décès ou de démission d’un membre, le nouveau membre nommé par l’autorité denomination concernée achève le mandat commencé.

ARTICLE 93 Les fonctions de membre de la Cour Constitutionnelle sont incompatibles avec toute fonctionpublique, politique, administrative ou toute activité privée ou professionnelle.Les membres de la Cour Constitutionnelle prêtent serment au cours d’une cérémonie solennelleprésidée par le Président de la République devant l’Assemblée Nationale et la Cour Suprêmeréunies. Ils prêtent le serment suivant :« JE JURE DE REMPLIR CONSCIENCIEUSEMENT LES DEVOIRS DE MA CHARGE, DANS LESTRICT RESPECT DES OBLIGATIONS DE NEUTRALITE ET DE RESERVE, ET DE MECONDUIRE EN DIGNE ET LOYAL MAGISTRAT ».

ARTICLE 94 Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposentaux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes lespersonnes physiques et morales.Les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, ainsi que laprocédure suivie devant elle, sont déterminées par une loi organique.

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel(Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 4 : L'État

Document n° 1. Duguit, L., Traité de droit constitutionnel, t. I, La règle de droit –le problème de l’Etat, de Boccard, 1927, pp. 655-670 (extraits).

Document n° 2. Hauriou, M., Précis de droit constitutionnel, Sirey, 1929, pp. 85-97 (extraits).

Document n° 3. Duhamel, O., Droit constitutionnel, Seuil, coll. « Essais », t. II,Les démocraties, 3e édition, 2000, pp. 16-18.

Document n° 4. Esmein, A., Éléments de droit constitutionnel français et comparé,Sirey, 1914, pp. 1-9 (extraits).

Document n° 5. Rousseau, J.J, Du Contrat social,1762, Chapitre VI, Du pactesocial, (extraits)

Document n° 6. Lénine, V., L’Etat et la Révolution, 1917, p.12 (extrait).

Document n° 7. Rouvillois, F., Droit constitutionnel. 1. Fondements et pratiques,2e éd., 2005, pp. 53-78 (extraits).

Document n° 8. Scelle, G., Cours de droit international public, 1946, p. 256.

Document n° 9. Masclet J.-C. et Valette J.-F., Droit constitutionnel et institutionspolitiques, 1997, p. 67.

Dissertation : L'État fédéral est-il un État ?

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Document n° 1. Duguit, L., Traité de droit constitutionnel, t. I, Larègle de droit – le problème de l’Etat, de Boccard, 1927, pp. 655- 670(extraits).

Dans tous les groupes sociaux qu’on qualifie d’Etats, les plus primitifs et les plus simples,comme les plus civilisés et les plus complexes, on trouve toujours un fait unique, des individus plusforts que les autres qui veulent et qui peuvent imposer leur volonté aux autres. Peu importe queces groupes soient ou ne soient pas fixés sur un territoire déterminé, qu’ils soient ou ne soient pasreconnus par d’autres groupes, qu’ils aient une structure homogène ou différenciée, le fait esttoujours là identique à lui-même : les plus forts imposent leur volonté aux plus faibles.

Cette plus grande force s’est présentée sous les aspects les plus divers : tantôt elle a étéune force purement matérielle, tantôt une force morale et religieuse, tantôt une forceintellectuelle, tantôt (et cela bien souvent) une force économique. La puissance économique n’a pasété le seul facteur de la puissance publique, comme l’enseigne l’école marxiste […] ; mais elle ajoué assurément dans l’histoire des institutions politiques un rôle de premier ordre. Enfin cetteplus grande force a été souvent et aujourd’hui tend à être presque partout la force du nombre enattendant qu’elle soit la force des groupes sociaux organisés.

Ainsi, dans tous les pays et dans tous les temps, les plus forts, matériellement,religieusement, économiquement, moralement, intellectuellement ou numériquement, ont vouluimposer et ont imposé en fait leur volonté aux autres. Les gouvernants ont toujours été, sont etseront toujours les plus forts en fait. Ils ont bien essayé souvent, avec le concours de leurs fidèles,de légitimer cette plus grande force ; mais ils n’ont pu inventer que deux explications aussiartificielles l’une que l’autre et qui ne doivent tromper personne.

Souvent, ils se sont présentés comme les délégués sur la terre d’une puissance surnaturelle.L’idée théocratique a eu une grande force aux époques et dans les pays de foi profonde ; elle a étéun moyen commode pour justifier toutes les tyrannies. Mais aux époques de tiédeur religieusecomme la nôtre, elle est devenue insuffisante. De plus, on l’a déjà dit, pour tout esprit positif, ellene vaut même pas la peine d’une discussion.

On a imaginé alors la fiction de la volonté sociale : le chef qui commande, roi, empereur,protecteur, président ; les chefs qui délibèrent ou ordonnent, majorité d’un parlement ou d’uneassemblée du peuple, ne sont, dit-on, que les organes de la volonté collective qui s’impose auxvolontés individuelles, précisément parce qu’elle est la volonté collective […].

Droit divin, volonté sociale, souveraineté nationale, autant de mots sans valeur, autant desophismes dont les gouvernants veulent leurrer leurs sujets et se leurrent souvent eux-mêmes.Assurément, ces conceptions ont, à certaines époques, pénétré profondément la masse desesprits ; à ce titre, elles sont des faits sociaux qui ne doivent point échapper à l’observateur ; maisils forment ces croissances artificielles que connaît bien le sociologue et dont il importe dedégager le fait simple et irréductible ; ce fait, c’est la distinction positive des gouvernants et desgouvernés ; c’est la possibilité pour quelques-uns de donner aux autres des ordres sanctionnés parune contrainte matérielle ; c’est cette contrainte matérielle monopolisée par un certain groupesocial ; c’est la force des plus forts dominant la faiblesse des plus faibles […].

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Document n° 2. Hauriou, M., Précis de droit constitutionnel, Sirey,1929, pp. 85-97 (extraits).

Il y a dans l’État un principe d’unité. Encore faut-il le bien connaître. Est-ce la dominationd’un même pouvoir sur tous les sujets et sur les organes ? Est-ce, au contraire, le consentementvolontaire de tous les sujets et de tous les organes à un même état de choses ? Est-ce unecombinaison de domination de pouvoir et de consentement, de telle sorte que l’Etat soit à moitiécoercitif et à moitié volontaire ? Mais, dans ce dernier cas, l’Etat est-il plus coercitif que volontaireou plus volontaire que coercitif ?

Nous allons nous efforcer de répondre à ce questionnaire. Mais nous ne procéderons pasau hasard. Il ne s’agira pas de n’importe quel Etat, mais de l’Etat conforme au type classique.J’appelle ainsi celui qui est la conclusion du développement historique d’une nation, qui a été unenation avant d’être un Etat, et qui, sous la forme Etat, ne cesse pas d’être une nation. Pour plus desûreté, je le définirai de la façon suivante : c’est une nation dans laquelle un gouvernement central afait l’entreprise d’une chose publique, d’une res publica au sens latin du mot. Ainsi, dans les nationsantiques, le gouvernement central a créé la cité avec la chose publique ; ainsi, dans les nationsmodernes, le gouvernement central est venu créer l’Etat avec toute sa chose publique.

Rappelons également, avant d’aller plus loin, que les nations sont unanimement considéréescomme des unités spirituelles, fondées à la fois sur des affinités mentales, sur des habitudescommunes, sur la volonté de vivre ensemble, et que, finalement, elles prennent la figure d’unitésconsensuelles. Bref, nous sommes en présence de trois éléments très différents, déposés ensembledans le berceau de l’Etat : le pouvoir du gouvernement central ou puissance publique, élément decoercition ; l’unité spirituelle de la nation, élément consensuel ; l’entreprise de la chose publique,élément idéal, propre à polariser les consentements, aussi bien des organes du gouvernement quedes membres de la nation.

Ces trois éléments sont tellement importants qu’ils constituent l’équilibre fondamental del’Etat, celui d’où résultent à la fois la qualité de son gouvernement, la qualité de la liberté dont il faitjouir ses sujets, la qualité des buts qu’il poursuit. Et la valeur de cet équilibre sera elle-mêmerendue saisissante par le fait que chacun de ces éléments peut être projeté en une forme de lasouveraineté. A certains égards, la souveraineté de l’Etat est une ; nous ne chercherons pas à savoirici si elle est absolue ou relative, si elle est ou non affranchie du droit ; nous la croyons plutôtrelative et soumise au droit ; nous ne voyons pas pourquoi une souveraineté ne serait pas relativeaussi bien qu’une liberté. Mais là n’est pas, pour le moment, la question. Elle est de savoir si lasouveraineté ne peut pas être à la fois une et complexe ; une dans de certaines circonstances,lorsque ses formes diverses convergent en une même action ; complexe et décomposable enplusieurs formes, lorsqu’il s’agit d’analyser sa nature intime […].

Sans doute, l’institution de l’Etat peut être fondée en outre sur des lois, et, dans les pays àconstitution écrite, elle l’est certainement sur les lois constitutionnelles. Mais, de même que desinstitutions constitutionnelles ont existé en tant que coutumières, avant d’exister en vertu deconstitutions écrites, de même l’Etat a existé comme coutumier avant d’être consacré par lesconstitutions écrites. Même quand il possède une constitution écrite et tout un ordonnancementde lois organiques, l’Etat n’a-t-il pas encore besoin d’un consentement coutumier lui constituantune sorte de tréfonds juridique ? J’ai peine à croire qu’il puisse s’en passer. Les constitutionsformelles, les lois écrites, sont des actes juridiques qui ne vivent que dans l’actuel. Combien detemps une constitution écrite reste-t-elle en vigueur et combien de temps dure une loi sur lemode de scrutin pour l’élection des députés ? Serait-il admissible que l’existence juridique de l’Etatne fût consacrée que d’une façon aussi momentanée et aussi discontinue ? Il faut donc convenirque les lois écrites et les lois organiques règlent d’une façon actuelle certains éléments de l’Etat,

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certaines organisations et certaines procédures, mais que l’institution de l’Etat, envisagée dans sesréalités profondes et dans ses équilibres fondamentaux, continue d’être consacrée juridiquementpar un consentement coutumier, dans lequel baignent constitutions et lois organiques. D’ailleurs,les objets de ce consentement coutumier apparaissent sous le nom de principes constitutionnels. Ilest rare que les principes soient consacrés par les constitutions et par les lois et il est certain qu’ilsdominent constitutions et lois. Cela apparaît nettement dans les pays à contrôle juridictionnel de laconstitutionnalité des lois. Ce n’est pas au nom de la lettre de la constitution que les déclarationsd’inconstitutionnalité sont prononcées ; pratiquement, c’est presque toujours au nom des principesdominant la constitution, et qui constituent une véritable légitimité constitutionnelle. C’est à cesprincipes fondamentaux, et non pas aux détails d’organisation, que s’attache le consentementcoutumier des sujets […].

Document n° 3. Duhamel, O., Droit constitutionnel, Seuil, coll. «Essais », t. II, Les démocraties, 3e édition, 2000, pp. 16-18.

La définition de l’État

L’État est caractérisé par trois éléments constitutifs qui permettent de reconnaître son existence :un territoire, une population, un pouvoir de contrainte.Le droit de contraindre est l’élément décisif, le privilège suprême de l’État, sa marque. L’État a seulle pouvoir de fixer des règles de comportement et d’en imposer légitimement le respect –privilège que l’on baptise traditionnellement « souveraineté ». Le grand sociologue allemand MaxWeber a ainsi défini l’État comme l’institution qui revendique avec succès pour son propre comptele « monopole de la violence physique légitime ». Cela ne signifie évidemment pas que l’État exercequotidiennement la violence à l’encontre de ses administrés, mais qu’il peut toujours le faire, dansles conditions par lui prescrites, pour imposer le respect des règles collectives ou sanctionner leurviolation. L’État détient ainsi un double pouvoir, normatif et coercitif, ou, si l’on préfère, il détient unvrai pouvoir normatif, c’est-à-dire le pouvoir d’edicter des règles de droit et de punir ceux qui neles respectent pas. Si des entités infra-étatiques peuvent posséder un pouvoir normatif, si despersonnes physiques et/ou morales peuvent édicter des règles de droit qui les lient, elles ne le fontque de façon subordonnée, c’est-à-dire dans le respect des règles fixées par l’État, dans l’exactemesure où l’État consent à ce qu’elles les édictent, et elles ne peuvent recourir elles-mêmes à laforce mais doivent s’adresser à l’État pour imposer l’application des règles dont elles étaientconvenues ou la sanction de leur irrespect. Si une entité supra-étatique se développe, soit qu’elleprocède des seuls transferts consentis et révocables par les États qui y participent, soit elleébauche un nouvel État.La population est la deuxième composante de l’État. L’ordre normatif évoqué ci-dessus régit unecommunauté d’hommes. Le point commun entre l’ensemble limité que sont les êtres humainsressortissants d’un État peut fort bien n’être que la soumission à ce pouvoir normatif, par-delà ladiversité culturelle, linguistique, ethnique, nationale. Nation et État ne coïncident pasnécessairement. Une nation peut préexister à l’État, les Allemands le savent bien. Un État peutpréexister à une nation, les Français le savent bien. Une même nation peut être divisée en deuxÉtats, comme le fut de l’après-guerre à 1990 la nation allemande ou comme l’est encore la nationcoréenne. Un même État peut regrouper différentes nations, comme le firent les empires ottoman,austro-hongrois, soviétique, comme le font encore la Fédération russe, le Canada, la Suisse oul’Espagne. En France, puisque l’État y fit la nation et craignit que les nations ne le défissent, latendance dominante fut longtemps d’identifier État et nation. Ce franco-centrisme est explicable,pas justifiable.

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Le territoire est la troisième et dernière condition d’existence de l’État. La naissance de l’État va depair avec la sédentarisation, l’avènement de frontières et l’apparition de la cartographie. Leterritoire peut être minuscule, comme celui du Lieschtenstein ou d’Andorre. Il peut êtrediscontinu, comme entre la France métropolitaine et les départements et territoires d’outre-mer,ou comme le Pakistan avant la sécession du Bangladesh en 1971, les Etats-Unis avec l’Alaska etHawaï. Il peut être amputé, comme lors de la constitution de nouveaux États. Mais il doit être pourque l’État soit.

Document n° 4. Esmein, A., Éléments de droit constitutionnel françaiset comparé, Sirey, 1914, pp. 1-9 (extraits)

« L’État est la personnification juridique d’une nation : c’est le sujet et le support de l’autoritépublique. Ce qui constitue en droit une nation, c’est l’existence, dans cette société d’hommes,d’une autorité supérieure aux volontés individuelles. Cette autorité, qui naturellement ne reconnaîtpoint de puissance supérieure ou concurrente quant aux rapports qu’elle régit, s’appelle lasouveraineté. Elle a deux faces : la souveraineté intérieure, ou le droit de commander à tous lescitoyens composant la nation, et même à tous ceux qui résident sur le territoire national ; lasouveraineté extérieure, ou le droit de représenter la nation et de l’engager dans ses rapports avecles autres nations.

Le fondement même du droit public consiste en ce qu’il donne à la souveraineté, en dehors et au-dessus des personnes qui l’exercent à tel ou tel moment, un sujet ou titulaire idéal et permanent,qui personnifie la nation entière : cette personne morale, c’est l’État, qui se confond ainsi avec lasouveraineté, celle-ci étant sa qualité essentielle. Mais cette abstraction puissante et féconde est unproduit lentement dégagé de la civilisation : souvent et longtemps les hommes ont confondu lasouveraineté avec le chef ou l’assemblée qui l’exerçait. Cependant l’antiquité classique s’était élevéedéjà la véritable conception de l’État ; les Romains en particulier, grâce peut-être au génie juridiquequi les distingue, semblent l’avoir dégagée de très bonne heure et presque d’instinct. Mais dans ladécomposition lente, qui produisit la société féodale, cette idée disparut, subit une longue éclipse,et c’est par une nouvelle élaboration qu’elle a repris sa place dans le droit moderne.

L’État est aussi la traduction juridique de l’idée de patrie : il résume tous les devoirs et tous lesdroits qui s’y rattachent. On ne saurait même établir autrement un rapport direct et précis entrele citoyen et sa patrie, sauf dans une monarchie absolue, où la patrie s’incarne et s’absorbe enquelque sorte dans le monarque. L’État suppose nécessairement un territoire déterminé dans leslimites duquel il exerce son autorité, à l’exclusion de toute autre, sur les personnes et sur leschoses […]. De cette conception découlent deux conséquences capitales :

1° L’autorité publique, la souveraineté, ne doit jamais être exercée que dans l’intérêt de tous : c’estce qu’on atteste en lui donnant pour sujet une personne fictive, distincte de tous les individus quicomposent la nation, distincte des magistrats et des chefs aussi bien que des simples citoyens.

2° L’État, de sa nature, est perpétuel et son existence juridique n’admet aucune discontinuité.Personnifiant la nation, il est destiné à durer autant que la nation elle-même. Sans doute la formede l’État, les personnes réelles en qui la souveraineté s’incarne momentanément, peuvent changeravec le temps et par l’effet des révolutions. Mais cela n’altère pas l’essence même de l’État, cela nerompt pas la continuité de son existence, pas plus que la vie nationale ne se fractionne ou nes’interrompt par le renouvellement des générations successives. De cette perpétuité découlent uncertain nombre de conséquences secondaires.

a) Les traités qui ont été conclus avec les puissances étrangères au nom de l’État, alors que celui-ciavait une certaine forme, demeurent valables et obligatoires, malgré les changements de forme quipeuvent l’affecter dans la suite.

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b) Les lois, régulièrement édictées et promulguées au nom de l’État, sous une forme d’Étatdéterminée, restent en vigueur, alors même que cette forme d’État vient à changer, à moins qu’ellesne soient abrogées ou qu’elles soient inconciliables avec les lois nouvelles, ce qui équivaut à uneabrogation. C’est ainsi qu’on applique encore aujourd’hui en France certaines lois qui datent del’ancien régime.

c) Les obligations pécuniaires, contractées au nom de l’État, subsistent et restent obligatoires, alorsmême que disparaît la forme d’État sous laquelle elles ont été contractées.

Mais si l’État persiste ainsi, perpétuel et immuable, identique toujours à lui-même, tant que subsistela nation, la forme de l’État, comme je viens de le dire, peut changer au contraire. Que faut-ilentendre par là ? L’État, sujet et titulaire de la souveraineté, n’étant qu’une personne morale, unefiction juridique, il faut que la souveraineté soit exercée en son nom par des personnes physiques,une ou plusieurs, qui veuillent et agissent pour lui. Il est naturel et nécessaire que la souveraineté, àcôté de son titulaire perpétuel et fictif, ait un autre titulaire actuel et agissant, en qui résideranécessairement le libre exercice de cette souveraineté. C’est celui-là que l’on appelle proprementle souverain en droit constitutionnel et déterminer quel est le souverain, ainsi compris, c’estdéterminer la forme de l’État […].

Document n° 5. Rousseau, J.-J., Du Contrat social (1762) Chapitre VI,Du pacte social (extraits)

Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservationdans l'état de nature l'emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister, et le genre humain périrait s'il ne changeait sa manière d'être.

Or comme les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et diriger celles qui existent, ils n'ont plus d'autre moyen pour se conserver que de former par agrégation une somme de forces qui puisse l'emporter sur la résistance, de les mettre en jeu par un seul mobile et de les faire agir de concert.

Cette somme de forces ne peut naître que du concours de plusieurs: mais la force et la liberté de chaque homme étant les premiers instruments de sa conservation, comment les engagera-t-il sans se nuire, et sans négliger les soins qu'il se doit ? Cette difficulté ramenée à mon sujet peut s'énoncer en ces termes :

" Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtantqu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. " Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution.

Les clauses de ce contrat sont tellement déterminées par la nature de l'acte que la moindremodification les rendrait vaines et de nul effet ; en sorte que, bien qu'elles n'aient peut-être jamais été formellement énoncées, elles sont partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues ; jusqu'à ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et reprenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça.

Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. Car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt dela rendre onéreuse aux autres.

De plus, l'aliénation se faisant sans réserve, l'union est aussi parfaite qu'elle ne peut l'être et nul associé n'a plus rien à réclamer : car s'il restait quelques droits aux particuliers, comme il n'y aurait aucun supérieur commun qui pût prononcer entre eux et le public, chacun étant en quelque point son propre juge prétendrait bientôt l'être en tous, l'état de nature subsisterait et l'association

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deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine.Enfin chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il n'y a pas un associé

sur lequel on n'acquière le même droit qu'on lui cède sur soi, on gagne l'équivalent de tout ce qu'on perd, et plus de force pour conserver ce qu'on a.

Si donc on écarte du pacte social ce qui n'est pas de son essence, on trouvera qu'il se réduit aux termes suivants : Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout.

À l'instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d'association produit un corps moral et collectif composé d'autant de membres que l'assemblée a de voix, lequelreçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres prenait autrefois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres Etat quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables. À l'égard des associés ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s'appellent en particulier citoyens comme participants à l'autorité souveraine, et sujets comme soumis aux lois de l'État. Maisces termes se confondent souvent et se prennent l'un pour l'autre ; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision.

Document n° 6. Lénine, V., L’Etat et la Révolution, 1917, p.12.

C'est seulement dans la société communiste, lorsque la résistance des capitalistes estdéfinitivement brisée, que les capitalistes ont disparu et qu'il n'y a plus de classes (…), c'est alorsseulement que “l'État cesse d'exister et qu'il devient possible de parler de liberté”. Alors seulementdeviendra possible et sera appliquée une démocratie vraiment complète, vraiment sans aucuneexception. Alors seulement la démocratie commencera à s'éteindre pour cette simple raison que,délivrés de l'esclavage capitaliste, des horreurs, des sauvageries, des absurdités, des ignominies sansnombre de l'exploitation capitaliste, les hommes s'habitueront graduellement à respecter les règlesélémentaires de la vie en société connues depuis des siècles, rebattues durant des millénaires danstoutes les prescriptions morales, à les respecter sans violence, sans contrainte, sans soumission,sans cet appareil spécial de coercition qui a nom : l’État.

Document n° 7. Rouvillois, F., Droit constitutionnel. 1. Fondements etpratiques, 2e éd., 2005, pp. 53-78 (extraits)

Section III. La forme de l'État

Plus décisive est la question de la structure, ou encore de la forme de l'État. À cet égard, on peutnoter pour commencer que les États se répartissent en deux catégories : les États unitaires, et lesÉtats composés ou fédératifs. Deux catégories, et deux seulement : les multiples variantes que l'onrencontre en droit positif s'avèrent au fond toujours susceptibles de rentrer dans l'une ou dansl'autre.

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Sous-section 1. L'État unitaire

« Au regard de la technique constitutionnelle, observait Georges Burdeau, cette forme d'Étatprésente l'avantage de la simplicité, et c'est bien pourquoi, chez les publicistes, l'État unitaire est leprototype de l'État. » Mais cet auteur le considérait déjà, il y a un demi-siècle, comme un prototypemenacé, dont il jugeait le déclin possible, et d'ailleurs souhaitable. L'évolution contemporaine lui apartiellement donné raison.

A. Un prototype ?

L'État unitaire est « celui qui, sur son territoire et pour la population qui y vit, ne comporte qu'uneseule organisation politique et juridique (…) dotée, et elle seule, de la plénitude de sasouveraineté ». Comme le précise un auteur, il s'agit d'un État où « la loi est la même pour tous. Lavolonté politique s'y exprime d'une seule et même voix. Elle s'impose à tous : individus ou groupesou collectivités politiques ». Ces éléments de définition suscitent un certain nombre de questions,car cet État unitaire est susceptible d'être organisé suivant des modalités distinctes : il pourra êtrecentralisé, ou décentralisé.

1. L'État centralisé

L'État est dit centralisé lorsque le gouvernement central dispose de façon exclusive de l'autoritépolitique, au détriment des collectivités locales. Le pouvoir est alors monopolisé par le centre, et« partout où s'exerce la puissance publique, c'est au nom de l'État et sous son autorité. » [...]

2. L'État décentralisé

Tout autre est le schéma de la décentralisation, puisque, dans ce cas, ce ne sera plus « le mêmemarteau ». Une activité est décentralisée « si c'est une multitude d'organes non centraux qui enont la maîtrise, c'est-à-dire (qui) décident en fin de compte quelles normes seront édictées, chacunpour une fraction distincte de la collectivité » : en son nom, et non plus au nom de l'État.

La décentralisation territoriale, contrairement à la déconcentration, ne se situe donc plus dans lecadre de l'État – personne morale. Elle implique l'existence, à côté de celui-ci, de collectivitésterritoriales également dotées de la personnalité morale, et bénéficiant par rapport à lui d'unerelative autonomie. […]

Toutefois, cette autonomie qui caractérise la décentralisation est forcément relative et limitée.« La décentralisation, observait Georges Burdeau, est un régime de liberté surveillée. » Elle sesitue en effet, on ne saurait l'oublier, dans le cadre de l'État unitaire. Or, celui-ci ne peut admettre ledéveloppement en son sein de petits « États dans l'État », libres de leurs décisions, de leursmouvements, de leurs relations internationales, et susceptibles le cas échéant de s'opposer àl'intérêt général de l'ensemble. Il est donc inévitable que l'État central se réserve un droit deregard, plus ou moins rigoureux, que l'on qualifie juridiquement de tutelle, sur les décisions prisespar les collectivités décentralisées.

C'est à ce niveau que vont apparaître les variations les plus notables, la décentralisation étantsusceptible de degrés et de gradations – suivant l'intensité du contrôle exercé par l'État. […]

Au-delà encore, on rencontre un cas qui tend à devenir de plus en plus fréquent, où ladécentralisation atteint un degré extrême – au point qu'on en vient à se demander s'il s'agittoujours de décentralisation, et si l'on se situe encore dans le cadre classique de l'État unitaire.C'est à ce propos que l'on peut s'interroger sur le déclin annoncé de ce modèle.

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B. Un prototype menacé

1. La question de l'« État régional »

Ce qu'on appelle désormais communément l'« État régional » manifeste en effet unedécentralisation poussée à son paroxysme, et suscite une certaine perplexité : s'agit-il d'un Étatunitaire, ou d'une forme nouvelle d'État, d'une forme transitoire, assimilable à une quasi-fédération ?

[…] c'est à partir de la Constitution italienne du 27 décembre 1947 que l'« État régional » a puêtre conceptualisé : celle-ci dispose en effet dans son article 5 que « la République, une etindivisible, reconnaît et favorise les autonomies locales ; réalise dans les services qui dépendent del'État la plus ample décentralisation administrative ; adapte les principes et les méthodes de salégislation aux nécessités de l'autonomie et de la décentralisation ». Ainsi, tout en conservantformellement le principe d'un État unitaire, la Constitution de 1947 promeut les autonomieslocales, reconnaissant aux (dix-neuf) régions le caractère d'« organismes autonomes ayant despouvoirs particuliers et des fonctions particulières selon les principes fixés par la Constitution »(art. 115). Dans certaines matières énumérées par le texte constitutionnel, et « dans les limites desprincipes fondamentaux fixés par les lois de l'État », les régions établissent en particulier des règles« législatives », « à condition que ces mêmes règles ne soient pas en opposition avec l'intérêtnational et avec celui d'autres régions ». […]

Depuis quelques décennies, cette tendance s'est répandue dans toute l'Europe, en particulier dansla Constitution espagnole du 27 décembre 1978, ou dans le cadre britannique, avec la dévolutiondes pouvoirs en Écosse et au pays de Galles en 1997, puis avec le nouveau statut de l'Irlande duNord en 1998.

[…]

Sous-section 2. L'État composé

Avant d'évoquer plus précisément l'État composé, qui de nos jours se confond à peu près avecl'État fédéral, il faut s'arrêter brièvement sur deux points : la question de la confédération, et celledes « unions d'États ».

Malgré sa dénomination, la confédération ne constitue pas, en principe, un État composé, mais unensemble d'États, qui conservent leur nature et leur souveraineté, et dont, par suite, « les relationsrestent d'ordre international, parce qu'il n'est créé aucun organisme politique qui soit un super-État » par-dessus ces différentes composantes.

Ce mode de relations, assez courant dans l'Antiquité, est précisément celui qu'adoptent, en 1778,les treize États américains qui viennent de proclamer leur indépendance, et qui, comme tels, semontrent jaloux de leur souveraineté fraîchement acquise. Mais cette organisation « confédérale »ne durera que peu de temps, s'avérant bientôt insuffisante et inefficace : c'est pour y mettre bonordre que la Constitution de 1787 établira un système fédéral. C'est également ainsi ques'organisent les cantons suisses, du XIVe siècle à 1848, date à laquelle la « Confédération suisse »va adopter, elle aussi, une Constitution fédérale.

Même si elle se situe dans l'ordre international, la confédération instaure entre ses membres unerelation relativement étroite, qui se manifeste par la création d'organes communs, réunissant desreprésentants des différents États. Ces organes, permanents ou siégeant périodiquement, sontchargés de traiter des affaires communes expressément prévues par le traité créant laconfédération ; cependant, ils ne peuvent en principe prendre de décisions qu'à l'unanimité (chaqueÉtat membre conservant ainsi un droit de veto), et ils ne forment donc pas un nouvel Étatsouverain, distinct des confédérés – lesquels peuvent à tout instant sortir de la confédération.

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Cette dernière apparaît ainsi comme une structure assez incertaine, et plutôt fragile. Il s'agitsouvent d'une forme de transition, préalable à un retour à l'indépendance complète des Étatsmembres ou, au contraire, à l'accession à une structure fédérale. Telle est du reste la questionposée par l'évolution actuelle de l'Union européenne, initialement confédérale, mais qui, de plus enplus vite, tend à se rapprocher du modèle fédéral.

Si la confédération n'est pas un État composé, appartiennent en revanche à cette catégorie les« unions d'États » : unions « personnelles », quand deux États sont unis par la personne de leurmonarque (comme l'Angleterre et le royaume de Hanovre de 1714 à 1837), ou unions « réelles »,lorsque deux États sont réunis non seulement par le même chef, mais par un gouvernement et unappareil étatique partiellement communs (par exemple, l'union entre l'empire d'Autriche et leroyaume de Hongrie de 1865 à 1918). Mais ces États composés constituent des formes archaïques,désormais à peu près disparues. De nos jours, les fédérations restent le seul exemple significatifd'État composé. Un exemple qui suscite d'ailleurs d'innombrables difficultés, tant pratiques quethéoriques.

A. Modalités d'organisation

Par définition, un système fédéral apparaît plus complexe qu'un État unitaire, dans la mesure où ilassocie des collectivités étatiques distinctes, qui vont former en quelque sorte le premier étage dela fédération, avant de leur superposer un second étage : l'État fédéral, situé au-dessus des Étatsfédérés. C'est ainsi que les États-Unis comptent cinquante États fédérés, réunis dans et dominéspar un État fédéral.

La fédération se caractérise toujours par cette superposition d'ordres juridiques et institutionnels :ceux des différents États fédérés, et celui de l'État fédéral, qui recouvre l'ensemble du territoire ets'impose à la population des différents États fédérés. La particularité du système vient de ce quechacun des États fédérés demeure en théorie un véritable État, avec sa constitution propre, sonorganisation politique, sa capitale, son drapeau, et même sa nationalité spécifique, chaque citoyenbénéficiant ainsi d'une double nationalité, celle de l'État fédéré où il réside, et celle de la fédération.La seule différence, mais elle est essentielle, entre un État fédéré et un État unitaire « classique »vient de ce que le premier ne dispose pas de la plénitude de la souveraineté, qui se trouve divisée,ou répartie, entre lui et la fédération.

En l'occurrence, la question cruciale est donc celle des rapports entre les deux étages, entre lesÉtats fédérés et la fédération, et naturellement, celle de leur équilibre. Il faut en effet, pour que lesystème fédéral soit efficace et viable, que les institutions de la fédération puissent prendre uncertain nombre de décisions importantes sans être constamment entravées par l'opposition d'unou de plusieurs États fédérés. Telle fut même la raison pour laquelle les treize premiers Étatsaméricains renoncèrent à une organisation confédérale pour adopter, en 1787, un système fédéral.Mais à l'inverse, il faut également que les États fédérés conservent un certain pouvoir, et un droitde contrôle sur l'État fédéral – sans quoi celui-ci prendrait inévitablement le dessus : il ne s'agiraitplus d'une véritable fédération, mais d'un nouvel État unitaire.

Pour parvenir à perpétuer cet équilibre, les constitutions fédérales proposent d'ordinaire deuxséries de moyens cumulatifs : l'organisation de la répartition des compétences entre la fédérationet les États fédérés ; et la possibilité, garantie à ces derniers, de participer à l'exercice du pouvoirfédéral.

[…]

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2. Les difficultés théoriques

C'est parce que la souveraineté ne parvient pas à se scinder que surgissent les difficultés pratiquesque l'on vient d'évoquer. Mais cette division de la souveraineté suscite également de gravesdifficultés d'ordre théorique. « La constitution d'un pays fédéré, constatait Léon Duguit, est en elle-même contradictoire ; elle impose sur le même territoire et aux mêmes hommes deux autoritéssouveraines ; or, par définition même, la souveraineté politique ne peut être limitée par une autresouveraineté ; la conception de l'État mi-souverain imaginée par les juristes n'est qu'une hypothèsecommode. Dans deux souverainetés rivales, l'une absorbera l'autre fatalement (…). La loi estgénérale. » Si, en effet, on définit l'État par sa souveraineté, et celle-ci, par sa suprématie et sonindivisibilité, comment admettre que les deux niveaux du système fédéral constituent des États ausens propre ? En fait, on peut imaginer plusieurs réponses.

Première réponse : on conserve la souveraineté comme critère de l'État. Mais cela signifie alorsque l'un des deux éléments du système, n'étant pas souverain, n'est pas réellement un État – celui-ci pouvant être l'étage supérieur (comme c'est encore le cas de l'Union européenne), ou à l'inverse,le niveau inférieur, qui ne forme plus, malgré le nom et les apparences, qu'une collectivité nonsouveraine, infra-étatique, à l'intérieur d'un État devenu unitaire. Les cantons suisses, par exemple,sont considérés par la doctrine helvétique comme des « quasi-États » : tout se passe comme s'ilsétaient « des États à part entière », à cette différence près que leur « autonomie est relative, c'est-à-dire qu'elle ne peut se déployer que dans le cadre tracé par l'État central (…). L'ensemble desattributions des États fédérés et la manière dont ils en font usage sont soumis aux exigences d'uneordre juridique supérieur ». En d'autres termes, les États fédérés « ne sont pas souverains » : ils nesont donc pas véritablement des États. Plus généralement, on doit en conclure que seuls des Étatsunitaires peuvent exister.

Seconde réponse possible : la notion de la souveraineté comme critère essentiel de définition del'État est abandonnée. On peut alors concevoir sans difficulté l'idée d'une fédération, combinant unÉtat fédéral et des États fédérés. Mais en ce cas, malheureusement, on ne sait plus trop, faute d'uncritère fiable, ce que c'est qu'un État, de même qu'on ne peut plus distinguer l'État fédéral de l'État« régional » ou de l'État unitaire décentralisé.

C'est pourquoi la solution la plus satisfaisante sur un plan théorique est peut-être cellequ'évoquaient Léon Duguit ou Carl Schmitt. Celle-ci présente l'intérêt d'envisager le problème nonplus sur un mode statique, comme les précédentes, mais de manière dynamique. L'État fédéral,explique Schmitt, est fondé sur des antinomies, des contradictions logiques et politiques : et enpremier lieu, sur l'irréductible contradiction entre la souveraineté des États et celle de lafédération. Ce que souligne Schmitt, c'est, précisément, que le système fédéral se caractérise par lefait que la question de la souveraineté n'a pas encore été résolue, qu'elle « reste toujours pendanteentre fédération et États membres », et que la fédération n'existe qu'aussi longtemps qu'elledemeure posée. Lorsqu'elle ne se pose plus, parce qu'elle a été tranchée irrévocablement dans unsens ou dans l'autre, on a affaire en réalité à un, ou à une pluralité, d'États unitaires souverains.C'est ainsi que la question, aux États-Unis, resta posée jusqu'à la guerre de Sécession, soit pendanttrois quarts de siècle : mais, après la guerre, elle fut tranchée au profit de l'État central. C'estpourquoi, même sans être explicitement révisée en ce sens, la Constitution a alors « changé denature (…), et la fédération en tant que telle a cessé d'exister ».

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Document n° 8. Scelle, G., Cours de droit international public, 1946,p. 256 (extrait).

[…] Les traits juridiques essentiels du fédéralisme

Sans vouloir faire ici la théorie constitutionnelle du fédéralisme qui varie d'ailleurs avec chacunedes modalités de l'association, il est cependant un certain nombre de traits caractéristiques dufédéralisme institutionnel qui doivent être soulignés parce qu'ils ont des répercussionsinternationales. Parmi ces traits, nous noterons la « participation institutionnelle » et « l'autonomiegouvernementale ».

a) Loi de participation ou de collaboration

Nous savons que le fédéralisme implique l'apparition d'un ordre juridique superposé à ceux descollectivités préexistantes pour répondre à des phénomènes de solidarité communs. Pour la miseen œuvre de l'ordre juridique de superposition, une ou plusieurs institutions publiques communes,ou « organes fédéraux » sont institués : corps législatif fédéral ; juridictions fédérales ; servicespublics fédéraux et, notamment, services publics de relation, tels que la diplomatie, les consulats, lestransports, etc. ; services publics de défense extérieure (armée, etc.) ou d'exécution interne(police, etc.). Or, il n'y a vraiment fédéralisme que si les collectivités associées participent par leursreprésentants à la constitution de ces organes fédéraux et à l'élaboration de leurs décisions 1. Àdéfaut de cette participation – par exemple si les organes fédéraux ne sont l'émanation que d'unseul des États ou collectivités associés – il y aurait « droit de subordination » et non « droit decollaboration » et c'est la collaboration qui est la caractéristique du Droit fédéral, qui distingue lefédéralisme de la vassalité, de la tutelle, de la colonisation.

Cela ne signifie pas que cette participation doive être égale ou identique, quels que puissent êtrel'importance ou le volume des collectivités (États) fédérées. Réintroduire ici le dogme de l'égalitéabsolue des États parce qu'États, c'est retomber dans l'erreur de l'égalité fonctionnelle, qui est encorrespondance directe avec l'idée de souveraineté et incompatible avec toute organisationeffective 2.

b) Loi d'autonomie

La seconde caractéristique, c'est l'autonomie garantie des collectivités associées. Cette« décentralisation gouvernementale » est essentielle, sans quoi les collectivités perdraient leurcaractère étatique et l'organisation fédérale ne tarderait pas à évoluer vers l'État unitaire. Lefédéralisme suppose non pas une fusion, mais une association de collectivités distinctes conservantchacune sa législation, son système juridictionnel, administratif, sanctionnateur, pour tout ce qui

1. C'est ce que les auteurs qualifient souvent de « participation à la formation de la volonté fédérale ». Il n'y a pas plus de volonté fédérale que de volonté étatique, mais seulement, au sein des organes institutionnels, formation de majorités conditionnant la validité juridique des décisions.2. Jamais une collectivité de valeur 1000 ne consentira à être mise sur le même pied qu'une collectivité de valeur ou de volume 10, à laisser prendre des décisions majoritaires par une majorité de 5 X 10 contre 1000 X 1. La constitution normale des organes fédéraux (et c'est aussi l'équité), doit donc partir du principe de la proportionnalité. Sans doute peut-il y avoir des difficultés pratiques considérables à établir la base de cette proportionnalité : le volume n'est pas tout (notamment le chiffre de la population), d'autres facteurs doivent entrer en ligne de compte : richesse, industrialisation, culture, etc. Comme dans toute « société » il y a lieu de tenir compte des « apports ». C'est une question de dosage et d'équité, non d'arithmétique. Répétons-le, la solution – difficile – exige, au moment de la conclusion du Pacte fédéral oude ses modifications, un esprit de volonté d'accord et de bonne volonté en vue de réaliser un équilibre par des sacrifices mutuels, équilibre qui d'ailleurs, sera sujet à révisions.

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correspond à leurs domaines respectifs de solidarité particulière. Tant qu'il ne se dégage pas unbesoin d'unification correspondant à un intérêt commun, les collectivités composantes restentindividualisées. La compétence fédérale ne s'applique qu'à la gestion des affaires d'intérêt commun,notion d'ailleurs évolutive.

C'est la raison fondamentale pour laquelle les collectivités politiques fédéralisées continuent à êtreconsidérées comme des États, même dans le cas où leurs gouvernements ont abdiqué toutecompétence internationale.

Document n° 9. Masclet J.-C. et Valette J.-F., Droit constitutionnel etinstitutions politiques, 1997, p. 67 (extrait).

B. Une formule évolutive et parfois menacée

Les tendances antagonistes font du fédéralisme une formule évolutive et parfois menacée. Leséquilibres internes de l'État fédéral sont en constante évolution. La perennité de l'État fédéral estparfois mise en cause.

La constitution fédérale enregistre un équilibre valable à un moment donné : elle distribue lescompétences et les pouvoirs en fonction de ce qui paraît acceptable. Mais les données politiques,économiques, sociales et culturelles sont appelées à changer. Ainsi les États fédéraux modernesconnaissent-ils une certaine évolution des pratiques de pouvoir. À une répartition rigide descompétences succède un fédéralisme coopératif. Celui-ci repose sur la négociation et l'ententepréalable. Il conduit à des décisions concertées et à des financements communs. Mais il correspondà une immixtion de l'État fédéral dans les matières réservées. Il est facteur de centralisation.

Cette tendance à la centralisation est à l'oeuvre dans plusieurs États fédéraux modernes sousl'influence de divers facteurs : la structuration de l'opinion publique et la constitution des partis quis'opère généralement au niveau fédéral, l'impératif de dimension qui s'impose à l'économiemoderne et rend nécessaire la constitution de grands ensembles, l'interventionnisme économique,les nécessités de la protection sociale qui ne peuvent s'accommoder de trop grandes différencesd'un État fédéré à l'autre, l'harmonisation culturelle apportée par les moyens modernes decommunication, le poids des relations extérieures qui met en valeur les institutions fédéralesseules aptes à en connaître.

Inversement, la revendication à plus d'autonomie peut être nourrie par l'irrédentisme culturel, lesdifférences ethniques, ou le sentiment d'une inégalité de traitement et d'influence au sein de l'Étatfédéral. Elle peut soumettre ce dernier à de vives tensions, conduisant à modifier le pacte initial : telest le cas pour le Québec au sein de la Fédération canadienne. Les « indépendantistes »revendiquent une souveraineté-association qui s'analyse en un relâchement du lien fédéral. Ellepeut aussi briser l'État fédéral comme en Union soviétique, en Tchécoslovaquie et en Yougoslavie.La formule fédérale ne se maintient pas là où elle résulte d'un phénomène de domination : poidsd'un parti unique, idéologie impérialiste ou pratiques dictatoriales.

Malgré les crises et les échecs on observe toutefois une persistance du modèle constitutionnel.Comment alors ne pas s'interroger sur les conditions de son succès. Il est permis de se demandersi la réussite de l'État fédéral n'est pas liée à l'existence ou non d'un sentiment national.

Le lien fédéral est-il vécu comme citoyenneté commune, ses chances de persister, à traversd'inévitables transformations, sont grandes. Est-il vécu comme une contrainte imposée par leshasards de l'histoire ou la force des armées, elles sont faibles. La question est bien de savoir s'ilexiste dans l'opinion une véritable adhésion à la communauté politique nouvelle qui a étéconstituée.

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel(Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 5 : La participation au pouvoir

Document n° 1. Bidégaray, Ch., « Élection », dans Y. Mény, O. Duhamel, dir.,Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, pp. 372-373.

Document n° 2. Manin, B., Principes du gouvernement représentatif, Flammarion,coll. « Champs », 1995, pp. 279-302 (extraits).

Document n° 3. Fonbaustier, L., « Élection », dans D. Alland, S. Rials, dir.,Dictionnaire de la culture juridique, PUF/LAMY, 2003, pp. 604-607.

Document n° 4. De Villiers M. et Le Divellec A., « Référendum », dansDictionnaire du droit constitutionnel, Sirey, 10e éd., 2015, pp. 313-314.

Document n° 5. Hamon F., Troper M., Droit constitutionnel, LGDJ, 2012, pp.194-197 (extraits).

Document n° 6. Carré de Malberg, R., « Considérations théoriques sur laquestion de la combinaison du référendum avec le parlementarisme » , Revuedu droit public, 1931, pp. 236 et s.

Document n° 7. Rousseau, J.-J., Du contrat social, Livre II, Chapitre I et II(extraits).

Document n° 8. Intervention d'Émile Combes, président du Conseil, devant laChambre des députés, 21 janvier 1903 (extrait de Mopin M., Les grands débatsparlementaires de 1875 à nos jours, La Documentation française, 1988, p. 183).

Commentaire de texte : Document n° 8

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Document n° 1. Bidégaray, Ch., « Election », dans Y. Mény, O.Duhamel, dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, pp. 372-373.

« L’élection est un mode de dévolution du pouvoir reposant sur un choix opéré par l’intermédiaired’un vote ou suffrage. La démocratie athénienne, la République romaine ont utilisé ce mode dechoix des gouvernants. Les premiers chrétiens y recourent pour désigner les évêques et le pape.Au Moyen Age, ce procédé est connu dans le monde anglo-saxon (choix des rois teutoniques ouSaint Empire romain). Certaines villes et guildes peuvent également s’en servir. L’organisationfinancière de la France d’Ancien Régime reconnaît aussi un régime distinct de perception del’impôt pour les ‘pays d’élection’. Toutefois, l’émergence progressive de la Chambre des Communesà côté des lords en Grande-Bretagne et la naissance du régime parlementaire entraînent ledéveloppement du procédé électif. Il connaît un succès définitif avec la généralisation de l’idéedémocratique à partir de la fin du XVIIIe siècle.Deux options s’affrontent. Celle de la souveraineté nationale abstraite, indivisible, dans laquelle lecitoyen a pour fonction d’exprimer la volonté nationale – mission qui ne saurait être confiée àn’importe qui : c’est la démocratie représentative. Celle de la souveraineté populaire selon laquellechaque citoyen, détenteur d’une parcelle de souveraineté, doit l’exercer directement. Le corps descitoyens exerce alors lui-même les trois fonctions législative, exécutive, judiciaire. Par impossible, ilse gouverne par l’intermédiaire de représentants élus mais contrôlés et révocables : c’est ladémocratie directe. Ces deux conceptions qui déterminent l’étendue du droit de suffrage se sontopposées tout au long du XIXe siècle et du XXe siècle à travers le conflit entre suffrage restreintet suffrage universel.Avec le ralliement de la communauté internationale au suffrage universel et la prise en compte deslimites de la démocratie politique au regard des exigences de la démocratie économique et sociale,le débat s’est prolongé par l’alternative entre démocratie libérale et pluraliste et démocratiesocialiste ou unanimiste. Dans les démocraties constitutionnelles pluralistes le débat porte sur levote individuel (ou politique) et le vote social (ou économique). Le suffrage plural ou familial essaiede répondre à ces préoccupations. Même dans le cas du suffrage universel, l’élection peut connaîtreun certain nombre de limites. Tout d’abord celles tenant à la capacité électorale (âge, sexe,condamnations, etc.).D’autres tiennent aussi au type de suffrage retenu : suffrage direct (chambre législative, président)ou indirect (deuxième chambre, chef de l’Etat). D’autres découlent de la taille et du découpage descirconscriptions à l’intérieur desquelles se déroulent les élections.D’autres enfin résultent du mode de scrutin retenu : scrutin majoritaire qui déforme la réponseélectorale mais assure l’efficacité des majorités victorieuses ; scrutin de liste, plus représentatif desnuances de l’opinion mais conduisant à des coalitions souvent impuissantes.Ces traits sont plus ou moins forts selon qu’on privilégie dans le scrutin majoritaire un, ou deuxtours (ou plus) et dans le scrutin de liste, la représentation proportionnelle intégrale, approchée, levote préférentiel, le vote unique transférable, ou des systèmes mixtes.A supposer résolues ces difficultés techniques, il n’en reste pas moins que la démocratie se réduitessentiellement à une lutte concurrentielle de professionnels de la politique sur les votes dupeuple (J. Schumpeter). Hors les cas de primaires, le choix des candidats relève bien souvent de lacooptation par les appareils des partis. Malgré la réglementation des campagnes électorales et deleur financement, le poids de l’argent secret, le marketing politique et les sondages viennent altérersouvent la réalité de la consultation. Reste alors à se demander si ‘les élections sont ladémocratie ?’. L’abstentionnisme, le poids du marais et du vote flottant, la faible compétencepolitique du citoyen, privent l’élection d’une large part de son efficacité supposée. Que dire alorsdes élections non compétitives (liste unique) ou semi-compétitives (cas d’une très grande majoritéde pays) où l’élection, plus qu’un ‘piège’, est une trahison ? ».

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Document n° 2. Manin, B., Principes du gouvernement représentatif,Flammarion, coll. « Champs », 1995, pp. 279-302 (extraits).

« L’élection des gouvernants – Une inflexion remarquable se manifeste depuis plusieurs annéesdans l’analyse des résultats électoraux. Jusque dans les années 70, la plupart des études électoralesarrivaient à la conclusion que le comportement électoral s’expliquait pour l’essentiel par lescaractéristiques sociales, économiques et culturelles des citoyens. Or de nombreux travauxsoulignent qu’il n’en va plus ainsi aujourd’hui. Les résultats du vote peuvent varier significativementd’une élection à l’autre alors même que les caractères sociaux, économiques et culturels desélecteurs restent à peu près identiques pendant la période considérée.

La personnalisation du choix électoral – La personnalité des candidats en présence apparaîtcomme un des facteurs essentiels de cette variation. Les électeurs votent différemment, d’uneélection à l’autre, selon la personnalité des candidats offerts à leurs choix. Les électeurs votent deplus en plus pour une personne, et non plus seulement pour un parti ou un programme. Cephénomène marque une transformation par rapport à ce que l’on avait considéré comme lecomportement normal des électeurs dans une démocratie représentative. Il crée ainsi l’impressiond’une crise de la représentation. En réalité, on l’a vu, le rôle prédominant des étiquettes partisanesdans la détermination du vote était seulement la caractéristique d’un type particulier dereprésentation, la démocratie de partis. On peut aussi bien voir dans la transformation actuelle unrapprochement avec l’un des traits constitutifs du parlementarisme originel : le caractère personnelde la relation représentative.

Quoique l’importance croissante des personnalités se manifeste aussi dans la relation entre lesparlementaires et les électeurs de leur circonscription, elle est surtout sensible au niveau national,dans la relation entre le pouvoir exécutif et l’ensemble de l’électorat. Depuis quelques décennies,les analystes observent dans tous les pays occidentaux une tendance à la ‘personnalisation’ dupouvoir. Dans les pays où le chef de l’exécutif est directement élu au suffrage universel, l’électionprésidentielle tend à devenir l’élection principale et à structurer l’ensemble de la vie politique.Dans les pays où le chef de l’exécutif est le leader de la majorité parlementaire, les électionslégislatives s’organisent autour de sa personne. Les partis continuent de jouer un rôle central, carla possibilité de mobiliser une structure préalablement organisée avec son réseau de relations etd’influences, ses capacités à collecter des fonds et sa main-d’oeuvre bénévole demeurent un atoutdécisif dans la compétition électorale. Mais ils tendent à devenir les instruments au service d’unleader. A la différence de ce qui se passe dans le parlementarisme classique, le chef dugouvernement, plutôt que le parlementaire, apparaît donc ici comme le représentant parexcellence. Il reste que le lien entre le représentant ainsi défini et ses électeurs retrouve soncaractère essentiellement personnel.

Ce nouveau caractère du lien représentatif résulte principalement, semble-t-il, de deux causes qui,quoique indépendantes l’une de l’autre, exercent cependant des effets convergents. Les techniquesde communication jouent, tout d’abord, un rôle essentiel : la radio et la télévision, qui tendent àdevenir les moyens de communication principaux, confèrent un caractère direct et sensible à laperception des candidats et des élus par les électeurs. Le candidat peut – de nouveau – se faireconnaître sans passer par la médiation d’organisations militantes. L’âge des militants et des hommesd’appareil est passé. En un sens, la télévision ressuscite le face-à-face qui marquait le lien entrereprésentants et représentés dans la première forme de gouvernement représentatif. Mais latélévision et les moyens de communication de masse sélectionnent un certain type de qualités etde talents : ceux qui parviennent à se faire élire ne sont pas des notables locaux, mais des individusqui maîtrisent mieux que les autres les techniques de communication, ce qu’on appelle des ‘figuresmédiatiques’. Nous assistons aujourd’hui, non pas à une crise du gouvernement représentatif, maisseulement à un changement du type d’élites sélectionnées. Les élections continuent de désigner

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des individus possédant des caractères distinctifs que les autres n’ont pas, elles conservent lecaractère élitiste qu’elles ont toujours eu. Mais une nouvelle élite de spécialistes de lacommunication prend la place des militants et des hommes d’appareil. La démocratie du public estle règne de l’expert en communication.

D’autre part, le rôle croissant des personnalités au détriment des programmes constitue uneréponse aux conditions nouvelles dans lesquelles s’exerce l’activité des gouvernants. L’ampleur dela tâche des gouvernants s’est considérablement accrue au cours du dernier siècle : legouvernement ne règle plus seulement les conditions générales de la vie sociale, il intervient danstoute une série de domaines (en particulier dans le domaine économique) par des décisionsponctuelles et singulières. Or, sauf à devenir immense, illisible et, partant, inutile pour lamobilisation des électeurs, un programme ne peut pas contenir le catalogue de toutes les mesuressingulières qu’entend prendre un candidat. Mais surtout, les différents Etats sont devenus de plusen plus interdépendants en matière économique, en particulier depuis la Seconde Guerremondiale. Cela signifie que l’environnement auquel chaque gouvernement est confronté résulte desdécisions prises par un nombre de plus en plus grand d’acteurs. Cet environnement devient ipsofacto de moins en moins prévisible. En se proposant comme gouvernants, les hommes politiquessavent qu’ils devront faire face à l’imprévisible, ils n’ont donc pas intérêt à se lier les mains paravance en s’engageant sur un programme détaillé.

La nature de l’activité gouvernementale contemporaine et l’environnement dans lequel elle estconduite appellent ainsi de plus en plus l’exercice de ce qu’on pourrait appeler, pour utiliser unterme ancien, un pouvoir de ‘prérogative’ […]. Les électeurs doivent aujourd’hui accorder auxgouvernants une marge de discrétion par rapport aux promesses faites pendant la campagneélectorale. En fait, il en a toujours été ainsi dans le gouvernement représentatif, une fois la décisionprise d’interdire les mandats impératifs. La situation présente rend seulement plus visible un traitpermanent de la représentation. Mais un pouvoir pour partie discrétionnaire ne signifie pas unpouvoir irresponsable. Les électeurs contemporains conservent la faculté de démettre lesgouvernants au terme de leur mandat si les décisions que ceux-ci ont prises de leur propre chef nesatisfont pas la majorité. L’âge des programmes politiques détaillés est sans doute passé, mais celuides bilans commence peut-être.

Et en tout cas, il reste possible, comme il l’a toujours été depuis les origines du gouvernementreprésentatif, de juger les gouvernants sur leurs actions passées […]. Le rôle de l’offre électoraleen général – La personnalité des candidats ne constitue toutefois qu’un des facteurs dont lesétudes électorales soulignent aujourd’hui les effets sur le vote, indépendamment descaractéristiques sociales, économiques et culturelles des électeurs. On note aussi que lecomportement électoral varie selon la configuration des candidatures (selon que, par exemple,seuls deux camps s’affrontent, la majorité sortante et l’opposition, ou qu’au contraire les électeursont le choix entre plusieurs partis à l’intérieur de chaque camp). De même encore, de nombreuxélecteurs votent différemment selon la perception qu’ils ont de ce qui est institutionnellement misen jeu à chaque élection : l’orientation de leur vote change selon qu’il s’agit d’une élection localeou nationale, présidentielle ou législative, d’une élection législative générale ou partielle, etc. Ilsemble enfin que le comportement électoral change en fonction des problèmes ou des thèmes surlesquels l’accent est mis dans la campagne électorale. Les résultats des élections varientsignificativement, même dans les courts intervalles de temps, selon les questions qui ont dominé lacampagne électorale. Les électeurs semblent répondre aux termes du choix offert par les hommespolitiques, plutôt qu’exprimer leur identité sociale ou culturelle. Les préférences politiquessemblent aujourd’hui se former autrement que dans la démocratie de partis. La dimension réactivedu vote paraît prendre le pas. Se présenter à une élection revient toujours à proposer un élémentde partage et de différenciation entre les électeurs. D’une part, en effet, l’élection a pour objet dedépartager et de séparer ceux qui soutiennent un candidat et ceux qui ne le soutiennent pas.

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D’autre part, les individus se mobilisent et se rassemblent politiquement d’autant mieux qu’ils ontdes adversaires et perçoivent la différence qui les sépare d’eux. Le candidat doit dès lorss’identifier lui-même, mais il doit aussi définir ses adversaires. Il ne se présente pas seulement lui-même, il présente une différence. Il propose en fait un principe de partage. Dans toute élection, leshommes politiques ont donc besoin de différences leur permettant de départager ou de séparerleurs partisans et leurs adversaires. Les clivages sociaux qui, en dehors des élections, partagent lamasse des citoyens constituent à cet égard des ressources essentielles.

Dans des sociétés où un clivage social, économique et culturel prend le pas sur tous les autres ets’impose à l’évidence comme le clivage primordial, les hommes politiques savent par avance et avecune relative certitude qu’ils ont intérêt à faire fonds sur lui pour mobiliser et départager lesélecteurs. Ils sont, dès lors, conduits à proposer des termes du choix reflétant ce clivage central.L’offre politique apparaît donc comme la transposition d’un clivage préexistant. C’est ce qui sepasse dans la démocratie de partis. Or, dans nombre de sociétés occidentales, la situation estaujourd’hui différente. Aucun clivage social, économique ou culturel n’est beaucoup plus importantque tous les autres et ne s’impose a priori avec évidence comme la division primordiale. Lescitoyens ne constituent sans doute pas une masse homogène que les termes offerts au choixpourraient faire se partager de n’importe quelle façon. Mais les lignes de clivage préexistant àl’élection sont multiples et ne coïncident pas les unes avec les autres. Ces lignes de clivagechangent en outre rapidement.

L’électorat se prête, dès lors, à plusieurs découpages politiques, il comporte la virtualité deplusieurs partages différents. L’offre électorale peut actualiser (ou activer) l’un ou l’autre d’entreeux. Ceux qui contribuent à formuler l’offre (les gouvernants sortants et leurs opposants) ontdonc une autonomie relative dans le choix du clivage sur lequel ils jouent et dans celui des termesqu’ils proposent pour l’activer. Ils ne savent pas à l’avance quel est, parmi les partages possibles,celui qu’ils ont intérêt à promouvoir. Dans une telle situation, l’initiative des termes offerts au choixappartient donc aux hommes politiques, non pas à l’électorat. Cela explique que le vote apparaisseaujourd’hui principalement comme une réaction de l’électorat. En fait, dans toutes les formes degouvernement représentatif, le vote constitue pour partie une réaction de l’électorat face auxtermes qui lui sont proposés ».

Document n° 3. Fonbaustier, L., « Élection », dans D. Alland, S.Rials, dir., Dictionnaire de la culture juridique, PUF/LAMY, 2003, pp.604-607.

L’élection n’a jamais, historiquement, abandonné les contrées éclairantes de l’étymologie. Eligeresignifie choisir et l’élection correspond en effet, en français vieilli, à cette faculté. Maître-motprécoce du vocabulaire théologique, l’élection renvoie dès l’origine à l’idée directrice de peuple élu,désigné librement par amour de Dieu et consentant à être fidèle à ses promesses. Dans ce sillage,les orientations plus mondaines d’une élection recomposée garderont trace de ces caractères. Unefois exclue la signification particulière que revêt le terme en histoire financière – un pays dit «d’élection » est alors le siège du contentieux de la taille et des principales impositions indirectes –le terme peut être défini assez simplement.

Offrant certains points de ressemblance avec les notions de désignation et de nomination,l’élection se particularise comme un mode de dévolution du pouvoir supposant un choix (doncplusieurs possibles) opéré au sein d’un groupe (donc un corps électoral) au moyen de mécanismesappropriés permettant d’assurer la mise en oeuvre du vote. Historiquement, et de manière idéale,l’élection est apparue comme le moyen adéquat, le plus juste (sinon le plus efficace) pour assurer lareprésentation (des gouvernés par les gouvernants), avec laquelle l’élection entretient d’ailleurs un

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rapport quasiment symbiotique. A quelques exceptions près (le pouvoir, au sein de l’Unioneuropéenne par exemple, n’est pas entièrement exercé ou assumé par des organes directementélus ; le droit de la fonction publique fait souvent, c’est compréhensible, la part belle auxnominations…), l’élection s’est donc progressivement généralisée, les mécanismes assurant sa miseen oeuvre se sont également affinés, et sa signification s’est profondément renouvelée.

La généralisation progressive de l’élection

En tant qu’instrument de désignation des gouvernants, l’élection a conquis ses lettres de noblesseaux dépens d’autres modes de dévolution du pouvoir. Elle s’est ainsi imposée comme un possiblesubstitut au tirage au sort, invention de la démocratie grecque qui choquerait aujourd’hui mais futlongtemps la marque d’un idéal républicain. Elle est également ressentie comme une alternativeviable, limitant le « bon plaisir », aux modes de gouvernement par nominations ; elle est enfin, c’esthistoriquement très net à travers le passage des monarchies héréditaires aux régimesreprésentatifs de type parlementaire, un instrument de participation des citoyens à la chosepublique, à la différence d’une transmission héréditaire du pouvoir, qui en confisque la dévolutionau profit d’une famille ou d’une lignée et peut toujours faire craindre l’arbitraire et l’incompétencede la descendance.

L’extension des corps électoraux apparaît comme un caractère historique remarquable del’élection. Déjà au siècle de Périclès, aucune condition de cens n’était requise pour être élumagistrat. A Rome, le droit de prendre part aux élections varia sous la République et sous l’Empire,mais en principe, comme dans toutes les cités antiques, les esclaves, les femmes et les étrangersétaient exclus du processus électoral (comme électeurs et comme candidats).

Une même réduction du corps électoral et de la possibilité d’accéder aux charges publiques semanifeste pendant une grande partie du Moyen Age, pendant lequel les conceptions hiérarchiqueset aristocratiques du corps social ont pour effet de confier les élections à des corps étroits,composés d’électeurs que leur position dans l’espace social permet de réputer capables ou sages.Dans l’Eglise, où la notion de sanior et maior pars renvoie directement à l’inégalité devant lesélections, des mouvements fondamentaux apparaissent précocement en faveur d’un droit desuffrage plus largement partagé, dans les ordres religieux notamment puis, comme conséquence duphénomène politique que représenta le conciliarisme, dans l’Eglise séculière. Le suffrage universelne réapparaît, dans son principe, que progressivement.

En Grande-Bretagne, l’extension du droit de suffrage masculin ne fut réelle qu’à partir de laréforme de 1832 et nécessita près d’un siècle. Même la Révolution française, qui proclamaénergiquement les droits universels, distingua en 1791 entre les citoyens passifs et les citoyensactifs, qui seuls avaient accès au vote (sur fond de débats larvés entre électorat-droit et électorat-fonction). La concrétisation des principes électoraux n’a en effet rien de linéaire : furent ainsilongtemps exclus du vote d’une part les femmes, dont la capacité était mise en cause et qui n’ontconquis ce droit que tardivement, souvent grâce à leur rôle actif pendant les guerres (Autriche :1918 ; Etats-Unis : 1920 ; France : 1944) ; d’autre part les non propriétaires et les pauvres, souventconsidérés comme manquant des lumières indispensables (sous la Restauration, le suffragecensitaire imposait un cens électoral était fixé à 300 francs de contribution directe et à 250 francssous la Monarchie de Juillet). La question du vote des étrangers, enfin, laisse entrevoir le rapporthistorique entre nationalité et citoyenneté. Si en Grande-Bretagne, les ressortissants des pays duCommonwealth disposent du droit de vote pour toutes les élections, cette faculté est généralementréduite, dans la plupart des pays qui en acceptent le principe, aux élections locales et souscondition de résidence (comme c’est le cas en Suède depuis 1976 ou aux Pays-Bas depuis 1985).Le Traité de Maastricht, ratifié par la France en septembre 1992, confère aux étrangers citoyensd’un Etat membre de l’Union un droit de vote aux élections européennes et municipales. Par

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ailleurs, d’autres circonstances viennent encore restreindre le droit de suffrage : des conditionsd’âge (dix-huit ans est, actuellement, le seuil fixé pour la majorité électorale dans de nombreusesdémocraties représentatives) ; des interdictions liées à l’incapacité (notion utile mais dangereusecar reposant parfois sur des motifs discutables, comme l’analphabétisme en Italie jusqu’en 1912) oul’indignité d’un électeur (privé du droit de vote en raison de condamnations judiciaires).L’élargissement du corps électoral peut, au même titre que la libéralisation des conditions de lacandidature, être analysé comme le signe d’une démocratisation de l’élection.

A l’extension progressive du corps électoral fait écho l’amplification du phénomène général del’élection. Par une sorte d’effet irradiant, les principes électoraux ont progressivement gagné (sansqu’il soit facile de préciser le sens du rayonnement entre espaces public et privé) la plupart dessphères sociales où la représentation joue un rôle. Sous la République romaine déjà, l’élection étaitle mode habituel – à quelques exceptions près – de désignation des magistrats. Dans la mouvanced’idées libérales et individualistes, elle s’est historiquement étendue à de nombreuses fonctionspolitiques. Mais loin d’être réductible à l’univers politique, national ou local, l’élection a gagnél’ensemble des collectivités humaines : les associations et certaines sociétés élisent leursprésidents, les entreprises désignent ainsi les représentants du personnel, les cardinaux le pape,l’Académie française un nouvel académicien, etc. L’élection est devenue un mode privilégié etincontesté d’émergence des représentants et d’accès à des fonctions de direction. Son extension àla désignation des juges est même préconisée par les optimistes qui, prenant exemple sur la Suisse(pour les magistrats cantonaux et fédéraux) ou sur les Etats-Unis (où le juge est depuis longtempsconsidéré comme agent de l’Etat de droit), y voient le seul mécanisme susceptible de garantirl’impartialité et la compétence morale de la magistrature. Dans la sphère du droit public, l’électionest tellement attachée à la démocratie que les constitutions modernes écrites lui consacrentsouvent des dispositions (constitution française du 4 octobre 1958, art. 3 ; constitution des Etats-Unis du 17 septembre 1787, art. 1er, section II ; loi fondamentale de la République fédéraled’Allemagne du 23 mai 1949, art. 20.2 ; constitution italienne du 27 décembre 1947, art. 48). Par-delà le droit interne, la communauté internationale, qui dépêche souvent à ce titre d’importantesmissions d’observation, voit dans l’élection, lorsqu’elle n’est pas qu’une simple vitrine, un indice fortautant qu’un gage du caractère démocratique d’un Etat, ainsi qu’une condition indispensable dereconnaissance officielle.

L’évolution des techniques électorales

La lecture cursive d’un code électoral surprend par les précautions qu’il révèle et la rigueur qu’ilimpose. Les procédures électorales sont en effet complexes et variées. La concrétisation des idéesélectorales supposait l’invention de techniques susceptibles d’assurer la conformité des électionsaux principes les gouvernant. Significatives, ces modalités sont orientées par et peuvent rejaillir surles différentes conceptions de la vie démocratique. Leur élaboration historique n’est pas linéaire,mais plusieurs périodes ont été particulièrement fructueuses pour leur découverte et leur mise aupoint. Certes, l’Antiquité offre des illustrations de l’ingénierie électorale. Les règlements del’ecclesia, dans les temps forts de la démocratie grecque, mirent au point des mécanismes de votesophistiqués. De son côté, Rome favorisa également le développement d’un droit électoralrigoureux et précis, permettant la désignation efficace des magistrats et d’un grand nombre dereprésentants du peuple. Après une période incertaine où le formalisme perdit du terrain, le MoyenAge, encore une fois faussement obscur, rationalisa efficacement les techniques électorales. Lesstructures séculières doivent ici beaucoup à l’Eglise, qui mit au point, dès le IIIe siècle, les premierscodes électoraux. On lui doit en effet d’importantes conquêtes (ou redécouvertes) : capacitéélectorale, incompatibilités, tours de scrutin, élections à plusieurs degrés, vote à bulletin secret(permettant la liberté de l’électeur), scrutateurs (garantissant la transparence de l’élection etassurant la comptabilisation des voix), etc.. Qu’il s’agisse des communes italiennes, des Etats

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généraux en France, des Cortes en Espagne ou du Parlement anglais, les expériences séculièresultérieures ont vraisemblablement, à la faveur d’une transmission des pratiques et des savoirsélectoraux, bénéficié des perfectionnements réalisés dans les différents laboratoires ecclésiaux.Sans idéaliser ces mécanismes de l’ère pré-moderne, on peut noter que leur efficacité contrasteparfois avec la lourdeur d’opérations électorales plus tardives, comme sous la Révolution. Dansl’urgence et parce que les acteurs semblaient démunis et ignorants de procédures oubliées, lesauteurs du règlement électoral de 1789, inventant assez peu, ont d’ailleurs en ce domaineemprunté à l’Ancien Régime, assurant ainsi une certaine continuité formelle sur la longue durée.Pour assurer le respect des règles électorales prescrites, les démocraties libérales se sont dotéesd’instances non juridictionnelles (certaines autorités administratives indépendantes en France, etleur équivalent à l’étranger) de surveillance des opérations électorales. Les institutionsjuridictionnelles (juges constitutionnels, répressifs ou ordinaires) ont également la mission, dans lecadre d’un contentieux électoral complexe, de favoriser la transparence des élections. Les jugesprocèdent à la vérification des régularités externe et interne du processus électoral. L’histoire desélections est celle d’un enchâssement croissant de leurs modalités dans un système de règlescontraignantes et de leur soumission à un contrôle juridictionnel serré. Non que le contentieuxélectoral soit une invention entièrement moderne. Au Moyen Age déjà, certains docteurs de l’Eglise(Guillaume de Mandagout, Bellemère) avaient appris à distinguer tous les vices susceptiblesd’affecter l’acte électoral et de nuire à la transparence du choix fait par les électeurs. On doitcependant à l’époque moderne d’avoir insisté sur le lien entre l’effectivité des règles électorales etl’intervention juridictionnelle, sans lequel la volonté du corps électoral ne peut qu’être trahie. Dansles démocraties parlementaires, afin d’éviter certains abus (on pense aux députés poujadistes,grossièrement évincés du Parlement en 1956) les juridictions ont généralement remplacé lesassemblées parlementaires pour effectuer le contrôle des élections de leurs membres. Enn’acceptant de censurer une élection que dans le cas où le nombre de votes douteux a puinfluencer le résultat du scrutin, les juges prouvent qu’ils sont gardiens de la sincérité et non de lamoralité du vote, conception réaliste sans laquelle d’incessants scrutins auraient lieu, quifragiliseraient l’acte même de l’élection.

L’évolution historique a consacré la variété des modes de scrutin, dont chacun répond à desconsidérations politiques différentes. Historiquement le plus ancien, le scrutin majoritaire (uni- ouplurinominal) repose sur l’attribution du ou des sièges à pourvoir à celui ou ceux arrivés en tête(l’exigence de majorité variant selon que le scrutin est à un ou à deux tours). Il peut être utiliséseul ou associé à la représentation proportionnelle, dont l’invention, plus récente, a donné lieu àdes aménagements subtils. Comme l’indique son nom, elle repose sur le principe d’une répartitiondes sièges à pourvoir au prorata des suffrages obtenus. Le contraste entre ces deux modesprincipaux de scrutin (il y en a beaucoup d’autres, plus ou moins apparentés à eux) se manifeste àun triple point de vue : concernant la représentation, l’effet simplificateur du scrutin majoritaire estévident, puisqu’il évince des institutions des minorités parfois très fortes et peut même conduire(les expériences anglaise et américaines en témoignent) à une éviction totale de courantspolitiques essentiels en offrant une « prime à la majorité ». La représentation proportionnellepermet, au nom d’une certaine éthique de la représentation (en dépit d’incontournables effets deseuils : par exemple plancher de 5% de voix imposé pour participer à la répartition des sièges), unephotographie plus fine de la sociologie électorale. S’agissant du fonctionnement des institutions, lescrutin majoritaire présente l’avantage (à nuancer notamment lorsque le scrutin est à deux tours)de faciliter l’apparition d’une majorité stable et d’un mode de gouvernement efficace, alors que laproportionnelle favorise, par la multiplication des groupes représentatifs, des coalitions souventhétérogènes et incontrôlables rendant la tâche de et du gouvernement délicate. Leurs effets sur lespartis politiques accusent encore l’opposition entre les deux modes de scrutin : simplificateur, lescrutin majoritaire concentre la représentation. Il encourage généralement le vote utile et lebipartisme (scrutin à un tour) et un multipartisme limité (scrutin à deux tours). Au contraire, la

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proportionnelle, au risque de pulvériser la représentation, stimule la formation de courantsd’opinion, même minoritaires, qui se traduisent souvent par l’émergence de partis politiquesespérant participer à la répartition des sièges. Combinés, ces divers éléments posent la question dela signification de l’élection du point de vue démocratique.

La transformation de la signification de l’élection

Si actuellement, le droit d’élire et celui d’être élu sont classés parmi les droits fondamentaux,comme expressions majeures des « droits-participation », cette conception est plutôt récente. Entant que forme, les élections existent depuis l’Antiquité, mais elles ne renvoient au modèle ducitoyen-électeur et à l’univers démocratique-individualiste que depuis l’ère moderne. Pendant trèslongtemps, le geste électoral, teinté d’organicisme, fut indissociable de l’idée d’un peuple commecorps social, et la désignation par un agrégat d’individus est apparue récemment. Lorsque existaitl’élection des rois ou des évêques, elle était un acte de reconnaissance (du meilleur, du plus sage)plus qu’un événement institutif ou constitutif réellement autonome. En Occident tout au moins,certaines ruptures culturelles et métamorphoses de la représentation ont transformé lasignification de l’élection : de choix divin auquel elle renvoyait à l’origine, elle est devenue uninstrument de désignation des gouvernants dans une logique où, même humaine, elle réalisaitl’esprit de concorde et révélait les meilleurs, les plus aptes à servir le bien commun. Elle est ensuitedevenue un outil de lutte entre les volontés individuelles ou les intérêts particuliers, eux-mêmesprogressivement canalisés avec l’émergence cruciale des partis politiques modernes, aux XVIIIe etXIXe siècles. Ce qu’ont en commun les procédures n’ôte donc rien aux bouleversements enprofondeur de l’élection. Reposant sur des mécanismes de base analogues, les élections à Rome, auMoyen Age, à l’époque moderne et à l’heure actuelle ne renvoient pas au même univers mental ;elles reflètent des problématiques du pouvoir et de l’être ensemble fondamentalement différentes.La sociologie politique nous enseigne que l’autonomie individuelle galopante, dans la prise dedécision électorale, permet de nos jours, par le truchement des partis politiques, de choisir entredes programmes de gouvernement et de départager des équipes en compétition (à cet égard, laformule de Schumpeter, pour qui le rôle du peuple est de produire un gouvernement, resteactuelle), tout en faisant, en quelque sorte, allégeance envers le type de régime politique dans lecadre duquel oeuvrent les électeurs.

Les mécanismes électoraux interrogent enfin la démocratie. Les élections sont une condition sinequa non de la démocratie, en tant qu’elles constituent l’alternative moderne à la légitimitécharismatique ou historique ; par elles, la raison d’être du pouvoir des gouvernants tient au faitqu’ils représentent (certes de manière fictive) la volonté du peuple, à tout le moins du corpsélectoral. L’élection est ainsi devenue le procédé d’expression de la volonté des électeurs et deleur choix des dirigeants chargés de décider en leur nom. Elle pose à cet égard le problème généraldu civisme et de l’abstentionnisme. En faire le fondement technique autant que le principed’expression de la démocratie implique en retour, de la part des citoyens, une éducation politiquesuffisante, un sens exacerbé de la collectivité pour ne pas dire une certaine vertu civique, d’ailleursparfois aidée (comme en Belgique, en Italie ou en Australie) par le caractère obligatoire du vote.Ces conditions idéales étant supposées remplies, l’élection n’en constitue pas pour autantl’élément suffisant de la réalisation d’une démocratie. Non seulement en raison du maintiensclérosant, et toujours possible, de véritables oligarchies politiques (déjà perceptibles sous laRévolution), mais également parce qu’elle expose le peuple à une éventuelle confiscation de sonpouvoir et de sa souveraineté par les représentants. La formule de Rousseau est, à cet égardsignificative, lorsqu’il affirme : “Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est quedurant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien”(Contrat social, III, XV). Par ailleurs, si l’élection apparaît comme la seule alternative à la démocratiedirecte, elle s’éloigne de la démocratie lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’un authentique pluralisme

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politique, lui-même reflet de la variété des opinions au sein du corps social et facteur du maintiend’une véritable liberté de choix. Enfin, concrètement, les élections ne sont susceptibles de véhiculerune certaine idée de la démocratie que si elles traduisent transparence et sincérité, dans un cadreoù l’alternance et le débat structurent l’opinion des électeurs.

Le désenchantement du monde et la perte bien connue de référence à la transcendance onttransformé l’élection en moyen de légitimation des gouvernants. L’on peut toujours craindrequ’une désaffection généralisée et le développement d’un électorat si flottant qu’il ne se déplaceplus jusqu’aux urnes portent au pouvoir un dictateur ou un tyran. Dès lors qu’elle n’est plus unmécanisme « environné » par des valeurs éthiques et qu’elle dessine simplement la clôture de larelation gouvernants/gouvernés, l’élection s’apparente à l’autodétermination d’un peuple ou d’ungroupe et peut en cela jouer, même dans le respect de la démocratie formelle, contre ladémocratie réelle. La grandeur de l’élection est donc indissociable de l’inquiétude qu’elle génère,puisque à travers les gouvernants, elle tend à toute société le miroir souvent déformant de sespropres choix.

Document n° 4. De Villiers M. et Le Divellec A., « Référendum »,dans Dictionnaire du droit constitutionnel, Sirey, 10e éd., 2015, pp.313-314.

Le référendum, c’est le peuple législateur, ainsi que l’expose Jean-Jacques Rousseau : « Toute loi quele peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle, ce n’est pas une loi ». Introduit dans la pratiqueconstitutionnelle française par la Convention (premier référendum en juillet 1793 pour adopter laConstitution dite « montagnarde », et deuxième deux ans plus tard pour adopter celle du régimedu Directoire), le référendum fera ensuite l’objet d’une utilisation plébiscitaire par les deuxBonaparte. Après une longue éclipse, de Gaulle le rétablira, d’abord en 1945 (référendumconstituant du 21 octobre, qui sera suivi de deux autres – de Gaulle étant parti – les 5 mai et 13octobre 1946), puis en 1958 (28 septembre pour adopter la Constitution de la Ve République etdepuis, neuf autres, huit au titre de l'art. C. 11 et un dans le cadre de l'art. C. 89).).

Le référendum ne correspond pas à un modèle unique :

1. selon la procédure, il peut être d’initiative populaire (Italie : 500 000 signatures ; Suisse : 50 000),d’initiative parlementaire (France, art. C. 11, jusqu’ici sans succès), ou d’initiative gouvernementale,le président de la République ayant l’exclusivité de la décision d’organisation – et en pratiquel’initiative elle-même – (tous les référendums organisés sous la Ve république) ; la révision de 2008ouvre, de façon originale, la voie à un référendum d'initiative jumelée, à la fois parlementaire etpopulaire : la proposition déposée par un cinquième des membres du Parlement doit êtresoutenue par un dixième des électeurs inscrits (art. C. 11, al. 3 à 6) ;

2. selon l’objet, le référendum peut être constituant (1945, 1946, 1958, octobre 1962, 1969, 2000,avec beaucoup de contestations pour ceux d'oct. 1962 et 1969 en raison du choix de la procédure)ou législatif (en ce qui concerne les autres référendums de la Ve République) ;

3. selon le caractère du recours au référendum, il sera dit obligatoire ou facultatif (ainsi estobligatoire le référendum prévu à l’article C. 53 al. 3 : « Nulle cession, nul échange, nulle adjonctionde territoire n’est valable sans le consentement de populations intéressées », mais, dans cettehypothèse, il ne s'agit pas d'un référendum national) ;

4. selon la portée du vote, le référendum peut être, d’une part, national ou local (les Etats fédérésaméricains ou Cantons suisses ainsi que les collectivités territoriales françaises, art. C. 72-1, al. 2) ;et, d’autre part, décisionnel ou consultatif : dans le premier cas, il s’agira, soit d’abroger une loi envigueur (Italie), soit de faire adopter un projet de loi (art. C. 11) et dans le second cas, de donner

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un avis dont le gouvernement fera l’usage qu’il jugera bon.

Le référendum permet au peuple de décider lui-même. Lorsqu’une Constitution accorde une placeà la procédure référendaire parallèlement à l’élection de représentants, la démocratie pourra êtrequalifiée de semi-directe ».

Document n° 5. Hamon F., Troper M., Droit constitutionnel, LGDJ,2012, pp. 194-197 (extraits).

« […] Dans le système représentatif, les gouvernants exercent une souveraineté, dont ils ne sontpas les titulaires. Il faut donc déterminer qui est le titulaire véritable et en quoi consiste cettemystérieuse puissance. Il existe à ce sujet un débat très ancien et rendu confus par l’imprécision duvocabulaire.

Il faut, pour le clarifier, distinguer quatre significations des mots souveraineté et souverain […].

En quatrième lieu, la souveraineté est la qualité de l’être, réel ou fictif, au nom de qui est exercé lepouvoir de l’organe souverain […]. C’est en ce sens qu’on dit que seul la nation ou le peuple estsouverain […]. Puisque le législateur n’est qu’un représentant, qu’il ne fait qu’exercer lasouveraineté, à qui appartient réellement cette souveraineté ? Puisque l’exercice de la souverainetéa été délégué à des représentants, à qui appartient son essence ?

Sur ce point, on oppose traditionnellement deux doctrines, la souveraineté nationale et lasouveraineté populaire.

1. La souveraineté populaire

Selon cette tradition, la doctrine de la souveraineté populaire enseigne que la souverainetéappartient au peuple, conçu comme l’ensemble des hommes vivant sur un territoire donné. Cepeuple serait donc un être réel. Il peut donc exercer lui-même sa souveraineté. La doctrine de lasouveraineté populaire serait donc compatible avec la démocratie directe. Cependant au cas où ilapparaîtrait que cette démocratie directe est peu praticable, le peuple pourrait déléguer l’exercicede la souveraineté.

Mais comme le peuple est un être réel, il est parfaitement capable d’avoir et d’exprimer unevolonté distincte de celles des gouvernants. Tous ceux qui composent le peuple peuvent et ont ledroit de choisir ces gouvernants et de contrôler leurs actions. Aussi, la doctrine de la souverainetépopulaire implique-t-elle trois conséquences :

- le principe de l’électorat-droit, c’est-à-dire le suffrage universel,

- des éléments de démocratie directe, c’est-à-dire l’institution du référendum,

- le mandat impératif.

2. La souveraineté nationale

Au contraire, la doctrine de la souveraineté nationale postulerait que le titulaire de la souverainetéest la nation, c’est-à-dire une entité tout à fait abstraite, qui n’est pas composée seulement deshommes vivant sur le territoire à un moment donné, mais qu’on définit en prenant en compte lacontinuité des générations ou un intérêt général qui transcenderait les intérêts particuliers.Comme il s’agit d’une entité abstraite, il ne pourrait évidemment pas exercer la souveraineté. Ladémocratie directe est impossible. Elle ne peut vouloir que par ses représentants.

Elle ne peut d’ailleurs même pas les choisir, puisqu’elle n’a pas pour éléments des hommes réels.

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Elle est donc contrainte de confier ce soin à certains hommes. Le suffrage n’est pas un droit, maisune fonction confiée par la nation. Elle ne doit pas d’ailleurs être confiée à tous, mais à ceux quisont capables de l’exercer et il se peut que seuls en soient capables certains, notamment parmiceux qui, possédant des biens, exerçant une profession ou payant des impôts, ont un intérêt àdéfendre. Une fois élus, les représentants, qui ne représentent pas leurs électeurs mais cette nationabstraite, ne peuvent évidemment être soumis à aucun contrôle.

La souveraineté nationale entraînerait donc des conséquences symétriquement inverses de cellesque l’on suppose à la souveraineté populaire :

- refus de la démocratie directe ou semi-directe,

- théorie de l’électorat-fonction et possibilité du suffrage restreint,

- prohibition du mandat impératif.

Ainsi, les constituants procéderaient toujours à un choix fondamental entre les deux doctrines dela souveraineté. Ce choix présenterait d’ailleurs un caractère idéologique marqué : la doctrine de lasouveraineté populaire serait démocratique et progressiste, la doctrine de la souveraineténationale conservatrice. On pourrait donc classer les constitutions selon qu’elles se rattachent àl’une ou l’autre doctrine : souveraineté nationale en 1791, populaire en 1793, nationale à nouveauen l'an III, etc. À l'Assemblée constituante de 1946, les deux doctrines auraient eu leurs partisans,de sorte qu'il aurait fallu réaliser un compromis, en énonçant que : « la souveraineté nationaleappartient au peuple ». Cette formule, reproduite à l'article 3 de la Constitution de 1958,entraînerait ainsi certaines des conséquences de la souveraineté nationale et certainesconséquences de la souveraineté populaire ».

Document n° 6. Carré de Malberg, R., « Considérations théoriquessur la question de la combinaison du référendum avec leparlementarisme », Revue du droit public, 1931, pp. 236 et s.

Il est banal de rappeler que, dans les intentions des fondateurs du régime représentatif, lebut effectif de ce régime devait être d'établir et d'assurer la maîtrise prépondérante de la classebourgeoise sur la masse populaire, le régime électoral étant organisé, à l'époque révolutionnaire, defaçon à ce que la Législature fût composée d'élus appartenant à cette classe. On ne peut donc pasdire que les hommes de la Révolution se soient laissé dominer par des théories dogmatiques dugenre de celles du Contrat Social. En réalité, leur dessein était d'ordre fort pratique : reléguer lepeuple dans un rôle simplement électoral. Ils n'ont fait intervenir les concepts philosophiques, enparticulier celui de la souveraineté de la volonté générale, que pour colorer leur œuvreconstituante d'une teinte qui parût la mettre d'accord avec le principe initial suivant lequel la nationseule possède le caractère souverain. À l'époque révolutionnaire, il n'y a que la Constitution de1793 qui ait vraiment pratiqué l'idéologie, en déduisant, du principe posé dans l'article 4 de saDéclaration des Droits : « La loi est l'expression libre de la volonté générale », la conséquencelogique que les lois ne sont parfaites que par la sanction qui leur est donnée, silencieusement ouexpressément, par le peuple ; mais aussi, cette Constitution n'est-elle point sortie du domaine de laspéculation abstraite dans lequel elle avait été conçue ; elle n'est point entrée en application.

Cet échec de la Constitution de 1793 lui a valu, par la suite, d'être traitée avec dédain. Il y apourtant une justice qu'il faut savoir lui rendre : c'est que, seule, elle s'est tenue en accord avec lesprémisses sur lesquelles elle était édifiée. Du moment, en effet, que l'on base la puissance de l'Étatet de ses organes sur l'idée de souveraineté de la volonté générale, il devient manifestement

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impossible de refuser voix délibérante, et même voix décisive, à ceux en qui la volonté généraleprend sa source et sa consistance, c'est-à-dire aux citoyens s'assemblant à cet effet en un collègeunique et indivisible. Surtout, il devient manifestement contradictoire de justifier l'énormité de lapuissance parlementaire par un argument tiré de ce que le Parlement énonce la volonté populaire,et, en même temps, de maintenir contre le peuple une exclusive, qui implique que cette volonté seforme en dehors de lui, sans qu'il ait la ressource de contester l'expression que le Parlement en adonnée. De ce point de vue donc, et plus encore que du point de vue des idées de représentationpopulaire, l'on est obligé de conclure que non seulement le référendum et le parlementarisme nesont pas inconciliables l'un avec l'autre, mais qu'il y a une relation immédiate et inéluctable entre lesconcepts qui ont servi à fonder la puissance parlementaire et les institutions démocratiquespermettant à la communauté des citoyens de faire entendre sa voix.

On voit, par les observations qui précèdent, que la question de l'introduction duréférendum dans le régime parlementaire ne répond pas seulement à des préoccupations deconvenance technique se rapportant à la valeur comparée des procédés pratiques qui peuvent êtremis en œuvre pour la formation de la volonté nationale dans chaque État ; mais les problèmes quecette question engage, touchent aux concepts mêmes sur lesquels repose, d'une façon essentielle,l'organisation étatique de la nation. C'est en vain qu'on chercherait à se dérober à la nécessité detenir compte de ces concepts. Si la puissance du Parlement est représentative de celle quiappartient à la volonté populaire, ainsi qu'on le répète couramment, la question du référendum setrouve d'avance jugée, sans qu'il reste place pour une discussion sur les avantages ou lesinconvénients de ce mode de consultation populaire : car il est de principe que les pouvoirs dureprésentant sont nécessairement limités par les droits du représenté.

Ainsi, les motifs mêmes qui sont ordinairement invoqués pour justifier l'absolutismeparlementaire, tel qu'il fonctionne présentement en France, portent en eux la condamnation de cetabsolutisme, comme aussi ils fournissent l'indication des moyens qui doivent servir à le limiter et àle modérer. Et le premier de ces moyens, dans le concept de la représentation populaire, c'estprécisément le référendum. À dire vrai, l'admission du référendum produirait même plus qu'uneffet limitatif sur le parlementarisme : elle entraînerait une transformation radicale dans l'échellehiérarchique des pouvoirs. Sans doute, le Parlement continuerait à représenter le peuple, tant qu'ildélibère ; mais, une fois la loi votée par les Chambres, la volonté générale recouvrerait ses droitsinaliénables, et la parole passerait au peuple, à supposer qu'il veuille la prendre. S'il la prenait, ceserait en souverain. La puissance populaire ne se bornerait donc pas à limiter celle du Parlement :elle la dominerait, de la même façon que le souverain domine toutes autorités fonctionnant sous sasuprématie. Peu importe, d'ailleurs, qu'en fait les demandes de référé au peuple doivent demeurerrares ou même exceptionnelles : pas plus dans la démocratie que dans la monarchie, la qualité desouverain ne se reconnaît ou ne se mesure à la fréquence des interventions. Dès qu'il est constatéque le peuple est mis par la Constitution en possession de moyens qui lui permettent d'intervenirchaque fois qu'il le désire, notamment en ce qui concerne la législation, et qui, de plus, lui assurent,s'il intervient, la possibilité de faire prévaloir sa volonté, cela suffit pour que l'on doive affirmer quela Constitution l'a érigé en organe suprême, et même qu'elle le traite en souverain.

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Document n° 7. Rousseau, J.-J., Du contrat social, Livre II, Chapitre Iet II (extraits).

Que la souveraineté est inaliénable

[…] Je dis donc que la souveraineté, n'étant que l'exercice de la volonté générale, ne peut jamaiss'aliéner, et que le souverain, qui n'est qu'un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même ; le pouvoir peut bien se transmettre, mais non pas la volonté.

En effet, s'il n'est pas impossible qu'une volonté particulière s'accorde sur quelque point avec lavolonté générale, il est impossible au moins que cet accord soit durable et constant ; car la volontéparticulière tend, par sa nature, aux préférences, et la volonté générale à l'égalité. Il est plusimpossible encore qu'on ait un garant de cet accord, quand même il devrait toujours exister ; ce neserait pas un effet de l'art, mais du hasard. Le souverain peut bien dire : "Je veux actuellement ceque veut un tel homme, ou du moins ce qu'il dit vouloir" ; mais il ne peut pas dire : "Ce que cethomme voudra demain, je le voudrai encore", puisqu'il est absurde que la volonté se donne deschaînes pour l'avenir, et puisqu'il ne dépend d'aucune volonté de consentir à rien de contraire aubien de l'être qui veut. Si donc le peuple promet simplement d'obéir, il se dissout par cet acte, ilperd sa qualité de peuple ; à l'instant qu'il y a un maître, il n'y a plus de souverain, et dès lors lecorps politique est détruit.

Que la souveraineté est indivisible

Par la même raison que la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible ; car la volonté estgénérale, ou elle ne l'est pas ; elle est celle du corps du peuple, ou seulement d'une partie. Dans lepremier cas, cette volonté déclarée est un acte de souveraineté et fait loi ; dans le second, ce n'estqu'une volonté particulière, ou un acte de magistrature ; c'est un décret tout au plus.

Mais nos politiques ne pouvant diviser la souveraineté dans son principe, la divisent dans son objet :ils la divisent en force et en volonté, en puissance législative et en puissance, exécutive ; en droitsd'impôt, de justice et de guerre ; en administration intérieure et en pouvoir de traiter avecl'étranger : tantôt ils confondent toutes ces parties, et tantôt ils les séparent. Ils font du souverainun être fantastique et formé de pièces rapportées ; c'est comme s'ils composaient l'homme deplusieurs corps, dont l'un aurait des yeux, l'autre des bras, l'autre des pieds, et rien de plus. Lescharlatans du Japon dépècent, dit-on, un enfant aux yeux des spectateurs ; puis, jetant en l'air tousses membres l'un après l'autre, ils font retomber l'enfant vivant et tout rassemblé. Tels sont à peuprès les tours de gobelets de nos politiques ; après avoir démembré le corps social par un prestigedigne de la foire, ils rassemblent les pièces on ne sait comment.

Cette erreur vient de ne s'être pas fait des notions exactes de l'autorité souveraine, et d'avoir prispour des parties de cette autorité ce qui n'en était que des émanations. Ainsi, par exemple, on aregardé l'acte de déclarer la guerre et celui de faire la paix comme des actes de souveraineté ; cequi n'est pas puisque chacun de ces actes n'est point une loi, mais seulement une application de laloi, un acte particulier qui détermine le cas de la loi, comme on le verra clairement quand l'idéeattachée au mot loi sera fixée.

En suivant de même les autres divisions, on trouverait que, toutes les fois qu'on croit voir lasouveraineté partagée, on se trompe ; que les droits qu'on prend pour des parties de cettesouveraineté lui sont tous subordonnés, et supposent toujours des volontés suprêmes dont cesdroits ne donnent que l'exécution.

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Document n° 8. Débat à la Chambre des députés, 21 janvier 1903(extrait de Mopin M., Les grands débats parlementaires de 1875 à nosjours, La Documentation française, 1988, p. 183).

Contexte : Georges Berthoulat, député de Seine-et-Oise, avait déposé une résolution invitant leGouvernement à organiser un référendum sur la question du budget des cultes. Le président du Conseil estalors Émile Combes (1835-1921 ; député puis sénateur radical, ministre de l'instruction publique et descultes dans le cabinet Léon Bourgeois en 1895-1896, et enfin président du Conseil de juin 1902 à janvier1905).

M. le Président du Conseil

Un mot maintenant sur le référendum.

Je repousse au nom du Gouvernement la doctrine du référendum. Si, comme y consent M. leprésident de la commission du budget, on veut la faire étudier par une commission spéciale, je nem'y oppose pas. Mais d'ores et déjà, je déclare que le Gouvernement ne pourra pas s'y rallier.(Interruptions à l'extrême gauche.)

On veut, dit-on, consulter les électeurs, parce qu'on ne peut pas préjuger avec certitude quellessont sur le budget des cultes les pensées de la majorité. Mais à ce compte pourquoi restreindre laconsultation à cette question unique, quelque importante qu'elle soit ?

À chaque pas, à chaque phase de nos débats parlementaires, nous sommes exposés à rencontrerdes questions importantes, des questions essentielles dans l'ordre des faits qu'elles concernent…

M. Massabuau3. Pourquoi n'aurait-on pas recours au référendum dans ce cas ?

M. le Président du Conseil. … dont nous ne pouvons dire avec certitude que la majorité desélecteurs adopterait telle solution plutôt que telle autre. Le Parlement va-t-il se détourner del'examen de ces questions et en ajourner le débat pour s'enquérir, par la voie du référendum, desopinions professées sur ces divers points par la masse des électeurs ? Mais une telle pratique est lerenversement absolu du régime représentatif.

M. Massabuau. Ce serait la démocratie organisée.

M. le Président du Conseil. Il n'y a qu'à l'étendre progressivement aux sujets essentiels pourarriver rapidement à la suppression de ce régime.

M. Georges Berthoulat. M. Millerand et M. Jaurès eux-mêmes ont été partisans duréférendum.

M. le président [de la Chambre]. Cela est inexact. Il est inutile de mettre en cause leprésident, qui ne peut pas répondre sur des faits personnels.

M. Georges Berthoulat. Cela a été la doctrine constante du parti socialiste.

M. le Président du Conseil. Je vois bien que les adversaires du gouvernement parlementaireet les partisans du pouvoir personnel gagneraient à ce système : je ne vois pas que profit enretirerait la nation. Si le référendum se substituait aux grands débats et ne laissait aux

3. Député (1898-1914) puis sénateur (1921-1930) de l'Aveyron. Centre droit.

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représentants de la nation que les débats peu importants, le pays ne tarderait pas à penser, sansdoute, qu'il est inutile de se donner des mandataires. (Très bien ! très bien!) Et peut-être alors setrouverait-il quelqu'un pour proposer de fermer la porte de cette enceinte à ce qu'il appellerait unbavardage superflu. (Très bien ! très bien!)

M. Massabuau. Je n'ai jamais voulu dire cela, monsieur le Président du Conseil : je ne suis pasplébiscitaire.

M. le président. Ce n'est pas contre vous que M. le Président du Conseil argumente, monsieurMassabuau.

M. le Président du Conseil. Messieurs, sans aller jusque-là, on peut dire que le référendumest la négation du principe qui sert de base à notre organisation politique. C'est par la délégationdes pouvoirs de la nation à ses représentants au Parlement que s'exerce la souveraineté nationale.Les représentants sont responsables devant le pays de leurs actes parlementaires. (Très bien ! trèsbien!)

La conscience de cette responsabilité les tient et doit les tenir constamment en éveil sur leursdevoirs. Toute mesure, qui tendrait à l'affaiblir, irait à l'encontre de l'intérêt national.

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel(Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 6 : La séparation des pouvoirs

Document n° 1. Montesquieu, De l’esprit des lois, livre XI, chapitre VI (« De laconstitution d’Angleterre »), dans OEuvres complètes, Gallimard, 1951, t.II, pp. 396-407 (extraits).

Document n° 2. Avril, P., Les Français et leur Parlement, Casterman, 1972, pp.34-40 (extraits).

Document n° 3. Le Fédéraliste, n° 48 (James Madison), 1788 (extraits).

Document n° 4a. De Villiers, M., « Séparation des pouvoirs », dans Dictionnairedu droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, pp. 341-344.

Document n° 4b. De Villiers M., Le Divellec A., « Fusion des pouvoirs », dansDictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, pp. 172-173.

Document n° 5. Turpin D., Droit constitutionnel, PUF, 2003, pp. 240 et s.

Dissertation : L'évolution de la théorie de la séparation despouvoirs

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Document n° 1. Montesquieu, De l’esprit des lois, livre XI, chapitreVI (« De la constitution d’Angleterre »), dans Oeuvres complètes,Gallimard, 1951, t. II, pp. 396-407 (extraits).

Il y a dans chaque Etat trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissanceexécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles quidépendent du droit civil.

Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, etcorrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoitdes ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou jugeles différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger, et l’autresimplement la puissance exécutrice de l’Etat.

La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinionque chacun a de sa sûreté ; et pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit telqu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.

Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissancelégislative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindreque le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécutertyranniquement.

Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissancelégislative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et laliberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissanceexécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.

Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, oudu peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutionspubliques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.

Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré ; parce que leprince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs,où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme.

Dans les républiques d’Italie, où ces trois pouvoirs sont réunis, la liberté se trouve moinsque dans nos monarchies. Aussi le gouvernement a-t-il besoin, pour se maintenir, de moyens aussiviolents que le gouvernement des Turcs ; témoins les inquisiteurs d’Etat, et le tronc où toutdélateur peut, à tous les moments, jeter avec un billet son accusation.

Voyez quelle peut être la situation d’un citoyen dans ces républiques. Le même corps demagistrature a, comme exécuteur des lois, toute la puissance qu’il s’est donnée comme législateur.Il peut ravager l’Etat par ses volontés générales ; et, comme il a encore la puissance de juger, il peutdétruire chaque citoyen par ses volontés particulières.

Toute la puissance y est une ; et, quoiqu’il n’y ait point de pompe extérieure qui découvreun prince despotique, on le sent à chaque instant.

Aussi, les princes qui ont voulu se rendre despotiques ont-ils toujours commencé parréunir en leur personne toutes les magistratures, et plusieurs rois d’Europe toutes les grandescharges de leur Etat.

Je crois bien que la pure aristocratie héréditaire des républiques d’Italie ne répond pasprécisément au despotisme de l’Asie. La multitude des magistrats adoucit quelquefois lamagistrature ; tous les nobles ne concourent pas toujours aux mêmes desseins ; on y forme divers

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tribunaux qui se tempèrent. Ainsi, à Venise, le grand conseil a la législation ; le prégady, l’exécution ;les quaranties, le pouvoir de juger. Mais le mal est que ces tribunaux différents sont formés par desmagistrats du même corps ; ce qui ne fait guère qu’une même puissance.

La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par despersonnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de l’année, de la manière prescrite par laloi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la nécessité le requiert.

De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n’étant attachée ni à uncertain état, ni à une certaine profession, devient, pour ainsi dire, invisible et nulle. On n’a pointcontinuellement des juges devant les yeux ; et l’on craint la magistrature, et non pas les magistrats.

Il faut même que, dans les grandes accusations, le criminel, concurremment avec la loi, sechoisisse des juges ; ou, du moins, qu’il en puisse récuser un si grand nombre, que ceux qui restentsoient censés être de son choix.

Les deux autres pouvoirs pourraient plutôt être donnés à des magistrats ou à des corpspermanents ; parce qu’ils ne s’exercent sur aucun particulier ; n’étant, l’un, que la volonté généralede l’État ; et l’autre, que l’exécution de cette volonté générale […].

Comme, dans un Etat libre, tout homme qui est censé avoir une âme libre doit êtregouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps eût la puissance législative. Mais commecela est impossible dans les grands Etats et est sujet à beaucoup d’inconvénients dans les petits, ilfaut que le peuple fasse par ses représentants tout ce qu’il ne peut faire par lui-même […]. Legrand avantage des représentants, c’est qu’ils sont capables de discuter les affaires. Le peuple n’yest point du tout propre ; ce qui forme un des grands inconvénients de la démocratie […].

Ainsi, la puissance législative sera confiée, et au corps des nobles, et au corps qui sera choisipour représenter le peuple, qui auront chacun leurs assemblées et leurs délibérations à part, et desvues et des intérêts séparés.

Des trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est en quelque façon nulle. Il n’enreste que deux ; et comme elles ont besoin d’une puissance réglante pour les tempérer, la partiedu corps législatif qui est composée de nobles est très propre à produire cet effet.

Le corps des nobles doit être héréditaire […]. Mais comme une puissance héréditairepourrait être induite à suivre ses intérêts particuliers et à oublier ceux du peuple, il faut que dansles choses où l’on a un souverain intérêt à la corrompre, comme dans les lois qui concernent lalevée de l’argent, elle n’ait de part à la législation que par sa faculté d’empêcher, et non par safaculté de statuer.

J’appelle faculté de statuer, le droit d’ordonner par soi-même, ou de corriger ce qui a étéordonné par un autre. J’appelle faculté d’empêcher, le droit de rendre nulle une résolution prise parquelque autre ; ce qui était la puissance des tribuns de Rome. Et quoique celui qui a la facultéd’empêcher puisse avoir aussi le droit d’approuver, pour lors cette approbation n’est autre chosequ’une déclaration qu’il ne fait point d’usage de sa faculté d’empêcher, et dérive de cette faculté.

La puissance exécutrice doit être entre les mains d’un monarque, parce que cette partie dugouvernement, qui a presque toujours besoin d’une action momentanée, est mieux administrée parun que par plusieurs ; au lieu que ce qui dépend de la puissance législative est souvent mieuxordonné par plusieurs que par un seul.

Que s’il n’y avait point de monarque, et que la puissance exécutrice fût confiée à un certainnombre de personnes tirées du corps législatif, il n’y aurait plus de liberté, parce que les deuxpuissances seraient unies ; les mêmes personnes ayant quelquefois, et pouvant toujours avoir part àl’une et à l’autre.

Si le corps législatif était un temps considérable sans être assemblé, il n’y aurait plus de

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liberté. Car il arriverait de deux choses l’une : ou qu’il n’y aurait plus de résolution législative, etl’Etat tomberait dans l’anarchie ; ou que ces résolutions seraient prises par la puissance exécutrice,et elle deviendrait absolue. Il serait inutile que le corps législatif fût toujours assemblé. Cela seraitincommode pour les représentants, et d’ailleurs occuperait trop la puissance exécutrice, qui nepenserait point à exécuter, mais à défendre ses prérogatives, et le droit qu’elle a d’exécuter […].

Si la puissance exécutrice n’a pas le droit d’arrêter les entreprises du corps législatif, celui-cisera despotique ; car, comme il pourra se donner tout le pouvoir qu’il peut imaginer, il anéantira lesautres puissances. Mais il ne faut pas que la puissance législative ait réciproquement la facultéd’arrêter la puissance exécutrice. Car l’exécution ayant ses limites par sa nature, il est inutile de laborner ; outre que la puissance exécutrice s’exerce toujours sur des choses momentanées. Et lapuissance des tribuns de Rome était vicieuse, en ce qu’elle arrêtait non seulement la législation,mais même l’exécution : ce qui causait de grands maux.

Mais si, dans un Etat libre, la puissance législative ne doit pas avoir le droit d’arrêter lapuissance exécutrice, elle a droit, et doit avoir la faculté d’examiner de quelle manière les loisqu’elle a faites ont été exécutées […]. Mais, quel que soit cet examen, le corps législatif ne doitpoint avoir le pouvoir de juger la personne, et par conséquent la conduite de celui qui exécute. Sapersonne doit être sacrée, parce qu’étant nécessaire à l’Etat pour que le corps législatif n’ydevienne pas tyrannique, dès le moment qu’il serait accusé ou jugé, il n’y aurait plus de liberté.Dans ce cas l’Etat ne serait point une monarchie, mais une république non libre. Mais comme celuiqui exécute ne peut exécuter mal sans avoir des conseillers méchants, et qui haïssent les loiscomme ministres, quoiqu’elles les favorisent comme hommes, ceux-ci peuvent être recherchés etpunis […].

Si le monarque prenait part à la législation par la faculté de statuer, il n’y aurait plus deliberté. Mais comme il faut pourtant qu’il ait part à la législation pour se défendre, il faut qu’il yprenne part par la faculté d’empêcher.

Voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corpslégislatif y étant composé de deux parties, l’une enchaînera l’autre par sa faculté mutuelled’empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par lalégislative.

Ces trois puissances devraient former un repos ou une inaction. Mais comme, par lemouvement nécessaire des choses, elles sont contraintes d’aller, elles seront forcées d’aller deconcert […] ».

Document n° 2. Avril, P., Les Français et leur Parlement, Casterman,1972, pp. 34-40 (extraits).

[…] Le premier effort a consisté à distinguer parmi les fonctions dont le pouvoir politique étaitinvesti. C’est le domaine de la fameuse ‘séparation des pouvoirs’ dont la théorie a été formulée parle philosophe anglais Locke et surtout par Montesquieu. Celui-ci, on le sait, analyse trois ‘pouvoirs’(ou fonctions) : légiférer, exécuter et juger. Les trois fonctions incombent à l’Etat, mais le génie deMontesquieu a été de distinguer ces fonctions elles-mêmes des organes qui étaient chargés de lesassurer – nous dirions en termes sociologiques : des structures correspondantes. Non seulementL’Esprit des lois annonce sur ce point l’analyse sociologique contemporaine qui distingueprécisément les fonctions et les structures, mais il a encore pressenti le principe dégagé par l’écolefonctionnaliste selon lequel fonctions et structures ne coïncident pas nécessairement : unestructure déterminée peut contribuer à plusieurs fonctions, une fonction déterminée peut êtreassurée par plusieurs structures. La théorie de la séparation des pouvoirs ne signifie pas, en effet,qu’aux fonctions législative, exécutive et judiciaire correspondent des organes qui les exercent

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chacune exclusivement et intégralement, elle exclut seulement qu’aucun organe les détiennetoutes. En revanche, elle appelle la participation d’organes différents à l’accomplissement d’unemême fonction car le principe selon lequel ‘le pouvoir arrête le pouvoir’ ne pourrait s’appliquer sichaque organe détenait exclusivement une fonction et s’il n’était amené à participer à la décisionavec un autre.

Mais participer comment ? Montesquieu distingue à ce propos la faculté de statuer, c’est-à-dire dedécider, et la faculté d’empêcher. Ainsi l’organe qui sera chargé principalement de la fonctionlégislative (disons : le Parlement) détiendra la faculté de statuer dans ce domaine, mais l’organechargé de la fonction exécutive (disons : le gouvernement) disposera de la faculté de l’empêcher. Ence qui concerne la fonction exécutive, le gouvernement décide, mais le Parlement doit avoir lafaculté d’examiner de quelle manière les lois qu’il a faites ont été exécutées. Les deux pouvoirssont ainsi conduits à aller de concert, chacun réagissant sur l’autre.

La théorie de la séparation des pouvoirs reflétait un besoin de la société du XVIIIe siècle dans lamesure où le développement social appelle la diversification des fonctions et la spécialisation desstructures. Mais en partant d’une réflexion sur l’exemple de l’Angleterre où ce processus étaitpolitiquement plus avancé qu’en France, elle proposait en même temps la formulation doctrinalequi allait dominer la pensée constitutionnelle et inspirer en particulier les auteurs de laconstitution américaine de 1787. On voit par cet exemple comment la solution de besoinsconfusément ressentis se cristallise en une formule dont on ne retient plus que le caractèrenormatif, juridique, alors que ses fondements sociaux ne sont pas moins importants […].

Document n° 3. Le Fédéraliste, n° 48 (James Madison), 1788(extraits).

On a prouvé, dans le dernier article, que l'axiome politique, examiné ici, n'exige pas une séparationabsolue des départements législatif, exécutif et judiciaire. Je vais essayer maintenant de montrerque si, entre ces départements, il n'existe pas une liaison et une union qui donne, à chacun d'eux,un contrôle constitutionnel sur les autres, le degré de séparation que requiert le principe, commeessentiel à un gouvernement libre, ne sera jamais, en pratique, efficacement maintenu.

Il est généralement reconnu que les pouvoirs, qui appartiennent en propre à l'un des départements,ne doivent pas être exercés directement et complètement par l'un ou l'autre des autresdépartements. Il est également évident qu'aucun d'eux ne doit posséder directement ouindirectement une influence prépondérante sur les autres dans l'exercice de leurs pouvoirsrespectifs. On ne contestera pas qu'il doit être mis efficacement dans l'impossibilité de franchir leslimites qui lui sont assignées. Ainsi donc, après avoir classé, en théorie, les différentes sortes depouvoirs suivant qu'ils peuvent être de nature législative, exécutive ou judiciaire, la chose la plusimportante et la plus difficile est de les garantir pratiquement contre leurs usurpations mutuelles.Quelle doit être cette garantie ? Voilà le grand problème à résoudre.

Sera-t-il suffisant de marquer avec précision les frontières de ces départements dans laconstitution du gouvernement, et de compter sur ces barrières de papier pour prévenir l'espritd'usurpation ? C'est la garantie que semblent avoir prise ceux qui ont rédigé la plupart desConstitutions américaines. Mais l'expérience nous apprend que l'efficacité de cette mesure s'esttrouvée grandement en défaut ; et qu'il faut, de toute nécessité, des armes plus sûres pourdéfendre les plus faibles membres du gouvernement contre les plus puissants. Le départementlégislatif étend partout la sphère de son activité et engloutit tous les pouvoirs dans son impétueuxtourbillon.

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Les fondateurs de nos Républiques méritent tant d'éloges pour la sagesse qu'ils ont montrée,qu'aucune tâche ne peut être moins agréable que celle de relever les erreurs dans lesquelles ilssont tombés. Le respect pour la vérité nous oblige pourtant à faire observer qu'ils semblent avoircru voir toujours la liberté menacée par la prérogative toujours croissante et toujours usurpatriced'une magistrat héréditaire, soutenu et fortifié par une branche héréditaire de l'autorité législative.Ils ne semblent jamais s'être rappelé le danger des usurpations législatives qui, en rassemblant tousles pouvoirs dans les mêmes mains, doivent mener à la même tyrannie que les usurpations del'exécutif.

Dans un gouvernement où des prérogatives nombreuses et étendues sont placées dans les mainsd'un Monarque héréditaire, le département exécutif est très justement considéré comme la sourcedu danger, et surveillé avec toute la jalousie que doit inspirer le zèle pour la liberté. Dans unedémocratie, où la multitude exerce en personne les fonctions législatives et est continuellementexposée, par son incapacité de prendre des délibérations régulières et des mesures réfléchies, auxambitieuses intrigues de ses magistrats exécutifs, on peut bien craindre que, dans une occasionfavorable, la tyrannie ne s'ensuive. Mais dans une République représentative, où la magistratureexécutive est soigneusement limitée dans l'étendue et dans la durée de son pouvoir, où le pouvoirlégislatif est exercé par une assemblée animée, à cause de l'influence que l'on suppose qu'elle a surle peuple, d'une confiance inébranlable dans sa propre force, assez nombreuse pour éprouvertoutes les passions qui agissent sur une multitude, trop peu nombreuse cependant pour êtreincapable d'employer, pour la satisfaction de ses passions, des moyens dictés par la raison, c'estcontre l'entreprenante ambition de ce département que le peuple doit diriger toute sa jalousie etépuiser toutes ses précautions.

Le département législatif tire une supériorité dans nos gouvernements d'autres causes. Sespouvoirs constitutionnels étant à la fois plus étendus et moins susceptibles d'être renfermés dansdes limites précises, il peut, avec plus de facilité, voiler, sous des mesures compliquées et indirectes,les usurpations qu'il commet aux dépens des départements coordonnés. Quelquefois, il estréellement difficile de dire, dans des corps législatifs, si l'effet d'une mesure particulière s'étendraou non au-delà de la sphère législative. D'un autre côté, le pouvoir exécutif étant circonscrit dansun espace plus resserré et étant plus simple par sa nature, le pouvoir judiciaire étant limité par deslignes de démarcation encore moins incertaines, des projets d'usurpation ne pourraient êtreformés par ces départements sans qu'ils fussent à l'instant découverts et renversés. Ce n'est pastout : comme le département législatif peut, seul, puiser dans les proches du peuple et qu'il a, dansquelques Constitutions, une autorité illimitée et, dans toutes, une influence prépondérante sur lesrétributions pécuniaires des agents des autres départements, il en résulte, vis-à-vis du législatif, unedépendance qui facilite encore ses usurpations.

Document n° 4a. De Villiers, M., « Séparation des pouvoirs », dansDictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, pp. 341-344.

« Séparation des pouvoirs. Expression traditionnelle dans le droit constitutionnel occidental pourdésigner les enseignements dégagés, principalement, de l’ouvrage de Montesquieu, De l’Esprit desLois (1748). Le retentissement de ces enseignements fut tel, dans un contexte politiqueextraordinairement porteur, que la séparation des pouvoirs a souvent été présentée comme unethéorie alors qu’il s’agit plus exactement d’une doctrine. Il faut distinguer :

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1. Ce que Montesquieu a écrit

Dans le chapitre VI du livre XI de son ouvrage cité, on trouve une analyse, un principe et uneordonnance.

– L’analyse (pour une part reprise d’auteurs plus anciens, notamment Locke, Essai sur legouvernement civil, 1690) : il y a dans chaque État trois sortes de pouvoirs, ou plutôt trois puissances: la puissance de faire la loi, celle d’exécuter les ‘résolutions publiques’ et celle de juger les crimesou les différends des particuliers.

– Le principe, qui est un principe de non-cumul : ‘Tout serait perdu si le même homme, ou le mêmecorps des principaux […] exerçaient ces trois pouvoirs […]’.

– L’ordonnance : la puissance de juger étant mise de côté (elle est en quelque façon ‘nulle’), il y aune constitution idéale, ou plutôt, fondamentale : ‘Le corps législatif y étant composé de deuxparties, l’une enchaînera l’autre par sa faculté mutuelle d’empêcher. Toutes les deux seront liées parla puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative’.

Où l’on voit par conséquent que la séparation des pouvoirs, non seulement ne signifie pasantagonisme, mais exige au contraire la collaboration pour aboutir à ce ‘concert’ dont parleexplicitement Montesquieu, toujours dans ce même chapitre VI. Simplement, le concert résulterades freins et contrepoids : les célèbres checks and balances du régime présidentiel américain.

2. Les interprétations et applications dont la doctrine de la séparation des pouvoirs a été l’objet

Le régime de monarchie absolue, et sans constitution écrite, que connaît la France au XVIIIe siècle(alors que le régime anglais, observé et admiré par Montesquieu entre 1729 et 1731, est celui de lamonarchie limitée), explique que la séparation des pouvoirs ait été reçue comme exprimant laraison d’être de toute Constitution, d’où la rédaction de l’article 16 de la Déclaration des droits del’homme et du citoyen : ‘Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni laséparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution’. Mais les constituants de 1789 ontdurci le principe d’organisation énoncé par Montesquieu au point d’en faire un ‘dogme dephilosophie politique’, devant enfermer chaque pouvoir dans sa sphère. Les Américains en ontdonné une autre interprétation, n’excluant pas par exemple que le juge puisse refuser d’appliquerune loi qu’il jugerait contraire à la Constitution.

Sur un autre plan, le principe de la séparation des pouvoirs a acquis une telle autorité dans le droitconstitutionnel occidental qu’il a rapidement été utilisé en doctrine en tant que critère declassement des régimes politiques, et plus particulièrement de ces deux modes d’organisation et defonctionnement du pouvoir politique que sont le régime présidentiel et le régime parlementaire.Ces deux modes sont pourtant postérieurs à Montesquieu : la Constitution américaine date de1787, et le régime parlementaire ne peut être considéré établi en Angleterre que le jour où lePremier ministre démissionne ainsi que tous les membres de son cabinet (principe de la solidaritéministérielle) parce que la chambre des Communes refuse sa confiance (principe de laresponsabilité politique) : or cela se produit pour la première fois nettement en 1782 avec ladémission du cabinet North. Cependant, la distinction entre les pouvoirs que comportent ces deuxrégimes peut justifier qu’ils soient présentés l’un et l’autre comme des applications de la doctrinede la séparation, séparation dite (de façon réductrice) stricte en régime présidentiel, et (de façonnon moins réductrice) souple en régime parlementaire, en raison de l’indépendance des organesdélibératif et exécutif dans le premier cas, et des procédures de révocabilité mutuelle (engagementde responsabilité et dissolution) dans le second, mais à la condition de ne pas s’en tenir à cetteprésentation très formelle, et de discerner qu'il s'agit plutôt, dans les régimes parlementaires, d'une« fusion des pouvoirs » (v. ce mot). Ainsi les facultés d’empêcher dont sont aux Etats-Unis dotés leprésident et le Congrès (droit de veto, refus de vote du budget, refus d’approbation de

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nominations ou de traités) sont-elles autant de moyens pour chaque pouvoir de s’ingérer dansl’exercice des compétences de l’autre pouvoir, et l’idée de pouvoirs enfermés chacun dans sasphère est, en soi, irréaliste, et, de fait, contraire à toute réalité observée.

Quant au régime parlementaire, le phénomène partisan a substantiellement modifié le contenu dela séparation, ce que Montesquieu avait d'ailleurs parfaitement anticipé : « Que s'il n'y avait point demonarque, et que la puissance exécutrice fut confiée à un certain nombre de personnes tirées ducorps législatif, il n'y aurait plus de liberté, parce que les deux puissances seraient unies ; les mêmespersonnes ayant quelque fois, et pouvant toujours avoir part à l'une et à l'autre » (De l'Esprit desLois, livre XI, chap. VII). Or n'est-ce pas exactement ce qui se passe lorsqu'un parti, majoritaire à lachambre basse, place son équipe dirigeante aux leviers de commande de l'exécutif ? Mais c'est legénie des institutions politiques britanniques d'avoir, par l'institutionnalisation de l'opposition et lapratique de l'alternance, engendré une autre forme de séparation entre la majorité et l'opposition.Définir le régime parlementaire comme un régime de séparation souple pouvait se concevoir tantque le gouvernement était encore étroitement lié au chef de l'État (régime parlementaire dualiste),cela devient beaucoup plus discutable avec l'avènement depuis plus d'un siècle des régimesparlementaires monistes (logique d'interpénétration ou de fusion des pouvoirs).

3. La doctrine de Montesquieu n’est-elle plus alors d’actualité ?

Si, car ce qui est au-delà des modes, c’est ce qui fonde la doctrine : le pouvoir est dangereux pourla liberté (« C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à enabuser… Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, lepouvoir arrête le pouvoir »). La doctrine de la séparation est d’ailleurs totalement étrangère à tousles régimes de dictature, quelles que soient les formes de cette dernière. La séparation despouvoirs est en effet une recette de liberté, or le propre d’une dictature, c’est de supprimer laliberté comme fondement du pouvoir.

Tout ce qui va dans le sens d’une distinction des domaines (la laïcité), d’une répartition respectéeet sanctionnée des compétences (ainsi des réalisations de l’Etat de droit), des institutions etprocédures qui permettent l’alternance au pouvoir, est conforme à la doctrine de la séparation. Et àl’inverse, tous les phénomènes de cumul en sont la négation (que l’on songe par exemple à lapratique très française du cumul des mandats…) ».

Document 4b. De Villiers M., Le Divellec A., « Fusion despouvoirs », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey,2015, pp. 172-173.

Fusion des pouvoirs – Expression due à l'essayiste anglais Walter Bagehot (The English Constitution,1867) pour exprimer le principe d'organisation des pouvoirs de la Constitution britannique, maisqui peut être généralisé mutatis mutandis à tous les régimes représentatifs de type parlementaire. Àl'idée répandue mais caricaturale et illusoire d'une « séparation des pouvoirs » entendue commeimpliquant l'indépendance absolue des organes et leur spécialisation respective dans une seulefonction étatique, Bagehot oppose, en s'appuyant sur l'exemple anglais, l'idée de la fusion (qui n'estpas la confusion) : tout en jouissant d'une certaine autonomie, chaque organe dépend dans unelarge mesure des autres tant au plan organique (par l'influence sur la nomination ou la révocationnotamment) qu'au plan fonctionnel (un même organe participe simultanément à l'exercice deplusieurs fonctions). Ainsi le Premier ministre britannique est-il désigné de facto par la Chambre desCommunes (fonction élective) ; ainsi le Cabinet peut-il faire dissoudre cette Chambre par le Roi ;le Roi peut nommer de nouveaux Lords (« fournées de pairs ») ; le Parlement peut destituer un

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ministre (impeachment) ; les ministres sont soit eux-mêmes membres des chambres, soit ont undroit d'entrée et de parole devant elles ; la fonction législative est exercée en commun par lecabinet et les chambres. Cette logique d'interpénétration juridique des organes constitutionnels seretrouve à des degrés divers dans tous les systèmes de type parlementaire et va donc au-delà del'idée de « séparation souple des pouvoirs » couramment utilisée par la doctrine française. Ellepeut être accrue dans ses effets pratiques en cas d'harmonie politique entre les titulaires desdifférents organes (notamment entre le cabinet et les assemblées), si bien que le clivage entremajorité et opposition est presque plus important que celui, essentiellement formel, maintenuentre le gouvernement et les assemblées. L'expression de fusion des pouvoirs rend, en somme,bien mieux compte du droit et de la pratique des systèmes représentatifs.

Document n° 5. Turpin D., Droit constitutionnel, PUF, 2003, pp. 240et s.

La remise en cause du principe

« Grande erreur de notre temps » selon l'appréciation formulée par J. Grévy en 1848, la séparationdes pouvoirs demeure, deux siècles et demi après la publication de L'Esprit des lois, le credo desdémocraties libérales, en dépit de toutes les négations et déviations dont elle a été l'objet, ou peut-être à cause de celles-ci.

A. Les négations du principe

D'abord la preuve de ses vertus pour assurer la liberté des gouvernés a été apportée a contrariopar les régimes qui l'ont niée en se fondant sur la notion d'unité du pouvoir d'État, qu'il s'agisse desrégimes « conventionnels » basés sur une pyramide de délégations, du peuple souverain à uneassemblée sous contrôle tenant elle-même en lisière un exécutif commis, qui a débouché sur laTerreur en 1793 et sur le totalitarisme en Union soviétique après 1917, la Convention ayant dûcéder la place au Comité de salut public et à Robespierre tout comme les Soviets au Parti uniqueet à Staline ; ou de ceux ayant cherché à regrouper toutes les énergies en un « faisceau »convergent pour assurer la supériorité d'un État (fascisme) ou d'une race (nazisme) sur les autres,derrière un chef charismatique (Duce, Führer) concentrant entre ses mains tous les pouvoirs.Aujourd'hui, à l'Est comme dans le tiers monde, on commence à remplacer le parti unique par desexpériences de pluralisme (en Afrique noire notamment, à l'exemple du Sénégal mais aussi duBénin depuis février 1990) et à rétablir le principe de séparation des pouvoirs dans lesConstitutions (par exemple en Algérie, après celle du 19 novembre 1976 qui le niait, dans celle du23 février 1989, malheureusement suspendue depuis).

B. Les déviations du principe

Certes, les régimes fondés sur la séparation des pouvoirs ont aussi connu des déviations qui lesont parfois quelque peu déconsidérés en détruisant l'équilibre initial sur lequel ils étaient fondés :sous les IIIe-IVe Républiques françaises à partir de la crise du 16 mai 1877 par exemple, ladésuétude dans laquelle est tombé le droit de dissolution alors même que la mise en jeu de laresponsabilité gouvernementale était facilitée a transformé le régime parlementaire en une espècede « régime d'assemblée », dans la République des députés (R. Priouret), lorsque les représentantsde la nation souveraine se sont mués en représentants souverains de la nation, à la fois tout-puissants pour détruire (renverser les gouvernements) et impuissants pour conduire une politique

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cohérente du fait de la division des partis et de l'absence de majorité stable4. À l'inverse, le régimeprésidentiel s'est bien souvent dévoyé en « présidentialismes » caractérisés par la prépondérancede chefs d'État élus plus ou moins démocratiquement au suffrage universel et des Parlementsréduits au rôle de chambres d'enregistrement5.

D'autre part, on a soutenu que cette classification des régimes à partir des modalités d'applicationdu principe de séparation des pouvoirs « présente toutes sortes de faiblesses : elle heurte lalogique ; elle n'enseigne rien ; elle repose sur le pré-supposé absurde que les régimes purs sont desêtres réels »6. Et il est vrai qu'après avoir d'abord construit les catégories à partir de régimesconcrets – le régime américain étant baptisé « présidentiel » et le britannique du XVIIIe siècle« parlementaire » – on a ensuite présenté ces régimes comme des applications plus ou moinsparfaites de ces sortes de « types idéaux », expliquant de surcroît qu'ils n'étaient viables enpratique que parce qu'ils s'écartaient du modèle : par exemple, des régimes présentant desstructures apparemment analogues, tels les régimes prétendus « conventionnels » de la Suisse etde l'Union soviétique jusqu'en 1988, n'ont en réalité aucun point commun. Par ailleurs, si l'on définitle régime parlementaire comme étant celui qui assure la responsabilité politique du gouvernementdevant le Parlement, on s'aperçoit que celle-ci existe de facto aux États-Unis mais non en Grande-Bretagne, du fait du « two-party system » et du mode de scrutin (le Premier ministre, sûr de samajorité, ne redoutant nullement d'être censuré). De même, si l'on définit le régime présidentielcomme étant celui qui assure aux deux pouvoirs, législatif et exécutif, spécialisation etindépendance, on constate que cela ne correspond pas au régime américain, qui en constituecependant le seul exemple d'application (pas plus que le président n'y est élu au suffrage universeldirect, second critère du régime présidentiel). Enfin, de nombreux régimes politiques ne peuventrentrer dans cette classification théorique, possédant à la fois l'élection présidentielle au suffrageuniversel et la responsabilité politique du gouvernement, telle la Ve République françaisenotamment, et on doit alors se réduire à les qualifier de régimes « mixtes », « bâtards », sui generis,« mi-parlementaires, mi-présidentiels », voire « ni parlementaires ni présidentiels », ou encore« semi-présidentiels » ou « parlementaires à correctif présidentiel »7, ce qui n'est guère satisfaisantet pousse certains esprits à exiger la révision de la Constitution afin de la faire coïncider aumodèle théorique (soit par retour au régime parlementaire après suppression de l'électionprésidentielle, soit par accession au « véritable » régime présidentiel après suppression du postede Premier ministre, de la responsabilité gouvernementale et du droit de dissolution).

Maurice Hauriou8, pour sa part, envisageait une séparation entre, par ordre hiérarchique, lespouvoirs « exécutif », « délibératif » et enfin « de suffrage », « consistant à accepter ou à ne pasaccepter une proposition faite ou une décision prise par un autre pouvoir », selon une conceptionréductrice qui limite le pouvoir du peuple à une fonction épisodique de nomination oud'approbation.

Mais, en fin de compte, quel que soit l'intérêt de ces critiques, il reste que, si ses modalités ont puchanger, l'intention fondamentale qui a présidé à l'instauration de la séparation des pouvoirs chezAristote, Locke ou Montesquieu est aujourd'hui plus actuelle que jamais : la vieille distinction entrepouvoirs législatif, exécutif et judiciaire a peut-être fait long feu, du moins pour les deux premiers à

4. Cf. également l'Italie, l'Israël, l'Union indienne (où 40 partis sont représentés au Parlement), etc.5. Cf. Lambert (J.), « La transposition du régime présidentiel hors des États-Unis : le cas de l'Amérique latine », RFSP, 1963/3, p. 577 et s. ; Conac (G.), « Pour une théorie du présidentialisme : quelques réflexions sur les présidentialismes latino-américains », Mélanges Burdeau, 1977, p. 115 et s. [...]6. Troper (M.), « Les classifications en droit constitutionnel », RDP, 1989, p. 945.7. Cf. de Gaulle, le 11-4-1961 : « Notre Constitution est à la fois parlementaire et présidentielle. » Ibid, G. Pompidou, le 16 mars 1972, se félicitant du caractère « bâtard » du régime (dans Le Nœud gordien, 1974, p. 68, il confirmait que « les » corniauds « sont souvent plus intelligents que les chiens de pure race »). [...] 8. Précis de droit constitutionnel, Sirey, 1929, p. 351 [...]

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cause du phénomène majoritaire, mais c'est bien toujours la séparation des pouvoirs qui constituele critère permettant de distinguer les démocraties des autres régimes politiques : séparation entrepouvoir majoritaire et opposition tout d'abord, c'est-à-dire entre régimes pluralistes ou de partiunique. Séparation entre pouvoir politique et contre-pouvoirs ensuite : partis, associations, groupesde défense, collectivités locales, presse, audiovisuel, intelligentsia, pouvoir de l'argent, etc., dans les« polyarchies » modernes. Séparation enfin entre pouvoir d'action (unique par définition) etpouvoirs de contrôle, le Parlement devant à notre avis chercher à renforcer cette fonction plutôtque de s'épuiser à concurrencer les gouvernements dans l'exercice d'une fonction normative àlaquelle ils paraissent de moins en moins bien adaptés.

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Séance de travaux dirigés n° 7 : Galop d'essai

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Introduction au Droit constitutionnel(Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 8 : Les États-Unis d'Amérique

Document n° 1. Tunc, A., « Le couple Président-Congrès dans la vie politiquedes États-Unis d’Amérique », dans Mélanges Burdeau, LGDJ, 1977, pp. 561-571(extraits).

Document n° 2. Rials, S., « Régime ‘congressionnel’ ou régime ‘présidentiel’ ?Les leçons de l’histoire américaine », Pouvoirs, 1984, n° 29, pp. 35-47 (extraits).

Document n° 3. De Villiers M., Le Divellec A., « Régime présidentiel », dansDictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, p. 319.

Document n° 4. Constitution du 17 septembre 1787, tiré de S. Rials, D.Baranger, prés., Textes constitutionnels étrangers, PUF, coll. ‘Que sais-je ?’, 2001,pp. 26-36 (extraits).

Document n° 5., de Tocqueville, A., De la démocratie en Amérique, Livre 1, 1ère partie, chapitre VI (extraits)

Dissertation : Le Président des États-Unis dans la Constitution de1787

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Document n° 1. Tunc, A., « Le couple Président-Congrès dans la viepolitique des États-Unis d’Amérique », dans Mélanges Burdeau, LGDJ,1977, pp. 561-571 (extraits).

« […] ‘Le régime américain, écrit Jacques Cadart dans l’intéressant bilan qu’il établit de la viepolitique des Etats-Unis, fonctionne de manière curieuse au moyen de techniquesconstitutionnelles ou paraconstitutionnelles qui sont souvent sources de conflits et de crises’. Ilnote le ‘fonctionnement très saccadé du régime… Il n’y a pratiquement jamais, écrit-il, de périodeprolongée de fonctionnement véritablement souple tant les saccades sont permanentes’.

Les tensions habituelles dans le couple Président-Congrès pourraient être bénéfiques. Nous avionssuggéré que le système politique américain offrait un excellent schéma de conciliation des deuxéléments de la vie publique : le ‘techniquement désirable’ et le ‘politiquement possible’. Seulel’administration, à nos yeux et nous avons dit pourquoi, semble susceptible de trouver letechniquement désirable. Mais, en son sein même, des avis divergents peuvent se faire jour. Aprèsarbitrage à l’intérieur de chaque département ministériel, il appartient éventuellement au Présidentde départager ses secrétaires. De toute manière, le Président, l’élu du peuple en pratique, est unanimal essentiellement politique (sauf le cas exceptionnel où il est mis en place par un parti,comme ce fut le cas d’Eisenhower). Il est donc susceptible de pressentir que le techniquementdésirable n’est pas politiquement possible et de bloquer un projet ou demander à ses techniciensde le revoir.

Il est bon, pourtant, que le techniquement désirable, même contrôlé par un Président politique, nepuisse devenir loi sur un fiat de celui-ci. D’abord parce qu’il arrive aux techniciens de se tromper.Et, d’autre part, parce que la démocratie, selon le mot bien connu, n’est la forme de gouvernementla plus mauvaise qu’après toutes les autres. Une participation du citoyen à la vie publique estsouhaitable, autre que celle qui résulte de défilés, de manifestations de masse et de votes à 99%.Autrement, le citoyen laisse un maître disposer de son destin. Il est donc heureux que leprogramme présidentiel, essentiellement contenu au début de chaque année dans le discours surl’état de l’Union, soit soumis, sinon au peuple, du moins au Congrès, qui reflète les sentiments decelui-ci. Le Congrès n’est d’ailleurs pas plus purement politique que l’administration n’est purementtechnicienne. Ses commissions sont capables d’un travail sérieux – exceptionnellement,d’élaboration d’une loi, mais plus couramment de contrôle, et éventuellement, d’amendements d’unprojet gouvernemental. Ses floor leaders se voient expliquer la politique présidentielle, et parfoisconfier des informations qui leur permettent de la mieux comprendre.

Les institutions politiques américaines offrent donc l’image d’une ogive. Les deux piliers du‘technique’ et du ‘politique’ se rapprochent l’un de l’autre à partir d’une certaine hauteur, trouvantleur clé de voûte dans le Président. C’est à ce dernier qu’il incombe d’assurer l’équilibre entre desforces souvent opposées. Non content de présenter au Congrès un programme d’action, il doit lefaire comprendre, aider à son adoption par les multiples moyens de pression dont il dispose, de laconférence de presse ou du discours télévisé à la promesse ou à la menace confidentielle, élaborerdes compromis, manoeuvrer sans cesse. Convaincre et persuader le Congrès revient, en gros, àconvaincre et persuader l’opinion publique, donc à assurer à la fois la direction de la Nation et lemouvement dans la nation d’idées diverses.

Ce tableau – dont on voit la place qu’il donne au Président – est, sinon idyllique, car il ne cache pasles tensions de la vie politique, au moins très séduisant. Dès la première édification de notreouvrage, nous n’avions pas caché ses imperfections, en particulier la faiblesse du Congrès et lapauvreté des débats, la médiocrité de la presse lue par l’immense majorité des citoyens,l’importance enfin du Président, dont la qualité est susceptible des plus grandes variations […].

Il est une autre possibilité qu’il ne faut pas absolument rejeter : c’est que le monde, dans les

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décennies à venir, devienne de plus en plus ingouvernable, tant au niveau des nations que sur le planinternational. Un nombre considérable de facteurs pourraient produire le phénomène :l’interdépendance d’une multitude d’éléments dans tous les grands problèmes de l’heure, lamontée des exigences impatientes, intolérantes et intransigeantes, souvent intrinsèquementcontradictoires, le refus du partage de la plupart des possédants, le déclin relatif de l’écriture auprofit d’une diffusion audio-visuelle ou purement auditive des idées, la contestation systématiquede toute autorité dans les pays où cette contestation peut s’exprimer, la puissance des moyens dedestruction dont peuvent s’emparer des minorités radicales. Il n’est pas certain que nousretournions à la barbarie, fût-ce pour quelques décennies. Mais, si l’avenir de la vie politiqueaméricaine peut susciter l’inquiétude, est-il un pays sur terre qui offre aujourd’hui un spectacleréconfortant ? ».

Document n° 2. Rials, S., « Régime ‘congressionnel’ ou régime‘présidentiel’ ? Les leçons de l’histoire américaine », Pouvoirs, 1984,n° 29, pp. 35-47 (extraits).

« […] Pour un esprit cartésien, les armes des partenaires institutionnels étant assez clairementposées dans le texte de 1787, il ne saurait être impossible de bâtir un modèle stable des relationsentre le Président et le Congrès. Ce modèle, c’est peu douteux, devrait à bon droit être dit‘congressionnel’. Et pourtant, aujourd’hui, en dépit des secousses récentes, une telle qualification –certes grosse d’enseignements qu’on aurait tort d’oublier – ne rend pas compte de la réalité. L’onse prend à songer, par analogie, à la fameuse phrase de Tocqueville sur le judiciaire américain : ‘Cequ’un étranger comprend avec le plus de peine, aux Etats-Unis, c’est l’organisation judiciaire. Il n’y apour ainsi dire pas d’événement politique dans lequel il n’entende invoquer l’autorité du juge ; et ilen conclut naturellement qu’aux Etats-Unis le juge est une des premières puissances politiques.Lorsqu’il vient ensuite à examiner la constitution des tribunaux, il ne leur découvre, au premierabord, que des attributions et des habitudes judiciaires. A ses yeux, le magistrat ne semble jamaiss’introduire dans les affaires publiques que par hasard ; mais ce même hasard revient tous les jours’.

N’en va-t-il pas en gros de même pour la présidence ? Les prérogatives du Congrès sontécrasantes. Il peut refuser de voter les textes ou de consentir les crédits nécessaires à l’actionprésidentielle. Il peut harceler l’administration par le truchement de ses puissantes commissions. LeSénat a le loisir de ne pas ratifier les traités ou de ne pas entériner un nombre de plus en plusnombreux de nominations (celle par exemple du directeur de l’Office of Management and Budgetdepuis 1974). Par le veto législatif, le Congrès peut s’immiscer dans l’exécution des lois quiprévoient cette procédure. Il est vrai que cette technique a été mise à mal par la Cour suprême enjuin 1983 (arrêt Chadha). Dans des cas limites – mais assez vagues puisque la Constitution vise leshigh crimes and misdemeanors –, la procédure d’impeachment peut être mise en oeuvre et lesprécédents de Andrew Johnson et Richard Nixon montrent que Hauriou n’avait pas tort de jugerque la responsabilité dite ‘pénale’ est en vérité toujours ‘politico-pénale’.

En face, le président est nu – ou presque. Le droit de message n’est qu’une occasion de persuader.Le veto est une prérogative limitée et, par son caractère global, assez peu maniable, même s’il estvrai que la menace de son emploi joue un rôle permanent auprès des chambres. Les executiveagreements, dont la technique a été légèrement aménagée par le Case Act de 1972 (inégalementappliqué), ne sont qu’une tolérance, certes fort large. Le ‘privilège de l’exécutif ’ – cette autreinvention de la pratique – s’est sérieusement effiloché depuis la décision de la Cour suprême US v.Nixon de 1974 qui, en dépit de la doctrine des questions politiques, a dénié au Président traqué lapossibilité de se réfugier derrière son invocation pour refuser de livrer les fameuses bandes.

La question se pose donc de savoir pourquoi le Congrès consent au Président une latitude d’actionqui, même si elle a décliné dans les années soixante-dix par rapport à la période antérieure,

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demeure aussi consistante. Et à quelles conditions ? La réponse nous semble devoir êtrerecherchée essentiellement dans les relations de la Maison-Blanche avec le peuple. Il est notableque la ‘présidentialisation’ ait accompagné la démocratisation de l’élection présidentielle, qu’auXIXe siècle les Présidents forts aient été ceux qui jouissaient d’un large appui populaire – ainsiJackson – et que le développement de la présidence moderne ait suivi celui des moyens decommunication de masse qui favorisent la personnalisation du pouvoir. Le Président, tant qu’il nefait pas d’erreur majeure et s’il jouit d’une suffisante envergure, bénéficie du relatif discrédit danslequel sont tenus les politiciens aux Etats-Unis et du fait que l’esprit national de ce pays fédérals’incarne volontiers dans un homme, surtout depuis que la mission extérieure de la grandedémocratie est mieux ressentie par les citoyens. On ajoutera enfin que de guerres en crises,certaines habitudes mentales ont été prises qui demeurent à l’état un capital historique favorableau leadership présidentiel.

C’est dire l’importance du facteur personnel. On le retrouve dans l’aptitude au 'marchandage’ quiest l’une des qualités essentielles du Président efficace, quelle que soit la couleur politique duCongrès. Truman se voyait ainsi : ‘Je reste assis toute la journée à essayer de persuader des gens defaire ce qu’ils devraient avoir le bon sens de faire sans que j’aie besoin de les persuader’. La‘carotte’ et le ‘bâton’ doivent être utilisés alternativement. Tous les moyens informels sont mis enoeuvre – invitations, favoritisme, lobbying… Où l’on comprend que dans un régime que l’on dit‘présidentiel’, le Congrès apparaisse aussi puissant. Incapable d’agir sans doute, il peut toutempêcher. Si le soutien populaire au Président s’estompe durablement, ou si ce dernier commettrop d’erreurs dans le maniement des chambres, la lettre de la Constitution peut reprendre à toutmoment une certaine actualité ».

Document n° 3. De Villiers M., Le Divellec A., « Régimeprésidentiel », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd.,Sirey, 2015, p. 319.

Régime présidentiel. Appellation relativement récente, ayant remplacé entre les deux guerres cellede gouvernement présidentiel, et, bien que trompeuse, ne s’appliquant rigoureusement qu’au seulrégime politique des Etats-Unis. Il faut ajouter que la théorie du régime présidentiel n’a été faiteque bien après que la Constitution de 1787 qui, selon les termes mêmes employés par John QuincyAdams, ‘fut extorquée sous l’empire de la nécessité à une nation récalcitrante’, ait été adoptée.

Dégagé de sa relation au fédéralisme, et en laissant de côté le rôle si important cependant de laCour suprême, le principe mis en oeuvre par la Constitution de 1787, qui est une transpositionrépublicaine de la monarchie limitée, est que le président ne peut agir si un accord n’est pas trouvéentre trois organes élus distinctement, pour des durées différentes (le président pour 4 ans, lesreprésentants pour 2 ans, et les sénateurs pour 6 ans), et entre lesquels n’existent pas deprocédures de révocabilité mutuelle : l’exécutif n’est pas responsable devant le législatif, qui ne peutêtre dissous. En d’autres termes, il y a contrairement à la plupart des régimes parlementaires, deuxexpressions de la souveraineté, données par les élections présidentielles et les élections législatives(et même trois si on distingue les élections à la chambre des représentants et les élections auSénat). L’exécutif n’est donc pas l’émanation du Parlement, et la séparation ainsi établie estcomplétée par une règle d’incompatibilité absolue qui interdit à tout agent de l’exécutif d’êtremembre du Congrès. Mais parce que le président ne peut gouverner si le Congrès ne lui en donnepas les moyens (notamment financiers), et que les lois votées par le Congrès ne peuvent êtreappliquées si le président leur oppose son veto, ils sont obligés de s’entendre, ce qui finit toujourspar se produire. Montesquieu, définissant sa constitution idéale (devant comporter un roi, unechambre haute et une chambre basse) avait lumineusement anticipé cette logique du régimeprésidentiel : ‘ces trois puissances devraient former un repos ou une inaction, mais comme, par le

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mouvement nécessaire des choses, elles sont contraintes d’aller, elles iront de concert’ (De l’Espritdes Lois, livre XI, chapitre VI). Il est donc paradoxal que la fonction présidentielle ait été retenuepour qualifier le régime américain, alors que c’est beaucoup plus sûrement un régime denégociation permanente entre le président et le Congrès, ou encore, selon une formule classique,un régime de ‘freins et contrepoids’ (checks and balances).

Document n° 4. Constitution du 17 septembre 1787, tiré de S. Rials,D. Baranger, prés., Textes constitutionnels étrangers, PUF, coll. ‘Quesais-je ?’, 2001, pp. 26-36 (extraits).

« Article premier [Département législatif].

Section 1 [Congrès]

Tous les pouvoirs législatifs accordés par la présente constitution seront attribués à un Congrèsdes Etats-Unis, qui se composera d’un Sénat et d’une chambre des Représentants.

Section 2 [Chambre des représentants]

La chambre des Représentants sera composée de membres choisis tous les deux ans par le peupledes divers Etats, et les électeurs dans chaque Etat devront posséder les qualifications requises desélecteurs de la branche la plus nombreuse de la législature de l’État.

Nul ne pourra être représentant s’il n’a atteint l’âge de vingt-cinq ans, s’il n’est depuis sept anscitoyen des Etats-Unis, et s’il ne réside, au moment de son élection, dans l’Etat où il est désigné

La chambre des représentants désignera son président (speaker) et ses autres agents ; et elle aurale pouvoir exclusif de mise en accusation devant le Sénat (power of impeachment).

Section 3 [Sénat]

Le Sénat des Etats-Unis sera composé de deux sénateurs de chaque Etat, élus par le peuple de cetEtat pour six ans9 ; et chaque sénateur aura une voix.

Immédiatement après qu’ils se seront assemblés par suite de leur première élection, les sénateursseront partagés, aussi également que possible, en trois classes. Les sièges des sénateurs de lapremière classe seront vacants à l'expiration de la seconde année, ceux de la deuxième classe àl'expiration de la quatrième année et ceux de la troisième classe à l'expiration de la sixième année,de telle sorte qu'un tiers soit désigné tous les deux ans.

Nul ne pourra être sénateur s’il n’a atteint l’âge de trente ans, s’il n’est depuis neuf ans citoyen desEtats-Unis, et s’il ne réside, au moment de son élection, dans l’Etat pour lequel il est désigné.

Le vice-président des Etats-Unis sera président du Sénat, mais n’aura pas de droit de vote, à moinsd’égal partage des voix.

Le Sénat désignera ses autres agents, ainsi qu’un président pro tempore pour remplacer le vice-président en l’absence de celui-ci ou quand il exercera les fonctions de Président des Etats-Unis.

Le Sénat aura le pouvoir exclusif de juger toutes les mises en accusation (all impeachments). Quand

9. Avant la révision constitutionnelle de 1913 (27e amendement à la Constitution), les sénateurs étaient « choisis pour six ans par la législature de chacun [des Etats] ».

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il siégera à cet effet, ses membres prêteront serment ou feront une déclaration solennelle. Quandle Président des Etats-Unis est jugé, le président de la Cour suprême (Chief Justice) présidera. Et nulne sera déclaré coupable sans l’accord des deux tiers des membres présents.

La sentence dans les affaires d’impeachment ne pourra excéder la destitution et l’incapacité de teniret de bénéficier de toute fonction honorifique, de confiance ou rémunérée relevant des Etats-Unis.Toutefois, la partie déclarée coupable n’en sera pas moins responsable et sujette à accusation,procès, jugement et punition, conformément à la loi […].

Section 7 [Procédure législative et veto]

Toutes propositions de lois (Bills) concernant la levée d’un impôt devront émaner de la Chambredes représentants ; mais le Sénat pourra proposer ou consentir des amendements, comme pourles autres propositions de loi.

Chaque proposition de loi adoptée par la Chambre des représentants et par le Sénat devra, avantd’acquérir force de loi (become a law), être présentée au Président des Etats-Unis ; si celui-cil’approuve, il la signera ; sinon, il la renverra, avec ses objections, à la chambre dont elle émane,laquelle consignera lesdites objections intégralement dans son procès-verbal et procédera à unnouvel examen de la proposition. Si, après ce nouvel examen, les deux tiers des membres de cettechambre s’accordent pour faire passer la proposition de loi, elle sera transmise, avec les objectionsl’accompagnant, à l’autre chambre, qui l’examinera de la même manière à nouveau, et si les deuxtiers des membres de celle-ci l’approuvent elle aura force de loi. Mais en pareil cas, les votes desdeux chambres seront comptés par ‘oui’ et par ‘non’, et les noms des membres votant pour etcontre le projet seront consignés au procès-verbal de chaque chambre respectivement. Si uneproposition n’était pas renvoyée par le Président dans les dix jours (dimanches non compris) aprèsqu’elle lui eut été présentée, elle deviendrait loi, comme si le Président l’avait signée, à moins que leCongrès, par son ajournement, n’en empêche le renvoi, auquel cas la proposition n’aurait pas forcede loi.

Chaque ordre, résolution ou vote pour lequel le concours du Sénat et de la Chambre desreprésentants peut être nécessaire (sauf en matière d’ajournement) devra être présenté auPrésident des Etats-Unis ; et avant de devenir exécutoire, il devra être approuvé par lui, ou, s’il ledésapprouve, être voté à nouveau par les deux tiers du Sénat et de la Chambre des représentantssuivant les règles et les limitations prescrites pour les propositions de loi […].

Article 2 [Département exécutif]

Section 1 [Nomination du Président]

Le pouvoir exécutif sera confié à un Président des Etats-Unis d’Amérique. Il occupera ses fonctionspendant un mandat de quatre ans et, conjointement avec le vice-président, dont le mandat sera demême durée, sera élu de la manière suivante :

Chaque Etat désignera, de la manière décidée par sa législature, un nombre d’électeurs égal aunombre total de sénateurs et de représentants auquel il a droit au Congrès ; mais aucun sénateurou représentant, ni aucune personne tenant des Etats-Unis une fonction de confiance ourémunérée ne pourra être désigné comme électeur […].

Le Congrès pourra fixer l’époque où les électeurs seront choisis et le jour où ils devront voter ;lequel jour sera le même dans toute l’étendue des Etats-Unis.

Nul ne sera éligible aux fonctions de Président s’il n’est citoyen de naissance, ou citoyen des Etats-

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Unis au moment de l’adoption de la présente Constitution, s’il n’a trente-cinq ans révolus et n’estrésident aux Etats-Unis depuis quatorze ans.

En cas de destitution, de mort, de démission ou d’incapacité du président à s’acquitter despouvoirs et devoirs de sa charge, ceux-ci seront dévolus au vice-président. Et le Congrès pourra,par une loi, pourvoir en cas de destitution, de mort, de démission ou d’incapacité à la fois duPrésident et du vice-président en désignant l’agent qui fera alors fonction de Président, lequel agentremplira ladite fonction jusqu’à cessation de l’incapacité ou élection d’un Président.

Le Président recevra, à échéances fixes, pour ses services, une indemnité qui ne sera ni augmentéeni diminuée pendant son mandat, et il ne recevra, pendant cette période, aucun autre émolumentdes Etats-Unis ou de l’un des Etats.

Avant d’entrer en fonctions, il prêtera le serment ou prononcera la déclaration solennelle qui suit :‘Je jure (ou déclare) solennellement que je remplirai fidèlement les fonctions de Président desEtats-Unis et que, dans toute la mesure de mes moyens, je sauvegarderai, protégerai et défendrai laConstitution des Etats-Unis’.

Section 2 [Pouvoirs du Président].

Le Président sera commandant en chef de l’armée et de la marine des Etats-Unis, et de la milicedes divers Etats quand celle-ci sera appelée au service actif des Etats-Unis ; il peut requérirl’opinion, par écrit, du principal agent de chacun des départements exécutifs, sur tout sujet relatifaux responsabilités de ses services, et il aura le pouvoir d’accorder des remises de peine et desgrâces pour délits (offences) contre les Etats-Unis, sauf dans les affaires d’impeachment.

Il aura le pouvoir, sur l’avis conforme (with advice and consent) du Sénat, de conclure des traités,pourvu que les deux tiers des sénateurs présents donnent leur accord ; et il présentera au Sénatet, sur l’avis conforme de ce dernier, nommera les ambassadeurs, les autres ministres et les consuls,les juges de la Cour suprême, et tous les autres agents des Etats-Unis dont la nomination n’est pasautrement prévue par la présente Constitution, et qui seront établis par la loi ; mais le Congrèspeut, s’il le juge opportun, investir par une loi le Président seul, les cours de justice ou les chefs dedépartements, de la nomination de tels agents inférieurs.

Le Président aura le pouvoir de pourvoir à toutes vacances qui viendraient à se produire dansl’intervalle des sessions du Sénat en accordant des commissions qui expieront à la fin de la sessionsuivante.

Section 3 [Obligations et pouvoirs du Président].

Il informera périodiquement le Congrès de l’état de l’Union, et recommandera à sa réflexion tellesmesures qu’il estimera nécessaires et opportunes ; il peut, dans des circonstances extraordinaires,convoquer les deux chambres ou l’une d’elles et, en cas de désaccord entre elles en ce quiconcerne le moment de leur ajournement, il peut les ajourner à tel moment qu’il juge convenable ;il recevra les ambassadeurs et autres ministres ; il veillera à ce que les lois soient fidèlementexécutées, et commissionnera tous les agents des Etats-Unis.

Section 4 [Impeachment].

Le Président, le vice-président et tous les agents civils des Etats-Unis seront destitués de leursfonctions sur mise en accusation (impeachment) et condamnation pour trahison, corruption ouautres hauts crimes et délits (treason, bribery, or other high Crimes and Misdemeanors).

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Document n°5. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Livre 1, 1ère partie, chapitre VI (extraits)

J'ai cru devoir consacrer un chapitre à part au pouvoir judiciaire. Son importance politique est sigrande qu'il m'a paru que ce serait la diminuer aux yeux des lecteurs que d'en parler en passant.

Il y a eu des confédérations ailleurs qu'en Amérique ; on a vu des républiques autre part que sur lesrivages du Nouveau Monde ; le système représentatif est adopté dans plusieurs États de l'Europe;mais je ne pense pas que, jusqu'à présent, aucune nation du monde ait constitué le pouvoirjudiciaire de la même manière que les Américains.

Ce qu'un étranger comprend avec le plus de peine, aux États-Unis, c'est l'organisation judiciaire. Iln'y a pour ainsi dire pas d'événement politique dans lequel il n'entende invoquer l'autorité du juge;et il en conclut naturellement qu'aux États-Unis le juge est une des premières puissances politiques.Lorsqu'il vient ensuite à examiner la Constitution des tribunaux, il ne leur découvre, au premierabord, que des attributions et des habitudes judiciaires. À ses yeux, le magistrat ne semble jamaiss'introduire dans les affaires publiques que par hasard; mais ce même hasard revient tous les jours.

Lorsque le Parlement de Paris faisait des remontrances et refusait d'enregistrer un édit; lorsqu'ilfaisait citer lui-même à sa barre un fonctionnaire prévaricateur, on apercevait à découvert l'actionpolitique du pouvoir judiciaire. Mais rien de pareil ne se voit aux États-Unis.

Les Américains ont conservé au pouvoir judiciaire tous les caractères auxquels on a coutume de lereconnaître. Ils l'ont exactement renfermé dans le cercle où il a l'habitude de se mouvoir.

Le premier caractère de la puissance judiciaire, chez tous les peuples, est de servir d'arbitre. Pourqu'il y ait lieu à action de la part des tribunaux, il faut qu'il y ait contestation. Pour qu'il y ait juge, ilfaut qu'il y ait procès. Tant qu'une loi ne donne pas lieu à une contestation, le pouvoir judiciaire n'adonc point occasion de s'en occuper. Elle existe, mais il ne la voit pas. Lorsqu'un juge, à propos d'unprocès, attaque une loi relative à ce procès, il étend le cercle de ses attributions, mais il n'en sortpas, puisqu'il lui a fallu, en quelque sorte, juger la loi pour arriver à juger le procès. Lorsqu'ilprononce sur une loi, sans partir d'un procès, il sort complètement de sa sphère, et il pénètre danscelle du pouvoir législatif.

Le deuxième caractère de la puissance judiciaire est de prononcer sur des cas particuliers et nonsur des principes généraux. Qu'un juge, en tranchant une question particulière, détruise un principegénéral, par la certitude où l'on est que, chacune des conséquences de ce même principe étantfrappée de la même manière, le principe devient stérile, il reste dans le cercle naturel de son action;mais que le juge attaque directement le principe général, et le détruise sans avoir en vue un casparticulier, il sort du cercle où tous les peuples se sont accordés à l'enfermer : il devient quelquechose de plus important, de plus utile peut-être qu'un magistrat, mais il cesse de représenter lepouvoir judiciaire.

Le troisième caractère de la puissance judiciaire est de ne pouvoir agir que quand on l'appelle, ou,suivant l'expression légale, quand elle est saisie. Ce caractère ne se rencontre point aussigénéralement que les deux autres. je crois cependant que, malgré les exceptions, on peut leconsidérer comme essentiel. De sa nature, le pouvoir judiciaire est sans action ; il faut le mettre enmouvement pour qu'il se remue. On lui dénonce un crime, et il punit le coupable; on l'appelle àredresser une injustice, et il la redresse ; on lui soumet un acte, et il l'interprète ; mais il ne va pasde lui-même poursuivre les criminels, rechercher l'injustice et examiner les faits. Le pouvoir

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judiciaire ferait en quelque sorte violence à cette nature passive, s'il prenait de lui-même l'initiativeet s'établissait en censeur des lois.

Les Américains ont conservé au pouvoir judiciaire ces trois caractères distinctifs. Le juge américainne peut prononcer que lorsqu'il y a litige. Il ne s'occupe jamais que d'un cas particulier ; et, pouragir, il doit toujours attendre qu'on l'ait saisi.

Le juge américain ressemble donc parfaitement aux magistrats des autres nations. Cependant il estrevêtu d'un immense pouvoir politique.

D'où vient cela? Il se meut dans le même cercle et se sert des mêmes moyens que les autres juges;pourquoi possède-t-il une puissance que ces derniers n'ont pas ?

La cause en est dans ce seul fait : les Américains ont reconnu aux juges le droit de fonder leursarrêts sur la constitution plutôt que sur les lois. En d'autres termes, ils leur ont permis de ne pointappliquer les lois qui leur paraîtraient inconstitutionnelles.

Je sais qu'un droit semblable a été quelquefois réclamé par les tribunaux d'autres pays ; mais il neleur a jamais été concédé. En Amérique, il est reconnu par tous les pouvoirs ; on ne rencontre niun parti, ni même un homme qui le conteste.

L'explication de ceci doit se trouver dans le principe même des constitutions américaines.

En France, la Constitution est une œuvre immuable ou censée telle. Aucun pouvoir ne saurait yrien changer : telle est la théorie reçue.

En Angleterre, on reconnaît au Parlement le droit de modifier la Constitution. En Angleterre, laConstitution peut donc changer sans cesse, ou plutôt elle n'existe point. Le Parlement, en mêmetemps qu'il est corps législatif, est corps constituant.

En Amérique, les théories politiques sont plus simples et plus rationnelles.

Une Constitution américaine n'est point censée immuable comme en France ; elle ne saurait êtremodifiée par les pouvoirs ordinaires de la société, comme en Angleterre. Elle forme une œuvre àpart, qui, représentant la volonté de tout le peuple, oblige les législateurs comme les simplescitoyens, mais qui peut être changée par la volonté du peuple, suivant des formes qu'on a établies,et dans des cas qu'on a prévus.

En Amérique, la Constitution peut donc varier ; mais, tant qu'elle existe, elle est l'origine de tous lespouvoirs. La force prédominante est en elle seule.

Il est facile de voir en quoi ces différences doivent influer sur la position et sur les droits du corpsjudiciaire dans les trois pays que j'ai cités.

Si, en France, les tribunaux pouvaient désobéir aux lois, sur le fondement qu'ils les trouventinconstitutionnelles, le pouvoir constituant serait réellement dans leurs mains, puisque seuls ilsauraient le droit d'interpréter une Constitution dont nul ne pourrait changer les termes. Ils semettraient donc à la place de la nation et domineraient la société, autant du moins que la faiblesseinhérente au pouvoir judiciaire leur permettrait de le faire.

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Je sais qu'en refusant aux juges le droit de déclarer les lois inconstitutionnelles, nous donnonsindirectement au corps législatif le pouvoir de changer la Constitution, puisqu'il ne rencontre plusde barrière légale qui l'arrête. Mais mieux vaut encore accorder le pouvoir de changer laConstitution du peuple à des hommes qui représentent imparfaitement les volontés du peuple,qu'à d'autres qui ne représentent qu'eux-mêmes.

Il serait bien plus déraisonnable encore de donner aux juges anglais le droit de résister auxvolontés du corps législatif, puisque le Parlement, qui fait la loi, fait également la Constitution, etque, par conséquent, on ne peut, en aucun cas, appeler une loi inconstitutionnelle quand elle émanedes trois pouvoirs.

Aucun de ces deux raisonnements n'est applicable à l'Amérique.

Aux États-Unis, la Constitution domine les législateurs comme les simples citoyens. Elle est donc lapremière des lois, et ne saurait être modifiée par une loi. Il est donc juste que les tribunauxobéissent à la Constitution, préférablement à toutes les lois. Ceci tient à l'essence même dupouvoir judiciaire : choisir entre les dispositions légales celles qui l'enchaînent le plus étroitementest, en quelque sorte, le droit naturel du magistrat.

En France, la Constitution est également la première des lois, et les juges ont un droit égal à laprendre pour base de leurs arrêts ; mais, en exerçant ce droit, ils ne pourraient manquerd'empiéter sur un autre plus sacré encore que le leur : celui de la société au nom de laquelle ilsagissent. Ici la raison ordinaire doit céder devant la raison d'État.

En Amérique, où la nation peut toujours, en changeant sa Constitution, réduire les magistrats àl'obéissance, un semblable danger n'est pas à craindre. Sur ce point, la politique et la logique sontdonc d'accord, et le peuple ainsi que le juge y conservent également leurs privilèges.

Lorsqu'on invoque, devant les tribunaux des États-Unis, une loi que le juge estime contraire à laConstitution, il peut donc refuser de l'appliquer. Ce pouvoir est le seul qui soit particulier aumagistrat américain, mais une grande influence politique en découle.

Il est, en effet, bien peu de lois qui soient de nature à échapper pendant longtemps à l'analysejudiciaire, car il en est bien peu qui ne blessent un intérêt individuel, et que des plaideurs nepuissent ou ne doivent invoquer devant les tribunaux.

Or, du jour où le juge refuse d'appliquer une loi dans un procès, elle perd à l'instant une partie desa force morale. Ceux qu'elle a lésés sont alors avertis qu'il existe un moyen de se soustraire àl'obligation de lui obéir: les procès se multiplient, et elle tombe dans l'impuissance. Il arrive alorsl'une de ces deux choses: le peuple change sa Constitution ou la législature rapporte sa loi.

Les Américains ont donc confié à leurs tribunaux un immense pouvoir politique ; mais en lesobligeant à n'attaquer les lois que par des moyens judiciaires, ils ont beaucoup diminué les dangersde ce pouvoir.

Si le juge avait pu attaquer les lois d'une façon théorique et générale ; s'il avait pu prendre l'initiativeet censurer le législateur, il fût entré avec éclat sur la scène politique; devenu le champion oul'adversaire d'un parti, il eut appelé toutes les passions qui divisent le pays à prendre part à la lutte.Mais quand le juge attaque une loi dans un débat obscur et sur une application particulière, ildérobe en partie l'importance de l'attaque aux regards du public. Son arrêt n'a pour but que de

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frapper un intérêt individuel ; la loi ne se trouve blessée que par hasard.

D'ailleurs, la loi ainsi censurée n'est pas détruite : sa force morale est diminuée, mais son effetmatériel n'est point suspendu. Ce n'est que peu à peu, et sous les coups répétés de lajurisprudence, qu'enfin elle succombe.

De plus, on comprend sans peine qu'en chargeant l'intérêt particulier de provoquer la censure deslois, en liant intimement le procès fait à la loi au procès fait à un homme, on s'assure que lalégislation ne sera pas légèrement attaquée. Dans ce système, elle n'est plus exposée auxagressions journalières des partis. En signalant les fautes du législateur, on obéit à un besoin réel: onpart d'un fait positif et appréciable, puisqu'il doit servir de base à un procès.

Je ne sais si cette manière d'agir des tribunaux américains, en même temps qu'elle est la plusfavorable à l'ordre public, n'est pas aussi la plus favorable à la liberté.

Si le juge ne pouvait attaquer les législateurs que de front, il y a des temps où il craindrait de lefaire; il en est d'autres où l'esprit de parti le pousserait chaque jour à l'oser. Ainsi il arriverait queles lois seraient attaquées quand le pouvoir dont elles émanent serait faible, et qu'on s'ysoumettrait sans murmurer quand il serait fort ; c'est-à-dire que souvent on attaquerait les loislorsqu'il serait le plus utile de les respecter, et qu'on les respecterait quand il deviendrait faciled'opprimer en leur nom.

Mais le juge américain est amené malgré lui sur le terrain de la politique. Il ne juge la loi que parcequ'il a à juger un procès, et il ne peut s'empêcher de juger le procès. La question politique qu'il doitrésoudre se rattache à l'intérêt des plaideurs, et il ne saurait refuser de la trancher sans faire undéni de justice. C'est en remplissant les devoirs étroits imposés à la profession du magistrat qu'ilfait l'acte du citoyen. Il est vrai que, de cette manière, la censure judiciaire, exercée par lestribunaux sur la législation, ne peut s'étendre sans distinction à toutes les lois, car il en est qui nepeuvent jamais donner lieu à cette sorte de contestation nettement formulée qu'on nomme unprocès. Et lorsqu'une pareille contestation est possible, on peut encore concevoir qu'il ne serencontre personne qui veuille en saisir les tribunaux.

Les Américains ont souvent senti cet inconvénient, mais ils ont laissé le remède incomplet, de peurde lui donner, dans tous les cas, une efficacité dangereuse.

Resserré dans ses limites, le pouvoir accordé aux tribunaux américains de prononcer surl'inconstitutionnalité des lois forme encore une des plus puissantes barrières qu'on ait jamaisélevées contre la tyrannie des Assemblées politiques.

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel(Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 9 : Le Royaume-Uni

Document n° 1. Berrington, H., « La stabilité institutionnelle masque-t-elleune société en crise ? », Pouvoirs, 1986, n° 37, pp. 17-21 (extraits).

Document n° 2. Lee, M., « Fonctionnement du gouvernement et rôle dupremier ministre sous Mme Thatcher », Pouvoirs, 1986, n° 37, pp. 45-56(extraits).

Document n° 3. « Au service de sa Majesté », dans Les institutions de la Grande-Bretagne, La documentation française, 1994, p. 29.

Document n° 4. De Villiers M., Le Divellec A., « Régime parlementaire », dansDictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, pp. 315-318.

Document n° 5. Walter Bagehot, La Constitution anglaise, traduit par M.Gaulhiac, Paris, Germer Baillière, 1869, pp. 14 et 21

Document n° 6a. Parliament Act du 18 août 1911 ;Document n° 6b. Parliament Act du 16 décembre 1949, tirés de S. Rials, J.Boudon, prés., Textes constitutionnels étrangers, PUF, coll. ‘Que sais-je ?’, 13e

édition, 2009, pp. 11-17 (extraits).

Document n° 7. La loi sur la Chambre des Lords du 11 novembre 1999, tirée deS. Rials, J. Boudon, prés., Textes constitutionnels étrangers, PUF, coll. ‘Que sais-je ?’, 13e édition, 2009, pp. 20-21 (extraits).

Document n° 8. Bill of Rights (« Une loi ayant pour objet de déclarer les droits et libertés des sujets et d'établir la succession de la Couronne »), 16 décembre 1689 (extraits), ibid.

Commentaire de texte : Document n° 5

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Document n° 1. Berrington, H., « La stabilité institutionnellemasque-t-elle une société en crise ? », Pouvoirs, 1986, n° 37, pp. 17-21 (extraits).

« Pour garder le pouvoir, les Gouvernements britanniques doivent préserver la confiance de laChambre des Communes et, pour faire voter les lois, il leur faut un soutien loyal et homogèned’une majorité à la chambre. Ce que l’on entend par ‘confiance de la Chambre des Communes’ estlongtemps resté incertain. A un extrême, certaines interprétations suggèrent que toute défaite à laChambre, quel qu’en soit l’objet, grand ou petit, serait prétexte à démission ou à provoquer uneélection. Ainsi, en 1944, dans le cadre du projet de loi sur l’éducation, la Chambre avait voté à unevoix de majorité un amendement stipulant l’égalité de traitement pour les instituteurs des deuxsexes. Le Premier ministre, M. Churchill, lui demanda de revenir sur son vote. On a parfoisconsidéré que la ‘perte de confiance’ pouvait s’appliquer à un grand problème politique, s’il venait àse heurter à un obstacle – par exemple en seconde lecture d’un projet de loi. Mais on définit defaçon tout aussi subjective ce que sont les ‘grands problèmes politiques’.

En pratique, les gouvernements ont attribué à une ‘perte de confiance’ le sens qu’il leur plaisait. Ons’est aussi bien servi d’une défaite sur des questions mineures comme prétexte à démissionnerque l’on est passé par-dessus un échec sur des sujets beaucoup plus importants. Le contrôle de laChambre par l’exécutif et la capacité du Gouvernement de faire adopter son programme se sonttoujours fondés sur le système partisan. Normalement, un parti bénéficie à lui seul d’une majoritéqui se soumet à une stricte discipline de vote. On a traditionnellement toléré les désaccords dansles débats, mais le député avait le devoir de se trouver dans la Chambre ou à proximité chaque foisque l’on s’apprêtait à voter, et il devait voter avec son parti.

C’est vers la fin du XIXe siècle que se développe la stricte discipline de parti et elle atteint sonsommet dans la période d’après guerre. Ainsi, on ne compte dans la législature de 1951-55 qu’unseul vote où les députés du Parti au pouvoir furent au nombre de 20 ou plus à se rebeller contreles consignes de leur groupe. Le plus souvent, il y avait 10 abstentions correspondant plutôt àl’expression de mécontentements individuels et ne prenant pas l’ampleur d’une grandemanifestation de défiance. En outre, la discipline était plutôt moins stricte dans les commissionspermanentes où l’on examine en général le détail de la législation.

Ce genre de rébellion à la Chambre a donc souvent pris la forme d’une révolte des fractionsextrêmes d’un Parti contre sa direction, ou encore d’une protestation de cette fraction dans unvote où en réalité ses dirigeants s’abstenaient. Naturellement, les membres de l’autre Parti sejoignaient rarement aux rebelles, de sorte que les révoltes n’agissaient pas directement sur lesdécisions de la Chambre.

Mais cet exposé appelle quelques réserves. En effet, tel quel, il passe sous silence les pressionsqu’exercent dans les coulisses les simples parlementaires et il ne dit pas combien lesgouvernements ont dû y céder. Un contrat tacite liait les chefs des Partis et les députés, par lequelles seconds soutenaient les premiers lors des votes, tandis que ceux-ci répondaient en privé auxdemandes des parlementaires. Aussi les députés ordinaires ont-ils pu influencer la législation(surtout lorsqu’ils appartenaient à la majorité gouvernante), mais en dehors des procéduresformelles de la Chambre.

On a avancé de nombreuses explications pour rendre compte de la stricte discipline de parti qui aprévalu en Grande-Bretagne jusqu’en 1966. Parmi les interprétations prisées, on comptait cettehypothèse d’école : s’il essuie un échec, le Gouvernement a le pouvoir de dissoudre le Parlementet de provoquer ainsi une élection. Pour autant que la crainte de la dissolution ait joué, elle n’alargement été que du bluff, dans la mesure où les Gouvernements, comme on l’a vu, décidaienteux-mêmes à quel moment ils considéraient avoir perdu la ‘confiance de la Chambre’. Sans

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compter que cette crainte n’aurait pas expliqué l’unité équivalente des députés de l’opposition,alors même que leur dissidence par rapport à la ligne officielle du Parti n’aurait guère suffi àrenverser un Gouvernement. Les dirigeants des Partis ont de nombreuses récompenses etsanctions de nature personnelle à distribuer, dont on considérait que la plus puissante restait ledroit que se réserve le Parti de rayer des listes de candidatures le nom d’un député aux idées tropindépendantes.

La docilité des simples députés commence à s’éroder au milieu des années 60. Les électionsgénérales de 1964 et de 1966 amènent une nouvelle génération de députés travaillistes, dontbeaucoup sont très à gauche de leurs anciens collègues. Le Gouvernement de M. Wilson, quimaintient la dissuasion nucléaire, refuse de condamner la présence américaine au Vietnam etpratique une politique déflationniste, rencontre une hostilité permanente dans les rangstravaillistes. Le Gouvernement conservateur de M. Heath se heurte à la même dissidence parmi sessoutiens parlementaires et, vers le milieu des années 70, il devient évident que les Gouvernements,de quelque bord qu’ils soient, ne pourront plus se reposer sur la docilité habituelle et loyale deleurs simples députés.

Quand un gouvernement dispose d’une bonne majorité, il n’a pas à trop se soucier des révoltesdes députés. Ainsi, le Gouvernement réélu en 1983 a affronté de nombreuses révoltes sans subirde défaite. La dissidence, même de 50 conservateurs, laisserait encore aux députés ‘chefs de file’ duGouvernement une marge confortable. L’équipe travailliste au pouvoir entre octobre 1974 et mai1979 a cependant démarré avec une majorité de trois sièges seulement, laquelle aura disparu en1976. En quatre années et demie d’exercice, on ne compte pas moins de 120 votes où 20 députéstravaillistes ou plus votent contre leur gouvernement. Beaucoup de ces révoltes sont organiséespar la gauche et rencontrent la résistance conjointe du Gouvernement et de l’oppositionconservatrice. Cependant, il est arrivé que celle-ci se fasse aider par une assemblée disparate derebelles travaillistes, de sorte que l’on a pu assister à la formation de coalitions accidentelles ou desconservateurs et la gauche travailliste imposaient une défaite au Gouvernement […].

Il est toutefois facile d’exagérer la portée de cette liberté retrouvée. Quand les Gouvernementsdisposent de larges majorités, le contenu de la législation n’en sera pas directement modifié. Et lanouvelle indépendance s’exprime le plus souvent sous la forme de manifestations symboliques d’unhomme ou de deux. Que les députés se sentent maintenant libres d’agir est un fait notable, mais cegenre de protestations change rarement le résultat d’un vote. Les révoltes en coulisses revêtentune importance plus grande, qui alimentent le dialogue entre dirigeants et dirigés. De même que ladiscipline de part est devenue plus étroite à la fin du XIXe siècle et dans le courant du XXe siècle,de même les consultations entre députés et ministres ont augmenté. Or, quand la discipline s’estrelâchée, il ne semble pas que le dialogue ait subi un déclin correspondant. Ainsi, vers la fin 1984, onproposa d’augmenter la contribution des parents aisés pour les frais d’entretien de leurs enfants àl’Université et de leur réclamer un financement pour leurs frais de scolarité. Cette initiative seheurta à un déchaînement hostile de la part des députés conservateurs et le ministre del’éducation, Sir Keith Joseph, dut effectuer une retraite humiliante. En étant plus disposés àexprimer leurs désaccords dans les votes, les députés ont plus de poids dans leurs différends avecles ministres […].

Les problèmes que rencontrent les dirigeants des partis dans le contrôle de leurs partisans à laChambre ne sont qu’une manifestation d’une transformation plus globale dans la structure dupouvoir interne aux partis, surtout au Labour. On ne distinguait plus au début des années 80, aumoins dans le Parti travailliste, un lieu unique du pouvoir réel. Autrefois, avec la collaboration dessyndicats, la direction du groupe parlementaire avait pu dominer le Congrès annuel et laCommission exécutive nationale. Celle-ci invoquait ses pouvoirs disciplinaires pour ramener dansla ligne du Parti les sections réfractaires et la direction pouvait faire plier les députés rebelles enbrandissant l’ultime sanction de l’expulsion ou la menace, moins grave, de les rayer des listes de

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candidats à la députation. Les sources du pouvoir sont maintenant multiples au Parti travailliste. Ona observé ces dernières années des tentatives en vue de rétablir les anciens fondements dupouvoir. Elles ne furent pas toutes réussies et ces efforts ne sauraient restaurer les ententes desannées 40 et 50.

Par-delà le problème immédiat de l’équilibre politique, les problèmes internes au Particonservateur renvoient à la question plus générale de la survie et de la stabilité de la sociétébritannique. L’ancien establishment du Parti des conservateurs est en déclin. Les éléments patriciensdans cette organisation sont maintenant sur le retour, ce qui traduit leur affaiblissement dans lasociété globale. Un changement dans la composition qui s’est assorti d’une réforme institutionnelleconcernant principalement le choix du chef du Parti. Le pouvoir est passé aux mains des simplesparlementaires ».

Document n° 2. Lee, M., « Fonctionnement du gouvernement etrôle du premier ministre sous Mme Thatcher », Pouvoirs, 1986, n°37, pp. 45-56 (extraits).

« L’évolution des comportements ministériels. La description des réseaux de relations ne permetpas, à elle seule, une analyse des comportements ministériels, car les sources sont sujettes àcaution. Même après trente ans, quand les archives du cabinet deviennent accessibles au public, iln’est pas facile de surmonter les difficultés d’interprétation qui se présentent. D’abord, tous lesministres violent les conventions selon lesquelles les débats sont confidentiels et les décisionsunanimes. Il n’est pas aisé de savoir avec certitude qui, à un moment donné, détenait uneinformation essentielle. En second lieu, à l’intérieur de chaque réseau de relations, il est difficile dedire dans quelle mesure telle décision émane d’un groupe informel ou, au contraire, d’un comitéofficiel […].

Les conventions de ‘confidentialité’ et ‘d’unanimité’ visent à assurer un fonctionnement sans heurtsdu système. Les ministres sont censés parler d’une voix unanime de manière à restercollectivement solidaires au Parlement, la sanction ultime pour un cabinet étant un vote dedéfiance aux Communes (un tel vote a provoqué la chute du Gouvernement travailliste en 1979).Un mot inconsidéré, surtout de la part du Premier Ministre, peut facilement mettre à mal lesréseaux de relations. Une réflexion irréfléchie lors d’une interview à la télévision peut êtreinterprétée comme un engagement du Parti sur telle mesure particulière avant même qu’en aientdélibéré les membres influents de sa direction, ou comme une insulte aux Parlementaires pasencore au courant de la mise à l’examen de la question, ou même comme une maladresse deprésentation ayant à tort anticipé les propositions de l’administration.

Les premiers ministres peuvent être tentés d’attirer l’attention sur un problème en procédant àcette sorte d’effet d’annonce mais la méthode comporte à la fois de hauts risques et des coûtspolitiques. La convention de ‘confidentialité’ protège le caractère privé des délibérationsgouvernementales. S’il y a des discussions au sein du cabinet, le public doit l’ignorer. Il s’agit, en fait,d’un corollaire à la règle d’unanimité. Mais il est tentant pour les ministres de révéler ce qu’ont ditleurs collègues dans le but de faire prévaloir leurs propres objectifs. Un ministre peut, par exemple,confier à un journaliste qu’il rencontre l’opposition d’un collègue au sein du cabinet, affectant ainsile réseau de relations en dehors du cabinet : en effet, les députés de la majorité peuventdésapprouver l’opposition des deux ministres ; de la même façon une commission parlementairepeut s’estimer offensée de n’avoir pas été informée d’une décision, ou bien les fonctionnairespeuvent hésiter sur l’avis à donner […] ».

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Document n° 3. « Au service de sa Majesté », dans Les institutionsde la Grande-Bretagne, La documentation française, 1994, p. 29.

« L’essentiel de la vie politique en Grande-Bretagne est mené au nom de la Couronne. LeParlement ne gouverne pas. C’est la reine en son Parlement qui gouverne. Lorsque le Parlement seréunit en début de session, la reine en personne, le nez curieusement chaussé de lunettes sous lacouronne scintillante, lit à haute voix la liste des lois que le gouvernement espère faire voter.Chaque projet de loi proposé au Parlement doit recevoir le consentement royal avant de devenirune loi proprement dite : aucun monarque, depuis la reine Anne en 1707, ne l’a refusé. La reinenomme les évêques, les juges et les officiers supérieurs, mais seulement sur avis du PremierMinistre. En théorie, toutes les distinctions et promotions sont décernées par le souverain ; dans lapratique, fort peu procèdent effectivement de son choix. Bien que les affaires de l’Etat soientofficiellement conduites au nom de la Reine, celle-ci est contrainte par la constitution, danspresque tous les cas, à agir sur avis de ses ministres. Lorsqu’un gouvernement stable est en place,les seuls droits de la Reine, selon les termes mêmes de Bagehot, sont ‘le droit d’être consultée, ledroit d’encourager, le droit de mettre en garde’. Ces droits confèrent une influence plutôt qu’unpouvoir ; ils n’en sont pas pour autant négligeables.

A travers eux, l’influence cachée de la Reine se fait jour. Chaque mardi, elle accorde audience auPremier Ministre. Personne d’autre n’assiste à l’entretien, si bien qu’aucun compte rendu n’estrédigé […]. Un Premier Ministre qui pense que l’audience hebdomadaire est pure formalité risquede tomber de haut. L’expérience de la Reine compte. La souveraine a vu passer tous les dossiersministériels et toutes les décisions importantes du Foreign Office depuis trente-cinq ans et s’estentretenue chaque semaine avec huit premiers ministres successifs. Elle a rencontré la plupart deschefs d’Etat et s’est plainte au Foreign Office du caractère trop sommaire des informations que luitransmet ce ministère. Elle peut exposer sa manière de voir au Premier Ministre, mais elle esttenue d’accepter la décision finale […] ».

Document n° 4. De Villiers M., Le Divellec A., « Régimeparlementaire », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd.,Sirey, 2015, pp. 315-318.

1. Origines

Le régime parlementaire (appelé également « gouvernement parlementaire » ou « gouvernementde cabinet ») s'inscrit dans une longue évolution dont l'origine est, en Angleterre, le développementdes prérogatives du Parlement, prérogatives arrachées de haute lutte au monarque à l'occasion decrises successives sur plusieurs siècles (XIIIe – XVIIIe siècles) : c'est la monarchie limitée, quidébouche peu à peu sur un système de balance des pouvoirs. Mais au Parlement il faut un brasexécutif : l'effacement progressif du monarque conduit, en quelque sorte par compensation, àl'affirmation du pouvoir ministériel. Si l'histoire constitutionnelle anglaise échappe aux césures tropnettes (car simplistes), on peut néanmoins considérer que le précédent que constitue la premièredémission collégiale d'un cabinet, celui de Lord North, en 1782, marque une étape capitale : leprincipe de la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement est désormaisconsacré, même s'il faudra encore du temps pour que toutes ses implications apparaissentclairement. Montesquieu a visité l'Angleterre en 1729-1731, précisément à l'époque où s'annonçaitcette transformation. Mais la Constitution qu'il analyse dans le célèbre chapitre VI du titre XI de Del'Esprit des Lois est bien celle de la monarchie limitée, en passe de disparaître quand l'ouvrage estpublié en 1748. et ce sont les constituants américains réunis à Philadelphie qui recueilleront

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l'héritage du publiciste français et l'inscriront dans la Constitution de 1787. Ainsi s'explique quesera défini comme un régime de séparation accentuée (on dit souvent, de façon exagérée,« rigide ») des pouvoirs le régime américain (plus tard qualifié de présidentiel), alors que le régimeparlementaire renvoie à une conception beaucoup plus souple de la même séparation (ou plutôt labalance) des pouvoirs, au point qu'il est plus juste de parler de fusion des pouvoirs, celle-cis'accentuant encore pratiquement lorsqu'est atteinte la symbiose politique entre cabinet et lamajorité parlementaire.

2. Agencement statique

Les réalisations contemporaines du régime parlementaire sont multiples. Aussi sa définition peutvarier en fonction des éléments que l'on veut privilégier.La définition juridique traditionnelle consiste, après le rappel d’un cadre institutionnelpratiquement immuable (comportant – sauf exception – un chef d’Etat, un gouvernement et unParlement – bicaméral ou monocaméral), à montrer que le régime parlementaire est un régime decollaboration et de dépendance réciproque entre le gouvernement et le Parlement sous l’arbitrageplus ou moins formel du chef de l’Etat. La collaboration s’exprime dans le fait que les ministressont généralement choisis au sein du Parlement et participent au travail parlementaire : dépôt deprojets de lois, droit de parole, droit d’amendement, débats de politique générale, séances dequestions orales… La dépendance réciproque se traduit par des procédures de révocabilitémutuelle : mise en jeu de la responsabilité du gouvernement par les procédures de la question deconfiance et de la motion de censure, et, le plus souvent (mais pas toujours), droit de dissolutionde la chambre élue par l’exécutif.

3. Logique institutionnelle du régime parlementaire

Cette définition, juridique et procédurale, du régime parlementaire, qui est fondée sur un certaintype de rapports entre les organes du pouvoir, doit, à l'époque contemporaine, être complétée eny ajoutant la dimension électorale et le jeu des partis politiques. Le régime parlementaire apparaîtalors comme le régime dans lequel les seules élections législatives pourvoient de manière décisiveà la désignation du personnel parlementaire et gouvernemental : dans un premier temps, électiondes députés dont la majorité, dans un second temps, se saisit du gouvernement : la majoritégouverne. C’était d’ailleurs la définition du régime parlementaire donnée par Boris Mirkine-Guetzévitch (« Le fait que cette majorité a le droit de choisir 'son' ministère responsable devantelle »), en quoi il confirmait l'analyse de l'Anglais Walter Bagehot qui parlait du gouvernement decabinet comme système dans lequel le Parlement désigne le premier ministre, autrement dit exerceune fonction élective. Les différences entre les régimes parlementaires tiennent alors à la plus oumoins grande aptitude du système des partis à dégager une telle majorité.En fonction de cette aptitude, les procédures juridiques du régime parlementaire n’ont plus lamême signification. Ainsi la responsabilité du gouvernement devant le Parlement n’est qu’unesimple procédure de vérification de l’accord entre le Parlement et le cabinet. Si cet accord existe,elle ne joue pas, ou alors de façon purement formelle (en Grande-Bretagne, un seul gouvernement,le gouvernement Callaghan en 1979, a été renversé par la Chambre des Communes depuis 1921).Et si l’accord n’existe pas, ou n’existe que difficilement, la mise en jeu répétée de la responsabilitédu gouvernement traduit plutôt la crise du régime parlementaire que son bon fonctionnement(ainsi des IIIe et IVe Républiques qui sont devenues au fil du temps des régimes d’assemblée defait).

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4. De multiples variantes

Les classifications des régimes parlementaires expriment ce renouvellement de l’analyse. Là où,d’un point de vue historique, on avait l’habitude de distinguer entre régime parlementaire dualisteet régime parlementaire moniste (selon que le gouvernement avait ou n’avait pas de compte àrendre au chef de l’Etat), la distinction la plus pertinente s’établit aujourd’hui entre les régimesparlementaires qui obéissent à la logique majoritaire sortie des urnes et ceux qui, rebelles à cettelogique, n’ont pas réglé le problème de la stabilité gouvernementale. Ainsi s’explique que cesderniers fassent avec plus ou moins de bonheur l’expérience des différents moyens recommandéspar la science constitutionnelle pour obtenir cette stabilité tant recherchée. Ce pourra être leparlementarisme rationalisé (depuis une soixantaine d’années dans beaucoup de constitutionseuropéennes), l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct (Autriche, Finlande, France,Irlande, Portugal, Pologne, Slovaquie, République Tchèque, Lituanie...), le recours au scrutinmajoritaire (Italie, de 1994 à 2005), ou les trois à la fois. Tel a été le choix du constituant français en1958-1962. Mais si la France de la Ve République peut être classée formellement dans la catégoriedes régimes parlementaires, c'est sous la réserve que la variante dualiste qu'elle pratique tend àaboutir à un leadership présidentiel sans équivalent ailleurs et en partie contradictoire avec leprincipe de l'exécutif responsable devant le Parlement.

Document n° 5. Walter Bagehot, La Constitution anglaise, traduitpar M. Gaulhiac, Paris, Germer Baillière, 1869, pp. 14 et 21(extraits)

L’efficacité secrète de la Constitution anglaise réside, on peut le dire, dans l’étroite union,dans la fusion presque complète du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Suivant la théorietraditionnelle qu’on trouve dans tous les livres, ce qui recommande notre Constitution c’est laséparation absolue du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ; mais en réalité ce qui en fait lemérite, c’est précisément la parenté de ces pouvoirs. Le lien qui les unit se nomme le Cabinet. [...]

Cette fusion du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif peut sembler à ceux qui n’y ont passuffisamment réfléchi beaucoup trop simple et trop mesquine pour expliquer le mécanisme latentet l’efficacité secrète de la Constitution britannique ; mais on n’en peut apprécier l’importanceréelle qu’en observant quelques-uns de ses effets principaux et en comparant ce système avec legrand système rival dont la marche semble, si l’on n’y prend garde, destinée à devancer la siennedans le monde. Ce système rival, c’est le système présidentiel. Le trait caractéristique de ce dernier,c’est que le président y est élu par le peuple d’une certaine manière et la Chambre desreprésentants d’une autre façon. C’est l’indépendance mutuelle du pouvoir législatif et du pouvoirexécutif qui est la qualité distinctive du gouvernement présidentiel, tandis qu’au contraire la fusionet la combinaison de ces pouvoirs sert de principe au gouvernement de Cabinet.

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Document n° 6 a. Parliament Act du 18 août 1911 ; b. Parliament Actdu 16 décembre 1949, tiré de S. Rials, J. Boudon, prés., Textesconstitutionnels étrangers, PUF, coll. ‘Que sais-je ?’, 13e édition, 2009,pp. 11-17 (extraits).

a. Parliament Act du 18 août 1911

« Considérant qu’il est désirable de substituer à la Chambre des Lords telle qu’elle existeactuellement une seconde Chambre issue de la volonté populaire au lieu de l’hérédité mais qu’unetelle substitution ne peut être réalisée immédiatement. Considérant que le Parlement devra limiteret définir les pouvoirs de la nouvelle seconde Chambre par un texte réalisant cette substitutionmais qu’il est désirable de réduire dès maintenant par le présent Act les pouvoirs actuels de laChambre des Lords.

Article 1er [Pouvoirs de la Chambre des Lords en ce qui concerne les pouvoirs financiers]. – (1) Siun projet financier (Money Bill), préalablement adopté par la Chambre des Communes et transmis àla Chambre des Lords un mois au moins avant la fin de session n’est pas voté sans amendementpar la Chambre des Lords dans le mois qui suit cette transmission, ce projet sera, à moins que laChambre des Communes n’en décide autrement, présenté à Sa Majesté et deviendra un Act duParlement au moment de la signification de l’approbation royale, nonobstant l’absence deconsentement de la Chambre des Lords.– (2) Un projet financier signifie un projet de loi qui, selon l’opinion du Speaker de la Chambre desCommunes, ne contient que des dispositions relatives à l’ensemble ou à l’une des matièressuivantes, à savoir : imposition, abrogation, remise, modification ou réglementation des impôts ; lacréation, la modification ou la suppression pour le règlement de dettes ou pour d’autres butsfinanciers, de charges pour le Fond consolidé ou sur les ressources votées par le Parlement ; lesautorisations de crédit ; l’affectation des fonds publics, leur perception, détention, payement et lavérification des comptes ; l’émission, la garantie ou le remboursement de tout emprunt ; ou lesmatières accessoires relatives à ces questions. Dans cette sous-section les expressions « impôts »,« fonds publics » et « emprunt » ne comprennent pas les impôts, fonds ou emprunts dontbénéficient les autorités locales pour leurs besoins locaux.– (3) Chaque projet financier, lorsqu’il sera transmis à la Chambre des Lords ou présenté àl’approbation royale, portera une mention signée par le Speaker de la Chambre des Communescertifiant que c’est un projet financier. Avant de délivrer ce certificat, le Speaker devra consulter, s’ille peut, deux membres de la Chambre des Lords des Communes qui seront désignés au début dechaque session par le Comité de sélection parmi les membres de la liste des présidents.

Article 2 [Restriction des pouvoirs de la Chambre des Lords en ce qui concerne les Projets autresque les Projets financiers].– (1) Si un projet (Public Bill) (autre qu’un projet financier ou un projet contenant des dispositionsaugmentant la durée maximum de la législature au-delà de cinq ans) adopté par la Chambre desCommunes lors de trois sessions successives (du même Parlement ou de Parlements différents), ettransmis à la Chambre des Lords durant chacune de ces sessions un mois au moins avant la fin dela session, est repoussé par la Chambre des Lords durant chacune de ces sessions, ce projet seraprésenté à Sa Majesté dès son troisième rejet par la Chambre des Lords, à moins que la Chambredes Communes en décide autrement, et deviendra un A c t du Parlement au moment de lasignification de l’approbation royale, nonobstant l’absence de consentement de la Chambre desLords, à condition que deux ans se soient écoulés entre la date de la seconde lecture de ce projetà la Chambre des Communes durant la première de ces sessions et la date à laquelle ce texte seravoté par la Chambre des Communes durant la troisième de ces sessions.

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– (2) Un projet présenté à l’approbation royale, en exécution des dispositions de cette section,portera la mention signée par le Speaker de la Chambre des Communes certifiant que cesdispositions ont été entièrement appliquées.– (3) Un projet sera considéré comme rejeté par la Chambre des Lords s’il n’est pas adopté parcelle-ci soit sans amendement, soit avec des amendements acceptées par les deux Chambres.– (4) Un projet sera considéré comme le même projet qu’un ancien projet transmis à la Chambredes Lords durant la session précédente si, lorsqu’il est transmis à la Chambre des Lords, il estidentique au précédent projet ou ne contient que des modifications considérées par le Speaker dela Chambre des Communes comme nécessaires en raison du temps qui s’est écoulé depuis la datedu précédent projet ou comme représentant les amendements apportés par la Chambre des Lordsà ce projet durant la session précédente et certifiées comme telles : tout amendement certifié parle Speaker comme amendement apporté au projet par la Chambre des Lords durant la troisièmesession et accepté par la Chambre des Communes, sera inséré dans le projet présenté àl’approbation royale en application de la présente section. Toutefois, la Chambre des Communespourra, si elle le juge utile, lors de l’examen d’un tel projet durant la deuxième ou la troisièmesession, proposer d’autres amendements sans inclure ceux-ci dans le projet : tout amendementainsi proposé sera examiné par la Chambre des Lords en cas d’accord de celle-ci sera considérécomme un amendement de la Chambre des Lords accepté par la Chambre des Communes ;cependant, l’exercice de ce droit par la Chambre des Communes ne modifiera pas les effets decette section au cas où le projet serait rejeté par la Chambre des Lords.

Article 7 [Durée de la législature]. – Cinq ans seront substitués à sept pour la durée maxima dechaque législature telle qu’elle a été fixée par l’Act de 1715 fixant cette durée à sept ans.

b. Parliament Act du 16 décembre 1949

« Article premier [Substitution des mentions de deux sessions et un an à celles de trois sessions etdeux ans] – Le Parliament Act de 1911 aura effet et sera censé avoir eu effet depuis le début de lasession durant laquelle le Projet du présent Act a été présenté à la Chambre des Communes(excepté pour ce projet lui-même), comme si : a) avaient été substitués, dans les sous-sections (1)et (4) de la section deux de l’Act précité, aux mots : ‘en trois sessions successives’, ‘au moment deson troisième rejet’, ‘durant la troisième de ces sessions’, ‘durant la troisième session’ et ‘durant ladeuxième ou la troisième session’, respectivement, les mots : ‘en deux sessions successives’, ‘aumoment de son deuxième rejet’, ‘durant la seconde de ces sessions’, ‘durant la seconde session’, et‘durant la seconde session’, respectivement ; b) avaient été substitués, dans la sous-section (1) de lasection deux précitée, aux mots : ‘que deux ans se soient écoulés’ les mots ‘qu’un an se soit écoulé’; étant entendu que, si un projet a été repoussé pour la seconde fois par la Chambre des Lordsavant l’approbation royale du présent Act, que ce rejet ait eu lieu dans la même session que celledurant laquelle l’approbation royale a été donnée au présent Act ou durant une session antérieure,l’exigence de ladite section deux, qu’un projet soit présenté à Sa Majesté au moment du secondrejet de la Chambre des Lords, aura pour effet que le projet repoussé devra être présenté à SaMajesté aussitôt après l’approbation royale du présent Act et, même si un tel rejet a lieu durant unesession antérieure, le projet repoussé pourra recevoir l’approbation royale durant la session aucours de laquelle l’approbation royale a été donnée au présent Act […] ».

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Document n° 7. La loi sur la Chambre des Lords du 11 novembre1999, tirée de S. Rials, J. Boudon, prés., Textes constitutionnelsétrangers, PUF, coll. ‘Que sais-je ?’, 13e édition, 2009, pp. 20-21(extraits).

Chapitre 34.1. Nul ne sera membre de la Chambre des Lords en vertu d’une pairie héréditaire.2. La section 1 ne s’appliquera pas en relation avec quiconque bénéficierait d’une dérogationréalisée par, ou en conformité avec un règlement permanent de la Chambre ; À un moment donné,90 personnes ne seront pas soumises à la section. Les personnes bénéficiant d’une dérogation autitre de la section 1 continueront à en jouir à vie (jusqu’à ce qu’il en soit disposé autrement parune loi du Parlement)…3. Le titulaire d’une pairie héréditaire ne doit pas être, en vertu de celle-ci, disqualifié pour a)participer comme électeur aux élections à la Chambre des Communes ou b) être membre decette chambre, ou y être élu…

Document n° 8. Bill of Rights (« Une loi ayant pour objet dedéclarer les droits et libertés des sujets et d'établir la succession dela Couronne »), 16 décembre 1689 (extraits)

Attendu que les Lords spirituels et temporels, ainsi que les Communes, assemblés à Westminster, représentant légalement, pleinement et librement tous les états (estates) du peuple de ce royaume, ont fait, le 13e jour du mois de février 1689, en la présence de leurs Majestés, alors désignées et connues sous les noms et titres de Guillaume et Marie, prince et princesse d'Orange, cette présence étant en leur propre personne, une certaine déclaration par écrit, qui fut l'oeuvre desdits Lords et Communes, dans les termes suivants :

Attendu que feu le roi Jacques II, par le concours de plusieurs conseillers malfaisants, juges, et ministres employés par lui, a entrepris de subvertir et d'éradiquer la religion protestante, et les loiset libertés de ce royaume.

En assumant et exerçant un pouvoir de dispense et de suspension des lois et de leur exécution, sans le consentement du Parlement ;

En mettant en accusation et en jugeant plusieurs dignes prélats, au motif qu'ils avaient demandé parpétition d'être dispensés d'apporter leur concours à l'exercice de ce pouvoir ;

En édictant et ordonnant l'exécution d'une ordonnance sous le Grand Sceau pour l'établissement d'une juridiction appelée la cour des commissaires pour les affaires ecclésiastiques ;

En prélevant de l'argent pour (et pour l'usage de) la Couronne, sous couvert de prérogative, pour d'autres époques et d'une autre manière que ne l'avait décidé le Parlement ;

En levant et en maintenant une armée permanent dans ce royaume en temps de paix, sans le consentement du Parlement (…) ;

En étant à l'origine du désarmement de nombreux bons sujets, alors qu'au même moment des papistes étaient armés et employés en violation du droit ;

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En portant atteinte à la liberté d'élection des membres servant au Parlement ;

Par des actions engagées devant la juridiction du King's Bench, dans des matières et des causes pour lesquelles seul le Parlement aurait été compétent ; et par divers autres comportements arbitraires et illégaux.

Et attendu que, dans ces dernières années, des personnes partiales, corrompues, et sans qualification ont été renvoyées et ont servi dans les jurys de jugements, en particulier dans les affaires de haute trahison, alors que ces personnes n'étaient pas de libres propriétaires (…) Tous ces comportement sont intégralement et directement contraires aux lois et statuts connus, et à la liberté de ce Royaume.

Attendu que ledit roi défunt Jacques Il ayant renoncé (abdicated) au gouvernement, et le trône se trouvant dès lors vacant, Son Altesse le prince d'Orange (dont il a plu à Dieu de faire l'instrument glorieux qui délivre ce royaume du papisme et du pouvoir arbitraire) a, par l'avis des Lords spirituels et temporels et de plusieurs des principales personnes appartenant aux communes, fait écrire des lettres aux Lords (…) protestants (…) pour que soient choisies telles personnes pour les représenter, qu'il est de droit d'envoyer au Parlement (…) afin de procéder à un tel établissement, que leur religion, leurs lois et leurs libertés ne soient plus à nouveau en danger d'être subverties (…).

Sur ce, lesdits Lords spirituels et temporels, et les Communes (…) étant maintenant assemblées dans [une assemblée] représentative complète et libre de cette nation, considérant avec le plus grand sérieux le meilleur moyen d'atteindre les fins précitées, ont, en premier lieu (comme leurs ancêtres ont couramment fait dans les cas similaires), déclaré, pour la défense et l'affirmation de leurs antiques droits et libertés :

1° Que le prétendu pouvoir de suspendre les lois, ou leur exécution, par l'autorité royale, sans le consentement du Parlement, est illégal.

2° Que le prétendu pouvoir de dispenser des lois, ou de leur exécution, par l'autorité royale, tel qu'il a été récemment affirmé et exercé, est illégal.

3° Que la délégation aux fins que soit érigée la juridiction (…) pour les affaires ecclésiastiques, et toutes les autres délégations et juridictions de la même nature, sont illégales et pernicieuses ;

4° Que le fait de prélever de l'argent pour la Couronne ou pour son usage, sans autorisation parlementaire, et pour une longue durée (…) est illégal.

5° Que c'est le droit des sujet de pétitionner le roi, et que tous les emprisonnements et poursuitespour de tels faits sont illégaux.

6° Que le fait de lever ou de maintenir une armée permanente dans le royaume en temps de paix, à moins que cela soit fait avec le consentement du Parlement, est contraire au droit.

7° Que les sujets protestants doivent pouvoir détenir des armes pour leur défense, qui soient adaptées à leur condition, dans les limites de ce que permet la loi.

8° Que la liberté de parole, et les débats en Parlement, ne doivent être entravés ou questionnés dans aucune cour [de justice] ni où que ce soit en dehors du Parlement.

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9° Que l'élection des membres du Parlement doit être libre.

10° Qu'une caution excessive ne doit pas être exigée, ni des amendes excessives imposées, ni des punitions cruelles et inusitées infligées.

11° Que les membres de jurys doivent être dûment choisis et retournés, et que ceux d'entre eux qui jugent les accusés dans les cas de haute trahison doivent être de libres propriétaires (…).

12° Que pour qu'il soit remédié à tous les griefs, et pour l'amendement, la consolidation, et la préservation des lois, des Parlements doivent être fréquemment tenus

[Suit un passage dans lequel, après avoir affirmé leurs attachement à ces principes, Guillaume et Marie sont déclarés roi et reine d'Angleterre, et acceptent ce titre. Toutes ces dispositions sont reprises dans une loi du Parlement]

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel(Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 10 : Aperçu d'histoire constitutionnellefrançaise : la consécration de la République

Document n° 1a. Loi du 17 février 1871, ayant pour objet de nommer M. Thiers,Chef du pouvoir exécutif de la République française, dans S. Rials, prés., Textesconstitutionnels français, PUF, coll. « Que sais-je ? », 15e édition, 2001, p. 71 ; 1b.Loi du 31 août 1871, portant que le chef du pouvoir exécutif prendra le titre dePrésident de la République française, ibid., pp. 71-72 ; 1c. Loi du 13 mars 1873,ayant pour objet de régler les attributions des pouvoirs publics et les conditionsde la responsabilité ministérielle, ibid., pp. 72-73 (extraits) ; 1d. Loi du 20novembre 1873, ayant pour objet de confier le pouvoir exécutif pour sept ans auMaréchal de Mac-Mahon, ibid., p. 73.Document n° 2a. Loi du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat(extraits). ; Document n° 2b. Loi du 25 février 1875 relative à l’organisation despouvoirs publics (extraits) ; Document n° 2c. Loi du 16 juillet 1875 sur lesrapports des pouvoirs publics (extraits).Document n° 3a. Loi du 21 juin 1879, révisant l’article 9 de la loiconstitutionnelle du 25 février 1875 ; 3b. Loi du 14 août 1884, portant révisionpartielle des lois constitutionnelles.Document n° 4a. Lettre du maréchal de Mac-Mahon à Jules Simon, le 16 mai1877 ; 4b. Ordre du jour de la Chambre des députés, le 17 mai 1877 ; 4c.Message de Jules Grévy au Sénat, le 6 février 1879.Document n° 5. Constitution du 27 octobre 1946 (extraits).Document n° 6. Révision du 7 décembre 1954 (extraits).Document n° 7. Godechot, J., prés., Les constitutions de la France depuis 1789,chapitre XIV, La constitution de la IVe République, Garnier-Flammarion, 1979,pp. 357-369 (extraits).

Commentaire : Le titre VI de la Constitution du 27 octobre 1946 (« Du Conseildes ministres », document n° 5)

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Document n° 1a. Loi du 17 février 1871, ayant pour objet de nommer M. Thiers,Chef du pouvoir exécutif de la République française, dans S. Rials, prés., Textesconstitutionnels français, PUF, coll. « Que sais-je ? », 15e édition, 2001, p. 71 .

« L’Assemblée nationale, dépositaire de l’autorité souveraine, – Considérant qu’il importe, enattendant qu’il soit statué sur les institutions de la France, de pourvoir immédiatement auxnécessités du gouvernement et à la conduite des négociations, Décrète : – M. Thiers est nommé chefdu pouvoir exécutif de la République française. Il exercera ses fonctions sous l’autorité del’Assemblée nationale, avec le concours des ministres qu’il aura choisis et qu’il présidera ».

Document n° 1b. Loi du 31 août 1871, portant que le chef du pouvoir exécutifprendra le titre de Président de la République française, ibid., pp. 71-72.

« L’Assemblée nationale, – Considérant qu’elle a le droit d’user du pouvoir constituant, attributessentiel de la souveraineté dont elle est investie, et que les devoirs impérieux que tout d’abord ellea dû s’imposer, et qui sont encore loin d’être accomplis, l’ont seuls empêchée jusqu’ici d’user de cepouvoir ; – Considérant que, jusqu’à l’établissement des institutions définitives du pays, il importeaux besoins du travail, aux intérêts du commerce, au développement de l’industrie, que nosinstitutions provisoires prennent, aux yeux de tous, sinon cette stabilité qui est l’oeuvre du temps,du moins celle que peuvent assurer l’accord des volontés et l’apaisement des partis ; – Considérantqu’un nouveau titre, une appellation plus précise, sans rien changer au fond des choses, peut avoircet effet de mettre mieux en évidence l’intention de l’Assemblée de continuer franchement l’essailoyal commencé à Bordeaux ; – Que la prorogation des fonctions conférées au Chef du Pouvoirexécutif, limitée désormais à la durée des travaux de l’Assemblée, dégage ces fonctions de cequ’elles semblent avoir d’instable et de précaire, sans que les droits souverains de l’Assemblée ensouffrent la moindre atteinte, puisque dans tous les cas la décision suprême appartient àl’Assemblée, et qu’un ensemble de garanties nouvelles vient assurer le maintien de ces principesparlementaires, tout à la fois la sauvegarde et l’honneur du pays ; – Prenant, d’ailleurs, enconsidération les services éminents rendus au pays par M. Thiers depuis six mois et les garantiesque présente la durée du pouvoir qu’il tient de l’Assemblée ; – Décrète :Article premier. – Le Chef du Pouvoir exécutif prendra le titre de Président de la Républiquefrançaise, et continuera d’exercer, sous l’autorité de l’Assemblée nationale, tant qu’elle n’aura pasterminé ses travaux, les fonctions qui lui ont été déléguées par décret du 17 février 1871.Article 2. – Le Président de la République promulgue les lois dès qu’elles lui sont transmises par leprésident de l’Assemblée nationale. – Il assure et surveille l’exécution des lois. – Il réside au lieu oùsiège l’Assemblée. – Il est entendu par l’Assemblée nationale toutes les lois qu’il le croit nécessaire,et après avoir informé de son intention le président de l’Assemblée. – Il nomme et révoque lesministres. Le Conseil des ministres et les ministres sont responsables devant l’Assemblée. – Chacundes actes du Président de la République doit être contresigné par un ministre. – Le Président de laRépublique est responsable devant l’Assemblée ».

Document n° 1c. Loi du 13 mars 1873, ayant pour objet de régler les attributionsdes pouvoirs publics et les conditions de la responsabilité ministérielle, ibid., pp.72-73 (extraits).

« L’Assemblée nationale, – Réservant dans son intégrité le pouvoir constituant qui lui appartient,mais voulant apporter des améliorations aux attributions des pouvoirs publics, décrète :

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Article premier. – La loi du 31 août 1871 est modifiée ainsi qu’il suit : – Le Président de laRépublique communique avec l’Assemblée par des messages qui, à l’exception de ceux par lesquelss’ouvrent les sessions, sont lus à la tribune par un ministre. – Néanmoins, il sera entendu parl’Assemblée dans la discussion des lois, lorsqu’il le jugera nécessaire, et après l’avoir informée deson intention par un message. – La discussion à l’occasion de laquelle le Président de la Républiqueveut prendre la parole est suspendue après la réception du message, et le Président sera entendu lelendemain, à moins qu’un vote spécial ne décide qu’il le sera le même jour. La séance est levéeaprès qu’il a été entendu, et la discussion n’est reprise qu’à une séance ultérieure. La délibération alieu hors la présence du Président de la République.Article 2. – Le Président de la République promulgue les lois déclarées urgentes dans les trois jours,et les lois non urgentes dans le mois après le vote de l’Assemblée. – Dans le délai de trois jours,lorsqu’il s’agira d’une loi non soumise à trois lectures, le Président de la République aura le droit dedemander, par un message motivé, une nouvelle délibération. – Pour les lois soumises à la formalitédes trois lectures, le Président de la République aura le droit, après la seconde, de demander que lamise à l’ordre du jour pour la troisième délibération ne soit fixée qu’après le délai de deux mois[…].Article 4. – Les interpellations ne peuvent être adressées qu’aux ministres et non au Président de laRépublique. – Lorsque les interpellations adressées aux ministres ou les pétitions envoyées àl’Assemblée se rapportent aux affaires extérieures, le Président de la République aura le droit d’êtreentendu. – Lorsque ces interpellations ou ces pétitions auront trait à la politique intérieure, lesministres répondront seuls des actes qui les concernent. Néanmoins, si, par une délibérationspéciale, communiquée à l’Assemblée avant l’ouverture de la discussion par le vice-président duConseil des ministres, le Conseil déclare que les questions soulevées se rattachent à la politiquegénérale du Gouvernement et engagent ainsi la responsabilité du Président de la République, lePrésident aura le droit d’être entendu dans les formes déterminées par l’article premier. – Aprèsavoir entendu le vice-président du Conseil, l’Assemblée fixe le jour de la discussion […] ».

Document n° 1d. Loi du 20 novembre 1873, ayant pour objet de confier lepouvoir exécutif pour sept ans au Maréchal de Mac- Mahon, ibid., p. 73.

« Article premier. – Le pouvoir exécutif est confié pour sept ans au maréchal de Mac- Mahon, ducde Magenta, à partir de la promulgation de la présente loi ; ce pouvoir continuera à être exercé avecle titre de Président de la République et dans les conditions actuelles jusqu’aux modifications quipourraient y être apportées par les lois constitutionnelles.Article 2. – Dans les trois jours qui suivront la promulgation de la présente loi, une commission detrente membres sera nommée en séance publique et au scrutin de liste, pour l’examen des loisconstitutionnelles ».

Document n° 2a. Loi du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat(extraits).

Article premier. – Le Sénat se compose de trois cents membres : – Deux cent vingt-cinq élus par lesdépartements et les colonies, et soixante-quinze élus par l’Assemblée nationale[…].Article 3. – Nul ne peut être sénateur s’il n’est Français, âgé de quarante ans au moins et s’il ne jouitde ses droits civils et politiques […].

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Article 7. – Les sénateurs élus par l’Assemblée sont inamovibles. – En cas de vacance par décès,démission ou autre cause, il sera, dans les deux mois, pourvu au remplacement par le Sénat lui-même.Article 8. – Le Sénat a, concurremment avec la Chambre des députés, l’initiative et la confectiondes lois. – Toutefois, les lois de finances doivent être, en premier lieu, présentées à la Chambre desdéputés et votées par elle.Article 9. – Le Sénat peut être constitué en Cour de justice pour juger soit le président de laRépublique, soit les ministres, et pour connaître des attentats commis contre la sûreté de l’État.Article 10. – Il sera procédé à l’élection du Sénat un mois avant l’époque fixée par l’Assembléenationale pour sa séparation. – Le Sénat entrera en fonction et se constituera le jour même oùl’Assemblée nationale se séparera.Article 11. – La présente loi ne pourra être promulguée qu’après le vote définitif de la loi sur lespouvoirs publics.

Document n° 2b. Loi du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirspublics (extraits).

Article premier. – Le pouvoir législatif s’exerce par deux Assemblées : la Chambre des députés et leSénat. – La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditionsdéterminées par la loi électorale. – La composition, le mode de nomination et les attributions duSénat seront réglés par une loi spéciale.Article 2. – Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat etpar la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il estrééligible.Article 3. – Le Président de la République a l’initiative des lois, concurremment avec les membresdes deux Chambres. Il promulgue les lois lorsqu’elles ont été votées par les deux chambres ; il ensurveille et en assure l’exécution. – Il a le droit de faire grâce ; les amnisties ne peuvent êtreaccordées que par une loi. – Il dispose de la force armée. – Il nomme à tous les emplois civils etmilitaires. – Il préside aux solennités nationales ; les envoyés et les ambassadeurs des puissancesétrangères sont accrédités auprès de lui. – Chacun des actes du Président de la République doit êtrecontresigné par un ministre […].Article 5. – Le président de la République peut, sur l’avis conforme du Sénat, dissoudre la chambredes députés avant l’expiration légale de son mandat. – En ce cas, les collèges électoraux sontconvoqués pour de nouvelles élections dans le délai de trois mois.Article 6. – Les ministres sont solidairement responsables devant les Chambres de la politiquegénérale du gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels. – Le Président de laRépublique n’est responsable que dans le cas de haute trahison.Article 7. – En cas de vacance par décès ou pour toute autre cause, les deux Chambres réuniesprocèdent immédiatement à l’élection d’un nouveau président. – Dans l’intervalle, le Conseil desministres est investi du pouvoir exécutif.Article 8. – Les Chambres auront le droit, par délibérations séparées prises dans chacune à lamajorité absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du président de la République, dedéclarer qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles. – Après que chacune des deux Chambresaura pris cette résolution, elles se réuniront en Assemblée nationale pour procéder à la révision. –Les délibérations portant révision des lois constitutionnelles, en tout ou en partie, devront être prises

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à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. – Toutefois, pendant la duréedes pouvoirs conférés par la loi du 20 novembre 1873, à M. le Maréchal de Mac-Mahon, cetterévision ne peut avoir lieu que sur la proposition du président de la République.Article 9. – Le siège du pouvoir exécutif et des deux chambres est à Versailles.

Document n° 2c. Loi du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics(extraits).

Article premier. – Le Sénat et la Chambre des députés se réunissent chaque année le second mardide janvier, à moins d’une convocation antérieure faite par le président de la République. – Les deuxchambres doivent être réunies en session de cinq mois au moins chaque année. La session de l’unecommence et finit en même temps que celle de l’autre. – Le dimanche qui suivra la rentrée, desprières publiques seront adressées à Dieu dans les églises et dans les temples pour appeler sonsecours sur les travaux de l’Assemblée.Article 2. – Le président de la République prononce la clôture de la session. Il a le droit deconvoquer extraordinairement les Chambres. Il devra les convoquer si la demande en est faite, dansl’intervalle des sessions, par la majorité absolue des membres composant chaque Chambre. – Leprésident peut ajourner les Chambres. Toutefois, l’ajournement ne peut excéder le terme d’un moisni avoir lieu plus de deux fois dans la même session.Article 3. – Un mois au moins avant le terme légal des pouvoirs du président de la République, lesChambres devront être réunies en Assemblée nationale pour procéder à l’élection du nouveauprésident. – A défaut de convocation, cette réunion aurait lieu de plein droit le quinzième jour avantl’expiration de ces pouvoirs. – En cas de décès ou de démission du président de la République, lesdeux Chambres se réunissent immédiatement et de plein droit. – Dans le cas où, par application del’article 5 de la loi du 25 février 1875, la Chambre des députés se trouverait dissoute au moment oùla présidence de la République deviendrait vacante, les collèges électoraux seraient aussitôtconvoqués, et le Sénat se réunirait de plein droit.Article 4. – Toute Assemblée de l’une des deux Chambres qui serait tenue hors du temps de lasession commune et illicite est nulle de plein droit, sauf le cas prévu par l’article précédent et celuioù le Sénat est réuni comme Cour de justice ; et, dans ce dernier cas, il ne peut exercer que desfonctions judiciaires […].Article 6. – Le président de la République communique avec les Chambres par des messages quisont lus à la tribune par un ministre. – Les ministres ont leur entrée dans les deux Chambres etdoivent être entendus quand ils le demandent. Ils peuvent se faire assister par des commissairesdésignés, pour la discussion d’un projet de loi déterminé, par décret du président de la République.Article 7. – Le président de la République promulgue les lois dans le mois qui suit la transmissionau gouvernement de la loi définitivement adoptée. Il doit promulguer dans les trois jours les loisdont la promulgation, par un vote exprès de l’une et l’autre Chambre, aura été déclarée urgente. –Dans le délai fixé pour la promulgation, le président de la République peut, par un message motivé,demander aux deux Chambres une nouvelle délibération qui ne peut être refusée.Article 8. – Le président de la République négocie et ratifie les traités. Il en donne connaissance auxChambres aussitôt que l’intérêt et la sûreté de l’Etat le permettent. – Les traités de paix, decommerce, les traités qui engagent les finances de l’Etat, ceux qui sont relatifs à l’état des personneset au droit de propriété des Français à l’étranger, ne sont définitifs qu’après avoir été votés par lesdeux Chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu’envertu d’une loi.

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Article 9. – Le Président de la République ne peut déclarer la guerre sans l’assentiment préalabledes deux Chambres […].Article 12. – Le président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre desdéputés, et ne peut être jugé que par le Sénat. – Les ministres peuvent être mis en accusation par laChambre des députés pour crimes commis dans l’exercice de leurs fonctions. En ce cas, ils sontjugés par le Sénat. – Le Sénat peut être constitué en Cour de justice par un décret du président de laRépublique, rendu en Conseil des ministres, pour juger toute personne prévenue d’attentat contre lasûreté de l’État. – Si l’instruction est commencée par la justice ordinaire, le décret de convocationdu Sénat peut être rendu jusqu’à l’arrêt de renvoi. – Une loi déterminera le mode de procéder pourl’accusation, l’instruction et le jugement.Article 13. – Aucun membre de l’une ou de l’autre Chambre ne peut être poursuivi ou recherché àl’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.Article 14. – Aucun membre de l’une ou de l’autre Chambre ne peut, pendant la durée de la session,être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de laChambre dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit. – La détention ou la poursuite d’un membrede l’une ou de l’autre Chambre est suspendue pendant la session, et pour toute sa durée, si laChambre le requiert.

Document n° 3a. Loi du 21 juin 1879, révisant l’article 9 de la loiconstitutionnelle du 25 février 1875.

Article unique. – L’article 9 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 est abrogé.

Document n° 3b. Loi du 14 août 1884, portant révision partielledes lois constitutionnelles.

Article premier. – Le paragraphe 2 de l’article 5 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875,relative à l’organisation des pouvoirs publics, est modifié ainsi qu’il suit : – « En ce cas, les collègesélectoraux sont réunis pour de nouvelles élections dans le délai de deux mois et la Chambre dans lesdix jours qui suivront la clôture des opérations électorales ».Article 2. – Le paragraphe 3 de l’article 8 de la même loi du 25 février 1875 est complété ainsi qu’ilsuit : – « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une proposition derévision. – Les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de laRépublique ».Article 3. – Les articles 1 à 7 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875, relatifs à l’organisationdu Sénat, n’auront plus le caractère constitutionnel.Article 4. – Le paragraphe 3 de l’article premier de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875,sur les rapports des pouvoirs publics, est abrogé.

Document n° 4a. Lettre du maréchal de Mac-Mahon à Jules Simon, le 16 mai1877.

« Monsieur le Président du Conseil. Je viens de lire dans le Journal officiel le compte rendu de laséance d’hier. J’ai vu avec surprise que ni vous, ni le Garde des Sceaux n’aviez fait valoir à latribune toutes les graves raisons qui auraient pu prévenir l’abrogation d’une loi sur la presse votée,il y a moins de deux ans, sur la proposition de M. Dufaure et dont tout récemment vous demandiez

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vous-même l’application aux tribunaux ; et cependant dans plusieurs délibérations du Conseil etdans celle d’hier matin même, il avait été décidé que le Président du Conseil et le Garde des Sceauxse chargeraient de la combattre. Déjà on avait pu s’étonner que la Chambre des députés, dans sesdernières séances, eût discuté toute une loi municipale, adopté même une disposition dont auConseil des Ministres vous avez vous-même reconnu tout le danger, comme la publicité desdélibérations des conseils municipaux, sans que le ministre de l’Intérieur eût pris part à ladiscussion. Cette attitude du Chef du cabinet fait demander s’il a conservé sur la Chambrel’influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues. Une explication à cet égard est indispensable,car si je ne suis pas responsable comme vous envers le parlement, j’ai une responsabilité envers laFrance, dont aujourd’hui plus que jamais je dois me préoccuper.Agréez, monsieur le Président du Conseil, l’assurance de ma plus haute considération » (lePrésident de la République, Maréchal de Mac-Mahon).

Document n° 4b. Ordre du jour de la Chambre des députés, le 17 mai 1877.

« La Chambre. Considérant qu’il lui importe dans la crise actuelle et pour remplir le mandat qu’ellea reçu du pays, de rappeler que la prépondérance du pouvoir parlementaire, s’exerçant par laresponsabilité ministérielle, est la première condition du gouvernement du pays par le pays, que leslois constitutionnelles ont eu pour but d’établir ; Déclare que la confiance de la majorité ne sauraitêtre acquise qu’à un cabinet libre de son action et résolu à gouverner suivant les principesrépublicains qui peuvent seuls garantir l’ordre et la prospérité au-dedans et la paix en-dehors, Etpasse à l’ordre du jour » […] (le scrutin est ouvert et les votes sont recueillis)M. le Président, voici le résultat du scrutin. Nombre de votants : 496 ; majorité absolue :249 ; pour l’adoption : 437 ; contre : 149.

Document n° 4c. Message de Jules Grévy au Sénat, le 6 février 1879.

« Messieurs les sénateurs,L’Assemblée nationale, en m’élevant à la présidence de la République, m’a imposé de grandsdevoirs. Je m’appliquerai sans relâche à les accomplir, heureux si je puis, avec le concours du Sénatet de la Chambre des députés, ne pas rester en-dessous de ce que la France est en droit d’attendre demes efforts et de mon dévouement.Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n’entrerai jamais en lutte contre lavolonté nationale, exprimée par ses organes constitutionnels.Dans les projets de lois qu’il présentera au vote des chambres et dans les questions soulevées parl’initiative parlementaire, le Gouvernement s’inspirera des besoins réels, des voeux certains dupays, d’un esprit de progrès et d’apaisement ; il se préoccupera surtout du maintien de latranquillité, de la sécurité, de la confiance, le plus ardent des voeux de la France, le plus impérieuxde ses besoins.Dans l’application des lois, qui donne à la politique générale son caractère et sa direction, il sepénétrera de la pensée qui les a dictées ; il sera libéral, juste pour tous, protecteur detous les intérêts légitimes, défenseur résolu de ceux de l’État.Dans sa sollicitude pour les grandes institutions qui sont les colonnes de l’édifice social, il fera unelarge part à notre armée, dont l’honneur et les intérêts seront l’objet de ses plus chèrespréoccupations.Tout en tenant un juste compte des droits acquis et des services rendus, aujourd’hui que les deuxgrands pouvoirs sont armés du même esprit, qui est celui de la France, il veillera à ce que la

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République soit servie par des fonctionnaires qui ne soient ni ses ennemis, ni ses détracteurs.Il continuera à entretenir et à développer les bons rapports qui existent entre la France et lespuissances étrangères, et à contribuer ainsi à l’affermissement de la paix générale.C’est par cette politique libérale et vraiment conservatrice, que les grands pouvoirs de laRépublique, toujours unis, toujours animés du même esprit, marchant toujours avec sagesse, ferontporter ses fruits naturels au gouvernement que la France, instruite par ses malheurs, s’est donnécomme le seul qui puisse assurer son repos, et travailler utilement au développement de saprospérité, de sa force et de sa grandeur ».

Document n° 5. Constitution du 27 octobre 1946 (extraits).

Préambule

Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asserviret de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain,sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Ilréaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par laDéclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques,économiques et sociaux ci-après :La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme.Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a le droit d’asile sur lesterritoires de la République.Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans sontravail ou dans son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat deson choix. Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective desconditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises.Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service publicnational ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de lasanté, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de sonétat physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a ledroit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.La Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent descalamités nationales.La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formationprofessionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous lesdegrés est un devoir de l’État.La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit publicinternational. Elle n’entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n’emploiera jamaisses forces contre la liberté d’aucun peuple.

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Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires àl’organisation et à la défense de la paix.La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et desdevoirs, sans distinction de race ni de religion.L’Union française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnentleurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité.Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge àla liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ; écartanttout système de colonisation fondé sur l’arbitraire, elle garantit à tous l’égal accès aux fonctionspubliques et l’exercice individuel et collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci-dessus.

Des institutions de la République

Titre premier. De la souverainetéArticle 3. – La souveraineté nationale appartient au peuple français.Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.Le peuple l’exerce, en matière constitutionnelle, par le vote de ses représentants et par leréférendum.En toutes autres matières, il l’exerce par ses députés à l’Assemblée nationale, élus au suffrageuniversel, égal, direct et secret.

Titre II. Du ParlementArticle 5. – Le Parlement se compose de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République.Article 6. – La durée des pouvoirs de chaque Assemblée, son mode d’élection, les conditionsd’éligibilité, le régime des inéligibilités et incompatibilités sont déterminés par la loi. Toutefois, les deux Chambres sont élues sur une base territoriale, l’Assemblée nationale au suffrageuniversel direct, le Conseil de la République par les collectivités communales et départementales,au suffrage universel indirect. Le Conseil de la République est renouvelable par moitié.Néanmoins, l’Assemblée nationale peut élire elle-même à la représentation proportionnelledes conseillers dont le nombre ne doit pas excéder le sixième du nombre total des membres duConseil de la République.Le nombre des membres du Conseil de la République ne peut être inférieur à deux cent cinquante nisupérieur à trois cent vingt.Article 7. – La guerre ne peut être déclarée sans un vote de l’Assemblée nationale et l’avis préalabledu Conseil de la République […].Article 8. – Chacune des deux chambres est juge de l’éligibilité de ses membres et de la régularitéde leur élection ; elle peut seule recevoir leur démission […].Article 11. – […].Lorsque les deux Chambres se réunissent pour l’élection du président de la République, leur bureauest celui de l’Assemblée nationale […].

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Article 13. – L’Assemblée nationale vote seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit.Article 14. – Le président du Conseil des ministres et les membres du Parlement ont l’initiative deslois […].Article 17. – Les députés à l’Assemblée nationale possèdent l’initiative des dépenses.Article 18. – L’Assemblée nationale règle les comptes de la Nation.Article 19. – L’amnistie ne peut être accordée que par une loi […].Article 21. – Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé àl’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions […].Article 24. – Nul ne peut appartenir à la fois à l’Assemblée nationale et au Conseil de la République[…].

Titre V. Du président de la RépubliqueArticle 29. – Le président de la République est élu par le Parlement […].Article 30. - Le président de la République nomme en Conseil des ministres les conseillers d'Etat, legrand chancelier de la Légion d'honneur, les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires, lesmembres du Conseil supérieur et du Comité de la défense nationale, les recteurs des universités, lespréfets, les directeurs des administrations centrales, les officiers généraux, les représentants duGouvernement dans les territoires d'outre-mer.

Article 31. - Le président de la République est tenu informé des négociations internationales. Il signe et ratifie les traités.

Le président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui.

Article 32. - Le président de la République préside le Conseil des ministres. Il fait établir et conserve les procès-verbaux des séances.

Article 33. - Le président de la République préside, avec les mêmes attributions, le Conseil supérieur et le Comité de la défense nationale et prend le titre de chef des armées.

Article 34. - Le président de la République préside le Conseil supérieur de la magistrature.

Article 35. - Le président de la République exerce le droit de grâce en Conseil supérieur de la magistrature.

Article 36. – Le président de la République promulgue les lois dans les dix jours qui suivent latransmission au gouvernement de la loi définitivement adoptée. Ce délai est réduit à cinq jours encas d’urgence déclarée par l’Assemblée nationale.Dans le délai fixé pour la promulgation, le président de la République peut, par un message motivé,demander aux deux Chambres une nouvelle délibération, qui ne peut être refusée. À défaut de promulgation par le président de la République dans les délais fixés par la présenteConstitution, il y sera pourvu par le président de l’Assemblée nationale.Article 37. – Le président de la République communique avec le Parlement par des messagesadressés à l’Assemblée nationale.

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Article 38. - Chacun des actes du président de la République doit être contresigné par le présidentdu Conseil des ministres et par un ministre. […]Article 42. - Le président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison.

Il peut être mis en accusation par l'Assemblée nationale et renvoyé devant la Haute Cour de justice dans les conditions prévues à l'article 57 ci-dessous. [...]

Titre VI. Du Conseil des ministresArticle 45. - Au début de chaque législature, le président de la République, après les consultationsd'usage, désigne le président du Conseil.

Celui-ci soumet à l'Assemblée nationale le programme et la politique du Cabinet qu'il se propose deconstituer.

Le président du Conseil et les ministres ne peuvent être nommés qu'après que le président du Conseil ait été investi de la confiance de l'Assemblée au scrutin public et à la majorité absolue des députés, sauf cas de force majeure empêchant la réunion de l'Assemblée nationale.

Il en est de même au cours de la législature, en cas de vacance par décès, démission ou toute autre cause, sauf en ce qui est dit à l'article 52 ci-dessous.

Aucune crise ministérielle intervenant dans le délai de quinze jours de la nomination des ministres ne compte pour l'application de l'article 51.

Article 46. - Le président du Conseil et les ministres choisis par lui sont nommés par décret du président de la République.

Article 47. - Le président du Conseil des ministres assure l'exécution des lois.

Il nomme à tous les emplois civils et militaires, sauf ceux prévus par les articles 30, 46 et 84.

Le président du Conseil assure la direction des forces armées et coordonne la mise en oeuvre de la défense nationale.

Les actes du président du Conseil des ministres prévus au présent article sont contresignés par les ministres intéressés.

Article 48. – Les ministres sont collectivement responsables devant l’Assemblée nationale de lapolitique générale du Cabinet et individuellement de leurs actes personnels.Ils ne sont pas responsables devant le Conseil de la République.Article 49. – La question de confiance ne peut être posée qu’après délibération du Conseil desministres. Elle ne peut l’être que par le président du Conseil.Le vote sur la question de confiance ne peut intervenir qu'un jour franc après qu'elle a été poséedevant l'Assemblée. Il a lieu au scrutin public.

La confiance ne peut être refusée au Cabinet qu'à la majorité absolue des députés à l'Assemblée.

Ce refus entraîne la démission collective du Cabinet.

Article 50. - Le vote par l'Assemblée nationale d'une motion de censure entraîne la démission

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collective du Cabinet.

Ce vote ne peut intervenir qu'un jour franc après le dépôt de la motion. Il a lieu au scrutin public.

La motion de censure ne peut être adoptée qu'à la majorité absolue des députés à l'Assemblée.

Article 51. – Si, au cours d’une même période de dix-huit mois, deux crises ministériellessurviennent dans les conditions prévues aux articles 49 et 50, la dissolution de l’Assembléenationale pourra être décidée en Conseil des ministres, après avis du président de l’Assemblée. Ladissolution sera prononcée, conformément à cette décision, par décret du président de laRépublique.Les dispositions de l’alinéa précédent ne sont applicables qu’à l’expiration des dix-huit premiersmois de la législature. […]Article 53. - Les ministres ont accès aux deux Chambres et à leurs commissions. Ils doivent êtreentendus quand ils le demandent.

Ils peuvent se faire assister dans les discussions devant les Chambres par des commissaires désignéspar décret. […]

Titre VII. De la responsabilité pénale des ministresArticle 56. – Les ministres sont pénalement responsables des crimes et délits commis dansl’exercice de leurs fonctions.Article 57. – Les ministres peuvent être mis en accusation par l’Assemblée nationale et renvoyésdevant la Haute Cour de justice.L'Assemblée nationale statue au scrutin secret et à la majorité absolue des membres la composant, àl'exception de ceux qui seraient appelés à participer à la poursuite, à l'instruction et au jugement.

Article 58. - La Haute Cour est élue par l'Assemblée nationale au début de chaque législature.

Article 59. - L'organisation de la Haute Cour de justice et la procédure suivie sont déterminées par une loi spéciale.

[...]

Titre XI. De la révision de la ConstitutionArticle 90. – La révision a lieu dans les formes suivantes.La révision doit être décidée par une résolution adoptée à la majorité absolue des membrescomposant l’Assemblée nationale.La résolution précise l’objet de la révision.Elle est soumise, dans le délai minimum de trois mois, à une deuxième lecture à laquelle ildoit être procédé dans les mêmes conditions qu’à la première, à moins que le Conseil de laRépublique, saisi par l’Assemblée nationale, n’ait adopté à la majorité absolue la même résolution.Après cette seconde lecture, l’Assemblée nationale élabore un projet de loi portant révision de laConstitution. Ce projet est soumis au Parlement et voté à la majorité et dans les formes prévues pourla loi ordinaire.

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Il est soumis au référendum, sauf s’il a été adopté en seconde lecture par l’Assemblée nationale à lamajorité des deux tiers ou s’il a été voté à la majorité des trois cinquièmes par chacune des deuxAssemblées.Le projet est promulgué comme loi constitutionnelle par le président de la République dans les huitjours de son adoption.Aucune révision constitutionnelle relative à l’existence du Conseil de la République ne pourra êtreréalisée sans l’accord de ce Conseil ou le recours à la procédure de référendum[…].

Document n° 6. Révision constitutionnelle du 7 décembre 1954 (extraits).

Article 14. – Les projets de loi sont déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale ou sur le bureaudu Conseil de la République. Toutefois, les projets de loi tendant à autoriser la ratification destraités prévus à l’article 27, les projets de lois budgétaires ou de finances etles projets comportant diminution de recettes ou création de dépenses doivent être déposés sur lebureau de l’Assemblée nationale.Les propositions de loi formulées par les membres du Parlement sont déposés sur le bureau de laChambre dont ils font partie, et transmises après adoption à l’autre Chambre. Les propositions deloi formulées par les membres du Conseil de la République ne sont pas recevables lorsqu’ellesauraient pour conséquence une diminution des recettes ou une création de dépenses […].Article 20. – Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux Chambresdu Parlement en vue de parvenir à l’adoption d’un texte identique.À moins que le projet ou la proposition n’ait été examiné par lui en première lecture, le Conseil dela République se prononce au plus tard dans les deux mois qui suivent la transmission du texteadopté en première lecture par l’Assemblée nationale.En ce qui concerne les textes budgétaires et la loi de finances, le délai imparti au Conseil de laRépublique ne doit pas excéder le temps précédemment utilisé par l’Assemblée nationale pour leurexamen et leur vote. En cas de procédure d’urgence déclarée par l’Assemblée nationale, le délai estle double de celui prévu pour les débats de l’Assemblée nationale par le règlement de celle-ci.Si le Conseil de la République ne s’est pas prononcé dans les délais prévus aux précédents alinéas,la loi est en état d’être promulguée dans le texte voté par l’Assemblée nationale.Si l’accord n’est pas intervenu, l’examen se poursuit devant chacune des deux Chambres. Aprèsdeux lectures par le Conseil de la République, chaque Chambre dispose, à cet effet, du délai utilisépar l’autre Chambre lors de la lecture précédente, sans que ce délai puisse être inférieur à sept joursou à un jour pour les textes visés au troisième alinéa.A défaut d’accord dans un délai de cent jours à compter de la transmission du texte au Conseil de laRépublique pour deuxième lecture, ramené à un mois pour les textes budgétaires et la loi definances et à quinze jours en cas de procédure applicable aux affaires urgentes, l’Assembléenationale peut statuer définitivement en reprenant le dernier texte voté par elle ou en le modifiantpar l’adoption d’un ou plusieurs des amendements proposés à ce texte par le Conseil de laRépublique.Si l’Assemblée nationale dépasse ou prolonge les délais d’examen dont elle dispose, le délai prévupour l’accord des deux Chambres est augmenté d’autant.Les délais prévus au présent article sont suspendus pendant les interruptions de session. Ils peuventêtre prolongés par décision de l’Assemblée nationale […].

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Article 49. – Le vote sur la question de confiance ne peut intervenir que vingt-quatre heures aprèsqu’elle a été posée devant l’Assemblée. Il a lieu au scrutin public.La confiance est refusée au Cabinet à la majorité absolue des députés à l’Assemblée.

Document n° 7. Godechot, J., prés., Les constitutions de la France depuis 1789,chapitre XIV, La constitution de la IVe République, Garnier-Flammarion, 1979,pp. 357-369 (extraits).

« Le gouvernement de Vichy avait supprimé la Constitution de 1875 parce qu’il la trouvait tropdémocratique. Son projet de constitution était, en effet, nettement en retrait sur les lois de 1875.Sans aller jusqu’à revenir au régime de ‘l’Empire autoritaire’, encore moins jusqu’à l’absolutismemonarchique de Charles X, il s’était efforcé de codifier les pratiques constitutionnelles de ‘l’ordremoral’.Les organisations de la Résistance, qu’elles fussent implantées à l’intérieur du territoiremétropolitain, ou qu’elles se fussent développées à l’extérieur (Londres, Alger), reprochaient aucontraire à la Constitution de 1875 de n’être pas assez démocratique. Le général de Gaulle avaitproclamé, dès juin 1940, sa volonté de rétablir en France la légalité républicaine, mais non laConstitution de 1875. Aussi, les organisations de Résistance réfléchirent-elles, dès leur fondation,aux caractéristiques qu’il conviendrait de donner à la nouvelle Constitution. Ces organisationsétaient, en général, dominées par des hommes ‘de gauche’, et, à partir de 1942, les communistes yacquièrent de plus en plus d’influence. Tous ces hommes ont, en commun, l’hostilité envers lesclasses ‘riches’ où se sont recrutés beaucoup de ‘collaborateurs’, le désir de donner satisfaction auxrevendications anciennes et nouvelles du ‘peuple’ conçu, comme Michelet, de manière assez vague,l’admiration pour la Convention et le gouvernement révolutionnaire de l’an II, qui dans descirconstances peut-être aussi graves qu’en 1940, ont su provoquer un sursaut populaire et sauver lapatrie, qui était en danger. De manière plus concrète, au point de vue politique, la Résistance sembledésirer une Assemblée unique, munie de grands pouvoirs […].Dès 1942, en accord avec les chefs de la Résistance intérieure, le général de Gaulle avait admis quele peuple français libéré aurait à choisir un régime nouveau, en élisant une Assemblée constituante.L’ordonnance d’Alger, du 21 avril 1944, précisa que le peuple français déciderait de ses institutionsfutures en pleine liberté, et qu’à cet effet, une Assemblée nationale constituante serait convoquée,dès que des élections libres seraient possibles.Le général de Gaulle, par contre, inclinait personnellement vers un régime présidentiel, inspiré desEtats-Unis, et dans lequel le Pouvoir exécutif serait prépondérant. Nommé président du «gouvernement provisoire de la République française » à Alger le 3 juin 1944, entré à Paris dès lalibération de la capitale, le 25 août suivant, le général de Gaulle va essayer de faire prévaloir sesconceptions. Mais il est soumis à la pression très forte decertains chefs de la Résistance, et après la fin de la guerre et le retour des prisonniers, à celle deshommes politiques de la troisième République, notamment d’Edouard Herriot, rentré en France enmai 1945, et qui plaide pour le rétablissement de la Constitution de 1875 avec une telle chaleur quede Gaulle en fut, paraît-il, ébranlé.Dans une conférence de presse, le 3 juin 1945, le général expliqua qu’il y avait trois solutionspossibles au problème constitutionnel : « Ou bien revenir aux errements d’hier, faire élireséparément une Chambre et un Sénat, puis les réunir à Versailles en une Assemblée nationale quimodifierait, ou non, la Constitution de 1875. Ou bien considérer que cette Constitution est morte etprocéder à des élections pour une Assemblée constituante qui ferait ce qu’elle voudrait. Ou bien,enfin, consulter le pays sur des termes qui serviraient de base à sa consultation et auxquels ses

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représentants auraient à se conformer ».De Gaulle était partisan de la troisième hypothèse, il n’avait, disait-il, aucun doute sur le résultat duréférendum, qui abolirait la Constitution de 1875. Mais il espérait que ce vote permettrait derestreindre les pouvoirs de la Constituante. « Grâce au référendum, écrit-il dans ses Mémoires deGuerre, on pourrait d’abord imposer quelque équilibre entre ses pouvoirs et ceux du gouvernement,et, ensuite, faire en sorte que la constitution qu’elle aurait élaborée soit soumise à l’approbation dusuffrage universel ».Le général de Gaulle se heurta à l’opposition des partis socialiste et communiste […]. Les partisfurent, bien entendu, divisés sur les réponses à apporter […]. Le projet de constitution fut soumis,ainsi qu’il avait été prévu, au référendum, le 5 mai 1946. Seuls les socialistes et les communistesfirent campagne pour le « oui » […]. C’est la première fois, en France, qu’un référendumaboutissait à un résultat négatif, ce qui prouvait la maturité politique des citoyens […]. Il fautchercher les raisons profondes du refus dans la répugnance pour le « régime d’Assemblée » qu’onidentifiait, trop facilement peut-être, sinon avec le régime communiste, du moins avec la possibilitédonnée aux communistes de s’emparer facilement du pouvoir. Le résultat du référendum entraînaiten tout cas l’élection d’une deuxième constituante […].Avant même que les discussions aient commencé, le général de Gaulle prononce, le 16 juin, àBayeux, un discours dans lequel il esquisse ce que devrait être, selon lui, la nouvelle constitutionfrançaise pour avoir des chances de durer : trois pouvoirs nettement séparés et équilibrés, maisprépondérance de l’exécutif jouant le rôle d’un arbitrage national qui maintienne la continuité del’action politique. En conséquence, pour faire contrepoids à l’Assemblée nationale, il faudrait,d’une part, que le chef de l’Etat joue un rôle important, d’autre part qu’il y ait une seconde chambrequi fasse entendre « la voix des grandes activités du pays » […]. La Constituante ne tint guèrecompte de ce schéma. Les communistes et les socialistes s’y montrèrent nettement hostiles, lesradicaux, d’ailleurs peu nombreux, firent de graves réserves, ils voyaient en germe, dans le projet, le« pouvoir personnel ». Le MRP ne peut obtenir de ses associés que quelques concessions. Le projetde constitution fut voté, par la Commission, après de laborieuses négociations […]. Le 22septembre, le général de Gaulle faisait connaître, par le discours d’Epinal, à la presse que le projetlui paraissait inacceptable, parce qu’il ne contenait pas le mot gouvernement et ignorait tout autantla chose, parce qu’il ne fixait au chef de l’Etat que des attributions pratiquement « inopérantes »,parce qu’il lui refusait les moyens d’assurer le fonctionnement « régulier » des institutions, de tellesorte que le pays soit « toujours effectivement gouverné ».

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