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Lulu de Frank Wedekind – NOVEMBRE

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Lulu de Frank Wedekind4 – 13 NOVEMBRE 2011

Lulude Frank Wedekind

Angela Winkler Lulu

Anke Engelsmann Comtesse Martha von Geschwitz

Jürgen Holtz Schigolch

Georgios Tsivanoglou Obermedizinalrat Dr. Goll

Ulrich Brandhoff Eduard Schwarz

Alexander Lang Dr. Franz Schöning

Markus Gertken Alwa Schöning, son fils

Georgios Tsivanoglou Rodrigo Quast, Artiste

Marko Schmidt Ferdinand

Alexander Ebeert Mr. Hopkins

Boris Jacoby Kungu Poti

Jörg Thieme Dr. Hilti

Christian LöberJack

Ruth Glöss Ruth

Stefan Rager Direction musicaleBatterie, insertions musicales

Ulf BorgwardtClavier, violoncelle

Dominic Bouffard Guitare

Friedrich Paravicini Bugle, violoncelle, harmonica

Ofer WetzlerBasse

Joe Bauer Bruitage

ROBERTWILSONLOU REEDBERLINERENSEMBLE

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Lulu de Frank WedekindMise en scène, décors et lumière, Robert WilsonMusique et chants, Lou ReedCostumes, Jacques Reynaud Collaboration mise en scène, Ann-Christin Rommen Compilation des textes et dramaturgie, Jutta FerbersCollaboration décors, Serge von ArxCollaboration costumes, Yashi Tabassomi Direction musicale, Stefan RagerLumière, Ulrich EhAssistantes mise en scène, Magdalena Schnitzler, Ceyda SöylerAssistant décors, Jakob OredssonAssistante costumes, Julia SchweizerAssistante dramaturgie, Anja StruckSouffleuse, Barbara MatteRégisseurs plateau, Harald Boegen, Rainer B. ManjaDirecteur technique, Stephan BessonConstruction, Edmund StierRégie de la production, Eric Witzke, René BangeChef costumière et responsable des maquillages,Barbara NaujokRégie des costumes, Stephan Dierkes, David Engler, Kerstin PeekhausMasques, Ulrike HeinemannSon, Axel Bramann, Afrim ParduziAccessoires, Margit BillibTapissier, Dirk KöslingAtelier décoration, backstage GmbHMétallurgie, Michael RedetzkiAssistant personnel de Robert Wilson, Bernhard StippigTraduction des chansons en allemand, Elisabeth Plessen, David KochRédaction et régie des titres, Michel Bataillon

Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris

En partenariat avec France Inter

Durée : 3h avec entracte après le 3e acteSpectacle en allemand et en anglais surtitré en français

Ce projet a été financé avec le soutien de la Commission européenne. Cette communicationn’engage que son auteur et la Commission n’est pasresponsable de l’usage qui pourrait être fait desinformations qui y sont contenues.

Crédits photographiques : © Lesley Leslie-Spinks

et nos amis de BerlinEn 2009, avec Alain Crombecque, nous avionsdécidé de faire revenir le Berliner Ensembleà Paris, au Théâtre de la Ville, c’est-à-dire dans le lieu même, alors Théâtre Sarah-Bernhard, où il était venu pour la premièrefois le 29 juin 1954. Il n’y était pas revenu depuis,c’était une chance et un honneur de l’accueillirde nouveau avec L’Opéra de quat’sous deBrecht dans la mise en scène de Bob Wilson,ami proche du Festival d’Automne qui l’aurainvité 20 fois en 40 ans.Au Théâtre de la Ville, nous avons poursuiviavec Richard II de Shakespeare, dans la puis-sante mise en scène de Claus Peymann, actueldirecteur du Berliner Ensemble, qui sait éga-lement partager son « ensemble » avec d’autresgrandes figures de la scène, de Peter Stein àBob Wilson. En retrouvant le Berliner cette saison, d’abordavec la Lulu en noir et blanc, rêveusementguerrière, de Bob Wilson et Lou Reed puis,plus tard dans la saison, avec Simplementcompliquéde Thomas Bernhard mis en scènepar Claus Peymann – qui a depuis 1970 crééla quasi-totalité des œuvres du dramaturgeautrichien –, nous prolongeons avec forceles liens organiques retrouvés avec cette« compagnie » unique.Au Festival d’Automne comme au Théâtre dela Ville, au cœur de Paris, le Berliner revient,il est chez lui.

Emmanuel Demarcy-Mota

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« À la fois la lumière et l’obscurité »Entretien avec Robert Wilson

Comment en êtes-vous venu à travailler surLulu ? Avez-vous déjà mis en scène l’opéraqu’Alban Berg a tiré de cette pièce ?Cela fait des années que je voulais mettre enscène cette pièce. J’ai toujours été fasciné parle film de Pabst avec Louise Brooks, et j’ai vubeaucoup de mises en scène, qui ne m’ont ja-mais convaincu. De même, j’ai très souventpensé à porter à la scène l’opéra de Berg, maisl’occasion ne s’en est pas encore présentée…Depuis pas mal de temps, Lou Reed et moi par-lions de refaire quelque chose ensemble. Et jeme suis dit que cette pièce pourrait très biense prêter à sa musique et à ses mots. Aussi,lorsque le Berliner Ensemble m’a demandé deleur proposer un projet après celui que j’avaisfait sur les Sonnets de Shakespeare, j’ai penséque Lulu pourrait constituer un bon complé-ment aux autres de mes créations qui font par-tie du répertoire de l’Ensemble, L’Opéra dequat’sous et Léonce et Léna.

Lorsque vous mettez en scène une pièceaussi fameuse, vous intéressez-vous à ceque d’autres metteurs en scène en ont fait ?Je ne fais jamais de recherches concernantles autres productions. J’ai d’abord réfléchi àla période à laquelle la pièce avait été écrite.J’avais en tête une image de Sarah Bernhardt,j’essayais de m’imaginer à quoi elle aurait puressembler dans ce rôle.

Ce drame de Wedekind, que représente-t-ilpour vous ?Un autre monde – un monde irréel. Contrai-rement à ce que l’on pense souvent, Wede-kind considérait cette œuvre comme quelquechose de plastique, et non de naturaliste.

parce qu’elle n’ôtait pas tous ses vêtements. Illui suffisait de retirer un seul de ses longsgants pour que ce soit sexy et troublant.

Qui est Lulu selon vous ? Et pourquoi cechoix d’Angela Winkler pour tenir le rôle,bien qu’elle soit beaucoup plus âgée quel’héroïne de Wedekind ?Lulu peut être chacun d’entre nous. J’ai choisiAngela Winkler parce que j’aime sa voix,j’aime la regarder. Elle est particulièrementdouée pour produire le son le plus doux, cequi est la chose la plus difficile à faire authéâtre. Je pense qu’elle était le complémentidéal au rock anguleux de Lou Reed. Et ellefait partie des rares acteurs à connaître lepouvoir du silence. Dans la mesure où montravail est formel, je ne vois aucun problèmeà ce que quelqu’un d’âgé joue le rôle de quel-qu’un de jeune, qu’un homme interprète unefemme, ou inversement. J’ai demandé à Ma-rianne Hoppe de jouer Lear lorsqu’elle avait80 ans. Il y a longtemps, j’ai vu Le Roi Lear deKlaus Michael Grüber, avec Bernhard Minettidans le rôle-titre et David Bennent dans lerôle du fou. À l’époque, je m’étais dit qu’il au-rait été intéressant de faire jouer Lear parDavid, et le fou par Minetti.

La littérature allemande du début du XXe

siècle et l’univers expressionniste semblentvous inspirer particulièrement – si l’on songepar exemple à votre mise en scène de L’Opérade quat’sous de Brecht/Weill. Dans quellemesure diriez-vous que ce mouvement –comme plus tard le Bauhaus d’Oskar Schlem-mer – a pu influencer votre sens de l’architec-ture et votre conception du mouvement ?Je viens de la même école. Là où tout mouve-ment est considéré comme de la danse, qu’ilsoit produit avec les yeux ou avec les doigts,que l’on marche ou que l’on se contente derester debout. Où les éléments visuels sontenvisagés d’une manière architecturale, etnon comme une décoration scénique. Les ex-pressionnistes, le théâtre du Bauhaus ou lesfilms muets mettaient librement en scène un

monde non naturaliste, conscients que le faitmême d’être en scène était déjà quelquechose d’artificiel, non quelque chose de natu-rel. C’est quand on s’imagine jouer naturelle-ment en scène que cela semble le plusartificiel, c’est un mensonge.

Pour chaque création, vous commenceztoujours par élaborer un « carnet visuel »(visual book) dans lequel vous consignez leséléments ayant trait aux lumières, auxgestes, etc. Comment procédez-vous pource faire – et dans le cas de Lulu, à quoi cecarnet ressemblait-il, quels en étaient leséléments-clés ? Par exemple, commentavez-vous eu l’idée de ce merveilleux pay-sage de la partie « parisienne » de la pièce,avec les lustres et les cyprès ?Pour être honnête, je ne suis pas vraimentsûr de la façon dont une idée me vient. Je faisune chose, puis une autre, et ensuite je re-garde de quelle manière celle-ci peut être re-liée à celle-là, ou non. J’ajoute ensuite unautre élément, et encore un autre, puis j’ensoustrais un. Ce n’est pas un processus intel-lectuel, mais une manière de faire l’expé-rience d’une œuvre. Cela se passe à unniveau qui n’est pas celui de l’intellect. Unefois précisé cela, je dirais que je pars habi-tuellement d’un diagramme qui m’aide à clai-rement visualiser l’ensemble. Dans le cas deLulu, j’ai pensé à une ligne interrompue pardifférentes boîtes noires, d’abord une petite,puis une plus grande, la troisième encoreplus grande, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’àla fin, l’espace tout entier soit noir, et puisaprès tout blanc. Ces boîtes noires étaientdes références à la scène de la mort de Lulu.La ligne elle-même était un flash-back, unsouvenir de sa vie. Dans certains cas, ellesymbolise les lignes des autres personnages,comme si la pièce se déroulait dans sa tête.

Dans votre travail, tous les éléments – la mu-sique, les lumières, etc. – viennent-ils enmême temps ? Sinon, par quoi commencez-vous habituellement ?

Votre version s’ouvre de manière inhabi-tuelle : par la mort de Lulu…Mon théâtre est un théâtre formel, et le faitde commencer par sa mort permettait de re-garder les événements avec distance, de ma-nière formaliste. Grâce à cela, je pouvaismélanger librement les époques, en phaseavec notre façon de penser. Faire en sorteque les événements de la vie de Lulu soientquelque chose qui aurait pu se passer hier,quelque chose qui pourrait se passer de-main, ou aujourd’hui. Un temps qui susciteles plus libres associations, et non un tempschronologique. Traversant toute la pièce, il ya une ligne que l’on pourrait dire du temps« naturel », et cette ligne de temps naturelest interrompue par des moments-clés, leplus souvent liés à sa mort, qui sont des mo-ments de temps surnaturel.

Votre vision de Lulu semble très sombre, plusencline à souligner la dimension sordide dela pièce de Wedekind que son érotisme…Je ne suis pas tout à fait d’accord. Cette pièce,pour moi, c’est à la fois la lumière et l’obscu-rité. L’une ne peut exister sans l’autre. Elle estinterprétée de manière mélodramatique : làencore, il s’agit d’un outil formel qui permetde tenir les émotions à distance. Ce quej’aime avec le mélodrame, c’est que même lesmoments les plus sombres peuvent êtrejoués de manière lumineuse. Quand quel-qu’un se déshabille, il va de soi que l’on penseà quelque chose de sexuel, mais un prêtredans sa robe ou une nonne dans son habitpeuvent être tout aussi sexy et érotiques àleur façon. Si Gypsy Rose Lee, la célèbre strip-teaseuse, était grande, c’est précisément

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toujours été formel, ménageant une certainedistance entre les acteurs et ce qu’ils disentet font, et une certaine réserve, une distanceentre les acteurs et le public – une réservequi permet au public de venir à eux sansqu’ils aient trop à insister. On est ici trèsproche du théâtre de la distanciation deBrecht. Mais si on décrit souvent son travailcomme politique, je ne l’ai jamais envisagécomme tel. Je le considérerais plutôt commephilosophique. Je pense que la politique et lareligion divisent les hommes, et n’ont pasleur place au théâtre. C’est pourquoi j’aichoisi, dans mon propre travail, de ne pasfaire de théâtre politique et de ne pas mettrela religion en scène. Même si je n’ai riencontre les gens qui font ce genre de choses.

Vous avez déclaré ne pas vouloir faire un« théâtre de l’interprétation » : dans ce cas,comment définiriez-vous votre théâtre, etpourquoi faire appel à des interprètes aussimarquants qu’Isabelle Huppert ou AngelaWinkler ? Qu’est-ce qu’ils vous apportent, etcomment concevez-vous les mouvementsque vous leur demandez d’exécuter ?Je ne pense pas qu’il nous faille, sur scène,donner des réponses, mais plutôt poser desquestions. Dans mes mises en scène, IsabelleHuppert comme Angela Winkler sont trèsformelles. Isabelle Huppert possède une ca-pacité d’abstraction sidérante. Elle est ca-pable d’exécuter des gestes totalementdépourvus de signification – et accepter celacomme une expérience. Je laisse les acteurslibres de penser ce qu’ils veulent. Je leur de-mande seulement de ne pas insister pourque le public pense la même chose qu’eux. Jeleur demande d’aborder l’œuvre avec un es-prit ouvert, en demandant ce qu’elle est, etnon en affirmant ce qu’elle est.

Propos recueillis par David Sanson

ensemble au vrai sens du terme. J’ai une trèsbonne relation avec tous les départements etavec Claus Peymann en tant que producteur,et nous menons un vrai travail d’équipe. Et,bien que Claus Peymann soit lui-même met-teur en scène, avec un style et une esthétiquepropres, il m’a toujours beaucoup soutenu, etje n’ai jamais senti de sa part aucune pressionpour me faire dévier de ma ligne esthétique.Cela fait dix ans que je travaille là-bas, jeconnais les comédiens et ils me connaissent,et c’est sur scène que cela se vérifie : les chosessont très différentes lorsqu’un metteur enscène invité ne connaît pas vraiment les ac-teurs. Je ne suis pas quelqu’un de technique,mais mon travail, lui, l’est beaucoup. Je suis dé-pendant du service technique, et pour moi, lestechniciens – le déplacement de tel élémentde décor sur scène, les changements de pla-teau – sont aussi importants que les acteurs.Ils me connaissent, je les connais, nous nousrespectons et nous soutenons mutuellement.

Le terme de « distanciation » revêt une per-tinence singulière dans le cas de votre tra-vail, y compris avec Lulu. Dans quellemesure l’influence de Brecht est-elle impor-tante pour vous ?Lorsque j’ai rencontré Stefan Brecht pour lapremière fois, en 1969, il m’a dit que je seraisle metteur en scène idéal pour le théâtre deson père. À cette époque, j’ignorais tout duthéâtre de Brecht. Mais il m’a dit qu’il sentaitqu’à certains égards, nous étions trèsproches, et à d’autres très différents. Presquedix ans plus tard, lorsque j’ai rencontré Hei-ner Müller et qu’il m’a dit : « Évidemment,vous avez été influencé par Bertolt Brecht »,je lui ai répondu que je connaissais très mall’œuvre de Brecht et ses conceptions duthéâtre. À présent que j’en sais plus, je voisbien qu’il y a indéniablement des similitudesdans nos manières de concevoir la scène.Brecht parlait d’un théâtre épique, dans le-quel tous les éléments sont également im-portants. Je crois beaucoup en un théâtre dece genre. Depuis le tout début, mon théâtre a

pièce, Le Regard du sourd, fut produite enFrance, Stefan Brecht y tenait un rôle. J’ai ren-contré sa mère, qui se trouvait à Paris pour yjouer LaMère. Elle m’invita à venir voir le Ber-liner Ensemble, et à venir l’y voir jouer.Quelques mois plus tard, je recevais une in-vitation à me rendre à Berlin pour y mettreen scène un opéra. J’y suis parti un dimanche,j’ai rencontré le directeur de l’opéra, et lemême soir, j’allais à Berlin-Est, au Berliner En-semble, pour voir Helene Weigel, comme ellem’y avait invité. Lorsque je suis arrivé au gui-chet, on m’apprit qu’elle était morte deuxjours plus tôt. Ce soir-là, je suis allé pour lapremière fois au Berliner Ensemble, voir unepièce de Seán O’Casey.Lorsque Heiner Müller eut 60 ans, il me de-manda si je voulais bien venir parler à l’Akade-mie der Künste de Berlin pour cet anniversaire.Le lendemain, il m’emmena au Berliner En-semble pour y assister à une réunion de pro-duction. C’était pour moi quelque chose detrès étrange et de très austère. Les acteurs, lesdécorateurs, l’équipe de production étaientassis tout autour d’une pièce déserte, et cha-cun exprimait ses pensées, c’était très formel.Quelques années plus tard, à la chute du Mur,on demanda à Heiner Müller de devenir le di-recteur artistique du Berliner Ensemble, et ilme proposa d’en prendre la codirection aveclui. J’ai décliné. Plus tard encore, le Berliner En-semble a coproduit ma production de La Mortde Danton au Festival de Salzbourg. LorsqueClaus Peymann est devenu intendant, il adonné ma production de Woyzeck, avec lamusique de Tom Waits, pour dix représenta-tions. Il m’a ensuite invité à mettre en scènequelque chose dans son théâtre, et j’ai choisiLe Vol au-dessus de l’océan, la pièce radiopho-nique de Brecht. Ont suivi Léonce et Léna, Unconte d’hiver, L’Opéra de quat’sous, les Son-nets de Shakespeare, et aujourd’hui Lulu.

En quoi votre travail avec le Berliner En-semble diffère-t-il de vos expériences pré-cédentes ?Je pense que le Berliner Ensemble est un

Cela commence toujours par la lumière, c’estelle qui crée l’espace, puis tous les élémentstrouvent leur place. Souvent, je travaille en-suite avec tous les éléments ensemble, maisil m’arrive de les traiter séparément.

Comment avez-vous travaillé avec Lou Reedet comment avez-vous en particulier déter-miné les endroits où il devait y avoir deschansons et de la musique ?Environ huit mois avant, j’ai réalisé un plande l’œuvre « muet », dans lequel j’avais ébau-ché toute l’action de la pièce. En y travaillant,j’ai utilisé les musiques de Lou préexis-tantes : une ballade, quelque chose de tran-quille, quelque chose de fort, un morceaulent, un autre rapide – et j’ai ensuite suggéréles endroits où il pouvait y avoir des chan-sons, et quels types de chansons, ainsiqu’une construction spatiotemporelle. C’està partir de cela que Lou a écrit la musique.

Votre première collaboration avec le Berli-ner Ensemble remonte à 1998, avec la créa-tion du Vol au-dessus de l’océan de Brecht.Mais vous aviez auparavant noué une ami-tié solide avec Heiner Müller, qui en fut l’undes intendants de 1992 à sa mort en 1995.Que représente ce théâtre pour vous ?En 1969, Stefan Brecht [fils de Bertolt Brechtet de l’actrice Helene Weigel, Ndlr.] était venuvoir ma pièce The King of Spain au AndersonTheater de New York. Il n’y avait que deux re-présentations. À la suite de cela, il m’écrivitune lettre pour me dire qu’il avait aimé cetteproduction et qu’il souhaitait me rencontrer.Il me signalait qu’une production de L’Opérade quat’sous, avec Barbara Harris, était pré-sentée à Broadway, et que, mécontent de lamise en scène, il envisageait de l’annuler. Sonidée était que je m’intègre au projet pour lemettre en scène. Je lui répondis que je ne mesentais pas qualifié. Je ne connaissais pas lethéâtre, et encore moins le théâtre musical.Deux semaines durant, il essaya de meconvaincre, mais j’ai décliné sa proposition àchaque fois. En 1971, lorsque ma première

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Un jour – plus vraisemblablement une nuit –de décembre 1890, Willi Morgenstern, aliasRudinoff, un saltimbanque cosmopolite,clown, acrobate, musicien, réputé pour soncoup de patte et son adresse à croquer lesvisages en quelques traits de mine de plomb,de fusain ou de bouchon brûlé, saisit le profilde son compère Wedekind en bohème –pince-nez, moustache, mouche et barbiche –fumant et rêvassant à la « Dichtelei ». Passimple à transposer en français le nom de cerepaire de poètes et d’artistes : « La Rimaille »,« Aux Rimailleurs »… La forme est péjorative,certes, mais on perd la tendresse affectueusede cette enseigne aussi célèbre à Munich quele « Chat Noir » à Paris. Un an plus tard, à l’automne 1891, Jean Großpublie à Zurich L’Éveil du Printemps que leséditeurs allemands n’osent pas prendre en

charge par crainte de la censure, des amendeset des peines de forteresse. C’est aujourd’huila plus connue et la plus jouée des œuvresdramatiques de Frank Wedekind. Mais il y aun siècle, ce fut comme un brise-glaces àl’assaut du gel hivernal qui régnait aussi biensur l’Empire allemand que sur le Royaume deBavière. La sexualité de l’adolescence, lespulsions d’amour et de mort à l’heure de lapuberté, la rébellion contre la génération despères…, avec l ’énergie et la modernitédramatique d’un Goethe dans l’Urfaust oud’un Lenz dans Les Soldats , Wedekind ymettait en scène les enfants de son sièclefinissant.En décembre 1891, il s’installe dans unechambre d’hôtel sous les toits au 4, rueCrébillon, à quelques mètres du théâtre del’Odéon. Il a l’intention de rester quelques

Portrait bohêmemois à Paris, il y passe trois années pleines,jusqu’à épuisement de son héritage paternel.Il a vingt-sept ans et il a fait de la pulsion et dela jouissance érotique son objet d’étude, sonpasse-temps et le cœur de son œuvre. Paris,ville lumière et capitale du monde, est uneconquête à la mesure de sa curiosité. « Jecherche la femme… », disait-il. Ses journauxintimes sont un formidable tableau de la VieParisienne. De la Butte Montmartre au Montparnasse, duPort-Royal à l’Étoile, il arpente Paris, depréférence en fiacre. Il compte bientôt parmiles habitués privi légiés de tous lesétablissements où rayonnent les « Artsmineurs » du spectacle, « Die Kleinkünste »comme dit l ’allemand – les cirques, lesthéâtres du vaudeville, de la pantomime etdes variétés, le grand guignol et les petitesscènes du Boulevard, les exhibitions foraines,les cabarets, les beuglants. Ses stationspréférées sont le Cirque d’Hiver ou d’Été,l’Éden, le Casino de Paris, l’Eldorado, L’Élysée-Montmartre… et plus encore le Moulin-Rouge,les Folies-Bergères et le Bal Bullier où il étudiede près les danseuses. Partout où il passe, il cueille des filles, dont ilcite les traits de caractère et les talents –Rachel qui lui reprise une chemise, Léontine,artiste lyrique mais pas très propre sur elle,Kadudja d’Alexandrie qui maitrise la danse duventre et dont le nom l’enchante, Henriette laPhtisique, Marie-Louise la Morphinomane…Mondaines ou grisettes, silhouettes quil ’émeuvent au passage, petits culs quil ’aimantent et qu’ i l suit jusqu’à leurchambre…, la ville est son terrain de chasse etles prénoms forment la ronde dans les pagesde ses journaux où il accorde peu de placeaux filles des maisons. Le bordel pourtant esttrès présent dans son œuvre. « Le bordel estune province de l’innocence nue. Les filles y

forment un ensemble de couleur joyeuse, lespectre solaire sexuel… », écrit-il dans LeSpectre solaire. Son contemporain FélicienRops affirme, lui, que « le bordel est le lieudramatique qui correspond à l’appartementdu drame bourgeois ».Né dans une famil le polyglotte , saconnaissance du français est favorable à soncommerce amoureux et à son étude qui ne selimite pas à des travaux pratiques. FrankWedekind lit. Il lit Zola, Maupassant, Flaubert,Mirbeau, Mendès… I l connaît bien laPsychopathia sexualis de Krafft-Ebing, lesessais de Pierre Dufour sur la prostitution enFrance, les travaux de Charcot à la Salpêtrière,il est l’un des premiers lecteurs d’Albert Moll,Die Conträre Sexualempfindung… Ses Journaux intimes sont à juste titreprésentés en allemand sous le titre Une Vieérotique. Récit de trois années de bamboche,ils sont aussi le portrait d’un homme jeunedominé par cette pulsion érotique qui parmoment met en péril son équilibre nerveux etsa santé physique. L’Éros le distrait et l’éloignede son autre besoin vital, l’écriture poétiquequi, depuis l’adolescence, occupe son esprit etsa main et le détourne d’une scolaritéstudieuse. Ses maîtres, qui blâment son manqued’assiduité et ses rimailleries, reconnaissentbon gré mal gré son talent et ses dons hors ducommun pour la production poétique. Enrupture de famille pour avoir préféré lalittérature aux études de droit, à vingt-deuxans, en 1886, i l a gagné sa vie commeresponsable de la publicité desÉtablissements Maggi en rédigeant à lachaîne des slogans et de courtes scènes pourvanter les mérites modernes des soupes,bouil lons et concentrés . Productionhebdomadaire : 12 à 18 réclames. Un superbeouvrage du Centre d’études Wedekind de

Frank WedekindCrayon de Willi Morgenstern, dit RudinoffMunich, Dichtelei, décembre 1890

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Darmstadt rend compte de ce travail littéraireet graphique au service de l’industrie agro-alimentaire.Les pages de ses Journaux parisiens sontrythmées par des « J’espère pouvoir travailleraprès dîner », « Je rentre chez moi à minuit etj’écris jusqu’à trois heures », « travaillé toute lajournée », « Je me lève vers trois heures,travaille toute la nuit ainsi que le lendemainjusqu’à cinq heures », « Je m’efforce en vain detravailler »… Quand travaille-t-il ? Le jour ou lanuit…, chez lui, quand son lit est vide, et qu’ilne fait ni trop chaud, ni trop froid. Et puisdans les brasseries et les cafés qui lui serventde quartier général, Brasserie du Pont Neuf,Café d’Harcourt, Chez Duval, Chez Silvain, tarddans la nuit Au Chien qui fume pour seshuîtres et son champagne…Le douze juin 1892, « je vais au Champs-Élysées et l’idée me vient d’écrire une tragédieà faire frémir. Je travaille toute la journée à laconception du premier acte, vais à une heureau Café d’Harcourt , trouve Rachel ,l’accompagne chez elle où je reste jusqu’àquatre heures… ». Le quinze juin 1892, «Travaillé toute la journée. Le soir au Café del’Opéra, je fais le plan de l’acte II de matragédie de l’horreur… ».Le 24 juillet 1892, « Lesoir au Café Laune [en fait Café Larue], jeconçois les grandes lignes de ma tragédie. »Le 4 décembre 1892, « Je rentre chez moi versle soir afin de terminer le premier acte de monAstarté ». Le 15 janvier 1894, « j’emporte sousmon bras le quatrième acte… ».Le 24 janvier 1894, Wedekind arrive à Londresoù depuis six ans la police court toujoursaprès Jack l’Éventreur. Le cinquième et dernieracte de sa tragédie horrifique sera donclondonien et comportera des dialoguesmêlant l’allemand, l’anglais, le français et… lezurichois. Le 24 mai 1894, il écrit à son frèreArmin : « Ma nouvelle tragédie, La Boîte dePandore, va sans doute paraître à Paris. Maisl’affaire n’est pas encore sûre. » Pendant deux années, de juin 1892 à mai 1894,faire la foire et travailler ont été les deuxpôles antagonistes et complémentaires d’un

unique projet de vie. Quand il rentre à Paris enjuin 1894, Frank Wedekind a donné à La Boîtede Pandore sa forme primitive de « tragédie-monstre ». Monstre par l’enchaînement desmorts et des meurtres… Monstre par sesdimensions, sa durée, ses péripéties, sesramifications, ses registres théâtraux…Monstre par son ambition affichée de faired’une femme le pivot du poème dramatiqueet le moteur de l’univers, par-delà le bien et lemal.« Ma chair s’appelle Lulu » affirme celle queles hommes appellent Katia, Nellie, Eva, Lilith,Mignon… Mais pour l’instant la pièce, elle, senomme La Boîte de Pandore, tragédie-monstre, drame pour la lecture. Depuis unsiècle, chercheurs et éditeurs de Wedekindcollectionnent les éventuelles sources de ceprénom Lulu qui figure au moins une foisdans le répertoire des filles. Ensuite, sachantle goût de Wedekind pour la pantomime, ilsaffirment qu’ i l connaissait Fél icienChampsaur et sa pantomime en un acte,intitulée Lulu, produite en 1888, qui demeuraplusieurs saisons à l ’affiche et dont lepersonnage habillé en Pierrot devint ensuitel’héroïne d’un roman clownesque à grandsuccès. D’autres préfèrent souligner desemprunts au personnage de Nana, et plusencore des similitudes avec le personnage deLa femme-enfant de Catulle Mendès, mi-adolescente mi-adulte , mi -vierge miprostituée, mi-ange mi-bête qui évolue sous leregard d’un peintre voyeur.Quand il quitte Paris en février 1895, sanstravail et sans le sou, Wedekind emporte aveclui une expérience de la bohème et du cabaretlittéraire qu’il va importer à Munich. Il franchitle pas et devient membre fondateur et actif dela scène satirique des Onze bourreaux. C’est unversificateur audacieux dont les rimes et lesrengaines s’imposent, populaires, tendres,bouffonnes et féroces. Quelques coupletsirrévérencieux lui vaudront des mois deforteresse. Il compose et s’accompagne à laguitare et au banjo. Ses ballades sont unmodèle pour ses contemporains et pour la

1918

« Frank Wedekind était mortsamedi. »Samedi, descendant en groupe le long duLech dans la nuit constellée, nous avons parhasard chanté à la guitare ses chansons,celle à Franziska1, celle de l’Enfant aveugle,une chanson à danser. Et tard dans la nuitdéjà, assis sur le barrage, les chaussures ef-fleurant l’eau, la chanson des Caprices de lafortune2, qui sont si bizarres, dans laquelle ilest dit que le mieux à faire, c’est de fairechaque jour les pieds au mur. Dimanchematin, nous avons lu, bouleversés, que FrankWedekind était mort samedi.Il n’est pas facile d’y croire. Sa vitalité était cequ’il avait de plus admirable. Qu’il pénétrâtdans une salle où des centaines d’étudiantsmenaient grand tapage, qu’il entrât dans unepièce ou sur un plateau, avec son attitude ca-ractéristique, un peu voûté, son crâne éner-gique aux lignes dures légèrement projetéen avant, l’air un peu lourd et angoissant, lesilence se faisait. Quoiqu’il ne jouât pas par-ticulièrement bien le marquis de Keith – iloubliait sans cesse jusqu’à la claudicationqu’il avait lui-même prescrite, et n’avait pasle texte présent à la mémoire – il éclipsaitpourtant plus d’un comédien professionnel.Il remplissait tout l’espace de sa personne.Les mains dans les poches, il était planté là,laid, brutal, dangereux, les cheveux roux cou-pés court, et l’on sentait que celui-là, aucundiable ne l’emporterait. Dans le frac rouge dudirecteur du cirque3, il s’avançait devant le ri-deau, fouet et revolver au poing, et nul nepourrait plus oublier cette voix sèche, dure,métallique, cet énergique visage de fauneaux « yeux mélancoliques de chouette » dansses traits figés. Il y a quelques semaines, s’ac-compagnant à la guitare, il chantait seschansons à la Bonbonnière, d’une voix rêche,un peu monotone et totalement dépourvue

de métier : jamais chanteur ne m’a autant en-thousiasmé ni bouleversé. La formidable vi-vacité de cet homme, l’énergie qui le rendaitcapable, sous les rires et les quolibets, deproduire son chant d’airain à la gloire de l’hu-manité, lui conféraient aussi ce charme quin’appartenait qu’à lui. Il semblait ne pas êtremortel.Lorsqu’il nous lut, l’automne dernier, en petitcercle, Héraclès, sa dernière pièce, son éner-gie d’acier m’étonna. Il lut pendant deuxheures et demie, sans s’interrompre, sansbaisser une seule fois la voix (et quelle fortevoix d’airain il avait !), sans souffler une mi-nute entre les actes ; appuyé, immobile, surla table, il disait à moitié de mémoire ces verscoulés dans le bronze, en plongeant son re-gard tour à tour dans les yeux de chacun denous, ses auditeurs.Je l’ai vu et entendu pour la dernière fois, il ya six semaines, lors de la fête de clôture duséminaire de Kutscher. Il paraissait en par-faite santé, il discuta avec animation et, ànotre demande, assez tard après minuit, ilchanta à la guitare trois de ses plus belleschansons. Tant que je ne l’aurai pas vumettre en terre, je ne pourrai concevoir qu’ilest mort. Il faisait partie, avec Tolstoï etStrindberg, des grands éducateurs de l’Eu-rope nouvelle. Sa plus grande œuvre fut sapersonnalité.

Bertolt Brecht, 12 mars 1918

1 Le titre exact est « A Franziska de Warens ». (N.d.T.)2 Le titre exact est « Bajazzo ». (N.d.T.)3 En fait, le dompteur du prologue de L’Esprit de laterre. (N.d.T.)

Remerciement à L’Arche

jeunesse qui l’admire, en tête Bertolt Brecht.Et puis il a dans ses bagages cette pièce-monstre qu’il a qualifiée de « drame pour lalecture » et dont il veut et doit maintenantfaire un « manuscrit pour la scène », coûteque coûte, et il lui en coûtera dix-huit annéesde labeur et de combats. Son idée, qu’il meten œuvre dès qu’il quitte Londres, est de lascinder après le troisième acte en deuxparties indépendantes mais qui forment undiptyque, auxquelles il donne des titres« goethéens » : L’Esprit de la terre et La Boîtede Pandore. L’Esprit de la terre trouve un éditeur puis unthéâtre et un metteur en scène. La création alieu en 1898 à Leipzig et, fait remarquable, lepoète, l’artiste de cabaret Wedekind devientacteur professionnel et joue lui-même le rôlede Schöning, devenu Schön. Puis pendantcinq ans, il remanie, élague, coupe, resserre, etil aboutit en 1903 à une version éditée qu’ilannonce comme la première partie d’unpoème dramatique intitulé Lulu.La Boîte de Pandore reprend et transforme lesdeux derniers actes du manuscrit initial. En1904, l’éditeur Cassirer la publie et la censureordonne la saisie et la destruction del’ouvrage. Elle est toutefois créée à Nurembergmais refusée à Vienne où la police n’autorisequ’une représentation privée dont lesspectateurs communiqueront leur identité.L’homme de lettres Karl Kraus en prendl’initiative en 1905, il joue lui-même le princeKoungou Poti, Wedekind tient le rôle de Jackl’Éventreur et Tilly Newes, sa future femme,interprète Lulu. Présent dans la salle : lecompositeur Alban Berg. En 1906, la nouvelleédition qu’en donne Cassirer comportecinquante-sept pages de documents sur lespoursuites judiciaires et policières.

En 1913, enfin, les deux pièces, en versionscénique, sont réunies sous le titre Lulu,tragédie en cinq actes et un prologue etéditées par Georg Müller à Munich. Mais lesaventures de la « tragédie-monstre » achevéeen 1894 et jamais publiée comportent uneultime péripétie. Après un siècle d’oubli, en1988, le professeur Hartmut Vinçon, l’un desfondateurs et directeurs du Centre d’étudesWedekind de Darmstadt, révèle aux lecteurs dela revue Theater Heute cette Ur-Lulu qui, àl’opposé de l’Urfaust, n’est pas l’embryon géniald’un futur poème dramatique et cosmique,mais bien la tragédie-monstre elle-même, danssa plénitude et avec la fraîcheur impétueusedu « commencement du commencement ».Peter Zadek en fit la création absolue en 1988 au Schauspielhaus de Hambourg avecSuzanne Lothar dans le rôle de Lulu, unspectacle qui fut la même année auprogramme du Festival d’Automne à Paris.Le spectacle imaginé et réalisé au BerlinerEnsemble par Robert Wilson et Ann-ChristinRommen repose sur un « livret » établi parJutta Ferbers à partir de cette « Lulu desorigines ». Le voici à l’affiche du Festivald’Automne et du Théâtre de la Ville, le théâtreque dirigeait Sarah Bernhardt à l’époque oùFrank Wedekind aimait les Parisiennes et« travaillait » non loin de là au Chien qui fume.

Michel Bataillon

Frank Wedekind, Journaux intimestraduits par Jean RuffetÉditions Belfond, Paris, 1989

Frank Wedekind, LuluVolume II des œuvres de Frank WedekindÉditions Théâtrales, Paris, 1997

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Lou ReedNé à Brooklyn en 1942, Lou Reed grandit àNew-York. Il lit avec passion des romans descience fiction et compose très tôt ses propreschansons, poèmes et histoires. Il a 14 ansquand sortent les premiers disques du Doo-Wop-Band, The Shades dont il est membre.Enfance difficile. Séjour en hôpital psychia-trique où il subit plusieurs semaines d’électro-chocs, une thérapie particulièrement envogue dans les années 1950. On y adjoint despsychotropes. Il lit beaucoup, aime la musique,veut devenir musicien et écrivain. Après avoirfréquenté en 1959 l’université de New-York, ils’inscrit sur le campus de la petite ville de Syra-cuse en 1960. Lou Reed devient de plus en plus solitaire. Ho-mosexualité, drogues, sexe et Rock’n Roll – ta-bous absolus dans l’Amérique prude du débutdes années 60 – ne le sont absolument paspour lui. « The Eldorado’s L.A » est le nom deson premier groupe. Reed joue de la guitare etchante. Pour Pickwick Records, son premierlabel, il écrit entre autre son premier tube« The Ostrich ». Avec John Cale, qui étudie lamusique à New York, il fonde « The Primitives ».En 1965, Reed et Cale fondent The Velvet Un-derground avec Sterling Morrison, Angus Ma-clise, et Moe Tucker. Andy Warhol est l’un desproducteurs et soutiens de The Velvet Under-ground dont le style marquera de son em-preinte la musique indépendante punk. En 1972, il quitte le groupe et sort son premieralbum solo. David Bowie produit l’album Trans-former dont fait partie « Walk on the WildSide ». Tournées. Excès. Descentes aux enfers.En 1973 paraît Berlin considéré aujourd’hui en-core comme un album génial et pionnier. Tel Metal Machine Music (1975) que le BerlinerEnsemble crée à Venise en 2002 dans unetranscription pour instruments classiques,puis à Berlin avec Lou Reed.Après s’être retiré de la vie publique, Lou Reedfait son come-back dans les années 1980 : suc-cès de son album The Blue Mask. 1989 : New York, qui s’attaque à la situation po-litique et sociale : racisme, pollution de l’envi-

Robert WilsonNé en1941 à Waco (Texas), Robert Wilson étu-die l’architecture et, à Paris, la peinture. Il ar-rive au milieu des années 1960 à New York, oùil forme le groupe The Byrd Hoffman Schoolof Byrds. En 1969, il crée The King of Spain àl’Anderson Theatre et The Life and Time of Sig-mund Freudà la Brooklyn Academy. En1972, ilest invité au Festival de Nancy où Le Regarddu sourd lui apporte une consécration inter-nationale. Il est régulièrement programmépar le Festival d’Automne à Paris. En1976, auFestival d’Avignon, il crée avec Phil Glass Ein-stein on the Beach, accueilli au Metropolitande New York. Mais c’est aux scènes euro-péennes qu’il se consacre principalement.En1979, il monte Death, Destruction and De-troit à la Schaubühne de Peter Stein, eten1991, La Maladie de la mort de MargueriteDuras. Il travaille beaucoup en Allemagne. Ilrencontre Heiner Müller avec qui il imagineun projet international en six parties et quien restera à la première, CIVILwarS. De lui, ilmontera plusieurs pièces, dont Quartett avecIsabelle Huppert en 2006 à l’Odéon, et dès1986, Hamlet Machine au Thalia Theater deHambourg, où en 1990, est crée� The BlackRider en collaboration avec Tom Waits etAllen Ginsberg. Suivent en 1992 Alice d’aprèsLewis Carroll, en 1996 Time Rocker avec LouReed, en 2000 POEtry d’après Edgar Poe. De-puis 1992, il réside au Watermill Center à LongIsland, institution qu’il a conçue pour soute-nir et développer le travail de jeunes artistes...mais il continue de parcourir le monde, demonter nombre d’opéras sans pour autantabandonner le théâtre. En 1998, il commenceà travailler avec le Berliner Ensemble pour leFestival de Salzbourg où il met en scène Mar-tin Wuttke dans La Mort de Danton de Büch-ner. Depuis, il poursuit avec le BerlinerEnsemble une collaboration fructueuse, avecnotamment Le Vol au-dessus de l’océan deBrecht, Paysage avec argonautes de HeinerMüller, Woyzeck, Léonce et Léna de Büchneren 2003, Le Conte d’hiver de Shakespeare en2005, et aussi des spectacles où la musique

tient un rôle important : Le Voyage d’hiver deShakespeare en 2005, L’Opéra de quat’sousdeBrecht et Kurt Weill en 2007, Les Sonnets deShakespeare avec le compositeur RufusWainwright en 2009.

Robert Wilson au Théâtre de la Ville et au Festival d’Automne à Paris1983 The Civil War, A Tree is Best MeasuredWhen It is Down2009 L’Opéra de quat’sous

Robert Wilson au Festival d’Automne à Paris 1972 Ouverture (Musée Galliera)1974 A Letter for Queen Victoria, opéra. Mu-sique d’Alan Lloyd (Théâtre des Variétés)1976 Einstein on the Beach avec Philip Glass (Opéra Comique)1979 Edison (Théâtre de Paris)1984 Medea, opéra. Musique de Gavin Bryars(Théâtre des Champs-Élysées)1986 Alcestis (MC 93)1987 Hamletmachine(Théâtre de Nanterre-Amandiers)1991 Exposition Mr Bogangles’ Memory(Centre Pompidou)1992 Einstein on the Beach avec Philip Glass.Chorégraphie Lucinda Childs (MC93)Lights and Lights (Théâtre de Gennevilliers)1993 Orlando (Odéon-Théâtre de l’Europe)1994 Une Femme douce (MC 93)1995 Hamlet, a Monolog (MC 93)1997 La Maladie de la mort (MC 93)2006 Quartett (Odéon – Théâtre de l’Europe)

Robert Wilson au Théâtre de la Ville 2010 L’Opéra de quat’sous

ronnement, criminalité…. Nouvelle collaboration avec John Cale : Songsfür Drella. En 1993, brève résurgence de TheVelvet Underground. Quelques tubes au hitparade.1996 : Lou Reed et The Velvet Underground no-minés au Rock and Roll Hall of Fame.2003 : sortie de The Raven en collaborationavec Laurie Anderson, Ornette Colman, DavidBowie, Julian Schnabel, Willem Dafoe et An-tony Hegraty. Le dernier album qu’il réalise enstudio est « Hudson River Wid Meditations »(2007). Un an plus tard, paraît « Berlin – Live AtSt Ann’s Warehouse ». En 2010, avec le groupe« Gorillaz » : « Some Kind of Nature ».

Avec Robert Wilson, Lou Reed crée ROCKERTIME en 1996 et et POEtry en 2000 au ThaliaTheater de Hambourg.

Berliner EnsembleTroupe fondée par Bertolt Brecht et HeleneWeigel en 1949, après la création de Mère Cou-rage, le Berliner Ensemble s’installe en 1954 àson siège actuel, le Theater am Schiffbauer-damm. Se succèderont à sa tête après la mortde Bertolt Brecht en 1956, Helene Weigel, RuthBerghaus, Manfred Wekwerth, puis une direc-tion collective (Matthias Langhoff, Fritz Mar-quardt, Heiner Müller, Peter Palitzsch et PeterZadek). C’est en 1999 que Claus Peymann,après avoir dirigé le Schauspielhaus de Bo-chum et le Burgtheater de Vienne, prend la di-rection du Berliner Ensemble. Il mettra d’abordl’accent sur la création de textes contempo-rains et de classiques revisités, parmi lesquelsRichard II de Shakespeare. Il monte ensuiteplusieurs pièces de Bertolt Brecht et invite denombreux metteurs en scène à travailler avecla troupe, tels que Robert Wilson, Peter Steinou encore Luc Bondy. Le théâtre contempo-rain allemand occupe aujourd’hui une placecentrale au Berliner Ensemble, avec des piècesd’Elfriede Jelinek, Peter Handke, Thomas Bernhard et Albert Ostermaier.

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Angela Winkler habite le théâtre, mondedans lequel les ans ne comptent pas. Elle estl’actrice, la femme éternelle, elle est Lulu.

Rêveusement, baignée d’un jour blême, ellemarche entre des arbres droits, pareils à descolonnes. Elle est seule, étrangère à cemonde, de même à tous ces mondes qu’elletraverse, à tous ces hommes, ces femmes,qui l’entourent, la veulent, déclenchant unjeu dévastateur de désir, de pouvoir, de mort.Elle, la Lulu de Wedekind, multiple, indéfinis-sable, telle une image inaccessible que cha-cun porterait en soi. Durant des années elle apoursuivi son auteur – qui en a écrit l’histoireet les histoires en diverses versions – avantd’obséder à son tour Alban Berg, qui en a faitl’héroïne de son opéra, inachevé. Depuisqu’elle existe, elle se glisse régulièrementdans la tête et le cœur des metteurs en scèneles plus variés.Et des actrices.Alors, voilà Lulu-Angela Winkler, qui retrouveRobert Wilson, après avoir été pour lui Jennydes lupanars, dans cet Opéra de quat’sous,déjà avec le Berliner Ensemble, présenté lasaison dernière au Théâtre de la Ville. Alors,nous retrouvons la douceur résignée d’unsourire, d’un rire qui sonne comme une souf-france, le mystère d’un regard qui semblechercher des mondes enfuis.Mystère, le mot pourrait définir AngelaWinkler. D’abord, parce que, en tant que per-sonne, elle se livre peu. Surtout, parce que,en tant qu’actrice, elle traverse toutes lesfrontières, y compris celles du temps. Au ci-néma, au mitan des années 1970, on la dé-couvre en France, dans L’Honneur perdu deKatharina Blumde Volker Schlöndorf, qu’elleretrouve pour Le Tambour, et le film collectifL’Allemagne en automne. Puis, deux décen-nies plus tard, la voilà, immuablement belleet inquiétante dans le troublant Benny’s

vidéo de Michael Haneke… Etc...Et naturellement, et toujours il y a le théâtre.Angela Winkler est d’ailleurs venue jouer àParis. Plus précisément à la MC93 de Bobi-gny : en 1997, La Cerisaie de Tchekhov. Elle yétait une Lioubov, profondément mélanco-lique, cependant portée par un furieux désir.Désir inassouvi d’autre chose, d’une autrevie… Toujours à la MC93, en 2000 elle a étéHamlet. Hamlet en personne, jeune hommefragile, habité d’une curiosité sans frein pourla vérité, la vérité tout entière, y compris surlui-même, et qui lui fera chercher, trouver lamort. Comme un apaisement. Deux spec-tacles mis en scène par Peter Zadek, avec le-quel elle a beaucoup travaillé. Puis, en 2009,elle revient, cette fois à l’Odéon, avec Ibsenet Thomas Ostermeier : John Gabriel Bork-man, créé la saison précédente au ThéâtreNational de Bretagne. Là, elle est une boule-versante, une angoissante femme flouée quine renonce à rien.Qui pourra se vanter de tout connaître d’An-gela Winkler ? De l’amener jusqu’à une fron-tière qu’elle ne pourrait franchir ? Àl’impossible nul n’est tenu. Angela Winklerporte en elle l’infini de l’humain. Elle habite lascène, lieu de l’impossible, des temps et despassions qui se cognent, s’entrecroisent. Elleest nous tous, elle est actrice, elle est Lulu.

Colette Godard

Le temps oublié

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Jacques ReynaudCostumesStyliste franco-italien de mode et de cos-tumes né à Milan en1960, Jacques Reynaudfait ses études à New York. Il vit et travailleaux États-Unis et en Europe. Sa première in-cursion dans le théâtre fut avec Luca Ron-coni pour Verso Peer Gynt. Il collabore avecdifférents metteurs en scène pour la Scala deMilan, le Lyric Opera de Chicago, le Festivalde Salzbourg. En 2007, au Piccolo Teatro deMilan, il crée les costumes de Aus der Luft deHermann Broch par Luca Ronconi. Il colla-bore régulièrement avec Robert Wilson. Ilcrée notamment les costumes de toutes sesproductions au Berliner Ensemble.

Ann-Christin RommenCollaboration mise-en-scèneAnn-Christin Rommen suit des études dethéâtre, de cinéma et de télévision à l’Univer-sité de Cologne. Elle est assistante à la miseen scène au Schauspielhaus de cette ville. En1983, elle rencontre Robert Wilson et colla-bore pour la première fois avec lui en 1984pour CIVILwarS. Depuis, elle signe avec luiplus de 40 de ses productions. En 2008, ellemet en scène Songs de Scott Walker de Drif-ting und Tilting au Barbican de Londres. Elletravaille avec l’ensemble de danse contem-porain Condanza et est invitée dans des fes-tivals d’Europe et d’Australie. En 1990, ellemet en scène la création roumaine de Ham-let Machine de Heiner Müller.

Serge von ArxCollaboration décorsNé à Zurich en 1971, Serge von Arx y étudiel’architecture. Il travaille pour Cuno Brull-mann et Roberto Ostinelli à Paris. En 1998, ilcollabore avec la Neue Zürcher Zeitung etRolf Glittenberg. Depuis 1999, il est scéno-graphe de Robert Wilson. En 2005, il réaliseavec Robert Wilson la Rétrospective GiorgioArmani au musée Guggenheim de New York,invitée à Berlin, Londres, Rome, Tokyo, Shan-ghai et Milan et Imagines del Cuerpo aumusée d’art précolombien de Barcelone. De-puis 2007, il est directeur artistique du dépar-tement scénographie de l’Académienorvégienne de théâtre de Frederikstad.

Jutta FerbersDramaturgieNée en 1957 à Cologne, Jutta Ferbers est en-gagée en tant que dramaturge à Landshut,et, à partir de 1983, au Schauspielhaus de Bo-chum. En1986, elle va avec Claus Peymann etHermann Beil au Burgtheater de Vienne. Elley travaille notamment sur les productions deRichard III de Shakespeare, Place des hérosde Thomas Bernhard, ainsi que les créationsde Peter Handke. Elle travaille avec les met-teurs en scène Claus Peymann, Ruth Ber-ghaus, Achim Freyer, Leander Haußmann,Hans Neuenfels, Peter Zadek, Robert Wilsonet George Tabori. Depuis 1999, elle est drama-turge et co-directrice du Berliner Ensemble.Elle met en scène des pièces de Franz XaverKroetz, Peter Handke, Kurt Tucholsky, Wil-helm Busch, Frank Wedekind et Jean Anouilh.

Toutes les chansons créées par Lou Reedpour le spectacle Lulu, en grande partie inédites,

dans la traduction de Claro.

Préface de Lou Reed

SeuilÉdition bilingue / 8 €

www.festival-automne.com 01 53 45 17 17 www.theatredelaville-paris.com01 42 74 22 77

© Robyn Orlin

© Koenbroos

© Horace

© Stephanie Berger

Partenaires média du Festival d’Automne à Paris et du Théâtre de la Ville

Partenariat Théâtre de la Ville / Festival d’Automne à ParisSpectacles à venir

ROBYN ORLIN ... have you hugged, kissed and respected your brown Venus today? 30/11 au 03/12Née en 1789, la sud-africaine Saartje Baartman (la « Venus Hottentote ») estexhibée en Europe comme un objet sexuel puis utilisée par desscientifiques pour soutenir leurs théories sur l’inégalité des races. Le regardthéâtral de la chorégraphe Robyn Orlin sur un destin tragique.

GUY CASSIERS Cœur ténébreux de Josse De Pauw d’après Au Cœur des ténèbres de Joseph Conrad 06 au 11/12Après Robert Musil et Malcolm Lowry, Guy Cassiers met en scène le romanculte de Joseph Conrad. Josse De Pauw, inoubliable consul de Sous levolcan, a adapté Au Cœur des ténèbres et interprète, seul en scène, lepersonnage de Kurtz.

JOHN CAGE Œuvres vocales 12/12Un concert-recueil dédié au John Cage « de la dernière période », quipermettra notamment d’entendre les Hymns and Variations pour douzevoix amplifiées, des extraits des Freeman Etudes pour violon solo, et One9,écrit pour le sho, l’orgue à bouche du gagaku japonais.

MERCE CUNNINGHAM DANCE COMPANY Suite for Five / Quartet / XOVER – 15 au 18/12 RainForest / Duets / BIPED – 20 au 23/12Family Day – 18/12Dernier volet de l’hommage rendu à Cunningham par sa compagnie, ceprogramme historique offre au public une ultime chance d’explorer leparcours révolutionnaire du chorégraphe.