quand l’épigénétique s’invite dans les salles de sport

1
REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2013 - N°455 // 25 L’épigénétique désigne l’ensemble des mécanismes impliqués dans la régula- tion de l’expression des gènes. Cette régulation, remarquable par son extrême plasticité, varie de façon adaptée selon les moments, le type cellulaire et en réponse à différents stimuli. Les modifi- cations post-traductionnelles (acétyla- tion ou méthylation essentiellement) des histones de la chromatine représentent un des principaux mécanismes de ces phénomènes, assurant un permanent va et vient sur l’ensemble des gènes, entre une euchromatine ouverte, active et une hétérochromatine fermée, inac- tive. Des altérations épigénétiques ont été incriminées dans la survenue de certaines pathologies, mais très peu de travaux se sont intéressés à l’impact de conditions extérieures sur l’épigénome. Un travail passionnant a étudié les modi- fications de l’épigénome des cellules adipeuses faisant suite à une activité physique régulière. C’est le niveau de méthylation de l’ensemble de l’ADN du tissu adipeux qui a été ici analysé, au moyen d’une puce à ADN sophistiquée capable de quantifier, grâce à près de 500 000 microsondes, la méthylation de la quasi-totalité des gènes d’intérêt de ce tissu. L’étude a enrôlé 23 sujets sains non sportifs, analysés avant et après six mois d’une activité physique régulière (à raison de 2 séances par semaine). Les sujets avaient une quarantaine d’années et la moitié présentaient des antécé- dents familiaux de diabète. L’intervention physique améliore de façon prévisible de nombreux para- mètres classiques du risque cardio- vasculaire, tels que le rapport taille- hanches, la pression artérielle et la fréquence cardiaque. L’activité sportive modifie surtout en parallèle, et de façon significative (p < 0,05), le niveau global de méthylation de l’ADN sur près de 18 000 résidus CpG, répartis sur plus de 7 000 gènes. Une analyse transcrip- tomique de ces gènes a ensuite été réalisée, montrant sur un tiers des ARN étudiés une modulation significative du niveau d’expression. La majorité des gènes concernés ont un niveau de méthylation augmenté, avec une expression diminuée. Parmi ces gènes ont été identifiés deux répresseurs transcriptionnels, HDAC4 et NCOR2, dont l’activité réprimée au niveau des adipocytes pourrait être bénéfique quant à la survenue d’une obésité ou d’un diabète. Un autre gène, RALBP1, présente également une expression diminuée en réponse à l’exercice physique, ce qui pour- rait là encore être bénéfique puisque RALBP1 est impliqué dans la survenue du syndrome cardiométabolique. Une quarantaine d’autres gènes candidats impliqués dans le diabète et/ou l’obésité voient leur niveau de méthylation modi- fié suite à la pratique régulière d’une activité physique. Rönn T, Volkov P, Davegårdh C, et al. PLoS Genet 2013;9(6):e1003572. Quand l’épigénétique s’invite dans les salles de sport Une activité physique régulière modifie le niveau de méthylation des gènes impliqués dans le diabète et/ou l’obésité. Le taux annualisé de rechute est plus faible dans les deux groupes ayant reçu l’anti- corps (0,21 et 0,23 pour les deux doses administrées, respectivement), avec une diminution de 54 % (IC 95 % : 33-68 %) et de 50 % (IC 95 % : 28-65 %) respective- ment, comparé au groupe placebo, qui a présenté un taux moyen de rechute annua- lisé à 0,46. Ainsi, davantage de patients traités sont indemnes de toute poussée à 1 an dans les groupes recevant l’anticorps (81 et 80 %) que dans le groupe placebo (64 %, p < 0,0001 et p = 0,0003 respective- ment). L’imagerie cérébrale est également améliorée par l’anticorps, avec une réduc- tion du nombre de lésions prenant le gado- linium et/ou de l’apparition de nouvelles lésions en T2 et en T1 sous traitement. En termes de tolérance, le taux d’effets indésirables sévère est de 6 % dans le groupe placebo, contre 7 et 9 % dans les groupes traités par 150 mg ou 300 mg de daclizumab. Par ailleurs 2 % des patients traités ont présenté des infections sérieuses, dont un sujet étant décédé d’un abcès du psoas. D’autres effets secondaires, notamment cutanés et hépatiques, ont été notés. Quatre patients ont développé un cancer durant le suivi : 2 mélanomes et 1 cancer du col dans le groupe traité et 1 cancer du col dans le groupe placebo. Au vu de ces résultats, on peut donc conclure, à l’instar des auteurs, à l’effi- cacité du daclizumab, tout en émettant quelques réserves. La première concerne bien sûr la tolérance, puisque la survenue d’infections sévères et de néoplasies imposera une surveillance toute par- ticulière chez les patients ainsi traités (dans la vie réelle en cas d’AMM ou au cours de futurs essais éventuels). C’est surtout la méthodologie de l’essai qui pose problème, d’un point de vue métho- dologique mais aussi d’un point de vue éthique. On ne peut en effet que regretter que l’évaluation de l’anticorps ait été faite contre placebo, alors que d’autres traitements de la SEP sont aujourd’hui disponibles et que les trois quarts des sujets inclus n’avaient jamais reçu de traitement préalable pour leur maladie. En dépit de ces réserves importantes, la piste de l’inactivation de la signalisation de l’IL-2 dans le traitement de la SEP reste prometteuse et mérite des inves- tigations plus poussées. Ralf Gold R; Giovannoni G, Selmaj K, et al. Lancet 2013;381:2167-75.

Upload: trinhdat

Post on 31-Dec-2016

216 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Quand l’épigénétique s’invite dans les salles de sport

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2013 - N°455 // 25

L’épigénétique désigne l’ensemble des mécanismes impliqués dans la régula-tion de l’expression des gènes. Cette régulation, remarquable par son extrême plasticité, varie de façon adaptée selon les moments, le type cellulaire et en réponse à différents stimuli. Les modifi-cations post-traductionnelles (acétyla-tion ou méthylation essentiellement) des histones de la chromatine représentent un des principaux mécanismes de ces phénomènes, assurant un permanent va et vient sur l’ensemble des gènes, entre une euchromatine ouverte, active et une hétérochromatine fermée, inac-tive. Des altérations épigénétiques ont été incriminées dans la survenue de certaines pathologies, mais très peu de travaux se sont intéressés à l’impact de conditions extérieures sur l’épigénome.Un travail passionnant a étudié les modi-fications de l’épigénome des cellules adipeuses faisant suite à une activité physique régulière. C’est le niveau de méthylation de l’ensemble de l’ADN du tissu adipeux qui a été ici analysé, au moyen d’une puce à ADN sophistiquée capable de quantifier, grâce à près de 500 000 microsondes, la méthylation de la quasi-totalité des gènes d’intérêt de

ce tissu. L’étude a enrôlé 23 sujets sains non sportifs, analysés avant et après six mois d’une activité physique régulière (à raison de 2 séances par semaine). Les sujets avaient une quarantaine d’années

et la moitié présentaient des antécé-dents familiaux de diabète.L’intervention physique améliore de façon prévisible de nombreux para-mètres classiques du risque cardio-vasculaire, tels que le rapport taille-hanches, la pression artérielle et la fréquence cardiaque. L’activité sportive modifie surtout en parallèle, et de façon significative (p < 0,05), le niveau global de méthylation de l’ADN sur près de

18 000 résidus CpG, répartis sur plus de 7 000 gènes. Une analyse transcrip-tomique de ces gènes a ensuite été réalisée, montrant sur un tiers des ARN étudiés une modulation significative du niveau d’expression. La majorité des gènes concernés ont un niveau de méthylation augmenté, avec une expression diminuée.Parmi ces gènes ont été identifiés deux répresseurs transcriptionnels, HDAC4 et NCOR2, dont l’activité réprimée au niveau des adipocytes pourrait être bénéfique quant à la survenue d’une obésité ou d’un diabète. Un autre gène, RALBP1, présente également une expression diminuée en réponse à l’exercice physique, ce qui pour-rait là encore être bénéfique puisque RALBP1 est impliqué dans la survenue du syndrome cardiométabolique. Une quarantaine d’autres gènes candidats impliqués dans le diabète et/ou l’obésité voient leur niveau de méthylation modi-fié suite à la pratique régulière d’une activité physique.

Rönn T, Volkov P, Davegårdh C, et al. PLoS

Genet 2013;9(6):e1003572.

Quand l’épigénétique s’invite dans les salles de sport

Une activité physique régulière modifie le niveau de méthylation des gènes impliqués dans le diabète et/ou l’obésité.

Le taux annualisé de rechute est plus faible dans les deux groupes ayant reçu l’anti-corps (0,21 et 0,23 pour les deux doses administrées, respectivement), avec une diminution de 54 % (IC 95 % : 33-68 %) et de 50 % (IC 95 % : 28-65 %) respective-ment, comparé au groupe placebo, qui a présenté un taux moyen de rechute annua-lisé à 0,46. Ainsi, davantage de patients traités sont indemnes de toute poussée à 1 an dans les groupes recevant l’anticorps (81 et 80 %) que dans le groupe placebo (64 %, p < 0,0001 et p = 0,0003 respective-ment). L’imagerie cérébrale est également améliorée par l’anticorps, avec une réduc-tion du nombre de lésions prenant le gado-linium et/ou de l’apparition de nouvelles lésions en T2 et en T1 sous traitement.En termes de tolérance, le taux d’effets indésirables sévère est de 6 % dans

le groupe placebo, contre 7 et 9 % dans les groupes traités par 150 mg ou 300 mg de daclizumab. Par ailleurs 2 % des patients traités ont présenté des infections sérieuses, dont un sujet étant décédé d’un abcès du psoas. D’autres effets secondaires, notamment cutanés et hépatiques, ont été notés. Quatre patients ont développé un cancer durant le suivi : 2 mélanomes et 1 cancer du col dans le groupe traité et 1 cancer du col dans le groupe placebo.Au vu de ces résultats, on peut donc conclure, à l’instar des auteurs, à l’effi-cacité du daclizumab, tout en émettant quelques réserves. La première concerne bien sûr la tolérance, puisque la survenue d’infections sévères et de néoplasies imposera une surveillance toute par-ticulière chez les patients ainsi traités

(dans la vie réelle en cas d’AMM ou au cours de futurs essais éventuels). C’est surtout la méthodologie de l’essai qui pose problème, d’un point de vue métho-dologique mais aussi d’un point de vue éthique. On ne peut en effet que regretter que l’évaluation de l’anticorps ait été faite contre placebo, alors que d’autres traitements de la SEP sont aujourd’hui disponibles et que les trois quarts des sujets inclus n’avaient jamais reçu de traitement préalable pour leur maladie.En dépit de ces réserves importantes, la piste de l’inactivation de la signalisation de l’IL-2 dans le traitement de la SEP reste prometteuse et mérite des inves-tigations plus poussées.

Ralf Gold R; Giovannoni G, Selmaj K, et al.

Lancet 2013;381:2167-75.