quelques problemes des experts techniques canadiens a l'etranger

10
QUELQUES PROBLEMES DES EXPERTS TECHNIQUES CANADIENS A L’ETRANGER Keith Spicer Depuis 1958, d e w kvknements ont kvei116 l’intkri3t populaire A l’aspect humain de l’aide internationale. Dabord, la publicitk tapageuse montee aux Etats-Unis autour de The Ugly American, satire masochiste sur les moeurs et la mentalitk des diplomates et techniciens de Washington en Asie du Sud-Est. Ensuite, la crkation, dans une belle pouss6e d’idkalisme -vite kpuis6 dans certains cas-dune serie de groupes de “volontaires pour la paix” dans plusieurs pays occidentaux, tous plus ou moins inspires par l’exemple du “Peace Corps” du President Kennedy. Ces deux 6vknements donnerent au probleme du service A PBtranger relief et notorietk, et provoqu6rent une etude plus approfondie du comportement des techniciens occidentaux dans les pays sous-d&eloppds. La litthrature commerciale de Burdick et Lederer, auteurs du livre dkja cit6, avait defini le cadre sociologique de la question et montre les defaillances rkelles ou imaginkes de certains missionnaires de l’rimerican Way of Life: la constitution dune armbe pacifique de jeunes volontaires revela I’ampleur du dkfi et imprima A la recherche de remddes appropries une urgence et me inspiration toutes nouvelles. En un mot, la prhparation des techni- ciens occidentaux et leurs difficultks devant des conditions culturelles, Bconomiques et administratives 6trangBres devinrent, en l’espace de quelques mois, une preoccupation quasi-gkn6rale des klites profes- sionnelles et politiques de tous les grands pays fournissant une aide technique. Quelle est donc la situation du Canada-une des grandes puissances en ce domaine-face aux probldmes de son personnel technique dans les pays moins fortunes? Quelles sont les difficult6s les plus aigues de nos experts en mission outre-mer? Quelles sont les solutions qui semblent s’imposer? A quel point ces techniciens atteignent-ils les buts Bcono- miques et politiques qui leur sont assignks? Nous essayerons de suggdrer des rbponses A ces questions en Bvoquant successivement les caractk- ristiques du phenomkne nouveau de l’assistance technique, la physio- nomie des problkmes spkcifiques rencontrks par les experts canadiens et l’efficacith avec laquelle nos compatriotes contribuent A la realisation des objectifs majeurs de la politique canadienne. 209

Upload: keith-spicer

Post on 29-Sep-2016

215 views

Category:

Documents


2 download

TRANSCRIPT

QUELQUES PROBLEMES DES EXPERTS TECHNIQUES CANADIENS A L’ETRANGER

Keith Spicer

Depuis 1958, dew kvknements ont kvei116 l’intkri3t populaire A l’aspect humain de l’aide internationale. Dabord, la publicitk tapageuse montee aux Etats-Unis autour de The Ugly American, satire masochiste sur les moeurs et la mentalitk des diplomates et techniciens de Washington en Asie du Sud-Est. Ensuite, la crkation, dans une belle pouss6e d’idkalisme -vite kpuis6 dans certains cas-dune serie de groupes de “volontaires pour la paix” dans plusieurs pays occidentaux, tous plus ou moins inspires par l’exemple du “Peace Corps” du President Kennedy. Ces deux 6vknements donnerent au probleme du service A PBtranger relief et notorietk, et provoqu6rent une etude plus approfondie du comportement des techniciens occidentaux dans les pays sous-d&eloppds. La litthrature commerciale de Burdick et Lederer, auteurs du livre dkja cit6, avait defini le cadre sociologique de la question et montre les defaillances rkelles ou imaginkes de certains missionnaires de l’rimerican Way of Life: la constitution dune armbe pacifique de jeunes volontaires revela I’ampleur du dkfi et imprima A la recherche de remddes appropries une urgence et m e inspiration toutes nouvelles. En un mot, la prhparation des techni- ciens occidentaux et leurs difficultks devant des conditions culturelles, Bconomiques et administratives 6trangBres devinrent, en l’espace de quelques mois, une preoccupation quasi-gkn6rale des klites profes- sionnelles et politiques de tous les grands pays fournissant une aide technique.

Quelle est donc la situation du Canada-une des grandes puissances en ce domaine-face aux probldmes de son personnel technique dans les pays moins fortunes? Quelles sont les difficult6s les plus aigues de nos experts en mission outre-mer? Quelles sont les solutions qui semblent s’imposer? A quel point ces techniciens atteignent-ils les buts Bcono- miques et politiques qui leur sont assignks? Nous essayerons de suggdrer des rbponses A ces questions en Bvoquant successivement les caractk- ristiques du phenomkne nouveau de l’assistance technique, la physio- nomie des problkmes spkcifiques rencontrks par les experts canadiens et l’efficacith avec laquelle nos compatriotes contribuent A la realisation des objectifs majeurs de la politique canadienne.

209

210 CANADIAN PUBLIC ADMINISTRATION

I. Le ph&nmdne nuuveau de l'assistance technique: Le concept m6me de Yaide internationale au developpement Bcono-

mique-sans contre-partie financibre ou autre pour le donateur-date seulement de la fin de la deuxikme guerre mondiale. Certes, A partir du milieu du dix-neuvikme sibcle, les pays que l'on appelle maintenant 'sous-dbvelopp6s' b&nkficiaient de deux sortes de concours extkrieurs dans leur effort de progrhs socio-kconomique. D'une part, la France, l'Alle- magne et surtout la Grande-Bretagne finansaient de vastes travaux d'in- frastructure tels que chemins de fer et installations portuaires. Plus tard l'Am6rique du Nord, principalement les Etats-Unis, fit des investissements considerables dans les industries d'extraction minibre et de consommation d'un grand nombre de pays kconomiquement arrikrks. D'autre part, on le sait, les diverses confessions chretiennes, y compris celles du Canada, apportaient comme justification et comme technique d'vangklisation les bienfaits d'une oeuvre sanitaire et culturelle.

L'idkalisme et la charit6 avaient et ont certainement une large part dans les projets des missionnaires; mais un grand nombre de nationalistes des pays de mission soutiennent que quelques groupements religieux recherchaient moins le progrks social et Bconomique des pays de sejour que les avantages de leur secte ou l'influence politique. Dans les deux cas, aide 6conomique et "aide spirituelle", le donateur pouvait Qtre souppnne de poursuivre son propre intkrgt, inter& qui ne coincidait pas necessairement avec celui du pays d'accueil. Fiddles A leur doctrine, les capitalistes cherchaient sans detours des benefices materiels. Cons- ciemment ou non, certains missionnaires desiraient gagner des Ames & un ideal lie, dans leur esprit, h la culture occidentale; ce faisant, ils esphraient renforcer sur la carte de la geopolitique religieuse mondiale la position de leur propre confession. Pour l'investisseur et l'homme de religion, rapport technique Btait considkrk non pas comme un but en soi-une contribution au ddveloppement intellectuel de la societe locale- mais comme un accessoire de leur mission primordiale, h savoir la realisation de leurs propres buts materiels, spirituels ou politiques. L'aspect "assistance technique" de la presence ktrangbre semblait donc subordonne aux inter& plus ou moins kclaires du donateur, les bienfaits techniques acquis par la population locale &ant encourages ou tol6rb seulement dans la mesure oh ces progrks se montraient compatibles avec les objectifs des &angers.

Une tout autre perspective de l'assistance technique se developpa dans les annees qui suivirent le deuxihme conflit mondial. La double menace de la subversion communiste et de la sclerose des marches internationaux -renforcke par un idealisme un peu tardif-poussa les Etats de l'occident A envisager une aide dont le but speciflque et avoue fut le relbvement du niveau de vie des pays dont l'instabilite mettait en danger la survie

QUELQTJES PROBL~MES DES EXPERTS b L'&TRANGER 21 1

des dkmocraties atlantiques eIles-mQmes. Cette fois, ce fut la conjonction des intkrdts du donateur et du '%Bnkficiaire" qui inspira l'initiative. L'kgo'isme du donateur se conciliait mieux, dks lors, avec le bien-&tre des pays mobs Bvolu6s. La science et la technologie occidentales furent offertes non plus pour maintenir I'hBgBmonie des dirigeants blancs, mais pour stimuler, encadrer-en un mot, cr6er-une 6conomie viable dans des nations jadis prides des fruits de l'exploitation de leurs ressources naturelles.

Or, pour mettre A execution cette philosophie nouvelle de l'exportation des connaissances, il fallait des hommes nouveaux alliant la technique A l'altruisme. Les agents des imphrialismes classiques, empreints essen- tiellement du dksir de profit, ne pouvaient que difficilement s'adapter A la tdche de construire des cadres techniques destines A contribuer au seul dkveloppement Bconomique du pays aidk; la "mission civilisatrice" des Bglises chrhtiennes, quel que soit leur "modernisme," reprksentait un enseignement dont, trop souvent, le contenu scientique Btait insuffisant pour satisfaire aux besoins d'une diversification Bconomique hautement complexe: l'alphabet et I'Evangile, en soi indhiables instruments de I'humanisme, fournissent peu d'indications sur la planification Bcono- mique ou I'administration publique.

L'envoi massif de techniciens occidentaux ne constitue pas d'ailleurs, A lui seul, la rBponse aux problkmes de sous-dkveloppement mis en relief par la dkcolonisation. La qualit6 et la capacitk d'adaptation des techni- ciens s'avkrent tout aussi importantes que le nombre et la &partition des conseillers. Pour &re vraiment efficace, Y'expert" occidental doit pouvoir et savoir ajuster ses connaissances A des contexts exotiques: l'agriculteur ou l'architecte doit passer des mois, voire des annkes, dans son pays de mission avant d'btre en mesure d'appliquer intelligemment sa science. Encore faut-il que ses hates lui garantissent les conditions matkrielles nhcessaires A cet apprentissage. En plus, l'expert est censB Qtre un professeur en mhme temps qu'un guide ou un exkcutant: sans rayonne- ment dans le temps et dans l'espace, la mission de l'expert constitue un Bchec en tant que contribution A une hausse constante de la production. Finalement, le technicien moderne reprksente la ddmocratie libdrale dans des pays se voulant neutres au sein de la guerre froide. Qu'il le veuille ou non, il est appelB A jouer le rBIe d'un diplomate charge d'un travail de propagande et de bonne entente. L'expert Btranger n'est plus un simple ouvrier spBcialisB, il est appelB A devenir sociologue, agent de pubIicitB et-par-dessus tout-psychologue de premier ordre. DBvouk, certes, A la diplomatie de sa patrie mais d'abord au service du pays bknBficiaire de sa contribution technique, l'expert international moderne doit relever des dkfis d'une variBtB effarante. C'est vers l'Btude des plus graves de ces difficult& que nous tournerons maintenant notre attention,

212 CANADIAN PUBLIC ADMINISTRATION

en examinant d'assez prks la reaction de l'ensemble des experts canadiens devant chacune d'entre elles.

11. La physionomie des probldms rencontrks par les experts techniques

Notre etude des probkmes des experts canadiens est bade sur une skrie d'entrevues avec des techniciens envoy& par le Canada dans le cadre du Plan de Colombo. Sur les 30 experts canadiens postks en Asie au debut de 1960, 25 furent rencontrks sur place et leurs principales difficult& furent 6tudiBes dans un questionnaire de quelques huit pages. Ce questionnaire forma ensuite h base d'un sondage des reactions de tous les 120 experts alors de retour au Canada. Le sondage lui-m&me reprksente, avec les 68 rbponses repes, un echantillonnage d'exactement 60 pour cent de tous les experts canadiens de retour de leur service en avri1196L1

L'enquete permet de degager dew problhmes majeurs confrontant nos techniciens A l'btranger : l'acclimatation et l'insuffisance des cadres adrninistratifs.

canadiens:

a ) Acclimatation:

Le problkme du "choc culturel" parait frkquemment avoir nui A l'efficacith des techniciens canadiens. L'etude des procedures de recrute- ment, d'abord, r6vrila que la moyenne de duree des entrevues de selection ne dkpassait pas 90 minutes et qu'aucun des officiers charges de cette thche delicate ne bkneficiait d'une experience antbrieure dans les regions de service, La mQme carence btait Bvidente chez le personnel responsable de l'orientation des experts avant le depart. Dans les deux cas, l'ignorance n'etait nullement due A la mauvaise volonte des officiers eux-m&mes; la faute incombait exclusivement aux organisateurs de l'administration de notre aide a Petranger qui n'avaient pas su Btablir, d b le debut, un corps d'administrateurs professionnels ayant la possi- bilit6 de servir alternativement au Canada et A Petranger, A l'exemple des officiers des Ministkres du Commerce et des Maires Exterieures. Obliges de renseigner leurs compatriotes sur des pays qu'ils n'avaient jamais vus eux-m&mes, les officiers de recrutement et d'orientation donnaient une belle illustration de la parabole des aveugles conduisant d'autres aveugles.

1) Recrutement et orientation des experts au Canada

IL'enqubte, dont les rbsultats sont comment& ici, a ,pod SUT les erts ayant complkt6 leur service avant l'6tablissement du Bureau de 1 Aide Extbrieurs l'automne de 1960. L'auteur tient 21 souligner que les roblbmes d&rits dans ce texte font, depuis cette 6po ue, l'objet d'dtudes approfonies par le Bureau et que des rkformes importantes semb 3 ent &re en voie de prbparation.

QUELQUES PROBL~MES DES EXPERTS A L’~TRANGER 213

Les mkthodes d’orientation n’offraient gukre plus de causes de satisfac- tion. Naturellement, les dkparts d’experts &ant Bchelonnhs sur toute l’annke, des cours collectifs d’orientation deviennent dks lors impossibles A ceux qui participent au programme d’aide technique canadien. Pour- tant, deux reformes importantes sont rkalisables en peu de temps et avec des ressources modestes. D’abord, le rale des entrevues peut &re accentue, par le recrutement d’officiers experiment& et par la prbence, dans les comitb d’orientation, d’experts revenus au Canada. La duree mdme de ces entrevues-actuellement d’environ 2 heures, 45 minutes- pourrait Qtre sensiblement augmentee. Ensuite, les publications destinees aux experts pourraient dtre multiplihes. Une petite brochure sur les conditions de sant6, un bref article sur le “choc culturel,” et parfois un rapport sommaire et generalement dkrnode sur la vie dans les enclaves diplomatiques, constituaient d’ordinaire toute la documentation prbpara- toire des experts interrogks. Or, pour dtre utile, la documentation destin6e A l’expert avant son service devrait comporter au moins un ouvrage gbnn6ral sur le pays de sejour, une brochure sur les buts et les techni- ques de la mission, des rapports recents sur les conditions de vie, des manuels linguistiques dans certains cas, et une description detaillee de la tPche precise et des conditions de travail qui sont proposkes. Moins de 63 pour cent des experts se montrkrent satisfaits de l’orientation donnbe, et parmi ceux jugeant “adequats” les renseignements offerts, plus de 90 pour cent estimerent que des amkliorations Btaient possibles: des films, une bibliothhque des rapports des experts de retour au pays, la possibilite de frequenter des cows dans le pays de service, et une documentation plus specialisee furent parmi les suggestions les plus courantes.

2 ) Inte’gration de rexpert dans le pays d‘accueil. Vu les formes relativement primitives de la procedure de s6lection et

d’orientation, il est surprenant de constater le succes de l’intkgration des techniciens canadiens dans les pays d’accueil. Selon les 68 experts repondant au questionnaire, une p6riode de 5 semaines paraissait neces- saire en moyenne comme d6lai d’acclimatation-durke dtonnamment courte, mdme si nous laissons une marge pour une interpretation liMrale des termes de la question: “Combien de temps avez-vous mis apres votre arrivee avant de commencer un travail utile?” La majorit6 des observateurs avertis, comme I’auteur canadien Donald Faris, con- sidhrent que plusieurs mois, ou mhme 2 ans, representent le laps de temps necessaire avant que l’expert &ranger puisse devenir pleinement “rentable.”

Pourtant, il est permis d’entretenir des doutes sur l’efficacite apparem- ment precoce des experts canadiens quand on tient compte des d S -

214 CANADIAN PUBLIC ADMINISTRATION

cult& qui, de leur aveu mQme, accompagn6rent et suivirent l’introduction au service, En plus d’une varikt6 de problkmes d’ordre hygiknique, culture1 et administratif, de nombreux experts se plaignkrent de retards excessifs dans la prkparation de logements convenables. 11s dkplorerent aussi l’absence, A leur arrivke, de moyens de transport pouvant faciliter les dkplacements nkcessitks par leur travail. On conndt trois ou quatre cas de demission ou de renvoi quasi-immbdiats qui furent motives par des accrochages facilement kvitables dans ces domaines. Nombre d’ex- perts avoukrent que des ralentissements dans leur travail, des dbpressions et des difficult& familiales eurent pour origine des problkmes de ce genre, Pendant la pBriode en question, les autoritks canadiennes n‘avaient pas jug6 profitable d’ktudier skrieusement les conditions de vie de chaque futur expert-comme le faisaient les Britanniques ou les Amkricains. Le programme canadien en souffrait manifestement.

La mesure de l’acclimatation intellectuelle des experts fut bien plus hasardeuse que l’identification des causes majeures des conflits d’ordre matkriel. Des sociologues kminents, dont Hugh Tinker et le docteur Nathan Keyfitz, ont dkmontrk clairement les malentendus et les refoule- ments qui peuvent d6couler de diffkrences skmantiques ou philosophiques dans l’approche des questions les plus simples. Les concepts de temps, d‘amitiB, de hihrarchie, d‘honnQtet6 mQme, varient substantiellement selon l%stoire et le dkveloppement des cultures.

Si l’on ramkne les donnkes statistiques du questionnaire A une impres- sion gknkrale, on peut dire que les experts canadiens, dans l’ensemble, arriverent A s’intkgrer A leur nouveau milieu avec plus de facilit6 que certains techniciens ktrangers dont les suphieurs pr6voyaient un en- cadrement plus Btroit avant et pendant le service. Les envoyks des Nations-Unies ou des Etats-Unis, par exemple, se trouvent si bien dorlotbs et “cloPtrks” par leurs patrons qu’ils n’ont guere l’occasion de connaitre et de comprendre, mQme superficiellement, la culture locale. Les Cana- diens, laisds pratiquement ignorants, B leur arrivbe, par une orientation trop sommaire, et A peu prks abandonnes, pendant leur service, par des diplomates canadiens dBjA surmenks, furent bien obliges de s’appuyer sur leur propre initiative et sur la bonne volontk de leurs collegues indigenes pour kviter des solitudes trop pbnibles.

Des “ghettos” ou des enclaves, si populaires parmi les experts de pays plus importants, ne peuvent se former quand le Canada ne maintient que 5 ou 6 experts A la fois en Inde, tous skparBs les uns des autres par des centaines de milles. Par conskquent, les Canadiens paraissaient plus enclins A se lier d’amitik avec les habitants des pays de service, A ktudier la langue et les moeurs, et B s’inthgrer A la sociktk locale. La moyenne des “amis assez proches” dans la population indigene fut de 16 pour chaque expert, et presque 90 pour cent des experts mentionnkrent avoir lu environ 9 livres sur le pays de service,

QUELQUES P R O B ~ M E S DES EXPERTS b L%TRANGER 215

Sans dire que les Canadiens Bchappaient aux vices les plus flagrants des visiteurs occidentaux en Asie, fobservation directe et le sondage par questionnaire indiquent clairement un effort d’adaptation fort louable de la part de la majoritk de nos experts. Jouissant de moins de protection, immunitks et privileges que certains de leurs confr&res, les techniciens canadiens, ti quelques exceptions prBs, se montraient, dans des soci6tks dtrangkres, souples et ing6nieux. Leur bonne volont6 et leur tolkrance semblent avoir facilitk de faqon significative Ieur rencontre avec des cultures inconnues.

Nkanmoins, ce manque d’encadrement qui obligeait les techniciens A se rapprocher psychologiquement de la socikt6 locale constituait sur le plan de l’efficacitk technique une entrave gbnante, et parfois paralysante. C‘est maintenant l’aspect nkgatif du soutien administratif des experts qui occupera notre attention.

b ) Le soutien administratif des experts: L’administration canadienne, tout autant que celle des pays de service, invite A des r6formes si l’on vise A accroftre le rendement des experts.

Dabord, en plus de l’absence presque totale d’arrangements pour l‘accueil des experts et leur “installation” au travail, il faut dkplorer le manque de personnel administratif canadien apte A aider l’expert dans les pays de service. Maints problkmes, tels le paiement des allocations locales, les conditions et le rang de service, le dkdouanement des bagages et de l’equipement, ou encore le reglement de contrats litigieux, nbces- siteraient la presence sur place d’un personnel administratif averti et qualifik. L’expert, pr6occupe par son travail technique et par son adaptation culturelle, ne posskde ni le temps ni la competence ndcessaires pour surmonter ces obstacles. Or, le Canada ne maintient aucun personnel administratif special A l’ktranger pour les besoins de l’assistance techni- que, ce travail &ant laissk aux officiers commerciaux et diplomatiques qui n’ont aucun int6rbt professionnel A le bien faire. Ainsi la plupart des experts canadiens passaient-ils le quart ou le tiers de leur temps A se quereller avec les autoritks locales pour des details n’ayant rien A voir avec l’exkcution de leur travail technique. Celui-ci se trouvait donc skrieusement ralenti et parfois entierement compromis.

Les experts exprimerent aussi le regret de ne recevoir pendant leur service que peu de marques de l’intkr&t port6 par leur patrie A leur bien-btre personnel ou A la valeur de leur travail. En effet, l’expert “moyen” ne recevait de visite d’un representant canadien que tous les six mois. Souvent un sentiment d‘abandon rdsultait de cette nkgligence, au point oh l’expert developpait une attitude indifferente ou d6faitiste envers sa mission. Plus du tiers des experts se dirent kgalement d’avis que leurs rapports pkiodiques-destinks en principe A amkliorer la politique ou l‘administration de I’assistance technique-n’ktaient pas lus soigneusement A Ottawa.

216 CANADIAN PUBLIC ADMINISTRATION

Dans ces conditions, le Canada doit penser A creer-comme l'ont fait les Americains, les Britanniques et d'autres-un service administratif spdcial d"officiers d'aide A l'etranger," compose d'hommes jeunes et souples, hardis et rkalistes, aptes A se passionner pour des tiches pleines de defis et d'expdriences nouvelles. De tels officiers, qui appuyeraient partout dans le monde les programmes d'experts et de stagiaires du Canada, se chargeraient de tous les problkmes "non-techniques" de nos experts, et assureraient A ceux-ci l'occasion la plus large de poursuivre leur mission primordiale. Si nous voulons que nos experts accomplissent davantage que la redaction de rapports et de plaintes, il faut lses soutenir rapidement par un appareil administratif modeste mais efficace, lA oh les problkmes les plus aigus se prbentent: dans les pays de service eux-m&mes.

Parallblement A ces critiques, les experts consult& indiqubrent sans equivoque que la source principale de leurs diacultks rksidait dans les defaillances de l'administration des pays d'accueil. A une majorit6 ecrasante, les experts canadiens d6signArent comme "le problbme general le plus grave" du service le manque de soutien administratif du gou- vernement des pays d'accueil. Parmi les exemples de cette faiblesse furent cit6s: l'incapacitb d'obtenir des techniciens-assistants (indispensables h la perpetuation de l'apport technique), le refus de payer les allocations de sejour et de voyage, le manque de ressources budgetaires et de planification, la rigidit6 hierarchique envers les initiatives nouvelles, la deficience des conditions matkrielles et psychologiques du travail, et la reticence des cadres indigbnes A accorder aux experts un veritable contrble dans les projets placds sous leur responsabilite officielle. De ces refoulements decoulaient de nombreux problbmes psychologiques et techniques tendant A limiter l'efficacith de nos techniciens. Ayant souvent l'impression de ne rien accomplir, certains experts s'abandonnbrent frk- quemment au cynisme, au desespoir et findement au "choc culturel," jargon trks A la mode pour une trks vieille maladie: le ma1 du pays. Mais ce ma1 du pays revQtait, A cause de l'expectative trop ambitieuse des techniciens, une amertume et un d6gobt depassant de beaucoup la tristesse des eloignements traditionnels. Dam bien des cas, il en resulta des antipathies risquant de neutraliser ou de detruire toute la bonne volonte internationale dont chaque expert est cense l'agent officieux.

Comment donc ameliorer ce soutien de la part des pays d'accueil? Aprks avoir identifie les problbmes theoriquement solubles, le temps est peut-&be venu de se departir de la reserve diplomatique qui jusqu'ici nous a empbchk de poser des conditions-d'attacher des "fice1les"-A notre aide. Refuser d'aider des projets insuffisamment planifies, insister sur une preparation rigoureuse des instruments de travail des experts, placer le paiement des allocations sur le plan strictement intergouvernemental, voila quelques rbformes realistes que nous sommes en droit d'exiger.

QUELQUES P R O B ~ M E S DES EXPERTS h L ' ~ G E R 217 Certes, la franchise de nos revendications peut surprendre au debut quelques pays qui en sont Venus A considerer notre aide c o m e m e faveur qu'ils nous accordent; mais, A la longue, notre insistance sur une aide efficace et bien administrke ne peut que renforcer le respect qui est un des buts principaux de notre politique. L'amabilitk et la mollesse peuvent nous valoir pour quelque temps des amitik superhielles; c'est par des rkalisations concretes et durables, pourtant, que notre nation et notre technique seront jugees en dernihre analyse. I1 est logique, ainsi, que notre expos6 se termine par un mot sur le rble de nos experts dans la rkalisation des objectifs majeurs de la politique canadienne.

111. La rhalisation des obiectifs mieurs de la politique canadienne: Personne n'a encore dkcouvert une mkthode totalement adequate pour

kvaluer l'aide A l'6tranger. L'kvaluation de l'assistance technique, phkno- mitne touchant les hommes plus que les machines, est une chimitre qui flotte indefiniment entre Pktude de cas disparates et celle de statistiques plus rondes que reprksentatives. C'est une affaire d'hommes qui nous concerne; et, en attendant le Jour de la DBivrance scientifique promise par les psychologues, il faut bien nous contenter d'appreciations subjec- tives, momentankment plus approprikes.

Ce qu'il est convenu d'appeler 1"'impact" kconomique de 120 experts canadiens ne peut gubre Qtre rkvolutionnaire dans le vaste contexte asiatique. On constate que les Bchecs complets ont kt6 probablement un peu moins nombreux que dans d'autres programmes; mais le bilan revele un melange de belles reussites et de rksultats parfois fort mkdio- cres. Notre contribution est souvent importante, comme ce fut le cas pour la science atomique en Inde ou le genie civil au Pakistan; mais en gknkrale, nos efforts sont trop disperses pour assurer des succits bien spectaculaires. Au total, les realisations effectubes justifient le maintien du principe, sinon des mkthodes, du programme dexperts actuel.

En conclusion, il est Bvident que l'influence politique de nos experts A I'ktranger offre un plus grand motif de satisfaction pour le Canada que notre tres faible contribution technique. L'observation directe confirme l'espoir que la presence de nos techniciens dans les pays moins kvoluks pourra contribuer A crker une image nouvelle de l'occident et A promouvoir des relations cordiales entre des races diverses, naguitre ennemies. Le rayonnement moral et psychologique de chaque expert bien-ou mal-choisi, est beaucoup plus grand que l'on ne pense: fort heureusement, nos techniciens ont su, dans l'ensemble, se faire aimer et respecter; et au delA de leur personne, ils ont fait admirer notre pays et notre civilisation. A ce point de we, ils constituent un atout precieux dans notre effort pacsque pour gagner les coeurs des nations non- engagkes.

Nous ne devons certes pas oublier que quelques-uns de nos experts

218 CANADIAN PUBLIC ADMINISTRATION

ont provoqu6 du mkcontentement et mQme du mkpris A l’6gard de notre pays: il faut accepter ce risque dans le meilleur des programmes de sklection. Pourtant, la plupart des commis-voyageurs de notre sociktk technologique, sans Qtre des diplomates de style classique, ont eu du moins le simple talent humain de se fake des amis. Aprks tout, les diplomates de carrihre n’aspirent pas A faire autre chose. “Wains” (“Ugly”), %en tranquilles” (‘*Quiet”) ou seulement honngtes, les experts canadiens A l’6tranger affrontent les problkmes pknibles de leur service avec une patience et un dkvouement qui mbritent la sympathie de tous leurs compatriotes-et surtout le soutien intelligent de leurs “commandi- takes” A Ottawa.