quels enseignements peut-on tirer des politiques
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Quels enseignements peut-on tirer des politiquesmonétaires accommodantes pour la Tunisie?
Albert Marouani
To cite this version:Albert Marouani. Quels enseignements peut-on tirer des politiques monĂ©taires accommodantes pourla Tunisie?. RĂ©formes structurelles et dĂ©veloppement Ă©conomique dans les pays dâAfrique du Nord.,Oct 2017, Hammamet, Tunisie. ïżœhalshs-01964570ïżœ
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« Quels enseignements peut-on tirer des politiques monétaires accommodantes pour la
Tunisie? »
Albert MAROUANI*
Introduction.
Face Ă lâampleur de la crise financiĂšre des «subprimes » de 2007-2008l, les Banques
Centrales (BC) des Ătats-Unis (FED) dĂšs 2008, du Royaume-Uni (2009), de lâUE (2015),
bien aprĂšs le Japon (2001), ont mis en Ćuvre des politiques monĂ©taires non-
conventionnelles qui se sont traduites principalement par des injections massives de
liquiditĂ©s dans lâĂ©conomie (par rachat dâobligations publiques et privĂ©es) afin de
contrecarrer la propagation dâune crise financiĂšre Ă caractĂšre systĂ©mique et de relancer la
croissance Ă©conomique. Dâautres Banques Centrales dans les pays dĂ©veloppĂ©s (SuĂšde,
Suisse, etc.) comme dans les pays émergents (Chine, Corée, etc.) ont eu également recours
à ce type de politique monétaire.
Quels enseignements la Tunisie pourrait-elle tirer de ces différentes expériences ? Plus
précisément la BCT peut-elle mener à son tour une politique monétaire accommodante au
service dâun programme de rĂ©formes structurelles ?
1°) Une rupture épistémologique ou paradigmatique limitée, à géométrie variable et
asymétrique.
a) une rupture limitée avec le paradigme monétariste.
Lâorthodoxie monĂ©taire consiste Ă croire dans la neutralitĂ© de la monnaie et Ă assigner Ă
la politique monétaire le soin de la neutraliser par une augmentation de la masse monétaire
qui nâexcĂšde pas le taux de croissance de lâĂ©conomie. La cible principale de la BC est donc
la stabilitĂ© des prix Ă moyen et long terme (de 2% par an pour lâUE). Le canal de
transmission traditionnel de la politique monĂ©taire est le taux dâintĂ©rĂȘt directeur qui se
répercute sur les autres taux et notamment sur le coût du crédit. Les autres canaux de
transmission de la politique monĂ©taire transitent par le taux dâintĂ©rĂȘt, Ă travers les prix
des actifs ou le crédit.
* UniversitĂ© de la CĂŽte dâAzur/GREDEG (UMR CNRS).
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Les BC contrĂŽlent la liquiditĂ© de lâĂ©conomie (par achat et vente de bons du TrĂ©sor) et la
liquiditĂ© bancaire par la fixation dâun ratio plancher de rĂ©serves obligatoires que les
banques doivent détenir pour créer de la monnaie sous forme de crédits accordés aux
entreprises et aux particuliers. Au total dans le modÚle monétariste orthodoxe de la
politique monétaire on a une triple dichotomie:
1. Dichotomie entre le monétaire et le financier
2. Dichotomie entre la politique monĂ©taire (BC) et la politique budgĂ©taire (Ătat)
et indépendance du gouverneur de la BC par rapport au pouvoir politique
3. Dichotomie entre les politiques monétaires qui ont une dimension
conjoncturelle de CT et les politiques structurelles de LT.
Les politiques dites « non-conventionnelles » rompent avec certaines de ces
dichotomies par des actions sur la taille du bilan mais aussi sur sa structure.
On distingue ainsi :
âą les mesures dâassouplissement quantitatif (« quantitative easing ») qui visent Ă
augmenter le passif du bilan des BC par une hausse des réserves détenues par les
banques de second rang ;
âą les mesures dâassouplissement qualitatif (« qualitative easing ») visent quant Ă
elles à agir sur la structure du bilan (cÎté actif notamment) ;
âą les mesures dâassouplissement du crĂ©dit » (credit easing ») qui visent Ă la fois la
taille et la structure du bilan.
Ces mesures « non conventionnelles » permettent ainsi à la Banque Centrale de ne plus
ĂȘtre contrainte par la seule manipulation du taux dâintĂ©rĂȘt. Elles lui permettent Ă©galement
de faire face à des situations de crise économique et financiÚre aiguë en pourvoyant à la
demande de liquidité du systÚme financier. On voit bien ici que la stabilité financiÚre est
interdépendante de la stabilité macroéconomique et on ne peut plus se cantonner au
principe de séparation prÎné par les politiques conventionnelles entre politique budgétaire
et politique monétaire.
Au total la politique monétaire de « Quantitative Easing » a procédé à une double remise
en question de lâorthodoxie monĂ©tariste.
1. Elle a rompu avec la séparation entre monétaire et financier,
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2. Elle a amorcé une séparation entre le volet monétaire de stabilisation des prix
et le volet macroĂ©conomique dâaction sur lâĂ©conomie rĂ©elle (croissance et
chĂŽmage).
PREMIER ENSEIGNEMENT: « Nous pensons quâil ne faut pas rester au milieu du
gué de la démarche de rupture paradigmatique et dépasser la séparation entre action
conjoncturelle de court terme et action structurelle de LT. En dâautres termes il sâagit de
mettre la politique monétaire accommodante au service de politiques structurelles de
LT. »
b) Une rupture différenciée et à géométrie variable avec le paradigme
monétariste.
Quel que soit le niveau dâapprĂ©hension du phĂ©nomĂšne de « QE » (national, rĂ©gional ou
mondial), les mesures prises sont absolument sans prĂ©cĂ©dent et dâune ampleur qui donne le
vertige, notamment aux « petits pays » (GrĂšce pour lâUE, ou Tunisie par exemple)
confrontĂ©s Ă la rigueur dâun ajustement trĂšs « pĂ©riphĂ©rique » sur le plan Ă©conomique, mais
combien coûteux sur le plan social et humain.
Les politiques de QE ont gonflĂ© fortement le bilan des Banques. Lorsquâon agrĂšge le total
des bilans des quatre plus grandes banques centrales (USA, UE, Japon et R-U) on atteint
aujourdâhui plus de 12000 milliards de Dollars US avec des taux directeurs infĂ©rieurs Ă
0,5% depuis 2009 et jusquâĂ la fin de lâannĂ©e 2016. Les dettes souveraines Ă taux nĂ©gatifs,
représentent en mai 2016 10400 milliards de Dollars US1.
Câest ainsi quâen rachetant massivement des MBS* (crĂ©ances hypothĂ©caires immobiliĂšres)
et des Bons du Trésor, la Fed a vu passer son bilan de 800 milliards de $ avant la crise des
subprimes, Ă prĂšs de 4500 milliards aujourdâhui, soit lâĂ©quivalent de 22% du PIB.
Dans un contexte similaire, le Japon a engagĂ© un nouveau plan de relance de lâordre de
6000 milliards de Yens pour le mois de juillet 2016 et envisage de nouvelles mesures
dâassouplissement quantitatif.
La politique monétaire accommodante dans la zone Euro est différente de celles qui ont été
menĂ©es aux Ătats-Unis, en G-B ou au Japon. JusquâĂ lâĂ©tĂ© 2012 la BCE, dans le cadre du
« Securities Market Program », a vu la taille de son bilan augmenter, à la suite de deux
1 Agence de notation « Fitch ». * Mortgage Baked Securities
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opĂ©rations de refinancement Ă trĂšs long terme qui ont permis dâallouer 1000 milliards
dâEuros, en raison principalement dâune augmentation endogĂšne de la crĂ©ation
monétaire par les banques commerciales et non pas selon un mode exogÚne comme aux
USA, au Japon et en GB oĂč lâaugmentation de la liquiditĂ© provient de la seule impulsion
de la BC. Jusquâen janvier 2015, la BCE a ainsi menĂ© lâessentiel de ses interventions sous
forme de prĂȘts collatĂ©raux au systĂšme bancaire. La taille de son bilan a Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©e par
la demande de liquidités en provenance des banques de second rang. Le total des différents
programmes de refinancement et dâachats de titres visant Ă amĂ©liorer les canaux de
transmission de la politique monétaire (qui ont été affectés par la crise des dettes
souveraines) nâa pas dĂ©passĂ© au dĂ©but de lâannĂ©e 2013, 280 milliards dâEuros. On Ă©tait
bien loin des chiffres de la FED ou de la Banque dâAngleterre qui crĂ©aient massivement de
la monnaie scripturale au profit de lâĂtat en se portant acheteur des obligations Ă©mises par
le Trésor Public. La véritable rupture intervient le 22 janvier 2015, lorsque M. Mario
Draghi, gouverneur de la BCE, (affublé depuis du surnom de « Super Mario ») a annoncé
lâachat de titres adossĂ©s Ă des actifs (asset backed securities), de titres souverains (bons du
TrĂ©sor Ă©mis par les Ătats de lâUE) et de titres Ă©mis par des agences supranationales, le tout
pour un montant de 60 milliards dâEuros par mois de mars 2015 Ă septembre 2016, ce qui
représente une augmentation totale de la taille du bilan de la BCE de 1100 milliards
dâEuros! En rachetant ensuite 80 milliards dâeuros par mois de dettes publiques et privĂ©es
la BCE a vu croitre son bilan de 32% en 2016, pour passer Ă 3663 milliards dâEuros.2 Le
10 mars 2016 la BCE a annoncé une baisse de son principal taux directeur de 0,05% à 0%,
une baisse de -0,3% à -0,4% du taux de dépÎt de leurs liquidités, une hausse du rachat
mensuel des dettes publiques et privĂ©es de 60 Ă 80 milliards dâEuros!
Au regard de ces différences de politique monétaire accommodante, on constate que les
résultats obtenus par les pays de la zone Euro en termes de croissance et de chÎmage
notamment sont moins bons que ceux obtenus aux Ătats-Unis et au R-U.
2 Rappelons que le Bilan de la BCE comporte Ă lâactif, les titres, les prĂȘts et les avoirs, et au passif
les billets, les piĂšces et les comptes courants des banques auprĂšs de la BCE
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DEUXIĂME ENSEIGNEMENT : « La crĂ©ation monĂ©taire exogĂšne est plus rĂ©active
et plus efficace que la création monétaire endogÚne ».
c) Une rupture asymétrique avec le paradigme monétariste.
Les Ă©conomies Ă©mergentes sont contraintes de sâajuster de maniĂšre unilatĂ©rale et
asymétrique aux conséquences sur leurs économies respectives des politiques monétaires,
budgétaires et de change menées par les pays développés, notamment ceux qui sont
détenteurs de devises clés.
Dans un premier temps la crise des « subprimes » a épargné les pays émergents, mais a
aussi permis Ă certains dâentre eux de bĂ©nĂ©ficier dâun redĂ©ploiement des flux de capitaux
internationaux en leur faveur et de la baisse gĂ©nĂ©ralisĂ©e des taux dâintĂ©rĂȘt Ă lâĂ©chelle
mondiale. Mais par la suite ces pays ont subi directement ou indirectement la faible
croissance des économies développées et ont été contraints de mener à leur tour des
politiques monĂ©taires plus ou moins « accommodantes ». Câest ainsi que la politique
accommodante de la FED a attiré dans un premier temps des flux de capitaux vers le Brésil
qui se sont ensuite retirés tout aussi brusquement.
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20 USA R-U
JAPON CHINE
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Les principales Ă©conomies Ă©mergentes, notamment dâAsie, ont relĂąchĂ© assez nettement
leur politique monĂ©taire Ă la fois pour tenter Ă leur tour dâenrayer par ce biais le
ralentissement de leur croissance Ă©conomique associĂ© Ă une faible inflation et dâautre part
pour réagir aux effets asymétriques sur leurs économies et leurs taux de change des
politiques monétaires non coordonnées, différenciées et non synchronisées menées par les
Ătats-Unis, lâUE, le Japon, etc.
A partir du deuxiÚme trimestre 2013 et au cours de l'année 2014 les Banques centrales des
économies émergentes (Turquie, Russie notamment) ont augmenté à plusieurs reprises
leurs taux dâintĂ©rĂȘt directeurs, en anticipant sur une sortie Ă©ventuelle de la politique de QE
de la Fed. Les gouverneurs de ces BC craignaient que le relĂšvement des taux dâintĂ©rĂȘt
américain ait pour effet un redéploiement des flux de capitaux en leur défaveur, ce qui
aurait pu dĂ©stabiliser leurs Ă©conomies. Seules la ThaĂŻlande, la Chine, la Pologne et lâArabie
Saoudite ont maintenu leurs taux dâintĂ©rĂȘt inchangĂ©s.
Au dĂ©but de l'annĂ©e 2015 la plupart des Ă©conomies Ă©mergentes, Ă lâexception de
lâArgentine et du BrĂ©sil, relĂąchent Ă nouveau leur politique monĂ©taire soit en maintenant
leurs taux dâintĂ©rĂȘt stables soit en les rĂ©duisant parfois fortement comme lâIndonĂ©sie, la
ThaĂŻlande, lâInde, la Chine, lâArgentine, la Pologne, la Russie, la Turquie. Cette baisse des
taux dâintĂ©rĂȘt a pour effet dâaccroĂźtre de maniĂšre mĂ©canique le rendement des obligations
et probablement de relancer les investissements et la croissance.
Mais, comme pour les pays développés, les résultats observés de ces politiques
dâassouplissement monĂ©taire nâont pas Ă©tĂ© Ă la hauteur des attentes. La Chine par exemple
a vu ses ventes augmenter mais moins fortement quâau cours des annĂ©es de durcissement
de sa politique monétaire alors que ses exportations et ses importations ont diminué.
Ces résultats divergents montrent bien le caractÚre asymétrique des politiques
macroéconomiques entre pays développés et pays émergents.
Lâeffet asymĂ©trique joue quelle que soit la nature de la politique monĂ©taire des PD.
Lorsque les BC des pays développés mÚnent une politique de QE, cela a pour conséquence
de favoriser dans un premier temps le redéploiement des flux de capitaux vers les pays
Ă©mergents. Mais, par la suite, dans la mesure oĂč le rĂ©sultat des politiques monĂ©taires non
conventionnelles nâa pas permis de relancer la croissance dans les pays dĂ©veloppĂ©s ni de
relancer lâinflation, les pays Ă©mergents ne peuvent profiter pleinement de cette orientation,
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qui leur Ă©tait pourtant favorable, des flux de capitaux internationaux, ni en termes de
croissance, ni en termes dâaugmentation de leurs exportations. Ils peuvent ĂȘtre alors tentĂ©s
de pratiquer une politique commerciale plus agressive en termes de réduction des prix, ce
qui a pour effet dâaggraver davantage la situation Ă©conomique dans les pays dĂ©veloppĂ©s et
de prolonger, voire dâaccentuer lâassouplissement de leurs politiques monĂ©taires.
A lâopposĂ©, en cas de sortie du QE plus ou moins rapide et selon un agenda diffĂ©rent entre
la Fed, la BCE, la Banque dâAngleterre et la Banque du Japon, les pays Ă©mergents peuvent
lĂ©gitimement craindre que la hausse des taux dâintĂ©rĂȘt qui sera pratiquĂ©e va dĂ©tourner les
flux de capitaux internationaux vers les pays développés, ce qui entrainera une
apprĂ©ciation du taux de change du Dollar amĂ©ricain et de lâEuro notamment. De ce fait
leur balance des paiements va se trouver directement et négativement impactée par la
hausse des prix de leurs importations en produits pétroliers, alimentaires et de haute
technologie. Les pays Ă©mergents et en dĂ©veloppement vont ainsi devoir sâajuster de
maniĂšre parfois trĂšs brutale au durcissement quâil subisse de plein fouet de leur contrainte
financiĂšre externe engendrĂ© par des politiques monĂ©taires sur lesquelles ils nâont aucune
prise.
Les mesures de subvention aux produits de base (augmentation de leur facture pétroliÚre
par exemple) et alimentaires que les pays émergents et en développement doivent prendre
sous la pression des revendications sociales notamment, vont impacter directement leur
déficit budgétaire et durcir également leur contrainte financiÚre interne.
Les politiques macroĂ©conomiques dans ces pays vont alors ĂȘtre tiraillĂ©es entre la nĂ©cessitĂ©
de réagir à cette double contrainte financiÚre interne et externe. Sous la pression des
organisations internationales et de lâidĂ©ologie nĂ©o-libĂ©rale ils peuvent ĂȘtre tentĂ©s de durcir
leur politique monĂ©taire alors mĂȘme que leur situation Ă©conomique, qui reste marquĂ©e par
une faible croissance et un niveau de chĂŽmage Ă©levĂ© (cf. lâindicateur de « lâoutput gap »),
nécessiterait plutÎt une politique monétaire et budgétaire plus accommodante.
LâasymĂ©trie des politiques macroĂ©conomiques met ainsi les pays en dĂ©veloppement et
émergents en situation de « double bind », caractéristique des situations de crise (E.
Morin).
En fin de compte, du fait de lâabsence de toute coordination, les politiques accommodantes
des banques centrales des pays Ă©metteurs de monnaies internationales obligent tous les
autres pays (émergents et en développement notamment) à ajuster leurs politiques
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monétaires de maniÚre asymétrique sans que cela corresponde forcément aux besoins de
leurs économies. On voit ainsi que les pays dits « périphériques » sont contraints de
sâajuster unilatĂ©ralement en accumulant des rĂ©serves de changes pour faire face Ă ces chocs
exogĂšnes et pour cela Ă pratiquer des politiques offensives dâexportation basĂ©es sur des
gains de compétitivité qui pÚsent sur les salaires et leur demande intérieure (politiques
dâaustĂ©ritĂ©) Rodrik, D. (2006). Ces chocs asymĂ©triques qui obĂ©issent aux contraintes
cycliques des Ă©conomies dominantes sâimposent donc aux pays de leur sphĂšre dâinfluence
sans lien avec leur régime de change, et sans lien avec leurs propres contraintes de
rĂ©gulation macroĂ©conomique et de dĂ©veloppement. DâoĂč la nĂ©cessitĂ© pour eux de sortir du
carcan des politiques libĂ©rales et dâinstaurer un contrĂŽle des capitaux pour mieux maĂźtriser
leur politique monĂ©taire, infirmant par lĂ le fameux thĂ©orĂšme dâincompatibilitĂ© de
Mundell. 3 Rey H. (2015). Cette « tyrannie » exercée unilatéralement par les monnaies
internationales, et quâexprime bien la boutade attribuĂ©e Ă la FED : « Le Dollar câest notre
monnaie et votre problĂšme ». (Eichengreen, 2011),4 peut ĂȘtre contournĂ©e par des Ătats
volontaristes en termes de recherche dâindĂ©pendance et de contrĂŽle des capitaux. Sur le
plan international on assiste par exemple aujourdâhui Ă des tentatives de crĂ©ation de
monnaies régionales en Afrique, en Asie et en Amérique Latine qui contestent le statut du
Dollar comme monnaie internationale.
TROISIĂME ENSEIGNEMENT: « Les pays Ă©mergents doivent viser, par des choix
pertinents de spécialisation, de diversification de leurs échanges extérieurs,
dâindĂ©pendance monĂ©taire et de contrĂŽle des capitaux Ă attĂ©nuer lâasymĂ©trie de leurs
politiques monétaires par rapport à celles des pays développés qui sont leurs principaux
partenaires ».
2°) Des erreurs de diagnostic sur lâefficacitĂ© relative des politiques monĂ©taires
accommodantes.
Il existe une forte inertie dans le choix des mesures de politique macroéconomique aussi
bien dans les pays qui ont adopté des politiques monétaires accommodantes que dans ceux
qui se sont obstinĂ©s Ă maintenir les principes de lâorthodoxie monĂ©tariste.
3 En 2011, le FMI a finit par accepter la nécessité de ce contrÎle « dans certaines circonstances ». 4 Cf. le « dilemme » soulevé dans les années 60 par Robert Triffin : Une balance commerciale
excédentaire du pays détenteur de la monnaie internationale engendre une pénurie de liquidités
internationales qui freine le commerce mondial tandis quâun dĂ©ficit commercial produit de la
liquidité internationale mais accroßt le doute sur la soutenabilité de ce déficit et par là sur la valeur
et le statut de la monnaie internationale.
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a) La persistance de lâidĂ©ologie nĂ©o-libĂ©rale dans la conduite des politiques
monétaires hétérodoxes dans les pays développés, se retrouve également dans
lâinterprĂ©tation qui est faite de sa faible et relative efficacitĂ©.5
On peut ĂȘtre frappĂ© par le dĂ©calage entre lâampleur du stock de crĂ©ation monĂ©taire
engendrĂ© par les politiques de QE, tant Ă lâĂ©chelle rĂ©gionale que mondiale, et la modestie
des flux financiers qui ont été mobilisés dans des opérations de création de valeur et de
richesses réelles susceptibles de soutenir plus vigoureusement la croissance, de réduire le
chÎmage sans dégrader la qualité des emplois, de répondre aux enjeux planétaires à la fois
sociétaux de développement inclusif et environnementaux de réchauffement climatique et
dâĂ©quilibre Ă©cologique.
La plupart des Ă©tudes qui ont Ă©tĂ© menĂ©es sur les pays dĂ©veloppĂ©s pour Ă©valuer lâimpact des
politiques monétaires accommodantes et qui ont porté soit sur les canaux de transmission,
soit sur les objectifs poursuivis montrent que lâaction sur la sphĂšre financiĂšre (en termes de
stabilité, de performance financiÚre, de charges financiÚre, voire de redressement du
secteur bancaire) a été plus efficace que celles sur la sphÚre réelle (en termes de croissance,
de chĂŽmage et dâinflation). La plupart des Ă©tudes montrent que :
1. Les effets sur la croissance ont été faibles, tardifs et incertains.
5 Tous les graphiques ont été faits à partir des données de WDI
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Allemagne
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2. Les effets sur le chÎmage ne semblent pas liés aux politiques de QE.
Sources : dâaprĂšs les donnĂ©es de WDI
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2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
France
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3. Les effets sur lâinflation sont inexistants et contrariĂ©s par des tendances
structurelles de lâĂ©conomie mondiale.
4. Les effets sur les taux de change ont été erratiques.
Face Ă ce constat dĂ©sespĂ©rant, notamment dans la plupart des pays de lâUE, on en est
mĂȘme venu Ă envisager de « jeter de lâargent » par hĂ©licoptĂšre en visant les pauvres et la
classe moyenne (« Monnaie hélicoptÚre » appelée aussi « QE for people ») pour que la
demande reparte vĂ©ritablement. Plus sĂ©rieusement, il Ă©tait aussi possible dâenvisager des
politiques incitatives fiscales ou juridiques pour que les entreprises augmentent les salaires
et stimulent ainsi une inflation qui tarde Ă se faire sentir. On aurait pu aussi envisager des
politiques dâaugmentation des dĂ©penses publiques orientĂ©es sur des investissements de
long terme (infrastructures, transport, énergies renouvelables, santé, éducation, recherche,
etc.). Malheureusement, lâenfermement idĂ©ologique dans le paradigme nĂ©o-libĂ©ral des
dĂ©cideurs publics, tant Ă lâĂ©chelle des Nations, quâĂ lâĂ©chelle des organisations
internationales, et lâabsence de coordination, de coopĂ©ration et de rĂ©gulation des politiques
Ă©conomiques ne permettent pas aujourdâhui dâenvisager des solutions vĂ©ritablement
innovantes.
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La plupart des économistes qui appartiennent au « mainstream » de la pensée néo-libérale
(centrée sur les comportements microéconomiques des agents) ont interprété les
différences de résultats (en termes de croissance et de chÎmage principalement) entre pays
dĂ©veloppĂ©s Ă lâexistence ou Ă lâabsence de rĂ©formes qui visent en premier lieu le « marchĂ©
du travail ». Sans la moindre preuve empirique et sur la base dâune argumentation
théorique faible, au moins sur le plan macroéconomique, ces économistes préconisent des
mesures qui :
âą flexibilisent le marchĂ© du travail en termes dâajustement souple des salaires et des
contrats de travail ;
⹠diminuent la pression fiscale sur les entreprises pour rétablir leur compétitivité
internationale ;
âą rĂ©duisent les dĂ©penses publiques (et la part de lâEtat dans lâĂ©conomie) pour rĂ©duire
la dette publique et rétablir un strict équilibre budgétaire.
Ces rĂ©formes sont dites « structurelles », car elles visent le cĂŽtĂ© offre de lâĂ©conomie
(« politique de lâoffre ») et quâelles sont supposĂ©es rĂ©tablir durablement la compĂ©titivitĂ©
des entreprises et par lĂ les Ă©quilibres externes (balance commerciale et balance des
paiements).
Faute dâargumentation thĂ©orique solide et dâĂ©tudes Ă©conomĂ©triques empiriques sĂ©rieuses,
on met en avant de maniÚre exagérée le « succÚs » des pays (USA, Allemagne) qui ont mis
en Ćuvre ces politiques. 6
Ces Ă©conomistes « libĂ©raux », trĂšs prĂ©sents dans les MĂ©dia, appellent aujourdâhui de leurs
vĆux la fin des politiques de « QE » et le « retour » Ă lâorthodoxie monĂ©tariste. Ils
dĂ©sespĂšrent de nâĂȘtre pas Ă©coutĂ©s par la prĂ©sidente de la Fed (Mme Janet Yellen), le
Président de la BCE (M. Mario Draghi), les institutions internationales (FMI, BM) et de
trĂšs nombreux prix Nobel dâĂ©conomie qui ont une vision plus fine et plus rĂ©aliste des
limites structurelles de la croissance mondiale.
Malgré tout, sous la pression du lobby des banques et des idéologues du néo-libéralisme, il
est envisagĂ© aujourdâhui une remontĂ©e en douceur des taux dâintĂ©rĂȘt et un retour Ă
lâorthodoxie monĂ©tariste.
QUATRIĂME ENSEIGNEMENT : « Les politiques monĂ©taires accommodantes ne
suffisent pas à elles seules à ramener la croissance, à réduire durablement le chÎmage
et à enrayer la déflation ».
6 Non seulement la croissance des pays dits « vertueux » est somme toute modérée, mais les
« bons » chiffres du chĂŽmage cachent une dĂ©tĂ©rioration qualitative des conditions dâemploi, un
accroissement des inégalités et une détérioration du capital humain en termes de santé et de perte
de qualifications et dâemployabilitĂ©, notamment des sĂ©niors.
![Page 14: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/14.jpg)
13
b) LâĂ©trange impasse des nĂ©o-libĂ©raux sur le paradoxe de la persistance dâune
pénurie de liquidités internationales. 7
Le PIB mondial en $ courants, a diminuĂ© de 6% en 2015 (soit davantage quâaprĂšs la crise
de 2009). Dans ses « perspectives Ă©conomiques » du 1er juin 2016, lâOCDE (aprĂšs le FMI
et la Banque Mondiale) prévoit une croissance mondiale « molle » de 3% en 2016 et de
3,3% en 2017, en termes rĂ©els. LâOCDE souligne le nombre Ă©levĂ© de chĂŽmeurs (39
millions), notamment chez les jeunes et les sĂ©niors, ainsi que lâaccroissement des inĂ©galitĂ©s
et de la précarité. On peut aussi ajouter la chute des prix des matiÚres premiÚres. Tout
concourt donc Ă rĂ©duire la capacitĂ© des pays Ă©mergents (Russie, Chine, BrĂ©silâŠ) et du Sud
de lâEurope Ă rembourser leurs dettes. Les politiques de QE passent Ă cĂŽtĂ© de cette
question et du coup échouent à faire croßtre le niveau des liquidités internationales en dépit
de leur politique dâaccroissement massif de lâoffre de monnaie. La mĂ©fiance qui rĂšgne sur
les marchĂ©s Ă lâĂ©gard des titres de la dette publique entraine une stĂ©rilisation immĂ©diate de
toute crĂ©ation monĂ©taire qui ne se transforme pas ainsi en liquiditĂ©s prĂȘtes Ă lâemploi soit
au titre de la consommation, soit au titre de lâinvestissement. Câest sans doute lĂ la raison
essentielle au fait que les politiques monĂ©taires de QE nâont pas fait augmenter la liquiditĂ©
Ă lâĂ©chelle mondiale.
Sâagissant de la zone Euro, les rachats massifs de titres de la dette publique nâont pas fait
augmenter globalement le niveau dâendettement. On constate au contraire dâaprĂšs les
statistiques dâEurostat du 24 avril 2017 que le niveau public dâendettement de la zone Euro
est passé sous la barre des 90% (89,2%) de son PIB. Seuls trois pays ont une dette publique
supérieure à leurs PIB respectifs.8 La France quant à elle voit sa dette publique augmenter
de 92,3% Ă 96% entre 2013 et 2016, alors quâĂ lâinverse, dans le mĂȘme temps,
lâAllemagne rĂ©duit encore son niveau dâendettement de 77,5% Ă 68,3%. Si le ratio de la
dette publique dépasse largement encore la norme des 60% du PIB, celui du déficit
budgĂ©taire reste trĂšs en deçà des 3% pour lâensemble des pays de lâUE (1,5% du PIB en
moyenne) Ă lâexception de lâEspagne (4,5%) et la France (3,4%), alors que lâAngleterre et
la Roumanie se situent dans la norme de 3% de leurs PIB respectifs. Cette décrue de
7 Par liquidité internationale on entend les actifs monétaires ou quasi-monétaires qui sont classés
AAA ou AA et qui servent Ă payer les Ă©changes internationaux (IMPORTS/EXPORTS) et Ă
rembourser les dettes externes. En général les titres publics des grands pays (USA, Allemagne, R-U,
France, etc.) jouent ce rĂŽle de moyen de paiement international liquide. On peut y ajouter les
avances des BC des pays de lâOCDE, les titres de crĂ©ance des organisations internationales (BM,
FMI, BEI, etc.) 8 GrĂšce (179%), Italie (132,6%) et Portugal (130,4%)
![Page 15: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/15.jpg)
14
lâendettement associĂ©e Ă la diminution du ratio du dĂ©ficit budgĂ©taire en deçà des 3% traduit
bien le fait que les politiques monétaires accommodantes restent encore déconnectées
des politiques budgĂ©taires rĂ©cessives qualifiĂ©es dâaustĂ©ritĂ©. La reprise lente et incertaine
de la croissance (1,7% au sein de la zone Euro et 1,6% aux USA) en 2016 ne saurait selon
nous ĂȘtre attribuĂ©e Ă ces politiques dites « dâassainissement budgĂ©taire » qui ont contribuĂ©
Ă laminer partout dans lâUE les budgets sociaux, Ă lâexception de la France, de la Finlande
et du Danemark.9 Ces politiques dâaustĂ©ritĂ© ne sont donc pas Ă©quitablement rĂ©parties au
sein de lâUE, puisque la GrĂšce par exemple affiche un ratio dâexcĂ©dent budgĂ©taire de 0,7%,
sans parvenir pour autant Ă rĂ©duire son taux dâendettement !
CINQUIĂME ENSEIGNEMENT : « Les politiques monĂ©taires accommodantes
doivent ĂȘtre couplĂ©es Ă des politiques budgĂ©taires de relance et de rĂ©forme du secteur
public »
c) Le « déni de réalité » sur la soutenabilité des dettes publiques.
Il nous paraĂźt que le seul risque vĂ©ritable que peuvent faire courir aujourdâhui les politiques
monĂ©taires accommodantes est celui du « discrĂ©dit » dont peuvent ĂȘtre frappĂ©es les BC.
Câest ce « discrĂ©dit » qui a entrainĂ© un dĂ©classement des titres publics que rachĂštent ces
BC, et donc une rarĂ©faction des liquiditĂ©s internationales. Ce nâest donc pas, comme le
clament les puristes des politiques monĂ©taristes orthodoxes, le risque dâinflation liĂ© Ă un
excÚs de liquidité dans un contexte de croissance faible qui est la menace principale des
politiques hétérodoxes.
De fait, en dépit de ces injections massives de monnaie « neuve », la liquidité de
lâĂ©conomie mondiale nâa jamais Ă©tĂ© aussi basse.10 Elle ne reprĂ©sente plus que 30% du PIB
mondial, alors quâelle se situait en 2009 Ă 60%. Une partie de lâexplication de cette chute
tient à la crise de la dette publique qui a favorisé le déclassement des bons du Trésor de
nombreux pays dont la dette est jugée non soutenable.
Cette raréfaction considérable des liquidités internationales explique au moins
partiellement lâatonie des flux internationaux de marchandises et de capitaux. Le niveau du
commerce international nâa jamais Ă©tĂ© aussi faible depuis le dĂ©but de la mondialisation au
cours des années 70-80, et la croissance aussi atone générant aussi bien dans les pays
9 En France, la Cour des Comptes estime que la baisse du taux dâemprunt depuis 2011, explique
environ 40% de la diminution du déficit budgétaire. 10 B. Eichengreen, (2011).
![Page 16: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/16.jpg)
15
développés que dans les pays émergents, faiblesse des investissements, chÎmage de masse,
fragilité bancaire et endettements privés et publics insoutenables.
Pour accroßtre le niveau des liquidités internationales et faciliter ainsi la reprise des
Ă©changes internationaux et la croissance Ă©conomique, il faudrait Ă©largir le spectre des
facteurs de confiance liés à des titres publics et privés garantis par les organismes
internationaux (FMI, BMâŠ) et les pays qui jouissent dâimportantes rĂ©serves de change
(Chine notamment). Ainsi, comme le propose B. Eichengreen, le FMI pourrait vendre des
DTS non plus aux gouvernements mais aux BC, en Ă©change de devises quâelles crĂ©ent ex-
nihilo et que le FMI rĂ©alloue directement Ă ses membres. Le mĂȘme auteur propose que le
FMI emprunte sur les marchés financiers pour pouvoir redistribuer ces fonds par des DTS
supplémentaires, auprÚs de ses membres. La garantie des liquidités ainsi créées est celle de
la solvabilitĂ© collective des membres du FMI qui sâengageraient Ă recapitaliser le FMI en
cas de défaillance de ses emprunteurs.
Lâimpact du QE sur les prix des actifs a permis une envolĂ©e des cours boursiers (mesurĂ©s
par lâindice MSCI de performance des marchĂ©s boursiers des pays dĂ©veloppĂ©s) qui ont Ă©tĂ©
multipliés par deux depuis 2009. Les investisseurs se sont reportés du marché des
obligations dâĂtat vers lâachat dâactifs plus risquĂ©s, ce qui a dopĂ© les bourses. Le
financement des entreprises par la finance directe aurait dĂ» sâen trouvĂ© facilitĂ©. De mĂȘme
le fait que les rendements obligataires sont inférieurs à la croissance du PIB, et que les taux
dâintĂ©rĂȘt sont bas, aurait dĂ» faciliter la relance des investissements des entreprises. Or au
sein de la zone Euro, cela ne se produit pas et les Ă©conomies de la plupart des pays
dĂ©veloppĂ©s (Ă lâexception des USA et dans une certaine mesure de la GB) restent atones,
entraĂźnant dans leur stagnation les pays Ă©mergents.
Les explications avancĂ©es Ă cette situation restent superficielles. Elles mettent lâaccent sur
les comportements microéconomiques et passent à cÎté des facteurs structurels tels que le
partage de la valeur ajoutée, le ralentissement de la productivité et de la stagnation des
salaires au profit des revenus du capital et de la rente fonciĂšre.
Certes lâinsuffisance de lâoffre de crĂ©dit par les banques porte encore la marque de leurs
emprunts toxiques et de leur souci de dĂ©gonfler et dâassainir la taille de leurs bilans,
notamment dans le contexte actuel de forte incertitude Ă©conomique, politique, sociale et
géopolitique. Mais cette « explication » suffit-elle à rendre compte de la faiblesse du
financement bancaire actuel alors mĂȘme que la faiblesse des taux dâintĂ©rĂȘt devrait inciter
les entreprises Ă prendre plus de risques dans leurs choix dâinvestissements ? Les chefs
![Page 17: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/17.jpg)
16
dâentreprise seraient-ils devenus subitement averses au risque et timorĂ©s dans la recherche
de rendements plus élevés ?
En réalité les comportements sont souvent surdéterminés par des facteurs structurels qui
sont dâordre macroĂ©conomique. On ne saurait faire lâimpasse sur les mutations de
lâĂ©conomie mondiale : la rĂ©volution numĂ©rique, le ralentissement des gains de productivitĂ©
qui laisse penser que lâon est rentrĂ© dans un cycle long de « stagnation sĂ©culaire » (L.
Summers), les effets du vieillissement et de la rĂ©partition de lâĂ©pargne Ă lâĂ©chelle mondiale,
lâaccentuation des inĂ©galitĂ©s de revenu et de patrimoine, les effets du rĂ©chauffement
climatique, etc.
Les pays « centraux » (USA, UE, Chine..) qui détiennent une monnaie qui sert de liquidité
internationale nâont pas les mĂȘmes contraintes de remboursement quâun petit pays
périphérique dépendant. Pour autant cela ne signifie pas que le pays central doit se
dĂ©sintĂ©resser de la situation dâendettement du petit pays pĂ©riphĂ©rique, Ă lâimage du
comportement des Ătats-Unis Ă lâĂ©gard des pays dâAmĂ©rique Latine notamment, qui
gravitent dans sa zone monĂ©taire. LâUE, si elle veut vĂ©ritablement rĂ©gler durablement ses
problĂšmes de flux migratoires et dâinsĂ©curitĂ©, doit certes se prĂ©occuper de la situation des
pays endettĂ©s en interne (GrĂšce, Italie, EspagneâŠ), mais aussi et surtout des pays de sa
proche périphérie (de son « voisinage »).
Sâagissant de la dette internationale tunisienne, et compte tenu des enjeux gĂ©ostratĂ©giques
que reprĂ©sente pour lâUE, la rĂ©ussite de la transition dĂ©mocratique en Tunisie, on pourrait
autoriser la BCE (Ă lâinstar de ce qui a Ă©tĂ© fait dans le passĂ© dans le cadre du « plan
Baker » au moment de la crise de la dette internationale du début des années 80), à racheter
les dettes contractées par la Tunisie non seulement auprÚs des organisations internationales
(FMI notamment), mais aussi auprÚs des banques internationales privées. Ces derniÚres ont
prĂȘtĂ© Ă la plupart de ces pays, Ă des taux dâintĂ©rĂȘt qui sont supĂ©rieurs de plusieurs points Ă
ceux pratiquĂ©s aujourdâhui au sein de la zone Euro. Dans ces opĂ©rations de rachat de dettes
souveraines, la BCE rĂ©aliserait des gains quâelle pourrait reverser gratuitement aux pays
concernĂ©s, dĂšs lors quâils seront directement affectĂ©s Ă des investissements publics ou
privĂ©s dĂ©finis dâun commun accord. Ces investissements doivent viser prioritairement Ă
réduire le chÎmage et les inégalités (de revenus et régionales), mais aussi à promouvoir
une croissance inclusive endogÚne et durable. Ces opérations de rachat permettent aussi
dâallonger sur un trĂšs long terme la maturitĂ© de la dette souveraine de la Tunisie, ce qui
![Page 18: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/18.jpg)
17
contribue à alléger considérablement le poids du service de sa dette internationale, offrant
ainsi à la Tunisie des marges de financements supplémentaires.
SIXIĂME ENSEIGNEMENT : « Les politiques monĂ©taires accommodantes doivent
rĂ©gler le problĂšme des dettes publiques insoutenables Ă lâĂ©chelle mondiale ».
3°) LE CHANGEMENT DE PARADIGME Ă LâĂCHELLE DâUNE « PETITE
ĂCONOMIE OUVERTE » : LE CAS DE LA TUNISIE.
a) Quelques tendances macroéconomiques générales de la Tunisie.
âą Un ralentissement de la croissance
-4.00
-2.00
0.00
2.00
4.00
6.00
8.00
10.00TUN Croissance du PIB (% annuel)
-
10000000 000
20000000 000
30000000 000
40000000 000
50000000 000
TUN PIB ($ US courants)
![Page 19: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/19.jpg)
18
Le taux de croissance économique remonte trÚs légÚrement à 2,2% en 2017 avec une
perspective de 2,8% en 2018.
Certes on peut espérer une croissance plus vigoureuse, notamment au regard du
ralentissement de lâinvestissement.
Mais globalement la Tunisie reste dans la norme du ralentissement gĂ©nĂ©ral de lâĂ©conomie
mondiale (pays développés et émergents confondus) sans rupture apparente depuis la
révolution démocratique de 2011.
âą Une stabilisation du taux de chĂŽmage Ă un niveau structurellement
élevé (notamment des jeunes).
-
2 000
4 000
6 000
8 000
10 000
12 000
TUN RNB par habitant, ($ PPA internationaux courants)
TUN RNB par habitant, méthode Atlas ($ US courants)
0.00
5.00
10.00
15.00
20.00
25.00
30.00
35.00
TUN Formation brute de capital (% du PIB)
![Page 20: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/20.jpg)
19
La stagnation du taux de croissance et le ralentissement tendanciel du taux
dâinvestissement ne permettent pas des crĂ©ations dâemplois suffisantes pour rĂ©duire
significativement le taux de chÎmage, notamment celui des jeunes diplÎmés.
⹠Une stagnation de la compétitivité internationale et une dépendance
accrue au commerce international avec une balance commerciale et une
balance des paiements qui restent structurellement déficitaires.
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
TUN ChÎmage, total des jeunes (% de la population active ùgée de
15 à 24 ans) (estimation modélisée OIT) .. ..
TUN ChĂŽmage, hommes (% de la population active masculine)
(estimation modélisée OIT) .. ..
0.00
50.00
100.00
150.00
TUN Indice des termes de lâĂ©change des marchandises nets
(2000=100)
![Page 21: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/21.jpg)
20
Les dĂ©ficits structurels de la balance commerciale et de la balance des paiements associĂ©s Ă
un niveau dâendettement extĂ©rieur Ă court terme Ă©levĂ©, en grande partie libellĂ©e en Dollars,
et à une stagnation des IDE traduisent un degré élevé de dépendance asymétrique
0.00
20.00
40.00
60.00
80.00
100.00
120.00
TUN Commerce de marchandises (% du PIB)TUN Exportations de biens et de services (% du PIB)TUN Importations de biens et de services (% du PIB)
-10.00
-8.00
-6.00
-4.00
-2.00
0.00
TUN Balance des paiements courants (% du PIB)
0.00
1.00
2.00
3.00
4.00
5.00
6.00
7.00
TUN Total des rĂ©serves en mois dâimportations
![Page 22: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/22.jpg)
21
extérieure.
La « révolution » sociale de 2011 qui a marqué une rupture au sein du systÚme politique
tunisien en ouvrant la voie à un processus de « transition démocratique » non encore
achevé aurait pu dégénérer en crise économique majeure.
En regardant « à la louche » sur prÚs de 40 ans les évolutions de quelques grandeurs
macroĂ©conomiques, nous avons le sentiment quâil nây a pas eu de vĂ©ritable rupture
Ă©conomique structurelle de lâĂ©conomie tunisienne aprĂšs 2011 et encore moins une
révolution dans les objectifs et la conduite des politiques macroéconomiques. Tout se passe
comme si les Ă©conomistes universitaires tunisiens confrontĂ©s Ă lâampleur des problĂšmes, Ă
la lourdeur des inerties sociales, culturelles, politiques et à la difficulté jugée
insurmontable de surmonter la dépendance à la conjoncture extérieure et aux institutions
internationales, nâosaient pas sinon proposer des solutions Ă©conomiques innovantes, du
moins débattre plus librement hors des sentiers battus de la pensée néolibérale.
SEPTIĂME ENSEIGNEMENT : « La Tunisie doit mettre en Ćuvre une politique
monétaire accommodante pour des réformes structurelles de changement de régime
de croissance, plus compĂ©titif et plus crĂ©ateur dâemplois des jeunes, tout en rĂ©duisant
sa dépendance asymétrique extérieure, sans remise en question de sa stratégie
dâouverture Ă lâinternational »
b) La politique monétaire tunisienne reste étrangement toujours trÚs orthodoxe
et donc trĂšs « neutre », alors mĂȘme quâil y a un trĂšs large consensus politique
et social sur la nécessité de mener des réformes structurelles profondes.
0.00
2.00
4.00
6.00
8.00
10.00
12.00
14.00
TUN Investissements étrangers directs, entrées nettes
(% du PIB)
TUN Total de dette extérieure (% du RNB)
![Page 23: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/23.jpg)
22
Depuis lâadoption par la Tunisie, au cours des annĂ©es 90, du processus de libĂ©ralisation
réelle et financiÚre proposé (ou imposé) par les organisations internationales, les différents
gouvernements qui se sont succédés se sont efforcés de coller au plus prÚs au cadre
monĂ©tariste conventionnel en affichant leur prĂ©fĂ©rence pour lâorthodoxie monĂ©taire centrĂ©e
sur le ciblage dâinflation.
Pour faire face aux bouleversements politiques et Ă lâagitation sociale engendrĂ©s par la
«rĂ©volution tunisienne», la BCT dotĂ©e dâune nouvelle direction a voulu rĂ©pondre assez
rapidement au risque monĂ©taire et bancaire dâun «credit crunch» (voire dâun «bank run»)
et Ă lâĂ©ventualitĂ© dâune chute de la croissance et dâune aggravation du chĂŽmage. Pour cela
elle a assoupli assez nettement sa politique monétaire notamment en injectant de la
liquidité dans le systÚme bancaire.
Mais aprĂšs cet «écart» par rapport Ă lâorthodoxie monĂ©tariste habituelle, la Tunisie est trĂšs
vite revenue dans les «clous» du monétarisme et a adopté une politique monétaire neutre
dĂšs le premier trimestre 2012 puis restrictive au second trimestre de la mĂȘme annĂ©e.
Les cibles de la BCT redeviennent ainsi classiquement la lutte contre lâinflation, la stabilitĂ©
du DT sur le marchĂ© des changes, lâapprovisionnement de lâĂ©conomie en liquiditĂ©s et le
contrĂŽle prudentiel dâun secteur bancaire (notamment public) fragile marquĂ© par un
volume excessif de créances douteuses dans le bilan des banques.
Reprenons quelques unes des cibles visées par la politique monétaire.
i) Lâinflation en Tunisie reste soutenue mĂȘme si elle est contenue (5% en 2017 et
4,2%, prévus en 2018). Depuis plus de vingt ans le niveau général des prix
augmente de maniĂšre continue sans que lâon puisse constater un lien significatif
avec la politique monĂ©taire de la BCT. Les variations du taux dâinflation en
glissement annuel ne paraissent pas non plus sous le contrĂŽle de la politique
monétaire de la BCT.
![Page 24: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/24.jpg)
23
0.00
20.00
40.00
60.00
80.00
100.00
120.00
140.00
TUN Indice des prix Ă la consommation (2010=100)
0
10,000,000,000
20,000,000,000
30,000,000,000
40,000,000,000
50,000,000,000
60,000,000,000
70,000,000,000
TUN Masse monétaire
(monnaie locale actuelle)
0.00
1.00
2.00
3.00
4.00
5.00
6.00
7.00
TUN Inflation, prix Ă la consommation (% annuel)
![Page 25: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/25.jpg)
24
On peut donc lĂ©gitimement sâinterroger sur les raisons du ciblage dâinflation de la BCT.
On peut Ă la limite comprendre, sans le justifier, le comportement rigide de la Haute Cour
de justice de Karlsruhe qui a imposĂ© sa phobie de lâinflation monĂ©taire Ă la Bundesbank et
par la suite avec lâavĂšnement de lâEuro, Ă la BCE.
Mais en quoi la BCT doit-elle ĂȘtre soumise encore Ă cette vision idĂ©ologique, sans
fondement scientifique, alors mĂȘme que sous lâimpulsion de Mario Draghi, la BCE, aprĂšs
la Fed et bien dâautres BC des pays dĂ©veloppĂ©s et des pays Ă©mergents, prend ses distances
avec cette vision étriquée de la politique monétaire ?
Pourquoi doit-on considĂ©rer que le principal risque dâinflation en Tunisie est dâordre
monétaire ? Tous les économistes tunisiens savent pertinemment que les véritables causes
de lâinflation en Tunisie sont Ă rechercher ailleurs:
âą du cĂŽtĂ© de lâagriculture dont le niveau de production reste encore assez largement
fonction de la pluviométrie,
⹠des variations du taux de change qui détermine la facture pétroliÚre notamment,
âą dâun excĂšs possible de demande due Ă lâaugmentation des salaires sous la pression
des revendications syndicales au cours de la période dite « de transition ».
âą De facteurs conjoncturels tels que par exemple lâimpact des flux migratoires
(arrivée massive de réfugiés en provenance de Libye notamment),
âą etc.
On sait aussi que lâinflation rĂ©elle est minorĂ©e par les subventions aux produits de base
(1/3 environ du panier des biens de consommation pris en compte dans lâindice des prix).
0.001.002.003.004.005.006.007.008.00
TUN Rapport de la masse monétaire sur les réserves totales
![Page 26: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/26.jpg)
25
Qui peut lĂ©gitimement croire quâen Tunisie, « les anticipations inflationnistes des agents»
sont dĂ©terminĂ©es par la manipulation du taux dâintĂ©rĂȘt directeur ? La politique monĂ©taire
restrictive qui a Ă©tĂ© menĂ©e en Tunisie Ă partir dâaoĂ»t 2012 par des relĂšvements successifs
du taux directeur (de 3,5% Ă 4,75% le 25 juin 2014) nâa pas permis de rĂ©duire lâinflation.
MĂȘme si en Tunisie la BCT prend en compte le niveau des prix des produits agricoles et
des produits subventionnĂ©s (administrĂ©s) pour se focaliser sur « lâinflation sous-jacente »,
on ne peut prouver, comme lâont montrĂ© de nombreuses Ă©tudes Ă©conomĂ©triques menĂ©es par
des doctorants tunisiens, que la BCT parvient Ă limiter lâinflation par sa politique
monétaire orthodoxe. De fait celle-ci a augmenté de 3 à 4% en 2011 à plus de 7%
aujourdâhui. En revanche il est possible et sans doute probable que le relĂšvement du taux
dâintĂ©rĂȘt peut avoir un impact sur le volume du crĂ©dit allouĂ© Ă lâĂ©conomie pour le
financement des investissements.
ii) Une autre « cible » de la politique monétaire de la BCT est de réguler ou de stabiliser le
taux de change du DT en lâajustant Ă lâĂ©volution du niveau gĂ©nĂ©ral des prix, aux dĂ©ficits
des balances commerciales et des paiements et en contrĂŽlant de maniĂšre plus ou moins
souple les mouvements de capitaux. Le régime de change choisi est intermédiaire entre la
fixitĂ© et le flottement libre (« peg » ou ancrage sur le Dollar et lâEuro gardĂ© secret par la
BCT).
Il ne semble pas que la BCT ait comme politique de réduire le degré de « mésalignement »
du taux de change nominal par rapport Ă un taux de change rĂ©el dâĂ©quilibre fondamental
(FEER de Williamson). Mais Les variations du taux de change du DT respectivement par
rapport au Dollar et Ă lâEuro ne semblent pas liĂ©es Ă lâĂ©volution de lâindice gĂ©nĂ©ral des prix
Ă la consommation, ni aux taux dâintĂ©rĂȘt directeurs fixĂ©s par la BCT ni Ă lâĂ©volution de la
masse monĂ©taire. Le DT se dĂ©prĂ©cie de maniĂšre continue par rapport Ă lâEuro et de
maniĂšre plus erratique avec le Dollar, sans que lâon puisse savoir si ces variations sont
vĂ©ritablement « maitrisĂ©es » par la BCT. Dans la mesure oĂč le Dollar est liĂ© principalement
Ă la facture pĂ©troliĂšre et au paiement du service de la dette et que lâEuro est liĂ© aux
importations et exportations de Biens et de services avec lâUE, aux IDE et aux
« transferts » des migrants, il nous paraßt que la politique de change devrait accentuer la
dĂ©prĂ©ciation du DT par rapport Ă lâEuro et accentuer son apprĂ©ciation par rapport au
Dollar. LâaccĂ©lĂ©ration de la dĂ©prĂ©ciation du DT Ă la fois par rapport Ă lâEuro et au Dollar,
non pas à partir de 2011, mais de 2014 semble résulter de la dégradation de la balance des
paiements tunisienne sur laquelle la politique de la BCT nâa aucune prise.
![Page 27: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/27.jpg)
26
Une simple comparaison graphique des variations du taux de change du DT par rapport au
Dollar et Ă lâEuro aux variations du Dirham Marocain et du Dinar AlgĂ©rien par rapport aux
mĂȘmes monnaies justifie selon nous lâintĂ©rĂȘt dâĂ©tudes plus approfondies sur lâopportunitĂ©
dâune « monnaie rĂ©gionale » maghrĂ©bine comme stratĂ©gie de rĂ©duction de lâajustement
asymétrique des politiques monétaires des trois pays concernés du Maghreb aux variations
du taux de change des monnaies internationales et notamment du Dollar par rapport Ă
lâEuro.
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moyenne pour la période)
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27
HUITIĂME ENSEIGNEMENT : « La politique monĂ©taire en Tunisie doit rompre
avec lâillusion du ciblage dâinflation et se concentrer sur le plan interne sur le ciblage
de lâemploi et de la croissance et sur le plan externe sur une politique fine du taux de
change et du contrÎle des sorties de capitaux ».
c) Quelle politique monétaire accommodante pourrait mener la BCT ?
Il est indispensable de retenir du caractÚre dit « non conventionnel » ou «hétérodoxe» des
politiques monétaires accommodantes, la nécessaire continuité entre la politique monétaire
et budgĂ©taire et aller au-delĂ jusquâĂ assurer une continuitĂ© jusquâaux politiques
structurelles globales ou sectorielles (industrie, agriculture, services, transports, réduction
des inégalités de revenus et régionales, numérique, etc.).
Nous allons nous focaliser ici sur le seul volet de la politique monĂ©taire Ă lâexclusion de
tous les autres aspects de la politique économique (budgétaire, fiscale, agricole,
industrielle, sociale, internationale, etc.). Nous essaierons de poser quelques idĂ©es quâil
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28
resterait Ă approfondir par des Ă©tudes plus poussĂ©es, dâune politique monĂ©taire non
conventionnelle.
i) sur le plan interne propre Ă lâĂ©conomie tunisienne.
Depuis lâamendement de ses statuts en 2006, la BCT ne peut accorder des concours
financiers au TrĂ©sor Public. Lâarticle 47 (bis) de la loi 58-90 portant organisation de la
BCT stipule: « La Banque Centrale ne peut accorder des découverts ou des crédits ni
acquĂ©rir directement des titres Ă©mis par lâĂtat ». LâĂtat se finance aux conditions de
marché en émettant des bons du Trésor (BTCT et BTA).
Sans pour autant remettre en question la nécessaire indépendance de la BCT par rapport au
gouvernement, il nous paraĂźt nĂ©cessaire, si lâon veut mettre en Ćuvre une vĂ©ritable
politique monĂ©taire hĂ©tĂ©rodoxe dâautoriser la BCT dans un cadre lĂ©gal et strictement
rĂ©glementĂ©, Ă acheter directement des obligations publiques, dĂšs lors que lâĂtat utilise la
monnaie locale ainsi nouvellement crĂ©Ă©e pour investir dans des secteurs qui feraient lâobjet
dâun consensus national.11 Pour Ă©viter que ces investissements financĂ©s en monnaie locale
ne gĂ©nĂšrent de lâinflation, il faudrait justement faire en sorte que la monnaie nouvellement
crĂ©Ă©e ne soit pas utilisĂ©e comme pouvoir dâachat mais comme « convoi » permettant la
mobilisation de forces productives internes inemployées, et qui généreraient ainsi la
crĂ©ation dâemplois aussi bien pour la main-dâĆuvre non qualifiĂ©e que pour les diplĂŽmĂ©s
(notamment ceux de lâenseignement supĂ©rieur au chĂŽmage). Pour les pays dont la balance
commerciale est dĂ©ficitaire, le contenu en importations de ces projets doit ĂȘtre faible. Les
secteurs visĂ©s en prioritĂ© doivent ĂȘtre ceux qui sont tournĂ©s vers le dĂ©veloppement dâun
marchĂ© intĂ©rieur et tirĂ©s par une demande interne, ce qui nâempĂȘche pas de rechercher par
la suite des dĂ©bouchĂ©s extĂ©rieurs, notamment vers dâautres pays voisins dans le cadre dâun
processus dâintĂ©gration rĂ©gionale par exemple (UMA). Cette orientation doit viser aussi la
rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s rĂ©gionales permettant ainsi de freiner lâexode rural, tout en
revitalisant les campagnes et les centres urbains secondaires. Cette création monétaire ne
doit donc pas rĂ©pondre Ă des buts conjoncturels dâaccroissement des dĂ©penses de
fonctionnement du secteur public mais Ă des rĂ©formes structurelles qui auraient fait lâobjet
dâun dĂ©bat public et dont le financement Ă long terme par pure crĂ©ation monĂ©taire aurait
Ă©tĂ© votĂ© par le Parlement. Câest bien ainsi quâil faut comprendre lâarticulation de la
11 Le processus dâĂ©mergence dâun consensus national sur des objectifs de dĂ©veloppement de long
terme doit nĂ©cessairement sâopĂ©rer Ă travers des institutions dĂ©mocratiques, ce qui suppose
lâexistence dâun Etat de Droit et la lutte systĂ©matique et inflexible contre la corruption.
![Page 30: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/30.jpg)
29
politique monĂ©taire de QE aux politiques structurelles de mise en Ćuvre dâun nouveau
rĂ©gime de croissance inclusive respectueux de lâenvironnement, du dĂ©veloppement durable
et de la rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s. Par exemple dĂ©velopper lâĂ©conomie sociale et solidaire
sur la base de la valorisation des aspects les plus dynamiques de lâĂ©conomie informelle.
DĂ©velopper Ă©galement les « SEL » (SystĂšme dâĂ©conomie locale), les circuits courts, les
monnaies locales qui mobilisent une Ă©pargne locale, etc.
NEUVIĂME ENSEIGNEMENT : « La politique monĂ©taire accommodante doit
favoriser le marché intérieur pour lutter contre les déséquilibres régionaux et
sociaux»
ii) Sur le plan externe de la politique européenne de voisinage.
La politique euro-mĂ©diterranĂ©enne de lâUE est en panne et lâUPM reste aujourdâhui en
rade. Des voix de plus en plus nombreuses (en Allemagne, en France et dans dâautres pays
de la zone Euro) sâĂ©lĂšvent pour ne pas en rester Ă un traitement purement sĂ©curitaire des
questions migratoires et agir en amont sur les pays dâorigine ou de transit des flux
migratoires. Câest donc lâoccasion ou jamais de renforcer la coordination des politiques
monétaires hétérodoxes entre la BCE et les pays de la rive Sud et Est de la
MĂ©diterranĂ©e, dont au premier chef la Tunisie. La Tunisie peut Ă notre avis ĂȘtre lâobjet
dâune expĂ©rimentation innovante en matiĂšre de coopĂ©ration euro-mĂ©diterranĂ©enne. Au-delĂ
des considĂ©rations gĂ©opolitiques dâune solidaritĂ© stratĂ©gique et Ă©conomique mutuellement
avantageuse entre lâUE et les pays de la rive Sud et Est de la MĂ©diterranĂ©e, la France
notamment devrait davantage se souvenir quâelle a des attaches trĂšs anciennes dâordre
Ă©conomique, politique et culturel avec la plupart des PSEM.
Par exemple, il suffirait dâun changement du cadre lĂ©gislatif et rĂ©glementaire pour autoriser
la BCE Ă acheter en Euros une partie des BT Ă©mis par des pays de son voisinage, sous la
condition que ces Obligations dâĂtat ont bien Ă©tĂ© Ă©mises pour financer des dĂ©penses
publiques dâinvestissement Ă long terme dans des secteurs clĂ©s de leurs Ă©conomies
respectives (infrastructures coûteuses) ou, pour une meilleure acceptation par les opinions
publiques européennes, dans des secteurs ciblés par la COP 21. Mais on sait bien
aujourdâhui que les questions dâenvironnement (rĂ©chauffement climatique par Ă©mission de
CO2, mais pas seulement), de transition énergétique, de flux migratoires et de sécurité sont
liĂ©es. Si Mario Draghi a pu Ă©voquer sous forme de boutade lâĂ©ventualitĂ© de la « monnaie
hĂ©licoptĂšre », rien nâempĂȘche une extension du champ dâaction de la BCE aux pays du Sud
de lâEst de la MĂ©diterranĂ©e (PSEM) et Ă titre expĂ©rimental Ă la Tunisie, pour leur permettre
![Page 31: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/31.jpg)
30
de mobiliser lâensemble de leurs ressources productives inemployĂ©es. Orienter vers
lâĂ©conomie tunisienne une partie de la crĂ©ation monĂ©taire de la BCE, au demeurant trĂšs
modeste au regard de la masse des flux qui ont déjà été injectés en vain dans les économies
de la zone Euro, aurait pour avantage dâalimenter en devises ce pays. Rien nâempĂȘche que
le cadre coopératif de la mobilisation de ces flux monétaires implique la création
dâentreprises conjointes ou dâIDE qui pourraient se transformer pour partie en importations
de technologies et de biens dâĂ©quipement en provenance de lâUE. Les entreprises et les
Ătats des pays de lâUE qui bĂ©nĂ©ficieront de ces nouveaux marchĂ©s, en termes dâexportation
ou/et dâIDE devront assurer vers ces pays tiers, de vĂ©ritables transferts de technologie par
la formation de la main dâĆuvre locale Ă tous les niveaux de qualification. LâUE pourrait
Ă©galement accompagner (relancer ?) le mouvement dâintĂ©gration de lâespace euro-
méditerranéen (Union pour la Méditerranée actuellement en panne), par des programmes
ciblés de « coopération euro-méditerranéenne » qui favoriseraient les échanges Sud-Sud.
Le contexte politique et Ă©conomique interne et externe doit ĂȘtre pris en compte dans les
choix stratégiques de politique économique de la Tunisie.
⹠Sur le plan intérieur, on assiste à une montée, voire une surenchÚre, des
revendications salariales et rĂ©gionales qui mettent sous pression le budget de lâĂtat,
la compĂ©titivitĂ© des entreprises exportatrices et lâinflation. La recherche de
« compromis » politiques et sociaux, interfÚre avec les choix contraints de la
politique Ă©conomique et oblige les dĂ©cideurs politiques Ă faire preuve dâaudace et
dâimagination.
⹠Sur le plan extérieur, la reprise de la croissance au sein de la zone Euro reste
indécise, la sortie du QE ne semble pas encore actée par la BCE et par ailleurs, la
crise sécuritaire et migratoire en Europe (principal partenaire commercial de la
Tunisie) engendre une montée du populisme qui ne favorise pas la coopération
économique euro-méditerranéenne. En outre le climat mondial est marqué par des
incertitudes gĂ©opolitiques et gĂ©oĂ©conomiques aux Ătats-Unis, en Europe et au
Moyen-Orient qui rendent particuliÚrement difficiles les prévisions à court moyen
et long terme.
DIXIĂME ENSEIGNEMENT : « La politique monĂ©taire accommodante de la BCT
doit se faire en coordination et coopération avec la politique monétaire
accommodante de la BCE ».
![Page 32: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/32.jpg)
31
CONCLUSION.
Il nous a paru intéressant de jeter un regard nouveau sur la politique économique en
Tunisie en examinant quelques pistes de mise en oeuvre dâune politique monĂ©taire non
conventionnelle, Ă lâinstar de ce qui est fait dans les pays dĂ©veloppĂ©s, mais en poussant
jusquâau bout la rupture avec lâorthodoxie monĂ©tariste. Pour cela, il nous a semblĂ©
important de pouvoir articuler la politique monétaire accommodante à une politique
structurelle de long terme, câest Ă dire Ă remettre en cause la troisiĂšme dichotomie de la
pensĂ©e orthodoxe. Il ne sâagit pas ici, selon notre conception, seulement des « rĂ©formes
structurelles », qui, dans la vision orthodoxe libérale, portent en priorité sur les conditions
de rĂ©alisation dâun excĂ©dent durable du budget primaire (hors paiement du service de la
dette) principalement par des réductions des dépenses publiques. Pour nous, les politiques
structurelles doivent viser principalement les conditions dâune croissance endogĂšne
inclusive et durable. Ce qui signifie des investissements publics et privés dans le capital
humain (éducation, recherche, santé), dans la diversification de la base productive, dans la
rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s de tous ordres, dans la protection de lâenvironnement et dans la
promotion des Ă©cosystĂšmes de lâinnovation. Il convient aussi dâinvestir dans la qualitĂ© des
institutions en termes de gouvernance et de comportements éthiques. La nécessaire
reconfiguration du systÚme productif porteur de ce nouveau régime de croissance et de
dĂ©veloppement durable doit ĂȘtre en adĂ©quation avec lâĂ©mergence de nouveaux secteurs tels
que lâenvironnement, lâĂ©nergie, lâĂ©conomie sociale et solidaire, etc.
Nous avons essayé dans cette communication de tracer seulement quelques pistes de
rĂ©flexion dâune politique monĂ©taire absolument hĂ©tĂ©rodoxe qui rompt dĂ©finitivement avec
lâorthodoxie du nĂ©o-libĂ©ralisme. Ces pistes thĂ©oriques ne pourront conduire Ă un vĂ©ritable
changement de paradigme que si elles parviennent à prendre appui sur les différents
courants passés de la pensée économique hétérodoxe (keynésienne, institutionnaliste,
rĂ©gulationniste, etc.) tout en les dĂ©passant. Lâalternative au nĂ©o-libĂ©ralisme ne saurait ĂȘtre
un retour ni au protectionnisme ni Ă lâĂ©tatisme, mais Ă des formes dĂ©centralisĂ©es de
régulation démocratique qui préservent les libertés individuelles et renforcent les
solidaritĂ©s sociales et les stratĂ©gies coopĂ©ratives Ă lâĂ©chelle locale et mondiale.
Au moment oĂč les pays dâEurope sâinterrogent sur leur avenir et la soliditĂ© dâun destin
commun, au moment oĂč le Monde est traversĂ© par des pĂ©rils de toute nature (Ă©cologique,
climatique, sĂ©curitaire, militaire, nuclĂ©aireâŠ), au moment oĂč les nationalismes et les
populismes sâexacerbent face Ă la mondialisation, on peut vraiment penser sans verser dans
un catastrophisme ambiant, quâil y a « pĂ©ril en la demeure » mĂ©diterranĂ©enne !
![Page 33: Quels enseignements peut-on tirer des politiques](https://reader035.vdocuments.net/reader035/viewer/2022062412/62ad150939f625437309ce1d/html5/thumbnails/33.jpg)
32
Faut-il persister dans la voie de politiques qui ont prouvé leur inefficacité et leur
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35