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266 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n ° 6 - novembre-décembre 2014 DOSSIER Proctologie : quoi de neuf en 2014 ? Progrès récents dans l’approche chirurgicale de l’incontinence anale de l’adulte Recent advances in surgical approach of fecal incontinence Guillaume Meurette*, Émilie Duchalais*, Paul-Antoine Lehur* Q u’est-ce que la continence anale ? On pour- rait la définir comme la faculté d’exonération de l’ampoule rectale de façon consciente, complète, indolore, volontaire et en un lieu et un moment opportuns. Si l’incontinence anale est la “non-continence”, sa définition est donc large et ne se limite pas uniquement aux “fuites”, mais inclut égale- ment les urgences et le fractionnement des selles. Aucun des traitements disponibles actuellement, fût-il innovant et de haute technologie, ne permet de restaurer la continence anale. Il s’agit donc de bien interpréter les plaintes des patients et de définir avec eux le niveau d’amélioration attendu du traitement. Depuis 20 ans, les solutions thérapeutiques de l’in- continence anale se sont multipliées, et, s’il n’existe pas encore de traitement “miraculeux”, une réduction significative du handicap est possible chez quasiment tous les patients, même âgés. Lorsque le traitement médical n’est pas suffisant pour permettre une vie confortable, on peut aujourd’hui raisonnablement proposer au patient une prise en charge plus invasive. L’approche chirurgicale de l’incontinence peut s’envi- sager dans 2 situations (parfois toutes 2 impliquées dans la survenue de l’incontinence) : l’existence d’un trouble de la statique pelvienne postérieure et l’insuffisance sphinctérienne. Dans ces 2 cas, le recours à la chirurgie peut apporter une solution chez certains patients. Nous présenterons les avancées récentes dans ces 2 approches opératoires. Le trouble de la statique pelvienne postérieure Depuis l’avènement des examens d’imagerie, en particulier la défécographie et l’IRM pelvienne dynamique, nous améliorons notre connaissance du prolapsus pelvien. La statique rectale devient un paramètre auquel on attache de l’importance dans l’interprétation des troubles de la continence anale, pour plusieurs raisons (figure 1). D’une part, la proci- dence rectale peut gêner l’exonération, entraînant Figure 1. Clichés d’IRM dynamique illustrant différents troubles de la statique pelvienne postérieure possiblement impliqués dans les dysfonctions anorectales : la procidence rectale (A) ; l’entérocèle (B) ; le prolapsus extériorisé du rectum (C) ; la rectocèle (D). * Clinique de chirurgie digestive et endocrinienne, Hôtel-Dieu de Nantes, CHU de Nantes. A B C D

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266 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 6 - novembre-décembre 2014

DOSSIERProctologie : quoide neuf en 2014 ?

Progrès récents dans l’approche chirurgicale de l’incontinence anale de l’adulteRecent advances in surgical approach of fecal incontinence

Guillaume Meurette*, Émilie Duchalais*, Paul-Antoine Lehur*

Qu’est-ce que la continence anale ? On pour-rait la défi nir comme la faculté d’exonération de l’ampoule rectale de façon consciente,

complète, indolore, volontaire et en un lieu et un moment opportuns. Si l’incontinence anale est la “non-continence”, sa défi nition est donc large et ne se limite pas uniquement aux “fuites”, mais inclut égale-ment les urgences et le fractionnement des selles. Aucun des traitements disponibles actuellement, fût-il innovant et de haute technologie, ne permet de restaurer la continence anale. Il s’agit donc de bien interpréter les plaintes des patients et de défi nir avec eux le niveau d’amélioration attendu du traitement.Depuis 20 ans, les solutions thérapeutiques de l’in-continence anale se sont multipliées, et, s’il n’existe pas encore de traitement “miraculeux”, une réduction signifi cative du handicap est possible chez quasiment tous les patients, même âgés. Lorsque le traitement médical n’est pas suffi sant pour permettre une vie confortable, on peut aujourd’hui raisonnablement proposer au patient une prise en charge plus invasive.

L’approche chirurgicale de l’incontinence peut s’envi-sager dans 2 situations (parfois toutes 2 impliquées dans la survenue de l’incontinence) : l’existence d’un trouble de la statique pelvienne postérieure et l’insuffi sance sphinctérienne. Dans ces 2 cas, le recours à la chirurgie peut apporter une solution chez certains patients. Nous présenterons les avancées récentes dans ces 2 approches opératoires.

Le trouble de la statique pelvienne postérieureDepuis l’avènement des examens d’imagerie, en particulier la défécographie et l’IRM pelvienne dynamique, nous améliorons notre connaissance du prolapsus pelvien. La statique rectale devient un paramètre auquel on attache de l’importance dans l’interprétation des troubles de la continence anale, pour plusieurs raisons (fi gure 1). D’une part, la proci-dence rectale peut gêner l’exonération, entraînant

Figure 1. Clichés d’IRM dynamique illustrant différents troubles de la statique pelvienne postérieure possiblement impliqués dans les dysfonctions anorectales : la procidence rectale (A) ; l’entérocèle (B) ; le prolapsus extériorisé du rectum (C) ; la rectocèle (D).

* Clinique de chirurgie digestive et endocrinienne, Hôtel-Dieu de Nantes, CHU de Nantes.

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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 6 - novembre-décembre 2014 | 267

Points forts » L’éventail des traitements de l’incontinence anale s’est considérablement élargi depuis 10 ans. » Entre traitement conservateur et chirurgie potentiellement invasive, plusieurs options mini-invasives

sont désormais proposées. On s’achemine progressivement vers un traitement “à la carte” selon la demande des patients.

» C’est en comprenant au mieux les causes de l’incontinence (souvent multiples) que l’on pourra, à l’avenir, choisir la meilleure option thérapeutique. Il est donc nécessaire de réaliser un bilan complet incluant, notamment, une évaluation de la statique rectale.

Mots-clésIncontinence analeSphinctérorraphieNeurostimulation sacréeSphincter artifi cielIrrigation coliqueInjections intrasphinctériennes

Highlights » Surgical options of fecal

incontinence have increased over the past 10 years.

» Between conservat ive management and invasive surgical approach, several minimally invasive therapies have been proposed.

» A better understanding of pathophysiology will be helpful to offer the patients the best approach. It is necessary to plan a complete assessment of the patients including pelvic fl oor disorder evaluation.

KeywordsFecal incontinence

Sacral nerve stimulation

Artifi cial bowel sphincter

Colonic enema

Bulking agents

des troubles de la vidange rectale ; par ailleurs, la déhiscence de la cloison rectovaginale peut égale-ment intervenir, par la rectocèle ou l’entérocèle, en modifi ant aussi la capacité d’évacuation. Enfi n, dans les situations de périnée descendu, l’affaissement du rectum associé à une neuropathie d’étirement modifi e les capacités du rectum à assurer sa fonction de réservoir et la dynamique défécatoire. C’est pour-quoi la recherche d’un trouble de la statique rectale devient systématique dans l’exploration de l’inconti-nence anale. En cas d’anomalie identifi ée (fi gure 1), il peut être intéressant de corriger le trouble de la statique pelvienne. La rectopexie laparoscopique devient aujourd’hui l’intervention de référence pour corriger ces anomalies anatomiques. Elle a en effet démontré son innocuité, d’une part, et son effi cacité pour améliorer la continence, d'autre part.

La rectopexie laparoscopique

Principes techniques

On réalise d’abord une douglassectomie, qui consiste en une résection du péritoine occupant le cul-de-sac de Douglas. Cette étape est nécessaire en cas de péritonéo-cèle prononcée. Parfois, une simple plicature est réalisée à ce niveau. La dissection se fait ensuite dans l’espace rectovaginal (ou rectoprostatique pour les rares cas chez l’homme), jusqu’aux muscles releveurs, quasiment au contact de la paroi rectale. Une prothèse synthétique est ensuite positionnée dans la cloison rectovaginale et fi xée sur le rectum et/ou sur le plancher des rele-veurs grâce à des points ou à des agrafes (fi gure 2). Son autre extrémité est fi xée au promontoire sans tension excessive, mais avec la volonté de limiter la descente périnéale du rectum aux efforts de poussées. La prothèse est ensuite recouverte lors de la péritonisation.

Période postopératoire

Les patients sont mobilisés dès le soir de l’inter-vention et reprennent une alimentation normale. La sonde urinaire peut être ôtée le jour même. Un traitement laxatif (mucilage) est prescrit après l’opération en cas de constipation sous-jacente.

Il est important d’éviter les efforts de poussées lors des exonérations. La durée de l’hospitalisation est comprise entre 2 et 4 jours ; la chirurgie ambulatoire est possible pour certains patients.

Résultats sur la continence

La rectopexie laparoscopique, quand elle est réalisée pour une incontinence anale, permet une améliora-tion très signifi cative dans les séries publiées (1-3). En cas d’incontinence mixte avec une atteinte sphinc-térienne, le résultat peut être moins bon. Néan-moins, rendre au rectum une position anatomique

Figure 2. Vues opératoires d’une rectopexie ventrale laparoscopique. Incision du cul-de-sac de Douglas profond, qui sera réséqué ou plicaturé (A). Positionnement d’une prothèse non résorbable dans la cloison rectovaginale pour la renforcer et assurer le maintien de la statique rectale (B).

A

B

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268 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 6 - novembre-décembre 2014

Progrès récents dans l’approche chirurgicale de l’incontinence anale de l’adulte

DOSSIERProctologie : quoide neuf en 2014 ?

est bénéfi que à son fonctionnement et à sa vidange. Donc, chez des patients porteurs d’un prolapsus et capables de supporter une intervention sous anes-thésie générale, c’est une option qu’il faut proposer, car elle a de bonnes chances de succès.

Insuffi sance sphinctérienne

L’approche historique de l’insuffi sance sphincté-rienne est la sphinctérorraphie pour déchirure postobstétricale. Cette intervention garde sa place dans l’arsenal thérapeutique, mais présente certaines limites : d’une part, elle n’est pas toujours réalisable (en l’absence de rupture sphinctérienne évidente), et, d’autre part, ses résultats à long terme sont plutôt décevants. Parmi les autres approches, la neurostimulation sacrée, les sphincters artifi ciels et les irrigations coliques antérogrades sont en cours d’évaluation. La graciloplastie dynamisée n’est plus développée actuellement et ne sera pas présentée dans cet article consacré aux approches récentes prometteuses. D’autres pistes sont en développe-ment, comme les injections intrasphinctériennes.

La neurostimulation sacrée

La neurostimulation, ou neuromodulation, des racines sacrées est un traitement mini-invasif original de l’in-continence anale. Bien que son mode d’action ne soit encore que partiellement connu, il semble que ses cibles soient multiples et ne se limitent pas au sphincter. En effet, la neurostimulation agit aussi sur le rectum et sur la motricité colique. C’est l’action conjointe sur ces 3 cibles qui fait l’effi cacité de la méthode : une amélioration de la vidange du rectum, une meilleure effi cacité sphinctérienne et une régularisation de la motricité intestinale. Moyennant une morbidité très faible, cette approche permet parfois des améliorations spectaculaires. Cependant, on sait que certains patients (20 à 40 %) ne répondront pas au test, et ne tireront aucun bénéfi ce de la neurostimulation sacrée [4]. Or, on ne dispose pas actuellement de facteurs prédictifs de l’effi cacité de la technique : c’est là son principal défaut.

◆ Principes techniques de la neurostimulation sacréeElle comprend 2 parties : l’implantation de l’élec-trode, d’abord, puis, en cas de succès du traitement après 3 semaines de stimulation par un boîtier temporaire externe, l’implantation du pacemaker défi nitif (fi gure 3).

L’implantation de l’électrode, première intervention, est la plus délicate. Elle est réalisée au bloc opératoire, la plupart du temps sous anesthésie générale. Une ponction à l’aiguille du troisième trou sacré permet de repérer par stimulation externe le bon position-nement anatomique. Une contraction anale ou du fl échisseur de l’hallux homolatéral est le témoin d’une position correcte. Dans la majorité des cas, l’électrode défi nitive est utilisée ; cela évite de repositionner une autre électrode au moment de l’implantation du pacemaker. L’électrode est ensuite reliée par un trajet sous-cutané à un boîtier de stimulation tempo-raire qui servira pour la durée du test. La période de test dure 3 semaines, au cours desquelles le patient doit mener une vie normale, le boîtier temporaire étant fi xé à sa ceinture. L’effi cacité du traitement est jugée sur le calendrier des selles (qui répertorie la fréquence des fuites, mais aussi des urgences) et sur le score clinique d’incontinence (le Cleveland Clinic Incontinence Score pour la majorité des centres). On considère qu’une réduction d’au moins 50 % des fuites ou des urgences montre l’effi cacité de la méthode et justifi e l’implantation du dispositif.

Figure 3. Présentation des modèles de sphincters artifi ciels. L’objectif de ces dispositifs est de renforcer la fermeture du canal anal. En position fermée (A), les billes du sphincter magnétique (à gauche) sont jointives, la manchette du sphincter ABS est gonfl ée (à droite). En position ouverte (B), les billes magné-tiques (à gauche) s’écartent, et la manchette du dispositif ABS se vide (à droite).

A

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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 6 - novembre-décembre 2014 | 269

DOSSIER

L’implantation du pacemaker est plus simple. Cette intervention peut raisonnablement être effectuée sous anesthésie locale, mais dans des conditions d’asepsie rigoureuses, au bloc opératoire. Il s’agit de raccorder le boîtier défi nitif à l’électrode mise en place, et de confectionner une logette sous-cutanée pour enfouir le pacemaker. Par la suite, le pacemaker est activé par télémétrie : une commande permet de moduler l’inten-sité de la stimulation. Le patient possède également une télécommande simplifi ée pour éteindre au besoin le stimulateur, et faire varier l’intensité de la stimulation.

Résultats de la neurostimulation sacrée

Initialement évaluée et proposée dans le cas de patients dont l’appareil sphinctérien est indemne de rupture même modérée, la neurostimulation sacrée a vu son effet bénéfi que sur la continence démontré dans des études multicentriques de cohortes. Cette modalité thérapeutique de l’incontinence anale représente désormais une alternative reconnue et validée chez les patients chez qui le traitement conservateur n’a pas permis d’obtenir un confort de vie suffi sant (5). À long terme, plus de 60 % des patients soumis au test pourront recevoir un implant, et, parmi eux, environ la moitié auront un score de continence satisfaisant permettant un bon confort de vie (4), même si l’effi cacité de la neurostimulation sera fi nalement jugée insuffi sante chez 20 à 30 %. Plus récemment, la neurostimulation a également été évaluée chez les patients souffrant d’incontinence anale avec rupture sphinctérienne. En effet, celle-ci était initialement considérée comme une contre-indication, et les premières séries excluaient cette approche thérapeutique chez ces patients. Néanmoins, le caractère multifactoriel du mode d’action, à la fois sur le sphincter et le rectum, a progressivement amené à envisager d'évaluer la technique chez les patients porteurs d’une rupture sphinctérienne. Aussi, plusieurs études originales et une revue de la littérature (6) ont évalué l’effi cacité de la neurostimulation chez les patients incontinents anaux présentant une lésion du sphincter anal externe ou interne. Toutes ces études concluent que les résultats sont comparables à ceux observés chez les patients sans rupture sphinctérienne.Il y a enfi n peu de contraintes liées à la neuro stimulation. Il est déconseillé de réaliser des examens IRM, car le champ magnétique peut faire bouger l’électrode et éventuellement créer des lésions nerveuses des racines à proximité. En dehors de cette précaution, il faut juste recommander au patient d’éteindre le stimulateur lorsqu’une intervention avec bistouri électrique est prévue.

Plus récemment, des procédés de stimulation tibiale postérieure ont été proposés dans le même but ; ils sont encore moins invasifs. Les patients peuvent effectuer ce traitement à domicile, en apposant des électrodes à proximité du nerf tibial postérieur (au niveau de la malléole interne) pour appliquer une stimulation quotidienne. Les résultats sont encore en cours d’évaluation (7).

Les sphincters artifi ciels

En 1987, la première implantation d’un sphincter artificiel urinaire en situation périanale a été rapportée (8). À ce jour, 2 types de sphincter artifi -ciel ont été évalués en France dans le traitement de l’incontinence anale : le sphincter artifi ciel décliné sur le principe du sphincter urinaire mais dévolu à une application anale (Acticon® Neosphincter, American Medical Systems), et le sphincter anal magnétique (Fenix®, Torax Medical), plus récent (fi gure 4).

Figure 4. Présentation de la neurostimulation sacrée. Le boîtier implantable (A) est relié à l’élec-trode (B) si la période de test (habituellement 3 semaines) se traduit par une diminution d’au moins 50 % des épisodes de fuite.

A

B

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270 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 6 - novembre-décembre 2014

Progrès récents dans l’approche chirurgicale de l’incontinence anale de l’adulte

DOSSIERProctologie : quoide neuf en 2014 ?

Principes techniques des sphincters artifi ciels

Le sphincter artifi ciel Acticon® est une prothèse totalement implantable, en élastomère de silicone. Elle est composée de 3 éléments : une manchette sphinctérienne périanale, une pompe de contrôle pourvue d’un septum, un ballon régulateur de pression. Ces 3 éléments sont reliés entre eux par des tubulures résistantes aux plicatures. La manchette sphinctérienne est implantée à la partie haute du canal anal. Le choix de la manchette est déterminé par des mesures faites au cours de l’implantation. Le ballon régulateur de pression est implanté dans l’espace sous-péritonéal latérovésical. Il contrôle le niveau de pression exercé par la manchette occlusive sur le canal anal. La pompe de contrôle est implantée dans le scrotum, chez l’homme, ou la grande lèvre, chez la femme. Le fonctionnement sphinctérien est semi-automatique. L’occlusion anale est assurée de façon automatique et permanente à des pressions basses proches des valeurs physiologiques par la manchette sphinctérienne. Ces valeurs sont transmises à la manchette occlusive par le ballon régulateur de pression. L’exonération est déclenchée de manière active par le patient. La mise en place nécessite une intervention chirurgicale effectuée dans des conditions rigoureuses d’asepsie. En effet, l’implantation d’un matériel prothétique au niveau périanal expose à des risques infectieux signifi catifs. Par ailleurs, une préparation digestive et cutanée du patient est effectuée plusieurs jours avant l’intervention. L’activation du sphincter se fait habituellement dans le mois qui suit l’implantation, lorsque la cicatrisation est obtenue et que les remaniements infl ammatoires liés à l’intervention sont limités.Le sphincter anal magnétique Fenix® (Torax Medical) s’inspire du dispositif antireflux Linx®

(Torax Medical), récemment mis au point pour le traitement du reflux gastro-œsophagien. Le fonctionnement de ces prothèses est fondé sur le principe du “stent inversé” : le système, constitué de billes magnétiques, délivre une pression négative autour du tube qu’il encercle. Cette force magnétique peut être levée temporairement pour autoriser le passage de selles et se rétablir immédiatement ensuite. Le sphincter magnétique est constitué de billes aimantées assemblées les unes aux autres par des fils de titane indépendants. Chaque bille contient 2 pièces en titane (une mâle et une femelle) assemblées hermétiquement

autour d’un aimant en néodyme-fer-bore (NdFeB). L’appareil est conçu pour renforcer la fonction des sphincters anaux sans créer d’obstruction. Il est fonctionnel immédiatement après son implantation. Lors de l’exonération, le patient pousse de façon physiologique, et la force générée sépare les billes afin d’ouvrir le canal anal. Les selles peuvent ainsi traverser le canal anal. Sa mise en place est plus simple que celle du précédent dispositif, mais nécessite d’observer les mêmes règles de rigueur d’asepsie.

Résultats des sphincters artifi ciels

Depuis la première implantation d’un sphincter artificiel pour incontinence anale en 1987 (8), les résultats font état d’une amélioration significative et durable du statut de continence des patients, mais ils sont débattus, en raison d’une morbidité assez significative ; il est parfois nécessaire d’explanter le matériel. Récemment, M.T. Wong et al. ont rapporté un taux de sphincters encore activés à 6 ans de 67 %, et des résultats fonctionnels et de qualité de vie satisfaisants (9). La place du sphincter artificiel dans le traitement de l’incontinence fécale reste donc discutée. Comparé à la neurostimulation sacrée, il semble offrir de meilleurs résultats en termes de continence. Néanmoins, en raison d’une fréquence plus élevée de symptômes de constipation obstructive après l’opération et d’une technique plus invasive, il tend à être proposé préférentiellement en deuxième intention. Le sphincter anal magnétique est un dispositif plus récent dont les résultats semblent prometteurs. Plus qu’un remplacement sphinctérien, cette méthode se définit comme une “augmentation sphinctérienne”. En effet, le renforcement canalaire passif par ce bracelet magnétique confère à la technique originalité et simplicité d’utilisation. Le patient n’a finalement qu’à reproduire les efforts d’exonération pour évacuer le rectum. L’étude la plus récente rapporte les résultats avec un suivi moyen de 1,5 an (10). Parmi 23 patients implantés, seuls 2 ont nécessité l’explantation du matériel. Comparé au sphincter artificiel classique, le sphincter anal magnétique a permis de réduire la durée opératoire et la durée d’hospitalisation. Bien que ces résultats soient encourageants, l’utilisation du sphincter magnétique est actuellement limitée à un faible nombre de centres, et son efficacité en cours d’évaluation (11).

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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 6 - novembre-décembre 2014 | 271

DOSSIER

Les irrigations coliques

Principes techniques

Les irrigations coliques ont pour but de vider le côlon pour réduire les fuites (figure 5). Classiquement, les irrigations sont rétrogrades par voie transanale. Dans le cas de l’incontinence, ces procédés sont parfois d’une effi cacité limitée par l’absence de retenue. Par ailleurs, le lavement est aussi restreint dans son étendue, et ne permet pas de vidanger l’en-semble du cadre colique, mais uniquement la partie gauche. C’est pour ces raisons que les irrigations antérogrades ont été proposées. C’est Malone qui, en 1990, a décrit pour la première fois l’utilisation de l’appendice pour créer une ministomie au niveau de la fosse iliaque droite, pour cathétériser le côlon au moyen de sondes d’irrigations et effectuer des lavements depuis le cæcum jusqu’à l’anus. Cette méthode est très effi cace, mais reste aujourd’hui marginale et n’est proposée qu’à un petit nombre de patients qui adhèrent parfaitement à la procé-dure des irrigations. Parfois, l’image corporelle peut être altérée par la présence de la ministomie. Chez les patients qui n’ont plus leur appendice, il est possible d’utiliser un segment d’iléon terminal, qui doit être calibré (sonde 16 fr), et qui peut servir d’intermédiaire entre la peau et le cæcum (procédé de Monti). Par ailleurs, de façon récente, la cæcostomie endoscopique a été proposée (12). Cette approche endoscopique exclusive épargne au patient une intervention chirurgicale et la morbidité qu’elle engendre. Dans cette situation, un cathéter de cæcostomie est mis en place. Son utilisation est similaire à celle des ministomies.

Résultats des irrigations antérogrades

Il n’y a pas d’essais comparatifs dans la littérature, et encore moins d’essais randomisés. Toutefois, les articles rapportent une amélioration de la qualité de vie des patients (sélectionnés) très signifi cative. Dans les séries pédiatriques, un taux de succès de 90 % est souvent rapporté ; chez l’adulte, ce chiffre est compris entre 50 et 80 %. Cependant, les séries ont des effectifs assez limités, et les auteurs avouent toujours réserver cette approche à des patients bien sélectionnés. La procédure ne peut donc pas être généralisée. Un avantage de l’irrigation antérograde est qu’elle est effi cace à la fois chez les patients incontinents et les sujets constipés. En cas de trouble mixte, c’est une option qu’il faut savoir proposer.

Les injections intrasphinctériennesCette approche thérapeutique mini-invasive récente est en cours d’évaluation. Son objectif est de renforcer l’appareil sphinctérien en réalisant des injections de matériaux inertes mais créant un effet volume. La continence s’en trouve améliorée. Elle est séduisante car assez reproductible et simple. Les injections peuvent être envisagées en ambulatoire et éventuellement de façon répétée. La littérature rapporte l’usage de nombreux matériaux, et il est diffi cile actuellement de dégager la supériorité de certains. L’hétérogénéité des études et les faibles effectifs rendent toute conclusion diffi cile (13). Il est néanmoins probable que cette méthode trouve à l’avenir sa place dans l’arsenal thérapeutique.

Figure 5. Schéma des différents abords pour irrigations coliques. Les irrigations antéro-grades peuvent se faire par un cathéter de cæcostomie mis en place par voie endo-scopique (A). L’intervention de Malone consiste à utiliser l’appendice monté en stomie comme voie d’abord pour cathétériser le côlon (B) ; la dernière anse iléale peut également être utilisée (procédé de Monti-Malone) [C]. Les irrigations rétrogrades se font par voie transanale grâce à des dispositifs dédiés (D).

A

B

C

D

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272 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 6 - novembre-décembre 2014

Progrès récents dans l’approche chirurgicale de l’incontinence anale de l’adulte

DOSSIERProctologie : quoide neuf en 2014 ?

Comment choisir la meilleure approche ?On peut schématiquement proposer un arbre décisionnel qui part de l’existence ou de l’absence d’un trouble de la statique pelvienne, et d’une rupture sphinctérienne accessible à une répara-tion (fi gure 6). Un trouble de la statique rectale oriente dans un premier temps vers une prise en charge spécifi que, car celle-ci peut déjà améliorer la continence anale. Dans les autres situations, la réparation sphinctérienne est probablement à ce jour la technique de choix, à condition d’avoir des tissus de bonne qualité. En cas d’échec ou de récidive de l’incontinence, le test de neurostimulation sacrée paraît une alternative mini-invasive effi cace, et, dans les autres situations, peut être une approche mini-

invasive raisonnable. En cas d’échec, se discutent alors une méthode de substitution sphinctérienne (sphincter artifi ciel magnétique ou sphincter arti-fi ciel en silicone), une méthode d’irrigation colique (Malone), surtout si les troubles sont mixtes (consti-pation et incontinence), ou bien, en dernier recours, une stomie. Les procédés d’injections intrasphincté-riennes doivent trouver leur place chez des patients âgés et fragiles, en alternative à la neurostimulation sacrée.Ces propositions thérapeutiques sont le reflet d’une interprétation des résultats de la littérature et vont évoluer dans les années à venir. L’évalua-tion médicoéconomique de l’une et l’autre de ces techniques manque également, et constitue un élément qu’il faudra prendre en compte dans les arbres décisionnels. ■

Figure 6. Algorithme de la prise en charge actuelle de l’incontinence anale, avec l’apport des techniques récentes.

Incontinence anale

Injections sphinctériennes

Implantation Neurostimulation sacrée

Substitution sphinctérienne

Réparation sphinctérienne

Irrigationscoliques Stomie

Chirurgie de correction

Traitement médical conservateurDiététique, lopéramide, rééducation

Succès

Succès

Succès

Succès

Surveillance

Surveillance

Surveillance

Échec

Échec

Échec

Échec

Bilan complémentaire :manométrie anorectale, échographie endoanale, déféco-IRM

Trouble de la statique rectale

Absence de troublede la statique rectale

Rupture sphinctérienneaccessible à une réparation

Absence de rupture sphinctérienne

Test de neurostimulation sacrée

Références bibliographiques

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Guillaume Meuretten'a pas précisé ses éventuels

liens d'intérêts.

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Progrès récents dans l’approche chirurgicale de l’incontinence anale de l’adulte

DOSSIERProctologie : quoi de neuf en 2014 ?

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