szalganova,marazov sztuka bułgarii 2009

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Ivan Marazov Tatiana Chalganova Oxana Minaeva ` LE CARREFOUR DES CULTURES

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Shalganova ,Marazov-2009

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  • Ivan MarazovTatiana Chalganova

    Oxana Minaeva`

    LE CARREFOUR DES CULTURES

  • ditions Lettera Plovdiv, 2009 Ivan Marazov, Tatiana Chalganova, Oxana Minava Dimo Guorguiev, Ivo Hadjimichev, Lubomir Jkov, Martin Mitov, Nikola Gunov, Radostin Dimitrov, Rossen Kolev, Roumiana Kostadinova photographes, 2009

    Tous droits rservs Toute reproduction ou reprsentation ou bien transmission intgrale ou partielle, par quelque procd qu ce soit lectronique, mcanique, photographique ou autre, du texte du prsent ouvrage, ainsi que le chargement sur systme dinformation, dordinateurs y compris, sont strictement interdits sans autorisation crite de lditeur.

    ditions Lettera 62, rue Rodopi, BP 802, 4000 Plovdiv 10, rue Svtoslav Terter, 1124 SofiaTl. : 032/600 930, 600 941, fax : 032/600 940 Tl. : 02/946 16 07, tl./fax : 02/944 14 52e-mail : [email protected] e-mail : [email protected] www.lettera.bg

    ISBN 978-954-516-803-1

  • Ivan MarazovTatiana Chalganova

    Oxana Minaeva`

    LE CARREFOUR DES CULTURESLart des terres bulgares

    La Prhistoire LAntiquit Le Moyen ge

  • LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    Traversant la Thrace genne pour aller se venger de la Grce, Xerxs, roi de Perse, ac-complit une oblation solennelle au lieu dit des Neuf chemins , prs de la rivire Strimon. Cet acte de respect, rendu ce carrefour gographique la fois important et complexe, nest pas luvre du hasard. Pour lhomme de lAntiquit ce point est le centre focal de lespace mais aussi celui des dimensions mythiques de la route. Chacun suit le chemin que le sort lui destine avec les dtours qui peuvent bouleverser sa vie. La croise des chemins est donc un point particuli-rement dangereux en raison des choix que lon doit y faire et des erreurs que peut commettre le hros en qute de la vrit et de sa propre identit,.

    Telle est la situation dans le mythe et dans le rite. Mais, au cur de lHistoire aussi, se trouver la croise rend les processus politiques difficiles. Hrodote, son poque dj, notait que les Thraces, les peuples les plus nombreux aprs les Indiens , navaient pas pu fonder un tat uni et fort cause de la msentente qui rgnait entre leurs diffrentes tribus. Cependant, il faut savoir quils habitaient le centre de la Pninsule balkanique, un territoire qui, depuis le no-lithique, avait absorb les invasions de tribus nombreuses et diverses venues de lAsie Mineure, tout dabord, des steppes ensuite, et, pour finir, de Perse, de lEurope centrale et occidentale, de la Grce et de la Macdoine. Du point de vue gopolitique, ctait un chaudron bouillonnant o se fondaient des peuples et des cultures qui allaient former un amalgame uniforme. Ni le Danube, ni la chane du Balkan la Stara planina, ntaient des barrires suffisantes pour freiner les migrations et les expditions militaires. Le manque de stabilit dans la rgion a conditionn le sort malheureux de ses habitants des cultures remarquables y sont nes, mais elles nont pas eu la chance de sy dvelopper longtemps ni rgulirement. Que sont devenus les crateurs de la culture dor de la ncropole chalcolithique de Varna ? O sont passs les artistes qui ont produit les exquises parures en or de Dabn ? Pourquoi, malgr leur bravoure lgendaire, les Thraces nont-ils pu fonder un tat stable qui leur soit propre, mais ont-ils d, sans trve, dfendre leur indpendance contre les Scythes, les Perses, les Hellnes, les Macdoniens, les Celtes, les Romains ?

    La culture de la croise des chemins, quoique tolrant gnralement les apports trangers, est jalouse de sa propre identit. Oblige dlaborer des mcanismes dadaptation des influences trangres, elle doit les rendre comprhensibles en les intgrant ses propres traditions. Elle est prte trouver des compromis, parce quelle est prive de la possibilit de se dvelopper son propre rythme en suivant les tapes successives. Gnralement cette culture particulire est oblige de rattraper son retard par rapport aux processus de lpoque, et elle a toujours lair un peu archaque, compare aux autres cultures dveloppes de son temps. En mme temps, elle est le lien entre les diffrents centres de culture. Les portes de ce carrefour culturel sont toujours ouvertes dans les deux sens, encourageant la fusion des diffrentes normes culturelles. Ce sont tous ces faits qui forment le charme de la culture de la croise des chemins plusieurs traditions peuvent se reconnatre dans son miroir.

    Ce livre a lambition de prsenter aux lecteurs une brve histoire de lart sur les terres bulga-res depuis lAntiquit la plus loigne jusqu la Renaissance. Ce sont neuf millnaires confins dans une centaine de pages. Un carrefour des poques sur une terre large comme la paume de la main humaine .

    La culture de la crois e des chemins

  • Dromos du spulcre de Mzek

  • 6 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    Statuette fminine en terre glaise de Dolnoslav. Chalcolithique tardif

    Lart pr historique

  • 7tardive, une zone de contacts o sentrecroisent et sentremlent des civilisations diffrentes.

    Les premires manifestations notoires de lart prhistorique sur les terres bulgares datent du nolithique. Il stale sur les VIIe VIe millnaires av. J.-C., se dveloppe progressivement, sans brusques changements, en prsentant des traits de stabilit des traditions et des principes fondamentaux de la culture. loign de notre poque des milliers de gnrations, le nolithique prsente une organisation et une structure de la socit compltement diffrentes des ntres et attribue aux individus un rle et un destin tout aussi diffrents. Le mode de vie, lidologie et les croyances de ces tres anonymes se sont teints tout jamais. Nous ne connaissons pas leur langue; nous ne savons mme pas quelle famille linguistique elle appartenait. taient-ils porteurs dun ancien dialecte indoeuropen ou bien dune langue pr-indoeuropenne dont nous ignorons lexistence ? Cest une nigme qui naura probablement jamais une rponse unique et simple. Seuls les fragments de leur culture, ensevelis au sein de la terre, mis jour par les archologues contemporains, ont t labri du temps et de lactivit des gnrations postrieures. Seuls les objets qui ne sont pas sujets la dcomposition et la pourriture, les spultures et les ruines de leurs cits ont subsist. Ces vestiges fragmentaires dune culture jadis fl orissante constituent des systmes territoriaux interdpendants forms dobjets et dquipe ments nomms cultures archologiques.

    La prhistoire constitue la priode la plus longue de lhistoire humaine, au cours de laquelle les ges se suivent, les cultures et les peuples surgissent, spanouissent et se meurent. Cest lpoque des socits analphabtes et des traditions orales. Les seuls messages authentiques qui tmoignent de ces peuples anonymes nous sont parvenus transcrits dans la langue des objets et de lart. Cest lart qui a conserv leurs traditions, leurs connaissances du monde et des forces qui le dirigent, de la structure de lespace et du temps, de la nature et de lorganisation de la socit, de la vie et du destin.

    Le territoire de la Bulgarie compte parmi les plus riches en monuments de lart prhistorique en Europe. La diversit en est remarquable images et petites sculptures, divers objets et leurs modles, ainsi que maintes pices dont la destination nous est parfois diffi cile deviner. Lornementation des cramiques est une manifestation remarquable de lart de cette poque qui joint sa fi nalit dordre dcoratif celle dordre idologique ; ses caract ris-tiques stylistiques et technologiques indiquent son appartenance une priode dtermine ou bien une culture particulire. A ces diverses uvres dart, il faut ajouter les objets en argent, en or et en bronze, eux-mmes nantis souvent dornements sophistiqus, parmi lesquels on compte des masques, des vases, des parures, des armes. Les monuments provenant du territoire bulgare sont des uvres charnires qui rvlent les secrets de lart prhistorique en Europe ; en effet, durant toutes ces poques, le territoire de la Bulgarie constitue, la croise de lOrient prcoce et de lEurope

  • LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

  • Dolmen de Hliabovo. poque du fer ancien

  • 10 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    La culture du nolithique est la premire culture base sur la

    transformation active de lenvironnement. Les humains ne se contentent plus, alors, de se servir des ressources naturelles telles quelles, ils les modifi ent leur gr et les soumettent leurs besoins ils ont apprivois les animaux, ils ont appris cultiver les crales : cest lapparition des deux branches principales de lco-nomie lagriculture et llevage. La planifi cation, la succession et la rptition des activits de travail, les qualits du territoire habit, ses ressources et le droit de les utiliser deviennent dimportance primordiale pour la vie de la communaut. Voil pourquoi le rythme naturel des saisons est repens travers les cycles agricoles qui imposent et dirigent la vie quotidienne et rituelle, modlent la notion de temps et mesurent sa marche. Le dveloppement de lagriculture modifi e la notion despace. cette poque-l, il est statique, centr autour du site et des champs, cest--dire que sa structure devient bien plus claire et que tout point qui sy trouve a une valeur particu-lire. Ce processus compliqu et polyfacial , dnomm nolithi-sation nest pas un acte qui se produit une seule fois, ni une inven-tion instantane. Cest le rsultat du dveloppement millnaire d-but au XIIIe XIIe millnaire av. J.-C. en Asie antrieure o lagricul-ture et llevage apparaissent pour la premire fois.

    la fi n du VIIe millnaire av. J.-C., la nolithisation sinstaure sur la Pninsule balkanique. Ce nest pas la consquence du dve-loppement indpendant, mais le rsultat des invasions de peuples et de savoirs de lAnatolie du sud. Au VIe millnaire av. J.-C., dans

    Vase cramique anthropomorphe de Plovdiv-Iassatp. Le nolithique tardif

    Le n olithique

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    Tte dune grande sculpture en terre glaise de Dolnoslav. Chalcolithique tardif

  • 12 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    Vase cramique zoomorphe de St Kirilovo. Chalcolithique tardif

    les Balkans apparat un nouveau foyer de nolithisation, trs impor-tant, constitu de quelques aires culturelles se rapprochant par leurs formes, leur style et leurs technologies. Elles ont un impact puissant sur le dveloppement de lEurope et jettent les bases de la future civilisation europenne.

    Au cours du nolithique et du chalcolithique, sur le territoire de la Bulgarie, se dveloppent plusieurs cultures archologiques d-nommes selon leurs monuments les plus signifi catifs. Les diffren-ces culturelles sexpriment avant tout par la prsence de styles lo-caux en cramique caractriss par les techniques de dcoration prfres et le choix de motifs et de coloris. La vie sdentaire est la caractristique commune toutes les cultures archologiques. Cette vie se droulait sur le mme terrain, dans des cits compo-ses de maisons un ou deux tages, bties de pieux et de treilla-

    ges, badigeonnes dargile. De courte dure, ces btisses scrou-laient priodiquement et sur leurs dbris on levait les nouveaux habitats. Certaines de ces cits ont subsist plusieurs millnaires, et les couches culturelles accumules au cours de cette priode, provenant des maisons bties les unes sur les restes des autres, dpassent 18 mtres parfois. De cette faon apparaissent des colli-nes artifi cielles, des tells, qui commencent se former en Bulgarie du sud ds la premire phase du nolithique. Le tell de Karanovo dont la hauteur dpasse 12 mtres en est un exemple remarquable. Les localits dhabitation durable existent simultanment avec des cits de territoire assez vaste parfois, mais dont lexistence t relativement courte. Prises ensemble, elles forment un systme commun dont le dynamisme du dveloppement est conditionn par lexploitation archaque extensive de la fertilit des sols.

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    Vase cramique zoomorphe. Chalcolithique

  • 1 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    Certaines de ces cits sont entoures de douves et de palis-sades ou bien de digues recouvertes de pierres (la hauteur du mur de clture en bois et en terre de la cit chalcolithique prs du village dOvtcharovo, en Bulgarie du nord-est, par exemple, dpassait pro-bablement 4 mtres). La planification des cits, le travail collectif grande chelle, ncessaire la construction des installations de d-fense, sont des indices qui prouvent lexistence dun mcanisme social dont le fonctionnement permet de diriger, dorganiser et de gouverner les efforts de la communaut. Les installations de d-fense sont typiques, surtout pour les rgions o la concentration de tells est assez leve. La cause de leur construction, au cours de lpoque chalcolithique au moins, peut tre explique par des

    Assiette dcore de peintures de Krivodol. Chalcolithique tardif

    conflits entre des groupes voisins rivalisant entre eux pour le droit dutilisation de la terre et de leau. Les fouilles faites dans la couche chalcolithique du tell dUnatsit rvlent les consquences dactivi-ts militaires qui ont eu lieu au Ve millnaire av. J.-C. Sous les dbris des maisons ont t retrouves en dsordre les dpouilles de leurs habitants trpasss.

    Les fortifications devaient servir dautres buts aussi. Elles structuraient le monde de lagriculteur du point de vue visuel et ma-triel elles dlimitaient la cit, elles sparaient le sien , l ap-privois , le culturel de l tranger , du sauvage et du naturel . Dans son monde, le monde civilis, tout est ordonn, comprhensible, immuable.

    Vase dcor de peintures de Tchavdar. Nolithique ancien

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    Les btiments, les autels, les fours sont peints ou orns de reliefs. Cette pratique permet lart de lpoque de mettre en vi-dence son trait principal il est total parce quil signe tout son monde les murs des maisons, tous les objets, les tissus des vte-ments jusquaux dessins ou tatouages sur le corps humain par les mmes motifs fondamentaux, peu nombreux, et les mmes gam-mes de coloris. La seule explication de ce phnomne, cest linte-raction intime entre le monde sacral et le monde quotidien. Toute activit et tout vnement de la vie de chacun et de lensemble de la communaut ont t conus et prdtermins conformment aux notions magico-religieuses. Chaque maison possde des dimen-sions quotidiennes et sacres et elle abrite des objets de la vie de tous les jours ct des objets rituels. Ils sont souvent concentrs autour du four parce quil est le centre sacr de la maison.

    La langue artistique des socits illettres est marque par le conservatisme et la canonicit. Ces traits sont mieux diffrencis dans les cultures nolithique et chalcolithique notamment. Bien que le style de lart cramique soit caractris par le traditionalisme et quil se modifi e lentement, on peut distinguer dans son dveloppe-ment quelques grandes priodes au cours desquelles on peut constater la prsence de changements notables.

    Au cours du nolithique ancien dans les cultures archologi-ques des terres bulgares apparaissent les premiers spcimens de lart de la poterie. La dcouverte des proprits de la cramique est une russite technologique due lpoque du nolithique. La cra-mique est le premier matriau artifi ciel invent par lhumanit dont les proprits dexploitation sont compltement diffrentes de celles de la matire premire, crue largile, et dont lusage quotidien se rpand rapidement. En effet, les objets en cramique sont les principaux tmoignages matriels qui nous sont parvenus des po-ques nolithique et chalcolithique. Les demeures des VIIe Ve mill-naires av. J.-C. sont munies dobjets diffrents en cramique parmi

    Statuette fminine et vase cramique. Chalcolithique moyen

    Vase cramique zoomorphe de Mouldava. Nolithique ancien

  • 1 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    lesquels le groupe des vases est le plus nombreux. Dans une seule demeure chalcolithique, par exemple, le N244 du tell de Drama-Merdjoumkia on a trouv 237 vases et 43 393 fragments de cra-mique. Avec le temps, les formes des vases commencent varier, ce qui trahit la spcialisation accentue de leurs fonctions et des normes culturelles bien plus rigoureuses. Au sein de lnorme quan-tit dobjets en cramique, on peut distinguer le groupe de ceux dont la fabrication est particulirement prcise et qui sont marqus intentionnellement, soit par leur forme, soit par leur dcoration abondante, soit enfi n, au cours du chalcolithique, par lapplication de couleurs chres et trs rares quon utilisait pour llaboration de ces pices. Ces dernires, reprsentes dordinaire en trs petite quantit, desservaient au domaine de la culture sacrale et crmo-niale, et la signifi cation de leur dcoration tait fonction de lidologie.

    Les beaux arts dans les terres bulgares de lpoque du noli-thique et de celle du chalcolithique sont reprsents par deux gen-res principaux : la poterie et la petite sculpture.

    Lart de la poterie est un art dcoratif de lornement gomtri-que abstrait. Dcoratif, il lest parce que les ornements sont compo-ss conformment aux normes de la symtrie et de la rythmique, et lespace dessiner est organis, partag en zones dans le but de souligner le champ ornemental principal et la tectonique de la forme. Le champ joue le rle de fond, mais souvent il est aussi un formant actif de la composition. Par exemple, sur les vases peints des cultu-res du nolithique ancien de Karanovo I et de Tchavdar-Krmikovtsi, ainsi que sur la cramique incruste du nolithique fi nal en Thrace (la culture Karanovo IV), le fond et la dcoration sont fonctionnelle-ment interchangeables le fond peut tre interprt comme un or-

    Vase cramique dcor par piquage de Karanovo. Chalcolithique tardif

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    Vase cramique anthropomorphe de Tliche-Rdoutit. Chalcolithique tardif

  • 20 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    Assiette dcore par incision et incrustation de Plovdiv-Iassatp. Chalcolithique ancien

    nement et vice versa. Cette solution dcorative est typique surtout dans les ornements des vases cramiques du chalcolithique, lors-que lornement est port en ngatif sur les parois du vase.

    Labstraction de lart de la cramique est exprime par la re-nonciation presque absolue aux motifs iconographiques, aux sujets et la narrativit. La dcoration nest exprime que par des l-ments gomtriques et spirals, dont la reprise forme le motif orne-mental. Cest la raison pour laquelle on traite de signaltique la fonction du texte expressif qui ne sert pas narrer un mythe concret. Un motif particulier ne rvle pas un contenu prcis et convenu, il traduit plutt des notions gnralisantes, telles la gense et lter-nit, la structure et la qualit de lespace, la rptition, la rythmicit et la cyclicit du temps. Limportance de cet art, cr et peru par la conscience mythologique, est gnralise au maximum et en mme temps polysmique et changeable en fonction du contexte concret. Le sens nest pas narr , mais tal par association avec les notions mythologiques prconues, le cosmos nest pas dcrit, mais recr par chaque forme, par chaque lment.

    Pied figur de petite table cultuelle de Karanovo. Chalcolithique tardif

  • 22 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    Au cours du nolithique ancien, leffet dcoratif sur les vases peints rsulte surtout du contraste des couleurs entre les dessins blancs et les dessins noirs sur le fond rouge. Au cours du nolithique moyen et final, la qualit de la fabrication des vases en crami-que est trs bonne, leurs formes sont diverses et les techniques de fabrication sont multiples. Au cours du nolithique final, la dcora-tion des objets de lart cramique dans les cultures archologiques devient plus importante. Elle est riche et exubrante, compare sa sobrit au nolithique moyen. Leffet dcoratif rsulte de la combi-naison de plusieurs techniques de dcoration sur le mme vase. Le contraste entre le blanc et le noir prdomine, les dessins en rouge tant rarissimes. Ainsi, au sein du nolithique final, point la techni-que de la dcoration polychrome qui prdomine au cours de lpo-que suivante, le chalcolithique.

    Le chalcolithique (le Ve millnaire av. J.-C.), cest lpoque flo-rissante du dveloppement dynamique de lart de la poterie. Les styles des dcorations des diffrentes cultures archologiques se rapprochent, le coloris noir blanc rouge prdomine : des motifs blancs ou argents (graphitiques), enrichis parfois de rouge, sont incrusts ou dessins sur le fond sombre du vase. La forme qui r-gne, cest celle des mandres souvent agrments de spirales ; lornement ngatif, les anses et les appendices zoomorphes ou an-thropomorphes des vases et de leurs couvercles sont des lments trs populaires.

    Figurines humaines en terre glaise de Drama-Merdjoumkia et Unatsit.

    Chalcolithique

    Statuette androgyne en terre glaise de Karanovo. Nolithique tardif

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    Le trait le plus remarquable de lart du nolithique et du chal-colithique, cest la diversit des objets de la petite sculpture des fi gurines humaines et animalires, des vases, des modles de btiments et de leur intrieur (des fours, des petites chaises, des coussins, des petites tables, des autels), des tables cultuelles, des amulettes et mme des modles de grains de bl. La plupart des objets sont en terre glaise, mais il y en a en marbre, en pierre, en nphrite ou bien en os. Gnralement, ils sont richement d-cors. Les compositions cultuelles sophistiques dcouvertes en vieille Europe refl tent lunicit et, en mme temps, la complexit des notions incarnes par les objets de la petite sculpture. Elles sont constitues de statuettes et de modles dobjets, ce qui per-met leur regroupement libre. Une des scnes cultuelles les plus clbres, cest celle du tell dOvtcharovo, de la Bulgarie du nord-est (culture Goumelnitsa-Karanovo VI), qui dnombre 26 miniatu-res dobjets composant un sanctuaire. Quatre statuettes fmini-nes, les bras levs, sont disposes au milieu dun intrieur com-pos de trois autels plats, verticaux, dcors de spirales et de cercles concentriques, il y a aussi trois petites tables et huit peti-

    tes chaises aux accotoirs arqus. Dautres objets peuvent tre ajouts cette composition : deux coupelles, trois vases miniatu-res couverts et trois cylindres cramiques qui reprsentent, selon toute vraisemblance, des tam-tam . La possibilit de regrouper les objets de diverses manires, la prsence dinstruments de musique, indiquent la fonction rituelle des objets de la petite sculp-ture. Ces objets contribuaient la dmonstration rituelle et aux reprsentations de personnages mythiques, dans le but de rac-tualiser et de restructurer la complexit des relations de la com-munaut avec le surnaturel.

    Les personnages principaux de la petite sculpture sont les fi gures humaines et animalires stylises. La plastique anthropomorphe fait preuve duniformit iconographique, malgr la diver-sit culturelle, chronologique et stylistique. Les statuettes repr-sentant des tres humains ne sont retrouves que dans les sites dhabitation. Elles sont varies des fi gurines de femmes et dhommes, reprsentes en poses diffrentes ; quant aux attri-buts, aux vtements et aux tatouages sur le corps et le visage ils sont trs varis aussi.

  • 2 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

  • 25Scne cultuelle dOvtcharovo. Chalcolithique tardif

  • 26 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    Qui est reprsent par ces figurines, quel est leur rle dans la culture ? Ce sont des questions auxquelles la science na pas trouv de rponses catgoriques. La recherche dune thorie ordonne qui puisse expliquer leur signification est difficile. Cest parce que les dtails de construction des statuettes suggrent des applications diverses certaines ont t suspendues des plans fixes, sur les murs des habitations, vraisemblablement ; dautres sont destines tre poses assises ou debout sur une surface plane, dautres en-core ont t dmembres et leurs membres ont t utiliss ultrieu-rement. La plupart des figurines ont t casses intentionnellement, dans des finalits rituelles, probablement, mais il y en a qui ne por-tent pas de traces dinterventions secondaires. Certaines statuettes

    Statuette fminine debout en terre glaise de Kapitan Dimitrivo. Nolithique ancien

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    Statuette fminine assise en terre glaise de Plovdiv-Iassatp. Nolithique tardif

    ont t retrouves dans les habitations, dautres dans des fosses rituelles, dautres encore dans des silos grain ou dans des fosses dchets. La diversit extraordinaire des formes, des dtails et de la dcoration, ainsi que leurs poses, la prsence de statuettes mas-culines et fminines sont autant de preuves de la polysmie, de la complexit et de la profondeur des notions cosmiques et rituelles quelles incarnent.

    On peut dduire certains aspects fondamentaux du contenu idologique des statuettes humaines, grce leurs particularits stylistiques. Elles constituent des schmas et des types qui font penser la gnralisation et labstraction de leur smantique. El-les ne portent pas elles-mmes leur propre message : il est actua-

    lis et concrtis travers leur fonctionnement au cours du rite. Les mmes statuettes sont charges peut-tre de signifi cations diffren-tes grce aux diffrents rles quelles accomplissent dans les divers rites. Voil pourquoi elles ne reprsentent pas une personne relle, encore moins des portraits, elles sont la mtaphore artistique de lide que le divin est cr sur limage de lhumain, de la place de l homme dans lunivers.

    Une des premires conclusions possibles, fonde sur ltude des statuettes est celle de la domination de limage fminine dans lart du nolithique et du chalcolithique. Les statuettes masculines napparaissent que pendant le nolithique ancien. Dterminer le sexe de plusieurs statuettes est facile. Pourtant les distinguer uni-

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    quement selon la prsence ou labsence de certaines caractristi-ques secondaires est douteux. Dautant plus que les donnes de lethnologie dmontrent que le choix de caractristiques secondai-res significatives pour la dtermination du sexe est soumis des facteurs dordre culturel et idologique plutt que physiologique. titre dexemple, la barbe de certaines statuettes est un indice sr de leur appartenance au sexe masculin, mais son absence ne fournit pas un indice indiscutable du sexe fminin du personnage repr-sent la barbe peut-elle reprsenter le symbole de la masculinit quand les adolescents sont imberbes ? Les seins reprsentent le plus souvent une caractristique secondaire trs importante pour la dtermination du sexe fminin des statuettes. En effet, plusieurs statuettes portent des seins mais aussi le triangle pubien ou bien lorgane gnital. Pourtant deux exemplaires dats du nolithique ancien portent des seins dans leur partie suprieure et un phallus dans la partie infrieure. Peut-tre que dans cette poque lointaine les petits seins nindiquaient pas indiscutablement le sexe, pourtant il est plus vraisemblable que nous ayons sous les yeux un exemple

    Statuette masculine en terre glaise de Drama-Merdjoumkia. Chalcolithique tardif

    Figurines fminines en os de Karanovo. Chalcolithique tardif

    dandrogyne qui runit en un tout indivisible les deux entits fmi-nine et masculine. Landrogyne est limage de lentit surhumaine mythique qui a donn naissance aux mondes diffrencis sexuelle- ment celui des dieux et celui des humains. Le mythe du crateur bisexu qui se ddouble est trs rpandu dans le monde antique entier, ainsi que dans les cultures qui nous ont laiss des tmoigna-ges ethnographiques.

    Le groupe des statuettes sur lesquelles il ny a pas dindice de sexualit est important. Citons lexemple du tell de Goliamo Delt-chvo, en Bulgarie du nord-est, dont 31% des statuettes sont asexues, 69% sont fminines et moins de 1% sont masculines. Il semble que lasexualit est conceptuellement analogique la bi-sexualit. Cest lautre mtaphore dont la pense mythologique se sert pour dcrire la totalit primitive, qui renferme en soi potentielle-ment lentit masculine et lentit fminine. Pourrait-on aussi admet-tre que ces statuettes ne portant pas de signes de sexualit incar-nent lide du bb dont la diffrenciation sexue nest pas social-ment marque ?

  • 30 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    Parmi les fi gurines anthropomorphes, le rle principal est attri-bu aux statuettes fminines, ce que les scientifi ques expliquent par la domination du culte de la fcondit au cours de toute cette po-que. La fcondit et le pouvoir gniteur les caractristiques fonda-mentales de la fminit sont nettement exprims par les images phares universelles de lart de lpoque celle de la madone , portant dans ses bras un nouveau-n, et celle de la femme enceinte. Il y a aussi plusieurs statuettes de femmes assises. Il se peut quel-les reprsentent la divinit fminine suprme, dautant plus que cer-taines forment pice unique avec le trne sur lequel elles sont assi-ses. Le trne ainsi que la position assise reprsentent toujours lide de situation sociale leve. La srie des fi gurines se tenant debout est plus nombreuse. La concrtisation de leur signifi cation doit tre exprime probablement par la position caractristique de leurs bras. Le type le plus nombreux, prsent pratiquement dans toutes les cultures de lEurope du sud-est et de lAsie antrieure, cest celui des statuettes aux bras croiss ou aux bras qui soutiennent les seins, lappartenance au sexe fminin tant souligne par le triangle pubien dont la prsence est obligatoire, mme dans les ornements des vtements. Un autre type de fi gurine fminine trs rpandu est

    Tte de statuette en terre glaise de Balbounar, prs de Rouss. Chalcolithique tardif

    Figurine fminine assise en terre glaise de Kourte Tp. Chalcolithique ancien

  • 32 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    celui qui prsente le labour de la terre aux bras soulevs en si-gne de prire. Un autre type, enfin, plus schmatis, peut tre ajou-t cet ensemble iconographique celui des statuettes dont les bras sont rduits de courts appendices latraux.

    La domination de limage de la femme dans liconographie est une preuve de son importance exceptionnelle dans la conception mythologique de lunivers et des forces qui gouvernent la commu-naut et ltre humain lui-mme. La fminit reprsente une mta-phore volumineuse et comprhensible qui peut exprimer plusieurs notions essentielles de lidologie de la socit : la fcondit et la foi en lordre immuable, en la circulation ternelle de la vie et de la mort. La femme est au dbut et la fin du cycle de la vie et laccou-chement est conu comme la force cratrice et motrice de lunivers. Voil pourquoi, au cours de cette poque-l, le symbole de la femme accouchant domine aussi les autres langues de la culture le rituel funraire attribue au dfunt la pose de lembryon et le btiment cultuel du site chalcolithique dOhodne, de la Bulgarie du nord-ouest, est dsign comme un espace fminin par lenterrement son entre dune femme, accompagne dun grand nombre dof-frandes rituelles.

    Vase cramique anthropomorphe de Gradechnitsa. Chalcolithique ancien

    Vase cramique anthropomorphe de Rakitovo. Nolithique ancien

    Statuette de mre lenfant dUnatsit en terre glaise. Chalcolithique tardif

  • 3 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    La plupart des vases anthropomorphes sont aussi transforms en images fminines. Leur diversit correspond aux principaux ty-pes iconographiques des statuettes. Lidentit conceptuelle entre la fi gure humaine et le vase cramique est base sur leur fonction commune de rceptacle de nourriture et de vie. Cette ancienne conception survit dans le lexique de la plupart des langues contem-poraines dans lesquelles les appellations des parties des vases correspondent celles du corps humain : la panse, le pied, les paules, le goulot, le col, lembouchure et ainsi de suite. Lidentit smantique et symbolique entre le vase et le corps fminin est confi rme par le rituel funraire de lpoque o les obsques den-fants se faisaient dans des vases cramiques comme si lenfant retournait dans le giron maternel. Tout comme dans le cas des sta-tuettes la plupart des vases anthropomorphes sont asexus, ceux de caractre masculin, tant des rarets.

    Vase cramique anthropomorphe de Stara Zagora-Brketska moguila.

    Chalcolithique tardif

    Tte de figurine humaine en terre glaise de Karanovo. Chalcolithique tardif

    Lautre image fondamentale de la petite sculpture cest limage animalire. Des statuettes, des vases, des anses ou des couvercles de rcipients prennent la forme danimaux domestiques ou sauva-ges.

    Les statuettes animalires sont plus frquentes dans les sites du nolithique et du chalcolithique ; elles sont plus nombreuses que les sculptures humaines. Le trait le plus remarquable du groupe des fi gurines zoomorphes au cours de cette poque longue de plus de 2000 ans, cest leur homognit iconographique et stylistique et leur immuabilit. La reprsentation des mmes animaux a t re-prise plusieurs fois exactement de la mme faon. Le rpertoire imag est compos majoritairement de btes cornes (le taureau, le buf, le bouc, le blier, le cerf), faciles reconnatre par la forme de leurs cornes ; viennent ensuite les serpents, les porcs, les chiens et les oiseaux. La plupart de ces fi gurines reprsentent des animaux

  • 36 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    domestiques et des herbivores paisibles. Bien plus rares sont les statuettes de btes sauvages et de quadrupdes despces indfi-nissables. Ce choix a son fondement dans les notions idologiques de lpoque. Est-ce que pour lhomme primitif le choix de lanimal en tant que motif artistique est dtermin par son rle conomique, ou bien cest son appartenance au domaine culturel qui impose sa pr-sence iconographique ?

    Liconographie et le style des figurines animalires sont sta-bles et propres aux cultures nolithique et chalcolithique de la P-ninsule balkanique, mais elles sont tout aussi typiques pour celles de lEge et de lAsie antrieure. Les statuettes sont petites et sch-matiques. Les signes distinctifs de lespce animale sont concen-trs surtout sur la tte, ce qui en fait la partie la mieux labore de limage. Le corps typ, le mme pour toutes les espces animales, porte des jambes trs schmatiques reprsentes par des tron-ons se rtrcissant dans leur partie infrieure. Toute tentative de reprsenter des signes aussi importants pour la distinction des dif-

    frentes espces animales que les sabots ou les pattes est inexis-tante. La figurine manque aussi de proportions compares au corps, les jambes sont trop courtes. Presque toutes les statuettes sont asymtriques lun des cts est souvent plus renfl que lautre.

    Les statuettes animalires sont videmment fabriques en ar-gile locale non-raffine renfermant de grosses impurets (du sable, des cailloux). Elles sont modeles avec ngligence par pression du morceau dargile sans aucune finition prcise de la surface. Nombre des figurines ont t soumises diverses manipulations aprs leur modelage. Certaines rvlent des traces de brlures secondaires, dautres ont t mises en fragments, perces ou dcoupes exprs. Le contexte dans lequel elles sont dcouvertes est vari dans des fosses dchets ou grain, dans les demeures ou sous leurs plan-chers, dans la couche culturelle du site. Ce sont des tmoignages du traitement rituel des figurines animalires. Voil pourquoi la va-leur et le sens de ces objets dcoulent plutt de lacte mme de leur

    Figurines animalires en terre glaise. Nolithique

    Vase cramique zoomorphe de Rakitovo. Nolithique ancien

  • 3 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    les sont les principaux objets dinfl uence au cours des rituels magi-ques, lorsquils jouent le rle de mtaphores des forces cosmiques. Cette pratique permet aux humains dinfl uer symboliquement sur les forces de lunivers, de provoquer des phnomnes cosmiques qui leur sont favorables, dtre parmi ceux qui gouvernent la puis-sance cosmique. Sans aucun doute, tout au long du nolithique et du chalcolithique, les images des animaux refl tent les conceptions mythologiques de la socit ancienne et sont partie intgrante du domaine festif et rituel de la culture.

    cration et des manipulations ultrieures que de leur modelage ha-bile ou bien du matriau raffi n. On peut affi rmer avec force que la fonction fondamentale des statuettes animalires en argile, dates du nolithique et du chalcolithique, cest la fonction rituelle.

    Les vases zoomorphes et les petites tables rituelles apparais-sent dj au sein des cultures nolithiques. Et de nouveau ce sont les ornements symboliques des btes cornes qui prdominent. Contrairement aux fi gurines en argile, les vases zoomorphes et les tables sont de haute qualit technologique et artistique. Le trait typi-que, commun laire de lEurope du sud-est et de lAsie antrieure tout entire, cest que lide du zoomorphisme du vase est transmi-se par le modelage en forme de tte danimal dune partie du rci-pient.

    Les fi gurines animalires et les vases zoomorphes ont une fonction rituelle qui est nettement refl te dans le contexte de leur dcouverte et dans les particularits de leur fabrication. Le modle du monde est souvent exprim par les images animalires cest le trait commun aux traditions mythologiques de cultures se dvelop-pant des poques compltement diffrentes dans de vastes terri-toires en Eurasie, en Afrique et en Amrique. Les textes cunifor-mes des anciens rvlent limportance cosmique des animaux. Ils contiennent des descriptions de lutilisation cultuelle des fi gurines animalires en argile substitues aux immolations sacrifi cielles ou bien employes en tant quoffrandes apotropaques dans les assi-ses des btiments. Les animaux, leurs images ou bien leurs symbo-

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    Fragment de petite table cultuelle de Karanovo. Nolithique ancien

    Petite table cultuelle zoomorphe de Kapitan Dimitrivo. Chalcolithique tardif

    Petite table cultuelle la reprsentation anthropo-morphe de Karanovo. Chalcolithique tardif

  • 0 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    Le Chalcolithique

    qui surviennent dans le domaine de lconomie. Le systme mytho-rituel nolithique, fond sur la cosmogonie fminine gnitrice garde sa position dominante dans les sites fortifi s tandis que dans les ncropoles situes en dehors des fortifi cations apparaissent les prmices dun nouveau type de cosmogonie. Un nouveau groupe social se dessine nettement celui des hommes guerriers et lappa-rition des couches sociales est lgitime idologiquement par le rite. La cosmogonie cratrice, fcondatrice et constructive prend le des-sus : ce processus est refl t dans le nouveau systme smantique et lart commence se transformer en langue de la subculture li-taire. Cest lpoque o apparat lobjet prcieux dont la smantique est rvle non seulement travers la symbolique de la forme et de la dcoration, mais aussi par la valeur du matriau dont il est fabri-qu et / ou bien orn. Le chalcolithique est la premire poque o lhumanit dtermine lor comme le symbole du sacr et de llitaire, image quil garde de nos jours encore. Les insignes statutaires et idologiques sont labors en or. La ncropole chalcolithique de Varna fournit un exemple signifi catif : parmi les 281 tombes, il ny en a que 15 dans lesquelles sont disperss divers objets en or dont le poids commun dpasse 6,5 kg. La tombe dun homme de 45 ou 50 ans est particulirement remarquable en raison des objets en or quon y a trouvs, plus de 1000, parmi lesquels on dnombre des insignes (un pectoral en or, un marteau-sceptre en cuivre dont le

    Bracelet en or de la ncropole de Varna. Chalcolithique tardif

    Parures en or de la ncropole de Varna. Chalcolithique tardif

    Le chalcolithique est cette poque de lhistoire de la culture o lhomme dcouvre le cuivre, lor et largent, en perant le secret de lextraction et du traitement des mtaux. Ds son apparition, la mtallurgie se dclare tre un phnomne supra-culturel des s-ries de pices mtalliques du mme type sont diffuses sur des territoires vastes et disparates du point de vue culturel. Les terres bulgares sont une partie importante de la province mtallurgique balkano-carpatienne. Les objets produits partir du cuivre prove-nant des Balkans et des Carpates sont rpandus dans un norme espace stalant sur la plus grande partie de lEurope du sud-est et de lEurope de lest. Cest la plus puissante mtallurgie prcoce du monde antique la quantit de ses articles, dont les deux tiers sont en mtaux prcieux, dpasse largement celle des objets mtalli-ques appartenant aux civilisations du Proche orient. Au cours du chalcolithique, les objets en or sont concentrs dans les Balkans, dcouverts pratiquement dans une seule ncropole celle de Var-na, bien que des pices analogues, mais moins riches, soient d-couvertes dans une vingtaine de sites du monde antique.

    La mtallurgie chalcolithique dans les terres bulgares (5000 4000/3900 ans av. J.-C.) exploite intensment les mines de cuivre en Thrace, pour fondre en sries nombreuses des instruments iden-tiques, ou bien poure produire des parures diverses en cuivre et en or. Lidologie de la socit volue paralllement aux changements

  • 2 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    manche est envelopp dune feuille dor, un phallus en or) ainsi que plusieurs parures en or. La richesse et la symbolique des dons fun-raires tmoignent du nouveau statut idologique lev de lespce masculine. Au chalcolithique apparaissent les premiers vases pr-cieux. Ils sont en cramique, mais sont peints de couleurs dont la prparation ncessite des matires premires rares et dont la four-niture suppose une organisation importante, du temps et des res-sources. Telle est la dcoration graphitique, couramment applique ds le dbut de lpoque, ainsi que le dessin en or de la phase fi -nale de lpoque.

    Le chalcolithique est lpoque de transition de la socit gali-taire la socit litaire au sein de laquelle les diffrents groupes sociaux se caractrisent par des niveaux diffrents dappartenance au sacr, le sommet de cette hirarchie idologique ayant t des-tin au roi sacr. Au Ve millnaire av. J.-C., le territoire de la Bulgarie fait partie des rgions les plus dveloppes du monde agraire, tant

    Appliques zoomorphes en or de la ncropole de Varna. Chalcolithique tardif

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    Haches-sceptres prcieuses de la ncropole de Varna. Chalcolithique tardif

  • LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    ce, les sites des agriculteurs sdentaires cdent la place des sites de courte dure pour lconomie desquels llevage joue un rle plus important. Paralllement la transformation du mode de vie, dispa-raissent certains lments de la culture, tels les vases cramiques peints et la petite sculpture, les signes pictographiques, les tombes parsemes de parures dor et dinsignes.

    Les raisons et les facteurs qui ont provoqu cette transformation radicale du mode de vie de la population seraient multiples. Les chan-gements dfavorables du climat joueraient un rle non ngligeable. Cest aussi le commencement des exodes des peuples, dintensit et de nature diverses qui ont amen la disparition dfi nitive de lancien systme chalcolithique stable et la formation du nouveau systme du bronze qui est bien plus dynamique. Les deux poques sont radicale-ment diffrentes lune de lautre et labsence de succession entre les deux sexplique peut-tre par le processus dindo-europisation de la population, ainsi que par la mise en place dun nouveau systme my-tho-rituel qui dbute cette poque, ce qui signifi e la mise en place dun nouveau type de culture artistique.

    conomiquement que socialement ; les premires bauches dcriture se manifestent la mme poque. Lapparition du systme smantique de symboles graphiques, la fabrication de maquettes dor des objets (serpe, joug, diadme) met en vidence laffi nement de la facult de symbolisation mentale de lhomme primitif. La pro-tocriture est un symptme important de lapproche de lpoque de la civilisation. La socit est son seuil. Il ne reste quun seul pas franchir qui, pourtant, est fait ailleurs.

    Au dbut du IVe millnaire commence la dcadence des cultures chalcolithiques suivie de leur disparition. La transition entre lpoque chalcolithique et celle du bronze qui vient aprs stale sur quelques sicles et la datation prcise est un des problmes scientifi ques les plus dbattus. Les sites ne sont pas connus et seuls les tumulus fun-raires, inconnus au cours du chalcolithique, ainsi que les outils mtal-liques du travail, confi rment la prsence humaine dans les terres bul-gares au cours de ces sicles. Les tells sont incendis et pills pour des raisons inconnues, bien quon ne dispose de donnes dactivits militaires que pour un nombre de cas restreint. En toute vraisemblan-

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    Parures en or de Dabn. poque du bronze ancien

  • 6 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    reliant les steppes dynamiques du nord de la Mer Noire aux centres urbains stables du sud-est de la Mditerrane. Les migrations de la population et des ides dterminent de faon non ngligeable le dveloppement de la rgion. Cest ici que se rencontrent et se transforment et cest dici que partent les acquis de la culture, cest ici que prennent leur source nombre de processus culturels qui ont marqu le dveloppement de lEurope tout entire.

    Au cours de lge du bronze ancien (3200 2000 av. J.-C.), dans la rgion de la Mer Noire fonctionnent quelques centres mtallurgiques puissants parmi les produits desquels prdominent les objets de mtaux prcieux. La dissmination de ces nombreux objets en or et en argent ainsi que de ceux en pierres semi-prcieuses est irrgulire. La plupart ne sont concentrs quen quelques points archologiques bien que des spcimens unitaires soient retrouvs dans toutes les cultures. Il y a trois ans, la science ne connaissait que deux cultures dor celle de Makop en Transcaucasie et celle de Troie en Asie Mineure.

    Et voil quen 2005, en Thrace, prs du village de Dabn, dans la rgion de Karlovo a t dcouvert un nouveau centre dor . Dans deux tumulus en pierre, trs bas, disposs dans un vaste champ sacral, ont t dcouverts plusieurs objets prcieux dats de lpoque du bronze ancien. Les accumulations en pierre marquent lendroit et recouvrent les restes dun rituel sophistiqu, excut au cours des derniers sicles du IIIe millnaire av. J.-C. Ce rituel exigeait la structuration de lespace par des vases cramiques, des fosses creuses dans le terrain et des pierres ordonnes, mais aussi des sacrifi ces danimaux et le dpt dobjets prcieux. Il ny avait pas de dpouilles humaines. Cest--dire on na pas affaire des inhumations, mais un enterrement rituel dobjets prcieux. Les objets dor labors avec prcision sont nombreux. Dans la structure rituelle N3 sont dcouverts plus de 15 000 objets dor, leur poids dpassant les 250 g. La plupart sont des lments de

    Lge du bronze apporte de nouvelles technologies : le cuivre est remplac par les alliages du bronze, plus rsistants et plus fonctionnels du point de vue technologique. La mtallurgie du bronze est le facteur fondamental de lexpansion de lancien rseau chalcolithique et de lapparition du nouveau rseau de cultures interlies de lge du bronze ancien. Il stale sur laire balkano-carpatienne, mais aussi sur toute la rgion de la Mer Noire. La rpartition irrgulire des matires premires et lexistence de niches cologiques diffrentes stimulaient le dveloppement de relations interculturelles actives. Lapparition des moyens de transport a acclr le transfert dinformation et dinnovations entre les aires spares en facilitant aussi les migrations. Au cours de lge du bronze les terres bulgares constituent un carrefour important

    LAge du bronze

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    Glaive la poigne dcore dor ferr de la Collection V. Bojkov . poque du fer ancien

    Moules couler des haches-sceptres. Trsor de Pobit Kamak. poque du bronze tardif

  • LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

  • Niches rupestres des Rhodopes. poque du fer ancien

  • 50 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

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    deux colliers en or. Dans la structure rituelle N5 sont dcouverts 5479 lments en or provenant de parures, une lamelle en or, une bote en argent avec couvercle et des perles de verre. La prsence darmes parmi les objets sacrificatoires un couteau en bronze au manche orn dincrustations dor, un poignard en argent et un stylet en or est dune importance exceptionnelle. Limportance symbo-lique rituelle et statutaire des armes prcieuses est confirme par le matriau inapte aux fonctions attribues lobjet. Le stylet en or est smantis un second niveau la lame est coupe, ce qui annule une deuxime fois ses fonctions utilitaires.

    Quest-ce quil reprsente, ce rite compliqu, qui rappelle les pratiques funraires, mais sen diffrencie grandement, et dont le terrain daccomplissement est loign du site et des sanctuaires ? Tirer des conclusions avant les analyses archologiques dfinitives du site et avant les publications compltes serait dplac. Mais il est clair que des objets destins lutilisation purement sacrale existaient en Thrace au cours de lge du bronze ancien. La diffrence entre ce site et ceux de Makop et de Troie, cest la prsence des armes prcieuses, dsignant les fonctions de guerrier. Ce qui importe, cest le fait que la Thrace a mis jour un autre centre dor de la rgion de la Mer Noire ce qui, dune part, claircit le milieu rituel et artistique et, dautre part, reprsente un

    chanon important dans le rseau commun de toutes les mani-festations de la culture au cours de la troisime phase de lpoque du bronze ancien sur laire tout entire de sa dissmination. Les nombreuses relations, tablies depuis longtemps, et laspect synchrone dans le dveloppement des cultures de la Thrace et de Troie revtent une nouvelle signification. On peut constater la formation parallle en Thrace et Troie de centres de pouvoir et de richesse, dans lesquels lorganisation de la socit sest loigne considrablement de lgalit sociale typique pour la prhistoire et frle la structure hirarchique du proto-tat et de la socit dirige par un leader.

    Au cours des derniers sicles du IIIe millnaire av. J.-C., la Thrace vit un puissant essor culturel et conomique la structure urbanistique est compose de citadelles situes au sommet du tell et de villages satellites, un grand nombre de btiments publics sont construits ( Karanovo, Mihalitch, Unatsit, Tran), la mtallurgie est trs dveloppe. Cet essor conomico-culturel est accompagn de la sophistication de lidologie et du systme mytho-rituel qui la dessert. Aux alentours des sites dhabitation surgissent des sanctuaires-rotondes. Certains sont levs sur des tells dlaisss ( Urgandjiiska moguila, prs de Koneuvo, dans la rgion de Nova Zagora ; Merjoumkia, prs de Drama, dans la rgion de

    Figurine de cerf en bronze de Svlivo. poque du fer ancien

    Lingot de cuivre de Tchernozme. poque du bronze tardif

  • 52 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    Yambol ; Vesslinovo, dans la rgion de Yambol et Kazanlak) et dautres sur des minences naturelles ( Tcherna gora, dans la rgion de Tchirpan). Les caractristiques principales des sanctuaires sont le choix de lminence et la douve circulaire qui cerne lespace sacr. On y a dtect des traces dactes rituels, ce qui confi rme sa fonction de limite sparant le sacr du profane. En se fondant sur le plan du sanctuaire de Tcherna gora, le mieux tudi, lespace sacr lintrieur est organis de faon sophistique. Y sont pratiques des constructions cultuelles supplmentaires des fosses, des esplanades, des foyers, un btiment / temple. La construction et lentretien des rotondes demandent un travail dur et intense ainsi quune organisation complexe et la gestion autoritaire, ce qui pourrait servir de preuve de lorganisation dveloppe de la structure hirarchique de la socit.

    Vers la fi n du bronze ancien, la Thrace retrouve sa place au seuil de la civilisation. La prosprit des sites qui reprsentent des protovilles est fonde, avant tout, sur le commerce et les mtiers. La culture est imposante, mais compare aux civilisations antiques de lOrient, elle a lair provincial et archaque ; son style artistique manque dunicit. Lart de lpoque est dtermin, dune part, par

    lexubrance et la complexit technique des objets en or et en argent, par la prsence dun grand nombre doutils et darmes en bronze, et, dautre part, par la cramique monochrome, parfois agrmente dornements gomtriques inciss, faits la main. Des arts typiques pour les civilisations du Proche Orient, qui existaient en parallle, tels que la petite sculpture, larchitecture urbaine monumentale, lart de construire des sanctuaires, la glyptique sont absents.

    Bien quau cours du bronze moyen, la mtallurgie ait eu des succs, tout comme 2000 ans auparavant, la civilisation ne fait pas son apparition. La plupart des citadelles sont incendies et la socit retourne lorganisation galitaire de la vie. Les monuments tudis sont peu nombreux et les caractristiques de la culture de cette poque restent fl oues. Il se peut que linstauration de lpoque du bronze moyen dans les terres bulgares au dbut du IIe millnaire av. J.-C. fasse partie des transformations radicales survenues partout en Europe du sud-est et en Asie Mineure. Selon lopinion presque unanime des savants, elles rsultent de la nouvelle vague de migrations tribales, probablement dorigine indoeuropenne. Le rsultat de ces phnomnes dune trs large envergure cest la scission de la zone de la Mer Noire, la disparition ou le dclin de ses centres hirarchiques dor, les processus civilisationnels qui stablissent dans la partie sud des Balkans en Crte et en Ploponnse.

    Au cours du bronze tardif (la deuxime moiti du IIe millnaire av. J.-C.) la culture dveloppe sur les terres bulgares spanouit de nouveau, marque par lapparition de maints objets aux formes nouvelles : des outils et des armes en bronze, des doubles haches, des sceptres et des parures, des services complets en or.

    Les objets prcieux en bronze et en or sont runis en trsors, pratique courante au XIIIe XIe sicles av. J.-C. Les trsors ont t enfouis dans des endroits diffi ciles atteindre. Ils sont constitus de haches plates, de serpes et de doubles haches des outils absolument trangers linventaire funraire. Parmi les objets enfouis, on retrouve aussi des maquettes doutils qui, compte tenu de leurs dimensions miniatures, ne pouvaient pas accomplir de fonctions utilitaires ni avoir une valeur matrielle ce qui rvle la nature sacrale du trsor et son appartenance au domaine mytho-rituel.

    Les trsors-dpts apparaissent la fi n de lpoque du bronze. Une quantit importante de mtal y est accumule, ce qui est un signe distinctif de richesse pour cette poque. Voil pourquoi la

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    Statuette fminine en terre glaise. poque du bronze tardif, culture de la cramique incruste

    Rcipient cramique en forme doiseau aquatique. poque du bronze tardif,

    culture de la cramique incruste

  • 5 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

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    composition de ces trsors est extrmement varie des lingots, des morceaux disparates, des objets en bronze despce, dorigine et dge diffrents. Certains trsors psent des dizaines de kilos et on y dnombre des centaines de pices.

    Le plus clbre des trsors de vases en or est dcouvert dans le village de Valtchitran, en Bulgarie du nord-est. Les objets prcieux un kantharos, des gobelets, des couvercles et un rcipient triplet sont en or massif et peuvent tre utiliss couramment. On peut imaginer les rituels religieux solennels au cours desquels ces objets avaient le rle principal. Ce sont surtout les couvercles deux grands et cinq petits qui suscitent lintrt. Leur fonction principale cest de couvrir, denfermer. En souvrant, ils mettent en libert dans le monde des vivants les forces de lau-del, enfermes jusqualors. Des variations de ce mythologme peuvent

    tre dpistes dans les mythes et les contes de fes des peuples du monde entier. Les gros couvercles du trsor sont

    orns dincrustations qui reprsentent une bande en argent dessinant un mandre

    en spirale. La couleur de largent voque lide de leau, et le

    mandre est le symbole courant du labyrinthe.

    Selon la mythologie indoeuropenne, le labyrinthe aquatique est la mtaphore de la voie vers lau-del. Voil pourquoi la prsence dans ce service du rcipient triplet, rappelant trois oiseaux aquatiques colls lun lautre est compltement logique. Ce sont les oiseaux aquatiques qui investissent les fonctions de messagers mythologiques qui peuvent frquenter les deux mondes. Un autre exemple du codage de lau-del par le labyrinthe ou l eau nous est fourni travers liconographie des fameuses dalles de Razlog.

    lpoque du bronze fi nal la fi gure de laristocrate-guerrier, arm dune rapire, dun glaive ou dune lance est nettement dessine du point de vue idologique. Au cours de toute cette poque, le territoire bulgare est en relation avec le monde gen, tant par rapport lart militaire que par rapport aux armes prfres. La double hache, une arme typique de la culture mycnienne, est rpandue dans les terres bulgares aussi. La diffrence entre les deux objets, appartenant des cultures diffrentes, consiste dans le fait que la hache des terres bulgares na quune fonction purement cultuelle. Parfois la hache est fabrique en terre glaise et son appartenance la sphre du sacr est souligne par les dcorations disposes, souvent, sur la lame mme.

    La culture de la cramique incruste est la culture la plus remarquable de lpoque du bronze fi nal sur les terres bulgares. Plus de la moiti des objets en cramique retrouvs dans les ncropoles sont richement dcors. Les pices de la petite sculpture sont diverses et varies des vases zoomorphes et ornithomorphes, des grelots, des fi gurines anthropomorphes, des objets curviformes, ainsi que divers modles cramiques de tables, de trnes, de petits pains, de haches, de barques, de roues, de chars et de parures.

    Les fi gurines anthropomorphes comptent parmi les tmoi-gnages les plus intressants qui rvlent les croyances religieuses de la population. Le choix des fi gurines humaines gisant dans leurs tombes nest pas alatoire parce que le type iconographique le plus frquent ne possde pas dyeux marqus ni, parfois, de tte

    Couvercle en or incrust dargent. Trsor de Valtchitran. poque du bronze tardif

    Vase en or en forme de kantharos. Trsor de Valtchitran. poque du bronze tardif

  • 56 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

  • 57Trsor de Valtchitran compos de rcipients en or. poque du bronze tardif

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    modele. Dans dautres cas, les statuettes sont intentionnellement casses ou bien dcapites. Il est possible que labsence dyeux (en contrepoint avec les fi gurines o les yeux sont souligns exprs par des rayons de soleil) soit un signe qui ddie ces statuettes la divinit fminine matresse du monde supraterrestre, puisque du point de vue mythologique la ccit dsigne lau-del.

    Les fi gurines ne sont dposes que dans certaines tombes denfants, dsignes rituellement, il semble, pour signaler leur passage dans lau-del. Compte tenu de leur fonction deffectuer un passage rituel, les statuettes sont souvent associes limage de loiseau aquatique qui peut franchir librement la lisire entre les zones cosmiques diffrentes. De cette faon, par les moyens de la langue image et objectale, on met en vidence le caractre doiseau de la desse vnre au cours de lpoque du bronze fi nal.

    Le char de Douplia, attel doiseaux aquatiques sur lequel repose une fi gure dhomme est particulirement intressant. Le sexe du personnage reprsent est mtamorphos par les vtements fminins quil porte, son pouvoir de voler est soulign par

    lattelage doiseaux et par les traits ornithomorphes assigns sa tte lors du modelage. Les diffrents lments de la sculpture dcrivent, par les moyens du langage artistique, linitiation dun chaman. Il se peut que les grelots ornithoformes appartiennent aux accessoires des chamans. Le grelot, et plus prcisment son bruit, est le seul moyen de communication possible, disposition de la socit, avec le monde de lau-del o se trouve le chaman pendant le rite, et loiseau est destin lui servir de monture.

    Au cours de lpoque du bronze ancien, le systme religieux est caractris par des rituels compliqus, mais son panthon est relativement amorphe, faible diffrenciation, o le rle le plus important est rserv la divinit fminine. Lidentifi cation de la personnalit de la divinit ou des divinits est un problme diffi cile rsoudre. La cause en est labsence absolue de textes crits en images qui auraient rvl les fonctions et les attributs propres aux divinits. Nous nous retrouvons, parfois, en prsence dattributs dont la fi nalit nous est inconnue. Mais ce sont des tmoignages, le reste est d, en grande partie, linterprtation libre.

    Gobelet mamelons en or. poque du fer ancien

    Amphore mamelons dAssnovets. poque

    du fer ancien

  • 60 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    Les processus culturels de la fin de lpoque du bronze final et de celle du fer ancien sont dterminants pour les tapes finales de la formation de lethnie thrace. Lpoque du fer ancien (Xe VIe sicles av. J.-C.) constitue la transition entre lpoque prhistorique et lantiquit thrace classique. Cest cette poque-l que se modifient les caractristiques principales des cultures archolo-giques, que se creuse la diffrenciation sociale et tribale de la socit thrace. Petit petit, le fer devient le matriau principal de production darmes et doutils, le bronze ne servant plus qu des fonctions ostentatoires ou cultuelles.

    Au cours de lpoque du fer ancien, les sanctuaires de montagne sont trs frquents. La plupart en sont utiliss depuis le dbut de cette poque, bien que la pratique cultuelle effectue sur les sommets des montagnes date de lpoque du bronze.

    Les sanctuaires sont disposs sur les points les plus levs qui dominent les environs. Leurs emplacements sont dtermins de telle faon quils soient faciles apercevoir de trs loin l-haut, un sanctuaire digne dAphrodite ne doit-il pas assurer un joli panorama et tre vu de partout ? Dans un sanctuaire suspendu entre ciel et terre, les frontires entre les mortels et les immortels se dissipent, lunivers des dieux et celui des humains communiquent plus facilement. Voil pourquoi cest un lieu de sacrifices et doffrandes, un espace qui permet de pntrer dans lavenir prdestin, cest--dire dobtenir une divination. Il est logique que parmi les objets trouvs il y ait plusieurs astragales, des ds, des poids de mtier tisser, des anneaux de fuseau divers objets utiliss au cours des

    pratiques et des jeux de prdiction La conception archaque du monde associe souvent le rituel des phnomnes astronomiques observs dans les sanctuaires partir de siges, naturels ou artificiels, appels trnes. Il parat que dans ce lieu sacr on accomplissait des rituels selon un calendrier appropri et les visites ntaient quoccasionnelles, pour la clbration de la fte.

    Le chemin qui conduit aux sanctuaires rocheux est dur, il demande des efforts et il exige de surmonter des obstacles, limage du chemin qui conduit au divin. Ces sanctuaires sont pratiqus dans des formations rocheuses naturelles aux formes insolites. Lendroit est peru comme un lieu cr par des dieux ou des hros, portant les traces des activits surhumaines et, par consquent, lintervention humaine y est sobre, exprime par des retouches qui achvent laspect du site naturel par des signes culturels reconnaissables. Ces derniers aident la socit interpr-ter le paysage et la progression de la procession rituelle qui le traverse : plusieurs sanctuaires comportent des marches tailles dans les roches, certains forment des paliers se superposant, et dautres renferment des plates-formes naturelles ou tailles dans les roches qui surplombent lespace dcouvert le plus proche, situ en bas.

    Au cours de lpoque du fer ancien en Bulgarie du sud-est apparaissent des monuments dune nouvelle espce les dolmens et les cromlechs. Les dolmens reprsentent des spulcres de familles aristocratiques recouverts dun tumulus. Ces constructions monumentales sont bties de grosses dalles de pierre presque

    Fibule en bronze. Collection prive. poque du fer ancien

    Sanctuaire rupestre thrace, Bglik Tache. poque du fer ancien

  • 62 LE CARREFOUR DES CULTURESLart pr historique

    brute. Parfois, bien que rarement, les dalles dentre portent des signes gravs. Larchitecture de ces monuments rappelle une grotte, lincarnation mytho-potique de lentre de lau-del, et les signes gravs symbolisent le chemin diffi cile, tel un labyrinthe, qui y conduit. Tout comme dans les sanctuaires, o tout site naturel pourrait tre prsent comme le rsultat dun exploit hroque, dans les monuments funraires le renvoi vers le hros est incontestable. Laire indoeuropenne dans son intgrit dcle des lgendes de la naissance du hros partir dune pierre et de sa demeure dans les roches, aprs sa mort. En Thrace aussi, Rhzos et Zalmoxis habitent les grottes des montagnes o ils sont enferms perptuit. Si le spulcre construit dans le tumulus avait t conu comme une grotte, alors la mort aurait revtu laspect dramatique de la disparition dans le massif rocheux du dolmen. La domination de pareilles ides mytho-rituelles au cours de cette poque attribue peut-tre un rle aussi important la roche, bien que nous ne connaissions pas assez bien les fonctions des niches rocheuses sur les versants verticaux des Rhodopes de lest.

    Le style gomtrique est le style artistique commun tous les peuples de lpoque du fer ancien. Il existe sur un vaste territoire form de lEurope et de lAsie. Les rgions diffrentes pratiquent des variations dans la dcoration et dans la composition qui leur sont propres. En Thrace, ce style est caractris par un systme fond sur des motifs constitus de compositions dlments gomtriques simples, parmi lesquels les plus frquents sont les petits cercles centrs et les signes en forme d S . Les cannelures

    et les boucles qui soulignent leffet dcoratif sont aussi trs courantes dans la dcoration des vases en cramique. Au cours de la deuxime moiti de lpoque du fer ancien dans lart pictural se manifestent des motifs fi guratifs : ce sont le plus souvent des oiseaux aquatiques et des coqs, des animaux domestiques de lordre des onguls, des animaux sauvages paisibles le taureau, le bouc, le blier et le cerf. Limage humaine est dune raret exceptionnelle. Les fi gures sont stylises gomtriquement, sans prendre en considration les dtails.

    Au cours de lpoque du fer ancien, le fond dobjets dart senrichit aussi. Des parures apparaissent, destines non seulement lhomme mais aussi au cheval lanimal sacr des thraces. La bride du cheval est dcore dun frontail en bronze (reprsentant souvent une double hache), dappliques cruciformes, de poitrails dcors.

    Les parures coules en bronze sont une des particularits les plus intressantes du style gomtrique de lpoque du fer ancien. Lessor de leur production est dat entre le VIIIe et la premire moiti du VIe sicle av. J.-C. Elles sont dcouvertes dans les spultures. Les fi bules sont la parure courante, mais il y a aussi des boucles doreilles, des torques, des colliers du type Salta Leone , des perles en verre, des pendentifs, diffrents types de bracelets pour les bras et pour les jambes. Les ceintures et leurs lments comptent parmi les ouvrages les plus attrayants de lart thrace ancien.

    Au cours de lpoque du fer ancien, en Thrace, on utilise les anciennes armes en bronze, mais aussi les nouvelles en fer. Les glaives en bronze sont des objets chers, dtenus par plusieurs

    Parure de bride en bronze. poque du fer ancien

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    gnrations possds par llite et symbole du pouvoir. Une preuve sre en est le glaive en bronze, paru rcemment, dont la valeur leve est indiscutable cause de la dcoration gomtrique grave sur le tranchant et la poigne incruste dor. Lapparition de glaives et de stylets en fer, matire plus ordinaire, indique que ces armes sont devenues de vritables armes de combat.

    La culture thrace, ds sa premire priode poursuit sans interruption la production de gobelets en or. cette poque-l, ils sont orns de mamelons ou de cannelures et, du point de vue stylistique, ils appartiennent au style gomtrique local. Ces objets prcieux indiquent le statut social ; se faisant le refl et des notions idologiques, ils sont ncessaires aux pratiques rituelles et enrichissent les formes objectales de la culture.

    Ce tableau dtaill de la culture thrace de lpoque du fer ancien nous prpare la priode de son essor qui, dans les terres thraces, sinstaure au cours des sicles qui ont suivi.

    Armes prcieuses. Glaive de la Collection V. Bojkov et poignard de

    Blogradets. poque du fer ancien

  • 6 LE CARREFOUR DES CULTURESLart des Thraces

    Lart des Thraces

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    Les connaissances dont nous disposons sur lart des Thraces de lpoque classique et hellnistique nous parviennent travers les multiples dcouvertes faites en Roumanie, en Grce, en Tur-quie, en Moldavie, en Ukraine et surtout en Bulgarie. Les spultures et les trsors constituent les principales sources dinformation sur la culture artistique des Thraces. Grce ces pratiques rituelles nous sommes en possession de milliers duvres de la toreutique le travail des mtaux prcieux : divers vases, accessoires du harna-chement du cheval, bijoux, ainsi que beaucoup de vases grecs en cramique peinte, rcipients en bronze, ouvrages destins larme-ment dfensif. Les objets trouvs au cours des trente dernires an-nes ont enrichi nos connaissances sur le caractre de lart des Thraces, sur ses sources et ses interactions avec les autres gran-des cultures de lAntiquit. Rangs dans les vitrines des muses, ces objets provoquent notre vive admiration devant la matrise et lhabilet de ceux qui les ont crs. Cependant, il ne faut pas oublier que pour les gouverneurs thraces ce ntaient pas les critres es-thtiques qui taient les plus importants. Dans ce milieu, lart fonc-tionnait de faon diffrente, jouait dautres rles et avait des objec-tifs particuliers sociaux, politiques et idologiques principalement, tandis que, pour le chercheur, lobjectif le plus important est de trou-ver le point de vue thrace , de se mettre la place des anciens pour observer ce que nous appelons art . Ce sont ces anciens monuments qui portent, code, la seule information domestique qui explicite les notions mytho-rituelles des Thraces, cest la voix authentique des Thraces qui y est enregistre.

    Couronne en or de Moguilanska moguila, prs de Vratsa

  • 66 LE CARREFOUR DES CULTURESLart des Thraces

  • 67Amphore du Trsor de Panaguricht, dtail

  • 6 LE CARREFOUR DES CULTURESLart des Thraces

    Au dbut du Ve sicle av. J.C., lart thrace modifi e radicale-ment ses principaux paradigmes. Cest lpoque dune brusque transformation, dun dveloppement acclr et de lexpansion des contacts avec les peuples voisins, en vertu des mutations surve-nues dans les fonctions sociales et idologiques de cet art. Ds la fi n du VIIe sicle av. J.-C., sur les rives thraces de la mer dEge, de la mer de Marmara et de la mer Noire, surgissent des colonies grec-ques qui assurent les contacts commerciaux, mais sont aussi sour-ce dinfl uence culturelle. la lisire du VIe et du Ve sicles av. J.-C., la puissante arme des Perses traverse deux reprises la Thrace au cours de ses marches contre les Scythes et les Grecs. Cest dans ce vide politique, qui sinstaure la suite de la dfaite des Perses par les Hellnes, que naissent les premires formations ta-tiques stables, tel le royaume des Odryses du roi Trs I. Aprs lpoque dHomre, cest la premire fois que les Thraces montent sur la scne politique du monde antique.

    Cette nouvelle situation se refl te dans le caractre de lart. Lor et largent deviennent les matriaux principaux des artisans. Un nouveau systme dobjets artistiques se met en place. Les pices de larmement de dfense sont fabriques en bronze le plus sou-vent : le casque, larmure, les genouillres sont orns dimages ci-seles et dappliques en or. Les vases se diversifi ent considrable-ment, ce qui tmoigne de leur destination des fi nalits rituelles spcialises : des jarres, des rhytons, des kylix, des kantharos, des skyphos, des aryballes, des gobelets, des situlas, des hydries. Les bijoux, fabriqus majoritairement en or et moins souvent en argent, voient aussi se diversifi er le rpertoire des techniques de leur fabri-

    Phiale de la Collection V. Bojkov

    Genouillre de Moguilanska moguila, prs de Vratsa

    Lart des Thraces aux VIe Ier si cles avant J sus

  • 70 LE CARREFOUR DES CULTURESLart des Thraces

    Pgase, protom et rhyton de Vazovo

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    cation, de leurs formes et ornements. Une attention particulire est porte laspect extrieur de la bride du cheval. Elle comporte un frontal / un chanfrein, des illres, des phalres la jonction des courroies, des pendentifs, un poitrail, des ornements de la selle. Tout cela trahit un lan vers la smiotisation des objets qui corres-pond aux besoins accrus de signalisation des topoi (lieux), des rangs, des notions.

    Au cours de cette poque mouvemente du point de vue poli-tique, social et culturel se fait sentir le besoin dune langue fi gure mieux dveloppe. Elle doit pouvoir transcrire les nouvelles exigen-ces de lidologie royale qui taient dargumenter, de lgitimer lide que le pouvoir est donn par Dieu. Liconographie du style anima-lier se transforme radicalement : dsormais la place principale est rserve aux fauves (le lion, le sanglier, lours, le loup, les rapaces) et aux animaux fantastiques (le griffon, le sphinx, le dragon) souvent reprsents en scnes de combat avec des herbivores (le cerf, le cheval). Cette transformation est due au fait que les btes fauves et sauvages, symboles de force et de pouvoir, sont dancien-nes pithtes piques associes, lpoque, linstitution royale. Leur victoire invitable dans le combat contre les btes paisibles est une mtaphore de lexercice du pouvoir. Si au cours des poques prcdentes la silhouette humaine napparat quaccidentellement,

    cette poque-l, elle est constamment prsente dans le fond dimages. La naissance de ce style anthropomorphe est condi-tionne par le besoin de concrtiser le message fond sur lpique qui ncessite une meilleure prcision que la langue trop gnrale des reprsentations animalires narrive plus satisfaire. Les objets incarnent les images et les sujets de lidologie royale : les preu-ves qui mettent en valeur le hros prtendant au trne (prsen-tes dramatiquement en tant que chasse lours, au lion, au cerf et surtout au sanglier), le mariage avec la princesse fi lle de la Des-se et incarnation du territoire du royaume, linvestiture, lapothose.

    La prise de conscience de cette nouvelle langue artistique se fait travers les images sur les objets grecs imports, largement utiliss au cours des funrailles au Ve sicle av. J.-C. cette po-que-l, quil y a peu de temps nous ne connaissions qu travers linventaire funraire des tumulus de la ncropole de Douvanli, ce sont justement les objets hellniques imports qui expliquent le pro-cessus dapparition de lart en Thrace, en tant que rpertoire dob-jets et de fonctions idologiques. Les nouvelles dcouvertes ar-chologiques Tchernozme et Svtitsata (des trouvailles acci-dentelles) dcrivent un horizon form majoritairement de vases hellniques prcieux, fabriqus au cours de la deuxime moiti du sicle.

    Bagues en or : Starossel et Malomirovo-Zlatinitsa

  • 72 LE CARREFOUR DES CULTURESLart des Thraces

    Harnais de cheval

    Genouillres en bronze de Goliama Kosmatka

    Limportation dobjets hellniques soulve rapidement et invi-tablement un problme qui donne lieu des discussions, et notam-ment le problme des in uences sur lart thrace. Je ne trouve pas que lemprunt dobjets et de formes, dimages, de sujets ainsi que limportation duvres toutes faites, produites par lart mieux dvelopp de la Grce et de la Perse, lse lunicit des Thraces. Tout dabord, cette poque-l, nul peuple ne nourrit pareille ide ni ne sautovalue de cette manire. La notion dun style dtermin ethniquement, encore moins individuellement, est un phnomne beaucoup plus tardif et na pas dquivalent dans la pense des gens archaques. Je naccepte pas, non plus, la thse de lhellni-sation de la noblesse thrace fonde uniquement sur le fait quelle se faisait importer des uvres dart prcieuses de la Grce voisine. videmment, laristocratie thrace considrait particulirement pres-tigieux les objets trangers exotiques la tradition dapprcier

    davantage ce qui vient de lextrieur est ancienne et confi rme par les dcouvertes archologiques dans lEurope tout entire. Qui plus est, les prcieux objets grecs ne sont commercialiss que dans les pays barbares o ils fonctionnent en tant quinsigne social ; la Grce dmocratique, trouvant pareils trsors inutiles dans la vie quotidienne, les consacrait aux temples. Le dsir des artisans-artistes thraces de se servir des talons des achmnides est tout fait naturel. Les matres grecs pratiquant la toreutique destinaient leur production aux marchs barbares et prenaient en considration les exigences de leurs clients barbares. Et cela, parce que le roi des rois persan constituait un modle suivre pour les petits rois barbares nest-ce pas Hrodote qui affi rme que les Thraces, considrant comme sacr le chemin sur lequel tait pass Xerxs, ne labouraient plus ces terres-l ?

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    Les interactions avec les cultures barbares voisines celle des Scythes et celle des Celtes ne font plus de doute. Au Ve sicle av. J.-C., dans les terres thraces existent des appliques en bronze qui sont typiques pour liconographie et le style de lart scythe (par exemple, un fauve enroul en boule). Cest naturel parce que les rois odryses concluaient des mariages dynastiques avec la maison royale scythe. Au cours du sicle suivant pourtant, lchange cultu-rel change de direction. Dans plusieurs tumulus des steppes scy-thes, linventaire funraire est constitu principalement dobjets produits par la toreutique thrace (Homina moguila, Ogouz, etc.). Au cours de la premire moiti du IIIe sicle av. J.-C., les Celtes enva-hissent la Thrace et y instaurent leur royaume. Leur influence cultu-relle se traduit par lachat darmes celtes (glaives et boucliers sui generis), mais aussi par liconographie et le style de la toreutique. La puissance accrue de lEtat macdonien menace les royaumes thraces, mais aprs Philippe II, et particulirement sous Alexandre le Grand, lEtat impose son modle du pouvoir, reflt rapidement dans larchitecture funraire, dans les thmes communs de lart, dans lchange dobjets prcieux.

    Broc de Svilengrad

    Phiale prsentant Aug et Hracls du Trsor de Rogozne

    Petits brocs du Trsor de Rogozne et de Simonovgrad

  • 76 LE CARREFOUR DES CULTURESLart des Thraces

    Cest grce ces interactions intenses que se cre un koin (communaut) culturel, ce processus dintgration tant catalys et facilit par le fait que les objectifs de lart dans ces pays sont les mmes. Dautre part, la notion mme de culture contient lide d ouverture , dinterfrence. La culture de lAntiquit, exactement comme lart contemporain, se dveloppait dans un contexte plus vaste, changeant sans cesse de priorit et dinteraction entre le donneur et le receveur . Et le receveur naurait pas accept linfluence extrieure si l emprunt navait pas pu sintgrer d`une faon naturelle dans son systme de valeurs. cette poque-l, lorigine ethnique de lartiste, ainsi que son appartenance une tradition artistique dtermine, navait pas dimportance ; ce qui im-portait, ctait le milieu auquel son produit tait destin. Ainsi, peut-tre, si lon se servait du terme plus neutre d interaction au lieu d influence , les passions sapaiseraient. La pratique des clients thraces dadresser leurs commandes aux matres grecs se poursuit au cours des sicles suivants, ce qui est prouv par les dcouvertes de Dalakova moguila et de Goliama Kosmatka . Il est possi-ble que plusieurs de ces objets prcieux se soient trouvs dans les trsoreries des rois thraces en tant que prsents diplomatiques. La pratique rituelle qui exige que linvit offre un cadeau lhte tait largement rpandue Thucydide crit que dans la cour des Odryses

    Poigne de glaive de Goliama Kosmatka

    Applique de harnais de cheval du Trsor de Loukovite

  • 7 LE CARREFOUR DES CULTURESLart des Thraces

    rien ne pouvait se faire sans loffrande de cadeaux et cet apport la trsorerie tait gal celui assur par les impts. La description du festin organis par Seuths lintention de Xnophon, son invit grec, nous donne les preuves que les prsents taient une des voies de pntration des objets prcieux dorigine grecque ou per-sane dans la socit thrace.

    Lidentifi cation de linterpretatio thracica linterprtation thra-ce des images sur les objets dimportation reprsente un autre pro-blme, non moins intressant que celui de limportation mme de ces objets. Plusieurs vases en or et en argent (provenant de Tcher-nozme, de Douvanli, de Rosovets, de Rogozne, de Borovo, de Dalakova moguila, de Mramor moguila, de Panaguricht) ainsi que les peintures murales d Ostroucha prsentent des images et des sujets des mythes grecs : principalement les travaux dHracls et de Bellrophon, ainsi que des scnes des cycles piques de Troie et de Thbes. Je crois que ce sont ces textes fi gurs notamment qui nous persuadent que les clients thraces ntaient pas que des parti-cipants passifs cet change culturel. Linstauration de lidologie royale au rang de systme conceptuel fondamental et source princi-pale de liconographie impose lpique le rle de moyen important de propagation de lide de la vertu hroque en tant que modle de comportement de laristocratie. Il est naturel que les cycles piques soient trs populaires dans les cours royales et les sources crites confi rment que des rhapsodes grecs chantaient les pomes de Troie et de Thbes pendant les ftes des rois thraces. Du point de vue de la typologie, ce processus reprend, en Thrace, la situation qui existait en Grce et en trurie aux VIIIe VIIe sicles av. J.-C., lorsque le Hros se transformait en aeul pique de la dynastie et en

    Glaive thrace de Svlivo

    Casque du type thrace de Pltna

  • 0 LE CARREFOUR DES CULTURESLart des Thraces

    modle qui devait tre imit et reproduit. Laristocratie puise son autorit sociale et sa notorit dans les exploits piques du Hros. Dans les personnages et les batailles de Bellrophon, dHracls et dAchille, les rois thraces reconnaissaient les exploits de leurs hros dynastiques la morphologie du personnage hroque est commu-ne toute uvre pique et se rpte partout. Liconographie grec-que permet aux Thraces de visualiser les ides piques locales, de leur attribuer la chair figurative dont elles avaient t prives jus-qualors. Cest un processus qui se droule au sein de tous les peu-ples non-grecs de lpoque : en trurie, en Asie Mineure, en Mac-doine, en Scythie, chez les Celtes.

    Llan qui faisait que les Thraces recherchaient des changes artistiques venait des cits de la Grce mme, et des colonies grecques qui parsemaient le littoral de la mer dEge, de la mer Mar-mara et de la mer Noire. Indiscutablement, cest ce voisinage qui conditionne la prsence et la circulation de beaucoup plus dobjets

    Broc-rhyton du Trsor de Panaguricht

    Amphore-rhyton du Trsor de Panaguricht, dtail du fond

    grecs en Thrace que dans les terres des Celtes, par exemple. Apol-lonia est la colonie la plus ancienne de la mer Noire, fonde la fin du VIIe sicle av. J.-C. par des migrs de Milet. Les fouilles de la riche ncropole rvlent des milliers de vases cramiques figures noires ou rouges, dcors de scnes mythologiques ou piques. Il est probable quune des poteries qui les produisaient tait dans la ville mme. Ctait certainement de cette source que de pareils ob-jets luxueux taient couls vers lintrieur du pays, parce que le sujet Apollon arrive Delphes sur un cygne est prsent sur un cratre dApollonia ainsi que sur un vase du tumulus prs de Kaloa-novo, dans la rgion de Slivne. Lhydrie figures rouges nous ren-seigne sur le rle des mystres des Cabires/les Grands Dieux dans la maison royale des Odryses. Les temples en marbre abritaient des statues de sculpteurs hellniques clbres : dans le temple dApol-lon, la statue du dieu a t sculpte par le clbre artiste grec Cala-mis lui-mme au cours de la premire moiti du Ve sicle av. J.-C.

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    La prsence de plusieurs stles peintes ou ornes de reliefs trans-forme la ncropole en une vritable galerie dart. Messembria tait aussi une ville extrmement riche en uvres dart. ct des stles en marbre, typiques pour le IVe sicle av. J.-C., ornes de scnes dadieu, de corps debout, etc., la ncropole de la ville gardait aussi des vases luxueux, plusieurs objets en terre cuite, ainsi que des hydries en bronze ornes de scnes de la mythologie thrace , telles lenlvement de la princesse dAthnes Oritia par Bore, le vent thrace du nord ou bien Dionysos ( qui les Hellnes attri-buaient lorigine thrace) et son vieux compagnon Silne . Odessos est une ville importante du littoral ouest de la mer Noire. Des tem-ples et des difices publics trnaient sur lagora et abritaient des sculptures de divinits. Le dieu principal de la ville tait le Grand Dieu dont les fonctions se confondaient avec celle du dieu local Darzalas. Son effigie est retrouve sur des pices de monnaie et sur quelques objets en terre cuite. Dans les tombes, on dposait

    Phiale du Trsor de Panaguricht, dtail

    Broc en bronze

    des vases orns de scnes et de figures mythologiques de la suite de Dionysos surtout. En 2007, Dionysopolis, les archologues ont dcouvert un temple consacr la Mater Pontia (la Mre des mers) entirement conserv. Il y avait des inscriptions et des statues de la desse Cyble de lAsie Mineure dont le culte mystique tait trs populaire en Grce au IVe sicle av. J.-C. Les colonies avaient des relations trs intenses avec la mtropole. Un texte de Messembria prescrit de clbrer chaque anne le roi thrace Sadalas par une couronne dore. Cette pratique fournit une source possible de la prsence de pareilles parures dans les spulcres thraces.

    Tout au long de lexpansion et de lapprofondissement des pro-cessus qui conditionnent la fondation dun tat, le besoin dart en Thrace se faisait sentir de plus en plus fort. Les Grecs se moquaient des barbares qui aimaient se parer dor comme les femmes . Ils avaient oubli lpoque o tout objet prcieux avait pour eux le rle dinsigne social, exactement comme pour leurs voisins de cette

  • LE CARREFOUR DES CULTURESLart des Thraces

    Rhyton au protom de cerf en argent dor

    Broc-rhyton du Trsor de Borovo, dtail

    poque-l. Limportance mythologique de lor rside dans son pou-voir mythique de traverser les frontires entre notre monde et celui de lau-del. Tout ce qui nous parvient de lau-del est en or. Cest la raison pour laquelle on couvrait dun masque en or le visage du souverain dcd (le premier masque de cette espce a t dcou-vert dans le tumulus Svtitsata ) ce qui trahissait son apparte-nance la race dore des premiers hros. Cest aussi la raison pour laquelle le paradis thrace est clair , cest--dire en or, ce dont tmoigne la couleur jaune de la coupole du spulcre dAlexan-drovo ; le hros-anctre reprsent dans les peintures murales monte un cheval dor. La couronne en or porte par le souverain dcd symbolise son hrosation, ce dont tmoigne la scne du spulcre de Svechtari, ainsi que le grand nombre dobjets en or pr-sents dans les spultures thraces. Par la technique de la dorure, les artisans arrivaient mettre en relief, attirer lattention sur les l-ments les plus importants de limage.

    Le souverain thrace ne traitait pas les objets prcieux accumu-ls dans la trsorerie comme un capital. Il naurait pas eu lide de les couler pour recruter des guerriers, par exemple. Ces objets in-carnaient son aspiration la thsaurisation, laccumulation de biens. Parce que le souverain de lAntiquit se devait dtre riche et de faire talage de sa richesse, quelle que soit loccasion. La prati-que de ces rituels de parades peut nous sembler paradoxale aujourdhui. En dposant ces objets dans la terre comme des dons funraires, les Thraces les retiraient jamais de la circulation co-nomique. Reposant sur son lit mortuaire, le corps du souverain a t distingu par les objets prcieux : le masque, la couronne ou le casque la tte, le pectoral au torse, les genouillres aux jambes.

  • 6 LE CARREFOUR DES CULTURESLart des Thraces

    Ce code attributif formait le corps social du roi, qui, par lternit du mtal, devenait imprissable. On peut imaginer la fi ert de laristo-crate qui recevait le roi ou bien dautres nobles, lorsque sa table pliait sous le poids des gobelets dor et dargent, ou bien quand il se prsentait revtu de son armure en bronze, au casque et aux cn-mides brillants, et son cheval couvert de tissus et dappliques pr-cieux. Est-ce la raison pour laquelle on appelait zibythides, cest-