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Présentation d’une acquisition faite en 2015 d’un volume coranique ayant appartenu à l’émir Abd el-Kader dans la vitrine des Arts du Livre, au niveau parterre, du 14 juillet au 12 décembre 2016. 1. Volume (juzʾ) d’un manuscrit du coran Égypte, Le Caire, achevé le 10 dhu al-hijja 789 H/22 décembre 1387 Copié par Ahmad al--Isfahani dans la madrasa du sultan Abu Saʿid Barquq Encre, pigments et or sur papier Musée du Louvre, DAI, achat, 2015, MAO 2281 Collection de l’émir Abd el-Kader, offert à Léon Roches. Il s’agit du dixième volume d’un manuscrit du Coran divisé en trente volumes, comportant 18 feuillets. Le texte va de la sourate 8, verset 41 à la sourate 9, verset 92. Le manuscrit a perdu sa reliure et ses feuillets sont en partie disjoints, c’est pourquoi il est ici montré en deux cahiers placés côte à côte, permettant une plus ample présentation. Ce type de coran en trente volumes était utilisé quotidiennement pour des lectures liturgiques. Double-page d’ouverture (sourate 8, versets 41-42) © Musée du Louvre, dist. RMN - Grand Palais / Harry Bréjat Le manuscrit s’ouvre sur une page frontispice indiquant le numéro de volume (illustration ci- dessous), suivie d’une double-page d’ouverture enluminée, à décor de rinceaux ponctués de boutons de lotus. Le style du décor est assez inhabituel et peut-être l’œuvre du copiste, d’origine iranienne (Ahmad al-Isfahani = « d’Ispahan »).

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Page 1: Présentation d’une acquisition faite en 2015 d’un volume … · 2016-07-26 · Présentation d’une acquisition faite en 2015 d’un volume coranique ayant appartenu à l’émir

Présentation d’une acquisition faite en 2015 d’un volume coranique ayant

appartenu à l’émir Abd el-Kader dans la vitrine des Arts du Livre, au niveau

parterre, du 14 juillet au 12 décembre 2016.

1. Volume (juzʾ) d’un manuscrit du coran Égypte, Le Caire, achevé le 10 dhu al-hijja 789 H/22 décembre 1387

Copié par Ahmad al--Isfahani dans la madrasa du sultan Abu Saʿid Barquq

Encre, pigments et or sur papier

Musée du Louvre, DAI, achat, 2015, MAO 2281

Collection de l’émir Abd el-Kader, offert à Léon Roches.

Il s’agit du dixième volume d’un manuscrit du Coran divisé en trente volumes, comportant 18

feuillets. Le texte va de la sourate 8, verset 41 à la sourate 9, verset 92. Le manuscrit a perdu

sa reliure et ses feuillets sont en partie disjoints, c’est pourquoi il est ici montré en deux

cahiers placés côte à côte, permettant une plus ample présentation. Ce type de coran en trente

volumes était utilisé quotidiennement pour des lectures liturgiques.

Double-page d’ouverture (sourate 8, versets 41-42)

© Musée du Louvre, dist. RMN - Grand Palais / Harry Bréjat

Le manuscrit s’ouvre sur une page frontispice indiquant le numéro de volume (illustration ci-

dessous), suivie d’une double-page d’ouverture enluminée, à décor de rinceaux ponctués de

boutons de lotus. Le style du décor est assez inhabituel et peut-être l’œuvre du copiste,

d’origine iranienne (Ahmad al-Isfahani = « d’Ispahan »).

Page 2: Présentation d’une acquisition faite en 2015 d’un volume … · 2016-07-26 · Présentation d’une acquisition faite en 2015 d’un volume coranique ayant appartenu à l’émir

Page frontispice indiquant le numéro de volume

© 2016 Musée du Louvre / Hervé Lewandowski

Double-page de texte (sourate 9, versets 59-68)

© 2016 Musée du Louvre / Hervé Lewandowski

La page est animée par une alternance d’écritures : large muhaqqaq et naskh de petite taille.

Les versets sont séparés par des petites rosettes dorées, tandis que des médaillons marginaux

marquent les groupes de cinq versets.

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Colophon

© 2016 Musée du Louvre / Hervé Lewandowski

2. Volume (juzʾ) du même coran Égypte, Le Caire, terminé le 10 dhu al-hijja 789 H/22 décembre 1387

Copié par Ahmad al-Isfahani dans la madrasa du sultan Abu Saʿid Barquq

Encre, pigments et or sur papier ; reliure en cuir estampé et doré

Bruxelles, Bibliothèque Royale de Belgique, Ms 19991

Don de Clot Bey, 1851

Ce manuscrit correspond au 15e volume du même coran. Il comporte un colophon identique à

celui du volume du Louvre et le décor d’enluminure est très semblable, avec quelques

variations. Il a conservé sa reliure originelle, à décor de médaillon central, et dont la doublure

intérieure en cuir gaufré présente un motif de rinceaux végétaux. Ce volume a certainement

été acquis au Caire par Antoine Clot, dit Clot-Bey, qui vécut en Egypte entre 1825 et 1858, en

tant qu’Inspecteur Général de la santé. Le musée du Louvre acheta entre 1851 et 1853 une

partie de sa collection d’antiquités égyptiennes.

Cette œuvre sera remplacée à partir du 18 octobre 2016 par :

Reliure de manuscrit Égypte, fin du 14e siècle

Cuir estampé et doré ; doublure en soie façonnée

Musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, achat, 1985 ; MAO 724

© Musée du Louvre, dist. RMN - Grand Palais / Hughes Dubois

La dernière page contient le colophon

indiquant, dans un encadrement doré, le

nom du copiste, la date et, de manière

plus rare, le lieu de copie : la madrasa

du sultan Barquq. La tâche noirâtre

correspond à une tentative d’effacer le

nom de la madrasa, probablement au

moment où le manuscrit en est sorti.

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3. Volume (juzʾ) d’un coran Égypte, Le Caire, vers 1390

Encre, pigments et or sur papier ; reliure en cuir estampé et doré

Paris, collection privée

Il faisait partie à l’origine d’un autre coran en 30 volumes, dont deux juzʾ-s sont conservés à

la Bibliothèque nationale de France. Une mention marginale indique qu’il a été déposé dans la

madrasa du sultan Barquq, mais il ne comporte pas de colophon nous renseignant sur les

circonstances de sa copie. Son écriture et le style de la reliure, sont très proches de ceux des

volumes précédents. Le décor d’enluminure est en revanche assez différent, dans les motifs

choisis comme dans les coloris.

Documents adjoints au volume du coran

Au moment de son acquisition, le manuscrit était accompagné de trois documents qui

permettent de reconstituer partiellement son histoire :

4. Lettre de la fille de Léon Roches à S. Carraby Château de la Tourette (à Floirac, près de Bordeaux), le 8 mars 1909

Encre sur papier

Musée du Louvre, DAI, achat, 2015, MAO 2281

Cette lettre mentionne le volume de coran comme étant un don de l’émir Abd el-Kader à Léon

Roches, ainsi que la lettre de l’émir (no 5). La fille de Léon Roches y explique qu’elle l’offre à

l’avocat Pierre-Étienne (dit Stephen) Carraby (1830-1913), lequel avait réédité et préfacé les

souvenirs de Léon Roches en 1904.

Transcription de la lettre

La Tourette 8 mars [19]09

Cher Monsieur

En réponse à votre lettre du 20 Février dernier je suis heureuse de pouvoir accéder à votre

désir. Je vous envoie une des neuf parties du Coran du 10 zilhidja 789 de l’hégire 1390

environ fin du 14ème

siècle. Le coran a appartenu à l’Emir Abdel-Kader. C’est un des très

rares effets qu’il avait donnés à mon cher père. J’y joins une lettre autographe avec la

traduction que mon père en a faite. C’est de tout cœur, cher Monsieur, que je me dépare de

ces souvenirs en faveur de l’écrivain de mérites qui a si bien contribué à faire revivre la

mémoire de celui qui a joué un rôle si important auprès du célèbre Emir.

Mon mari tient à se rappeler à votre bon souvenir.

Recevez cher Monsieur avec toute ma reconnaissance l’expression de mes sentiments

distingués.

M. Laliman née Roches

5. Lettre autographe de l’émir Abd el-Kader à Léon Roches Damas, datée du 20 shaʿban 1274/5 avril 1858

Encre sur papier

Musée du Louvre, DAI, achat, 2015, MAO 2281

Cette lettre ne mentionne pas le manuscrit coranique, mais témoigne des échanges épistolaires

entretenus entre les deux hommes. Un choix de lettres d’Abd el-Kader a été publié en

traduction par Léon Roches dans ses mémoires. D’autres correspondances conservées de

l’émir montrent une écriture identique et le même cachet.

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Traduction par Léon Roches

Louanges à Dieu.

A monsieur Léon Roches, seigneur doué des meilleures qualités et aux actions éclatantes.

Que Dieu vous donne éternellement le bonheur, le bien-être, la joie et la pureté. Après vous

avoir demandé de vos nouvelles et avoir fait des vœux pour votre bonheur dans ce monde et

dans l’autre, je vous informe que votre lettre nous est enfin parvenue après un long silence de

votre part qui nous inquiétait. Mais votre lettre est venue nous prouver la constance de votre

amitié, ce que nous savions bien déjà. Nous vous excusons en raison des importantes affaires

qui vous occupent. Que Dieu vous aide à faire le bien et qu’il vous rende digne de le faire.

Nous vous sommes reconnaissants de vos bienfaits envers le seïd défunt Mohammed es-Saghir

et envers ses enfants, après lui. Que Dieu vous récompense en vous donnant le lot le meilleur

et la plus belle part de bonheur. Je souhaite que vos bonnes actions vous fassent parvenir au

rang des justes dans le Paradis.

Celui qui fait le bien ne manque jamais d’être récompensé. La vie est un emprunt de quelques

jours et qu’on doit rendre bientôt. Il ne reste après que les éloges (qu’on a mérités). Que Dieu

vous donne sa providence et vous préserve de tout mal.

En ce qui concerne les immeubles vous avez fait tout ce que vous deviez.

Salut de la part d’Abd el-Kader fils de Mohhy ed-Din

Le 20 du mois de Chaʿban 1274 (5 avril 1858)

En post-scriptum :

Je n’ai pas besoin de vous recommander le fils de mon ami le seïd Mohammed es-Saghir, car

Dieu a placé dans votre cœur l’amour du bien qui est la base de toutes les bonnes actions

dans ce monde et dans l’autre.

© Musée du Louvre, dist. RMN - Grand Palais / Harry Bréjat

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6. Portrait de l’émir Abd el-Kader (?) Signé : Sharam (?) ibn Habib Allah, 1841

Aquarelle sur papier

Musée du Louvre, DAI, achat, 2015, MAO 2281

La signature énigmatique, apposée en bas à droite, n’a pas été identifiée ; la date est notée en

chiffres orientaux mais selon le calendrier grégorien (et non hégirien), une caractéristique que

l’on retrouve sur des sceaux et des inscriptions en arabe produits par les autorités françaises

dans les premiers temps de la conquête de l’Algérie. S’il s’agit bien d’un portrait de l’émir

Abd el-Kader, alors il serait son plus ancien portrait, avant sa reddition. A-t-il été exécuté par

Léon Roches utilisant un pseudonyme ? Sa correspondance avec l’émir indique qu’il

pratiquait le dessin et la peinture.

Documentation complémentaire

Le complexe du sultan Barquq au Caire

Ce grand établissement religieux et funéraire est fondé en 1386 par le sultan mamlouk

Barquq. Il comprend une madrasa (lieu d’enseignement religieux qui servait aussi de

mosquée), un mausolée pour le sultan et ses proches, et une khanqah, sorte d’hospice pour un

groupe de soufis (mystiques). Il rassemblait une centaine d’étudiants et un important

personnel chargé de l’enseignement, du service liturgique et de l’entretien de l’établissement ;

parmi eux figuraient de nombreux soufis, surtout d’origine iranienne. Le copiste de notre

manuscrit était probablement l’un d’eux. Le décor de ce monument de prestige – portail orné,

marbres colorés, boiseries peintes et dorées – rappelle parfois le décor des manuscrits. Parmi

le mobilier figuraient des lampes en verre émaillé et doré : le département des Arts de l’Islam

en possède une, présentée dans ces salles, vitrine 65.

Léon Roches (1809-1901)

Ayant rejoint son père en Algérie dès 1832, il apprend l’arabe et devient interprète militaire.

Entre 1837 et 1839, se faisant passer pour un converti, il officie comme secrétaire et interprète

auprès de l’émir Abd el-Kader, avant de repasser côté français. Après la capitulation d’Abd

el-Kader en 1847, et jusqu’à sa mort en 1883, ils échangent une correspondance suivie et

partagent un intérêt bibliophile. Léon Roches relate cette amitié dans ses souvenirs : Trente-

deux ans à travers l’islam (1832-1864), publié à Paris en 1884-1885, et republié sous le titre

Dix ans à travers l’Islam (1834-1844) en 1904. Après avoir joué un rôle obscur auprès de

l’armée au Maghreb entre 1839 et 1845, il est nommé par la suite à des postes diplomatiques

en Lybie, en Tunisie et au Japon.

L’émir Abd el-Kader (1808-1883)

Membre d’une noble famille se réclamant de la descendance du Prophète, et appartenant à la

confrérie mystique des Qadiriyya, il allie les qualités d’un chef militaire et d’un maître

spirituel. Il se lance dans la lutte contre la présence française à partir de 1832 et assied sa

domination sur l’ouest de l’Algérie. À la suite de sa reddition en 1847, Abd el-Kader est

prisonnier en France jusqu’à sa libération en 1852. Il s’installe à Damas en 1855 où il se

consacre à la vie spirituelle jusqu’à sa mort. Il passe par l’Égypte à deux reprises en

1863-1864 et en 1869. Son intérêt pour les livres transparait à travers sa bibliothèque saisie

par l’armée française (musée Condé à Chantilly) et sa correspondance avec Léon Roches.

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Dans la vitrine des grands formats est exposée une moitié de devant de caftan

Moitié de devant de caftan Istanbul ou Bursa, seconde moitié du 16e siècle – début du 17e siècle

Lampas de soie broché de fils d’or et d’argent

Achat, 1996 ; ancienne collection Kelekian ; MAO 1205

Le caftan se portait dans l’empire ottoman sur un large pantalon bouffant. Les lampas de soie

étaient fabriqués à Istanbul mais aussi à Bursa, ville d’Anatolie occidentale spécialisée dans le

commerce de la soie et la production de soieries.