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University of Groningen La Traduction en situation de diglossie Sanon-Ouattara, F.E.G. IMPORTANT NOTE: You are advised to consult the publisher's version (publisher's PDF) if you wish to cite from it. Please check the document version below. Document Version Publisher's PDF, also known as Version of record Publication date: 2005 Link to publication in University of Groningen/UMCG research database Citation for published version (APA): Sanon-Ouattara, F. E. G. (2005). La Traduction en situation de diglossie: Le cas du discours religieux chrétien au Burkina Faso [S.l.]: s.n. Copyright Other than for strictly personal use, it is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s), unless the work is under an open content license (like Creative Commons). Take-down policy If you believe that this document breaches copyright please contact us providing details, and we will remove access to the work immediately and investigate your claim. Downloaded from the University of Groningen/UMCG research database (Pure): http://www.rug.nl/research/portal. For technical reasons the number of authors shown on this cover page is limited to 10 maximum. Download date: 19-05-2018

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La Traduction en situation de diglossieSanon-Ouattara, F.E.G.

IMPORTANT NOTE: You are advised to consult the publisher's version (publisher's PDF) if you wish to cite fromit. Please check the document version below.

Document VersionPublisher's PDF, also known as Version of record

Publication date:2005

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Citation for published version (APA):Sanon-Ouattara, F. E. G. (2005). La Traduction en situation de diglossie: Le cas du discours religieuxchrétien au Burkina Faso [S.l.]: s.n.

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CHAPITRE IV CONTEXTE LINGUISTIQUE ET INSTITUTIONNEL

0 INTRODUCTION

Le chapitre qui précède, a fait le point sur certaines pratiques culturelles du Burkina, devant permettre de mieux analyser les stratégies des traducteurs. Le présent chapitre se veut un complément du précédent. Il mettra l’accent sur les contextes linguistique et institutionnel qui seront complétés par les nouvelles conditions de traductions écrites de la Bible au Burkina. Nous analyserons dans la première partie, la situation linguistique qui prévalait à l’arrivée des missionnaires et la situation actuelle. Ensuite, nous présentons un peu plus en détail les contextes qui ont servi de cadre pour la collecte des données, surtout celles orales. Il s’agit des contextes linguistique et institutionnel des églises catholique et protestante de l’Alliance Chrétienne de Bobo.

1 SITUATION LINGUISTIQUE

1.1 La période missionnaire ou coloniale

La plupart des ethnies présentes au Burkina de nos jours, dont nous avons fait cas au chapitre précédent l’étaient aussi depuis la période précoloniale (Arhin et Ki-Zerbo, 1996). On dénombrait approximativement autant de langues, c’est-à-dire une soixantaine, qui sont toujours parlées dans toute la sous-région. Mais les différents groupes ethniques étaient installés en communauté, chacune utilisant sa langue, ce qui ne laissait pas trop entrevoir la concentration linguistique actuelle par rapport au nombre de la population. À l’époque coloniale, on parlait de cercles. Celui de Bobo en 1914 avait une population estimée à 300 000 habitants (Audoin et Deniel, 1978 : 34). Si l’on considère que les langues nationales présentes au Burkina l’étaient aussi depuis la période coloniale, on peut présumer qu’il y avait toujours la quarantaine de langues dont fait cas Kedrébéogo (1998) à l’ouest du Burkina, comme le montre d’ailleurs la carte linguistique suivante.

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Au XIVième siècle déjà, étaient apparus les grands empires musulmans, essentielle-ment à l’ouest du pays, dirigés par les commerçants dioula (Audoin et Deniel, 1978 : 13), à pied d’œuvre contre l’animisme et pour la conversion à l’islam. Ainsi, depuis cette période, le dioula a commencé à s’introduire progressivement et à jouer son rôle de langue véhiculaire. Les missionnaires qui sont arrivés dans ce contexte pour évangéliser étaient conscients des problèmes de communication auxquels il fallait faire face. Cela impliquait la résolution, non seulement du problème linguistique, mais aussi traductologique et culturel.

1.1.1 La politique linguistique coloniale et/ou missionnaire

Les Pères Blancs avaient opté pour l’alphabétisation, afin de résoudre le problème de la langue. Cela consistait en des cours dispensés d’abord en français, puis en français et en langues locales aux personnes devant servir ensuite comme catéchistes (Sandwide, 1999 : 175), ce qui n’a pas manqué d’attirer les jeunes, parce qu’à ce moment là, parler français, c’était se valoriser dans son milieu, pouvoir échanger avec les autorités de l’administration coloniale, paraître d’une certaine façon illuminé, sortir de l’ignorance et pratiquer l’exotisme linguistique (ibid., 176). Le but de cette

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instruction proposée par les Pères Blancs était double : «tout d’abord, se faire comprendre en français, et ensuite comprendre les autres dans leurs langues» (idem). La politique linguistique coloniale interdisait cependant toute autre langue à l’école que le français. Les politiques linguistiques des missionnaires catholiques et protestantes etaient contradictoires. Tandis que les derniers mettaient l’accent sur la promotion des langues locales, les premiers qui étaient très liés à l’administration coloniale ont beaucoup reproduit la politique linguistique de cette dernière : imposer la langue française dans tous les contextes formels. La politique missionnaire était quand même plus souple que celle des colons, qui, en plus, interdisait l’usage de toutes autres langues, soit en les reniant, soit en les considérant tout simplement comme du folklore. Ainsi, Chévrier (1974 : 237), citant Pierre Alexandre, peut-il écrire :

La politique coloniale française en matière d’éducation et d’administration est facile à définir : c’est celle de François 1er, de Richelieu, Robespierre et de Jules Ferry. Une seule langue est enseignée dans les écoles, admise dans les tribunaux, utilisée dans l’administration : le français, tel qu’il est défini par les gens de l’Académie et les décrets du ministre de l’instruction publique. Toutes les autres n’étaient que folklore, tutu panpan, obscurantisme, biniou et bourrée, et ferments de désintégration de la République.

Cet enseignement unique du français n’a pas fait qu’imposer la langue, mais au-delà, c’est toute la culture de l’homme «primitif» qui devait disparaître au profit de celle du «civilisé». Ainsi, les ordonnances déclaraient illégitimes les pratiques culturelles propres aux indigènes, comme le dit Gisler (1981 : 131) :

Dans cette œuvre de salubrité et de sécurité publique, l’école jouera un grand rôle. S’il est question de faire connaître, d’imposer la langue et la culture de la classe dominante, en fait, il s’agira d’instruire les masses de leur infériorité, de les dépouiller de leur parole, de les contraindre au respect du noble et du beau langage.

La politique linguistique coloniale française était donc on ne peut plus claire. Les missionnaires qui au départ dépendaient de l’État français devaient aussi appliquer cette politique dans leurs œuvres d’évangélisation, ce qu’ils firent sans problème. Dans le souci de former les catéchistes pour les appuyer, ils sont arrivés à la conclusion (ou il leur a été suggéré) d’ouvrir des écoles préparatoires où les aspirants seraient initiés à la langue française avant d’être envoyés dans une école centrale. Pour justifier ce choix, ils disaient :

La langue française a été choisie pour l’enseignement dans ces écoles de formation proprement dite pour plusieurs raisons : résoudre le problème de diversité linguistique et constituer une unité, d’autant plus que son usage se répandait de plus en plus grâce aux écoles du gouvernement… Pour éviter des difficultés aux jeunes gens lors du retour de

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leur mission d’origine, il fallait un catéchisme unique en Français, appris et expliqué à l’école, puis traduit dans les différents dialectes (Sandwide, 1999 : 185).

Leur politique qui semblait plus souple, parce qu’admettant des traductions en langues nationales, n’était pas plus simple que la politique linguistique coloniale officielle. Le père Marcel Paternot aurait élaboré le catéchisme unique qui fut ensuite traduit en vingt sept langues (Sandwide, 1999 : 188). Les missionnaires proposaient d’abord le français et ensuite des traductions dans les langues africaines, traductions dont ils étaient encore les auteurs, même dans ces langues africaines qu’ils ne maîtrisent pourtant pas mieux que les Africains eux-mêmes. Sanon (1970 : 25), en analysant la situation linguistique créée par les colons et missionnaires, avance que «lorsque dans nos catéchismes, le lecteur ou le chercheur rencontre des termes comme mesia, sacraman, ekaristi, ordo, dimansi» et qu’il soupçonne que l’on a contraint le catéchumène à les mémoriser, il ne s’émeut guère, parce que c’est tout à fait normal pour «toute ethnie qui accède au niveau de langage chrétien». Au phénomène de l’emprunt, il cite (idem) la revue Afrique Parole qui s’est attaquée au problème de la diversité comme «nocive à l’unité chrétienne en rappelant Babel». Au-delà de ces arguments peut-être fondés, il affirme que cette stratégie de communication n’a pas manqué de créer des malaises aux nouveaux croyants. Aussi, peut-il dire :

Le langage est l’expression d’une altérité qu’il articule et ouvre dans le sens de la communication et de la communion. Si le langage traduit vraiment un aspect d’altérité, qui sont alors ceux qui n’ont pas le choix par rapport à ceux qui imposent le leur ?

Le colonisé tout comme le catéchumène ont dû subir cette même politique linguistique dans un contexte général visant à renier toutes les autres langues et cultures au profit du français. Le malaise occasionné par cette politique s’est accentué chez les catéchumènes pour qui, outre le problème linguistique, il y avait une défaillance de la communication en général dans lequel figure le problème de la traduction des textes de l’évangile.

1.1.2 Le problème de la traduction

Le problème de la traduction des textes de l’évangile s’est posé en plusieurs termes. Il fallait non seulement traduire le sens du message en mots, mais aussi le proclamer selon le style oral, parce qu’à ce moment-là, toute communication passait par le canal de la voix humaine et des instruments (tam-tam, flûtes, balafon) qui l’accompagnent. Le problème de la traduction de l’évangile en langue africaine se résume comme suit (Sanon, 1970) : comment garder la chaleur et la tonalité de la communication orale à l’écrit ? Les structures de l’oralité déjà définies au chapitre précédent au sous-paragraphe 2.2.5.1 peuvent se résumer à un public réceptif, conditionné dans le temps et l’espace, dans lequel le diseur et les auditeurs se sentent partie prenante. Le texte

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doit être mémorisé et proféré à portée de voix selon un rythme de diction qu’accompagnent et mettent en valeur les instruments de musique. Traduire l’évangile implique donc beaucoup de facteurs :

Traduire l’évangile dans une langue nouvelle impliquait donc comme on le voit d’être averti en linguistique et en sciences théologiques au départ et plus fondamentalement, cela supposait une connaissance des lois de l’oralité afin que même traduit, le message demeure fidèle aux structures d’un message vivant à proclamer (Sanon, 1970 : 102).

Ainsi, il ne suffisait pas de comprendre la langue, mais il fallait aussi être imprégné des lois et règles de la communauté. Or, les Africains ont souvent reçu l’évangile à la ‘manière européenne’ et le fait que cette annonce de la bonne nouvelle se soit faite dans un contexte général de colonisation a eu une influence certaine sur la réceptivité de l’audience. Mais, une expérience de proclamation de la parole décrite par Sanon (idem) démontre qu’au-delà de ce braquage des Africains contre les colons/missionnaires et leur évangile, il y avait un vrai problème de fonctionnement des textes, lié au moyen de sa proclamation. Le message n’a sans doute pas été adapté au ‘genre’ (De Vries, 2001) familier de la société réceptrice. En proposant des solutions au malaise linguistique constaté, Sanon (1970 : 25) va plus loin en proposant que les communautés africaines prennent la parole eux-mêmes. Il dit en effet :

D’autres ont parlé pour nous, à notre place, et continuent à le faire ; et si nous devons parler, c’est aussi devant eux, selon leur libellé, à leur manière. Il y aurait là une récupération à tenter : que les communautés africaines prennent aussi la parole ! Ainsi, nous parlerions nous-mêmes, pour traduire à nous-mêmes, devant les autres sans doute, le contenu natif et naïf de notre adhésion à la foi.

Chez les catholiques, le problème de l’utilisation des langues vernaculaires s’est posé de manière plus importante à partir du concile Vatican II en 1962, où les Africains ont revendiqué l’inculturation. Mais il faut dire que bien avant ce concile, des traductions vers les langues locales avaient déjà été entreprises pour l’évangélisation. Ainsi, le père Alexandre à Ouagadougou traduisit l’évangile en mooré, le père Bonny en gulmacema et dans le même souci de mettre l’évangile à la disposition des fidèles, le père Dumas lança le premier essai de la grammaire goin, permettant ainsi à plusieurs jeunes de lire en goin (Sandwide, 1999 : 176). Les difficultés linguistiques et traductologiques notées à la période coloniale se sont répercutées et se ressentent toujours pour la plupart sur la période actuelle.

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1.2 La Situation linguistique actuelle

1.2.1 Généralités

La soixantaine de langues locales qui prévalait à la période précoloniale est toujours présente de nos jours au Burkina. Les nouvelles données sont l’unité du territoire, devenu une entité, contrairement à l’époque précoloniale et au début de la période missionnaire, où les groupes ethniques étaient installés par communautés. À l’heure actuelle, ce regroupement donne l’impression d’une concentration linguistique très intense difficile à gérer, soixante langues pour une population estimée à environ onze millions d’habitants selon le recensement de 1996 (INSD, 2000b : 52). Le français a fait son apparition dans le paysage linguistique à la faveur de la colonisation, mais le nombre toujours dérisoire des alphabétisés (10,5%) (ibid., 134) ne change pas grand chose à cette situation linguistique d’ensemble, dominée (dans le sens du nombre des locuteurs) par les langues locales. Le nombre de personnes alphabétisées n’est pas égal au nombre de personnes parlant français. L’INSD (idem) rapporte que 92.5% des alphabétisés le sont en français et le reste dans les autres langues locales. Le taux d’alphabétisation dans les zones urbaines est de 56,6% contre 13,2% en zones rurales (INSD, 2000b : 134). Il faut cependant prendre ces chiffres avec précaution, car la définition de cette maîtrise du français n’est pas bien claire et les critères qui ont mené à ces statistiques ne sont pas bien définis non plus. Il est très vraisemblable que ces citadins classés analphabètes (33,5%) par l’INSD (2000b : 134) aient une connaissance passive du français, c'est-à-dire qu’ils ne le parlent pas, qu’ils ne savent pas l’écrire, mais comprennent en gros ce qui s’y dit, ce dont témoignent les programmes de la radio et de la télévision nationales, largement dominés par le français, mais suivis et ‘compris’ à un certain degré par ces ‘analphabètes’. Les langues locales sont inégalement réparties sur le territoire. Quarante-six des soixante langues ont moins de 100 000 locuteurs natifs, douze ont entre 100 000 et 800 000 locuteurs et seulement une (le mooré) a plus d’un million de locuteurs (Kédrébéogo23, 1998). La situation linguistique à l’ouest est beaucoup plus complexe. Quarante (40) langues nationales s’y retrouvent avec seulement 30,80 % de la population. Les villes (de l’ouest) constituent 15% de la population et parlent le dioula (langue véhiculaire de l’ouest), le français et d’autres langues africaines. Il existe des langues véhiculaires dans toutes les régions qui facilitent l’intercommunication entre les groupes ethniques. Les locuteurs des langues minoritaires (en termes de nombre de locuteurs) pratiquent au moins une langue véhiculaire. Le dioula est parlé à l’ouest, le mooré au centre et le fulfuldé à l’ouest.

23 Kedrebeogo, Gerard (1998). « La situation linguistique du Burkina Faso ». Communication au séminaire - atelier organisé par le Conseil Supérieur de l'Information (CSI) à Ouagadougou du 19 au 21 octobre 1998.

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Dans cette pluralité linguistique, l’administration va essayer d’intervenir et de légiférer sur le bon usage des langues, définissant les rapports entre elles, de même que leurs statuts.

1.2.2 La politique linguistique

L’accession du Burkina à l’indépendance en 1960 avait donné beaucoup d’espoir d’une certaine autonomie et d’une indépendance réelles sur tous les plans (politique, administrative, culturelle et linguistique), qui allaient conduire à la construction et au développement de la nation. Mais la réalité allait vite apparaître et les désillusions avec. En effet, comme dans la plupart des anciennes colonies, les héritiers du pouvoir colonial ont maintenu le français comme langue officielle du pays, avec comme argument principal qu’il servirait de trait d’union entre la soixantaine de groupes ethniques, dans la mesure où le choix d’une langue nationale comme langue officielle risquerait de léser les autres groupes ethniques (Napon 2001 : 208). Ainsi, le français pouvait maintenir sa suprématie sur les autres langues locales, suprématie entretenue également par la France. Cette politique était encouragée également par la France à travers la francophonie, dont le but est de valoriser et de perpétuer l’influence de la langue française à travers le monde, mais surtout en Afrique. En effet, Senghor, cité dans la revue Notre Librairie (2002 : 11) disait à propos de la francophonie :

Après le vote de la constitution, j’ai été le premier député d’outre mer à voir le général De Gaulle pour lui demander l’indépendance et notre conversation n’a pas duré trois quarts d’heure. Après m’avoir écouté, (…), il m’a dit : nous négocierons (…). Mais encore une fois, le général De Gaulle était un démocrate et était conquis à l’idée de la francophonie. Car, pour le général De Gaulle, le plus important ce n’était pas la politique, c’était la culture ...

Il apparaît clairement de cette réflexion que l’influence de la France devait continuer à s’exercer à travers la culture et la francophonie servait cet idéal. La domination culturelle était plus importante que la domination politique sans doute parce que la culture renferme tous les autres aspects de la vie sociale (politique, économique etc.). Cette politique a bien fonctionné, puisque de nos jours, le français constitue, on pourrait dire, le cordon ombilical entre la France et ses ex-colonies, dont la rupture aurait bien d’autres conséquences très lourdes pour les deux parties, d’où les efforts de part et d’autre pour l’entretenir au détriment des langues locales, qui n’ont jusqu’à présent aucun statut au Burkina. Ainsi, à l’article 35 de la constitution, il est stipulé que : «la langue officielle est le français, la loi fixe les modalités de promotion et d’officialisation des langues nationales». Cette déclaration très vague sur les langues nationales ne fait que renforcer le statut incontournable du français. Telle que stipulée, elle implique que la version originale des documents officiels sera le

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français et que toutes les autres tentatives de traduction en langues locales ne seront que des adaptations de l’original et par conséquent de statut inférieur. Toutes les déclarations d’intention à propos des langues nationales sont restées lettres mortes. Les langues nationales sont marginalisées et le seul milieu où elles ont droit de cité est le cadre familial, même si de nos jours, de plus en plus, par la force des choses, cette situation est en train de changer. Si dans les textes, le français est la seule langue valable au sein de l’administration, la réalité est un peu différente. Ainsi, dans les tribunaux par exemple, toutes les langues nationales sont permises à l’oral (parce qu’il arrive très souvent que les juges et les justiciables ne se comprennent pas), et l’on recourt aux bons soins d’un interprète pour la traduction. Cependant, tous les documents écrits sont en français, et la sentence est rendue en français. De même, dans l’administration, si tous les documents écrits sont en français, les langues nationales sont largement utilisées à l’oral. Il ne s’agit pas là de politique linguistique orientée vers les langues nationales, mais de cas qu’on pourrait qualifier de «force majeure». Pour ce qui est de l’enseignement, la loi no 013/96/ADP portant ‘loi d’orientation de l’éducation’ stipule que le français et les langues nationales sont les langues d’enseignement : «les langues d’enseignement sont le français et les langues nationales, d’autres langues sont utilisées comme discipline d’enseignement». En réalité, il faut faire remarquer ici que quand on parle d’alphabétisation au Burkina, on sous-entend l’alphabétisation en langues nationales et quand on parle d’enseigne-ment, il s’agit de langues occidentales (le français dans la plupart des cas). De nos jours, avec l’expérience des écoles satellites 24 (sur initiative du gouvernement burkinabé, de l’Unicef et d’autres partenaires au développement) et des écoles bilingues (sur initiative de plusieurs associations de défense des langues nationales) (Napon, 2002 : 7), les langues nationales sont en train d’être reconnues comme langues d’enseignement, mais bien timidement. Il faudra encore attendre un temps pour connaître le sort qui leur sera réservé, car la population est jusqu’à présent sceptique sur l’efficacité et sur le bien fondé de ces écoles. Ce scepticisme est fondé sur un constat : ces écoles sont situées dans les zones rurales et visent essentiellement les enfants des paysans, tandis que dans les grandes villes, les premiers dirigeants continuent d’envoyer leurs enfants dans d’autres écoles bilingues (français - anglais). Alors, on se pose la question de savoir pourquoi malgré tout le bien qu’on dit de ces écoles, ces premiers promoteurs n’y envoient pas leurs enfants ? En outre, les actions en faveur des langues nationales viennent en général d’initiatives privées. Ainsi, pour l’alphabétisation des adultes, les missions protestantes et les ONG ont été les premières à s’y intéresser en 1967 (Napon, 2001 : 212). Pour les écoles bilingues et satellites dont nous avons fait cas, même si l’État s’investit (comme ce fut le cas pour 24 Les écoles satellites constituent le premier maillon du système primaire, dans les villages où il n’existe pas encore d’école primaire classique. Elles correspondent aux trois premières années du primaire. Elles se basent sur deux langues d’enseignement : les langues nationales et le français introduit progressivement en un système appelé bilinguisme de transfert.

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les écoles satellites), il est appuyé par d’autres partenaires qui sont dans la plupart des cas les vrais initiateurs du projet, ce qui laisse toujours entrevoir un désintérêt de la part de l’État, vis-à-vis de la question des langues nationales. En conclusion, la politique linguistique actuelle du Burkina, à l’instar de celle de la plupart des autres pays de l’Afrique francophone, n’a fait que reconduire celle de l’administration coloniale. La raison officielle avancée est la question de la « neutralité » entre les langues locales, à laquelle nous pouvons ajouter des raisons politiques et économiques, comme l’obtention de financement et d’aide de la France. Malgré le désintérêt de l’État vis-à-vis des langues nationales, comme nous le disions plus haut, elles sont largement utilisées de nos jours dans les contextes informels, mais de plus en plus dans les contextes formels, soit directement, soit à l’aide d’interprètes, rendant ainsi la situation sociolinguistique du Burkina très complexe.

1.2.3 La situation sociolinguistique du Burkina

La situation sociolinguistique qui prévaut au Burkina, comme dans la plupart des anciennes colonies, peut être qualifiée de diglossique si on se réfère à la répartition fonctionnelle des langues dans la société. La diglossie qui signifie tout simplement ‘bilinguisme’ en grec, a pris progressivement d’autres sens. Tout d’abord, selon Ferguson repris par Calvet (1987 : 44), la diglossie est une situation sociolinguistique qui met en présence «deux variétés d’une même langue dont l’une est valorisée, normée, véhicule d’une littérature reconnue, mais parlée par une minorité, et dont l’autre est péjorée mais parlée par le plus grand nombre». Cette définition a été critiquée par Fishman, toujours cité par Calvet (1987 : 45), qui oppose le bilinguisme (la capacité d’un individu à utiliser plusieurs langues) qui relèverait de la psycholinguistique, à la diglossie (utilisation de plusieurs langues dans une société) qui relèverait de la sociolinguistique. Les modifications de Fishman sur les propositions de Ferguson reposent sur deux points essentiels : tout d’abord, il affirme qu’en situation de diglossie, il peut y avoir plus de variétés linguistiques, même si en général la situation se ramène à deux variétés. Ensuite, il affirme que dès lors qu’il existe une différence fonctionnelle entre deux langues, on peut parler de diglossie et ajoute que la relation génétique (lien génétique entre les deux langues) n’est pas une obligation (idem). Cette nouvelle donnée de différences fonctionnelles entre les langues rend cette définition plus proche de la situation qui prévaut au Burkina. Quant à Schiffman (1997 : 205), il se réfère à la diglossie comme une situation linguistique où deux ou plusieurs variétés coexistent dans la communauté avec des domaines d’utilisation différents et complémentaires. Les langues en présence sont hiérarchisées et on pense qu’elles sont génétiquement liées. La variété supérieure est utilisée dans les domaines formels et pour tout usage prestigieux de la langue. Cette variété est écrite. La ou les variété(s) inférieure(s) est/sont utilisé(es) pour tout autre usage informel et dans tous les autres domaines où la variété supérieure n’intervient pas, donnant ainsi lieu à une complémentarité. Il existe des situations où les langues

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en présence n’ont aucun lien génétique. Dans ce cas on parle de ‘diglossie étendue’ et la variété supérieure est la langue du prestige, de l’élite nationale, de la communauté religieuse dominante. Elle est à ce moment-là, la langue de la section la plus puissante de la société. Cette présentation de Schiffman résume bien les définitions de Ferguson et de Fishman données plus haut, de même que la situation du Burkina, pour laquelle la définition suivante sera retenue, parce que correspondant davantage à la réalité : «une situation sociolinguistique ou s’emploient concurremment deux (ou plusieurs) idiomes de statuts sociolinguistiques différents, l’un étant vernaculaire, c'est-à-dire une forme linguistique acquise prioritairement et utilisée dans la vie quotidienne, l’autre une langue dont l’usage dans certaines circonstances est imposé par ceux qui détiennent l’autorité» (Martinet 1969 : 6, cité par Napon sans date : 2). Toutes ces définitions, malgré leurs différences, résument chacune une part de la réalité sociolinguistique du Burkina. Les points communs essentiels qu’elles présentent pour ce pays sont le rapport hiérarchique entre les langues et leurs fonctions complémentaires dans la société. Le prestige qui entourait l’utilisation du français depuis la période missionnaire et coloniale est resté au moins le même, s’il ne s’est pas accentué. La politique coloniale française et celle des dirigeants actuels y sont pour beaucoup dans cette situation. Elles ont réussi à convaincre les «masses de leur infériorité», non seulement linguistique, mais aussi culturelle, ce qui a conduit au reniement jusqu’à l’heure actuelle, de leurs langues, par les ex -colonisés. Pour reprendre les termes de Kremnitz (1983 : 74), il s’agit de la «haine de soi, qui signifie que le locuteur impliqué dans le conflit linguistique et culturel en nie l’existence et essaye de se rapprocher de la langue dominante […] et d’abandonner ses propres valeurs et son identité sociale d’origine […]. Le fait de nier leur existence, donc de fuir la nécessité de peser le pour et le contre, peut être considéré comme un comportement dangereux, voir nocif…». Le rapport de force qui existe de nos jours entre le français et les langues nationales tient en grande partie à des raisons économiques. Le français, en tant que langue qui ouvre à l’extérieur, multiplie les chances de l’individu de trouver un emploi convenable. Les conditions socio-économiques intérieures n’étant pas très viables, avoir les ressources de s’ouvrir à l’extérieur devient vital, et l’apprentisasge du français participe de cette logique. Il devient alors la langue de l’élite intellectuelle, tandis que les langues nationales de manière générale sont celles des populations rurales, considérées à l’image de leurs langues comme hiérarchiquement inférieures dans la société. Les langues véhiculaires qui facilitent l’intercommunication entre les groupes ethniques par région ne sont pas considérées comme supérieures aux autres. Toutes les langues nationales ont apparemment le même statut (Napon, 1998). Les locuteurs de langues minoritaires (en termes du nombre de locuteurs) pratiquent au moins une langue véhiculaire. Les populations se retrouvent alors avec la langue de leur groupe

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ethnique et une lingua franca de la région où ils se trouvent, donnant ainsi lieu à une situation de bilinguisme où les langues sont à statut égal. Aucune langue locale n’étant parlée par toutes les ethnies à la fois, le français apparaît ici encore comme la langue qui permet aux différentes ethnies de se comprendre, ce qui renforce le sentiment qu’il est incontournable. Il est de plus présenté comme l’héritage commun des ex-colonies françaises et comme un lien de rapprochement entre elles. Ce sont autant de facteurs qui ont favorisé la hiérarchie actuelle entre le français et les langues nationales utilisées pour différentes fonctions dans la société, renforçant la thèse de la situation diglossique que vit le Burkina. Pour résumer les fonctions des langues nationales et du français, on peut dire que le français, comme langue officielle, régit la vie politique économique et sociale du pays. C’est la langue de l’administration, de l’enseignement dans le primaire, le secondaire et le supérieur. Il a aussi une fonction internationale, car c’est la langue qui permet au Burkina Faso de s’ouvrir aux autres. Il constitue un trait d’union entre les différents groupes ethniques du Burkina. C’est aussi la langue de la capitale où convergent tous les demandeurs d’emploi lettrés, ce qui lui confère encore un statut supérieur. Le français a aussi une fonction religieuse. C’est la langue des religions chrétiennes, utilisée par les catholiques et les protestants pendant les offices religieux. Quant aux langues nationales, on s’y réfère comme les langues vernaculaires (indigènes, à usage domestique). Les langues nationales les plus parlées, qui sont le dioula, le mooré et le fulfulde, ont trois fonctions : celle de la communication étendue en ce sens qu’elles sont des langues véhiculaires régionales, celle de l’enseignement, parce qu’introduites dans certaines régions du Burkina dans le cadre des écoles satellites, celle de la religion parce qu’utilisées de plus en plus dans les célébrations religieuses chrétiennes. Dans ce contexte, les langues nationales ont du mal à s’imposer. Depuis les indépendances, aucune action politique concrète n’a été menée pour leur promotion. On a plutôt l’impression que les autorités nationales leur ont conféré le statut de langues infériorisées. Les locuteurs de ces langues sont considérés comme des analphabètes et occupent une position inférieure à celle de ceux qui maîtrisent le français. La langue française qui est la langue de l’enseignement classique et celle de textes ‘originaux’ de l’enseignement religieux reçus au Burkina demeure en position de force par rapport aux langues nationales. Jusqu’à présent, nous avons assimilé dans la présentation des situations linguistiques, les groupes ethniques aux langues parlées25, ce qui n’est pas tout à fait exact pour le dioula qui se trouve être la langue de la présente analyse. Il paraît alors indiqué de nous attarder un peu plus sur cette langue.

25 Il est vrai que les autres langues véhiculaires sont parlées aussi par des groupes plus larges que les membres de l’ethnie strictement parlant, mais le mooré par exemple est la langue des moosi, le fulfuldé, la langue des peulhs, alors que le dioula dont il est question ici n’est pas exactement la langue des Dioula.

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1.2.4 La langue dioula

Le dioula est utilisé de nos jours comme langue véhiculaire, c’est-à-dire, pour la communication entre locuteurs n'ayant pas la même première langue, mais aussi comme langue vernaculaire, c’est-à-dire, utilisée dans les échanges familiaux. Ces deux caractéristiques sont vraies surtout dans les milieux urbains de l’ouest. Le brassage plus accentué entre les différentes ethnies impose l’utilisation d’une langue neutre commune pour la communication, ce qui correspond au rôle véhiculaire joué par le dioula. Ensuite, on trouve de plus en plus de citadins, qui, sans être Dioula, n’utilisent que cette langue pour les interactions familiales (Nébié, 1984). Mais il faut préciser que les dioula véhiculaire et vernacularisé ne sont pas exactement identiques et sont à leur tour chacun un peu différent du dioula ethnique, c'est-à-dire celui parlé par l’ethnie Dioula. Le dioula véhiculaire est assez dépouillé par rapport au dioula vernacularisé, qui tous deux se distinguent du dioula ethnique (de l’ethnie Dioula) par l’intonation (Nébié, 1984) Le dioula vernacularisé a souvent été assimilé au Bambara (du Mali) et au maninka (de la Guinée), du fait de l’intercompréhension entre ces langues, malgré les petites nuances qu’elles présentent les unes par rapport aux autres. On reconnaît le bambara par rapport au dioula par son intonation, la prononciation différente de certains mots, de même que quelques petites différences lexicales, mais les locuteurs n’hésitent pas à mélanger ces deux variétés pour se faire comprendre, jetant ainsi un flou entre leurs limites. En comptant tous ces locuteurs, Dumestre (1994a) les a estimés à 10 millions, faisant ainsi de cette langue, l’une des plus importantes d’Afrique occidentale en termes du nombre de ses locuteurs. Nous allons maintenant présenter quelques caractéristiques linguistiques de cette langue, pour les besoins de l’analyse. Caractéristiques linguistiques Notre prétention n'est pas de décrire de manière exhaustive les systèmes morphologique, phonologique, grammatical et syntaxique du dioula. Toute une thèse consacrée à ces aspects ne suffirait pas à en décrire tous les contours. En revanche, nous voulons sélectionner des aspects pertinents pouvant expliquer des stratégies qui se dégagent de notre analyse de contenu. Nous passons en revue la phonétique, la syntaxe et la grammaire. La phonétique du dioula Le dioula a des voyelles dites orales et d’autres dites nasales. Les nasales sont formées à partir des orales plus n. Parmi les voyelles orales, on distingue entre les voyelles brèves et longues. Les brèves sont comme suit : a, e, �, �, o, �, u a, e, i, o se prononcent comme en français, � se prononce comme è, � se prononce comme dans ‘dot’ et u se prononce comme ‘ou’.

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Quant aux voyelles longues, elles sont les mêmes que celles qui précèdent, à la différence qu’elles sont doublées. Ainsi, on note aa, ee, ��, ��, oo, ��, uu. Les voyelles nasales sont formées à partir de ces mêmes voyelles orales mais sont nasalisées. Il s’agit de an, en, �n, �n, on, �n, un. Pour ce qui est des consonnes, elles sont au nombre de dix-huit, mais on peut y ajouter deux qui se sont introduites par des emprunts. Il s’agit de b, c, d, f, g, h, j, k,

l, m, n, �, �, p, r, s, t, w et le v et � provenant d’emprunts. Ces consonnes se prononcent comme en français sauf le c qui se prononce [tch], le g qui se prononce toujours sous forme dure comme ‘gare’, ‘j’ qui se prononce ‘dj’, � se prononce comme le ‘ing’ anglais et � qui se prononce comme ‘gne’. Le dioula, comme d’ailleurs toutes les langues nationales du Burkina mises par écrit, n’utilisent que cet alphabet phonétique pour leur écriture.

La grammaire et la syntaxe Le dioula connaît les mêmes classes grammaticales que le français, même s’il n’y a pas de correspondance entre les deux langues. Les noms français ne sont pas forcément traduits par des noms en dioula. Il en est de même pour les adjectifs et les adverbes. Les unités lexicales sont instables en ce sens qu’elles se répartissent entre les différentes classes en même temps. Le même mot peut être nom, adjectif, verbe à la fois, selon le contexte dans lequel il est employé. Pour ce qui est des noms, ils n’ont pas de genre comme en français et l’utilisation de l’article devant le nom n’est pas obligatoire. Le pluriel se forme avec l’ajout de la particule ‘w’. Quant à l'adjectif dioula, il est placé derrière le nom et peut être précédé du prédicatif 'ka'. Les verbes sont invariables quel que soit le temps et la personne. Ils s'emploient toujours à la forme infinitive, avec des prédicatifs servant à désigner le temps de l'action. La structure syntaxique du dioula est différente de celle du français. En français, elle est la suivante : sujet + verbe + complément En dioula elle est : sujet (nom, pronom) + prédicatif + objet (nom, pronom) + prédicatif (facultatif) + verbe. Après cette présentation sur la situation linguistique et quelques éléments caractéristiques de la langue dioula, nous nous penchons à présent sur le contexte institutionnel des églises qui ont servi de cadre pour la collecte de nos données.

2 CONTEXTE INSTITUTIONNEL

Le contexte institutionnel dans lequel a lieu l’analyse est certainement pertinent pour toute notre étude, mais plus encore pour les données orales où les circonstances réelles de la communication peuvent être déterminantes pour la compréhension du message. Ainsi, nous présentons ici l’église catholique et l’église de l’Alliance

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Chrétienne de Bobo qui ont été les cadres concrets de la collecte de nos données orales. Dans la dernière partie, nous analyserons les nouvelles conditions dans lesquelles ont menées les traductions écrites de la Bible.

2.1 L’église catholique au Burkina Faso

L’église catholique du Burkina est une succursale de l’Église Catholique Universelle dont le plus haut représentant de la hiérarchie se trouve à Rome. Ses actions s’inscrivent dans ce cadre général, même si elle a aussi des structures locales dirigées par des évêques ou archevêques qui décident sur certaines questions internes. Parlant de l’église catholique du Burkina, une présentation intégrale serait impossible et ne se justifierait pas entièrement pour notre étude. Aussi faisons-nous une sélection des aspects permettant d’illustrer certains points de notre analyse. Nous aborderons, par ordre, le concile Vatican II qui a été une occasion historique pour l’église africaine de pouvoir s’exprimer, des questions d’ordre général comme celles liées à la position de l’église par rapport à la politique et à la formation des prêtres, et en dernier ressort, nous nous pencherons sur l’archidiocèse de Bobo.

2.1.1 Le concile Vatican II et l’inculturation

Le concile Vatican II, ouvert le 11 octobre 1962 et qui a pris fin le 8 décembre 1965 après quatre sessions, a été une occasion historique pour l’église d’Afrique de pouvoir s’exprimer et de réclamer sa place et son identité véritables au sein de l’Église Universelle. Les années 60 ont été marquées par un mouvement massif de décolonisation, qui a vu la plupart des états africains obtenir leur indépendance. Avant cela, dans les années 30, le monde littéraire francophone noir avait entamé un mouvement de protestation contre la politique coloniale, connu sous le nom de la négritude. Ce mouvement qui constituait une réaction à la colonisation, un rejet de la domination et des idées occidentales et une valorisation de la culture et des traditions africaines, a sans aucun doute influencé la position des Africains au concile Vatican II. En effet, dans la même logique de protestation et d’affirmation identitaire, les prêtres conciliaires ont réclamé un christianisme africain dépouillé de ses empreintes occidentales. La notion d’inculturation, dont la théologie elle-même avait fourni l’argument, a vu le jour et il fallait tout mettre en œuvre pour que les aspirations culturelles des Africains soient prises en compte. Il y a eu des sessions préparatoires en Afrique d’abord entre les Africains pour accorder les points de vue et parler d’une seule voix. Ainsi, les Africains espéraient se faire mieux entendre et gagner plus de poids dans l’assemblée du concile dans lequel ils représentaient 11 % de l’ensemble. (Conus, 1975 : 24). Leur théologie de l’adaptation peut se résumer comme suit :

Elle se fonde sur le plan de Dieu lui-même qui crée l’homme divers d’où l’exigence d’adaptation…L’adaptation suppose la connaissance, donc l’étude des coutumes et des valeurs d’un peuple pour reconnaître celles qui sont positives et adaptables…

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L’adaptation consiste à décanter le message évangélique de tout le support culturel donné, pour qu’il se présente pur aux nouveaux adeptes qui l’accueillent. De l’Europe…, nous ne voulons que l’évangile et l’évangile seul… (Conus 1975 : 46).

Dans ce combat général figurait la liturgie. En effet le latin était la langue en vigueur dans l’église et les pères conciliaires africains ont demandé que «les traditions et le génie» de chaque peuple puissent s’exprimer le mieux au cours de la liturgie. Ainsi ils ont demandé que la langue ‘vernaculaire’ soit utilisée au moins pour une partie de la messe et y voyaient les avantages suivants : «une participation meilleure et plus active, une formation religieuse plus approfondie, une assimilation plus naturelle de la messe et des sacrements» (Conus, 1975 : 47). Cette revendication fut satisfaite, puisqu’effectivement, il existe des messes faisant intervenir les langues nationales soit pour toute la messe, soit pour une partie. Mais il faut dire que les pères missionnaires du Burkina avaient devancé le concile en ce qui concerne l’utilisation des langues locales dans les célébrations religieuses. Les lectures se faisaient depuis la période missionnaire en langues locales, même si le reste de la messe se faisait en latin (interview du 18 juin 2004 avec Monseigneur Lucas Kalfa Sanon). Il était aussi question d’introduire la musique africaine dans les célébrations, car comme le disait Rugambwa dans Conus (1975 : 48), «la musique fait partie de la vie africaine de façon essentielle. Ainsi cette musique doit trouver place dans la vie liturgique». Cette requête aussi a été prise en compte si on considère ce qui se passe actuellement dans les églises. À la suite du concile, il y a eu un certain nombre de changements dans la liturgie pendant les célébrations de la messe dans les églises catholiques à travers le monde. Tandis que certains parlaient de l’ouverture par ce concile de l’église catholique au monde et aux autres religions, d’autres parlaient de l’abandon des ‘valeurs essentielles et de ‘l’infidélité à la tradition de l’Eglise’ (Lambert, 1967). Parmi ces changements, on note l’emplacement de l’autel face à l’assemblée, la célébration de la messe en langues vernaculaires, l’introduction des chants en langues locales, l’implication des laïcs à la célébration (pour les lectures), l’introduction des intentions de prières, l’échange du signe de la paix, la communion au sang du Christ. Il fut également décidé de donner une plus grande place à la parole de Dieu, par les lectures de l’Ancien Testament et par l’homélie sur les écritures. La liturgie de la messe a donc changé depuis et les églises ont revêtu la couleur locale, tout en gardant un rite de base qu’on retrouve dans toutes les célébrations : il est le même pour les messes ordinaires sans fête ni solennité. Il peut varier à quelques petites différences près, notamment dans le nombre des lectures, la longueur de l’accueil selon la circonstance. Le rite ordinaire est le suivant :

1. Ouverture de la célébration : chant d’entrée, accueil de l’assemblée, rite pénitentiel- Kyrie, Gloria, prière d’ouverture.

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2. Liturgie de la parole : première lecture, psaume, deuxième lecture, alléluia et évangile, homélie, profession de foi, prière universelle.

3. Le rite de communion : le pater, la prière pour la paix et le signe de la paix (aussi connu sous le nom de ‘don de la paix’), la fraction du pain, l’agnus dei, la communion du prêtre et celle des fidèles.

4. Bénédiction et envoi : prière finale, bénédiction et chant de sortie. L’église catholique du Burkina a progressivement introduit ses langues nationales dans les célébrations eucharistiques. Ainsi, on trouve des messes unilingues en langues nationales ou en français, et des messes bilingues français-langues nationales dépendant du diocèse ou des circonstances. Dans ces messes bilingues, on trouve et des cas de traduction et des cas d’alternance codique. Certaines questions générales de l’église ont un intérêt pour notre analyse, surtout celle des données orales.

2.1.2 Questions générales

Au nombre de ces questions, nous notons tout d’abord la position de l’église par rapport à la politique, étant donné les nombreuses références à cette dernière dans les données orales collectées. Pour l’église catholique, la politique et les rôles de l’état doivent être en conformité avec les principes chrétiens dans le sens des droits de l’homme. L’Église catholique est très intransigeante dans la défense de ces droits et surtout pour le respect de la vie humaine. Si traditionnellement les homélies donnent une méditation inspirée de la Bible sur un problème d’actualité, quant elles touchent à certains sujets brûlants notamment en politique, elles sont considérées comme des prises de position de la part du clergé. Elles sont prononcées devant une assemblée dans ces cas, mais ont une portée plus large. Pour preuve, les homélies de Monseigneur Anselme Sanon, de Zéphirin Toé du 18 décembre 1980 et celle du Cardinal Paul Zoungrana du 1er Novembre 1966 ont été publiées et sont toujours présentes dans les esprits et citées comme la position de l’église face à la politique voltaïque de l’époque (Doli, 2001). Ensuite, conformément à la proposition de Nord (1991) sur l’analyse des facteurs extratextuels, notamment ceux portant sur l’auteur ou l’émetteur du message, nous faisons une pause sur la question de la formation des prêtres. Il faut dire que le concile Vatican II (1962-1965) a proclamé l’extrême importance de la formation des prêtres et des décrets ont été pris dans ce sens. Mais ces derniers sont restés généraux vu la diversité des peuples et des régions. Ainsi, pour chaque pays et chaque rite, il fallait un « programme de formation sacerdotale spécial », fixé par les conférences épiscopales26, revu à intervalles déterminés, et approuvé par le Saint-

26 Depuis le Concile de Vatican II, les Conférences épiscopales sont des assemblées où les évêques des Églises locales - les diocèses - mettent en oeuvre la collégialité pour accomplir ensemble des tâches d'intérêt commun pour leur région.

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Siège. C'est ainsi que les règles universelles sont adaptées aux conditions particu-lières des lieux et des temps, afin que la formation des prêtres réponde toujours aux besoins pastoraux des régions où ils auront à exercer leur ministère (Lambert 1967). Dans les petits séminaires, en plus de la formation religieuse, les études sont organisées de telle sorte que les élèves puissent sans difficultés les poursuivre ailleurs, s'ils venaient à choisir un autre état de vie. Ainsi, pour le cas du Burkina, ces études sont sanctionnées par les deux diplômes de l’enseignement général, à savoir le BEPC et le BAC. La formation des prêtres se poursuit aux grands séminaires que le concile a jugés nécessaires pour leur pleine formation. Toute l'éducation des élèves doit tendre à faire d'eux, sur le modèle de Jésus-Christ, de véritables pasteurs d'âmes. Ils sont préparés au ministère de la parole, afin de pénétrer toujours plus profondément la divine parole révélée, l'assimiler par la méditation, l'exprimer par leurs paroles. La formation des prêtres comporte trois aspects : la formation spirituelle, la formation intellectuelle et la formation pastorale. Ces trois aspects doivent se trouver fusionnés dans la vie des candidats au sacerdoce. Pour la formation spirituelle, elle est conçue en lien étroit avec la formation scientifique et pastorale. Le célibat est recommandé comme un don total de soi à Dieu, ce qui revient à dire qu’ils doivent consacrer toute leur vie à ce travail. Pour accéder au grand séminaire, la connaissance du latin est exigée, de même qu’un niveau de formation qui ouvre l’accès aux études supérieures dans chaque pays, ce qui correspond au baccalauréat pour le Burkina. La connaissance du grec et de l’hébreu est aussi favorisée. Les étudiants sont initiés aux courants de pensée moderne et surtout à ceux qui exercent une influence dans leur pays. En plus de la théologie qui est enseignée, d’autres sciences humaines telles que la sociologie, la psychologie et l’anthropologie sont abordées au cours de la formation presbytérale, remplissant ainsi toutes les conditions pour avoir des prêtres bien cultivés et polyvalents (Lambert 1967). Voici à présent un bref aperçu de l’église de Bobo, étant donné que c’est dans ce cadre spécifique qu’a eu lieu la collecte des données.

2.1.3 L’archidiocèse de Bobo

L’église catholique de Bobo, tout en respectant les règles de conduite générales dictées par la hiérarchie à toutes les églises catholiques du monde, demeure quand même particulière. Son premier responsable, Monseigneur Anselme Sanon, qui est un grand défenseur de l’inculturation, si on se réfère à sa thèse de doctorat27 qui pose ce problème de façon nette, prône une intégration des approches culturelles et chrétiennes et cela se répercute sur les célébrations au sein de l’archidiocèse. Par exemple, les célébrations des funérailles coutumières sont autorisées dans l’archidio-cèse de Bobo, contrairement à l’archidiocèse de Ouagadougou qui propose en lieu et place des funérailles chrétiennes, même si cette position a été justifiée aussi par

27 Tierce Eglise, ma mère, ou la conversion d’une communauté paienne au Christ.(1970).

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l’inculturation (journal Sidwaya du 27 mai 2004). Chaque église est donc autonome dans la prise de certaines décisions. Nous avons rencontré le premier responsable de l’archidiocèse de Bobo (interview du 06 décembre 2003), pour comprendre le fonctionnement de son institution.. Il en est ressorti que pour l’utilisation des langues lors des célébrations, étant donné la diversité linguistique et la montée du dioula, l’archidiocèse de Bobo a choisi cette langue comme langue pastorale et langue de base. Mais, vu le fait que beaucoup de textes ne soient pas traduits ou «valablement traduits» (sic) en dioula, il fut alors décidé de faire l’une des lectures en dioula, l’autre en français et parfois on double l’évangile en dioula et en français, de même que le commentaire ; ou encore, les deux textes peuvent être lus en français et on fait un petit commentaire en dioula pour que les gens suivent, parce qu’ils ont une connaissance, on pourrait dire, au moins passive de chacune des deux langues. La plupart des fidèles maîtrise le français dit ‘du marché ou de la rue’. Pour les chants, ce n’est pas en général le contenu qui intéresse, mais le rythme. Toutes les langues sont admises, pourvu que la chorale puisse les chanter ; tout cela, pour arriver à une certaine compréhension dans la communion. Les données orales collectées dans les églises catholiques ont été produites dans les circonstances ci-dessus, qui aident à situer l’analyse. Qu’en est-il de l’église de l’Alliance Chrétienne, l’autre cadre de collecte des données orales ?

2.2 L’église de l’Alliance Chrétienne

Nous avons vu dans l’historique du christianisme, comment les missions protestantes sont arrivées au Burkina et se sont installées sur trois zones différentes, divisant ainsi le Burkina en trois zones missionnaires. On peut néanmoins soulever certains points qui leur sont communs, avant d’en venir à une présentation plus détaillée de l’église de l’Alliance Chrétienne qui nous intéresse particulièrement ici. L’une des batailles de l’église protestante en général a été de traduire la Bible en langues vernaculaires, pour permettre à la population d’y avoir accès (Delisle and Woodsworth 1995). Cela permet d’aider les fidèles à connaître la Bible et à suivre Jésus comme modèle en toute chose. Dans la poursuite de leur objectif qui est de voir chaque chrétien lire la Bible dans sa langue, les églises protestantes ont privilégié l’alphabétisation qui est l’enseignement des langues nationales, et s’oppose à l’enseignement classique dispensé en français, privilégié par l’église catholique. Au cours de leurs prêches, certains éléments communs se retrouvent dans presque toutes les églises du Burkina, comme la pratique de l’interprétation consécutive et la place de choix accordée au message biblique en tant que tel, contrairement à l’église catholique, plus ouverte aux commentaires. De même, sur certaines questions générales, contrairement à la position de l’église catholique, les églises protestantes du Burkina considèrent la politique comme une souillure pour l’homme dont il faut par conséquent se méfier (Doli, 2001). Quant à la formation, il n’y a pas de niveau prédéfini dans les églises protestantes pour être pasteur ou interprète (car cette église fait appel à des interprètes pour la

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traduction, contrairement à l’église catholique). On en trouve de tous les niveaux, du primaire au supérieur, pourvu qu’on sache lire et comprendre la Bible dans une langue. Aucun niveau de base n’est requis pour l’inscription aux écoles de formation pastorale qui durent en moyenne deux ans. L’église de l’Alliance Chrétienne répond à toutes ces conditions générales. Elle est née de l’initiative du ‘Christian and Missionary Alliance’, mouvement missionnaire créé aux États-Unis par Albert Benjamin Simpson (1843-1919). Les premiers missionnaires de l’Alliance sont arrivés au Burkina Faso en 1923 où ils se sont établis à Bobo-Dioulasso (Tapsoba, 1990 : 25). En 1962 l’église devient autonome et est reconnue officiellement par l’État. Cette église prend donc ses propres décisions et n’a pas beaucoup de comptes à rendre à une hiérarchie, comme c’est le cas dans l’église catholique. Chaque église étant autonome, il peut y avoir des différences sur le plan de l’exécution du culte. Ainsi pour l’église de l’Alliance Chrétienne de Bobo, le rituel suivant est en vigueur (Interview du 11 janvier 2003 avec le pasteur Sanon Prosper et son interprète Sanon Victor) : Pour chaque célébration il y a un président de culte qui dirige les opérations. Il fait une introduction et donne le programme de la cérémonie. En général, après son introduction, il fait appel à un animateur pour les cantiques en français, dioula ou bobo. Après ou pendant les cantiques a lieu une quête. Après la quête, la parole est donnée au pasteur pour sa prédication dont le thème est choisi par lui-même. Il prêche en français et est toujours repris en dioula dans la ville de Bobo. C’est encore le pasteur qui fait la prière finale de la célébration. Le rôle du président de culte est de coordonner toutes les actions au cours de la cérémonie. Après les prières et animations communautaires les enfants de moins de 14 ans sont dirigés dans une salle où un culte spécial, appélé ‘école des enfants’, est préparé à leur intention. Un moniteur leur explique les messages bibliques en dioula, en des termes qui leur sont accessibles avec des illustrations en image. Ainsi, les grands et les petits suivent des prédications différentes à la suite desquelles est livrée une prière finale collective. Autant la traduction que l’alternance codique sont utilisées dans cette église. Il faut préciser que même si elle fut importée des États-Unis, cette église a acquis son autonomie depuis 1963. Elle est maître de ses politiques et fonctionne donc de manière souveraine. Elle a opté pour le bobo, le dioula et le français pour ces célébrations. Le choix de ces deux premières langues s’explique par le fait que l’église est basée à Bobo et les deux langues les plus connues de cette localité sont bien le dioula et le bobo. Pour ce qui est du français, il est incontournable dans l’église comme ailleurs, dans tous les autres contextes formels. C’est pour cette raison que Napon (1998) lui avait attribué une fonction religieuse.

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Il apparaît de ce qui précède, que les célébrations orales collectées dans les églises catholique et protestante ont été produites dans des contextes différents, facteurs incontournables dans l’analyse du contenu. Pour ce qui est du corpus écrit, même si le Layidukura que nous analysons ici est une version oecuménique, c’est-à-dire, commune à toutes les confessions religieuses, l’analyse des contextes institutionnels peut aider à mieux situer ou discuter certaines options des traducteurs de cette version produite par l’Alliance Biblique. C’est en effet cet organe qui maintenant s’investit dans la traduction de textes bibliques en plusieurs langues nationales notamment le dioula avec de nouvelles conditions de travail, différentes de celles de la période missionnaire, où catholiques et protestants faisaient leurs traductions séparément, chacun, pour son institution. Ces nouvelles conditions de traduction qui seront présentées à la section suivante sont celles toujours en vigueur aujourd’hui.

2.3 Nouvelles conditions de la traduction Biblique

L’intérêt de ce point est de définir les identités et rôles de tous ceux qui interviennent dans la traduction de la Bible en dioula au Burkina Faso, avec pour objectif la détermination des influences éventuelles jouées par ces facteurs sur le produit fini. Nous nous intéressons ici à la version du Layidukura publiée en 1997 par l’Alliance Biblique du Burkina Faso qui apparaît comme l’initiateur des traductions, donc très déterminant dans le choix des stratégies de traduction selon la théorie du skopos. Il convient donc d’y jeter un coup d’œil afin de déterminer ses objectifs.

2.3.1 L’Alliance Biblique au Burkina Faso

L’Alliance Biblique est une association inter-confessionnelle qui regroupe les églises protestantes et l’église catholique. D’abord sous la dépendance de l’Alliance Biblique du Togo, l’Alliance Biblique du Burkina Faso créée en 1982 a pour objectif la diffusion des Saintes Écritures. Elle a pour activités principales la traduction de la Bible en entier ou en parties. Ainsi, elle a déjà permis la publication de traductions bibliques en mooré, gulmancema, dioula, bobo-mandarè, san, dagara, birifor et lobiri (huit langues au total). Elle envisage de lancer la traduction de la Bible en fulfuldé. L’Alliance Biblique diffuse environ 20 000 Bibles par an à des prix réduits «afin de permettre aux hommes et femmes de notre pays d’entrer en contact avec la parole de Dieu et que leur vie en soit transformée» (Message du 30 avril 2002 du directeur de l’Alliance Biblique à l’occasion de la 7ème édition des journées bibliques). Les projets de traduction sont entrepris par l’Alliance Biblique pour satisfaire à la demande des populations locutrices des langues concernées. Pour ce faire, il faut que la langue concernée ait plus de 70 000 locuteurs, ce qui est le cas pour le dioula. Autrement la langue est dite minoritaire et c’est la Société Internationale de Linguistique (SIL) qui s’en occupe (entretien du 10 août 2001 avec Paul Marie Ilboudo, directeur de l’Alliance Bible du Burkina).

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Le soutien financier proviendrait de l’entraide mondiale de l’Alliance Biblique Universelle (grâce à qui des Bibles sont vendues à prix réduit), de la vente des saintes écritures et de la contribution ponctuelle et régulière des églises et des fidèles. Pour motiver l’aide demandée aux fidèles, le directeur dans son même message du 30 avril avance que «la traduction coûte très cher, au point que le soutien des églises et des fidèles est indispensable si nous ne voulons pas que les projets de traduction s’arrêtent». «Or», ajoute-il, «qui d’entre nous ne voudrait pas que Dieu lui parle dans sa propre langue ? » L’exégète Elie Sanon (entretien du 12 juillet 2001 à 11h), Paul Marie Ilboudo, (entretien du 10 août 2001) et Monseigneur Lucas Kalfa Sanon, évêque de Banfora, responsabilisé pour suivre les traductions bibliques en dioula alors qu’il était prêtre du diocèse de Bobo (entretien du 18 juin 2004), ont chacun confirmé que les traductions sont financées par les églises et l’Alliance Biblique Universelle, en ajoutant que chacun a un pourcentage à payer, pourcentage que le directeur de l’Alliance n’a pas voulu dévoiler. Les traductions seraient subventionnées par l’Alliance Biblique à plus de la moitié des frais et les églises se repartiraient les autres frais. Monseigneur Lucas Kalfa Sanon a pour sa part affirmé que les Églises protestantes contribuaient plus largement au financement que l’Église catholique (même entretien). Pour résumer les raisons avancées dans le message du directeur de l’Alliance Biblique pour justifier le financement de son institution, on peut noter le souci de voir la parole de Dieu dans les langues locales pour permettre à la population qui est en majorité ‘analphabète’ d’accéder à son contenu, la volonté de l’Alliance Biblique Universelle d’aider les pays pauvres à se procurer la parole de Dieu et le souci de mettre en exécution l’envoi de Dieu qui est d’aller dans le monde entier et d’annoncer la parole de Dieu à tous les peuples (Marc 16 : 15). L’une des cibles de ces traductions bibliques clairement exprimées par le directeur de l’Alliance Biblique est la population ‘analphabète’. On se demande alors comment cette population pourra lire d’elle-même ces Bibles, si ‘analphabète signifie bien ‘ne pouvoir ni lire, ni écrire’. Pour encourager les églises et les particuliers à contribuer généreusement, le directeur lors du même message, avance le fait que chacun aimerait entendre la parole de Dieu dans sa langue, ce qui constitue donc un objectif avoué de ces traductions. La compréhension des objectifs de l’initiateur et du bailleur de fond est très déterminante dans la compréhension des stratégies de traduction selon la théorie du skopos. Les procédures proprement dites, de même que les acteurs de la traduction peuvent aussi apporter des éclaircissements.

2.3.2 Acteurs et Procédures de traduction

La traduction est réalisée par une équipe composée de traducteurs, réviseurs, conseillers et superviseurs qui se répartissent le travail.

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Les traducteurs de la Bible au Burkina Faso sont des chrétiens catholiques et protestants à qui on ne demande ni une connaissance particulière de la Bible, ni des compétences particulières en traduction. Pour le cas du dioula, ce sont des hommes et femmes choisis au sein de la communauté religieuse, sur la base de leur connaissance du dioula et souvent de leur engagement dans l’église. Bien évidemment, il faut de plus savoir lire et écrire. On trouve parmi eux des catéchistes de l’église catholiques, des pasteurs et d’autres membres des Églises protestantes, sans niveau d’instruction particulier : le pasteur Sanon Pascal a le niveau CEPE (Certificat d’études primaires et élémentaires), de même que les catéchiste Jean Go et Maurice Sanon. Parmi les conseillers, on compte l’exégète du groupe, Sanon Elie, titulaire d’une maîtrise en lettres et d’un diplôme d’études bibliques, qui est de l’église protestante. Il y a en outre une conseillère américaine à la tête de l’équipe qui aurait un doctorat en linguistique et un diplôme en études bibliques, mais n’est pas locutrice native du dioula. Avant les sessions proprement dites de traduction, les conseillers et superviseurs élaborent un document d’aide aux traducteurs. Ce document donne des enseigne-ments doctrinaux et des explications théologiques sur certains passages jugés importants, dont la compréhension n’est pas évidente. Il est un guide du sens des passages (entretien du 10 juillet 2001 avec Elie Sanon). Chaque traducteur reçoit une partie à traduire. Ils ne traduisent pas tous les mêmes passages. Ils utilisent comme version de base la version du français courant, mais peuvent ensuite recourir à d’autres versions françaises de la Bible, telles que la TOB, la version Louis Segond Révisée encore appelée ‘la Colombe’, etc. pour des éclaircissements sur certains points qui leur paraîtraient obscurs. Après la traduction, la version produite est soumise à la correction d’un exégète et ensuite à un groupe de lecteurs et réviseurs qui jugent de la forme. Les membres de ce groupe ont un niveau d’instruction assez élevé. Le groupe que nous avons rencontré (séance de travail du 04 août 2001) était constitué d’un inspecteur et d’autres enseignants du primaire, qui maîtrisent bien le français et le dioula. Ensuite, la version corrigée est remise aux conseillers de l’Alliance Biblique qui apportent les dernières corrections et jugent de l’acceptabilité de la version. Quelle utilisation concrète est faite des versions ainsi produites ? Qui les utilisent ? Le prochain sous-paragraphe tentera de répondre à ces questions.

2.3.3 Audience et utilisation faite de la traduction

Cette partie a fait l’objet d’entretiens auprès de l’Alliance Biblique du Burkina, étant donné que c’est l’institution agréée pour la publication des Bibles. La population burkinabèe étant en majorité analphabète, acheter une Bible sans pouvoir la lire paraît insensé. Les Bibles sont achetées essentiellement par des organismes internationaux qui veulent mener un programme d’évangélisation. Il arrive cependant que des individus en achètent pour leur utilisation personnelle. La tendance générale pour les catholiques est que c’est surtout pendant la messe, les

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prières et les enseignements qu’une grande partie de l’audience est touchée. Il n’y a pas tellement de pratiques de lecture individuelle de la Bible. Quant aux protestants, leur tradition de prêche les encourage à la lire plus souvent. Très fréquemment pendant les offices, les pasteurs renvoient à des passages à lire avec eux, ce qui oblige tous ceux qui savent lire, à venir aux cultes avec le texte. On peut déduire de ces remarques que ces traductions écrites fonctionnent en fait plus à l’oral qu’à l’écrit, parce que non seulement les catholiques sont plus nombreux que les protestants (16,6% de catholiques contre 3,1% de protestants selon l’INSD, 2000c : 54), mais il faut compter seulement avec les protestants qui savent lire. Des agents de l’Alliance Biblique de Ouagadougou interrogés dans le cadre de la présente thèse (15 septembre 2001) ont affirmé que les Bibles ne s’achetaient pas bien. Le fait que la population de manière générale ne se sente pas concernée par ces traductions peut s’expliquer par des raisons culturelles et sociales et être un indice de la non adaptation de la version produite à ses besoins. La subvention permet de vendre les Bibles à un prix réduit, ce qui les rend relativement abordables. Et si malgré tout, le Layidukura ne s’achète pas, il faut peut être rechercher le problème à un autre niveau. La tradition orale toujours dominante peut être un facteur à considérer, car les populations n’ont pas une culture de lecture développée. L’utilisation concrète qui est faite des traductions de passages bibliques semble se résumer aux points suivants :

- Lecture et commentaires à la messe par les prêtres et pasteurs - Lecture personnelle des fidèles protestants pendant les cultes - Utilisation comme livre de lecture pendant les cours d’alphabétisation par les

volontaires communautaires lors des séances d’alphabétisation - Lecture lors des prières et des enseignements par les animateurs ou autres

catéchistes - Lecture personnelle (assez limitée)

Cette partie consacrée aux contextes culturel et institutionnel a tenté de passer en revue les facteurs extratextuels généraux de notre analyse. Elle n’a pas la prétention d’être exhaustive, mais espère avoir fourni des éléments permettant de situer les analyses qui vont suivre dans la partie suivante.