une faiblesse de l’oreal…. une opportunité pour...

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1 Une faiblesse de L’OREAL…. une opportunité pour WELLA André FOUGEROUSSE 17 Décembre 2015 En rejoignant le Laboratoire de Chimie des Polyphénols, associé au CNRS, dirigé par Raymond BROUILLARD, Professeur de l’Université de Strasbourg, en 1992, je m’engageais dans la recherche sur la grande famille des flavonoïdes (voir Redox Biochemistry page 193, à la rubrique ‘’Polyphénols’’ sur ce site). Nous avons consacré de nombreux travaux aux anthocyanes, les molécules qui sont responsables de la couleur des fleurs, des fruits, des vins (*). Je souhaitais rendre compte ici des contrats que nous avons signés avec L’OREAL en 1995 et avec WELLA en 1998, pour réaliser des shampoings colorés en copiant la nature. Les anthocyanes sont caractérisées par la présence d’un cation flavylium, molécule qui comporte des électrons délocalisés et une charge positive, qui sont à l’origine des interactions avec la lumière qui donnent naissance à la couleur. Les flavyliums naturels portent le plus souvent des groupes substituants sur les positions 3, 5, 7, 3’, 4’ et 5’. Ces groupes sont souvent des fonctions phénol -OH ou des groupes méthoxyle -OCH 3 . On trouvera quelques exemples sur le tableau de la page suivante. (*) Le Cycle de conférences expérimentales de l’ESPCI Paris « Le mystère de la couleur des fleurs, des fruits…et du vin ! » le 18.02.2008 par Raymond Brouillard et André Fougerousse – Université de Strasbourg https://radium.net.espci.fr/esp/CONF/2008/ESPconf_2008.htm

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Une faiblesse de L’OREAL…. une opportunité pour WELLA André FOUGEROUSSE 17 Décembre 2015 En rejoignant le Laboratoire de Chimie des Polyphénols, associé au CNRS, dirigé par Raymond BROUILLARD, Professeur de l’Université de Strasbourg, en 1992, je m’engageais dans la recherche sur la grande famille des flavonoïdes (voir Redox Biochemistry page 193, à la rubrique ‘’Polyphénols’’ sur ce site). Nous avons consacré de nombreux travaux aux anthocyanes, les molécules qui sont responsables de la couleur des fleurs, des fruits, des vins (*).

Je souhaitais rendre compte ici des contrats que nous avons signés avec L’OREAL en 1995 et avec WELLA en 1998, pour réaliser des shampoings colorés en copiant la nature. Les anthocyanes sont caractérisées par la présence d’un cation flavylium, molécule qui comporte des

électrons délocalisés et une charge positive, qui sont à l’origine des interactions avec la lumière qui donnent naissance à la couleur.

Les flavyliums naturels portent le plus souvent des groupes substituants sur les positions 3, 5, 7, 3’, 4’ et 5’. Ces groupes sont souvent des fonctions phénol -OH ou des groupes méthoxyle -OCH 3 . On trouvera quelques exemples sur le tableau de la page suivante. (*) Le Cycle de conférences expérimentales de l’ESPCI Paris « Le mystère de la couleur des fleurs, des fruits…et du vin ! » le 18.02.2008 par Raymond Brouillard et André Fougerousse – Université de Strasbourg https://radium.net.espci.fr/esp/CONF/2008/ESPconf_2008.htm

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Les travaux financés par L’OREAL Ils ont d’abord concerné la synthèse du 3’,4’,7-trihydroxyflavylium, selon le schéma suivant, qui donne naissance au chlorure de flavylium selon la réaction d’annélation de Robinson (1930) (aldolisation en milieu acide) :

Cet ion flavylium présentant une fonction catéchol (deux fonctions phénol sur deux carbones voisins), nous avons ensuite étudié ses capacités de complexation avec les ions métalliques (ions aluminium Al3+ , Fe3+), de copigmentation avec l’acide chlorogénique, la caféine, la (+)-catéchine, et de fixation sur de la poudre de soie ou de la poudre de kératine. L’OREAL a ensuite continué ses investigations sur des flavyliums qui ne comportaient aucun substituant en position 3, ce qui les a conduits à protéger par un brevet les substrats de formule générale :

‘’ flavyliums non substitués en position 3 ‘’

Ce brevet, que WELLA nous a fait découvrir en 1998, était censé verrouiller l’utilisation des flavyliums dans le domaine cosmétique ! Mais à l’époque je décelais une faiblesse dans la démarche de protection de L’OREAL.

En effet, les propriétés de délocalisation du nuagesont liées à l’existence de trois formes mésomères majeures sur le cycle C :

‘’ … formule dans laquelle : - R1 désigne un radical OH ou alcoxy en C1-C8,

linéaire ou ramifié, saturé ou insaturé, ou OCH3 ; - R2, R3, R4, identiques ou différents, désignent H

ou R1, étant entendu qu’au moins un des radicaux R1 à R4 désigne OH ‘’

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- dans la forme 1, l’atome d’oxygène partage l’un de ses deux doublets avec le carbocation situé sur le carbone 2. Cette forme 1 permet de représenter un ensemble de doublets délocalisés à caractère aromatique ;

- dans la forme 2 on voit apparaître le carbocation en position 2, dont on devine la stabilisation par les effets mésomères donneurs de l’atome d’oxygène voisin, de l’atome d’oxygène (lorsqu’il existe) de R1 en position 4’ sur le cycle B et de la double liaison située en C3-C4. Celle-ci transmet les effets mésomères provenant du cycle A et des substituants R3 et R4 (en positions 5 et 7).

- dans la forme 3 on voit apparaître un carbocation en position 4, ce qui signifie qu’il est possible

de délocaliser des électrons à partir de la position 4, et d’obtenir des effets sur la couleur, en échappant à la protection du brevet de L’OREAL !

C’est cette stratégie que nous avons proposée à la société WELLA, dès 1998. Les travaux financés par WELLA Après mise au point dans notre laboratoire et protection par un brevet de la part de WELLA, nous avons publié ces travaux dans le Canadian Journal of Chemistry de 2001 (1). La stratégie a été la suivante. L’action du bromure de méthyle magnésium sur une flavone conduit, après hydrolyse acide suivie d’une déshydratation, à un flavylium méthylé en position 4 :

(1) Can. J. Chem. 79 1173-1178 (2001) Publié sur ce site.

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Les trois protons du groupe méthyle en 4 ne donnent pas de signal en RMN : ils sont trop acides et s’échangent trop rapidement avec les protons du solvant :

La perte de l’un des protons conduit à deux formes mésomères A et B qui expliquent l’excellente stabilisation du carbanion, qui devient un réactif nucléophile susceptible de réagir avec des aldéhydes

judicieusement choisis, pour délocaliser le nuage au-delà du carbone 4 , dans des dérivés de type C :

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Cette stratégie a été largement développée et a conduit à de nombreux dérivés colorés, dont certains ont franchi avec succès les tests qui autorisent les utilisations dans le domaine capillaire :

- la résistance à plusieurs lavages - la bonne qualité de la couleur, sa sensibilité au pH, à la lumière - l’absence de toxicité par rapport au cuir chevelu

ce qui a conduit WELLA à déposer un brevet fin 2000 - début 2001. On découvrira sur la page suivante trois de ces flavyliums substitués en 4, préparés :

1. en faisant réagir du bromure de méthyle magnésium sur la flavone souhaitée. En page 2 du brevet on découvre une synthèse de flavone à partir de produits commerciaux. En page 3 on découvre une synthèse originale d’un 7-hydroxy-4-méthylflavylium, en une seule

étape, avec un excellent rendement. 2. en condensant le carbanion des 4-méthyl flavyliums avec des aldéhydes benzoïques ou des trans-cinnamaldéhydes.

On citera un autre exemple original, qui stabilise parfaitement les cations partiels en 2 et 4, et dont la couleur a été définie par « tiefseeblau » :

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La synthèse de vitisines Lorsqu’un dérivé de type C comporte un groupe hydroxyle en R2 (position 5) (voir page 6), nous avons observé que cet atome d’oxygène donne une addition sur la double liaison qui vient de se créer et, après une oxydation spontanée, conduit à la famille des vitisines (décrit dans l’article publié dans Canadian Journal of Chemistry) :

Il est intéressant de noter que lors du vieillissement des vins rouges, l’éthanol est susceptible de s’oxyder en acétaldéhyde qui peut réagir avec l’hydroxyle en 5, donner une cyclisation qui, suivie d’une déshydratation et d’une oxydation, conduit à une vitisine. Cette vitisine a une couleur différente de celle de l’anthocyane, qui explique l’effet de madérisation (nuance de couleur orange):

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