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Faculté Arts Lettres Langues
Département de Français langue étrangère
MASTER PROFESSIONNEL« MAITRISE DE LA LANGUE ET POLITIQUES D’INTEGRATION »
DEUXIEME ANNEE
RAPPORT DE STAGE
Philippe SANCHEZ
Réflexion sur les variables des parcours d’insertion des
publics en difficulté de moins de vingt-six ans.
Stage réalisé du 02/01/2006 au 28/04/2006 à L’ADFLP
Directeur : Anne VICHERSeptembre 2006
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Remerciements
Je tiens à remercier Mme Garbay, Mlle Sérafini et les formateurs de l’ADFLP pourleur bon accueil ainsi que le CRI Italique pour ses précieux conseils. Mes proches, Solène,Patrick, Etienne, Jean Guy et ma famille méritent un clin d’œil.
Aussi, je tiens à remercier l’ensemble de l’équipe pédagogique du Masterprofessionnel « Maîtrise de la langue et politiques d’intégration » pour la qualité de cetteformation et spécialement Mme Vicher pour la direction de ce mémoire.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION ......................................................................................... 5
DESCRIPTION DU STAGE ........................................................................ 6
La découverte du milieu de la formation .................................................................6
Description de la structure d’accueil .......................................................................7
Contexte...............................................................................................................8
Mes actions au sein des structures .........................................................................9
Les champs d’observation....................................................................................12
Mes activités en parallèle aux lieux de stage .........................................................14
LES DISPOSITIFS D’INSERTION OBSERVES ............................................. 16
MAPI FLE .............................................................................................. 18
Présentation .......................................................................................................18
Description du public...........................................................................................23
L’Atelier de Pédagogie Personnalisée.................................................... 26
Présentation .......................................................................................................26
La formation ouverte à distance...........................................................................28
Description du public...........................................................................................29
Le CIVIS................................................................................................ 32
Présentation .......................................................................................................32
SUIVI D’ACTIONS MISES EN PLACE.......................................................... 35
Plan local de lutte contre les discriminations à l’emploi ...................... 37
Connaissance et qualification des acteurs.............................................................37
Intermédiation demandeurs d’emploi - employeurs ............................................38
La mobilisation des publics ..................................................................................39
La plateforme Savoirs de base et emploi............................................... 40
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REFLEXION SUR LES VARIABLES DES PARCOURS D’INSERTION.............. 42
Origine du questionnement...................................................................... 43
INSERTION, DISPOSITIFS ET PARCOURS ............................................. 45
Définition............................................................................................................45
La prise en charge des publics .............................................................................50
FREINS LIES AU PUBLIC EN INSERTION............................................... 55
Aspect financier ..................................................................................................55
De la dépendance à l’autonomie ..........................................................................56
Origine et environnement ....................................................................................60
Discrimination de genre ? ....................................................................................61
Aspect comportemental .......................................................................................64
La langue ...........................................................................................................67
La formation initiale ............................................................................................74
FREINS LIES À L’ENTREPRISE ET AU MARCHE DU TRAVAIL.................. 77
Les pratiques d’embauches..................................................................................77
Les métiers en tension ........................................................................................82
Les contrats .......................................................................................................86
CONCLUSION ........................................................................................... 90
BIBLIOGRAPHIE....................................................................................... 92
SIGLAIRE ................................................................................................. 96
ANNEXES.................................................................................................. 97
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INTRODUCTION
Ce « mémoire de stage » est élaboré suite à un stage au sein de l’ADFLP de
Saint-Étienne. J’ai pu observer plusieurs dispositifs d’insertion, et me suis focalisé
sur ceux constituant un étayage dans les parcours d’accès à l’emploi des jeunes en
difficulté, de moins de vingt-six ans.
Une première partie « anamnèse », constituera une présentation du lieu de
stage, des centres d’intérêt retenus, de ma méthode et de ma position.
Je présenterai ensuite, les dispositifs observés sur cette période, leurs
composantes et leurs caractéristiques. Je présenterai également deux actions mises
en place pendant la durée de mon stage. Beaucoup de détails se sont vus intégrés à
ce chapitre car ils serviront de base de données pour la suite du travail.
Une troisième partie sera une analyse sociologique et didactique de ces
mêmes dispositifs d’insertion, intitulée « Réflexion sur les variables des parcours
d’insertion ». Je tenterai ici de répondre aux axes de réflexion suscités par
l’observation. Le but de ce travail étant de saisir les éléments caractéristiques de
parcours, et surtout de saisir ceux qui ralentissent le processus d’insertion de jeunes
en difficulté, bénéficiaires des dispositifs d’insertion. Ces différents éléments feront
l’objet de problématisations et d’apports théoriques, dont vous trouverez les sources
en fin de rapport.
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DESCRIPTION DU STAGE
J’ai effectué un stage de trois mois et demi au sein de l’ADFLP - Association
de la formation linguistique et professionnelle - de Saint-Étienne. Le thème de
l’insertion des publics adultes en difficulté par rapport à la maîtrise du français étant
peu après le début du stage un point de réflexion qui m’a attiré, j’ai choisi Madame
Anne Vicher en tant que directrice. Christelle Sérafini, coordonnatrice pédagogique
de la structure d’accueil, a accepté de me prendre en charge pendant cette période.
La découverte du milieu de la formation
Le choix de mon terrain de stage s’est fait suite à la rencontre de Christelle
Sérafini, issue du Master professionnel « Maîtrise de la langue et politiques
d’intégration » et coordonnatrice pédagogique de l’ensemble des actions de l’ADFLP.
Elle était en mesure de proposer un stage d’observation au sein de l’association, ce
qui m’a paru pertinent dans mon parcours. J’avais auparavant pris contact avec
d’autres structures, notamment le centre social de Terrenoire ou la mairie de Saint-
Étienne mais sans réel projet de ce côté là. Ce qui vraiment m’a poussé à intégrer
cette association c’est justement le fait que mon éventuelle tutrice présentait le
même profil que moi. Après m’avoir dépeint brièvement les actions menées par
l’ADFLP, je comprends que c’est un des plus anciens organismes de formation de la
région et donc a priori des plus expérimentés. Du fait de cette ancienneté, la
structure a eu le temps de se voir attribuer une autre réputation, plutôt perçue
comme un établissement à gros rendement. Elle est parfois taxée d’ « usine » par
plusieurs autres professionnels qui ont eu l’occasion de me donner leur avis sur ce
stage. Je comprends assez vite que le public est peut être le même mais que les
structures n’ont pas la même manière d’envisager les choses, et qu’il va sûrement
aussi être question dans ce milieu de « copinages et de rivalités ».
Personnellement, à ce moment précis, je suis à la recherche d’un stage qui
pourrait effectivement me présenter un aspect de la formation que je ne connais pas.
Je ne suis pas à la recherche d’un contrat mais bien d’une expérience formatrice en
relation avec les contenus du Master professionnel. Je dispose ici de quelque chose
de nouveau et d’intéressant dans la mesure où je peux observer un panel de
7
dispositifs, des publics relevant du FLE - FLS mais aussi et surtout de la
réactualisation des savoirs de base. Je découvre donc un nouveau milieu, celui de la
formation, de l’orientation, de l’insertion, assez différent de l’univers FLE que j’ai pu
apercevoir en France dans des structures type CAVILAM, CILEC ou encore à
l’étranger dans des lycées bilingues. Le versant linguistique est bien présent mais
aux côtés du social, dans le cadre d’actions s’inscrivant dans des plans nationaux. Je
pense donc au départ avoir un stage qui me convient.
Il m’a paru important d’évoquer mes présupposés sur le milieu de la formation
et des structures, le choix d’un stage se faisant généralement de façon très
subjective, à partir d’idées reçues souvent peu fondées car dans l’ignorance la plus
totale d’un nouvel univers. Je dois donc avouer que les préjugés que j’avais en ce
qui concerne ce milieu ont quelque peu influencé mon choix. Mais désormais, je me
dois de comprendre et de décrire une situation sans projeter mon avis sur l’analyse.
Mon objectif est en quelque sorte de prendre une photographie, avec la meilleure
définition possible, d’une situation que je découvre.
Description de la structure d’accueil
L’association de la formation linguistique et professionnelle est implantée à
Saint-Étienne depuis une trentaine d’années. L'ADFLP est une association qui est
également actionnaire majoritaire d'une SARL et d'une EURL, ce qui lui permet de
couvrir l'ensemble du paysage de la formation. Elle travaille sur le champ de l'insertion
sur fonds publics alors que les sociétés sont engagées sur le contrat de
professionnalisation et la formation continue en direction des entreprises.
Le champ d’action de la structure est en effet très large mais a pour but
essentiel la formation linguistique et professionnelle, la formation orientée sur et pour
l’entreprise. Il y a donc précisément un travail en matière d’insertion, d’orientation et
de pré qualification. Ces ateliers représentent un accompagnement dans la
recherche d’emploi et s’adressent à des publics ne maîtrisant pas suffisamment la
langue française. Il s’agit de formations linguistiques visant la recherche et l’accès à
l’emploi. Créée à la demande des pouvoirs publics, l'ADFLP a été longtemps
l'organisme travaillant pratiquement exclusivement sur ce type de spécialisation.
Actuellement plus diversifiée, elle a été néanmoins retenue au niveau national par le
8
FASILD pour les actions en direction des publics relevant du CAI. De même, depuis
quelques années, elle assure des prestations de suivi pour les diverses agences
départementales de l'ANPE à hauteur d'environ 26 % de son chiffre d'affaires, ainsi
que pour le conseil régional - 17 % -.
C’est également dans le secteur des recrutements que l’ADFLP s’investit, elle
était notamment assignée au recrutement du personnel d’Ikea lors de son installation
à Saint-Étienne. Toute sa raison d’être est en somme basée sur la maîtrise de la
langue, les savoirs de base et l’insertion socioprofessionnelle.
Son siège est basé à Saint-Étienne mais plusieurs actions se déroulant aux
alentours de Saint-Étienne, ce stage m’a permis de mieux connaître le territoire
stéphanois. J’ai assisté à des rencontres, réunions ou observé des dispositifs dans la
vallée de l’Ondaine, du Forez et dans le pays du Gier.
Contexte
C’est dans un contexte plutôt houleux que j’intègre l’association.
Le code des marchés publics s'applique depuis 2001 au domaine de la
formation, avec obligation pour la collectivité de mettre des offres en concurrence -
ici, celles des organismes de formation -, la sélection s'effectuant selon le principe du
mieux-disant. Auparavant, elle était soumise à un système de subventions. En 2004,
la Région et l'ANPE réunies représentaient 43% du « chiffre d'affaires » de
l’ADFLP. Cette année, ces actions étant suspendues suite à une décision du
tribunal administratif de Lyon, la structure se retrouve dans une instabilité
exceptionnelle. En effet, sept organismes n’ayant pas été retenus sur cet appel
d’offre, ont décidé de porter réclamation pour vice de procédure. L’objet de l’action
procédurière portait sur le fait que l’appel en question avait été émis via Internet.
Ce genre de recours est toujours possible et a ici entraîné l’annulation de l’appel à
projet sur l’offre linguistique de la Région.
L’ADFLP fonctionne avec quatorze permanents, actuellement tous en CDI.
Mais dans un contexte de crise comme celui-ci, deux formateurs ont dû être
licenciés. La plupart des salariés se retrouvent au chômage technique et travaillent
avec des emplois du temps fortement allégés, les conduisant jusqu’à ce que l’on
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pourrait appeler « une situation précaire ». L’association est aujourd’hui en situation
déficitaire de moins 170 000 euros1.
C’est dans ce contexte d’insécurité, de doute et de chômage technique que j’observe
la structure, qu’il me paraît utile de préciser d’emblée. Je reviendrai ultérieurement sur ce
point.
Mes actions au sein des structures
C’est précisément la partie associative fonctionnant sur fonds publics qui
m’intéresse. Je dois avant tout effectuer un stage d’observation et comprendre un
fonctionnement. Ma démarche est simple, j’observe, je note, je me documente, et
quand un axe intéressant surgit je retourne à l’observation avant de questionner les
acteurs et Mlle Sérafini. Etant coordonnatrice et ayant bénéficié de la même
formation que moi, elle sait me conseiller et m’éclairer sur les sujets qui
m’interpellent. Ainsi, plusieurs entretiens sont nécessaires, à la fois pour élucider
quelques points mais aussi pour étayer ma réflexion. Ma principale activité est
l’observation, je découvre pleinement un milieu et doit tenter d’en apprécier toute la
complexité.
Bien sûr, j’ai été amené à participer à diverses activités, parallèlement à
l’observation. J’ai parfois été fortement incité à conduire des ateliers. J’ai ainsi eu
face à moi, à plusieurs reprises, des classes sans formateurs et par conséquent étais
« contraint » de les animer de manière ponctuelle, sous peine de les voir travailler en
autonomie trop longtemps. Mais j’avais pour consigne de ne pas trop participer à la
vie de la structure d’accueil, et ne voulais donc pas faire classe, sauf si l’on m’y
invitait ou si l’atelier en cours pouvait me permettre de mieux approcher le public. Par
exemple, j’ai filmé le groupe MAPI durant une heure et demie. Il s’agissait d’une
simulation de présentation face à un recruteur. Ils devaient me présenter leur
parcours, m’expliquer leurs motivations et leurs projets. Bien sûr, tout cela engendrait
une base de donnée et un contact qui constituait des éléments en complète
adéquation avec mes axes de réflexion. En guise d’exemple, et non de critique, je
me dois aussi de mentionner une conduite de classe avec le groupe CIVIS à Firminy.
1 LE PROGRES DE LYON - lundi 6 mars 2006.
10
Je devais observer un atelier de TRE - Techniques de recherche d’emploi -, me suis
aperçu en arrivant que la formatrice devait gérer deux groupes à la fois. Elle devait
en effet animer simultanément un atelier d’alphabétisation et cet atelier de TRE, dans
deux salles différentes. Comment rester les bras croisés ? J’ai assisté les jeunes
dans leur atelier en complète autonomie, en répondant aux questions de langue
qu’ils pouvaient formuler. J’en ai profité pour établir un contact et pour les
questionner sur leurs projets. Le contact direct avec les usagers représente pour moi
un des points très positifs de ce stage car j’ai pu m’entretenir avec eux sans avoir à
programmer des entretiens pour lesquels ils auraient dû rester après les ateliers et
pendant lesquels ils se seraient peut être sentis trop questionnés. Je ne voulais pas
qu’ils ressentent la sensation d’être « objets de recherche ». Avancer dans mes
observations, répondre à des questionnements en suspends au travers d’activités
était sans doute la meilleure option pour eux comme pour moi.
A plusieurs reprises, j’ai assisté Mlle Sérafini dans l’accueil des nouveaux
entrants sur différents dispositifs. Ces activités me permettaient d’être en contact
direct avec les usagers et de les observer en tout début de formation. L’accueil
représente inévitablement une étape importante du cycle de formation. Il s’agit
d’expliquer au futur apprenant comment va se dérouler la formation, les règles à
respecter et la présentation de la structure. L’important est surtout de le rassurer et
de tenter de le mettre en confiance, d’établir un premier contact qui va lui permettre
de commencer cette nouvelle formation dans un état d’esprit propice à
l’apprentissage. Peut être est-il utile de rappeler que quelqu’un de positionné sur un
dispositif d’insertion n’a pas toujours une bonne image de son passé scolaire, voire
une mauvaise image de lui-même. Ces accueils étaient pour moi l’opportunité de
participer à la vie de la structure et de saisir la spécificité des publics.
Dans la continuité des accueils, j’ai avec grand plaisir aidé au positionnement
d’apprenants2. Lorsqu’une personne entre en formation, on doit tenter de déterminer
son niveau de langue. A l’aide de différents supports et outils de positionnement, il
nous faut évaluer les compétences de la personne, linguistiques et logiques. Les
compétences logiques pourraient se résumer à la capacité à effectuer des activités
2 CF. ANNEXE 2 - Positionnement d’un stagiaire CIVIS effectué le 19/01/2006 à EOF, Firminy.
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numériques, au repérage dans le temps et dans l’espace. Cette activité constitue un
des éléments les plus stimulants de ce stage. Je n’avais jusqu’alors pas eu
d’expérience avec des apprenants en difficultés par rapport aux savoirs de base
alors que cette question m’intéresse énormément. J’ai ainsi eu l’occasion de mieux
les connaître. Il y a eu à travers ce genre d’activités une prise de conscience
évidente : mon lieu de stage est à la fois un terrain d’observation et de formation. J’ai
d’ailleurs considérablement appris, et aimé acquérir de nouvelles compétences dans
ce contexte de pratique.
Une autre activité utile à la connaissance des publics et me permettant de
mettre en application des notions de didactique a été la constitution de livrets
pédagogiques. En effet, dans un soucis d’harmonisation des contenus de cours entre
les différents formateurs et donc dans une démarche qualité, plusieurs après midi ont
été consacrées à la réalisation de ces livrets. J’accompagnais la coordonnatrice
pédagogique dans sa mission et nous avons ainsi rédigé ensemble les textes et
exercices du livret « travail ». J’ai aussi participé à la mise en forme de ceux du
logement et de la santé, des problématiques fortement liées aux publics que
j’observe. Nous avons ainsi défini des objectifs linguistiques et culturels, dont le but
principal était la montée en compétences sociales. Il était question ici de mêler au
domaine linguistique des thématiques nécessaires à l’insertion socioprofessionnelle.
J’ai travaillé avec attention et plaisir sur ces supports d’ateliers, mais ne les joins pas
en annexe car je n’ai pas eu l’occasion d’en faire des copies. J’ai effectivement
participé à leur composition mais ils ne m’appartiennent en rien. Je comprends
d’ailleurs tout à fait que les structures ne diffusent pas leurs outils de travail et n’ai
pas trop insisté pour les obtenir.
Ce qui apparaît comme un élément marquant tout au long du stage sont les
rencontres avec des professionnels. Ma tutrice m’a aussi beaucoup aidé en me
présentant à son réseau de collaborateurs. J’étais convié à toutes les réunions de
mises en place de projets, de comités de pilotages et groupes de travail auxquelles
elle participait. Il m’était donc possible de pénétrer le milieu de la formation, son
fonctionnement complexe s’éclairant petit à petit au fil de ces rencontres.
Il est aussi très important de signaler qu’en suivant quotidiennement la
coordonnatrice de la structure, j’ai vu le panel d’actions qu’elle menait à bien et ai
12
ainsi découvert précisément en quoi consistait son poste. Pendant les premiers jours
de mon stage j’ai cherché à définir le but et les missions exactes qui lui étaient
attribués, ainsi que les raisons pour lesquelles un profil comme le notre pouvait y
correspondre.
Au fur et à mesure, je découvre en parallèle aux dispositifs, les politiques
d’insertion. A ce moment précis, le CPE - Contrat Première Embauche – occupait les
esprits et l’actualité, alors que j’évoluais dans ce milieu de l’accès l’emploi. Cette
mesure, destinée au public avec lequel j’étais en relation, m’a énormément donné à
réfléchir, dans le sens où elle met l’accent sur la complexité des jeunes face à
l’embauche.
Les champs d’observation
En quelque sorte « dépendant » de la coordonnatrice pédagogique de la
structure, je suis dans une situation où je peux accéder aux différents dispositifs que
gère l’ADFLP. Dans un premier temps, ce qui m’importe est de voir le plus largement
possible à quoi sert la structure, ce qu’elle entreprend, ce à quoi elle aspire et bien
sûr, de quelle manière elle s’y prend. Ce que je ne veux pas dès le départ, c’est être
un « poids mort » pour Mlle Sérafini, très occupée, ou pour toute personne avec qui
je vais collaborer. Dans une optique d’observation, j’assiste ainsi « discrètement » à
toutes les réunions, rencontres, cours et ateliers auxquels je suis convié. Peu à peu,
il me faut réduire mon champ d’observation, du moins le préciser. Les questions
d’insertion me paraissent en totale adéquation avec les axes de réflexion suscités
par le Master « maîtrise de la langue et politiques d’intégration » tout en intégrant de
surcroît l’association de la formation « linguistique et professionnelle »
temporairement.
Je décide donc de m’intéresser « uniquement » à ce qui pourra donner des
éléments de réponse à mes axes de réflexions sur la maîtrise des savoirs de base et
l’accès à l’emploi - ou son maintien-. Plus largement, ce qui m’intéresse, ce sont les
freins et accélérateurs dans le processus d’insertion. Le dispositif que j’ai le plus
observé est le MAPI FLE stéphanois qui me paraît d’emblée « sérieux ». Il s’agit une
formation longue et en alternance où ne sont recrutées que des personnes de moins
de vingt-six ans, où a priori, je devrais trouver des éléments intéressants. Ensuite, je
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décide de me concentrer sur deux autres dispositifs, les APP stéphanois et l’action
CIVIS de Firminy. Ils proposent plus d’autonomie, voire une formation à distance.
J’aurai par conséquent moins l’occasion d’observer, ou en tous cas différemment.
Les APP ne sont pas uniquement réservés aux jeunes, mais représentent un terrain
d’investigation privilégié pour ce genre de problématique. J’ai aussi pensé qu’il était
utile d’aller assister à la mise en place d’une plateforme « savoirs de base et
emploi » du PLIE - Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi -, réunissant à Andrézieux
les acteurs locaux de la formation autour de questions d’orientation et de
recrutement. J’ai également pu participer au comité de pilotage d’un plan local de
lutte contre les discriminations à l’emploi. Le syndicat intercommunal du Pays du Gier
et son consultant Amnyos3 ont organisé des rencontres à Saint Chamont, autour des
problèmes de discriminations à l’emploi, la sensibilisation des entreprises et la
formation des acteurs ; c’est avec motivation que j’ai rejoint ce groupe de travail.
En somme, je me focalise sur des publics dits « précarisés » ne maîtrisant pas
suffisamment le français, positionnés sur des dispositifs d’insertion. J’assiste à des
comités de pilotage d’actions relatives aux savoirs de base et l’emploi ou à la
discrimination à l’embauche, ce qui va constituer pour mon travail d’analyse un
corpus de données, d’actions et de points de vue. Il m’est possible de comprendre
ces actions à la base, au niveau des décideurs, du point de vue de la structure qui
les met en œuvre et au niveau des usagers. Les trois parties agissant dans des
intérêts différents, il m’a fallu toutes les côtoyer pour en saisir la globalité.
Par ailleurs, la position d’observateur a suscité chez moi des
questionnements. Quelle influence sur l’environnement vais-je avoir ? Ma présence
a-t-elle des répercussions – directes ou indirectes - sur l’attitude des formateurs ou
des apprenants ? Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai voulu tendre vers une
observation la plus discrète possible. Si des questions me viennent à l’esprit, je
n’interviens pas pendant l’atelier, je m’efface et je m’entretiens plus tard avec le
formateur. Mais qu’en est-il des stagiaires ? J’ai décidé, pour éviter de trop modifier
l’environnement observé, de me présenter comme dans une situation comparable à
la leur : en formation, en stage. Cette identification aux publics est une facette qui, je
3 www.amnyos.com
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pense, a pu m’aider. En effet, étant le plus jeune dans la structure, lors des accueils
notamment, j’ai vite ressenti que les stagiaires venaient plus facilement vers moi.
Bref, me présentant ainsi, j’ai eu l’impression de pouvoir approcher plus aisément
toutes les personnes rencontrées. Je pense pertinent de souligner que je suis âgé de
moins de vingt-six ans, issu de l’immigration et en situation d’insertion
professionnelle. Cet élément est en effet à prendre en compte dans l’analyse qui
suivra. Concernant les entretiens, je n’ai pas jugé réellement utile d’en planifier dans
la mesure où je pouvais aussi avoir accès à des entretiens menés avec des publics
similaires. En effet, j’ai notamment rencontré Madame Bellera du CRI 26.07 - Centre
Ressource Illettrisme, Drôme Ardèche - qui m’a autorisé à utiliser ses corpus. Aussi,
je dispose déjà de beaucoup d’informations sur les stagiaires qui peuvent m’être
fournies par l’association.
Mes activités en parallèle aux lieux de stage
En relation avec le CRI 42 - Centre ressource illettrisme de la Loire -, j’ai
assisté à plusieurs journées de formation ou conférences, comme contribution à la
connaissance des publics en situation d’illettrisme ; Comment l’histoire de vie
déclenche ou freine l’envie d’apprendre ? J’ai par ailleurs intégré une formation de
24 heures sur la Numératie intitulée Cursus mathématiques et logique dont
l’intervenante était Catherine Blanc. Via LEADER 42.1, groupe de réflexion et
d’échange de savoirs autour de la formation, j’ai pu rencontrer de nombreux
professionnels. Je participais à cette formation en tant « qu’aide à la distanciation sur
le dispositif », ma mission consistant à suivre les rencontres et lister les points qui me
semblaient à améliorer. Mon regard, différent de celui des acteurs trop pris par leur
travail pour avoir une observation globale et objective, m’a permis de suivre des
groupes de travail. J’ai, à cette occasion, rencontré des formateurs ou
coordonnateurs de structures « concurrentes » qui se posaient le même type de
questions sur les publics et sur leur approche.
D’autres conférences ont su retenir mon attention, entre autres celle de
Françoise Lorcerie intitulée L’école et la diversité culturelle : discrimination
systémique ? organisée par le CREFE 42. Autant de journées qui m’apportaient du
recul par rapport à mon stage.
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Devant avant tout observer une structure, la pratique de l’enseignement du
français sur mon lieu de stage a été très exceptionnelle. Cherchant bien sûr à
continuer de me former dans ce domaine, j’ai pensé bénéfique d’en intégrer une
seconde, mais dans un but d’enseignement uniquement, le Centre Social de
Valbenoite où je participais à des ateliers de « montée en compétences sociales ». Il
s’agit dans la pratique de cours d’alphabétisation « réactualisés ». J’avais donc la
possibilité d’être confronté à un autre type de public, plus âgé, et devais donc mettre
en œuvre une autre pédagogie. Les problèmes étaient différents, les besoins aussi.
Cet épisode aura contribué à une meilleure connaissance du milieu de la formation
et des publics en difficulté par rapport à la langue du pays d’accueil.
Enfin, toujours avide de pratique, j’ai signé en fin de stage un contrat avec le
CILEC courant jusqu’au premier Août. J’y dispensé des cours de FLE - Français
langue étrangère -. Il s’agissait là aussi de maîtrise de la langue, mais avec un public
très lettré et formé. En somme, une toute autre approche de l’enseignement, un autre
point de vue sur un milieu de la formation aux milles couleurs.
L’ensemble de ces activités parallèles à mon stage s’est avéré être d’un grand
intérêt d’une part, parce qu’il m’était possible d’avoir accès à d’autres réseaux de
professionnels, et d’autre part parce que ces activités m’ont permis une certaine
prise de distance par rapport à mon occupation principale. Disons que je ne voulais
pas, à la fin de cette expérience professionnelle avec un unique point de vue sur la
formation mais bien plusieurs : celui du Centre Social, de l’Organisme de Formation,
du CILEC ou celui du Centre Ressource. Il en va de même pour les apprenants, il me
faut être confronté à différents « cas » pour mieux les comparer et les comprendre,
mais également pour saisir au niveau didactique comment et pourquoi adapter les
contenus et les pratiques. En résumé, une bonne connaissance des différents
publics me parait essentielle, et c’est ce vers quoi j’ai voulu orienter ma réflexion. J’ai
aussi profité amplement de cette année de « master professionnel » pour entrer en
contact avec le plus de personnes susceptibles de me proposer un emploi dans le
futur.
17
J’ai choisi de décrire et détailler plusieurs actions en rapport avec la
langue et l’emploi, la formation linguistique et l’insertion socioprofessionnelle de
jeunes publics, ainsi que la mise en place de deux actions en rapport avec
l’embauche, la langue et les discriminations.
Ces cinq actions sont toutes différentes de par les lieux et les contenus qui
les caractérisent. En guise de brève présentation, je dirais que le MAPI est
collectif et qu’il vise l’insertion professionnelle car articulé autour de quatre
stages. L’APP est individualisé et pourrait constituer une remise à niveau pour un
concours ou la recherche d’un emploi. Le CIVIS quant à lui est de forme
différente dans la mesure où il s’agit d’un contrat qui vise à accompagner le
jeune dans ces démarches - apprentissage notamment -. Un plan local de lutte
contre les discriminations à l’emploi va viser à favoriser l’embauche des publics
potentiellement discriminés. Enfin, la plateforme Savoir de base et emploi est une
action individualisée visant à former le bénéficiaire en fonction de son
environnement professionnel.
Le dispositif MAPI FLE est le plus détaillé dans sa description car c’est celui
que j’ai observé le plus longuement. Aussi, en ce qui concerne les mises en place
d’action, je ne peux exposer que les motifs de leur mise en place et l’intérêt nouveau
qu’elles apportent au paysage de la formation.
18
MAPI FLE
Présentation
Il peut être intéressant de constater dans un premier temps que ce dispositif
peut apparaître sous deux sigles différents. MAPI FLE, mobilisation autour d’un
projet d’insertion, ou MAPPI FLE, mobilisation autour d’un projet professionnel
d’insertion. Les deux étiquettes apparaissent de façon plus ou moins aléatoire dans
les documents rencontrés, ce qui montre bien que nous nous situons ici face à une
problématique de l’insertion assez floue. S’agit-il d’un dispositif visant à insérer
socialement, professionnellement ou socio professionnellement l’usager ? Dans le
cahier des charges, c’est la première étiquette qui apparaît, mais il est rappelé que
l’objectif prioritaire de l’action est l’orientation et l’insertion sociale. Le terme
orientation connote insertion professionnelle. Effectivement, le plan de formation de
ce dispositif est largement réparti autour de quatre stages en entreprise, mais
l’articulation avec la prise en compte des individualités est évidente.
Le dispositif est mis en œuvre par quatre formateurs dont un référent, une
coordonnatrice pédagogique et un chargé d’insertion qui gère les relations entre les
stagiaires et les entreprises. L’action est financée par la Région à hauteur de 51 300
euros, dont la moitié provient du FSE. Les bénéficiaires de ce dispositif sont tous
demandeurs d’emploi de moins de 26 ans à bas niveau de formation - 6 et 5 bis4 -, ils
ont intégré le groupe classe suite à plusieurs étapes.
Le cahier des charges prévoit un pré accueil, qui constituerait un
positionnement vers ce dispositif. Il s’agit ici de vérifier l’adéquation entre les objectifs
du stagiaire et de la formation, de trouver des objectifs consensuels. Il est également
question de s’assurer que le futur stagiaire présente le profil adéquat. Il y a en
somme une sélection, un tri des candidats en début de parcours d’insertion. Les
critères prévus par ce cahier des charges restent vagues et subjectifs. En effet, toute
personne en situation précaire voire d’exclusion est forcément déstabilisée. L’objectif
4 CF. ANNEXE 2 - Référentiel des niveaux de formation.
19
premier de ce genre de sélection est de s’assurer que le futur stagiaire restera au
sein de la structure jusqu’au terme de son contrat. Un abandon susciterait une
remise en question du dispositif lui-même et serait pour l’usager vécu comme une
autre forme d’exclusion. Cela signifie bien sûr, que toute personne de moins de 26
ans en situation précaire et nécessitant une remise à niveau des savoirs de base ne
peut intégrer ce dispositif, les antécédents influent sur les recrutements.
Vient ensuite l’étape de l’accueil collectif. L’objectif de cette étape est de
valider l’engagement dans la formation, mais aussi de constituer le groupe. Ce genre
de dispositif prévoit une formation sur plusieurs mois, il est donc nécessaire de créer
des conditions favorables à la dynamique de groupe. Il paraît important de bien se
connaître pour bien communiquer. C’est l’occasion de présenter la structure et la
formation ainsi que les règles de vie en collectivité. Les formateurs ont aussi pour
mission d’aider les stagiaires dans leurs démarches administratives et dossier de
rémunération.
A l’entrée, il est primordial d’élaborer un bilan personnalisé, afin de déterminer
clairement les intérêts et les capacités du stagiaire, d’évaluer ses savoirs de base et
capacités logiques. La mise en place du projet d’insertion passe tout d’abord par un
bilan des envies et des rejets, mais aussi des freins et accélérateurs de ce processus
d’insertion. En somme, les freins à l’insertion sont évoqués dans les tous premiers
moments de la formation. Le cadre de vie ou encore la situation familiale constituent
une grande partie de la personnalité et sont pour autant des éléments à prendre en
compte. Le niveau de langue et les savoirs de base sont effectivement les éléments
déterminants dans l’accès à l’emploi. Connaître la personne, ses valeurs et ses
lacunes est essentiel pour les différents intervenants du dispositif, mais c’est aussi
très important que l’usager lui-même prenne conscience de ses compétences et de
ses points faibles qui constitueront comme nous le verrons par la suite, des variables
dans les parcours d’insertion.
Un module connaissance de soi s’inscrit dans la formation. Il va s’agir après
ce bilan personnel de revaloriser la personne, voire de développer une estime de soi.
Ces jeunes peuvent, pour des raisons diverses, être incapables de formuler des
envies, d’élaborer des projets futurs car déstabilisés et en manque de confiance. Ce
module doit permettre de structurer un portefeuille de compétences. En tant
qu’apprenant, j’ai des lacunes mais j’ai aussi des savoir-faire. Comme dans tout
processus d’apprentissage, la motivation représente un grand facteur de réussite, le
20
manque de confiance représenterait lui une entrave à l’autonomie et donc à la
réussite.
Ce genre de dispositif ne peut aborder directement les techniques de
recherche d’emploi - TRE - où les questions pratiques concernant l’embauche. En
effet, la personne qui entre en formation s’inscrit dans un environnement complexe, il
est impossible d’aborder les questions professionnelles sans avoir abordé
auparavant des questions de connaissances de cet environnement. C’est-à-dire qu’il
est indispensable de comprendre les normes de la société, du monde du travail
avant de s’y insérer. Bien sûr, ce point peut être sujet à discussion mais c’est le
fonctionnement, l’état d’esprit connoté et assumé par l’équipe pédagogique.
C’est l’autonomie que l’on cherche à développer à travers plusieurs modules
tels « connaissance de la société française » et « connaissance du monde du
travail ». Il va s’agir de présenter les différentes institutions françaises, les principaux
documents administratifs, mais aussi les coutumes. Ce module de civilisation doit
permettre de faciliter l’intégration et l’autonomie dans la société française. L’objectif
d’un tel enseignement est donc l’insertion sociale. Le second module est supposé
faciliter l’intégration dans l’entreprise, les droits et devoirs du salarié, les
représentations du travail, les différents secteurs d’activité et les métiers porteurs y
sont par ailleurs abordés. Avant d’élaborer le projet professionnel, il s’agit ici de
présenter les avantages et inconvénients des différents secteurs pour
une « orientation réaliste ». Des visites d’entreprises et d’institutions - mairie par
exemple - sont planifiées et permettent également de sortir de l’univers « scolaire »
de la formation.
L’axe central du dispositif, toujours dans l’optique de rendre le stagiaire et
futur employé le plus autonome possible, est le travail autour des pré requis de base,
qui représente environ la moitié de la formation « en centre », au sein de l’OF. Le
travail autour de la langue, des capacités logiques et de l’informatique s’inscrit
pleinement dans cet axe. Ces pré requis constituent inévitablement des outils pour la
recherche d’emploi. Plusieurs ateliers sont prévus chaque semaine pour découvrir ou
approfondir la connaissance de l’outil informatique. Cet atelier se déroule en deux
étapes, l’une basée sur Internet, et l’autre sur les principaux logiciels de bureautique.
L’activité en ligne permet de se familiariser avec les différents sites de recherche
d’emploi, mais c’est avant tout la recherche d’information que l’on privilégie. La
consultation des offres d’emploi en ligne n’est qu’une partie de l’atelier. En effet, la
21
familiarisation avec les logiciels est incontournable, ce pour quoi elle est autant mise
en avant dans ce type de formation. Elle s’effectue par le biais de saisie de
documents élaborés en formation, tels que les CV ou rapports de stage. En ce qui
concerne le travail sur la langue le programme est difficilement prévisible, les niveaux
au sein d’un même groupe étant très éloignés. Le développement des quatre
compétences est tout de même essentiel. La production orale prend un sens tout
particulier. En effet, parler en public est quelque part un objectif à part entière : il
s’agit de participer à la vie de la classe, on vise la socialisation qui passe par la
pratique de l’oral et l’échange. On privilégie donc la communication orale, considérée
comme un facteur de réussite. Il faut néanmoins garder à l’esprit qu’il s’agit d’un plan
de formation assez général visant à développer les quatre compétences en
s’appuyant sur des documents élaborés par les formateurs. Aucune méthode n’est
préconisée, c’est en fonction des besoins décelés que les formateurs prévoient leurs
activités. Les thèmes traités sont relativement larges, de l’identité à la santé en
passant par le logement et le travail. Le but de la maîtrise de la langue est clairement
de développer une autonomie dans les milieux professionnel et extraprofessionnel. Il
en va de même pour les activités logiques et mathématiques. Celles ci restent très
pratiques et se concentrent beaucoup sur les mesures. Le repérage dans le temps et
dans l’espace à visée professionnelle constitue un axe prioritaire de la formation.
Nous pouvons donc pour résumer affirmer qu’il s’agit d’un plan de formation axé
effectivement sur l’insertion socio professionnelle du stagiaire : c’est bien de la
personne et de l’entreprise dont il est question. La formation se veut par conséquent
utilitaire car ses apports doivent permettre le développement d’un projet personnel.
La formation s’échelonne sur plusieurs mois, beaucoup de points sont donc
abordés et tous doivent servir l’élaboration et la réalisation d’un projet personnel.
Plusieurs phases sont prévues dans le cahier des charges : l’élaboration, la
vérification et le cadrage. Le stagiaire doit pouvoir, avec l’aide de ses formateurs,
construire - ou co-construire - un projet professionnel « réaliste » en fonction de ses
capacités. Le terme « réaliste » est fréquemment employé au cours des ateliers ou
réunions observés. Ce qu’il faut comprendre à travers ce terme, c’est l’adéquation
entre le projet et sa faisabilité, c'est-à-dire prendre en compte bien sûr les
compétences du stagiaire ainsi que les métiers qu’il envisage, mais surtout la réalité
du marché de l’emploi. Ce dernier élément est celui qui pèse le plus dans le choix et
22
l’orientation puisque les formateurs affichent la volonté de diriger les stagiaires vers
un travail. L’accès à l’emploi doit ainsi se réaliser, en passant parfois outre les
volontés qui se voient rangées sous l’étiquette « non réalistes ». On pourra ainsi
légitimement s’interroger, dans la deuxième partie sur le but même de l’emploi.
« Souvent les stagiaires savent ce qu’ils ne veulent pas, mais pas toujours ce qu’ils
désirent vraiment faire »5. Le projet est ainsi co-construit, dans une démarche de
négociations et de découverte. Les stages constituent un élément essentiel en ce qui
concerne l’élaboration du projet final. Ils représentent cette phase de découverte, au-
delà du préjugé sur une profession car c’est dans la pratique que l’on découvre un
métier. Ils mêlent autonomie et réalité, et c’est par leur évaluation finale que l’on en
déduit une éventuelle faisabilité. C’est par une mise au point des différents éléments
comme l’écart entre le profil et le poste ou les rapports de stage que l’usager établit
un « carnet de route » qui lui permet définir et de visualiser les grandes étapes à
atteindre pour l’accès au métier. Cela peut effectivement paraître décourageant mais
le dispositif est aussi et surtout un outil qui doit permettre l’accès à ces différentes
étapes. Ainsi, si une formation est nécessaire pour accéder à un emploi, l’équipe
ayant validé le projet comme réaliste et donc réalisable, le stagiaire intègrera cette
formation. Elle sera perçue comme une condition nécessaire à la réalisation du
projet. Il s’agit, comme son nom l’indique, de donner au bénéficiaire les moyens de
réaliser un projet sur une période donnée. C’est précisément le but de l’étape de
cadrage opérationnel. Cette étape finale débouche soit sur l’inscription en formation
ou la recherche de financements, soit sur le travail en intérim ou sur tout autre
« solution d’attente ». Dans tous ces cas, un suivi est indispensable : il faut de toute
façon une certaine visibilité du parcours pour le prescripteur et le financeur. A terme,
la personne doit être capable de défendre son projet auprès de professionnels, mais
aussi auprès de ses conseillers mission locale qui l’aideront à poursuivre son
parcours d’insertion.
Terminer la formation ne veut donc pas nécessairement dire accéder à
l’emploi.
Pour avoir un aperçu du volume horaire attribué à chaque partie, il est
possible de résumer le plan de formation du dispositif de cette manière :
5 TORDI C., référente du MAPI FLE.
23
Modules et leurs
enchaînements
Durée en centre
(heures)
Durée en entreprise
(heures)
Entretiens individuels 4
Citoyenneté 36
Pré requis de base 250 70
Redynamisation 108 70
Communication orale 90
Projet 108 105
Bilan 4
Description du public
Il nous faut à présent détailler le public observé pour comprendre quelques
trajectoires d’insertion et développer ainsi quelques éventuelles montées en
généralité.
Vingt quatre personnes sont positionnées sur cette action dont dix-huit ont été
reçues en entretien. Au départ, plusieurs personnes n’ont donc pas pu se présenter,
les motifs étant différents, mais principalement familiaux. En effet, plusieurs jeunes
filles ont accouché après le positionnement et étaient donc momentanément
indisponibles pour intégrer la formation. Lors de ma phase d’observation, le groupe
n’est plus constitué que d’une quinzaine de stagiaires. Il s’agit de neuf jeunes
femmes et de six garçons, le groupe est donc plutôt féminin.
24
Celui ci est constitué de stagiaires relevant du FLE selon l’étiquette du
sispositif. Dans la mesure où ce sont des personnes évoluant en France, dans un
univers partiellement francophone, je dirais donc plutôt FLS. Tous sont issus de
l’immigration et proviennent dans la grande majorité du Maghreb et des pays de l’Est.
La plupart n’ont jamais travaillé avant d’intégrer le dispositif, à l’exception de
quelques uns dans leur pays d’origine, mais pas en France. Le groupe est
solidement constitué, les stagiaires communiquent beaucoup entre eux, se
questionnent et s’entre aident. Ils sont autorisés à parler, sous condition de le faire
en français uniquement et si possible à voix basse. Sachant que l’on vise
l’autonomie, les stagiaires ont de toute façon des libertés qu’ils doivent gérer ; dans
la mesure où cela ne freine pas leur apprentissage. Ce qui ressort de mes entretiens
avec l’équipe pédagogique est tout de même un manque de maturité, voire une
absence d’investissement chez certains. Mais il est impossible de généraliser. De
même, je m’aperçois que la catégorie « jeunes » est floue et pourrait se subdiviser
en bien des catégories. Certains d’entre eux ont une famille à nourrir, alors que
d’autres vivent chez leurs parents. Les histoires de vies font de chaque jeune une
personne avec une histoire à part entière, difficilement assimilable à son voisin si ce
n’est par l’âge peut être, bien qu’il existe une différence d’environ huit ans entre le
plus jeune et le plus âgé.
En ce qui concerne leurs choix d’orientation, les préférences dans la
recherche d’emploi sont assez diverses au départ. Mais contenu de leur manque de
réalisme, certaines trajectoires ont complètement changé. Mis à part ceux qui avaient
déjà travaillé, - dans le bâtiment surtout - qui avaient eu une approche du monde du
travail et souhaitaient s’y engager, les autres restaient indécis. Les stages ont donc
servi à découvrir une profession et à confirmer ou infirmer ce choix. Globalement en
fin de formation chacun est en mesure d’exprimer ce qu’il veut et ce qu’il compte
faire.
Voici, pour finir, ce qu’il en ressort sous forme de tableau. A titre indicatif
j’ajoute aussi les données du MAPI de l’année passée.
25
MAPI FLE 2005/2006, 15 stagiaires
PROJET en fin de parcours FILLES GARCONS
Abandon6 1
Pas de projet PRO
Employé Libre Service - ELS 3
Agent d’entretien 2* 2
Bâtiment 3**
Coiffure 1*
Aide à la personne 2*
Secrétariat 1*
TOTAL 9 6
* six stagiaires ont prévu d’intégrer une autre formation à l’issue du MAPI
MAPI FLE 2004/2005, 15 stagiaires
PROJET en fin de parcours FILLES GARCONS
Abandon 3
Pas de projet PRO 1 1*
Employé Libre Service - ELS 1*
Agent d’entretien 2* 2*
Bâtiment 1*
Coiffure
Aide à la personne 2**
Secrétariat
Hôtellerie 1*
Sécurité 1*
TOTAL 10 5
* neuf stagiaires avaient prévu d’intégrer une autre formation à l’issue du MAPI
6 Les abandons sont tous dus à des naissances, des problèmes de garde d’enfants ou à deshospitalisations.
26
L’Atelier de Pédagogie Personnalisée
Présentation
Les ateliers de pédagogie personnalisée ont 25 ans d'existence. Il en existe
environ 800 en France. Ils sont représentés au niveau national par ALGORA. L’APP
est une convention, qui n'a donc pas d'identité juridique, et doit dépendre d'un
organisme porteur. Trois APP sont implantés à Saint-Étienne, au CIPL, au GRETA,
et le plus important à l’ADFLP. L’association porte cet APP depuis 1984. La
demande pour intégrer ces ateliers est relativement forte. Les 59 APP de la région
Rhône-Alpes dont 28 dans l'Académie de Lyon et 31 dans l'Académie de Grenoble,
ont accueilli 16000 personnes en 2000 et en ont formé, après positionnement, 13000
pour un volume global de 1 100 000 heures/stagiaires.
Les APP se basent sur sept piliers fondamentaux, indissociables pour
l’obtention de l’appellation.
La personnalisation de la prestation. La démarche est centrée sur la personne,
c’est ce qu’il est convenu d’appeler une pédagogie de l’autoformation accompagnée.
L'objectif des APP est de mettre en oeuvre une démarche pédagogique adaptée aux
besoins personnels de l'apprenant tout en prenant en compte ses évolutions au
cours de sa vie professionnelle, sa sociale et sa personnelle. L’usager peut quitter le
dispositif dès que les objectifs sont atteints, et l’APP procède à un suivi de la
situation professionnelle, trois mois après la sortie. Une attestation précise les acquis
évalués et les préconisations concernant la suite du projet.
La diversité des publics. Les stagiaires peuvent être volontaires ou orientés. Ils
sont divers de par leur âge, leur niveau de formation, leur statut et leurs objectifs.
Notons qu’il y a tout de même un public prioritaire, demandeur d’emploi et de bas
niveau de formation ou employé de PME. Les stagiaires conservent d’ailleurs leur
statut et leurs allocations le temps de la formation. Ces ateliers s'adressent donc
principalement à un public « prioritaire » de niveau six à quatre et ne comptent pas
en théorie de stagiaire relevant du FLE ou de l’alphabétisation. Le public en question
a déjà été scolarisé mais peut être illettré. Ceci s’explique par le fait qu’à tendre vers
27
l’individuation, l’oral n’est pas privilégié. Si une personne ne peut intégrer cette
formation elle est « redirigée » vers d’autres dispositifs de l’ADFLP.
Les domaines de la culture générale et de l’apprentissage technologique de
base. Il peut s’agir d’un acquisition ou d’une remise à niveau. Les savoirs de base
sont le socle de l’APP. Il propose des remises à niveau en français - 26% de l’activité
-, mathématiques - 23% -, biologie, comptabilité, informatique et culture générale de
base. Il met également à disposition des préparations au concours de l'administration
et paramédicaux. Le parcours moyen d’un stagiaire s’effectue sur 80 heures. Avec
les notions de contrats négociés et de contrats re-négociables, la durée de la
formation peut s’étendre jusqu'à 300 heures maximum, sur un rythme hebdomadaire
de 21 heures. Les savoirs de base doivent représenter au moins 50% des heures
réalisées. Le but du dispositif est de développer un certain degré d'autonomie, faire
apprendre à apprendre. Les APP communiquent beaucoup sur le LLL - Long Life
Learning -, l’apprentissage tout au long de la vie. Certaines « matières » sont plus
prisées que d’autres, il nous faut noter une très forte demande en ce qui concerne
l’informatique. L’ex-coordonnateur parle « d’analphabétisme informatique » que les
usagers tentent de surmonter. La culture technologique de base représente 40% de
l’activité sur l’année passée et une liste d’attente est déjà mise en place.
L’ancrage territorial en fonctionnant en partenariat avec les autres organismes
de son territoire.
Les sources diversifiées de financement. Ses principaux financeurs sont la
DRTEFP - cofinancée par le FSE -, le fonds formation CES, le conseil régional et les
entreprises. Notons qu’il peut y avoir une part d’individuel payant mais qu’aucune
contribution financière ne peut être demandée aux personnes relevant des politiques
prioritaires de l’Etat. Dans tous les cas, la participation de l’usager ne doit pas
excéder 10 % du montant total de la formation et celui ci doit avoir une prescription
pour y entrer.
Un accueil des publics en flux. Il s’agit d’un système à entrées et sorties
permanentes ce qui permet en théorie au stagiaire d’être accueilli à tout moment,
tout au long de l’année. Le rythme et les modalités d’accueil sont inscrits dans un
« projet pédagogique de l’APP » qui doit être porté à la connaissance des
partenaires du territoire.
Un fonctionnement en réseau. Les APP acceptent de mutualiser leurs
ressources pédagogiques et viser des « économies d’échelles et de moyens ».
28
Les APP sont évalués et doivent donc tenir compte de leurs activités et
résultats. Malheureusement ces points fondamentaux prévus par le cahier des
charges tendent plus à représenter un idéal que les équipes peinent à atteindre.
Dans la pratique, il est relativement difficile de se tenir à ces « piliers » ; il y a
effectivement une marge de manœuvre. Par exemple, cet atelier de pédagogie
personnalisée est à la base supposé prendre en compte les contraintes du stagiaire,
mais la structure ne peut fonctionner à entrées et sorties permanentes. Une
procédure de rupture de contrat est même lancée pour cause d'abandon au bout de
trois absences « injustifiées ». Des horaires fixes sont proposés aux stagiaires, on lui
attribue également un nombre d'heures de formation. Le planning est en quelque
sorte co-construit. La formation est très sollicitée et ne peut donc répondre
favorablement à toutes les demandes, notamment dans les domaines des cultures
technologiques de base de préparation aux concours paramédicaux. Cela peut
s’expliquer par le fait que sur Saint-Étienne, peu de structures proposent des ateliers
informatiques sur un financement « Etat ». Les préparations aux concours sont
devenues quant à elles un marché potentiel pour certains organismes qui vendent
leurs prestations à un coût relativement élevé. Monsieur Lunas parle d’un véritable
« business ». Par conséquent beaucoup de personnes se sont tournées vers l’APP
pour pouvoir s’y préparer.
La formation ouverte à distance
J’ai décidé de traiter ce point car la FOAD - Formation Ouverte à Distance -
est très présente dans les axes de développement du dispositif, et donc souvent
évoquée par l’équipe pédagogique.
En effet, les APP sont à présent appelés à modifier progressivement leur
approche de la formation en intégrant des modalités pédagogiques innovantes -
autoformation individualisée et formation à distance - associées à des supports
interactifs multimédias. Les axes de développement principalement suivis sont donc
la FOAD et la numérisation du Centre Ressource.
Ce projet est né du fait que même des personnes résidant assez proche du
centre de formation hésitaient à venir vers l’organisme - les locaux sont situés rue
29
Bergson, en centre ville -. Les déplacements engendrent des frais et certaines
personnes, les jeunes femmes notamment, se voient interdire de sortir seules. La
nécessité d'une diversification des services offerts par les APP aux publics
prioritaires doit véritablement être prise en compte par les acteurs du réseau ainsi
que par les partenaires - prescripteurs, financeurs - pour permettre au plus grand
nombre l’accès à la formation. Il va ici s’agir de toucher de nouveaux publics, ces
personnes habitant tout près mais étant néanmoins vraiment « éloignées ». Nous
tenterons de comprendre par la suite si cette innovation est en mesure de régler
les problèmes de mobilité de certains stagiaires.
Un partenariat avec des structures type Centre Sociaux et MJC a été conçu.
Ces structures implantées dans les différents quartiers de la ville et disposant d’un
accès Internet peuvent permettre d’accueillir ce type de personnes. Elles pourront
éventuellement leur fournir une aide, même si plusieurs modalités d’assistance
sont prévues pour assister le stagiaire.
Rappelons aussi que beaucoup de demandes sont formulées pour intégrer
l’APP, et que la mise en ligne des formations permettrait de « recruter », de former
plus de personnes.
Description du public
En 2005, l’APP stéphanois a fonctionné en moyenne sur douze plages de
formation et a effectué 26 654 heures de formation, ce qui lui a permis d’accueillir
319 personnes sur toute l’année. Le public des APP est « mixte » mais n’est pas très
diversifié, la grande majorité des bénéficiaires sont des adultes « chômeurs de
longue durée ». Il faut rappeler que c’est le public prioritaire. Le suivi des stagiaires
n'est pas systématique, il dépend du financeur qui exige tel ou tel type de bilan.
Certaines entreprises sont assez réticentes à envoyer leurs employés en formation,
même si notamment le DIF - Droit Individuel à la Formation - le prévoit. Selon le point
de vue de certains employeurs, se séparer momentanément d’un employé signifie le
remplacer d’où la nécessité d’ouvrir les formations à distance. Par ailleurs, la FOAD
permet aux personnes qui avaient dû abandonner d’autres dispositifs pour cause de
gardes d’enfants notamment, de suivre celui-ci. Il n’est pas réservé aux jeunes mais
30
peut être une solution intéressante pour ceux qui ont des contraintes familiales ou de
déplacements. Contrairement au dispositif MAPI présenté plus haut, ces formations
APP ne sont pas axées sur l’oral, mais bien plus sur l’écrit, chose qui peut se
comprendre du fait que ce qui est recherché est l’individuation. De ce fait, elles ne
vont pas constituer pour d’autres une « vraie » formation linguistique ; les publics
FLE - FLS sont donc écartés.
Sur 350 usagers en 2005, 82 appartenaient à la catégorie des 16-25 ans, et se
répartissaient ainsi, en fonction de leur financement7 :
FILLES GARCONS
DRTEFP 44 10
Conseil Général 15 3
Salariés 5 5
TOTAL 64 18
Ces données sont importantes mais il convient de connaître aussi le niveau de
formation de ces stagiaires. Cette grille fait ici apparaître les dernières années
d’études :
Collège 3ème CAP-BEP 2nde & 1ère BACEtudes
supérieures
4 7 31 2 25 13
Lors de leur arrivée au centre de formation, ces jeunes avaient les statuts
suivants :
SalariésDemandeurs
d’emploiInactifs Autres statuts
2 75 2 3
7 Tableaux constitués à partir de chiffres fournis lors du comité de pilotage du 27/04/2006.
31
Il nous est donc possible de visualiser le public des APP comme largement
féminin et demandeur d’emploi, d’un degré de formation globalement situé entre les
niveaux cinq et quatre. On peut également remarquer que la grande majorité de ces
jeunes intègre l’APP en ayant stoppé leur cycle d’études dans une phase terminale,
l’année d’un diplôme. Ils ne bénéficient donc pas des avantages - sur le marché du
travail - que peuvent représenter ces titres. Ils se placent sous un statut de demandeur
d’emploi et bénéficient souvent des formations APP en tant que remise à niveau en
vue d’une autre formation ou d’un concours. Ce stage en formation n’a par conséquent
pas vocation de propulser les bénéficiaires sur le marché de l’emploi, mais collaborant
avec l’ANPE et la DRTEFP, il représente une étape du long parcours d’insertion
professionnelle.
32
Le CIVIS
Présentation
Le sigle CIVIS signifie Contrat d'Insertion dans la Vie Sociale.
Le CIVIS est un dispositif ou contrat d’accompagnement global des jeunes de 16 à
25 ans, qui historiquement remplace un autre dispositif qui appelé TRACE, dont il
reprend les grandes lignes. Ce programme s’adresse à des jeunes sans emploi,
ayant un niveau inférieur au Bac, au DEUG ou à tout autre diplôme de 1er cycle de
l’enseignement supérieur n’ayant pas été achevé. Le contrat est conclu pour un an,
renouvelable une fois ou plus suivant la situation du jeune, mais ne peut être
reconduit au-delà des 25 ans révolus du bénéficiaire. Au total, 601 jeunes en ont
bénéficié en 2005. Cette action a été lancée en 2003 par François Fillon, puis
modifiée dans le plan de cohésion sociale en janvier 2005, elle entre désormais dans
le cadre de l’axe lutte contre le chômage.
Le CIVIS est donc un contrat8, signé entre le jeune et la Mission Locale. Le
signataire s’engage à respecter un certain nombre de rencontres et de démarches
qui lui sont imposées. En contrepartie, il lui est assigné un adulte référent qui va
l’accompagner, et peut l’aider notamment dans l’obtention d’aides financières.
Chaque jeune est suivi par un conseiller spécifique dont le rôle est justement de
l’accompagner pas à pas dans toutes les démarches d’insertion professionnelle et
sociale lui permettant d’accéder à un emploi durable. En d’autres termes, il ne s’agit
pas exactement du même type de dispositif que les précédents, mais bien d’une
aide, d’un conseiller qui assiste dans les démarches. Il représente donc un étayage
dans la vie du jeune notamment face aux institutions, et peut être considéré comme
un appui visant l’insertion sociale du bénéficiaire. C’est une étape à franchir avant
l’insertion professionnelle, elle permet de créer des repères utiles à la future
recherche d’un emploi.
L’intérêt majeur du CIVIS est de reconnaître les mineurs, notamment en ce qui
concerne les aides financières pouvant leur être apportées, et que jusqu’ici aucun
dispositif ne proposait. En effet, une somme de neuf cent euros peut être débloquée
sur l’année par le conseiller du jeune pour l’assister dans toutes ses démarches,
comme le financement d’une partie de son permis de conduire par exemple. En
8 CF. ANNEXE 4, Contrat CIVIS type.
33
outre, les bénéficiaires du CIVIS âgés d’au moins 18 ans peuvent se voir verser une
allocation pendant la période où ils ne perçoivent aucune autre « rémunération ». De
plus, le signataire bénéficie du régime général de la sécurité sociale pendant les
périodes où il n’a aucune couverture sociale
Deux types de CIVIS ont été créés, le CIVIS classique selon lequel le jeune a
un entretien par mois, et le CIVIS renforcé, où il a un entretien hebdomadaire avec le
conseiller mission locale les trois premiers mois qui devient par la suite mensuel
jusqu’au terme du contrat. Les CIVIS renforcés sont considérés «en grande difficulté
d’insertion et peu formés ». Le CIVIS est conclu pour une durée d’un an ; il prend fin
lorsque la personne accède à l’emploi ou lorsqu’elle atteint vingt-six ans.
J’ai rencontré à deux reprises le conseiller mission locale de Firminy au sein
même de l’organisme de formation. Les conseillers doivent effectivement
programmer des bilans intermédiaires avec l’organisme de formation en charge de
donner des cours de français et d’animer des ateliers TRE, dont d’autres sont
dispensés au sein de la mission locale. Remarquons que les jours de ces ateliers
changent constamment, le but étant d’habituer le bénéficiaire aux rendez-vous. Ce
dispositif est un « sas », aux dires d’un conseiller, avant la « mise à l’emploi ».
J’ai constaté plusieurs autres éléments propres à ce dispositif.
Premièrement, il n’est pas évident d’élaborer un plan de formation pour les
groupes CIVIS, d’une part parce que l’appellation niveaux « 6 et 5 bis » ne renvoit
pas grand-chose de concret, - des jeunes illettrés côtoient des apprenants FLE -, et
d’autre part parce que ce genre de dispositif est dit « ouvert ». En effet, les dates
d’entrées et sorties des bénéficiaires ne sont pas en phase. Ce plan de formation
pourrait se décrire de la façon suivante : il se compose de trois fois quatre heures
pour la partie linguistique et de quatre heures de techniques de recherche d’emploi.
Le cours de langue se déroule de huit heures à midi, ce qui impose aux jeunes une
certaine rigueur, en parallèle au monde du travail. Les ateliers de TRE visent
également l’autonomie de l’apprenant, et c’est seuls qu’ils s’investissent dans le
parcours des offres. Ces ateliers se subdivisent eux-mêmes en deux parties : la
première est réservée à l’acquisition du vocabulaire relatif au monde du travail, et la
seconde pleinement dédiée à la consultation des offres sur Internet. La formation est
essentiellement linguistique car les grands écarts de niveau ne permettent pas de
34
mettre en place un projet construit autour d’un stage. Aussi, certains sont en France
depuis peu et selon l’équipe pédagogique doivent absolument acquérir des bases
linguistiques nécessaires à l’insertion. Les thèmes abordés au cours des ateliers de
langue tournent autour de l’emploi et la formation, le logement, la santé, la mobilité et
la vie quotidienne.
Ensuite, l’absentéisme est un élément marquant tout au long de mes
observations. En effet, ces jeunes n’ayant pas une culture scolaire, ils ont souvent
peur de venir au centre de formation. L’excuse de la maladie est très récurrente,
dissimulant souvent la peur d’assister aux cours. C’est le dispositif observé où j’ai le
plus rencontré ce phénomène. Il est par ailleurs intéressant de souligner que certains
jeunes ne suivent pas régulièrement les ateliers car ils sont en parallèle sur d’autres
actions, comme des chantiers d’insertion. Cet absentéisme est la preuve, pour
l’équipe pédagogique, que les apprenants sont incapables pour l’instant de se plier à
la rigueur des horaires d’un emploi. Le principe de sanctions après plusieurs
absences injustifiées à donc été mis en place afin de palier ce problème.
Enfin, je pense judicieux de rappeler les chiffres concernant la forte demande
d’entrée sur ce type d’action. Pour l’Ondaine nous pouvons dénombrer 153 jeunes
positionnés en CIVIS, dont 80% se situent à un niveau de formation six ou cinq bis.
Seulement neuf ont intégré l’organisme de formation de Firminy. Le dispositif
propose dix places à 130 heures, c’est à dire 1300 heures financées par la DRTEFP
et le FIPJ, via la mission locale. En ce qui concerne Saint-Étienne même, 630 jeunes
se sont vus positionnés en CIVIS, dont 75% sont à un degré de formation de niveaux
six et cinq bis, dont trente trois ont intégré un organisme de formation.
Au sein d’Espace Ondaine Formation, neuf jeunes sont présents sur les
ateliers. Il s’agit d’un CIVIS renforcé, le public visé est donc de niveau six et cinq bis
largement féminin - 6 filles, 3 jeunes hommes -. Tous sont originaires du Grand
Maghreb à l’exception d’un jeune rom. Les écarts de niveaux entre les stagiaires sont
assez conséquents. Certains relèvent du FLE intermédiaire, d’autres sont débutants
et un garçon se trouve en situation d’illettrisme.
36
Deux comités de pilotage se sont déroulés pendant la période de mon stage.
Les actions qu’ils établissaient étant fortement liées à mes centres d’intérêt, je les ai
rejoints. Durant leur mise en place, j’ai pu observer les constats et besoins des
acteurs. Aussi, assister à la démarche de projet et au travail en équipe m’a été très
bénéfique.
La première action en question est un plan local de lutte contre les
discriminations à l’emploi, observée à Saint Chamond. La seconde est la plateforme
savoirs de base et emploi, dont le comité de pilotage s’est déroulé à Andrézieux, au
Centre Social le Nelumbo. L’intérêt d’assister à ces rendez-vous résidait aussi dans
le fait que ces actions étaient mises en place sur des territoires différents, ce qui m’a
permis de rencontrer des acteurs du secteur du Forez et du Pays de Gier.
37
Plan local de lutte contre les discriminations à l’emploi
Pour la mise en place de ce genre d’action, un consultant est mandaté pour la
stratégie et l’animation du plan. Il élabore des fiches d’action, accompagne sur
quelques unes d’elles et prévoit les financements à mobiliser. Par la suite il élabore
un cahier des charges qui guidera les acteurs et partenaires dans le suivi du plan. Il
s’agit donc d’un travail partenarial, d’une dynamique de projet à vocation
opérationnelle. Ce plan est financé dans le cadre du Contrat de ville et un consultant
est donc nécessaire, légalement parlant. Ici, c’est le cabinet lyonnais Amnyos9 qui
assume cette tâche.
En accord avec les préoccupations locales mais certainement aussi d’un plus
large rayon, ce plan s’est vu élaboré autour de trois grands axes : la connaissance
et la qualification des acteurs dans un premier temps, puis l’intermédiation
demandeurs emploi et employeurs et enfin la mobilisation des
publics « potentiellement discriminés » dans cette lutte. Chaque axe a été détaillé,
je les présenterai ici pour constituer des éléments utiles à l’analyse qui suivra.
Certaines de ces propositions résultent de la réflexion du groupe de travail et
constituent des outils concrets de lutte contre les éventuelles discriminations sur le
marché du travail, c’est pourquoi il me paraît utile de les faire apparaître dans ce
rapport.
Connaissance et qualification des acteurs
En premier lieu, cet axe vise à identifier les situations de discrimination et
leur traitement. Cela représente une forte priorité, et se concentrera à la fois sur
les recrutements mais également sur les pratiques de mise à l’emploi des acteurs
de l’insertion et de l’orientation. Cela implique le fait qu’il n’est pas question de se
focaliser uniquement sur l’entreprise mais bien sur les intermédiaires, en
particulier sur les acteurs des missions locales et toute personne en relation avec
9 www.amnyos.com
38
les publics en situation d’insertion professionnelle. Une des actions proposées
consiste à désigner un « référent discrimination » au sein des structures
d’insertion. Par ailleurs, il est également préconisé de multiplier l’appui
d’intervenants extérieurs, de sociologues par exemple, dans le but de développer
cette qualification des acteurs. L’identification des situations de discrimination
doit à terme constituer une base de données qui répertorierait, entre autres, les
secteurs en tension et les besoins en compétences des entreprises, sur laquelle
tout acteur de l’insertion professionnelle pourra s’appuyer s’il en éprouve l’utilité.
Les partenaires sont donc présents sur l’ensemble du territoire.
Ensuite, il a été planifié d’organiser des sessions de formation, en
particulier dans le domaine juridique, à l’intention des structures accueillant des
publics. Il va donc s’agir d’organismes de formation et de Centres Sociaux, mais
également de l’ANPE ou des Centres communaux d’action sociale - CCAS -. Il
est donc ici question de former à la gestion de situations de discrimination.
Pour finir, cet axe prévoit une large communication autour des pratiques
de lutte, essentiellement dans le but de mobiliser les acteurs peu présents sur ce
champ. Cela se concrétise par des supports de communication, des articles ou
des colloques à destination des structures, partenaires sociaux et des acteurs
économiques. La communication autour de ce plan d’action est donc primordiale.
On vise plus particulièrement l’articulation des différentes opérations, des
différents plans locaux afin d’intégrer systématiquement la lutte contre les
phénomènes discriminatoires dans nos politiques de droit commun. Ainsi,
l’ensemble des acteurs institutionnels doit être sensibilisé et coordonné.
Intermédiation demandeurs d’emploi - employeurs
L’objectif général de cet axe est la prise en compte de trois parties. D’abord,
outiller les acteurs pour favoriser l’emploi, c'est-à-dire que ce plan prévoit
notamment de former les intermédiaires de l’emploi à l’utilisation de la banque de
profils ANPE, dans l’optique d’une préparation optimale des publics. Ces banques
de profils sont anonymes et consultables en ligne. L’autre grand point serait la
création d’une fonction ressource juridique pour toute structure susceptible de
solliciter des conseils.
39
Ensuite, l’accent est mis sur l’expérimentation. Des actions de recrutement
doivent ainsi être organisées en veillant à ce qu’elles bénéficient particulièrement à
des publics potentiellement discriminés. Ces actions se dérouleraient pendant la
semaine pour l’emploi par exemple, ou pendant l’été à l’occasion de
remplacements. Mais il convient, pour moi, de s’interroger sur la pertinence de telles
actions et des types de contrats qui pourront en découler.
Concernant les entreprises, un des objectifs du plan vise à modifier les
comportements de recrutement, notamment via la sélection par habiletés, ou par la
réalisation de profils. Il s’agit donc de résonner en terme de compétences. Ainsi, il
est prévu de constituer un argumentaire économique montrant aux entreprises
qu’elles ont tout intérêt à s’investir dans des recrutements diversifiés.
La mobilisation des publics
Ce dernier axe est tourné vers les victimes potentielles. Il a pour premier objectif
de favoriser leur expression. Il va donc s’agir de susciter le débat, en partie grâce à
des films et pièces de théâtre produits et diffusés. Tous les partenaires sont mobilisés
sur ce type d’action afin de libérer la parole et tenter ainsi de désamorcer des
comportements de victimisation ou d’agressivité. Notons qu’il a été question sur ces
points d’essayer de ne pas stigmatiser des personnes. Nous sommes tous conviés à
participer, il est d’ailleurs préférable que ce genre d’action se développe justement
dans la diversité. Il est en fait question de tenter de comprendre les différents points de
vue, d’objectiver des situations et d’être en mesure de mieux y faire face. Le premier
but est d’aider les publics à repérer des situations discriminantes, puis de trouver des
solutions. Il est prévu de diffuser des supports présentant des cas pratiques et
d’échanger sur les codes de l’entreprise.
Les jeux « DISTINCTION » et « SUCCES » 10 nous ont été présentés. Le
premier amène précisément les joueurs à s’exprimer au sujet des représentations. Le
second vise quant à lui à se familiariser avec l’entreprise et les secteurs porteurs. Ils
ont été proposés et présentés à l’ensemble du groupe de travail comme des outils
potentiels.
10 CF. ANNEXE 5, Présentation détaillée des jeux.
40
La plateforme Savoirs de base et emploi
Suite à la présentation de ce plan local, il m’a paru intéressant de décrire
brièvement un autre dispositif qui part plus ou moins des mêmes constats, à savoir le
travail en réseau et l’individuation, nécessaires à une démarche qualité. Cette action
prend vie sur un territoire différent, mais quelques acteurs sont identiques.
Issu d’une réflexion avec l’ensemble de ses partenaires, le PLIE du Forez a
proposé une offre de services individualisés permettant aux personnes en situation
précaire d’acquérir ou de perfectionner les savoirs de base linguistiques
nécessaires à leur accès voire leur maintien en emploi ou en formation. Ce sont le
GRETA et L’IFRA qui sont porteurs de l’action, l’ADFLP étant un partenaire, j’ai
suivi cette mise en place.
Le présupposé de base est que la maîtrise de la langue est essentielle à
l’emploi. La personne a besoin de s’exprimer, lire et écrire en français avec un
minimum d’aisance en situation professionnelle. Cette plateforme propose de
former dans l’optique de parvenir à maîtriser les quatre opérations et découvrir les
formes et les outils de communication utilisés régulièrement en entreprise - fiches
de poste, consigne de travail, fiche qualité, par exemple -. Ce serait en somme du
Français sur objectifs spécifiques.
Ainsi, le premier axe du dispositif consiste à sensibiliser les référents de
parcours et les opérateurs d’insertion sur le frein à l’emploi que peut représenter
une mauvaise maîtrise de la langue. Aussi, il est question de travailler sur la
sensibilisation en amont auprès des employeurs. Cette action travaille donc en
collaboration avec des structures déjà existantes. Justement, le but du dispositif
est de mieux connaître les actions et les partenaires existants pour mieux orienter
les personnes.
Il s’agit entre autres de conduire des diagnostics linguistiques à visée
professionnelle au service des bénéficiaires et de leurs référents de parcours, et
de construire avec eux un projet individualisé de formation linguistique, pour
envisager par la suite les conditions de sa mise en œuvre. Ces projets de
formation peuvent s’effectuer via un prestataire ou en direct, c'est-à-dire que le
bénéficiaire est dirigé vers une action existante si elle peut lui convenir. Dans le
41
cas contraire, une réponse spécifique peut être mise en place en interne, par le
GRETA ou l’IFRA. C’est donc logiquement l’usager qui est au centre des
préoccupations. Dans tous les cas, la personne est accompagnée et évaluée, en
vue d’un compte rendu aux référents. C’est un dispositif qui se veut souple, ce qui
doit permettre d’accueillir des personnes en emploi. C’est un des gros avantages
que présente cette action, il est question de travailler réellement en fonction de ce
dont l’usager a besoin. C’est en fonction de ses objectifs professionnels, de
l’environnement de son entreprise et de ses difficultés qu’un plan de formation est
élaboré. Dans le cas d’un public jeune, qui nous intéresse ici, il n’est donc pas
nécessairement question de « banaliser » une période pour se former, il est au
contraire tout à fait possible d’allier une formation avec un contrat. Face aux choix
formation linguistique ou emploi, le stagiaire n’hésite que rarement. L’idée de
création de la plateforme est née en partie de ce constat. Dans le même intérêt, un
employeur souhaitant diriger un de ses employés sur une formation va pouvoir l’y
adresser. Rappelons ici que depuis 2004, la maîtrise de la langue est validée
comme étant une compétence professionnelle. Ces formations linguistiques
peuvent donc se faire dans le cadre du DIF, d’autant qu’elles ne sont pas
rémunérées.
Tout public éligible au PLIE avec une priorité aux personnes ayant déjà
engagé un parcours d’insertion professionnelle peut être pris en charge sur la
plateforme. L’objectif visé est de 30 à 40 personnes tous les quatre mois.
Pour résumer, il s’agit d’une action individualisée. La « plateforme » sert à
diriger la personne vers une formation adaptée, ou propose de travailler « sur
mesure » si l’offre linguistique locale et l’emploi du temps de la personne ne sont pas
compatibles. Les contenus sont quant à eux clairement élaborés en rapport avec le
milieu professionnel de l’apprenant.
43
Origine du questionnement
Pourquoi s’intéresser précisément aux « variables » des parcours d’insertion ?
Je pars du constat que les parcours qui mènent de la formation à l’emploi diffèrent
d’une personne à une autre. Je me suis donc naturellement interrogé sur les raisons de ces
différences. Est-ce le résultat de la formation ? Est-ce que l’accès à l’emploi est déterminé
par un autre paramètre? Ne pourrais-je pas raisonner en terme d’obstacles afin de
comprendre pourquoi certains bénéficient de dispositifs spécifiques pour accéder à
l’emploi ? D’où viennent ces obstacles ? Est-ce l’entreprise qui ne veut pas de telle ou telle
personne, ou le contraire ? D’où vient cette difficile mise en relation du jeune et du monde
du travail ? Pourquoi cette relation est-elle si différente d’un jeune à un autre ? En sont-ils la
cause ?
Autant de questions qui me poussent à rassembler les différents éléments de
réponse que je possède : mes notes, les chiffres, des appuis théoriques sur l’insertion et
l’exclusion, la discrimination et la reconnaissance, afin de tenter de constituer une partie de
cette réponse que j’ai tant cherchée. Je découvre ainsi quelques éléments de réponse sur
le terrain, et d’autres en me documentant. Mais je dois bien admettre après quelques
semaines de recherche que le thème de l’insertion est traité bon nombre de fois, mais sous
un angle qui n’est pas celui que j’envisage. Soit il va s’agir d’ouvrages traitant de l’insertion
dont l’aspect général ne répond pas à mes attentes, soit les ouvrages définissent les
obstacles en question sans les relier nécessairement les uns aux autres. Je n’ai donc
rencontré aucun écrit publié abordant à la fois les dispositifs d’insertion, les publics en
recherche d’emploi et en difficulté, et les freins sur ces parcours pour accéder à un emploi
durable.
Le but de cette recherche, de cette réflexion, est avant tout la connaissance des
publics, de leurs problèmes éventuels et de leurs préoccupations. Les formations qui leur
sont proposées correspondent elles à leurs attentes et à leurs besoins ? Pourquoi ces
dispositifs existent-ils ? Quelles perspectives peuvent être envisagées ? Je me dois de
44
préciser qu’il n’est pas question ici de critiquer ou d’avoir la prétention de changer les
pratiques, mais « simplement » de tenter de décrire un fonctionnement complexe.
Les différents acteurs contribuent à ce fonctionnement mais aucun ne peut faire évoluer
l’ensemble s’il agit séparément. Cet ensemble peut néanmoins s’entrevoir sous une forme
tripartite si l’on considère les variables des parcours d’insertion caractéristiques et
engendrées par la formation, le public et l’entreprise. Lors de mes observations, j’ai relevé
plusieurs variables qu’il va donc s’agir ici de comprendre et d’analyser.
Je vais dans un premier temps essayer de définir ce que le concept d’insertion
englobe, puis de dégager les obstacles qui ralentissent ce processus – des freins donc – en
envisageant d’abord ceux pouvant être liés au public en insertion puis ceux inhérents à
l’entreprise et au marché de l’emploi. Le but que je vise est de parvenir à quelques montées
en généralité nous permettant d’émettre quelques hypothèses sur les incidences dans le
traitement de cette question.
45
INSERTION, DISPOSITIFS ET PARCOURS
Définition
« Le mot insertion émerge en même temps et de façon différenciée à côté
d’intégration bien qu’il s’en distingue par son sens même, puisqu’il est littéralement
plus neutre de s’insérer que de s’intégrer. En 1980, au moment où il n’est question
que d’interculturel, le terme intégration apparaît notamment avec la création du Haut
conseil à l’intégration - HCI -. Celui-ci semble répondre à une nouvelle logique
d’égalité. Cette politique innovante consacre la rupture avec le terme assimilation,
trop teinté du déni colonialiste « à la française » des dimensions culturelles
originaires qui contribuaient la plupart du temps à replier le migrant, sacralisant son
identité, vers l’espace clos du communautarisme »11.
Etymologiquement, il est intéressant de constater que insertio - en latin -
signifie « greffe »12 ; avec, de façon imagée, tout ce que cela véhicule comme le
« corps étranger » ou le « rejet » en cas d’incompatibilité.
Aujourd’hui au sens sociologique, l’insertion serait « un mode de gestion du
social d’une lutte planifiée contre l’exclusion13 », soit un ensemble de dispositifs
adressé à des personnes en situation précaire, en vue d’une adaptation à la vie
professionnelle et sociale mais toujours avec ce risque d’exclusion - de rejet -.
Ces mêmes dispositifs privilégient souvent soit la dimension sociale, soit la
dimension professionnelle. L’insertion professionnelle, mise en avant dans les
années 60, correspond à l’intégration au sein de la société. Elle vise d’abord l’accès
à l’emploi, à partir duquel il sera possible d’accéder aux différentes dimensions de la
vie sociale comme le logement. Dans les années 80, cette dimension sociale prendra
une importance de plus en plus conséquente.
11 BARAONA G. in ASDIFLE, Français et insertion, Cahier N°15. Paris, 2004.12 BAUMGARTNER E. & MENARD P. Dictionnaire étymologique et historique de la langue française, LaPochothèque, 2004.13 LORIOL M. Qu’est-ce que l’insertion ? Propositions pour la formalisation théorique d’une notion pratique.Sciences humaines et sociales, L’Harmattan, 1999.
46
Les parcours d’insertion
Defresne14 définit dans un premier temps l’insertion professionnelle de façon
large comme le processus d’entrée dans la vie active, ensuite comme un processus
de construction d’une qualification, dont la formation initiale n’a constitué qu’une
étape. Puis, « L’insertion professionnelle est le temps d’un apprentissage social des
rôles différenciés entre hommes et femmes sur le marché du travail ». Cela connote
une évolution des rapports sociaux. Selon elle il y aurait donc un processus de
socialisation, avec entre autre la constitution de nouveaux réseaux. Cela implique
également une évolution de la personne, puisque la notion d’insertion évoque à la
fois le passage d’inactifs en formation à actifs en emploi et de jeunes à adultes. C’est
donc « la clôture de la jeunesse […], on a accédé à une position stable sur le marché
du travail, on a réussi à former un couple stable »15. Ce qui va ici nous intéresser,
c’est exactement les difficultés rencontrées pour parvenir à cette stabilité,
professionnelle et sociale.
Le cadre national de référence16, établi par l’Agence nationale de lutte contre
l’illettrisme - ANLCI - précise que le parcours d’insertion est une période de transition
difficile à vivre. Les plus de 16 ans - en difficulté pour utiliser la communication écrite se
retrouvent « entre le monde scolaire dont ils se sont éloignés et le monde des adultes
et du travail dans lequel ils peinent à s’insérer ». Cette notion de « période de
transition » est bien évidemment différente d’un parcours à un autre, en fonction de
plusieurs variables que je tenterai de développer. Ce qu’il faut d’emblée préciser c’est
que cette insertion est un parcours plus qu’un état et que les paramètres relevant du
jeune mais aussi de l’entreprise ou à sa prise en charge par des actions d’insertion,
vont déterminer la période de transition et la « qualité » de l’accès à l’emploi. Cette
phase de transition est avant tout une période de précarité. En effet, la personne se
situe entre l’inactivité et l’emploi. Ce parcours n’est en aucun cas longiligne mais
ponctué de stage, chômage, formation, peut être même de travail au noir dans un cas
extrême. Cette option n’est pas à négliger, elle peut représenter la possibilité de
14 LEFRESNE F. les jeunes et l’emploi. Paris, 1998. La Découverte, 2003.15 MAUGER G, in les jeunes, l’insertion, l’emploi, PARIS, PUF, 1998.16 ANLCI, Lutter ensemble contre l’illettrisme. Cadre national de référence, 2003.
47
compléter des revenus, des indemnités. Je pense préférable de voir l’insertion comme
un parcours qui laisse supposer un enchevêtrement de situations d’autant qu’après
avoir travaillé quelques temps, la personne peut parfaitement retourner en formation.
Les emplois précaires sont définis par Jacques Denantes comme « la frange entre les
emplois stables et le chômage, correspondant à de faibles qualifications, peu
rémunérés, peu gratifiants et n’offrant que peu ou pas de perspectives de
progression »17. C’est apparemment vers des emplois précaires que sont sensés être
dirigés ces publics, d’où leur appellation publics « précarisés ».
Pourquoi des dispositifs et en amont des politiques d’insertion ?
Si l’on considère qu’effectivement nos politiques se basent sur une
philosophie universaliste, et qu’il est question de s’intégrer à notre société, la notion
d’insertion peut apparaître décalée. C’est en sorte un déficit d’intégration qui nous
conduirait à mener des politiques d’insertion, visant des publics ciblés. Ce serait donc
en d’autres termes des actions de discriminations positives dont il s’agit. Ce public
bénéficie d’une aide, comme le dit Castel, d’une « mise à niveau pour rattraper cette
distance par rapport à une intégration réussie ». Cette intégration réussie serait en
somme une scolarité « normale », doublé d’un logement décent et d’un emploi
stable.
L’emploi durable est, il est vrai, présenté comme un but à atteindre, comme un
élément sécurisant permettant un certain épanouissement et donnant les moyens de
subvenir à l’ensemble de ses besoins - d’un point de vue matériel du moins -. C’est un idéal
partagé en grande partie dans notre société, mais il est important de préciser, comme le dit
Abdelmalek Sayad, que cette vision du travail est historique et intériorisée, et qu’il existe
bien sûr d’autres modes d’insertion que par l’économie. Depuis que l’emploi est devenu un
« bien rare et d’une rareté probablement endémique, toute l’attention est focalisée à juste
titre sur ce point, ou plus exactement sur l’absence de travail, le chômage »18.
Dans ce paradigme, l’insertion est donc une préoccupation de taille et un
enjeu socio-économique devenu une priorité.
17 DENANTES J. Les jeunes et l’emploi, aux uns la sécurité, aux autres la dérive, Paris, L’Harmattan, 1991.18 SAYAD A, in les jeunes, l’insertion, l’emploi, PARIS, PUF, 1998.
48
Le conseil européen de Luxembourg a défini en novembre 1997 des objectifs
prioritaires en matière d’insertion concrétisés par un engagement des membres de
l’Union Européenne qui les ont intégrés dans des plans nationaux d’action pour
l’emploi. L’Europe montre une volonté évidente de lutter contre les exclusions
notamment via le FSE - Fond Social Européen -, principal financeur des dispositifs
observés.
19
Les objectifs deux et trois du FSE sont liés à la thématique de l’insertion.
L’objectif trois constitue l’essentiel des financements des actions en question dont
l’intitulé « soutenir l’adaptation et la modernisation des politiques et systèmes
d’éducation, de formation et d’emploi » englobe des thèmes relatifs à l’insertion et
connote la nécessité de s’adapter. Cette adaptation prend nécessairement en
compte la dimension locale, l’importance de l’activité de la Région, de son
dynamisme qui constitue l’objectif second 20 . Est aussi amplement connotée la
nécessité de modernisation des politiques, la recherche de solution à un problème
en perpétuelle évolution auxquels on peut trouver des éléments de réponses dans
diverses institutions – l’école, les OF… - mais aussi dans l’entreprise, créatrice
d’emploi. La mise en relation des différents acteurs apparaît comme une
harmonisation à atteindre, d’où le financement d’actions comme les plans locaux de
lutte contre les discriminations visant à renforcer l’entraide entre les différents
19 DRTEFP, Les chiffres clés. Travail, emploi et formation professionnelle en Rhône Alpes, 2005.20 CF. ANNEXE 6, Crédits attribués à l’Objectif 2, « Programme de reconversion économique et sociale deszones en difficultés structurelles ».
49
acteurs. En d’autres termes, l’école et les entreprises vont être de plus en plus
amenées à s’impliquer dans ce mouvement.
En Rhône Alpes, les priorités établies pour cet objectif sont basées sur la lutte
contre les phénomènes discriminatoires avec des crédits plus importants attribués à
l’égalité des chances et « l’intégration sociale ». Par rapport à ce qui a été stipulé
auparavant, il peut être utile de remarquer qu’ici, l’intégration fait partie constituante
d’une politique d’insertion. Vient ensuite la formation tout au long de la vie, qui
montre aussi la priorité accordée à la formation des personnes en emploi. En effet,
une personne en difficulté en ce qui concerne notamment les savoirs de base et dont
le poste évolue peut se trouver en grande difficulté face aux nouvelles tâches à
accomplir, liées à l’informatique par exemple. Ce phénomène explique en partie la
sollicitation constante des APP21.Il nous faut remarquer un crédit spécifique dégagé
visant à promouvoir l’égalité des femmes sur le marché du travail. Je m’attarderai
plus longuement sur ce point dans une partie qui lui est consacrée.
Ces politiques, ces mesures représentent un budget considérable – mais
jamais suffisant - pour tenter de répondre aux besoins des publics ciblés. Dans cette
lignée, il est intéressant de mentionner un paradoxe soulevé par Castel, 22 qui
remarque que dans une période de libéralisme et de « libération de l’entreprise,
jamais les interventions de l’Etat, en particulier en matière d’emploi, n’ont été aussi
nombreuses ».
Insertion, intégration, discrimination et socialisation sont des concepts
imbriqués. L’insertion revêt donc un caractère multidimensionnel et ne peut se limiter
aux champs de l’éducation, de la formation et de l’emploi. Des variables relevant à la
fois de la personne, de sa prise en charge et du contexte définiront la longueur et la
qualité de son parcours d’insertion.
21 CF. ANNEXE 7, Evolution du nombre de personnes formées en APP.22 CASTEL R, les métamorphoses de la question sociale, Paris, Folio essais, 2001.
50
La prise en charge des publics
Qui prend en charge les publics en difficulté d’insertion ? Quel en est le
contexte local ?
Les réseaux d’accueil des jeunes, missions locales et PAIO - Permanence
d’accueil, Insertion, Orientation - sont des structures décentralisées, coordonnées au
niveau national par la délégation interministérielle à l’insertion des jeunes. Elles sont
donc chargées d’accueillir les jeunes en difficulté et s’appuient sur la coordination
des acteurs locaux. Les organismes de formation sont donc sollicités pour articuler
formation linguistique - si besoin est - et insertion socio professionnelle. On constate
un fort taux de jeunes à très bas niveau de formation - environ la moitié -, qu’il va
s’agir de former en fonction des besoins qu’ils expriment. Ils vont ainsi être
positionnés sur des actions assurées par des organismes de formation.
23
Force est de constater que les positionnements se font principalement en
fonction des financements, des places disponibles sur telle ou telle action, mais aussi
du volume horaire attribué et de sa consommation. Il convient de connaître les
publics, bien sûr, mais en ce qui concerne les positionnements sur des dispositifs
d’apprentissage linguistiques à visée professionnelle, il est également préférable de
se renseigner sur les besoins linguistiques, les formations et méthodes proposées.
23 DRTEFP, Les chiffres clés. Travail, emploi et formation professionnelle en Rhône Alpes, 2005.
51
La question des formations de formateurs est bien évidemment primordiale, mais il
faudrait aussi souligner les besoins du côté des prescripteurs. Le minimum, pour une
entente entre les différents partenaires serait d’utiliser un vocabulaire commun. Il
ressort de mes observations que ce n’est pas toujours le cas. J’ai relevé plusieurs
confusions entre analphabètes et illettrés ou FLE pour FLS, ce qui montre bien des
lacunes concernant la typologie des publics chez des décideurs. Partant de ce
principe, l’intérêt de « plateforme »24 aiguillant au mieux ne se pose bien évidemment
plus.
Le code des marchés publics s'applique depuis 2001 au domaine de la
formation, avec obligation pour la collectivité de mettre les offres en concurrence.
Nous travaillons ici à l’aide de fonds publics, mais pas dans le Service Public.
Pour reprendre les termes de M. Lunas, la formation et les concours représentent un
« business ». Des structures plus scrupuleuses que d’autres vont participer à la prise
en charge des publics, c’est un fait. C’est un phénomène qu’il me semble intéressant
de soulever, du fait que nous nous situons ici au point d’articulation du social et de la
logique de marché. Le travail social est mis en concurrence ; cela signifie que la
structure qui prend en charge une personne peut elle-même constituer une variable
de son parcours d’insertion, de par la qualité de sa prestation.
La formation semble être un secteur très concurrentiel. Les « parts de marché »
se réduisent du fait qu’il y a de plus en plus d’offres, d’autant plus avec l'arrivée de
personnes dont le métier initial n'est pas forcément la formation. A l’heure actuelle, il est
en effet relativement aisé d’obtenir un numéro d’agrément, ce qui peut partiellement
expliquer la création et la disparition de nombreux organismes de formation.
25
24 CF. p40.25 DRTEFP, Les chiffres clés. Travail, emploi et formation professionnelle en Rhône Alpes, 2005.
52
Si l’on s’en tient aux chiffres de la Direction Régionale du Travail, de l’Emploi
et de la Formation Professionnelle, mille OF se créent chaque année en Rhône
Alpes et six cent disparaissent. Mais on peut néanmoins constater une augmentation
constante de l’offre de formation qui apparaît très nettement depuis 2001, année où
nous sommes passé du système de subventions au système d’appel d’offre, et où la
thématique de lutte contre les exclusions s’est placée au devant de la scène. Il est
alors permis de douter de la qualité de certaines des prestations fournies.
Le cas de l’ADFLP
En 2004, la Région et l'ANPE réunies apportent à hauteur de 43% des
revenus de l’ADFLP. Cette année, ces actions étant suspendues suite à une
décision du tribunal administratif de Lyon, la structure se retrouve dans une
instabilité exceptionnelle. En effet, sept organismes n’ayant pas été retenus sur cet
appel d’offre ont décidé de porter réclamation pour vice de procédure. Le prétexte
de l’action procédurière portait sur le fait que l’appel en question avait été émis via
internet. Ce genre de recours est toujours possible, et a ici entraîné l’annulation de
l’appel à projet sur l’offre linguistique de la Région.
Dans un contexte de crise comme celui-ci, deux formateurs ont dû être
licenciés. La plupart des salariés sont au chômage technique et travaillent avec
des emplois du temps fortement allégés, les conduisant jusqu’à ce que l’on
pourrait appeler « une situation précaire ». Nous pouvons réellement employer le
terme de « paralysie », puisque toutes les actions sont en suspend au moins jusqu’à
septembre 2006.
En avril, plusieurs formateurs et la coordonnatrice pédagogique de la structure
devaient intégrer un groupe de réflexion - LEADER 42.1 - afin de réfléchir autour de
problématiques communes, et ainsi de mutualiser des savoirs. Il est vite devenu
inenvisageable d’envoyer en formation du personnel que l’on peine à rémunérer.
Pourtant, dans un système d’appel d’offre, les compétences sont obligatoires et
influencent énormément les choix ; il faut du personnel de qualité et dans ce climat,
se séparer de formateurs rimerait avec perte de compétences, et par la même
occasion s’handicaper un peu plus.
Nous pouvons remarquer un certain manque d’engagement politique ; deux
niveaux distincts apparaissent en tous cas nettement, l’institutionnel et l’action sur le
53
terrain. Quoi qu’il en soit, les acteurs de la formation ressentent une remise en
cause de leur travail- peut être même du travail social en général –. Ils sont, comme
dans toute entreprise, victimes de la santé de la structure. Ce qui est assez
navrant, c’est justement de constater que ces acteurs de l’insertion sont eux-
mêmes en situation précaire sans qu’il y ait de décision prise afin d’aboutir à une
sortie de crise.
Le contexte local joue un rôle essentiel dans la prise en charge des
bénéficiaires des politiques d’insertion. Il se trouvait cette année dans un état de
paralysie, et les seules solutions qui peuvent être envisagées pour une éventuelle
amélioration résident dans le retour au système de subventions, l’emploi de
formateurs vacataires et le développement d’un autre marché.
Le problème du retour aux subventions reste le « copinage » et les problèmes
d’attribution dans un secteur soumis à une concurrence de plus en plus palpable.
L’emploi de formateurs vacataires permettrait de s’adapter aux fluctuations des
enveloppes et aux réponses d’appels d’offres. Dans l’état actuel des choses, cette
option peut être examinée. Il est certain que cela ne va pas dans le sens de la qualité et
des exigences du financeur, et la question des vacataires - intérim de la formation - se
pose, à savoir s’ils sont réellement en mesure de venir en aide à d'autres personnes
dans la même situation de précarité. Enfin, le développement du marché de
l'entreprise peut être envisagé. Si la question se pose de travailler dans le cadre des
fonds publics, la structure ayant développé des actions engagées sur le contrat de
professionnalisation et la formation continue en direction des entreprises, il y a de fortes
chances pour qu’elle se développe dans cette direction bien que cela ne soit pas la
volonté qu’elle exprime. On ne souhaite pas remettre en question l’activité historique de la
formation des publics en difficulté, c’est uniquement son financement qui pose problème.
Comment parvenir à un travail de qualité en tirant les prix au maximum ? Il y a là
une question qui doit alerter les décideurs et financeurs, car avec un contexte tel que celui
dans lequel nous évoluons, c’est la qualité du traitement de la question qui se voit remise
en cause.
La formation - la prise en charge de l’insertion socioprofessionnelle - s’inscrit
pleinement dans un univers complexe. Tout d’abord, on travaille avec de l’humain, ce
54
qui implique le fait qu’il faudrait viser l’individuation ; chaque parcours, chaque
histoire de vie, fait de l’usager du dispositif une personne à traiter de manière
adaptée. Les acteurs en ont tout à fait conscience, il faut, ou faudrait s’inscrire dans
une démarche de qualité, ce qui permettrait également de se démarquer des
nombreux autres OF. Paradoxalement, le contexte est tel qu’il ne permet pas de faire
autrement que de gérer l’urgence, en ayant recours à des solutions temporaires.
Cette articulation de logique de marché et du social crée ainsi un fort climat
d’insécurité, au sein duquel l’usager n’est plus vraiment au centre des
préoccupations. Gérer l’urgence signifie administrer le plus urgent, autrement dit les
emplois, tout en maintenant des relations saines avec les autres acteurs, les autres
structures se retrouvant dans une situation similaire ; mais c’est aussi redéfinir
constamment ses priorités, ses objectifs. L’objectif principal reste d’éviter de
sombrer, tout en gardant à l’esprit qu’il faut avant tout fournir un travail de qualité.
Le bénéficiaire est confronté en permanence à la « santé » de la structure qui
le prend en charge. Celle ci a nécessairement une éthique mais également des
impératifs auxquels elle doit se tenir. A titre d’exemple, si un atelier n’est pas jugé
« rentable » du fait qu’il fonctionne avec deux ou trois personnes, il est voué à la
fermeture. Si l’on se place du point de vue de l’opérateur, c’est une question de
survie, mais si l’on tente de se placer du côté du bénéficiaire, qu’en est-il ? On se
rend évidemment compte qu’il est le dernier maillon de la chaîne. De même, lorsque
le stagiaire se voit prescrire vingt heures par semaine - CAI par exemple - et que la
structure n’est en mesure de lui proposer qu’un rythme hebdomadaire de douze
heures, cela signifie qu’il restera plusieurs semaines en plus en formation. Ces
variables sont totalement indépendante de la volonté du bénéficiaire mais méritent
d’être soulignées. Le parcours d’insertion peut ainsi se voir rallongé pour des motifs
structurels qui relèvent alors des actions mêmes, mises en œuvre pour venir en aide
à l’usager.
55
FREINS LIES AU PUBLIC EN INSERTION
Aspect financier
Les revenus constituent clairement la première difficulté qui fait souvent que
d’autres en découlent. Cet aspect est à la fois lié au statut et à l’âge.
En 2001, seuls 33,5 % des jeunes chômeurs de moins de 25 ans étaient
couverts par l’assurance chômage. Les autres jeunes ne disposaient d’aucune autre
prestation sociale puisque le revenu minimum d’insertion - RMI - n’est pas accessible
aux moins de 25 ans. Le choix qui a été fait en 1988, consistant à fixer un seuil d’âge
à 26 ans afin de bénéficier du RMI résulte de la volonté de proscrire l’encouragement
de l’assistance, et de faire de l’insertion professionnelle le premier moyen de
subsistance pour les jeunes. Mais, compte tenu de la dégradation des conditions
d’insertion depuis les années 90, il est permis de douter de la pertinence d’un tel
argument26.
Dans le rapport Précarité et risques d’exclusion qu’il a remis en 1993 au
ministre des Affaires sociales, M. Chasseriaux a été conduit à « identifier les exclus à
partir des noyaux durs des neufs principaux dispositifs d’insertion que sont : les
titulaires du RMI sans solution d’insertion durable, les bénéficiaires d’un contrat
emploi solidarité, la population en stage de formation connaissant de grandes
difficultés, les jeunes de moins de 25 ans bénéficiant de dispositifs d’insertion, les
jeunes qui ne peuvent bénéficier des dispositifs d’insertion, la population SDF27, les
personnes se trouvant en situation d’illettrisme, la population incarcérée, les
personnes étant en situation de chômage de longue durée. »28 Il est important de
souligner ici pour le public observé, une certaine tendance à cumuler les facteurs
d’exclusion relatifs à l’âge, au dispositif, à la maîtrise de la langue, et que la totalité
ne perçoit pas le RMI.
26 LEFRESNE F. les jeunes et l’emploi. Paris, 1998. La Découverte, 2003.27 Sans Domicile Fixe.28 LAMARQUE G. L’exclusion, Que sais-je ? Paris, PUF, 1995.
56
Dans cette situation, une formation rémunérée - comme dans le cadre des
contrats CIVIS - présente le double avantage de participer à l’acquisition de
compétences et de constituer un revenu modeste, certes. En effet, face aux choix de
travailler ou d’intégrer une formation, il est presque évident que les jeunes n’hésitent
guère, et s’engagent plutôt dans la voie du travail, même si le contrat est précaire. Il
apparaît évident de tenter de résoudre ce problème financier en priorité, car les
revenus rendent possibles notamment les déplacements, l’accès au logement et
indirectement à la santé. Force est de constater qu’en cas de revenus insuffisants la
personne est « paralysée », et peut avoir recours au travail clandestin. Cette solution
peut en effet être considérée par les plus éloignés de l’emploi comme un
complément aux minima sociaux - s’ils en bénéficient -. Bien sûr, outre les dangers
qu’il comporte de par son non respect de la loi, il est un facteur supplémentaire de
précarité.
De la dépendance à l’autonomie
Selon le cadre national de référence de L’ANLCI, plus d’un jeune sur dix se
trouve en difficulté pour utiliser la communication écrite dans la vie quotidienne. Ce
sont environ 250 000 jeunes de plus de 16 ans à qui la société doit donner une
deuxième chance de renouer avec l’écrit 29.
Ce qui est avant tout visé, dans la formation des publics en difficulté, est bien
évidemment l’autonomie. La non maîtrise de l’écrit - lire, écrire - représente un
handicap pour la réalisation de toute démarche, mais ne sont pas les seules
compétences requises pour atteindre une réelle autonomie. Ainsi, le mot
« illettrisme » a peu à peu évolué vers « savoirs de base »30. Ce phénomène traduit
à la fois la volonté d’éviter la stigmatisation des individus, mais surtout d’élargir la
problématique au développement des compétences de base. La communauté
européenne entend par compétences de base « la lecture, l’écriture, le calcul, la
capacité à apprendre mais aussi les compétences en technologies de l’information,
la culture technologique, les langues étrangères, l’esprit d’entreprise et les aptitudes
29 ANLCI, Lutter ensemble contre l’illettrisme, cadre national de référence, Septembre 2003.30 CF. ANNEXE 8, Référentiel des huit domaines de savoirs de base.
57
sociales »31. C’est un degré de maîtrise minimum de ces compétences qui garantit
l’autonomie de la personne. Etre autonome face à la langue, c’est être autonome
dans l’ensemble des démarches entreprises, dans ses recherches et dans ses
déplacements.
L’un des freins majeurs à l’insertion professionnelle reste celui de la mobilité.
On trouve plusieurs explications à cela. Tout d’abord, l’absence de moyens de
locomotion propres ou l’absence de permis de conduire rendent dissuasifs les coûts
d’accès - ou de retour - à l’emploi et à la formation. Divers obstacles peuvent être
envisagés quant à l’obtention du permis de conduire, plus particulièrement au niveau
du coût qu’il engendre, ainsi qu’à la difficulté de le passer sans appartenir au monde
des lettrés. Vient ensuite le problème de l’acquisition d’un véhicule propre. L’aspect
financier s’ajoute à celui des compétences. Le cumul des deux rend la mobilité
presque impensable. De la même façon, les déplacements avec les transports en
commun peuvent représenter une dépense que le stagiaire n’est pas en mesure
d’assumer.
Envisageons aussi le cas où le jeune sans moyen de locomotion propre n’ait
pas la possibilité de se rendre sur son lieu de travail, car les transports en commun
n’atteignent pas la zone d’activité. Cela signifie alors qu’au-delà de la difficulté
d’orientation, financière, certains déplacements vers le lieu de travail sont
irréalisables sans véhicule propre.
Ce manque de mobilité constitue donc à la fois une entrave à la formation et à
l’insertion professionnelle.
Ce que j’ai également pu relever comme obstacle à la mobilité, ce sont pour
certaines jeunes filles des interdictions de sortir seule. C'est-à-dire qu’au-delà de la
capacité à le faire, certaines personnes n’en ont tout simplement pas « le droit ». Ce
phénomène ancré culturellement n’est pas à sous estimer car il écarte de l’emploi -
et de la formation - des jeunes filles qui en sont déjà éloignées. Il ne convient pas
d’essayer d’intervenir dans le milieu de la personne, qui relèverait plutôt de l’intime,
mais bien de tenter de trouver des solutions adaptées.
31 GEFFROY & GRASSET MOREL, L’illettrisme : mieux comprendre pour mieux agir, EssentielsMilan, 2005.
58
Quelques solutions envisagées
Lorsqu’un jeune est mis en relation avec les réseaux d’accueil - mission
locale, PAIO -, un conseiller l’assiste dans ses démarches et ses déplacements. Il
s’agit d’un étayage précieux au début du parcours d’insertion socioprofessionnelle,
mais il ne constitue qu’une aide aux déplacements les plus nécessaires, car une
réelle autonomie déboucherait sur la mobilité. Il convient de souligner cette nuance
qui peut exister entre déplacement et mobilité. Connaître le parcours de mon
logement jusqu’au centre de formation est un déplacement. La mobilité est acquise si
la personne est capable de s’orienter et de se déplacer seule. Cela implique
notamment de savoir se situer sur un plan, de pouvoir se diriger grâce à lui, et d’avoir
les moyens de le faire.
Dans la Loire, une association appelée Aide Auto 42 s’est créée pour aider les
personnes dans leurs déplacements. Ce genre d’association fleurit en France du fait
qu’il existe une réelle demande, mais cette innovation ne développe pas vraiment la
mobilité chez les jeunes en difficulté. Elles représentent uniquement, pour des
personnes n’étant pas assistées d’un conseiller, une aide au déplacement vers les
lieux de travail ou de formation, c’est à dire une issue intermédiaire.
La Formation Ouverte à Distance - FOAD - est une solution qui tend à se
développer. Elle règle en partie les problèmes de mobilité, et vise à développer
l’autonomie. En effet, même si la majorité du parcours de formation ne peut
s’effectuer qu’en présentiel pour les personnes les moins mobiles, ce système
permet tout de même l’accès à la formation. Les pratiques reposent sur le principe de
la relation « directe » avec l’apprenant « distant ».
Nous avons vu que dans le cadre des APP, la FOAD sera proposée d’ici peu
à Saint-Étienne. D’autre villes l’ont déjà adoptée et il peut être intéressant de se
pencher sur leur avis au sujet des retombées éventuelles qu’une telle offre de
formation peut avoir. Il est tout du moins utile de connaître l’avis des usagers.
A la question « Comment les apprenants réagissent-ils à l'usage d'un tel
outil dans leur parcours ? », deux formateurs nous répondent.
59
APP de Nancy « En bureautique, la prise en main de NetMeetingse fait lors d'un atelier spécifique et s'inscrit presque naturellement dans la suitedu programme. Le support de contenus pédagogiques y fait directement référence.Dans les autres matières, ce sont les formateurs ou accompagnateurs relais qui vontguider l'apprenant pour ses premières utilisations. Au moins, un suivi "traditionnel"est réalisé sur notre site principal de Nancy avant la mise à distance de la formation.
Nous avons eu beaucoup de problèmes d'instabilité au départ, quifaisaient réapparaître la notion de distance associée à des envies d'abandon pour lesapprenants et ne les encourageaient pas à utiliser l'outil. En résumé, NetMeetingn'est efficace que s'il se fait oublier. Depuis que la configuration est stable surtous les postes, l'utilisation ne pose aucun problème, même pour les publicsnéophytes ou réticents à l'idée de suivre une formation à distance, certainsappréciant même le côté « ludique » de la visiophonie. L'outil est par ailleursvalorisant dans le cadre de leur formation. Mais il n'est pertinent que pour unemédiation pédagogique inscrite dans un parcours d'autoformation accompagnéeindividualisée. II implique, au moins, un premier suivi « traditionnel », indispensable àla mise en place de la FOAD. La webcam ne permet une « reconnaissance » entrele formateur et l'apprenant que s'ils se « connaissent » déjà ! Tout au long de laformation, des moments en présentiel restent indispensables ».
APP de Gap « Pour cette formation bureautique, nous n'avons reçu quede bons retours à ce jour. Les apprenants parlent de bonne méthode. Ils sont fortementsurpris au départ du potentiel technologique, qu'ils oublient rapidement. Ilss'habituent à l'interface de communication au service de leur apprentissage avecmes commentaires et mes prises en main à distance synchrones. L'autoformationaccompagnée se déroule sans problème et sans déplacement, ce que les person-nes apprécient, car certaines auraient des difficultés financières pour payer lestransports ».32
La culture technologique apparaissant comme une compétence de base
requise, et de plus en plus sollicitée par l’entreprise comme par les stagiaires, ce
système semble donc cohérent sur certains parcours de formation.
Bien sûr, il ne s’agit pas de vanter les mérites de cette innovation. Comment
assister à distance une personne dans son parcours d’insertion sociale ? Personne
ne peut prétendre avoir la réponse. Ce qui reste néanmoins intéressant, c’est de
constater que face à des besoins croissants en formation, cet outil peut permettre -
gratuitement - de développer à la fois des compétences technologiques et des
contenus variés. Il est tout à fait possible d’envisager ponctuellement des cours de
langue à distance, comme le mentionnent les formateurs, si la demande existe. De la
même façon que des cours de français se déroulent « en langue cible », nous avons
ici la possibilité de travailler le contenu via l’outil même, et sans avoir à se déplacer
jusqu’au centre de formation. Disposer d’un ordinateur connecté à Internet, ce qui
32 ACTUALITE DE LA FORMATION PERMANENTE, n°193, Décembre 2004.
60
n’est pas possible chez tout le monde, peut se faire dans une structure de proximité -
MJC, Centre Social, entre autres -.
Cela reste une solution ponctuelle qui peut permettre d’accéder à la formation,
mais ne participe pas vraiment à l’insertion sociale de l’usager ne développant en
rien sa mobilité. Ce serait, de ce point de vue, un remède au symptôme plus qu’à la
source du problème. Il va ainsi s’avérer pertinent de déterminer de manière détaillée
les besoins du stagiaire. Via les APP, il s’agit de se calquer dessus, cet outil trouve
donc sa place dans la conception d’autres plans de formation.
Origine et environnement
Le logement
Il est indispensable de faire la distinction entre les difficultés rencontrées par
des personnes logées mais dont le logement n’est pas adapté ou constitue un frein à
l’insertion, et celles qui sont sans logement. Nous ne sommes pas ici sur une
problématique d’immigration clandestine, encore plus dramatique. Il est bien sûr
question de priorité, et le logement apparaît comme un besoin essentiel à la
poursuite de toute activité. Cet accès au logement, en fonction de la nationalité, de
l’origine et surtout des revenus n’offre pas les mêmes possibilités aux individus. Il est
naturellement plus difficile pour les jeunes, car comme pour l’accès à l’emploi, il faut
fournir des garanties et des preuves de revenus, ce qui implique la recherche d’un
garant, solvable et donc adulte. Le cumul des facteurs crée évidemment une forme
de dépendance.
Je tiens aussi à souligner le phénomène de stigmatisation dû aux lieux de vie
que peuvent connaître des jeunes habitant des quartiers dits sensibles.
Ce paramètre n’est pas insignifiant, et se situe bien en amont de l’emploi, ce qui
nous montre la complexité des variables ainsi que leur interrelation.
L’origine sociale
Mauger présente la jeunesse comme une phase de classements, qui vont
nous assigner à une position sociale. Ceux ci vont participer à notre acquisition d’une
61
position sur le marché du travail d’une part, sur le marché matrimonial d’autre part.
Sur le marché de l’emploi, ce classement s’opère « à travers les présentations de soi
qu’on exige dans les bureaux d’embauches, où on vous demande des références,
vos ressources, etc. »33.
L’origine sociale est elle même importante, puisqu’elle va permettre ou non au
jeune de s’inscrire dans un réseau. Si les parents ne sont pas en activité, les
chances d’accéder à un emploi ne sont pas les mêmes puisqu’il n’y aura pas de
réseau sur lequel s’appuyer. Dans ce cas, la seule possibilité offerte est de solliciter
les services de l’ANPE. Au-delà de l’influence que cette origine pourrait avoir à
l’intérieur du système scolaire, elle va en quelque sorte connecter des individus entre
eux, et lors de recrutement certains bénéficieront d’une position plus avantageuse.
Le principe du « piston » reste une chance évidente pour l’accès à l’emploi.
Laine et Okba,34 à partir de données rassemblées dans le cadre de l’étude
« génération 98 » prenant en compte l’origine géographique des jeunes, ont mis en
évidence l’importance de ces réseaux. En comparant l’orientation scolaire et
professionnelle des jeunes en fonction de leur origine, il apparaît « hautement
probable » que les parents d’origine d’Europe du sud privilégient - pour leurs enfants
- des métiers en raison du capital social qu’ils possèdent35. Toujours selon cette
étude, il apparaît que les parents d’origine maghrébine ne peuvent pas mobiliser
autant de ressources, soit parce qu’ils sont en « inactivité », soit parce que leur
situation d’actif dans la grande industrie ne leur permet pas de le faire. Force est de
constater la vulnérabilité sur le marché du travail des jeunes issus de l’immigration, et
plus particulièrement ceux des pays hors Union Européenne. Les publics observés
sont quant à eux entièrement composés de personnes de ce type, et à plus de 70%
de jeunes femmes.
Discrimination de genre ?
En s’attardant sur les chiffres concernant les bénéficiaires des dispositifs, on
comprend aisément que la question posée dans le titre n’en est pas vraiment une.
33 MAUGER G, in les jeunes, l’insertion, l’emploi, PARIS, PUF, 1998.34 LAINE & OKBA, Insertion des jeunes issus de l’immigration : de l’école au métier, Acte du colloque du1/04/2004.35 CF. ANNEXE 9, Origine, type de contrat et domaine professionnel.
62
Concernant les actions MAPI on a relevé cette année 60% de filles, l’année
dernière ce pourcentage s’élevait à 75. Les signataires du contrat CIVIS rencontrés
était à 71% des jeunes femmes. Le public de l’APP observé est féminin à près de
80%, et si l’on observe les chiffres du PLIE, la tendance reste la même. Les jeunes et
les femmes représentent à eux deux 81% des bénéficiaires.
36
« Bien que plus diplômées que les garçons, les jeunes filles connaissent
des trajectoires d’insertion plus incertaines. Si leur niveau de formation est peu
élevé, leur itinéraire d’insertion est plus chaotique que celui des jeunes
hommes37 ».
Leurs niveaux de salaire sont aussi plus faibles et les statistiques révèlent
à la fois des pratiques discriminatoires des entreprises ainsi que les
représentations des rôles féminins sur le marché du travail. Il s’agit bien
évidemment d’un « gaspillage de compétences »38.
39
36 DRTEFP, Les chiffres clés. Travail, emploi et formation professionnelle en Rhône Alpes, 2005.37 COUPPIE T. ; EPIPHANE D. Que sont les filles et las garçons devenus ? Orientation scolaire atypique etentrée dans la vie active, Cereq-bref, 200138 Compte-rendu de table ronde avec M.HAMDANI. Saint-Étienne, mai 2006.39 DRTEFP, Les chiffres clés. Travail, emploi et formation professionnelle en Rhône Alpes, 2005.
63
Concernant les femmes et l’emploi, on constate qu’elles sont à la fois
victimes des représentations dont elles peuvent faire l’objet et victimes de
représentations concernant des emplois dits « masculins ». Ce dernier fait
participe à leur bloquer l’accès à certains métiers, d’après des critères peu
fondés.
Les personnes immigrantes ou d’origine étrangère sont particulièrement
exposées aux risques de précarisation et de non accès à l’emploi. L’origine culturelle,
l’origine sociale, l’âge mais aussi le sexe participent activement à définir l’accès à
l’emploi. Les femmes d’origine étrangère font encore l’objet, selon Sabah Chaïb
d’une « double domination masculine et sociale qui repose sur le corps »40. Le corps
serait dans les représentations, un objet sexué chez la femme et une force de travail
chez l’homme. Ce point de vue peut expliquer en partie que les jeunes femmes
issues de l’immigration soient les plus discriminées. Ces jeunes femmes sont en
quelque sorte victimes de l’image qu’on a pu assigner à leurs parents, migrants. La
migration féminine a été, et est encore considérée comme une immigration de
conjointes. En France, les hommes sont apparus jusqu’à aujourd’hui comme les
acteurs principaux des migrations et ont été pensés comme tels. En 1999, 19,2 %
des femmes immigrées étaient employées essentiellement dans le nettoyage de
surface, rares segments où il leur est possible de trouver un emploi. Elles occupent
massivement des emplois disqualifiés et disqualifiants.41
Le sexe est donc une variable importante à prendre en compte ; c’est peut
être même la plus importante si l’on prend en compte le rôle de la femme dans la
vie de famille. En effet, après leur positionnement sur des actions suivies,
plusieurs jeunes filles ont accouché et on ainsi différé leur formation. Par la suite,
la jeune mère qui elle, veut intégrer une action, a l’obligation de trouver une
crèche qui puisse convenir à ses horaires. C’est un des motifs les plus récurrents
dans l’abandon des formations. Le statut de jeune et de femme doit aussi jouer
un rôle dans les recrutements, en rapport à la question de la grossesse.
40 SABAH CHAIB in les jeunes, l’insertion, l’emploi, GLASSMAN D. & CHARLOT B. PUF, Paris,1998.41 THAVE in LEFRESNE, les jeunes et l’emploi, La Découverte, Paris, 2003.
64
La prise en compte de cette variable dans la lutte contre les
discriminations paraît essentielle ; des fonds spéciaux sont d’ailleurs dégagés
afin de promouvoir l’égalité de la femme sur le marché du travail42. Leur insertion
paraît être un enjeu socio-économique si l’on considère, comme nous le verrons
plus loin, que d’ici 2015 les secteurs en tension seront très demandeurs de main
d’œuvre féminine. Les politiques tentent de faire dépasser ces représentations
pour à la fois subvenir aux besoins du marché et pour rétablir une égalité, les
jeunes femmes souffrant de plusieurs discriminations et stigmatisations
constituant autant d’obstacles à leur insertion.
Aspect comportemental
Je définirais le « comportemental » à la fois comme l’attitude face aux
apprentissages et comme la capacité d’adaptation aux normes qui entourent
l’apprentissage et le travail.
La dimension comportementale est une « clé » de la réussite dans la
démarche d’apprentissage. Quelle attitude adopte le stagiaire face à cet
enseignement, face aux nouvelles perspectives qui lui sont exposées ? L’apprenant
reste l’acteur principal de son évolution vers le savoir et l’emploi, mais se retrouve
inévitablement déstabilisé lors de son entrée en formation. Nous avons pu remarquer
sur les dispositifs observés que la « restauration de l’image personnelle » et « la
confiance en soi » constituent des éléments quasi indispensables à la formation. De
par son histoire de vie et les violences sociales dont il a pu être victime - dans son
passé scolaire notamment -, l’apprenant est conduit jusqu’au centre de formation.
Si l’environnement positif est nécessaire pour faire vivre un projet, dans la
plupart des cas, « ce qui va provoquer l’action en elle-même, autrement la décision
d’agir, ce sont les évènements malheureux ». « Les prises de décision concernant
l’entrée en formation sont directement liées à la prise de conscience de la
nécessité de s’en sortir »43.
42 CF. p48.43 MANIER E. Comment l’histoire de vie déclenche ou freine l’envie d’apprendre, CRI 26.07,
65
Ce qui a été un frein peut devenir un élément déclencheur. C’est dans ces
conditions qu’arrive le stagiaire, d’où la dimension importante que revêt l’étape
d’accueil quant à la suite du parcours.
Cet élément est inévitablement pris en compte dans les plans de formation, et
c’est de lui que va dépendre « l’adaptabilité » du stagiaire. Adaptabilité aux ateliers,
aux horaires, aux règles de vie de la classe et plus largement aux conditions d’accès
et de maintien dans l’emploi. Il faut garder à l’esprit que pour un public jeune n’ayant
pas intégré le monde du travail, la « culture d’entreprise » n’est pas acquise et il faut
par conséquent réfléchir sur ce que peut être le respect des horaires, de la hiérarchie
ou encore des règles de l’entreprise après l’avoir présenté.
« L’apprenant est conduit à adapter ses représentations, à les ajuster en
fonction de la nouvelle réalité qu’il perçoit. Nous retrouvons ici l’idée de plasticité
des représentations. Les représentations constituent la clé du déclenchement mis
en œuvre par l’apprenant »44. On peut avancer l'hypothèse que l'adaptabilité d'une
personne repose en partie sur son image de soi, sur ses représentations d'elle-
même et de l’apprentissage.
Il est par contre permis de douter de l’efficacité et de la pertinence des
sanctions mises en place pour réguler l’absentéisme. Tous les dispositifs observés
ont mis en place des sanctions pour développer une certaine rigueur chez les
stagiaires, mais compte tenu de la mobilité réduite de certains, cette mesure pourrait
en somme devenir un prétexte d’exclusion. Le dispositif qui ne tiendrait pas compte
de l’ensemble des variables irait malheureusement à l’encontre de sa vocation.
Il est aussi question ici de rapport au travail. Il apparaît logique que les jeunes,
issus de courants migratoires différents et en l’occurrence de cultures différentes,
n’aient pas le même rapport au travail. Il est possible d’en considérer trois
dimensions : la dimension instrumentale et matérielle tout d’abord, qui se réfère au
travail comme source de revenus, la dimension sociale qui recouvre les sociabilités,
et les formes de reconnaissance sociale et leur dimension symbolique45. Dans le cas
des jeunes filles, ce point est accentué car le travail des femmes est perçu très
44 MAUBANT « Apprendre pourquoi ? Apprendre comment ? » in Cycle Apprendre, 2003.45 FASILD, « Migrations et rapport au travail » in Femmes d’origines étrangères, Documentationfrançaise, Paris, 2001.
66
différemment dans les cultures d’origine. Les dimensions privilégiées sont donc
différentes et culturellement ancrées. Notons que ce rapport au travail est souvent
modifié, dégradé lorsque l’accès à l’emploi se complique. La personne peut se
décourager face aux phénomènes discriminatoires par exemple, et son rapport au
travail s’en retrouve bouleversé. Encore une fois, remarquons combien tous les
facteurs sont fortement liés entre eux.
« La formation n’est qu’une aide éventuelle par rapport au processus
d’évolution ou acquisition d’une réponse comportementale nouvelle qu’est
l’apprentissage et reste le fait de l’apprenant »46.
Pour résumer, la confiance en soi et la capacité d’adaptation - intimement
liées aux publics en question - constituent des variables non négligeables des
parcours d’insertion qu’il s’agit de prendre en compte et de développer avant
d’entreprendre toute autre démarche.
Les formateurs observés expriment en conséquence toute la gratification
que méritent les stagiaires et développent par la même occasion des relations
affectives. L’individuation des apprentissages est en effet souvent perçue comme
relevant de l’affectif. Ils tentent de créer de bonnes conditions d’apprentissage
tout en approchant au maximum la personne. Il s’agit de construire un cadre
d’apprentissage différent de celui qu’on pu connaître les stagiaires. D’une part,
ce ne sont plus des enfants ; d’autre part leur passé scolaire ne leur a pas
toujours laissé de bons souvenirs. Même si les apprenants peuvent considérer la
formation comme une « deuxième » école, ils ne souhaitent pas du tout se
retrouver face à ce qu’ils ont déjà vécu. Leurs goûts, leurs envies sont
énormément pris en compte. Ils ont bien évidemment une vie sociale en parallèle
qui n’est pas non plus laissée de côté, par le biais de questions anodines. « Quel
âge a ton fils ? » Ils se dévoilent ainsi peu à peu et se motivent. On tente avant
toute chose de faire appel à leur intelligence, ce qui passe par ces étapes de
mise en confiance, de recherche de motivation et donc d’individuation. Ce travail
s’effectue également en grande partie par la prise en compte des compétences
des stagiaires et la mise en valeur de leurs acquis. Mais force est de constater
46 BERBAUM J. Apprentissage et autoformation, PUF, 1994.
67
que ces mêmes acquis n’apparaissent pas aux yeux des stagiaires comme des
compétences « valables » sur le marché de l’emploi. A titre d’exemple, les
langues qu’ils peuvent maîtriser sont rarement prises en compte et selon moi, ce
point mérite que l’on s’y attarde.
La langue
J’aimerais ici développer deux points en rapport avec la langue, en tant que
variable influant sur le parcours d’insertion. Tout d’abord, en relation avec ce qui
vient d’être dit, la prise en compte des compétences langagières des apprenants me
paraît essentielle. Puis je me dois d’aborder dans un second temps la question de la
maîtrise de la langue face à l’emploi, élément qui apparaît comme un facteur décisif
pour l’accès ou le maintien dans l’emploi.
La non reconnaissance des compétences langagières
La posture adoptée dans les formations linguistiques observées naît du
constat que les apprenants ne maîtrisent que partiellement « la » langue. Se limiter à
ce constat signifie se limiter à prendre en compte la langue cible. Or, l’ensemble des
stagiaires rencontrés ne sont pas « partiellement monolingues » mais bien, comme la
plupart des Hommes, plurilingues. Concernant le plurilinguisme sur les parcours
d’insertion, il est légitime de se questionner sur l’intérêt de sa prise en compte et sur
sa prise en compte effective. Nous partirons de l’hypothèse que le déficit linguistique
ralentit le processus d’insertion, et que la non maîtrise de la langue française est
même un facteur d’exclusion et donc que langue(s) et insertion sont intimement liées.
Sur les dispositifs d’insertion que j’ai pu observer, deux situations se
présentaient. La plupart des apprenants relevaient du FLS, les autres cumulaient
apprentissage du français et apprentissage de l’écrit. Ils étaient ce qu’il est convenu
d’appeler des « petits FLE ». Bien souvent, ces jeunes proviennent de cultures à
transmission orale - rom - et sont en total décalage avec ce qui peut leur être
proposé. La totalité de ces ateliers se déroule en langue cible, en français. Pourtant,
j’ai relevé plusieurs emplois d’autres langues. Tout d’abord, lors d’explications entre
68
eux, les stagiaires s’aident en langue maternelle. Ces occurrences sont intéressantes
parce qu’elle permettent d’éclairer des points « horizontalement », et de plus, la
langue surgissant l’espace d’un instant, elle s’en retrouve valorisée. Aussi, dans une
approche comparative des deux systèmes linguistiques, l’acquisition est plus aisée
pour certaines personnes. Parallèlement, certains tentent de communiquer en
anglais. Ils le font souvent à la pause, ou à voix basse - il n’y a pas de plages
aménagées pour ça -. Cela prouve qu’il y a tout de même une envie d’apprendre, et
peut être un besoin de s’ouvrir sur d’autres langues. Rappelons de plus que « les
langues étrangères » apparaissent dans la liste des savoirs de base.
Si l’anglais est inévitable sur la plupart des postes de travail - langage des
machines, consignes de sécurité, informatique… - pourquoi aucune place n’est faite
à l’anglais sur ces ateliers d’insertion?
Si une personne doit (ré) apprendre l’écrit, pourquoi ne pas développer un
goût pour les langues en introduisant aussi quelques mots d’anglais, de sa L1, ou de
langues étrangères ? Les bénéficiaires de ces dispositifs étaient en grande partie
arabophones ou originaires des pays de l’Est, à l’exception de l’une d’entre eux qui
venait de Guyane et maîtrisait très bien l’anglais. Cette jeune fille a obtenu un stage
dans le secrétariat d’une entreprise de transport grâce à ses capacités dans cette
langue. La qualification ici n’a pas beaucoup pesé, - niveau 5 - la langue étrangère
était bel et bien l’argument qui a convaincu le recruteur.
Le français est la seule langue dans ces ateliers. L’explication de cette règle
se situe au niveau du formateur. En effet, une configuration bilingue de la classe ne
peut normalement fonctionner sans formateur bilingue ; de plus, cela n’apparaît pas
dans les cahiers des charges des dispositifs en question. Mais surtout, le français
conserve le monopole car on doit constater chez les acteurs de la formation, une
vision utilitaire de la langue. C’est une explication qui m’est apparue suite à mes
observations. C’est aussi ce qui explique qu’ils n’éprouvent pas le besoin de se
référer aux L1, il n’y en a pas l’utilité immédiate à cela. Nous nous inscrivons
pleinement dans une logique d’apprentissage de notre langue, ce qui permet
d’accéder le plus vite à l’emploi. A partir de là, nous pouvons conclure qu’il s’agit de
Français sur objectif spécifique - FOS -. La langue est un outil, sa non maîtrise freine
l’insertion certes, mais quel est le point de vue, quelle est la motivation que peut avoir
un apprenant qui a déjà mal vécu son passé scolaire ? Est-ce vraiment lui donner les
clés de l’insertion ? En relation avec la recherche de motivations déduite plus haut, il
69
me paraît essentiel de développer l’estime de soi, à travers la reconnaissance des
langues maîtrisées et leur prise en compte, en évitant de raisonner
systématiquement par rapport à la langue non maîtrisée. Peut être qu’une
configuration bilingue - type ELCO - et l’aménagement de plages horaires dédiées
aux langues étrangères permettrait de développer un goût pour la langue, et
permettrait de s’écarter du seul aspect utilitaire. Dans les années 80, dans le but de
favoriser « l’insertion » dans les classes, on enseignait aux nouveaux arrivants les
langues et cultures d’origine - ELCO -, sans doute avec une approche de la culture
très axée sur la différence. Il pourrait s’avérer judicieux à présent de continuer dans
cette lignée, tout en conservant la langue première comme un référent, et non
comme différente. Cela permettrait surtout de consolider, ou de ne pas oublier la L1,
mais redonnerait un prestige égal aux langues considérées. Une réelle centration sur
l’apprenant supposerait effectivement de le considérer dans sa globalité, en
s’appuyant à la fois sur son environnement et sur ses acquis antérieurs. Cela
représenterait même un danger, un risque non négligeable de déstabilisation, à
considérer la personne qui entre en formation comme une personne sans histoire ou
sans savoir-faire.
En ce qui concerne les anciens pays colonisés, tenter de comprendre cette
situation à travers l’histoire peut s’avérer utile. Claude Brevan confirme cette
hypothèse. Affirmant que « le regard porté sur la langue d’origine face à des
populations étrangères n’est pas du tout le même selon qu’on franchit ou non la
Méditerranée. Notre passé colonial imprègne encore inconsciemment notre attitude
face à des langues qui ne seraient pas des langues reconnues au même titre que la
nôtre, sans que ça ne soit jamais dit, jamais exprimé47 ». Le second axe de réflexion
que je souhaiterais lever se situe au niveau même des langues. Celles des migrants
sont parfois dialectisées, voire des langues dans lesquelles aucune alphabétisation
n’a eu lieu. Peut-être cette situation joue-t-elle un rôle dans le statut des langues, sur
la valeur et l’utilité qu’on peut leur attribuer. De plus, nous les comparons sans cesse
au français, qui lui renferme des grands clichés de la littérature. Ensuite, il semble
utile de prendre conscience à quel point on nous incite peu à les reconnaître. Nos
politiques s’investissent à défendre les langues régionales ou le français dans le
47 BREVAN C. in Français et insertion. ASDIFLE, cahier n°15. 2004, Paris.
70
monde, en ne considérant que très peu les langues d’origine des populations
migrantes. C’est à un certain degré d’ethnocentrisme qu’elles se heurtent.
Cette situation engendre un sentiment de « déclassement » concernant les
pratiques d’embauche sur lequel je reviendrai ultérieurement.
En conclusion, il me semble judicieux de se demander comment accompagner
des publics en difficulté sans chercher des éléments de valorisation ? En ce qui me
concerne, les langues ou dialectes acquis antérieurement constituent une partie de
leur identité. Il convient de prendre appui sur ces savoirs non négligeables en tant
qu’éléments de valorisation, mais également d’ouverture pour l’ensemble des
membres de la classe. En parallèle, dans la formation initiale, les langues sont
valorisées à tel point qu’elles représentent sur le marché du travail un atout
considérable, du moins lors du recrutement. Pour les personnes qualifiées, ces
langues maîtrisées font partie intégrante de leur CV. En ce qui concerne les
personnes peu qualifiées, il n’en est rien. Je n’ai constaté aucun appui sur les
compétences langagières préexistantes.
La langue et l’emploi
La non maîtrise de la langue est inscrite dans les contrats de ville de manière
égale dans les thématiques de l’éducation et de l’emploi - 22% -. Seulement, elle
apparaît dans 8 % des cas dans la thématique de l’insertion sociale et
professionnelle. L’emploi reste donc le thème prédominant. Viennent ensuite les
thèmes de l’intégration - 17% -, du lien social - 11% -, de la culture - 9% - et de la
lutte contre les exclusions - 6% -48.
La non maîtrise de la langue est un terme vaste, qui englobe plusieurs cas de
figure comme l’illettrisme, l’analphabétisme ou l’acquisition en cours du français en
tant que langue étrangère ou seconde.
Selon le Groupe Permanent de Lutte contre l’Illettrisme, « on considère
comme relevant de situation d’illettrisme des personnes de plus de seize ans ayant
48 BREVAN C. in ASDIFLE, Français et insertion, Cahier N°15. Paris, 2004.
71
été scolarisées et ne maîtrisant pas suffisamment l’écrit pour faire face aux
exigences minimales requises dans leur vie professionnelle, sociale, culturelle et
personnelle. Ces personnes, qui ont été alphabétisées dans le cadre de l’école, sont
sorties du système scolaire en ayant peu ou mal acquis les savoirs premiers pour
des raisons sociales, familiales ou fonctionnelles, et n’ont pu user de ces savoirs
et/ou n’ont jamais acquis le goût de cet usage. Il s’agit d’hommes et de femmes pour
lesquels le recours à l’écrit n’est ni immédiat, ni spontané ou aisé, et qui évitent et/ou
appréhendent ce moyen d’expression »49. Ce phénomène est donc par définition un
obstacle à l’insertion socioprofessionnelle car il représente une entrave à la notion
d’autonomie définie auparavant.
L'illettrisme reste un sujet encore tabou dans le monde du travail. Pourtant,
AGEFOS50 estime à près de 50% les entreprises qui auraient au moins un de
leurs salariés dans cette situation. On estime que ce phénomène concerne 7 à 9
% de la population française51. Parmi les jeunes qui se présentent aux journées
d'appel de préparation à la Défense qui remplacent désormais le service militaire
et concernent garçons et filles depuis 1998, 6,4% des jeunes ont été repérés en
situation d'illettrisme en 2001. Dans la majorité des cas, il ne s'agit pas d'un
illettrisme profond, 2 à 3 % seulement des personnes ne parviennent pas à
reconnaître un mot isolé. Mais lire un texte, en ne le comprenant pas ou mal
ajouté à une mauvaise maîtrise de l'écrit, constituent des handicaps certains pour
exercer pleinement sa citoyenneté, ou pour occuper un poste de dans une
entreprise, - même s’il ne nécessite que peu de qualifications - et en particulier
pour faire face aux nouvelles exigences d'autonomie.
Il est important de remarquer que l’illettrisme ne concerne pas uniquement
des jeunes français sortis du système scolaire, mais également des personnes
en emploi. Ces salariés ont développé ce qu’il convient de nommer des
« stratégies de contournement ». Ils évitent l’écrit et se construisent un
capital de connaissances nécessaire à leurs activités sans pour cela maîtriser les
savoirs de base - jamais acquis ou oubliés -. C'est souvent à l'occasion d'une
rupture que ces stratégies trouvent leur limite - licenciement, changement de
poste, nouvelle organisation du travail, mise en place d'une démarche qualité,
49 Définition de l’illettrisme selon le GPLI, 1995, cours de Mme Anne Vicher.50 www.agefos-pme.com51 AGEFOS Pme et ANLCI - Contre l'illettrisme in Entreprises et Formation, Juillet - août, 2002.
72
nouvelles règles d'hygiène et de sécurité - que l'on découvre le « problème »52.
On peut également souligner le fait que les entreprises s'investissent
relativement peu dans ce domaine, car les dispositifs d'aide sont en effet peu
sollicités. En revanche, depuis 2004, la maîtrise de la langue étant reconnue
comme une compétence professionnelle, le droit à la formation permet de palier
aux besoins linguistiques des salariés.
Ensuite, concernant les personnes dont le français est en cours d’acquisition,
le problème se rapproche de ce premier cas de figure, mais présente néanmoins des
différences, en raison du fait que la personne combine acquisition du français en tant
que langue seconde et illettrisme par exemple. Ce cas, rencontré notamment avec
les jeunes roms, est assez problématique. Il éloigne en effet les jeunes de l’emploi
car ils ne maîtrisent ni l’écrit, ni l’oral, ou du moins trop peu pour pouvoir faire face à
des situations professionnelles courantes. L’autres cas de figure serait problématique
de par le degré d’acquisition de la langue qui n’est pas suffisant mais l’est beaucoup
moins quant à la formation pouvant être envisagée pour répondre aux besoins. De
plus, la personne évoluant dans un univers francophone, la rapidité d’acquisition est
incomparable. Il nous faut remarquer que pendant ce qu’il est convenu d’appeler
« l’immigration du travail », beaucoup de migrants ont appris la langue sur leur lieu
de travail sans que cela puisse poser trop de problèmes. Il convient ici de s’attarder
sur la spécificité du travail aujourd’hui.
A l’heure actuelle à quels emplois ai-je accès sans maîtriser les savoirs de
base ?
La réponse est instantanée : pratiquement aucun. Et c’est de là que naissent
les dispositifs de formation à visée professionnelle. Il est important aujourd’hui de
tenir compte de la transformation du contenu même du travail et de la quasi-
disparition du travail manuel. Selon Josiane Boutet, on assiste conjointement à :
- La transformation des dispositifs de production par la robotisation et
l’informatisation des postes de travail par les nouvelles technologies de
l’information ;
52 AGEFOS Pme et ANLCI - Contre l'illettrisme in Entreprises et Formation, Juillet - août, 2002.
73
- L’évolution des modes de gestion des salariés remettant en questions les
organisations tayloriennes ;
- La modification des modes d’organisation de la production à travers des
pratiques comme la gestion en flux tendus, les normes de qualité et de
certification. 53
Toutes ces modifications dans l’organisation du travail ont pour conséquence
directe de faire appel à la communication - écrite et orale -, à la rédaction de
multiples documents et à l’interprétation d’écrans d’ordinateurs. Non seulement cette
évolution rend l’accès à l’emploi plus délicat, mais fonctionne comme facteur
d’exclusion pour les personnes maîtrisant le moins les savoirs de base - en emploi
ou non -.
Les métiers porteurs, susceptibles d’accueillir les jeunes les moins qualifiés,
demandent un certain nombre de compétences - dont la maîtrise de la langue - en
vue d’effectuer des tâches précises. La formation met l’accent sur les points les plus
usuels dans les métiers en question, et s’approche par conséquent des méthodes du
FOS. A titre d’exemple, quelqu’un se dirigeant vers le secteur du bâtiment va
nécessairement suivre une formation sur la numératie, travaillant ainsi les mesures,
les plans et tout en développant le vocabulaire le plus usité dans ce secteur. Il faut
noter que la formation de base ne se limite pas à une dimension strictement
linguistique, mais bien à l’usage de la langue en contexte - social, professionnel -.
Son enseignement doit être en prise avec la réalité.
Pour conclure ce point, je souhaiterais souligner le fait que la maîtrise partielle
de la langue française constitue un autre instrument de discrimination. Ainsi, dans un
entretien hypothétique avec un futur employeur, les ex-stagiaires MAPI sont invités à
présenter la formation qu’ils ont suivi sans trop insister sur le versant linguistique
qu’elle propose. Cela pourrait être une source de discrimination qu’il faut en
quelques sorte « camoufler » le plus possible, d’après les conseils de fin de
formation donnés aux stagiaires MAPI FLE.
53 BOUTET J. « Enjeux du langage dans le travail actuel » in GPLI, Illettrisme et monde du travail,Documentation française, Paris, 2000.
74
La formation initiale
La formation peut logiquement apparaître comme un facteur décisif dans
l’accès à l’emploi. Les publics prioritaires sur les dispositifs observés sont peu
qualifiés - niveaux V bis et VI - et intègrent à ce titre une formation qui constitue une
remise à niveau des savoirs de base. C’est donc une variable importante des
parcours d’insertion socioprofessionnelle, et il peut être intéressant de réfléchir sur
son adéquation avec le marché de l’emploi.
54
D’un point de vue statistique, il est clair que les publics les moins qualifiés ne
constituent pas la plus grande partie des demandeurs d’emploi, bien au contraire.
Dans la Région Rhône Alpes, la part la plus importante des jeunes demandeurs
d’emploi revient aux jeunes ayant suivi un cursus public court et professionnalisant -
niveau V -, dirigé vers les APP -. Ceci peut expliquer cette « file d’attente » : nous
sommes peut être face à une triple insuffisance : d’expérience, de formation, et
d’adéquation avec le marché. Il est difficile pour un jeune de combiner formation
adéquate et expérience, puisque par définition il n’a pas eu le temps de s’en
prémunir. Par ailleurs on observe une demande croissante de formation de la part
des employeurs, comme nous le verrons par la suite. Le problème soulevé ici
concerne la transition difficile entre formation et emploi.
Les jeunes rencontrés sur les actions d’insertion voudraient dans l’ensemble
que ces dispositifs équivaillent à une formation diplômante. Hormis ceux dont le
projet élaboré leur assure un emploi - c'est à dire dix stagiaires sur les deux
54 DRTEFP, Les chiffres clés. Travail, emploi et formation professionnelle en Rhône Alpes, 2005.
75
dernières années - tous ont prévu d’intégrer une autre formation55. Ce qui ressort de
leurs dires, c’est le besoin d’obtenir un titre, qui ferait bonne impression sur leur CV,
en France ou pour un éventuel retour dans leur pays d’origine. Notons en effet que
face aux difficultés d’insertion rencontrées, un des stagiaires m’a confié qu’il pensait
à « rentrer en Algérie », mais qu’y rentrer avec une qualification lui assurerait
certainement « un bon emploi ». De façon plus générale, la compensation des
manques de leur formation initiale apparaît comme besoin évident pour la majorité
des stagiaires. En ce qui concerne les six stagiaires désirant intégrer une autre
formation à l’issue du MAPI FLE, ce stage leur a permis de se découvrir, d’identifier
leurs carences et leurs compétences. A présent, ils souhaiteraient obtenir un titre qui
sanctionnerait et mettrait fin à leur parcours de formation. Force est de constater que
ce besoin maintient dans la formation pendant parfois plusieurs années. A titre
d’exemple, une stagiaire signataire du CAI a obtenu 300 heures de formation
linguistique l’an passé, a intégré l’action MAPI cette année et prévoit pour la rentrée
de se préparer aux tests AFPA qui lui ouvriraient les portes d’une ultime formation.
Ces dispositifs d’insertion représentent donc pour la grande majorité des
bénéficiaires, au-delà d’un étayage pour accéder à l’emploi, l’opportunité d’accéder à
une formation qualifiante.
En France, nous l’avons vu, le chômage des jeunes dépassent de loin celui de
leurs aînés. A titre comparatif, le cas de nos voisins allemands est intéressant, dans
la mesure où le taux de chômage chez les jeunes est identique à celui des adultes.
Taux de chômage des 15 - 24 ans56
1979 1983 1993 1995 1997 1999 2000
Allemagne
15-24 ans 4 11 7.6 8.5 9.9 8.5 7.7
France
15-24 ans 13.5 19.7 24.6 25.9 28.1 26.6 20.7
55 CF. p 2556 Source OCDE, in Les jeunes et l’emploi, DEFRESNE F. Découverte, Paris, 2003.
76
Le système dual allemand
L’existence de systèmes nationaux d’insertion peut expliquer des différences
aussi significatives entre deux pays voisins. L’Allemagne a mis en place en 1969 un
« système dual », qui consiste à former les jeunes dans l’emploi57. Ce système est
appliqué à l’ensemble des secteurs d’activité économique et concerne les deux tiers
des jeunes. Ils reçoivent une formation dans une entreprise - qui les rémunère - et
bénéficient en parallèle de quelques heures de formation théorique. C’est en réalité
le métier qui tient lieu de niveau de qualification, contrairement à la France où l’on
retient le niveau de diplôme. Le système dual favorise l’insertion professionnelle des
jeunes, car l'élève se transforme progressivement en salarié qualifié. La transition
formation/emploi est ainsi une articulation simplifiée et plus logique. D’autre part, le
jeune n’a pas le statut de stagiaire, très répandu en France et le fait de s’insérer tôt
dans l’entreprise présente le double avantage d’acquérir une expérience et de se
constituer un réseau. Une fois le diplôme obtenu, le jeune est en principe recruté par
l'entreprise qui l'a formé ; s’il ne l’est pas, une entreprise du même secteur sera
forcément intéressée par cette personne qualifiée. C’est en quelque sorte les
besoins du marché local qui pilotent l’orientation et la formation.
Ce système est dit « multi partenarial » du fait qu’il implique fortement
l’entreprise - notamment financièrement - aux côtés des partenaires sociaux. Cet
exemple nous montre - statistiquement - que la formation initiale et son articulation
avec le monde de l’entreprise sont des variables décisives quant à la durée et la
qualité de l’insertion professionnelle.
57 CF. ANNEXE 10, Système dual Allemand.
77
FREINS LIES À L’ENTREPRISE ET AU MARCHE DU TRAVAIL
Les pratiques d’embauches
C’est à partir de 1997 que l’on commence réellement de s'intéresser à l'égalité
de traitement dans la gestion des ressources humaines. Il est question à la fois de
droit, de qualité et d'éthique. L'égalité de traitement devrait être la règle et la
discrimination l'exception. Le marché du travail devrait logiquement mettre les
candidats en concurrence, il s'agirait ainsi d'avoir le ou la meilleure candidate. Ce qui
est normalement visé, c’est de trouver une adéquation entre un profil et un poste,
mais la discrimination remet tout cela en cause.
En France, le principe d'égalité est passionnel, mais il y a distorsion entre le
principe et son application - dans l’accès à l’emploi, par exemple -. La démocratie
encadre juridiquement l'égalité de traitement. Dans un État de droit il faut remplir des
conditions pour rentrer dans un cadre qui donne accès à des droits. La discrimination
frappe justement ces personnes dotées de droits et de compétences.
Lors d’un recrutement, on analyse et élimine la personne ne remplissant pas
les conditions d’admission. Il y a tout d'abord mise en concurrence, puis sélection, et
enfin choix. Pour un Curriculum Vitae - CV - au contenu égal comportant seulement
quelques détails qui diffèrent, les réponses du recruteur changent du tout au tout.
A titre d’exemple, ce comparatif établi58 sur des CV envoyés. Un homme sans
raison d’être discriminé reçoit 75 réponses. A ses côtés, un homme habitant un
quartier sensible n’en reçoit que cinquante, quelqu'un au visage disgracieux trente
trois, une personne au nom à consonance maghrébine quatorze et un handicapé ne
reçoit que cinq réponses, sur soixante-quinze CV envoyés. Les chiffres parlent d’eux-
mêmes. Nous constatons assez aisément que la discrimination est une réalité, et que
l'égalité de traitement en France est reléguée au rang d’exception.
Selon la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité -
HALDE -, les principaux critères de discrimination à l’embauche résident dans
l'origine, l'âge, le sexe, les mœurs, les comportements, l'apparence physique,
58 Comparatif établi par la HALDE et communiqué par M. HAMDANI lors de la table ronde du 31 mai2006.
78
l'appartenance ou non appartenance, vraie ou supposée à une ethnie, une race, une
nation. Viennent ensuite l'orientation sexuelle, la situation de famille, l'activité
syndicale ou mutualiste, l'état de santé, le handicap, l'opinion politique et les
convictions religieuses.
Les compétences comportementales prennent une place accrue dans les
pratiques de recrutement, dans cette relation de face à face. Il ne faut pas non plus
ignorer les pratiques discriminatoires à l’embauche dans les secteurs à faible
qualification, en tension, où vont postuler la majorité des publics en difficulté
d’insertion. Ces critères présentés vont lors d’un recrutement pouvoir se cumuler
face à un employeur - peu scrupuleux -. Ainsi, une jeune d’origine immigrée et
résidant dans un quartier dit sensible, peut souffrir d’une quadruple stigmatisation
dans son accès au marché du travail, de par son âge, son sexe, ses origines et son
lieu de vie. Ce cumul des difficultés rend, dans cette logique, l’accès à l’emploi
pratiquement impossible. Si l’on ajoute à ces caractéristiques un niveau de formation
peu élevé, quel avenir peut envisager cette jeune ? Notons ici qu’un diplôme ne
protège pas de la discrimination.
Concernant le niveau de formation, de nombreuses entreprises pratiquent
aussi la surqualification à l’embauche et pénalisent ainsi les publics les plus éloignés
de l’emploi. A plusieurs reprises, les référents de parcours se sont plaints de ce fait.
Des sociétés ou entreprises qui pouvaient auparavant accepter de prendre des
stagiaires le refusent aujourd’hui. Il en va de même pour les postes à créer. Le motif
mis en avant est le faible niveau de qualification et le manque de diplômes, alors que
ces postes n’en nécessitent pas dans l’absolu. A titre d’exemple, les sociétés de télé
prospection, qui engagent des personnes pour démarcher par téléphone recrutaient
au niveau bac et refusent aujourd’hui de le faire en dessous du BAC+2. Le CHU -
Centre Hospitalier Universitaire – entre également dans cette catégorie, puisque
pratiquant la surqualification alors qu’il était un terrain de stage potentiel jusqu’il y a
peu. Les possibilités d’embauche pour les moins qualifiés s’amenuisent ainsi peu à
peu en raison de cette pratique.
Disons, de façon large, que les discriminations dans l’accès à l’emploi et la
surqualification constituent la non reconnaissance de compétences et de savoirs
professionnels ou sociaux. Cela signifie qu’il existe alors pour certaines
79
entreprises des « critères d’insertion » 59 et de désinsertion. Face à ce fait,
existe-t-il des mesures, des sanctions ?
La discrimination sur les parcours d’insertion risque de mener à l’exclusion.
A partir de ce constat, plusieurs programmes d’insertion financés en partie par le
FSE s’inscrivent dans le cadre de la loi visant à lutter contre les exclusions de
juillet 1998.
La création de la HALDE
Tous les pays de l’Union Européenne ont transposé une directive suite au
traité d’Amsterdam -1997 -. La HALDE résulte donc avant tout d’une exigence
communautaire. En 2002 cette autorité est créée par M. Chirac. Elle se compose
d'un collège - une instance délibérative dont la nomination est politique -, et d'un
comité consultatif. La haute autorité propose plusieurs services, notamment le
traitement des réclamations effectué par des juristes, et détient depuis les émeutes
de 2006 un pouvoir de sanction. Son budget s’élève à 10,7 millions d'euros par an.
Cette année, elle a traité pas moins de 1822 réclamations. Dans le traitement de
notre problématique, il est intéressant de constater que pour les jeunes, dans le
cadre des plaintes, les principales discriminations concernent l'emploi et les stages,
le logement, les loisirs et enfin les services publics qui représentent à eux seuls 18,3
% des réclamations60.
Dans tous les pays, l'emploi est au coeur de la question, pas seulement en
France. Par rapport à un recrutement, une évaluation ou « examen d'embauche »
réalisée n'est pas ou ne doit pas être un jugement. De ce fait, la haute autorité joue
souvent un rôle médiateur à ce sujet ; elle oriente des dossiers mais elle en a aussi
transmis une vingtaine au parquet.
D’un point de vue politique il existe un paradoxe résidant dans le
développement de mesures visant à faciliter l’accès à l’emploi via des
propositions récentes, type CPE. Les politiques de l’emploi chez les jeunes se
placent effectivement entre la volonté de « mettre en activité » des
59 ASDIFLE. Français et insertion. Introduction. Cahier N°15. Paris, 2004.60 www.halde.fr
80
« inemployables » et les besoins du marché de l’emploi. Ces besoins semblent
très nettement avoir plus d’influence sur l’orientation de ces politiques, car ce qui
est proposé aux moins de 26 ans sont de manière générale des postes à durée
déterminée - camouflés -. Ces mesures facilitent les recrutements, mais en
aucun cas l’accès à un emploi stable, puisque par définition il vise le premier
emploi, l’acquisition « d’expérience ». Cela nous place encore une fois face à une
proposition de transition vers l’emploi, et par déduction, face à la précarité.
La majorité des jeunes rencontrés n’ont pas fait la grève pour protester
contre ces mesures, d’une part parce qu’il étaient tenus de se présenter chaque
jour en formation, et d’autre part parce qu’étant souvent dans des situations de
cumul des variables mentionnées plus haut, ils n’ont pas accès à l’entreprise.
Ainsi, pendant plusieurs entretiens informels, je les ai sentis partagés entre le
désir de voir une solution nouvelle les concernant et un désintérêt, qui peut
s’expliquer par leur focalisation sur leurs problèmes les plus urgents.
Discrimination positive
Les dispositifs d’insertion sont une forme de discrimination positive envers des
publics ciblés, auxquels on donne une formation pour tenter de compenser un
processus inégalitaire. Mais il s’agit donc de transposer nos principes égalitaires vers
ce qui s’apparente à de l’équité. Cette discrimination positive se base sur critères
socio-économiques, les plus pauvres ou les plus éloignés de l’emploi étant
logiquement les plus aidés. Mais lorsque l’on évoque cette question de discrimination
ethnique à l’embauche, il devient impossible de pratiquer « plus » de discrimination
positive, d’une part parce que notre Constitution nous l’interdit, et d’autre part parce
que cette mesure apparaîtrait comme fortement créatrice d’ethnicité. Nous pensons
ainsi bon de ne pas la mettre en œuvre, pour bien sûr éviter de stigmatiser les
personnes qui en « bénéficieraient ». Voilà ce qui pousse Simon Wulh à conclure
que la discrimination positive « à la française, n’impose aucune exigence de
transformation en profondeur visant à établir des processus plus égalitaires […]
qu’elle n’agit certes pas sur les mécanismes fondamentaux de l’injustice, mais qu’au
moins elle en limite les effets négatifs »61 . Au jour d’aujourd’hui, les dispositifs
61 SIMON WULH, Discriminer oui mais mieux, in LIBERATION - vendredi 16 Septembre 2005.
81
d’insertion ou contrats aidés et les ZFU - Zones Franches Urbaines - constituent la
seule discrimination positive favorisant l’emploi. Il est ici question de discriminer
positivement un public et un territoire, à l’aide d’abattements de charges pour les
entreprises créatrices d’emploi, mais les critères ethniques ne sont en aucun cas pris
en compte.
Les plates-formes de vocation
Le plan national de cohésion sociale prévoit la création de « plates-formes de
vocation » destinées à favoriser l’insertion des jeunes sur les métiers en tension et
les secteurs porteurs. L’évaluation, l’orientation et l’évaluation des jeunes s’effectuent
à partir de la méthode de recrutement par simulation - MRS -. Cette méthode de
recrutement est aussi appelée « par habiletés » ou « méthode Lemoine ». Le but de
ces plates-formes est de faciliter l’embauche des jeunes les moins qualifiés et de
répondre par la même occasion à un besoin de l’entreprise. Les jeunes en contrat
CIVIS notamment sont systématiquement aiguillés vers les métiers en tension grâce
à ce principe. C’est une innovation qui permet donc de sortir des pratiques
traditionnelles de recrutement - CV, entretiens - en « proposant » un candidat à
l’entreprise. Il est évident que l’avantage principal de la méthode de recrutement par
habileté est de faciliter l’accès à l’emploi des personnes non diplômées, mais elle
permet surtout de passer outre les questions de discriminations à l’embauche. Du
moins, lors du recrutement un jeune qui postule et que l’on évalue est « un » jeune
dont on validera ou non les qualités. On doit tout de même constater qu’il existe des
pré requis pour la grande majorité des postes, et les savoirs de base ne sont donc
pas écartés aussi facilement. En effet, en ce qui concerne les métiers en tension, il
faut souvent être capable de maîtriser les mesures et savoir remplir des fiches
qualité et/ou des rapports. Cette innovation n’enlève en rien la nécessité de maîtriser
les savoirs de base pour accéder à la plupart des emplois.
C’est une équipe ANPE qui analyse le poste et identifie les habiletés requises,
évalue les candidats et les présente à l’employeur, évitant ainsi de voir un jeune
candidat refusé sur les seuls critères du diplôme ou de l’expérience. De plus, les
habiletés n’apparaissent pas sur le CV des candidats, alors qu’elles sont
théoriquement ce qui intéresse l’entreprise. Nous allons voir que les secteurs en
tension éprouvent des difficultés à recruter de la main d’œuvre. Cette méthode doit
82
donc permettre de lutter à la fois contre les discriminations à l’embauche et contre la
surqualification, dans l’intérêt de l’entreprise mais surtout dans celui du jeune
candidat.
Les métiers en tension
Les secteurs, les métiers susceptibles d’accueillir un public faiblement qualifié
s’avèrent être ceux qui ont des difficultés de recrutement depuis plusieurs années. Il
en va ainsi pour l’hôtellerie, la restauration, le BTP, l’entretien, les transports, la
mécanique, l’agriculture, le travail des métaux, la banque, les assurances et les
ELS – employés libre service –, principalement 62 . Avec le départ des « papy
boomers », les besoins en main-d'oeuvre vont s'accroître de façon très
significative d'ici 2015, mais pas dans tous les secteurs. Selon la Dares et
le Commissariat général du Plan, à l'origine du dernier rapport sur l'avenir des
métiers, ce sont les secteurs liés aux services qui créeront le plus d'emplois.
« En partant d'une hypothèse de croissance médiane
de 2% par an sur la période 2005-2015 et d'une baisse du taux de
chômage de 7,5% d'ici 2012, le nombre de départs de l'emploi serait de
600 000 par an et les créations nettes d'emploi de 150 000 par an »63.
Quinze métiers concentrent ainsi 50% des besoins. Apparaissent en tête les
assistantes maternelles et aides à domicile avec 411 000 postes, puis les agents
de service et d'entretien avec 364 000 postes à pourvoir.
L’hypothèse première qui peut être émise met en cause leur faible attractivité.
En effet, ces métiers sont peu gratifiants, et souvent les contrats proposés dans les
secteurs porteurs n’équivalent pas la difficulté du métier. Les différents dispositifs
mettent en oeuvre, notamment via des stages, des actions qui visent à « découvrir
des métiers » et à en changer l’image, les représentations que peut avoir le jeune au
sujet de ces emplois. Face à leurs difficultés de recrutement, les métiers en question
62 CF. ANNEXE 11 « les plus gros recruteurs de la Région en 2005 ».63 www.travail.gouv.fr
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tentent aussi de faire évoluer les conditions de travail mais restent néanmoins
victimes de leur image. Les jeux évoqués dans la première partie du rapport ont
justement été élaborés pour participer à cette évolution des représentations. Il y a
donc un autre constat qui s’impose : les entreprises se font des représentations
faussées sur certains jeunes qui postulent, mais ces mêmes jeunes ont également
une vision biaisée de certains secteurs.
Voice une autre hypothèse pouvant être émise pour tenter d’expliquer cette
attractivité. L’ARTT - aménagement et réduction du temps de travail -, autrement dit
« les 35 heures » a créé un déséquilibre sur le marché du travail entre les grandes
entreprises et les plus petites. En effet, ces dernières ne peuvent pas toujours
s’aligner sur les horaires de travail et proposent ainsi des contrats différents. Cette
théorie reste mineure par rapport aux autres mais constitue tout de même un
élément de plus concernant les représentations dont il faut tenir compte, un élément
de réponse sur la difficulté de mise en relation des deux parties.
La « solution » qui a pu être trouvée pour tenter de convaincre à la fois le
jeune et l’employeur est l’avantage financier, le jeune qui se dirige vers ces
emplois en tension se voyant effectivement attribuer un crédit d’impôt. Nous
comprenons assez aisément que pour quelqu’un qui n’a pas toujours les moyens de
subvenir à ses besoins, l’argument financier peut faire pencher la balance.
« Certains secteurs d’activités sont dits porteurs car ils
sont constitués de métiers dans lesquels il existe une difficulté de
recrutement. De ce fait un décret de août 2005 a prévu, pour le recrutement
de jeunes dans des métiers appartenant à une liste déterminée, la
possibilité de bénéficier d’un avantage fiscal. »64
Les jeunes de moins de 26 ans qui choisissent de travailler dans un métier
connaissant des difficultés de recrutement ont ainsi l’opportunité de bénéficier
d'un crédit d'impôt de 1 000 euros au maximum. Il faut aussi préciser que de
nombreuses aises sont proposées aux employeurs pour intégrer au sein de leur
entreprise des jeunes « en difficulté d’insertion ».
64 www.anpe.fr - espace jeunes.
84
Concernant les jeunes en contrat CIVIS, à titre d’exemple, s’ils intègrent
une entreprise d’un secteur en tension, leur salaire est pris en charge jusqu’à
90% via des contrats aidés. Les mesures financières, incitatives, poussent les
jeunes sans projet à se tourner vers ces secteurs connaissant une pénurie, sans
qu’ils ne disposent vraiment d’un choix réel.
Peut-être faut-il se demander ce qu’est le travail pour l’Homme, après tout,
est-ce un travail alimentaire que l’on recherche ou est-ce un certain épanouissement
qu’il s’agit d’atteindre ? Passer huit heures par jour dans un lieu, face à une tâche qui
nous convient, c’est bien ce qu’il faut viser. Ce que j’entends aussi par « emploi
durable » c’est un poste que l’on s’imagine occuper durablement. Comment obliger
quelqu’un à passer le plus clair de son temps dans des conditions qu’il déteste ?
Cette direction revêt tout de même un aspect pessimiste, mais il convient de réaliser
qu’avoir accès à l’emploi est une chose, mais quel emploi, et surtout quel emploi si
l’on peut uniquement choisir ce dont les autres ne veulent pas ? L’exemple d’une
stagiaire MAPI semble pertinent à rappeler. Après avoir choisi plusieurs stages qui
ne lui convenaient pas, elle décide de se lancer dans ce qui lui plaît depuis toujours,
la coiffure. Le projet étant perçu comme « peu réaliste », elle est convoquée aux
côtés de son conseiller mission locale, de l’équipe pédagogique et de sa sœur, pour
tenter de l’en dissuader. La coiffure n’est pas un secteur en tension et elle nécessite
une formation de base pour pouvoir exercer. Elle n’est donc pas sensée y avoir
accès. Au terme de l’action elle continuera avec obstination dans cette optique, mais
personne ne l’encourage ni ne la soutient.
Les cahiers des charges des dispositifs suivis spécifient tous qu’il convient de
diriger les bénéficiaires vers les secteurs porteurs. Un travail sur les représentations
des métiers est lancé, les stages sont tous dans les domaines en tension et les
projets sont nécessairement établis par rapport à un réalisme concernant le marché
du travail. Il nous est alors possible de définir ce « réaliste », employé à plusieurs
reprises. Est réaliste un projet basé sur une motivation à s’insérer vers un secteur en
tension.
Si l’on entrecoupe les données concernant les projets de stagiaires, on se
rend bien compte que tous sont aidés, orientés pour « coller » au mieux aux besoins
85
du marché de l’emploi65. C’est donc l’insertion professionnelle vers les secteurs
porteurs qui sous-tend l’ensemble des dispositifs observés.
Il s’agit d’articuler deux échelles : d’une part celle des savoirs et des aptitudes
et d’autres part celle des besoins de la société. L’orientation est le processus qui
prépare cette articulation, et l’insertion est le moment ou l’articulation s’accomplit66.
Autrement dit, il existe des tensions à résorber. Il apparaît dramatique de voir le
chômage augmenter et de constater que plusieurs dizaines de milliers de postes
restent à pourvoir. Ceci est bien évidemment à mettre en relation avec la thématique
d’immigration choisie, mise en avant par le gouvernement.
Ce point peut donc venir contraster l’idée reçue selon laquelle le niveau de
formation est le facteur principal de cette tension à résorber, puisque si l’on
considère les emplois porteurs, il ne s’agit pas – dans leur majorité – de postes
exigeant un haut niveau de formation.
Cette articulation, cette orientation est beaucoup plus complexe et ne saurait
par conséquent être simplifiée à ce point. Nous l’avons vu plus haut, l’accès à
l’emploi et les parcours d’insertion sont parfois déterminés par des variables qui ne
se limitent pas au seul niveau de formation. De plus, certaines personnes ne peuvent
ou ne souhaitent pas s’insérer professionnellement dans l’immédiat, et cherchent à
intégrer d’autres formations. En voulant schématiser cette situation, les pyramides
adopteraient plutôt la forme suivante.
65 CF. p 25.66 GLASSMAN D, CHARLOT B, Les jeunes, l’insertion, l’emploi. Paris, PUF, 1998.
86
Compte tenu des ces différents éléments, on arriver à la conclusion qu’il
n’est pas question d’égalité des chances, mais bien d’équité. L’égalité dans
l’accès au travail est loin d’être conclue, mais dans quels emplois serait on le
plus susceptible de l’atteindre? Clairement ceux que personne ne veut occuper.
Les différents dispositifs d’insertion observés, hormis les APP, semblent être
élaborés pour former – insérer – les jeunes en difficulté(s) vers les secteurs
porteurs. On constate que les secteurs de la banque et des assurances ne sont
pas à leur portée, et qu’un jeune menant à bien l’action d’insertion a uniquement
accès aux emplois listés plus haut. S’il soumet un autre projet, ce dernier est
considéré comme irréaliste, ce qui peut expliquer en partie les nombreux
abandons de jeunes sur les actions d’insertion.
Les contrats
Le développement de l’emploi temporaire explique que les moins de 26 ans
apparaissent dans une grande proportion des recrutements. En contrepartie, cette
situation accroît leur vulnérabilité : près de quatre embauches de jeunes sur cinq se
font sur contrats à durée déterminée67. Ainsi, en 2002, un jeune homme sur deux est
67 MARCHAND ; MINNI ; THELOT. La durée d'une vie de travail, une question de génération ? Recueild'études sociales 1998, n° 14.
87
ouvrier et plus d’une jeune fille sur deux est employée68. En effet, au début du
parcours d’insertion et en raison du manque d’expérience, beaucoup acceptent des
contrats précaires ou des emplois moins qualifiés. Cette rotation de la main d’œuvre
est un indicateur pertinent de précarité. Pour certains jeunes, les turbulences de
l’insertion se traduisent par des phénomènes de précarisation à la fois précoces et
durables69.
En effet, il apparaît logique que ces processus de précarisation et de discrimination
engendrent des pertes quand les personnes se voient contraintes de recommencer
toujours dans un travail différent. Durant mon parcours, j’accepte des contrats courts
et divers de par leur nature variée et de par la tâche à laquelle il m’assigne. Il n’y a
pas de cumul d’expérience dans la mesure où je m’adapte sans cesse. Selon
Sennett, « il y a perte de ressources et de savoir quand les carrières ne se
construisent pas autour d’un principe de cumulativité »70. Il en va de même pour les
dispositifs observés. Ces actions ont su « remobiliser » les jeunes par rapport aux
horaires, à la langue, à leur projet, mais s’il n’y a aucun débouché ils perdent leurs
acquis. Ils se déconcentrent en quelque sorte avec les changements de statuts.
La multiplication des statuts, et les différences de rémunération selon ces
statuts représentent au mieux des opportunités d’insertion temporaire, mais rarement
une porte vers l’emploi durable. Le cas évoqué ici est celui du stage. Dans le milieu
de la formation on nomme « stagiaires » les bénéficiaires des actions d’insertion. Ces
apprenants peuvent et doivent sur leur parcours trouver des stages, ce qui n’est pas
au départ une chose aisée. La référente de l’action fait souvent jouer son réseau
pour pouvoir placer les « stagiaires sans stage ». Ce qui est en parallèle, assez
incroyable, c’est que ces mêmes entreprises appellent parfois la référente quand
elles ont besoin de main d’œuvre. Je prends pour exemple la période des soldes.
Une boutique de prêt-à-porter, sachant qu’elle va se retrouver face à une d’activité
exceptionnelle, ne fait pas appel à un employé intérimaire mais à un stagiaire. Ce qui
est proposé aux jeunes c’est donc de rentrer en stage afin d’y travailler comme s’ils
étaient rémunéré. Cet abus de la part de l’employeur est largement pratiqué sans
qu’on ne puisse l’encadrer. Il est vrai que pour une personne sans expérience, cela
68 INSEE, Enquête emploi 2002.69 LEFRESNE F. les jeunes et l’emploi La Découverte, Paris, 2003.70 Idem
88
peut représenter l’opportunité de se familiariser avec le fonctionnement de
l’entreprise et de découvrir un milieu normé, s’en imprégner et se faire sa propre
opinion. Mais si par la suite aucun contrat n’en découle, il y a là aussi un élément
déstabilisant pour l’ex stagiaire qui se situe toujours dans la frange de précarité.
Comme vu précédemment, les stagiaires sont dirigés vers les secteurs en
tension, leur proposant des postes parfois difficiles, qu’ils refuseront d’occuper par la
suite. Ils vont ainsi s’orienter vers un autre emploi porteur et ce premier stage n’aura
que peu de valeur, car court et sans adéquation avec la nouvelle postulation. Si un
contrat est proposé, dans la grande majorité des cas, il s’agit d’un contrat à durée
déterminée qui par définition ne situe pas le jeune dans une position confortable. A
l’issue de ce contrat, les jeunes se retrouvent souvent en situation de chômage de
durée variable, suivant leur niveau de qualification, leur âge, leur possibilité de
mobilité, leur situation familiale, mais aussi suivant les potentialités du contexte
socio-économique local où ils effectuent leur recherche d’emploi. N’ayant pas de
réseau sur lesquels s’appuyer, ils sollicitent les services de l’ANPE. Ce genre de
contrat provoque une sorte de démotivation, l’impression légitime que les
compétences acquises ne sont pas prises en compte.
1991 1997 2000
15-29
ans
Plus de
30 ans
15-29
ans
Plus de
30 ans
15-29
ans
Plus de
30 ans
Hommes
Femmes
930
810
1250
960
1020
870
1400
1070
1070
920
1450
1140
Source : INSEE 71
D’un point de vue statistique, on peut remarquer qu’il existe un fort décalage
entre les générations et entre les sexes dans la rémunération. Cela s’explique en
partie par les types de contrats proposés.
Selon le contrat qui est proposé, la personne ne reçoit pas le même salaire et n’a pas
le même « poids » dans l’entreprise, elle n’est pas perçue de la même façon si elle
est intérimaire ou en CDI. Souvent, les tâches qui lui sont confiées ne sont pas les
mêmes non plus. En ce qui concerne les avantages que peut percevoir un employé à
71 INSEE, Enquête emploi, 2002.
89
long terme - comité d’entreprise, participation aux bénéfices… -, ils participent à la
sécurité, développe un sentiment d’appartenance qui ne concerne pas les employés
aux contrats les plus précaires, en grande partie, des jeunes.
90
CONCLUSION
Plusieurs éléments pourront être conclus, suite à ce rapport de stage et à la
réflexion qui l’a suivi.
J’aimerais repréciser d’abord que ce stage a été pour moi à la fois une période
d’observation et de formation, pendant laquelle j’ai découvert, appris, déduit et aimé
acquérir de nouvelles connaissances dans ce contexte de terrain. C’est la
découverte d’un milieu et de toutes ses composantes - publics, acteurs, territoires,
méthodes - qui constitue le fil conducteur de ce stage.
Concernant la problématique, je dois dire qu’elle représente elle aussi, pour
moi, un apport de connaissances. Au départ focalisé sur la maîtrise de la langue
uniquement, j’ai assez vite dû élargir cette problématique à un ensemble de variables
ralentissant le processus d’insertion - des freins -, qu’il est utile de faire apparaître
conjointement car interreliés et cumulables. Le déplacement des cours de langue
vers la réactualisation des savoirs de base connote justement cette prise en compte.
Ce que l’on pourrait justement conclure de cette analyse, c’est que des « freins » -
caractéristiques de la période d’insertion - en engendrent d’autres, et que c’est ce
cumul qui éloigne graduellement de l’emploi - ou de la formation -. Ils sont donc à la
fois caractéristiques des parcours d’insertion de jeunes en difficulté, facteur
d’exclusion et/ou de désinsertion pour des personnes en emploi, et personnels car
liés à l’histoire de vie.
Comme mentionné dans l’analyse, le parcours d’insertion est d’une rare
complexité, de par les domaines sur lesquels il prend appui. Nous l’avons vu, ce
parcours ne dépend pas uniquement de la formation initiale, de la maîtrise de la
langue et du marché de l’emploi. Il pourrait s’agir pour certains jeunes d’un jeu de
dés, avec les dés pipés de la discrimination qui trouve sa source - et peut-être sa
solution - aussi dans bien des domaines.
91
Cela implique bien évidemment un « traitement » transversal de la question, une
nécessité de partenariat entre les différents acteurs de la formation et plus largement de
l’insertion socioprofessionnelle. Les rôles respectifs de l’Etat et de l’entreprise sont
importants et sans leur investissement, leur engagement, c’est à la survie des
dispositifs que nous assisterons. Cette articulation du social et de la logique de
marché qui se fait entre l’Homme, le dispositif, la « santé » de la structure et les
besoins du marché local doit nécessairement être mieux pensée.
La mise en place d’actions comme les plans de lutte contre les discriminations
à l’embauche, peuvent ainsi représenter des solutions locales lorsqu’elles envisagent
une approche multi partenariale de l’insertion. La connaissance et la qualification des
acteurs, la sensibilisation en amont auprès des employeurs, le travail en réseau et
l’individuation apparaissent nécessaires à une démarche qualité, à l’apport d’une
réponse spécifique. Face à une situation complexe, je pense utile de ne pas se
focaliser uniquement sur l’entreprise mais bien sur tous les intermédiaires. Ce
qu’il faut par ailleurs espérer, en gardant espoir, c’est que les discriminations -
diverses et variées - se retrouvent malmenées par un encadrement juridique et
par le développement d’outils de recrutement ; le but étant de rétablir l’égalité de
traitement et de proposer à tous les jeunes une chance face à l’avenir.
92
BIBLIOGRAPHIE
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Bulletin Officiel du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle -
No 2003/18 du dimanche 29 février 2004 - CIVIS.
Journal officiel du 18 mars 2005 - Décret no 2005-241 du 14 mars 2005 relatif à
l’accompagnement des jeunes vers l’emploi et au contrat d’insertion dans la vie sociale.
94
REVUES et PERIODIQUES
ACTUALITE DE LA FORMATION PERMANENTE - n°193, Décembre 2004.
ACTUALITÉ DE LA FORMATION PERMANENTE - n°194, Février 2005.
CHALLENGES - n°238, janvier 2005.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE - L’immigration en France, Cle International,
Mai/Juin 2005.
LE MONDE Dossiers & documents - Le siècle des migrants, Février 2006.
LE PROGRES DE LYON - lundi 6 mars 2006.
LIBERATION - vendredi 16 Septembre 2005.
SITOGRAPHIE
www.groupe-adflp.com
www.agefos-pme.com
www.amnyos.com
www.halde.fr
www.travail.gouv.fr
www.anpe.fr
DICTIONNAIRE
BAUMGARTNER E. & MENARD P. - Dictionnaire étymologique et historique de la
langue française, La Pochothèque, 2004.
95
COLLOQUES et RENCONTRES
CRI 42 - CRI 26-07 - Contribution à la connaissance des publics en situation
d’illettrisme - Comment l’histoire de vie déclenche ou freine l’envie d’apprendre Mars
2006.
LORCERIE F. - L’école et la diversité culturelle : discrimination systémique ? Mars
2006.
LEADER 42.1 - Groupe de réflexion et d’échange de savoirs sur la formation.
HAMDANI - Compte-rendu de table ronde, Saint-Étienne, mai 2006.
ENTRETIENS
LUNAS C. - Ex coordonnateur du dispositif APP observé - Février 2006.
SERAFINI C. - Coordonnatrice pédagogique de l’ADFLP
TORDI C. - Référent du dispositif MAPI FLE observé - Mai 2006.
96
SIGLAIRE
ADFLP Association De La Formation Linguistique et Professionnelle
ANPE Agence Nationale Pour l’Emploi
APP Atelier de Pédagogie Personnalisée
BPEL Bilan de prescription et d’évaluation linguistique
CAE Contrat d’accompagnement vers l’emploi (ex CES)
CAI Contrat d’accueil et d’intégration
CES Contrat Emploi Solidarité
CIVIS Contrat d’insertion dans la vie sociale
CREFE 42 Centre Ressource Enfance Famille Ecole de la Loire
DRTEFP Direction Régional du Travail de l’Emploi et de la Formation
Professionnelle
EOF Espace Ondaine Formation
FIPJ Fond pour l’Insertion Professionnelle des Jeunes
FSE Fond Social Européen
GRETA Groupement d’Etablissements publics
IFRA Institut de Formation Rhône Alpes
JAPD Journée Appel et de Préparation à la Défense
LEADER Lire Ecrire Apprendre Développer Energies et Ressources
MHL Maintenance Hygiène des Locaux
MJC Maison des Jeunes et de la Culture
OF Organisme de Formation
PAIO Permanence d’Accueil, d’Information et d’Orientation
PCIE Passeport de Compétences Informatique Européen
PSP Promotion Sociale et Professionnelle
RAN Remise A Niveau
SARL Société Anonyme à Responsabilité Limitée
SDB Savoirs De Base
SIVO Syndicat Intercommunal de la Vallée de l’Ondaine
TRE Techniques de Recherche d’Emploi
97
ANNEXES
1. Convention de stage
2. Positionnement d’un stagiaire CIVIS
3. Référentiel des niveaux de formation
4. Contrat CIVIS type
5. Présentation des jeux DISTINCTION et SUCCES
6. Objectif 2 du FSE
7. Evolution du nombre de personnes formées en APP
8. Référentiel des huit domaines de savoirs de base
9. Origine, type de contrat et domaine professionnel
10. Système dual allemand
11. « Les plus gros recruteurs de la Région en 2005 »