weill sans livrets

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KURT WEILL LE VOL DE LINDBERGH LE VOL AU-DESSUS DE L’OCÉAN Cantate pour ténor, baryton & basse, chœur & orchestre 1930 LES SEPT PÉCHÉS CAPITAU X Ballet chanté en un prologue & sept tableaux 1933 Textes de Bertolt Brecht OPERA de LYON

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Page 1: Weill Sans Livrets

KURT WEILL

LE VOL DE LINDBERGH

LE VOL AU-DESSUS DE L’ O C É A N

Cantate pour ténor, baryton & basse, chœur & orchestre

1930

LES SEPT PÉCHÉS CAPITAU XBallet chanté en un prologue & sept tableaux

1933

Textes de Bertolt Brecht

OPERA de LYON

Page 2: Weill Sans Livrets

LIVRET I

9 Fiche technique

12 Argument

15 Personnages

18 Préambule

LE VOL DE LINDBERGH

22 DER LINDBERGHFLUGLE VOL AU-DESSUS DE L’OCÉAN

DER OZEANFLUG

LIVRET II

49 Fiche technique

52 Argument

55 Personnages

LES SEPT PÉCHÉS CAPITAUX

58 DIE SIEBEN TODSÜNDEN

Page 3: Weill Sans Livrets

3

CAHIER de LECTURES

89 Bertolt Brecht

Du pauvre B.B.

91 Marie Noël Rio

Bertolt Brecht / Kurt Weill,

un mariage de six ans

103 Geneviève Lièvre

Kurt Weill & la marge

108 Bertolt Brecht

Combattre l’anachronique

111 Bertolt Brecht

Le chant des machines

113 Bernard Dort

Le Vol de Lindbergh,

un théâtre didactique

117 Bertolt Brecht

Chanson d’une famille de la savane

119 Michel Bataillon

Les Sept Péchés capitaux

Anna-Anna dans la jungle des villes

129 Bertold Brecht

La légende de la putain Evlyn Roe

CARNET de NOTES

Kurt Weill

134 Repères biographiques

146 & Notice bibliographique

Bertolt Brecht

147 Repères biographiques

150 & Notice bibliographique

Le Vol de Lindbergh

152 Discographie sélective

Les Sept Péchés capitaux

153 Discographie sélective

Page 4: Weill Sans Livrets
Page 5: Weill Sans Livrets

5

LIVRET

On a peu d’informations sur les dates d’écriture du livret.

Brecht l’écrit vraisemblablement en quelques semaines, fin

1928 début 1929. Il reprend dans son texte des passages du

livre publié par Lindbergh après sa traversée, publié en fran-

çais par Flammarion dès 1927 sous le titre Mon avion et moi.

Le texte de Brecht est publié dans le numéro d’avril 1929 du

magazine berlinois Uhu.

PARTITION

Pendant les premiers mois de l’année 1929, Kurt Weill et

Paul Hindemith travaillent ensemble sur le texte de Brecht,

et se partagent les différents numéros du texte. (Des extraits

enregistrés en 1930 sous la direction de Hermann Scherchen

permettent d’entendre les compositions de Hindemith.)

A l’automne de la même année, la pièce est retravaillée et

présentée en concert à Berlin avec une musique de Ku r t

Weill uniquement.

La partition est éditée par les éditions Universal.

Page 6: Weill Sans Livrets

6

PERSONNAGES

LINDBERGH Ténor

BARYTON SOLO

BASSE SOLO

CHŒUR

Sopranos, altos, ténors, basses

Les parties de soprano et d’alto

peuvent être distribuées à des voix d’enfants.

ORCHESTRE

2 flûtes

1 clarinette

1 clarinette basse

2 bassons

2 trompettes

2 trombones

1 piano

1 banjo

Percussions

Timbales

Cordes

DURÉE MOYENNE

40 minutes

CRÉATION

27 juillet 1929. Festival de Baden-Baden.

Version composée en partie par Paul Hindemith,

en partie par Kurt Weill.

Direction musicale. Hermann Scherchen

Mise en scène.Ernst Hardt

AvecJosef Witt (Lindbergh)

Page 7: Weill Sans Livrets

5 décembre 1929. Staatsoper am Platz der Republik (Kroll

Oper), Berlin.

Version composée par Kurt Weill uniquement. En concert.

Direction musicale. Otto Klemperer

AvecErik Wirl (Lindbergh), Fritz Krenn, Martin Abendroth

CRÉATION en FRANCE

6 mai 1977 à Colmar.

Production de l’Atelier lyrique du Rhin, réunissant 3000 per-

sonnes, essentiellement des chanteurs de chorales – scolaires

ou non – de Colmar et des ses environs.

L’œuvre de Brecht et Weill était accompagnée de trois opéras-

commentaires de Yves Prin (Le Voyage des émigrés), Jean-

Claude Pennetier (La Dispute de Picasso) et Guy Reibel (Le

Procès de Galilée), écrits avec neuf classes d’écoles primaires

de Colmar.

Direction musicale. Yves Prin avec Jean-Claude Pennetier

& Guy Reibel

Conception & régie. Pierre Barrat

Scénographie. William Underdown

Lumière. Alain Banville

AvecMichel Chaineaud, Mireille Courrèges, Pierre Danais,

Christian Davesnes, Régine Fruchout, Roger Leroy,

Louis Mathieu, Muriel Streisfeld

Page 8: Weill Sans Livrets

8

1. Appel aux aviateurs américains à survoler l’océan.Le chœur encourage l’aviateur à monter dans sa ma-

chine : l’Europe l’attend.

2. Présentation de l’aviateur Charles Lindbergh. L’aviateur se présente, lui, son avion le “Spirit of Saint-

Louis” et son plan pour la traversée de l’Atlantique. Le

temps est mauvais mais il va « risquer le coup ».

3. Charles Lindbergh quitte New Yorkpour s’envoler vers l’Europe.

L’aviateur détaille la liste du matériel et des vivres qu’il em-

barque. Il évoque Blériot et sa traversée de la Manche : lui,

il va franchir l’Océan.

4. La ville de New York interroge les navires.La radio de New York demande aux navires voguant sur

l ’ Atlantique de lui signaler le passage de l’avion. C’est le

navire “Empress of Scotland” qui répond : on a entendu

dans le ciel un bruit de moteur. Mais, à cause du brouillard,

on n’a rien vu.

5. L’aviateur doit lutter contre le brouillardpendant presque toute la durée de son vol.

Le brouillard, étonné et offensé de voir un homme voler

dans les airs, tente de faire peur à l’aviateur pour lui faire

rebrousser chemin. Ne parvenant pas à abattre le pilote, il

s’adresse à la tempête de neige : « Je te le passe. »

Page 9: Weill Sans Livrets

9

6. Dans la nuit se leva une tempête de neige.Malgré ses efforts, la tempête de neige constate qu’elle ne

peut abattre l’aviateur. Pourtant l’avion est couvert de

glace et menace de s’abîmer en mer. L’aviateur doute de

pouvoir continuer et pense qu’il va mourir. Il pense à ces

deux hommes qui ont survolé l’eau comme lui et que

l’eau a engloutis. (Nungesser et Coli, à bord de “L’Oiseau

blanc”, se sont perdus pendant leur tentative de traverser

l’Atlantique le 8 ou le 9 mai 1927.)

7. Sommeil.Le sommeil berce l’aviateur doucement, insidieusement :

« Dors Charlie. » L’aviateur résiste à la tentation du repos

et garde les yeux ouverts.

8. Pendant toute la durée du vol,tous les journaux américains n’ont cessé d’évoquerles chances de succès de Lindbergh.

L’Amérique entière croit au succès de la folle entreprise

de cet homme « à qui tout réussit ».

9. Les pensées des hommes à qui tout réussit.Pour l’aviateur, il est nécessaire d’arriver : « en Europe on

m’attend et on dit : il arrivera, alors il me faut arriver. »

10. « Il poursuit son vol » écrivaient les journauxfrançais « avec sur sa tête les tempêtes,tout autour les flots, et sous eux l’ombre de Nungesser ».

La foule attend l’aviateur avec fièvre mais craint qu’ i l

n’arrive pas.

11. Le dialogue de Lindbergh avec son moteur.L’aviateur s’inquiète de l’endurance de son moteur, il

l’encourage : on survole l’Irlande, le but est proche.

12. Enfin, à proximité de l’Ecosse,Lindbergh aperçoit des pêcheurs.

Les pêcheurs écossais sont partagés : l’un entend un bruit

de moteur. L’autre, doutant qu’un avion puisse survoler la

mer, ne veut rien entendre : « Ce ne peut être. »

Page 10: Weill Sans Livrets

10

13. Sur l’aérodrome du Bourget près de Paris,dans la nuit du 21 mai 1927 vers 10 heures,une foule innombrable attend l’aviateur américain.

La foule observe avec enthousiasme l’arrivée au-d e s s u s

du Bourget de l’aviateur qui, avec son avion, a su trouver

sa route jusqu’à elle.

14. Arrivée de l’aviateur Charles Lindberghsur l’aérodrome du Bourget près de Paris.

L’orchestre seul évoque l’événement.

15. Rapport sur ce qui n’a pas encore été atteint.Le chœur et les solistes célèbrent la « naïveté d’acier »

qui a permis à l’homme de voler dans les airs, « montrant

ce qu’il est possible de faire » sans laisser oublier « ce

qui n’est pas encore atteint ».

10

Page 11: Weill Sans Livrets

11

L’œuvre n’est pas un opéra ; « pièce didactique radiopho-

n i q u e » dans l’œuvre éditée de Brecht, elle est répertoriée au

catalogue des œuvres de Kurt Weill, comme « cantate pour

t é n o r, baryton, basse, chœur mixte et orchestre. » Les person-

nages du Vol de Lindbergh / Vol au-dessus de l’Océanr e p r é s e n-

tent plus qu’ils n’incarnent, commentent plus qu’ils ne jouent.

Dans les passions de Jean-Sébastien Bach, un seul person-

nage – Jésus-Christ – est nommé. De la même façon, dans la

partition du Vol de Lindbergh / Vol au-dessus de l’océan, un seul

personnage est nommé : LI N D B E R G H l u i - m ê m e ; du moins jus-

q u’à ce que Brecht, en 1950, élimine ce nom du titre et du tex t e

de l’œuvre : lire à ce sujet le préambule au livret, page 18.

LINDBERGH est le personnage central de ces quarante

minutes de musique scénique. Mais il s’agit bien d’un héros

ordinaire – ni mythologique, ni mythique – sa quête se base sur

le concret. Il peut faire sien l’axiome marxiste et brechtien s e l o n

lequel « la vérité est concrète ». Il fait son travail d’aviateur.

Les solistes – BARYTON et BASSE – représentent tour à tour

la radio de New York (no

4), la presse américaine (no8), le

sommeil (no7), des pêcheurs écossais (n

o12). Le chœur mixte

représente la collectivité : celle qui invite LI N D B E R G H à

prendre les airs (no

1), celle qui voyage sur le paquebot

“Empress of Scotland”, celle qui attend l’aviateur au Bourget

(no13) ; mais elle représente aussi le brouillard (n

o5) et la

tempête de neige (no6).

Page 12: Weill Sans Livrets

1212

L’orchestre aussi joue son rôle : un personnage essentiel

de l’aventure est le moteur de l’avion et LINDBERGH dialogue

avec lui, qui lui répond par son ronflement où l’on distingue

la clarinette basse et le basson.

La conclusion de l’œuvre évoque le premier vol transatlantique :

Mille ans durant rien qui ne chût

Du haut vers le bas hormis l’oiseau.

Aucune pierre, si antique soit-elle

Ne porte témoignage d’un homme

Qui ait volé à travers l’espace.

Mais nous nous sommes élevés.

Vers la fin du deuxième millénaire

De notre ère

S’est élevée notre naïveté d’acier,

Montrant ce qu’il est possible de faire

Sans nous laisser oublier

Ce qui n’est pas encore atteint :

C’est ce à quoi ce rapport est dédié.

Le mot « rapport », autant que les termes de la fin du Vo l

de Lindbergh / Vol au-dessus de l’océansemble montrer, avec la

clarté de l’objectivité, que l’exploit, avant d’être celui de l’indi-

vidu, est le fruit d’un « n o u s » collectif, de « notre naïveté

d ’ a c i e r » : expression contradictoire pour définir la force de la

fragilité des hommes, dès lors qu’ils font preuve de lucidité.

Page 13: Weill Sans Livrets

KURT WEILL

LE VOL DE LINDBERGHDER LINDBERGHFLUG

LE VOL AU-DESSUSDE L’OCÉANDER OZEANFLUG

Page 14: Weill Sans Livrets
Page 15: Weill Sans Livrets

LIVRET

Exilé à Paris depuis mars 1933, Kurt Weill aurait voulu tra-

vailler avec Jean Cocteau pour ce projet de ballet. Devant son

refus, il fait appel à Brecht qui arrive à Paris courant avril

1933 et se met rapidement au travail.

PARTITION

Comme le livret, la partition est écrite très rapidement, envi-

ron un mois. (Sur la genèse des Sept Péchés capitaux,lire le

texte de Michel Bataillon, page 119.)

PERSONNAGES

ANNA 1 Soprano

ANNA 2 Danseuse

LA FAMILLE Ténor I

Ténor II

Baryton

Basse (La mère)

15

Page 16: Weill Sans Livrets

ORCHESTRE

2 flûtes (dont 1 piccolo)

1 hautbois

2 clarinettes

1 basson

2 cors

2 trompettes

1 trombone

1 tuba

Timbales

Percussions

Harpe

Piano

Banjo

Guitare

Cordes

DURÉE MOYENNE

40 minutes

CRÉATION

7 juin 1933. Théâtre des Champs-Élysées, Paris.

Orchestre symphonique de Paris

Direction musicale. Maurice de Abravanel

Ballets 1933

Chorégraphie. Georges Balanchine

Décors & costumes. Caspar Neher

AvecLotte Lenya (Anna I), Tilly Losch (Anna II),

Otto von Pasetti et Eric Fuchs (ténors), Henri Gretler

(baryton) Albert Peters (basse)

16

Page 17: Weill Sans Livrets

L’ŒUVRE à LYON

1972

Chorégraphie. Vittorio Biagi

Direction musicale. Jean-Pierre Jacquillat

Décors & costumes.Jacques Rapp

1987

Chorégraphie & mise en scène. Maguy Marin

Direction musicale. Jacek Kasprzyk

Décors & costumes. Montserrat Casanova

Avec Cathy Polo (Anna I), Maguy Marin (Anna II),

Pierre Yves Le Maigat, René Schirrer, Michel Fockenoy,

Frédéric Plantak

Page 18: Weill Sans Livrets

ProloguePrésentation d’AN N A I et d’AN N A I I : « Ma sœur a du char-

me, moi j’ai le sens pratique [...]. Au fond, nous ne

sommes pas deux personnes, / Mais une seule et unique. »

Elles vont chercher fortune dans les grandes cités des

Etats-Unis pour aider la famille (les parents, deux frères)

à construire un petit pavillon.

I. La Paresse (dans l’exercice de l’injustice).Première étape. Pour gagner de l’argent, les deux sœurs

emploient une ruse : elles repèrent les couples mariés,

Anna II se jette sur l’homme en faisant semblant de le

reconnaître – baisers, reproches... – tandis qu’AN N A I ,

contre promesse de faire cesser le scandale, soutire

quelques billets. Ce manège se répète plusieurs fois jus-

q u’à ce que, soudain, AN N A I se retrouve toute seule.

Anna II s’est endormie sur un banc. AN N A II doit la

réveiller et la pousser au travail.

LA FA M I L L E qui connaît la paresse de AN N A prie pour

qu’elle fasse tous les efforts nécessaires.

II. L’Orgueil (de montrer le meilleur de soi-même.Refus de se vendre).

Dans un cabaret mal famé, AN N A II danse. Elle y met tout

son art. Mais les clients s’ennuient. Le patron fait alors

monter sur scène une « grosse vieille putain » dont la danse

18

Page 19: Weill Sans Livrets

vulgaire plaît davantage. AN N A II refuse d’en faire autant.

Mais, AN N A I la force à remonter sur scène, la vieille lui

montre comment faire. AN N A II s’exécute, effondrée.

LA FAMILLE prie pour que leurs enfants soient victorieuses

d’elles-mêmes.

III. La Colère (contre la vilenie).A Los Angeles, ANNA II est figurante sur un tournage. La

vedette – un acteur du genre de Douglas Fairbanks –

s’acharne à taper sur un cheval maladroit. AN N A l u i

arrache le fouet des mains et le frappe lui. On la renvoie

immédiatement. Mais ANNA I la convainc de s’excuser, de

s’humilier devant la vedette qui la fera réintégrer.

« Je l’ai guérie de flétrir en public l’injustice », dit AN N A I .

LA FA M I L L E se plaint de ne recevoir que peu d’arg e n t :

« Elles bouffent tout ce qu’elles gagnent. / Va falloir leur

passer un savon. »

IV. La Gourmandise. (Manger selon sa faim les produits de son travail.)

ANNA II est devenue elle-même une vedette. A Philadel-

phie, elle a signé un contrat de danseuse lui interdisant

de grossir. Elle n’a plus le droit de manger. Un jour, elle

vole et mange une pomme, et prend un gramme. Son

agent est furieux. Désormais, A table, AN N A II est sur-

veillée par sa sœur et par deux hommes armés

LA FAMILLE est ravie de ce contrat lucratif, le pavillon en

Louisiane commence à sortir de terre. Mais elle craint

que la goinfrerie – « qui est haïssable » – de leur fille ne

compromette tout.

V. La Luxure. (L’amour désintéressé.)A Boston, ANNA II a trouvé un riche protecteur, Edouard,

et un amant pauvre, Fernando. Anna I parvient a obtenir

de sa sœur qu’elle rompe avec son amant : « Infidèle / Tu

ne vaux pas la moitié de ton prix. » Mais quand elle la

surprend à nouveau en compagnie de Fernando, les sœurs

se battent en pleine rue. Après quoi AN N A I renvoie sa

sœur auprès d’Edouard.

LA FA M I L L E demande au Seigneur que leurs filles « n e

pèchent point contre les lois / Qui rendent riche et heureux. »

19

Page 20: Weill Sans Livrets

VI. L’ Avarice (dans la pratique du vol et de la tr o m p e r i e ) .A Baltimore. La réputation d’AN N A II est telle que beau-

coup se ruinent pour elle et se suicident, ce qui est contre-

productif : « Qui montre sa cupidité / Fait le vide autour

de soi. » ANNA I essaye de rattraper les choses.

LA FA M I L L E est heureuse qu’AN N A gagne beaucoup d’ar-

gent, mais craint néanmoins que sa cupidité ne gâte tout.

VII. L’Envie (envers les gens heureux).Dernière étape : San Francisco. Anna II, lasse, regarde avec

envie d’autres AN N A, respectables, heureuses, et qui s’adon-

nent sans crainte à tous les péchés qui lui sont interdits.

LA FA M I L L E c o m m e n t e : « Qui gagne la victoire sur lui-

même / Gagne aussi sa récompense. »

ÉpilogueSept ans ont passé. Les deux sœurs sont de retour en

Louisiane, au bord du Mississipi où, désormais, se dresse

la petite maison. Elles l’auront bien gagné, au cœur des

grandes cités. « Pas vrai, Anna ? / Oui, Anna. »

Page 21: Weill Sans Livrets

21

ANNA I , ANNA II, deux femmes... Une seule femme ?

« Au fond nous ne sommes pas deux personnes / Mais une

seule et unique », chante ANNA I.

Les Sept Péchés capitauxreposent sur le thème de la

gémellité et de la dualité que Brecht a beaucoup ex p l o r é

dans son œuvre théâtrale et poétique : entre le bien et le mal,

la bonté et la méchanceté, le vice et la vertu. (Voir le texte de

Michel Bataillon, page 119.)

Dans leur itinéraire, parcourant sept villes américaines,

AN N A I et AN N A II gagnent l’argent qui leur permettra de

construire une maison pour elles et leur famille. L’une est la

marchandise, l’autre la vendeuse. Elles sont complémen-

taires : « Ma sœur a du charme, moi j’ai le sens pratique. /

Elle est un peu toquée, j’ai les deux pieds sur terre. »

Par son comportement, ANNA II, la danseuse, subvertit et

inverse la signification des sept péchés. Elle est paresseuses,

certes, mais « dans l’exercice de l’injustice », org u e i l l e u s e

mais « pour montrer le meilleur de soi-même », coléreuse

mais contre la méchanceté, etc. Ainsi est mise en lumière

toute l’ambiguïté des péchés et des vertus chrétiennes, en

fonction du contexte où on les commet, des objectifs pour les-

quels elles s’exercent.

Page 22: Weill Sans Livrets

LA FA M I L L E illustre également ce retournement des

valeurs. L’écriture vocale de ce quatuor (deux ténors, un

baryton, une basse) est marquée par la musique religieuse –

médiévale, orthodoxe, choral luthérien, etc. Le personnage de

la Mère y est chanté par une voix de basse. Ce qu’exprime LA

FAMILLE montre une religiosité très terre-à-terre :

Que le Seigneur éclaire nos enfants,

Afin qu’elles reconnaissent la voie qui conduit au bonheur

Qu’il leur donne force et joie,

Qu’elles ne pèchent point contre les lois

Qui rendent riche et heureux.

Et leurs sentiments familiaux, même chantés sur le mode

religieux, sont marqués essentiellement par la cupidité.

ANNA I, ANNA II... L’une chante, l’autre pas.

La première danse, pas la seconde.

« La parole occupe, dans Les Sept Péchés capitaux, une

place minime, toujours en surimpression de la musique, elle

est le seul mode d’existence sonore d’ANNA II, dérisoire face

au discours chanté d’AN N A I. Elle intervient dans quatre

numéros sur neuf, parole presque jamais autonome, coincée

dans le temps entre deux vocalités, reflet du discours

d’ANNA I. [...] De pauvres petits mots. »

– Pas vrai Anna ?

– Oui Anna.

Page 23: Weill Sans Livrets

KURT WEILL

LES SEPT PÉCHÉSCAPITAUX

DIE SIEBEN TODSÜNDEN

Page 24: Weill Sans Livrets
Page 25: Weill Sans Livrets

CAHIER de LECTURES

Bertolt Brecht

Du pauvre B.B.

Marie Noël Rio

Bertolt Brecht / Kurt Weill,

un mariage de six ans

Geneviève Lièvre

Kurt Weill & la marge

Bertolt Brecht

Combattre l’anachronique

Bertolt Brecht

Le chant des machines

Bernard Dort

Le Vol de Lindbergh, un théâtre didactique

Bertolt Brecht

Chanson d’une famille de la savane

Michel Bataillon

Les Sept Péchés capitaux

Anna-Anna dans la jungle des villes

Bertolt Brecht

La légende de la putain Evlyn Roe

Page 26: Weill Sans Livrets
Page 27: Weill Sans Livrets

89

BERTOLT BRECHT

DU PAUVRE B.B.

1

Moi, Bertolt Brecht, je suis des forêts noires.

Ma mère m’a porté dans les villes

Quand j’étais dans son ventre. Et le froid des forêts

En moi restera jusqu’à ma mort

2

Je suis chez moi dans la ville d’asphalte

Depuis toujours muni des sacrements des morts ;

De journaux, de tabac, d’eau-de-vie

Méfiant, flâneur et finalement satisfait.

3

Je suis gentil avec les gens

Je fais comme eux, je mets un chapeau dur.

Je dis : ce sont des animaux à l’odeur très particulière,

Puis je dis : ça ne fait rien, je suis l’un d’eux.

4

Sur mes chaises à bascule parfois

J’assieds avant midi deux ou trois femmes.

Je les regarde sans souci, et je leur dis :

Je suis quelqu’un sur qui vous ne pouvez pas compter.

Page 28: Weill Sans Livrets

5

Le soir j’assemble chez moi quelques hommes

Et nous causons, nous disant « gentleman ».

Ils posent les pieds sur ma table et déclarent :

Pour nous bientôt, ça ira mieux. Jamais je ne demande : Quand ?

6

Le matin les sapins pissent dans l’aube grise

Et leur vermine, les oiseaux, commencent à crier.

C’est l’heure où dans la ville, je siffle mon verre, je jette

Mon mégot, je m’endors plein d’inquiétude.

7

Nous nous sommes assis, espèce légère

Dans des maisons qu’on disait indestructibles.

(Ainsi nous avons élevé les longs buildings de l’île Manhattan,

Et ces minces antennes dont s’amuse la mer Atlantique.)

8

De ces villes restera celui qui passait à travers elles : le vent !

La maison réjouit le mangeur : il la vide.

Nous le savons, nous sommes des gens de passage ;

Et qui nous suivra ? Rien qui vaille qu’on le nomme.

9

Dans les cataclysmes qui vont venir, je ne laisserai pas, j’espère,

Mon cigare de Virginie s’éteindre par amertume,

Moi, Bertolt Brecht, jeté des forêts noires

Dans les villes d’asphalte, quand j’étais dans ma mère, autrefois.

Appendice de Bertolt Brechts Hauspostille, 1927

(Sermons domestiquesde Bertolt Brecht) © Suhrkamp Verlag, 1960

Traduction française de Gilbert Badia & Claude Duchet. © L’Arche éditeur, 1 9 6 5

BERTOLT BRECHT

Page 29: Weill Sans Livrets

29

MARIE-NOËL RIO

BERTOLT BRECHT / KURT WEILL

UN MARIAGE DE SIX ANS

Dans le Berlin de la République de Weimar Bertolt Brecht, né en 1898 à Au g s b o u rg, mort à Berlin-

Est en 1956, et Kurt Weill, né en 1900 à Dessau, mort à New

York en 1950, se rencontrent en 1927. Ils ont moins de trente

ans, vivent tous les deux dans le bouillonnement de Berlin et

sont déjà des figures de proue des avant-gardes artistiques.

Leur collaboration, extraordinairement féconde, ne dure que

six ans, entre cette rencontre de 1927 et leur dernière œuvre

commune en 1933 à Paris, au début de leurs années d’exil.

Ensuite, même s’ils se retrouvent quelquefois en Amérique

entre 1941 et 1948, même s’ils ont encore quelques projets,

ils ne travailleront plus ensemble.

L’adolescence et les années d’apprentissage de ces deux

jeunes gens s’étaient déroulées pendant la grandiose boucherie

de la guerre de 1914-1918. Ils étaient encore des hommes

jeunes quand ils durent quitter l’Allemagne en 1933 : Brecht le

28 février, le lendemain de l’incendie du Reichstag, pour une

odyssée de 15 ans ; Weill le 21 mars, pour toujours. Il était

temps ! Le 10 mai, on brûlait les livres dans la plupart des

grandes villes allemandes. Brecht et Weill, acteurs majeurs de

ce que les nazis rangeaient sous le titre d’« art dégénéré » ,

étaient tous deux artistiquement révolutionnaires et socialement

progressistes – Brecht poète provocateur, anarchiste puis

marxiste, Weill enfant terrible de la musique nouvelle et ancien

membre du N o v e m b e rg r u p p e, proche du mouvement spartakiste,

avec le tort supplémentaire et impardonnable d’être juif.

Page 30: Weill Sans Livrets

30

Les deux hommes auront donc eu des vies assez courtes

(Brecht meurt à 58 ans, Weill à 50) et plutôt difficiles. Ils

auront connu les deux guerres mondiales, entre lesquelles la

République de Weimar, de 1918 à 1933, est souvent évoquée

comme une sorte de paradis des avant-gardes (ex p r e s s i o n -

nisme, Dada, nouvelle objectivité, Bauhaus...). Ce qui n’ e s t

pas exactement vrai : Weimar fut aussi la période de l’irrésis-

tible montée du nazisme. Rappelons les faits : fin 1918, c’est

un soulèvement socialiste du peuple allemand qui destitue

l’empereur Guillaume II et les princes, demande l’armistice

et achève la guerre la plus sanglante de l’histoire. La consti-

tution de la République allemande est rédigée à Weimar :

elle institue la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le plura-

lisme des partis politiques, la liberté d’opinion et la liberté de

la presse, la journée de huit heures, une loi sur l’assurance-

chômage, le droit de vote pour les femmes et les soldats, la

reconnaissance des syndicats, etc. Cependant, dès janvier

1919, la répression féroce de l’insurrection spartakiste et

l’assassinat à Berlin des leaders du mouvement, Rosa Luxe m -

bourg et Karl Liebknecht, marquent la fin de l’espoir socia-

liste, trahi par l’alliance de la social-démocratie et de l’armée.

Puis ce sont quatorze ans de désordres, de luttes internes, de

censures brutales, de misère, d’inflation, qui culminent en

1923 et en 1930, avec une courte accalmie entre 1924 et

1929, c’est-à-dire entre l’aide financière américaine du Plan

Dawes et le krach boursier de New York, qui entraîne dans le

chaos la trop fragile République.

Dans la fièvre de We i m a r, tout est possible, le meilleur

(l’effervescence idéologique et intellectuelle, où les avant-

gardes artistiques rencontrent les avant-gardes sociales) et le

pire (l’ascension de Hitler). Au loin, il y a deux modèles :

l’Amérique et la Russie soviétique. Dans la réalité, il y a une

Allemagne humiliée qui ne peut pas payer l’énorme dette

imposée par le Traité de Versailles. En juillet 1932, dans un

pays qui compte plus de six millions de chômeurs, le parti

national-socialiste obtient 37,8 % des voix, ce qui en fait le

plus fort parti siégeant au Reichstag, et le 30 janvier 1933 le

maréchal von Hindenburg, président du Reich, nomme Hitler

c h a n c e l i e r. C’est la fin de tous les espoirs et la plongée de

l’Allemagne dans une nuit de plus de douze ans.

MARIE-NOËL RIO

Page 31: Weill Sans Livrets

31

1927 : la rencontre Brecht-WeillEn 1922, à 24 ans, Brecht a reçu le prestigieux prix Kleist

pour trois pièces de ses débuts d’auteur dramatique : Ta m b o u r s

dans la nuit (créé en septembre 1922 aux Kammerspiele de

Munich grâce à l’appui de Lion Fe u c h t w a n g e r, romancier et

auteur dramatique célèbre qui règne alors sur la scène muni-

choise, repris en décembre à Berlin), Dans la jungle – rebapti-

sé plus tard Dans la jungle des villes – (créé en 1923 à Munich

dans le scandale, arrêté après six représentations) et B a a l

(créé en décembre 1923 à Leipzig, interdit par la censure

municipale après la première représentation). Depuis sep-

tembre 1924 il vit à Berlin, plus ou moins avec Hélène We i g e l ,

une jeune actrice qui lui a demandé de lui faire un enfant et

accouchera en effet d’un fils en novembre. Des enfants, Brecht

en a déjà deux : le premier à 19 ans d’une lycéenne d’Au g s-

b o u rg, Paula Banholzer (un garçon qui sera tué au front en

1943), le second à 25 ans d’une chanteuse d’opéra, Marianne

Z o f f, qu’il a épousée en 1922 (une fille, Hanne). C’est un grand

amateur de femmes. En 1925, il rencontre la première de ses

« c o l l a b o r a t r i c e s », secrétaire, maîtresse et bonne à tout faire,

Elisabeth Hauptmann, qui sera suivie en 1932 de Marg a r e t e

Steffin, à laquelle s’ajoute Ruth Berlau dès 1933. Hélène

Weigel est coriace : elle sera la veuve du grand homme. Dans

un poème de 1922 des Sermons domestiques, Du pauvre B.B.,

qui commence par le célèbre : « Moi, Bertolt Brecht, je suis

des forêts noires », il avait prévenu : « Je suis quelqu’un sur

qui vous ne pouvez pas compter. » Il déploie une activité fréné-

tique : en octobre 1924 c’est la reprise à Berlin de Dans la

j u n g l e ; en décembre, après sa création à Munich en mars,

c’est le tour de Vie d’Edouard II d’Angleterre ; en septembre

1926 c’est la création d’Homme pour homme à Darmstadt. Et

puis il travaille aux poèmes des Sermons domestiques, multiplie

les articles polémiques, les projets et les esquisses dont beau-

coup n’aboutissent pas, lit Marx et l’histoire des grandes for-

tunes américaines, s’intéresse à la radio et au cinéma. Auteur à

scandale, poète génial pour les uns, provocateur cynique pour

les autres, Brecht est de ceux dont les magazines illustrés

publient les photographies, et que l’on peut rencontrer dans les

cafés à la mode, chez Schlichter par exemple. Elias Canetti,

alors tout jeune étudiant, écrit dans son autobiographie L e

Flambeau dans l’oreille : « La seule personne qui me frappât

BRECHT / WEILL : UN MARIAGE DE SIX ANS

Page 32: Weill Sans Livrets

32

parmi tous ces gens, ce fut Brecht, par son déguisement prolé-

tarien. Il était très maigre, il avait un visage famélique auquel

sa casquette donnait un air penché ; ses mots étaient de bois,

hachés ; sous son regard, on se sentait comme un objet de

valeur qui n’en a pas et lui, le prêteur sur gages, évaluait cha-

cun de ses yeux noirs perçants. Il parlait peu et l’on n’ a p p r e-

nait rien du résultat de l’expertise. On avait du mal à croire

q u’il n’eût que trente ans, il semblait non pas avoir vieilli pré-

maturément, mais avoir toujours été vieux. »

Kurt Weill, à 27 ans, a déjà été joué dans des grandes

villes allemandes comme Berlin, Francfort ou Dresde et des

institutions aussi prestigieuses que la Philharmonie et le

Staatsoper de Berlin, mais aussi à Salzbourg et Paris. Grâce à

la recommandation de Busoni, son professeur à l’Académie des

Arts de Berlin, il est depuis 1924 sous contrat exclusif avec

Universal Edition, le célèbre éditeur de musique viennois. Ce

n’est ni un loup affamé ni un extrémiste comme Brecht, mais il

est fermement engagé dans le combat pour la rénovation de la

musique et de la politique culturelle. Membre dès 1920 du

fugace N o v e m b e rg r u p p e, fondé en 1918 pour être la cheville

ouvrière d’un art moderne, humaniste et révolutionnaire, We i l l

n’en oublie pas les principes. C’est ainsi qu’il écrit en 1929,

volant au secours d’Otto Klemperer violemment attaqué pour

son choix et son interprétation de l’Œdipus rex de Stravinsky

au Kroll Oper, « l’Opéra rouge » fondé en 1927 et qu’il diri-

geait : « Un bouleversement s’accomplit aujourd’hui dans tous

les domaines de l’art : il vise à l’élimination de son caractère

mondain pour souligner la force de sa vocation sociale. Le

combat des Anciens et des Modernes, de rigueur lors de tout

changement de cap décisif, connaît actuellement une violence

particulière dans le domaine musical : on jongle ici, plus

q u’ailleurs, avec les concepts de tradition, de piété et de sain-

teté de l’œuvre d’art, qui ont toujours été préjudiciables au

renouveau artistique. » Il est passionné par l’opéra : à 16 ans il

écrit Z r i n y d’après Fritz Körner; son ballet-pantomime D i e

Z a u b e r n a c h t est créé à Berlin en 1922 par une troupe russe ;

en 1924 il rencontre Georg Kaiser, célèbre auteur dramatique

de la scène expressionniste (à qui Brecht, ayant toujours pro-

clamé son « laxisme de principe en matière de propriété intel-

lectuelle », est redevable sans le dire de bien des traits de son

style). Weill compose trois opéras sur des textes de Kaiser : L e

MARIE-NOËL RIO

Page 33: Weill Sans Livrets

33

Pr o t a g o n i s t e créé en 1926 à Dresde, Le Tsar se fait photogra -

p h i e r créé en 1928 à Leipzig, et Le Lac d’arg e n t créé simulta-

nément à Leipzig, Erfurt et Magdebourg en 1933. A l’opéra tra-

ditionnel, art « mondain » par excellence, Weill veut substituer

un opéra de son temps, pour son temps, dont les sujets sont

l’homme et le monde réels ; au public bourgeois, guindé et

conventionnel de l’opéra, il veut substituer un public popu-

laire. Il s’intéresse vivement au jazz, aux chansons de variété, à

la radio : à partir de novembre 1924 il tient une chronique

régulière dans l’hebdomadaire Der Deutsche Ru n d f u n k, et com-

mence peu après à composer des essais radiophoniques.

Ajoutons qu’il est marié depuis 1926 à l’actrice Lotte Lenya,

rencontrée deux ans plus tôt chez Georg Kaiser.

Le 18 mars 1927, Kurt Weill écoute à la radio Homme pour

h o m m e de Bertolt Brecht, avec une musique d’Edmund Meisel

– qui avait notamment composé un accompagnement pour Le

Cuirassé Po t e m k i n e d’Eisenstein. Il écrit un compte rendu

enthousiaste dans Der Deutsche Ru n d f u n k. Au début du prin-

temps, le festival de Baden-Baden, « Musique de chambre

allemande », passe commande à Weill d’un opéra de courte

durée, ou opéra-minute, pour le même été. Weill hésite sur le

sujet (il pense un moment à Antigone, au roi Lear) et va jus-

q u’à douter du projet lui-même. En avril, il lit les S e r m o n s

d o m e s t i q u e s de Brecht dès leur parution et s’enthousiasme

pour les Chants de Mahagonny . Il rencontre Brecht au café

S c h l i c h t e r. C’est en mai 1923 à Munich, lors de la création

tumultueuse de sa pièce Dans la jungle, que le mot de « M a h a -

gonny » était venu à Brecht devant les masses de petits- b o u r-

geois en chemises brunes qui déferlaient dans la ville ravagée

par l’antisémitisme et le séparatisme, six mois avant le putsch

avorté de Hitler. Il avait déclaré : « Mahagonny arrive, je pars.

» C’est du moins ce que raconte son ami d’alors Arnolt

Bronnen. Ce qui est sûr, c’est qu’en juillet 1924, dans son

Journal, Brecht note le projet d’un opéra sur « Mahagonny ».

Dès les premières conversations de Brecht et Weill, l’idée

d’une grande forme est déjà présente derrière le projet immé-

diat de l’opéra-minute. Weill raconte : « Afin de faire avancer

cette idée, qui me captiva tout de suite, et d’appliquer le style

musical que j’avais en tête, je composai tout d’abord les cinq

Chants de Mahagonny et les résumai en une petite forme dra-

matique, un Songspiel (ou pièce de poèmes chantés). » En

BRECHT / WEILL : UN MARIAGE DE SIX ANS

Page 34: Weill Sans Livrets

34

avril-mai, il avait écrit l’essentiel de la musique de

Mahagonny Songspiel, travaillant, comme toujours ensuite, en

étroite collaboration avec Brecht. Le 17 juillet, ce fut la créa-

tion au festival de Baden-Baden, dans un programme qui com-

portait aussi un conte musical de Toch et deux opéras- m i n u t e

de Milhaud et Hindemith. C’est à cette occasion que Lotte

Lenya, qui ne savait pas lire la musique, inaugura sa carrière

d’interprète des songs de Brecht et de son mari. Notons que la

mélodie d’A l a b a m a s o n g, le plus célèbre des Chants de Maha-

g o n n y, était de Brecht lui-même, transcrite à partir de ses sté-

nogrammes musicaux par le jeune pianiste et compositeur

Franz S. Bruinier pour l’édition des Sermons domestiques, et

orchestrée par Weill. Le public mondain du festival fut très

choqué, la critique très divisée. Weill précise : « Le M a h a -

g o n n y de Baden-Baden n’est rien d’autre qu’une étude de style

pour un opéra qui, déjà commencé, fut poursuivi après que le

style eût été mis à l’épreuve. » En réalité, cette « étude de

style » jetait les bases de toutes les œuvres futures du brillant

tandem, qui allait influencer durablement l’histoire du théâtre

musical. Quant à la grande forme projetée, Grandeur et déca -

dence de la ville de Mahagonny, opéra en trois actes commencé

au printemps 1927, elle ne sera créée qu’en mars 1930 à

Leipzig. Entre-temps, Brecht et Weill auront mené à leur terme

la presque totalité de leurs œuvres communes.

Un succès international : L’Opéra de quat’sous

C’est d’abord L’Opéra de quat’sous. Elisabeth Hauptmann,

impressionnée par l’immense succès qu’obtenait la reprise du

Beggar’s Opera depuis 1920 au Lyric Theatre de Londres, en

avait entamé la traduction en 1927. L’œuvre de John Gay et

Christopher Pepusch, créée deux siècles auparavant, mettait

en scène des mendiants, des bandits et des prostituées sin-

geant le grand monde dans un Londres corrompu, et ridiculi-

sait les opéras de Haendel, avec dieux, héros et nobles dames,

qui régnaient alors sur la scène anglaise. On comprend l’inté-

rêt que Brecht et sa bande pouvaient y trouver.

En décembre 1927, le jeune acteur Ernst Josef Au f r i c h t

avait pris la gérance du théâtre berlinois Am Schiffbauerdamm

et cherchait une pièce pour l’inauguration. Brecht lui envoie

une partie de la traduction d’Elisabeth Hauptmann, Au f r i c h t

commande l’adaptation, Brecht et Weill se mettent au travail

MARIE-NOËL RIO

Page 35: Weill Sans Livrets

35

en mai 1928 et achèvent en quelques semaines, au Lavandou

dans le Midi de la France, la première version complète de ce

q u’ils nomment alors L’Opéra des crapules.Brecht est resté très

près de l’original, tentant de montrer que « l’univers mental et

la vie sentimentale des brigands ont énormément de ressem-

blance avec l’univers mental et la vie sentimentale des bour-

geois rangés », et cherchant à trouver dans l’agencement du

spectacle « cette réalité fascinante qu’a le Palais des Sports

quand on y boxe. » Les répétitions sont un chaos : certains

acteurs trouvent la musique de Weill trop difficile, d’autres les

t extes de Brecht obscènes... Coupures, ajouts et remaniements

se succèdent jusqu’au soir même de la première, le 31 août

1928. C’est un triomphe : un an après, 4000 représentations

ont déjà eu lieu dans 50 théâtres. En 1931, 9900 exe m p l a i r e s

de la partition ont été vendus et Pabst a réalisé un film (con-

testé par Brecht et Weill, qui font un procès). En 1932, l’œuvre

est déjà traduite en 18 langues. Des débits de boisson et des

marques de papier peint sont baptisés du titre de la pièce, les

songs deviennent des tubes. Pour Brecht et Weill, c’est soudain

beaucoup d’argent et une reconnaissance internationale.

Cependant, le travail sur Grandeur et décadence de la ville

de Mahagonny se poursuit. En même temps, toujours dans la

perspective de s’adresser au plus large public populaire,

Brecht et Weill écrivent en novembre-décembre 1928 une can-

tate pour la radio de Francfort, destinée à célébrer le 10e

a n n i-

versaire de la révolution spartakiste et de la fin de la guerre :

Das Berliner Re q u i e mne sera exécuté qu’en mai 1929, amputé

d’un poème dédié à Rosa Luxe m b o u rg, Die Rote Ro s a. Au c u n e

autre station ne voudra retransmettre l’œuvre.

Les pièces didactiques : Le Vol de Lindbergh et Celui qui dit oui

Au printemps 1929, alors que Grandeur et décadence de

la ville de Mahagonny est achevé après un travail acharné

des deux auteurs, Weill et Hindemith travaillent ensemble à

une pièce radiophonique pour le prochain Festival de Baden-

Baden, dont Brecht a écrit le texte fin 1928-début 1929 : Le

Vol de Lindbergh. La pièce, qui pose la question du progrès et

de sa réception historique à travers le premier vol transatlan-

tique, est diffusée à la radio le 26 juillet et créée sur scène le

lendemain. C’est le premier des quatre L e h r s t ü c ke ( p i è c e s

BRECHT / WEILL : UN MARIAGE DE SIX ANS

Page 36: Weill Sans Livrets

36

didactiques) de Brecht, courts opéras pour chanteurs solistes,

orchestre et chœur, qui sont parmi ses œuvres les plus radi-

calement politiques. La pièce est remise en chantier entre

septembre et novembre de la même année, et reprise le 5

décembre avec une musique de Weill seul. En 1950, Brecht

remplacera le nom de Lindbergh, qui s’était engagé aux côtés

des nazis, par « les aviateurs » et le titre de la pièce par Le

Vol au-dessus de l’Océan.

En 1929 toujours, la lecture d’une nouvelle parue dans un

magazine américain pousse l’infatigable Elisabeth Hauptmann

à se lancer dans le genre dramatique. Elle écrit la comédie en

trois actes Happy End sous le pseudonyme de Dorothy Lane,

Brecht se contentant de lui donner des textes de chansons tels

que Bilbao Song, La chanson de Mandelay, Sourabaya Johnny ,

qui sont au nombre des chansons de Brecht et Weill les plus

universellement connues jusqu’à aujourd’hui. Weill s’attelle à

Happy End en mai, et la première a lieu le 2 septembre 1929

au Schiffbauerdam Theater, qui avait vu juste un an auparavant

le triomphe de L’Opéra de quat’sous, avec la même éblouis-

sante distribution. C’est un flop : le spectacle est retiré de

l’affiche après sept représentations. Les miracles n’ont jamais

lieu deux fois. Brecht recyclera plusieurs des poèmes de

Happy End dans des pièces ultérieures : par exemple, « L e

Lieutenant du bon Dieu », « Allez à la bataille », « H o s a n n a h

Ro c k f e l l e r » referont surface en 1932 dans Sainte Jeanne des

a b a t t o i r s, dont on peut considérer Happy End comme un vague

brouillon. Quant à Weill, il est très déçu. Il écrit à son éditeur :

« La musique, sur le plan formel, instrumental et mélodique,

est un tel progrès par rapport à L’Opéra de quat’sousq u’il n’y a

que les critiques allemands pour ne pas l’avoir vu. »

En janvier 1930, Brecht et Weill commencent Celui qui dit

o u i, opéra pour les écoles, troisième des pièces didactiques

(entre Le Vol de Lindberg h et Celui qui dit oui, il y a eu

L’importance d’être d’accord, créé en juillet 1929 au festival de

Baden-Baden avec des éléments musicaux de Hindemith et

Carl Orff, qui pose la question de l’usage démocratique du pro-

grès.) Celui qui dit oui est basé sur la traduction, par Elisabeth

Hauptmann (toujours elle !), du nô japonais Ta n i ko. Il s’agit

d’un enfant qui accepte d’être tué parce qu’il reconnaît une

ancienne coutume de sa communauté comme plus légitime que

son intérêt personnel et supérieure à sa propre existence (ce qui

MARIE-NOËL RIO

Page 37: Weill Sans Livrets

37

peut être interprété comme un trouble écho de l’idéologie nazie

du sacrifice). L’œuvre est créée le 23 juin 1930 à la K a r l - M a r x

S c h u l eà Berlin (Institut central d’enseignement et d’éducation.)

Le Vol de Lindberg h avait été conçu pour un petit groupe

d’interprètes professionnels et des chorales d’amateurs, dont les

enfants des écoles. Cette fois, il s’agit d’une pièce destinée à être

entièrement interprétée par des enfants dans le cadre scolaire, et

d’un opéra sans le moindre texte parlé. Weill précise : « Il est

particulièrement recommandé qu’une pièce scolaire offre la pos-

sibilité à l’enfant d’apprendre quelque chose, en plus de la

simple joie de faire de la musique. » Il rejoint exactement les

positions de Brecht sur le L e h r s t ü c k, qui déclarait à propos du Vo l

de Lindberg h : il n’a « aucune valeur si on ne s’y instruit pas. Il

ne possède pas de qualité artistique qui en justifierait une repré-

sentation ne visant pas à instruire. Il est un instrument d’ensei-

gnement. » Mais si la question philosophique est pour Brecht

l’enjeu essentiel de la pièce didactique, la musique représentant

un moyen par excellence de distanciation et permettant l’ex p r e s-

sion collective, Weill, lui, met au premier plan l’enjeu purement

musical. Il ne s’intéresse pas à Celui qui dit non, que Brecht écrit

à l’automne 1930 pour répondre aux nombreuses objections que

rencontre Celui qui dit oui chez les enfants et une partie de la

critique progressiste. Celui qui dit nonépouse exactement la par-

tition de Celui qui dit oui, mais le texte est modifié : ici l’enfant

refuse l’ancienne coutume. L’ exécution des deux pièces dans le

même spectacle, qui aura lieu pour la première fois en 1951 à

New York, ouvre un espace de réflexion et constitue une sorte de

leçon de dialectique invitant le spectateur à la discussion. Outre

ses qualités artistiques exceptionnelles, Celui qui dit oui a l’inté-

rêt de montrer la différence qui se creuse de plus en plus nette-

ment entre Brecht et Weill : là où le premier veut changer le

théâtre, mais aussi l’homme et le monde, le second ne veut plus

changer que la musique et son public.

1930 : Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny

Entre la composition et l’exécution de Celui qui dit oui a

lieu, le 9 mars 1930 à Leipzig, la création tant attendue de

Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, l’opéra en

projet depuis la rencontre de 1927. En décembre 1931, cet

éternel work in progresssera repris à Berlin avec des change-

ments d’importance.

BRECHT / WEILL : UN MARIAGE DE SIX ANS

Page 38: Weill Sans Livrets

38

Comme il l’avait déjà fait dans Mahagonny Songspiel et

dans L’Opéra de quat’sous, Weill associe, selon le principe du

collage, des matériaux conventionnels, procédés ou citations

d’opéras qui renvoient à leur contexte d’origine, à des formes

familières, chansons à succès ou airs de jazz, perturbant ainsi

l’harmonie associée au genre de l’opéra et exhibant les

ficelles de l’art bourgeois illusionniste. Il déclare : « Ce sont

des tableaux de mœurs de notre époque, transposés à un plan

de plus grande ampleur (que dans Mahagonny Songspiel ) .

Conformément à ce contenu, la forme la plus pure du théâtre

épique pouvait être choisie ici ; c’est aussi la forme la plus

pure du théâtre musical, une suite de vingt et une formes

musicales séparées dont chacune est une scène fermée, intro-

duite par un titre narratif. La musique n’est donc pas un élé-

ment qui fait avancer l’action, elle intervient lorsque les

situations se stabilisent. Aussi le livret est-il agencé de telle

manière qu’il représente une succession de situations ; et

c e l l e s-ci ne produisent une forme dramatique que par la

dynamique musicale de leur développement. »

Fin 1930, Brecht écrit ses Remarques sur l’opéra Gran-

deur et décadence de la ville de Mahagonny, qui constituent

la première synthèse de son projet de « théâtre épique »

développé systématiquement depuis 1926. Il décrit son idée

de l’œuvre scénique comme construction d’éléments narratifs

– texte, musique et image – indépendants l’un de l’autre mais

agissant l’un sur l’autre, se complétant ou se perturbant

sciemment grâce à la mise en scène, empêchant dans tous les

cas une action fluide, homogène, et donc un effet d’illusion

sur le spectateur.

Grandeur et décadence de la ville de Mahagonnyc o u r o n n e

et clôt un cycle, constitué par Mahagonny Songspiel , L’ O p é r a

de quat’sous et, dans une mesure différente, Happy End. Ces

pièces, qui sont une déclaration de guerre au théâtre senti-

mental et à l’opéra conventionnel, dit « opéra culinaire », font

avancer les débats, très vifs dans les années 20, sur l’avenir

du théâtre musical. Mais elles échouent à provoquer chez le

spectateur une véritable distance critique et à produire, par

les moyens du théâtre et de la musique, une critique sociale

affinée : elles sont d’excellents divertissements, et sans doute

davantage des comédies musicales ou des opérettes popu-

laires que de nouveaux opéras, dont elles n’ébranleront nulle-

MARIE-NOËL RIO

Page 39: Weill Sans Livrets

39

ment les puissantes institutions comme elles l’ambitionnaient.

Elles alimenteront par la suite deux courants antagonistes :

celui du théâtre musical européen de recherche, presque tou-

jours condamné à la marginalité ; et celui de la comédie musi-

cale de l’industrie culturelle, où Weill connaîtra à Broadway

un succès honorable – ce qui lui vaudra la sévérité définitive

d’Otto Klemperer et de Theodor Adorno, ses anciens parti-

sans. Quant aux ambitions du théâtre épique, elles ne seront

pleinement réalisées par Brecht qu’après la guerre, au

Berliner Ensemble, dans ses pièces de maturité.

1933 : exilés ll y aura encore, en janvier-février 1931, la musique de

scène que Weill écrit pour une représentation d’Homme pour

homme au Schauspielhaus de Berlin – la partition en est per-

due. Et puis ce sera l’exil. Brecht et Weill se retrouvent à

Paris en mai 1933. L’Opéra de quat’sous, mis en scène par

Gaston Baty au Théâtre Montparnasse en 1930, avait été un

succès, et Mahagonny Songspiel , donné en concert avec

Celui qui dit oui, avait été accueilli avec enthousiasme six

mois auparavant à la salle Gaveau. Weill reçoit la commande

d’un ballet chanté. Le tandem se met au travail avec beau-

coup d’espoir. Le 7 juin, au Théâtre des Champs Elysées, a

lieu la création des Sept Péchés capitaux (nommé par la suite

Les Sept Péchés capitaux des petits- b o u rg e o i s.) L’accueil est

tiède et déçoit les deux auteurs.

L’AmériqueDe 1933 à 1941, Brecht et sa famille s’installent succes-

sivement au Danemark, en Suède et en Finlande, fuyant

chaque fois devant la peste brune qui s’étend. Ils finissent

par émigrer aux Etats-Unis et débarquent le 21 juillet 1941 à

Los Angeles, où les attend Lion Fe u c h t w a n g e r. Brecht a les

plus grandes difficultés et ne parvient pas à s’adapter, malgré

ses efforts désespérés, à la machine américaine du divertisse-

ment, que ce soit au théâtre ou au cinéma. Weill, lui, vit à

New York avec Lotte Lenya depuis le 10 septembre 1935 et

s’est remarquablement intégré. Il travaille pour Broadway, le

Manhattan Opera, la radio, Hollywood et devient dès 1939

membre de l’association des compositeurs américains. Il

obtient en 1943, avec sa femme, la nationalité américaine. Il

BRECHT / WEILL : UN MARIAGE DE SIX ANS

Page 40: Weill Sans Livrets

ne cherche pas à entretenir de contacts avec ses anciens

compatriotes émigrés et va jusqu’à refuser de parler alle-

m a n d : Lotte Lenya raconte qu’il entre dans de violentes

colères lorsqu’elle s’y oublie. Il a tiré un trait.

Après l’arrivée de Brecht aux Etats-Unis, les deux

hommes se voient à plusieurs reprises, la première fois en

1942 à Hollywood. Ils parlent de projets : un opéra sur

Schweyk, la musique de La Bonne Ame de Se-Tchouan, mais

rien n’aboutit. Cela n’empêchera pas Weill de protester publi-

quement contre la commission d’activités anti-américaines,

plus connue sous le nom de commission McCarthy, destinée à

épurer l’industrie cinématographique de « l’infiltration com-

muniste », devant laquelle Brecht doit comparaître le 30

octobre 1947, lui qui n’a jamais appartenu à aucun parti. Le

lendemain Brecht regagne l’Europe, la Suisse d’abord via

Paris, puis, sous passeport autrichien, l’Allemagne où il

œuvrera au Berliner Ensemble, avec le succès que l’on sait et

des ennuis de censure que l’on sait moins, jusqu’à sa mort.

Quelques jours plus tôt, il avait déclaré : « Ecrivez que

je n’étais pas commode. » En 1932, il avait écrit dans S a i n t e

Jeanne des abattoirs : « Tâchez, à l’heure où vous-même par-

tirez, non d’avoir été bon, mais que le monde que vous quit-

tez soit bon. »

Quant à Kurt Weill, il ne cesse de produire, jusqu’à sa mort

en 1950, des œuvres basées sur les principes mêmes qu’il avait

proclamés en Allemagne avec tant de pugnacité : l’homme réel

et le monde réel comme sujets, un théâtre musical de son temps

pour son temps, le public populaire comme destinataire, la

recherche de formes simples, « originelles », de mélodies

faciles à retenir. On serait tenté de dire : comme à Berlin, dans

sa grande aventure avec Brecht. La férocité et l’idée en moins,

les bons sentiments et l’A m e r i c a n D r e a m en plus. Ou l’avant-

garde mise au service de l’industrie du divertissement.

MARIE-NOËL RIO

Page 41: Weill Sans Livrets

41

GENEVIÈVE LIÈVRE

KURT WEILL & LA MARGE

En 1920, lors de sa création, la revue allemande de

musique contemporaine M e l o s expose ainsi les problèmes

q u’elle se propose d’aborder : 1. comment dépasser la

t o n a l i t é ; 2. rapports musique / langage (et leur jonction dans

l ’ o p é r a ) ; 3. rapports musique / autres arts ; 4. mise à nu de

l’infrastructure sociologique de la musique.

Kurt Weill se situe très exactement dans cette perspec-

tive. Né en 1900, il appartient naturellement aux générations

qui ont fait le passage du XXe

siècle, époque d’une remise en

cause – rupture plus qu’évolution – telle que la musique

occidentale n’en n’avait pas connue depuis plusieurs siècles.

Dans ce grand brassage, en focalisant son attention sur le

rapport entre le compositeur et le public (la praxis musicale)

plutôt que sur le rapport entre le compositeur et le matériau

(la sémantique musicale), Weill a choisi la marge – cette

marge féconde qui, selon une réflexion de Boulez à propos de

Varèse, « justifie la page ».

Aujourd’hui encore peu joué par les institutions parce que

hors cadres, peu estimé par le monde musical « s é r i e u x » ,

Weill, « juif atonal », a bien été « chassé à juste titre » par les

nazis pour crimes dans le domaine musical – déstabilisation

de l’ordre, insolence à l’égard des valeurs, métissage des cul-

tures, entre autres péchés.

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DéstabilisationDepuis à peu près l’époque de Bach, le sentiment d’ap-

partenance au système d’organisation de la musique occiden-

tale (le système tonal) était donné par le retour récurrent de

pôles d’attraction – certains des sept degrés hiérarchisés de

l’échelle sonore à intervalles inégaux servant de référence –,

que ce soit dans le déroulement mélodique (un son après

l’autre) ou dans l’enchaînement harmonique des accords

(superposition des sons). Les accommodements vont amener

la bascule du système au tournant du siècle, en particulier

via l’utilisation de plus en plus fréquente, de Chopin et Liszt

à Wagner et Mahler, du chromatisme (emploi des demi-tons,

degrés intermédiaires de l’échelle de référence, dont la proli-

fération brouille les repères). Chromatisme, polytonalité

(confrontation simultanée des pôles d’attraction de plusieurs

échelles de référence), atonalité (suppression de toute réfé-

rence à une hiérarchie des sons), utilisation de l’accord pour

sa sonorité en tant que telle et non plus en fonction de l’arti-

culation tonale : autant de remises en cause de l’Ordre tonal

radicalisées par la « deuxième école de Vi e n n e »

(Schoenberg, Berg, Webern) qui initie, sous l’appellation do-

décaphonisme, une réorganisation de l’échelle de référence

(l’octave) en intervalles égaux – les douze (d o d é c a -) demi-

tons du « total chromatique ».

Weill considère Schoenberg, « celui qui apporte la corrup-

t i o n », comme « l a plus forte conscience musicale » d’alors. [...]

IntégrationWeill – la « marge » – ne fait pas de l’atonalité la base de

son travail ; il n’en parle d’ailleurs jamais directement dans

ses écrits. Il l’intègre à son langage, ce qui lui sera reproché

( « du Donizetti camouflé sous des dissonances qui arrivent

toujours au bon moment » aurait dit Diaghilev), tout comme il

intègre d’autres syntaxes musicales, par exemple les modes

ecclésiastiques juifs ou chrétiens. Certaines de ses premières

œuvres, destinées au concert, relèvent de l’atonalité ; mais à

partir du moment où son but, écrire pour le théâtre, est clai-

rement exprimé – « faire que ma musique s’adresse directe -

m e n t au public, trouve la voie la plus i m m é d i a t e et la plus

rectiligne pour dire ce que j’ai à dire, et le dire le plus sim-

plement possible » –, il en tire les conséquences. Si, dans le

GENEVIÈVE LIÈVRE

Page 43: Weill Sans Livrets

43

premier M a h a g o n n y (1927), on trouve encore la séparation

entre s o n g tonal et interlude instrumental atonal, dans ses

œuvres ultérieures, dont Les Sept Péchés capitaux, Weill joue

dialectiquement de la tension tonalité/atonalité et entretient

l’ambiguïté, par exemple en maintenant une ligne mélodique

tonale – plus facile à mémoriser parce que gravitant autour

des pôles d’attraction – sur une harmonie instable, dramatur-

giquement plus souple, par exemple en superposant ou juxta-

posant plusieurs tonalités. [...]

MétissageL’abandon de la tonalité et la libération de toute l’org a n i-

sation qui en découle – celle de la forme, de la rythmique, de

l’instrumentation – entraîne la reconsidération de matériaux

exogènes jusqu’alors incompatibles avec l’unité d’un certain

univers esthétique : en toute logique, si la simultanéité de

deux tonalités devient possible, pourquoi pas celle de deux

univers esthétiques ? Ces matériaux : les musiques ex t r a -

européennes (Debussy découvrant le gamelan indonésien en

avait tiré les conséquences dans l’évolution de son langage) ;

les musiques « non savantes » (intégration du patrimoine folk-

lorique par Bartók ou Janácek, non comme nuance pittoresque

mais substance transmuée d’une nouvelle construction, rémi-

niscences de Stravinsky) – les musiques dites vulgaires ; le

jazz qui a exercé une véritable fascination sur les musiciens

comme sur les auditeurs, tant cette musique, semblant ne se

rattacher à aucune tradition quoique de structure ô combien

tonale, était détente et laisser- a l l e r, brisant les inhibitions. [...]

EmpruntsWeill a utilisé le jazz dès avant sa collaboration avec

Brecht, par exemple dans Der Zar lässt sich photographieren

sur un texte de Georg Kaiser ; il considérait que le jazz avait

pris la place qu’occupait la valse au siècle précédent. Or

pour Weill « toute musique de danse, [même dégradée] par la

crasse de l’esprit mercantile, peut avoir une influence

bénéfique sur la musique sérieuse». C’est une option fonda-

mentale chez lui et la notion de Gebrauchsmusik[« musique

u t i l i t a i r e »] acquiert alors un sens élarg i : la musique doit

être utile au public, elle doit donc utiliser tous les matériaux

qui lui permettront de se faire entendre, à commencer par

KURT WEILL & LA MARGE

Page 44: Weill Sans Livrets

44

ceux qu’on dit u t i l i t a i r e s. Toute musique qui peut avoir pour

l’auditeur un sens immédiat, par référence ou réminiscence,

est licite : complainte ou rengaine (dont la toute première,

celle de Mackie Messer dans L’Opéra de quat’sous), S c h l a g e r-

m u s i k [ « musique à succès »], U n t e r h a l t u n g s m u s i k [ « m u s i q u e

r é c r é a t i v e »] – « de la musique d’ameublement » selon Erik

Satie – ; en somme les musiques « t r i v i a l e s » au même titre

que des formes ennoblies par l’âge tels menuet, choral luthé-

rien (le mode d’expression du quatuor familial dans L e s S e p t

Péchés capitaux), fugue (utilisée dans Le Vol de Lindberg h) . . .

Mais Kurt Weill n’assemble pas un patchwork, ce qui ne ferait

que souligner le disparate des pièces accolées ; de toutes ces

sources il fabrique un tissu : en chaîne, les nuances chan-

geantes d’époques et de genres multiples ; en trame, la pensée

unificatrice d’une écriture contemporaine. [...]

DétournementAutant Weill a été vilipendé pour sa complaisance à

l’égard de la « musique utilitaire » (Schoenberg : « des ana-

logies avec Franz Lehár [...] ; il nous a rendu la musique à

trois temps »), autant l’unanimité s’est faite sur le « caractère

i n s u r e c t i o n n e l » (Adorno à propos de L’Opéra de quat’sous)

de son travail avec Brecht. La fréquentation en soi du trivial

est pardonnable, mais introduire dans la tradition d’opéra la

trivialité, par exemple, du cabaret (fût-il littéraire berlinois,

c’est-à-dire mêlant Karl Kraus au music-hall), c’est là provo-

cation, perversion ; et toute la démarche de Weill est fondée

sur la perversion des matériaux existants : faire éclater la res-

pectabilité du genre musical A et le dévoyer en y introduisant

le peu respectable genre B, appliquer à B le traitement musi-

cal propre à A. Le but est de dénoncer : « Je pose à terre la

balance de leur justice et j’en montre les faux poids. »

(Brecht) ; il est aussi de faire du public lui-même le dénon-

ciateur, en maintenant son esprit en alerte.

Brecht et Weill ont pris pour cible et pour vecteur l’opéra qui

était alors pour le public le genre théâtral et musical le plus

m y s t i fi c a t e u r, et pour le monde musical un genre moribond, épui-

sé par la démesure wagnérienne et le pathos expressionniste. [...]

Cette tolérance aux musiques ressenties comme exogènes

par l’orthodoxie musicale – qu’elle soit d’arrière- ou d’avant-

garde –, revendiquée comme une exigence par le compositeur

GENEVIÈVE LIÈVRE

Page 45: Weill Sans Livrets

témoin et acteur du bouillonnement créatif allemand des

années 1920, Weill la conservera, révélant alors l’un de ses

traits fondamentaux : la capacité d’adaptation. Fuyant le

nazisme, en transit en France et ne souhaitant pas s’y instal-

ler, il tirera immédiatement les leçons de l’insuccès des Sept

Péchés capitaux : sa Marie-Galante est digne d’un vieux rou-

tier de la romance. Devenu citoyen américain, il sera l’un des

moteurs d’un genre typiquement (et quasi exc l u s i v e m e n t )

a n g l o-s a xo n : la comédie musicale. Si l’exil l’avait mené,

comme Brecht, en Finlande, aurait-il jalonné la voie entre

Sibelius et Lindberg (Magnus de son prénom) ou Saariaho ?

Certes Weill hors d’Allemagne a plus été caméléon – adop-

tant les couleurs de son environnement – que trublion – tein-

tant de ses couleurs l’environnement. Nécessité de transiger

pour survivre ou absence de partenaire du niveau de Brecht ?

car c’est bien à deux, dans une collaboration qui a multiplié

les mérites de chacun que, selon l’expression de Boulez,

« Weill et Brecht ont secoué le cocotier de la respectabilité. »

Extraits d’un texte paru dans Les Sept Péchés capitaux,

ouvrage réalisé par les éditions de l’Arche en collaboration avec l’Opéra de Ly o n ,

à l’occasion du spectacle de Maguy Marin en 1987

Texte revu par l’auteur, 2006

KURT WEILL & LA MARGE

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BERTOLT BRECHT

COMBATTRE L’ANACHRONIQUE

1

Bien des gens disent : le monde est vieux

Mais moi, j’ai toujours su que nous vivons un âge neuf.

Je vous le dis : ces maisons qui depuis vingt ans sortent

de terre comme des massifs d’acier

N’ont pas surgi toutes seules.

Bien des gens viennent chaque année s’installer

à la ville remplis d’attente

Et les continents sont pris d’un grand rire, car

Un bruit se répand : l’immense océan dont on avait si peur

N’est qu’une flaque d’eau.

Déjà j’ai franchi, le premier, l’Atlantique

Mais je suis bien convaincu que dès demain

Mon exploit vous fera sourire.

2

Pourtant tout cela est une bataille contre l’anachronique

Un effort constant pour refaire la planète

Tout comme l’économie dialectique

Grâce à quoi le monde sera transformé de fond en comble.

Par conséquent

Luttons contre la nature

Page 47: Weill Sans Livrets

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Et façonnons par là notre nature.

Car notre technique ne nous est pas encore naturelle

Nous et notre technique nous sommes

Anachroniques.

Les bateaux à vapeur se sont attaqués aux voiliers

Qui avaient laissé loin derrière eux les bateaux à rames.

Mon avion surclasse

Les bateaux à vapeur ; ainsi je lutte

Contre l’anachronique.

Mon avion, fragile et secoué de tremblements

Mes appareils imparfaits

Sont meilleurs que tout ce qu’on a connu jusqu’ici, mais

Pilotant mon avion

Je me bats contre mon avion

Et contre l’anachronique.

3

Ce faisant je me bats contre la nature

Et contre moi-même.

Peu importe la foi que je confesse, les sottises que je crois :

En vol, je suis

Effectivement athée.

Pendant dix millénaires

Dès que les flots s’assombrissaient,

Entre lumière et crépuscule, apparaissait au firmament,

inexorablement

Dieu. Et de même

Au-dessus des montagnes couvertes de glace

Incorrigibles, les hommes ignorants recherchaient

Dieu : et de même au désert

Il était dans les tempêtes de sable

Et dans les villes il naissait de l’ordre incohérent

Constituant les hommes en classes :

car l’humanité se divise en deux :

Exploitation et ignorance ; mais

La révolution le supprimera. Tracez

Des routes à travers la montagne, et il s’évanouira

L’eau le chassera du désert. La lumière

Révélera le vide et

Il disparaîtra aussitôt.

COMBATTRE L’ANACHRONIQUE

Page 48: Weill Sans Livrets

Donc prenez votre part du combat contre l’anachronique

Aidez, vous aussi, à supprimer l’au-delà

Et à éliminer tout Dieu, quel qu’il soit,

Où qu’il paraisse.

Un microscope plus puissant

Lui sera fatal.

Le perfectionnement des appareils

Le chassera des airs.

L’assainissement des villes

L’anéantissement de la misère

Le feront disparaître et le renverront

Au premier millénaire.

4

Même dans les cités modernes

Subsiste encore le désordre,

Lequel provient de l’ignorance et est à la ressemblance de Dieu.

Mais les machines et les travailleurs

Le combattront ; alors vous aussi

Prenez votre part

Du combat contre l’anachronique.

Extrait de Gedichte und Lieder aus Stücken

[Poèmes et chansons extraits des pièces] © Suhrkamp Verlag, 1960

Traduction française de Edouard Pfrimmer © L’Arche Editeur, 1965

BERTOLT BRECHT

Page 49: Weill Sans Livrets

49

BERTOLT BRECHT

CHANT DES MACHINES

1

Allo allo, nous voulons

Parler avec l’Amérique

Par-dessus la mer Atlantique, avec les cités gigantesques

De l’Amérique, allo allo !

Et nous nous sommes demandés quel langage

Parler, afin qu’on nous comprenne.

Mais à présent nous avons rassemblé tous nos chanteurs,

Des chanteurs que l’on comprend chez nous comme en Amérique

Et partout dans le monde entier.

Allo, écoutez ce qu’ils chantent, nos chanteurs,

nos grands ténors nègres,

Allo, regardez ceux qui chantent pour nous…

Les machines chantent.

2

Allo, les voilà nos chanteurs, les voilà nos grands ténors nègres

Leur chanson n’est pas gracieuse, mais c’est le chant de leur travail.

En fabriquant pour vous de la lumière, ils chantent

En fabriquant des vêtements, des journaux, des tubulures,

Et des voies ferrées et des lampes, et des disques et des fourneaux,

Ils chantent.

Page 50: Weill Sans Livrets

Allo, chantez une fois encore, puisque aussi bien vous êtes là,

Chantez votre petite chanson par-dessus la mer Atlantique

Avec cette voix à vous, que tous comprennent.

Les machines répètent leur chant.

Ce n’est pas une brise dans les tilleuls, fiston,

Ni une romance à l’étoile solitaire

C’est le grand hurlement fauve de notre travail de chaque jour

Nous le maudissons et l’aimons bien tout de même

Car c’est lui la voix de nos cités

C’est lui la romance qui nous plaît.

C’est le langage que nous comprenons tous

Et bientôt ce sera lui, le langage maternel du monde.

Traduction : Armand Jacob

© L’Arche Editeur, Paris

BERTOLT BRECHT

Page 51: Weill Sans Livrets

51

BERNARD DORT

LE VOL DE LINDBERGHUN THÉÂTRE DIDACTIQUE

Brecht en est conscient : la transformation du théâtre ne

saurait se faire progressivement, à l’intérieur du système éta-

bli. Celui-ci est bloqué par ce que Brecht nomme « le primat

de l’appareil » – entendons de l’infrastructure théâtrale, éco-

nomique et sociale. [...]

Une ruptureIl faut donc échapper à cet « a p p a r e i l » : adopter d’autres

moyens dramaturgiques, d’autres matériaux pour la représenta-

tion, d’autres modes de distribution. Ainsi seulement, la fonction

du théâtre pourra être changée. Cette fois, la rupture est totale :

Brecht renonce au « c u l i n a i r e », il choisit le « d i d a c t i q u e» .

Il rompt avec l’organisation théâtrale établie. [...] Il est

d’autres moyens de représentation et de diffusion de l’œuvre

théâtrale, d’autres publics que le public habituel des théâtres,

que ce public bourg e o i s : par exemple, les enfants des écoles,

les membres des unions de jeunes, des unions laïques, des

associations prolétariennes, et, au premier rang, ceux des

chorales de travailleurs, fort nombreuses en Allemagne alors.

La Fédération des chorales de travailleurs (d’orientation

Page 52: Weill Sans Livrets

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social-démocrate) rassemblait ainsi, en 1930, plus de 14.000

chorales, soit un ensemble de 56.0000 participants, dont plus

de 70% étaient des ouvriers. Certaines de ces chorales, telles

que le Chœur mixte de Berlin, qui fut longtemps dirigé par

Hermann Scherchen, avaient l’ambition de promouvoir un art

« révolutionnaire ».

Ces chorales, ces associations et ces écoles ne disposaient

j u s q u’alors que d’un répertoire fort limité, ou du répertoire

traditionnel qui ne leur convenait pas. Elles demandaient

donc des œuvres, mi-théâtrales mi-musicales, qui leur fussent

spécialement destinées. Brecht résolut de répondre à cette

demande et de créer un théâtre qui leur appartînt en propre.

[ . . . ]

Après avoir constaté que « les chorales ouvrières comptent

en Allemagne un demi-million de membres », Brecht notait

que « la question de savoir ce qui se passe dans la tête de celui

qui chante est au moins aussi importante que celle de savoir ce

qui se passe chez celui qui écoute ». C’était dire que l’accent

devait être mis non plus sur le résultat de ce nouveau travail

théâtral, sur le spectacle même, mais sur la façon d’atteindre le

résultat, sur l’exécution. Au lieu de viser à divertir, il fallait

chercher à instruire, à éduquer. L’art n’était plus d’abord des-

tiné à la consommation : il devait se pratiquer. Il s’agissait lit-

téralement de faire, de re-faire collectivement, le théâtre.

D’où la conception qui fut celle de Brecht d’un théâtre

didactique, [...] d’un théâtre qui soit lui-même pédagogie et

où les exécutants (chanteurs et acteurs) aient pour tâche

d’enseigner en s’instruisant. A la limite toute différence entre

acteurs et spectateurs y disparaît : par le seul fait de partici-

per aux chœurs, le public s’engage déjà dans l’action. Or

« faire est mieux que sentir ».

Ainsi l’homme, le travailleur, pourrait se produire lui-

même, en produisant son propre théâtre.

Des spectateurs actifsLa première tentative de Brecht dans ce sens est son

L e h r s t ü c k1

: Le Vol de Lindberg h2. Brecht le commentait

ainsi : « Le Vol de Lindbergh n’a aucune valeur si on ne s’y

instruit pas. Il ne possède pas de qualité artistique qui en

justifierait une représentation ne visant pas à instruire. Il est

un instrument d’enseignement. »

BERNARD DORT

Page 53: Weill Sans Livrets

53

Au vrai, c’est le récit d’un combat : le combat de Lindberg h

au cours de son premier vol au-dessus de l’Atlantique. « U n

combat contre la nature » et aussi le combat de Lindberg h

contre soi-même. Le récit d’une conquête : celle de l’espace

aérien, mais surtout celle d’un nouveau savoir arraché au

domaine de l’ignorance qui est aussi celui de Dieu.

L’enseignement de ce Vol de Lindbergh n’est pas seulement

dans la glorification du comportement rationnel, scientifique,

de Lindbergh, opposé à toutes les mystifications du sentiment

et de la mystique : il est dans la participation du spectateur (ou

de l’auditeur) à cette glorification, dans la conquête du ration-

nel par celui-ci. Car Le Vol de Lindberg h, qui fut joué pour la

première fois lors de la Semaine musicale de Baden-Baden en

1929, est un Ra d i o- L e h r s t ü c k (une pièce didactique pour la

radio) conçu afin que le plus grand nombre de personnes puis-

sent y prendre part. Il suppose d’un côté un ensemble d’instru-

mentistes, de choristes, d’éléments de bruitage, susceptibles

d’être remplacés par un enregistrement radiophonique ou par

un disque, et de l’autre, des récitants [...] et des choristes

parmi lesquels tous les spectateurs ou auditeurs pouvaient à

volonté prendre place. Entre ces deux groupes, il y avait tantôt

unisson, tantôt succession, tantôt collaboration, mais toujours

d’une manière très simple, de façon que l’exécution de l’œuvre

soit accessible à tous. Brecht l’indique en effet à plusieurs

r e p r i s e s : « Le texte doit être lu, être chanté mécaniquement,

avec des interruptions à la fin de chaque vers. »

Cette forme est proche de celle de l’oratorio ou de la can-

tate, avec cette différence que Le Vol de Lindberg h est fait

moins pour être écouté que pour fournir l’occasion d’une

action collective, d’une célébration commune de la raison :

A la fin du deuxième millénaire de notre calendrier

Notre simplicité acérée

Prit son vol

Nous prouvant ce qui était possible

Sans nous faire oublier

L’inaccessible.

Ce récit lui est dédié.

LE VOL... UN THÉÂTRE DIDACTIQUE

1. Lehrstück: pièce qui enseigne, pièce didactique.

2. Brecht a transformé ce titre en Le Vol au-dessus de l’océanet supprimé le

nom de Lindbergh (remplacé par aviateur) en raison de la participation ulté-

rieure de celui-ci à des mouvements fascistes.

Page 54: Weill Sans Livrets

Brecht veut provoquer « une sorte de réveil de l’auditeur,

sa réactivation afin que, à nouveau, il devienne celui qui

p r o d u i t . » Aussi, son intention était-elle d’assurer à son

Lehrstück la plus large diffusion à la radio et dans les écoles.

Bien vite, il dut y renoncer : là aussi, il se heurta au « p r i-

mat de l’appareil ». Le contenu du Vol de Lindbergh a v e c

son rationalisme abstrait et abrupt, son athéisme déclaré [...]

ne pouvait que susciter le veto des autorités de la

République de We i m a r. [...]

La substitution aux mécanismes traditionnels de la distri-

bution théâtrale d’autres formes de diffusion, la transforma-

tion des spectateurs passifs en spectateurs actifs, voire en

acteurs, l’implantation du théâtre dans les milieux ouvriers,

bref, cet essai d’un art prolétarien [...] ne pouvait être toléré

par la société allemande, déjà sensibilisée par la Crise,

minée par le fascisme.

Extrait de Lecture de Brecht,

Editions du Seuil, 1960

BERNARD DORT

Page 55: Weill Sans Livrets

55

BERTOLT BRECHT

C H A N S O N

D’UNE FAMILLE DE LA SAVA N E

1

Dans la savane on avait une ferme

Des champs de blé, des chevaux et une auto.

On n’est pas bien, dit Billy

A Frisco on sera mieux qu’ici.

Pourtant on avait son pain, dans la savane

Et le samedi soir, du grand air et de la lune.

Mais c’était pas assez beau pour nous dans la savane.

2

A San Francisco on avait une maison

Un garage et des beaux vestons.

On n’est pas bien, dit Billy

Au Massachussets on sera mieux qu’ici.

Pourtant on gagnait bien sa croûte à San Francisco

Et le samedi soir, c’était le jazz et de quoi faire le beau.

Mais c’était pas assez beau pour nous à San Fr a n c i s c o .

Page 56: Weill Sans Livrets

3

Au Massachussets on avait une tente

Une foreuse et un champ de pétrole.

On n’est pas bien, dit Billy

A Chicago on sera mieux qu’ici.

Pourtant on avait un toit au Massachussets

Et le samedi soir la Bible au coin du feu

Mais c’était pas assez beau pour nous au Massachussets.

4

A Chicago on n’a pas où se loger,

Pas un dollar en poche ni même, Seigneur, à espérer.

On n’est pas bien, dit Billy

Mais où qu’on aille, on sera jamais mieux qu’ici.

Dans le temps nous avions de l’argent, des espoirs,

En semaine du travail, la liberté le samedi soir.

Mais c’était pas assez beau pour nous partout où on est passé.

Extrait de Unveröffentlichte und nicht in Sammlungen enthaltene Gedichte

[Poèmes inédits et ne figurant pas dans les recueils] © Suhrkamp Verlag, 1960

Traduction française de Michel Habart © L’Arche Editeur, 1965

BERTOLT BRECHT

Page 57: Weill Sans Livrets

57

MICHEL BATAILLON

LES SEPT PÉCHÉS CAPITAUXA N N A-ANNA DANS LA JUNGLE DES VILLES

Sur les routes de l’exil, ParisPrévenu d’un danger imminent d’arrestation par la Ges-

tapo, le 21 mars 1933, le « juif atonal » Kurt Weill – trente-

trois ans – quitte Berlin dans l’automobile de ses amis Caspar

et Erika Neher qui le cachaient depuis plusieurs jours déjà, et

qui le convoient jusqu’à Paris puis, malgré son insistance et

leur envie d’émigrer, regagnent Berlin.

Kurt Weill n’est pas un quelconque exilé anonyme. Les 10 et

11 décembre 1932, dans les salons de la vicomtesse de Noailles,

née Bischoffsheim, puis à la salle Gaveau, son ami Maurice de

Abravanel – trente ans – auquel il enseigna jadis l’harmonie et le

contrepoint, a dirigé en sa présence une nouvelle version s o n g -

s p i e lde l’opéra Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny

et Celui qui dit oui, un « opéra pour les écoles » .

Dans ses mémoires, Darius Milhaud décrit l’accueil enthou-

siaste que l’intelligentsia parisienne au grand complet fit à

ces deux œuvres, qui rassemblaient les noms de Weill et de

Brecht. Stravinsky lui-même proposa son Histoire du soldat

pour accompagner désormais le Mahagonny Songspiel : selon

lui, un « programme idéal ».

A son arrivée à Paris, le fugitif ne tarde pas à trouver du

travail, une commande pour les Ballets 1933 de Georg e s

Balanchine et Boris Kochno.

Page 58: Weill Sans Livrets

58

G e o rgi Melinovitch Balanchivadzé – vingt-neuf ans – a

quitté l’Union Soviétique à l’occasion de la première tournée

internationale des Ballets de Léningrad pour débuter à Paris

en 1924 chez Serge Diaghilev qui allégea son nom géorgien

et fit de lui une star du ballet moderne.

La mort de Diaghilev en août 1929 l’ébranla pour près de

cinq années. Rescapé d’une grave tuberculose, évincé de

l’Opéra de Paris par son élève et rival Serge Lifar, il se mit en

quête d’un lieu et d’un cadre de travail adaptés à son art,

Copenhague, Londres, Monte-Carlo dont il quitte le Ballet

russe avec Boris Kochno – vingt-neuf ans – pour fonder et

animer avec lui à Paris une nouvelle compagnie, les Ballets

1933, sa dernière tentative européenne avant sa rencontre et

son alliance avec Lincoln Kirstein qui l’entraîna aux Etats-

Unis pour y créer le New York City Ballet.

En s’appuyant sur un cercle d’une dizaine de mécènes –

dont Coco Chanel – et sur quelques amis proches et fidèles,

Darius Milhaud, Henri Sauguet, Christian Bérard, André

Derain..., Kochno, directeur artistique et Balanchine, direc-

teur chorégraphique, composent en hâte un programme : trois

pièces « plus classiques », Valses de Beethoven, S o n g e s e t

Fastes et des œuvres de « recherche », Errante, Mozartiana ...

Un projet de balletMais il s’avère bientôt que l’administrateur de la compa-

gnie, Wladimir Dimitriev, n’est pas en mesure de payer la

location d’un théâtre où se produire et, sur les conseils de

M a r i e-Laure de Noailles, intervient alors un Anglais fort

riche et bien né – Edward James – « un touche-à-tout futile

et très fortuné » se souvient Boris Kochno –, qui prend en

c h a rge la vie de la compagnie dont il devient en quelque

sorte le « patron » et où il impose la présence de sa femme,

Tilly Losch, une danseuse et mime viennoise. Pour plus d’un

million de francs de l’époque, il lui offre ainsi un choré-

graphe et un théâtre.

Ensuite, il lui cherche un compositeur et un librettiste.

Dès les premiers jours d’avril, il s’adresse à Kurt Weill qui,

pour participer à la première saison des Ballets 1933, for-

mule deux exigences : un cachet de 30 000 francs et l’inter-

vention d’un véritable poète pour la rédaction du livret – il

aimerait, pour sa part, travailler avec Cocteau.

MICHEL BATAILLON

Page 59: Weill Sans Livrets

59

A l’issue des négociations, le cachet est ramené à 25 000

francs, assortis de la promesse, tenue et exécutée, de reprendre

à Londres en juillet le concert de décembre 1932 à Pa r i s .

Mais Jean Cocteau n’accepte pas la proposition qui lui est

faite et Kurt Weill, bon gré mal gré, doit céder aux pressions

d’Edward James et s’adresser à Brecht. Depuis décembre

1931, leur relations ne sont guère cordiales mais cette colla-

boration – la sixième en six ans – pourra seule assurer un tra-

vail très rapide, suivi d’un succès public et financier dont

tous ont grand besoin.

Weill sait aussi que, dans l’esprit des Parisiens, leurs noms

sont associés, moins d’ailleurs par la médiocre mise en scène

de L’Opéra de quat’sousqui le 13 octobre 1930 inaugura le

Théâtre Montparnasse de Gaston Baty, que par le film de Pa b s t ,

dont la version française connut un immense succès en 1932.

Bertolt Brecht – trente-cinq ans – a précédé Kurt We i l l

sur les chemins de l’exil. Le lendemain même de l’incendie

du Reichstag, le 28 février 1933, il a pris le premier train

pour Prague d’où il a gagné Vienne puis Zurich et enfin le

Tessin. C’est là que lui parvient la proposition de Kurt Weill

q u’il rejoint aussitôt à Paris – peut-être au début de la

deuxième semaine d’avril – où il s’installe dans un petit hôtel

de la rive gauche pour une durée imprécise, sans doute

jusque vers la fin du mois d’avril ou Hanns Eisler, étranger

au projet, débarque à Paris.

Une étrange équipeA l’invitation de Kurt Weill, Caspar Neher, l’ami fidèle, le

complice de tous les projets, arrive aussitôt pour concevoir et

peindre le décor. Et Maurice de Abravanel accepte la respon-

sabilité de l’orchestre.

Lotte Lenya, à son tour, est associée à l’entreprise. Elle

avait passé une grande partie de l’année 1932 en Union

Soviétique pour y tourner, avec Erwin Piscator, La Révolte des

p ê c h e u r s, d’après une nouvelle d’Anna Seghers. Mais, pour

les deux concerts de décembre à Paris, elle avait repris dans

le Mahagonny Songspiel les airs de Jenny Smith qu’elle avait

créés le 17 juillet 1927 à Baden-Baden. Ses relations avec

Kurt Weill – sur ce point, les biographes s’accordent –

étaient plutôt chaotiques. Elles aboutirent d’ailleurs à un

divorce à l’automne 1933, suivi d’un remariage en 1937.

LES SEPT PÉCHÉS CAPITAUX

Page 60: Weill Sans Livrets

60

Edward James l’avait appréciée lors du concert de décembre

1932 ; il avait noté sa ressemblance avec Tilly Losch qu’elle

avait d’ailleurs connue à ses débuts à Vienne. Brecht tenait

beaucoup à son concours. La voilà donc de nouveau à Paris.

L’équipe constituée était à vrai dire un peu étrange. « Je

vivais alors, raconte Georges Balanchine, dans un univers

esthétique qui n’avait guère encore pris de distance avec

S a i n t - Pe t e r s b o u rg, un Pe t e r s b o u rg artistique et progressiste,

certes, où l’on vivait de borchtch et rêvait de caviar. Brecht et

Weill, en revanche, étaient des communistes peu généreux,

tranchants et inconfortables. Mais ce qu’ils disaient et écri-

vaient était terriblement réel, c’était une confrontation avec

les faits de l’époque... ».

Les deux « communistes », en fait, divergent sur bien des

points. Tous deux sont également pourchassés, mais pas exac-

tement au même titre.

Kurt Weill est l’enfant renommé d’une grande famille de

musiciens juifs de Dessau. Sa formation et ses goûts font de

lui un « artiste dégénéré » par excellence ; la presse et les

militants nazis le lui rappellent à chaque occasion. Les visi-

teurs du « Musée de l’art dégénéré » peuvent y entendre des

airs de L’Opéra de quat’sous, archétype de la musique déca-

dente. Et Weill lui-même – l’anecdote sinistre est racontée

par l’un de ses biographes – aurait entendu Hitler, dans un

meeting à Au g s b o u rg en 1930, le citer ainsi que Thomas

Mann et Albert Einstein, comme exemples d’étrangers exer-

çant en Allemagne une influence rampante et sournoise.

Bertolt Brecht, certes, est aryen, mais traître à sa race et à

sa classe. Marié à une Juive viennoise, antimilitariste dès son

adolescence, il est maintenant sans doute l’écrivain le plus

conséquent dans son engagement dans la pensée marxiste et

le mouvement communiste allemand, comme l’est aussi son

ami, le compositeur Hanns Eisler, son véritable partenaire

dans le domaine musical depuis près de quatre ans.

Kurt Weill le sait et prend ses distances. Il cherche à dis-

socier son succès musical des œuvres littéraires qui en sont

le support. Lors des concerts de décembre 1932, il tait le

nom de Brecht dont on connaît la réaction par des passages

soulignés dans les coupures de la presse parisienne conser-

vées aux Archives Brecht.

MICHEL BATAILLON

Page 61: Weill Sans Livrets

61

Les Etats-Unis d’Amérique sont entre eux un sujet de dis-

corde. Dès M a h a g o n n y , mais surtout maintenant que Ku r t

Weill espère y trouver un asile. Et c’est précisément l’Amé-

rique que Brecht choisit pour leur nouveau projet.

De cette équipe divisée, et rassemblée pour exécuter en

un mois une commande, un ouvrage de circonstance, naît en

quelques jours de printemps un poème dramatique et musical

– 213 vers libres – épuré et dense, allègre, drôle, caustique,

intelligent et sensible.

La putain et son doubleDepuis toujours le commerce de la chair et des sens a exc i t é

l’imagination et la curiosité de Brecht. Les personnages de

prostituées jalonnent son œuvre poétique et dramatique.

Dès 1927, dans les quelques lignes intitulées Fanny Kress,

ou l’unique ami des putains, c’est la putain, puis vers 1930,

sous le titre La Marchandise d’amour , il a esquissé l’histoire

d’une jeune femme qui constate son impuissance à être à la

fois marchande et marchandise. Elle décide de se scinder en

deux personnalités indépendantes et complémentaires. En

vêtement d’homme, elle ouvre un bureau de tabac où elle joue

au marchand de cigare, tandis qu’en femme, elle exerce son

métier de prostituée. Ainsi devenue son propre souteneur, elle

tient pour ainsi dire en main une marchandise de tout premier

choix qu’elle débite en fonction des lois du marché.

En réunissant à Paris Tilly Losch et Lotte Lenya, le projet

du printemps 1933 réalise le rêve de ce personnage dédou-

blé. L’une chante, l’autre danse. Elles ont quitté Vienne pour

conquérir les scènes européennes à la recherche de l’art, de

l’argent et de l’amour.

Les différents partenaires, Weill, James, Kochno, Balan-

chine, imaginent déjà un « ballet chanté » pour « sœurs sia-

m o i s e s » sur le thème psychologique de la double nature de

la femme. Brecht, semble-t-il, ne se laisse pas facilement

convaincre. Certes, le motif des jumelles l’intéresse et il a

même récemment examiné de près l’opéra bouffe de Lecocq,

G i r o fl é -G i r o fl a. Mais il n’est pas prêt à se laisser dicter un

thème. Il tarde à donner son accord, envisage la rupture.

Puis il saisit l’anecdote, la transforme en parabole et le fait

du hasard devient ressort dramaturgique. Ainsi naissent

Anna I et Anna II, un couple siamois emblématique surg i

LES SEPT PÉCHÉS CAPITAUX

Page 62: Weill Sans Livrets

62

d’un conte cruel, dont la gémellité conflictuelle dit l’écartè-

lement douloureux des êtres dans l’univers aliénant des

contradictions. Six ans plus tard, ce seront Shen-Té et Shui-

Ta, incarnations diurne et nocturne de La Bonne Ame de Se-

Tc h o u a n, partagée entre le bien et le mal mais interprétée

par une unique comédienne.

La division des éléments, la confrontation sur scène des

genres lyrique et chorégraphique contribuent en outre au

style épique du récit théâtral que recherche Brecht – au

demeurant peu soucieux de l’art chorégraphique – en adop-

tant de nouveau la structure narrative de la complainte bio-

graphique, si fréquente dans sa production poétique des

années 20.

Amérique, séductrice mythiqueEt de nouveau, comme dans M a h a g o n n y , dans H a p p y

E n d, dans Sainte Jeanne des abattoirs, dans A r t u r o U i..., il

situe sa fable dans une Amérique, séductrice mythique, qu’il

fréquente en imagination depuis 1920.

Dès les premières esquisses de Dans la jungle des villes,

1920, Maria Garga exprime sa nostalgie de la savane inno-

cente et sa crainte de plonger avec les siens dans la froide

Chicago. Ici, Anna-Anna parcourt seule les Etats de l’Union,

Memphis, Los Angeles, Boston, Baltimore, San Fr a n c i s c o ,

une irrésistible ascension sociale dans la jungle des villes, en

sept étapes et sept années, tandis que parents et frères, sur

les rives idylliques du Mississipi attendent son argent, tout

comme jadis le père Garga empochait les gains de sa fille. Le

quatuor familial, exclusivement masculin puisque la partie de

la mère est écrite pour une voix de basse, tient à la fois du

conseil d’administration, du cercle de clergymen et de la

tablée de souteneurs. Car ils vendent Anna et vivent de la

sueur de sa peau.

Toutefois Anna n’est pas exactement une putain de métier,

ce que sont les Jenny de M a h a g o n n y et de L’Opéra de

quat’sous. Anna est danseuse : pour nourrir elle-même et les

siens, elle prostitue sa personne et son art. Anna l’artiste

cède aux bonnes raisons d’Anna l’imprésario. Le marchand

décide du sort de la marchandise. Brecht lui-même, pour ce

contrat parisien, n’a-t-il pas abandonné pendant quelques

semaines d’autres travaux plus urgents, directement liés à la

MICHEL BATAILLON

Page 63: Weill Sans Livrets

63

lutte des intellectuels antifascistes, tels Têtes rondes et têtes

pointues où Nanna Callas chante, elle aussi : « Au marché de

l’amour, messieurs / A seize ans je fus menée. / Et j’ai ouvert

de grands yeux ! / C’était dur, ma foi/ Mais c’était la loi... ».

Inversions de valeursDepuis longtemps Boris Kochno songeait à traiter en bal-

let les sept péchés capitaux qu’il aurait volontiers vus dans

un cabinet de figures de cire, incarnés par Harpagon, par

Othello..., sous forme de tableaux classiques traversés par

des visiteurs contemporains.

Il n’en sera rien. Brecht saisit la suggestion qui lui est

faite de traiter ce motif encore étranger à son œuvre mais

bienvenu à double titre. D’abord il lui permet une structure

en tableaux qui deviennent aisément les étapes du parcours

initiatique des « f a u s s e s » jumelles. Mais surtout, ce lieu

commun des moralités médiévales et baroques – comme l’est

aussi le récit des vierges sages et des vierges folles implicite-

ment présent dans l’histoire d’Anna-Anna – répond à l’une

de ses préoccupations majeures : sonder la contradiction

entre les principes et les pratiques de la petite-bourgeoisie ;

dénoncer l’hypocrisie du discours moralisateur ; désigner

l’usage pervers des valeurs chrétiennes comme l’une des

armes de l’exploitation de l’homme par l’homme et donc l’une

des sources du profit capitaliste.

Cas par cas, et, dans un ordre qui lui appartient, il met au

point un mécanisme d’inversion des valeurs en fonction de

deux étalons contradictoires : d’une part la réussite sociale et

d’autre part le plein épanouissement de la personnalité.

La paresse change ainsi par trois fois de signe. Mère de

tous les vices et première station du poème dramatique, elle

est dans l’absolu une manifestation du mal. Anna II est dé-

clarée paresseuse par nature et ce trait constitutif est réprimé

comme vice ; toutefois, il est mis en scène dans des circons-

tances qui le transforment en vertu : Brecht nous montre Anna

paresseuse à commettre une mauvaise action. Elle aborde des

couples sur la voie publique, feint d’avoir une liaison avec

l’homme, insulte la femme tandis qu’Anna I fait chanter

l’homme. Puis elle s’endort sur un banc. Mais dans la lutte

concrète pour la survie, cette indolence est un péché mortel,

et le zèle à commettre l’injustice une vertu petite- b o u rg e o i s e .

LES SEPT PÉCHÉS CAPITAUX

Page 64: Weill Sans Livrets

64

La seconde station illustre mieux encore cette mobilité

des valeurs entre le bien et le mal. Pour désigner l’orgueil –

superbia – Brecht ne retient pas le terme classique Hochmut,

à la coloration franchement négative, mais préfère Stolz, qui

certes signifie l’orgueil, mais aussi la fierté dont il fait une

vertu humaine essentielle. Anna II, danseuse débutante, est

fière du meilleur d’elle-même, de son talent artistique inalié-

nable. Mais ce faisant, elle commet dans la société marchan-

de un péché « mortel ». Et pour survivre et prospérer, il lui

faudra faire violence à sa nature, extirper ce fatal orgueil et

se plier aux lois du marché.

Le catalogue placé en tête de l’édition définitive transfor-

me ainsi le vice en vertu et la vertu en péché mortel pour le

petit-bourgeois aux prises avec l’exploitation capitaliste. (Voir

pages 52-54.)

C’est vraisemblablement chez Bernard de Mandeville,

plusieurs fois cité par Karl Marx, que Brecht emprunte l’idée

d’un profit social né de la pratique des vices. On sait qu’un an

plus tard il se procure la réédition de The Fable of the Bees,o r

Private Vices, Publics Benefits[La Fable des abeilles ou Vi c e s

privés, bienfaits publics], l’œuvre majeure de ce penseur

anglais de la fin du X V I Ie

s i è c l e .

La créationLe 7 juin 1933, au Théâtre des Champs-Élysées, la soirée

inaugurale des Ballets 1933, la plus éclatante manifestation

parisienne depuis Le Sacre du printempspar Diaghilev en 1913,

se compose d’un prologue de Vittorio Rieti sur des thèmes de

Mozart devant un rideau de Christian Bérard et de trois pièces

chorégraphiées par Georges Balanchine : M o z a r t i a n a , musique

de Mozart instrumentée par Tc h a ï kovski, décors et costumes de

Christian Bérard ; Les Sept Péchés capitaux, spectacle sur des

poèmes de Bert Brecht, musique de Kurt Weill, décors et cos-

tumes de C. Rudolph Neher ; et Les Songes, livret de André

Derain, musique de Darius Milhaud, décor et costumes de

André Derain. L’Orchestre symphonique de Paris est placé sous

la direction de Maurice de Abravanel.

Du décor de Caspar Neher, Boris Kochno garde le souve-

nir d’un ouvrage « c o n s t r u c t i v i s t e », surprenant sur une

scène française où régnaient d’ordinaire les toiles peintes. Il

en possède une esquisse où l’on distingue, à l’avant-s c è n e

MICHEL BATAILLON

Page 65: Weill Sans Livrets

65

côté jardin, un petit praticable avec une mansarde où se tient

Anna I et, côté cour, une estrade pour le chœur de la famille ;

au centre, une construction en hémicycle percée de sept

portes désignées selon les sept péchés et une aire de jeu

éclairée par sept lanternes ; de part et d’autre de la scène,

une trace de petit rideau brechtien ; au fond, un jeu de châs-

sis peints. Ce sont vraisemblablement les sept éléments

peints sur le thème des sept péchés capitaux, de grande taille

– 609 x 243,8 cm – conservés aujourd’hui au Museum and

Art Gallery de Brighton. La Nationalbibliothek de Vienne a

rassemblé, dans le Fonds Caspar Neher, de nombreuses

esquisses, encres et aquarelles du décor, des personnages et

des scènes des Sept péchés capitaux.

Applaudissements et sifflets partagés, une dizaine de rap-

pels pour Tilly Losch et Lotte Lenya... « le Ballet s’est genti-

ment passé mais ce n’est certes pas une chose importante »,

commente Brecht revenu pour la première, qu’à peine un

journaliste sur cinq juge bon de mentionner et dont le poème

chanté en allemand laisse sans réaction un public tout à fait

parisien. Kurt Weill s’en tire mieux mais tout juste. Le plus

doux des critiques, Paul de Stoecklin dans Re m p a r t, parle

d’une « production type du courant esthétique symbolico-réa-

liste d’inspiration germano-s l a v e »... et André Schaeffner,

dans Beaux-Arts, rend hommage à la technique d’écriture de

Weill mais regrette le délicat mélange des genres de Maha-

gonny et de L’Opéra de quat’sous.

Le comte Harry Ke s s l e r, gazette de l’émigration à Pa r i s ,

note dans son journal à la date du samedi 7 juin 1933 : « L e

soir avec Jacques au Théâtre des Champs-Élysées pour les

Ballets 1933 qui donnent la pantomime de Kurt Weill, L e s

Sept Péchés capitaux. Malgré la popularité dont jouit ici We i l l ,

elle fut mal accueillie par la presse et par le public. J’ai trou-

vé la musique jolie et originale ; certes tout autre que L’ O p é r a

de quat’sous. Lotte Lenya, de sa petite voix sympathique, a

chanté en allemand les ballades de Brecht et Tilly Losch a

dansé et mimé avec une grâce attachante. Manifestement on a

ici trop attendu de Weill en le situant d’emblée dans le sillage

de Wagner et de Richard Strauss. Snobisme. »

Seul Walter Mehring, dans le Neue Ta g e b u c h du 1e r

j u i l l e t

1933, souligne avec clairvoyance l’insolence radicale de cette com-

position et ouvre la voie aux évaluations critiques contemporaines.

LES SEPT PÉCHÉS CAPITAUX

Page 66: Weill Sans Livrets

Fin d’une aventure artistiqueBrecht ne s’attarde à Paris où il aimerait pourtant se fixer

mais où tout espoir de fonder un théâtre de langue allemande

semble alors exclu. Son aventure artistique avec Kurt We i l l

est close. Elle a duré six années, elle a contribué à ébranler

le vieux théâtre, elle a donné au monde quelques chefs-

d’œuvre absolus de la poésie et de la chanson, elle se ter-

mine sur un petit échec qui masque pour un temps la force

du poème et l’intelligence de la « cantate ».

Le 27 novembre 1933, à la salle Pleyel, un groupe de spec-

tateurs interrompt Madeleine Grey, interprète de trois chansons

de Bert Brecht et Kurt Weill aux cris de « Vive Hitler. » Dans

Comoedia, le journaliste Paul Achard affirme qu’il s’agit du

compositeur français Florent Schmitt et qu’il a perçu distincte-

m e n t : « Nous avons assez de mauvais musicien en France sans

q u’on nous envoie tous les Juifs d’Allemagne ! »

Kurt Weill et Lotte Lenya quittent la France deux ans plus

tard et gagnent New York.

Extraits d’un texte paru dans Les Sept Péchés capitaux,

ouvrage réalisé par les éditions de l’Arche en collaboration avec l’Opéra de Ly o n ,

à l’occasion du spectacle de Maguy Marin en 1987

Texte revu par l’auteur, 2006

MICHEL BATAILLON

Page 67: Weill Sans Livrets

67

BERTOLT BRECHT

LA LÉGENDE DE LA PUTAIN EVLYN ROE

Quand vint le printemps et la mer étant bleue

Elle ne put trouver le repos…

Alors elle vint à bord, par le dernier canot

La jeune Evlyn Roe

Sur ce corps si beau qu’on n’en croyait ses yeux

Elle jeta un châle pisseux

Et n’avait d’autre trésor, d’autres joyaux

Que le flot d’or de ses cheveux.

« Monsieur le Capitaine, emmène-moi jusqu’en Terre Sainte,

Je dois aller chez Jésus-Christ.

– Oui, vient avec nous, la fille, on est gaillards à faire des folies

Et tu es si jolie.

– Le Bon Dieu vous le rendra, ne suis que pauvre fille,

Et mon âme est à Jésus-Christ.

– Alors donne-nous ce corps si doux !

Jamais le Seigneur que tu aimes ne pourrait te le payer

Puisqu’il est mort crucifié. »

Page 68: Weill Sans Livrets

68

Ils allaient dans le soleil, dans le vent

Et leur amour allait à Evlyn Roe.

Elle mangeait leur pain, buvait leur vin

Pour en pleurer le lendemain.

Ils dansaient la nuit. Ils dansaient le jour.

En oubliaient le gouvernail.

Evlyn Roe était si timide et si douce :

Mais eux étaient plus durs que la pierre.

Le printemps passa. L’été déclina,

De vergue en vergue elle courait la nuit

Souliers en lambeaux,

Scrutant la brume, cherchant un havre de repos,

La pauvre Evlyn Roe.

Elle dansait la nuit. Elle dansait le jour.

Et son visage fut visage de vieille.

« Monsieur le Capitaine, quand arriverons-nous

A la sainte ville du Seigneur ? »

Le capitaine se vautrait sur ces genoux,

L’embrassait puis en riant répondait :

« A qui la faute si nous n’arrivons jamais ?

A Evlyn Roe ».

Elle dansait la nuit. Elle dansait le jour.

Et son visage fut visage de cadavre.

Et du capitaine au mousse

Ils en eurent tous assez.

Elle enveloppait d’une robe de soie

Son pauvre corps livide, variqueux,

Et sur son front défait tombait une broussaille

De crasse et de cheveux.

« Jamais, Seigneur Jésus, ne te verrai

Avec ce corps plein de péché.

Toi, te pencher sur une putain !

Pauvre fille que je suis ! »

BERTOLT BRECHT

Page 69: Weill Sans Livrets

De vergue à vergue longtemps elle courut.

Et le cœur et le pied lui faisaient mal.

Une nuit elle plongea, et personne ne la vit.

Dans cette mer elle plongea, la nuit.

C’était une nuit glaciale de janvier.

Elle nagea longtemps et loin.

Mais ce n’est qu’en mars ou en avril

Que les fleurs s’épanouissent.

Elle s’abandonna aux vagues dans la nuit

Blanche et pure la vague la rendit.

Elle sera en Terre Sainte, en vérité je vous le dis,

Avant le capitaine.

Quand avec le printemps, elle arriva au paradis,

Saint Pierre lui claqua la porte au nez : « Dieu m’a dit :

Au ciel je ne veux point

D’Evlyn Roe la putain. »

Mais quand elle arriva au seuil de l’enfer,

Devant elle les portes se verrouillèrent.

Et le diable lui cria : « De l’enfer est exclue

Evlyn Roe la vertu. »

Alors par les champs d’étoiles et par le vent

Elle s’en est allée pour la nuit des temps.

Dans le soir obscur, par la campagne, oui, je l’ai vue aller :

Souvent elle vacillait, jamais ne s’arrêtait,

La pauvre Evlyn Roe.

Extrait de Unveröffentlichte und nicht in Sammlungen enthaltene Gedichte

[Poèmes inédits et ne figurant pas dans les recueils] © Suhrkamp Verlag, 1960

Traduction française de Michel Habart © L’Arche Editeur, 1965

LE CHANT DE LA PUTAIN EVLYN ROE

Page 70: Weill Sans Livrets
Page 71: Weill Sans Livrets

CARNET de NOTES

Kurt Weill

Repères biographiques

& Notice bibliographique

Bertolt Brecht

Repères biographiques

& Notice bibliographiqu

Le Vol de Lindbergh

Les Sept Péchés capitaux

Discographies sélectives

Page 72: Weill Sans Livrets

KURT WEILL REPÈRES BIOGRAPHIQUES

72

H I S T O I R E KU RT WEILL

1904.

Entente cordiale entre la

France et l’Angleterre.

1905.

France : Séparation de l’Eglise

et de l’Etat.

Visite de Guillaume II à Tanger

et discours d’Algésiras :

crise du Maroc.

Première Révolution russe.

1911.

Crise d’Agadir.

Accord entre la France et

l’Allemagne sur les colonies.

1912.

Le SPD remporte 1/3 des sièges

au Reichstag.

Protectorat français

sur le Maroc.

1900.

2 mars, naissance à Dessau.

1909-1918.

Etudes primaires et secondaires

dans sa ville natale.

1913.

Premières compositions

(un psaume juif, un fragment

de lied).

Page 73: Weill Sans Livrets

KURT WEILL & SON TEMPS

73

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCES & ART S

1900.

Naissance d’Aaron Copland

1901.

Mort de Verdi.

1902.

Mahler, Symphonie no5.

Debussy, Pelléas et Mélisande.

1906.

Schoenberg, Symphonie

de chambre.

Ives, Central Park in the dark

(L’œuvre ne sera créée

qu’en 1954.)

1908.

Mahler, Le Chant de la terre.

Naissance d’Herbert

von Karajan.

1909.

Schoenberg, Traité d’harmonie.

1911.

Mort de Mahler.

1912.

Schoenberg, Pierrot lunaire.

1913.

S t r a v i n s ky, Le Sacre du printemps.

Naissance de Benjamin Britten.

1900.

Mort de Nietzsche.

Freud, L’Interprétation des rêves.

1905.

Einstein, Théorie

de la relativité restreinte.

1907.

Picasso, Les Demoiselles

d’Avignon.

1910.

Kandinsky, Du spirituel

dans l’art.

Marinetti, Manifeste futuriste.

1911.

Hofmannsthal, Jedermann.

1913.

Proust, Du côté de chez Swann.

Page 74: Weill Sans Livrets

KURT WEILL REPÈRES BIOGRAPHIQUES

74

H I S T O I R E KU RT WEILL

1914.

Début de la Première Guerre

mondiale.

1917.

Révolution d’octobre en Russie.

1918.

Fin de la Première Guerre mon-

diale.

Création du Parti communiste

allemand.

Proclamation de la république

en Autriche.

1919.

Traité de Versailles.

Ecrasement de la révolte

spartakiste à Berlin et naissance

de la république de Weimar.

1920.

Naissance du Parti

national-socialiste à Munich.

1921.

NEP de Lénine.

1916.

Première composition d’opéra :

Zriny (d’après une tragédie de

Theodor Körner). La partition a

été perdue.

1920 .

Chef d’orchestre pendant

cinq mois au théâtre de

Lüdenscheid.

1921-1923.

Suit les cours de composition

de Ferrucio Busoni à Berlin.

A la même époque, pour gagner

sa vie, il tient l’orgue dans des

synagogues, dirige des chorales

et enseigne lui-même :

parmi ses élèves, le pianiste

Claudio Arrau, le compositeur

Nikolaos Skalkottas, le chef

Maurice de Abravanel.

Page 75: Weill Sans Livrets

KURT WEILL & SON TEMPS

75

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCES & ART S

1915.

Pfitzner, Palestrina.

1917.

Erik Satie, Parade .

1918.

Stravinsky, Histoire du soldat.

Naissance de Leonard Bernstein.

1919.

Ravel, La Valse.

1920.

Korngold, La Ville morte.

Premier festival de Salzbourg.

1921.

Prokofiev, L’Amour des trois

oranges.

1915.

Kafka, La Métamorphose.

1916.

Freud, Introduction

à la psychanalyse.

1918.

Manifeste Dada.

1919.

Fondation du Bauhaus à We i m a r.

Première traversée de la

Manche en avion par

Louis Blériot.

1920.

Spengler, Le Déclin

de l’Occident.

1921.

Einstein prix Nobel.

Chaplin, Le Kid.

Page 76: Weill Sans Livrets

KURT WEILL REPÈRES BIOGRAPHIQUES

76

H I S T O I R E KU RT WEILL

1922.

Mussolini marche sur Rome.

1923.

A Munich, putsch manqué de

Hitler et Ludendorff.

1924.

Allemagne : poussée

nationaliste aux élections.

Staline succède à Lénine.

Dictature de Mussolini.

1925.

Conférence de Locarno :

l’Allemagne refuse

l’intangibilité de ses frontières

orientales.

1927.

USA : exécution de Sacco

et Vanzetti.

1928.

Pacte Briand-Kellog.

1929.

24 octobre : krach boursier,

« jeudi noir » à Wall Street.

1922.

Création à Berlin de

Die Zaubernacht [La Nuit

enchantée], ballet-pantomime.

1924-1928.

Chroniqueur de l’hebdomadaire

publiant les programmes de la

radio allemande.

1925.

Le Protagoniste, opus 14, en

collaboration avec Georg Kaiser.

C’est le premier opéra de Weill

dont la partition ait été conservée.

11 juin, création du Concerto

pour violon à Paris.

1926.

Mariage avec Lotte Lenya.

1927.

Der Zar lässt sich

photographieren [Le tsar se fait

photographier], opus 21, opéra

écrit avec Georg Kaiser.

Rencontre avec Bertolt Brecht.

Mahagonny Songspiel.

1928.

31 août : création à Berlin de

L’Opéra de quat’ sous.

1929.

22 mai, création de Das Berliner

Requiem, cantate radiophonique,

texte de Brecht.

Page 77: Weill Sans Livrets

KURT WEILL & SON TEMPS

77

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCES & ART S

1922.

Schoenberg aboutit

à la composition à douze sons.

Stravinsky, Renard.

1923.

Naissance de Ligeti.

1924.

Gershwin, Rhapsody in Blue.

Puccini, Turandot.

1925.

Naissance de Pierre Boulez.

Busoni, Doktor Faust.

Berg, Wozzeck.

1926.

Hindemith, Cardillac.

Tapiola, dernière œuvre compo-

sée par Sibelius.

Naissance de Henze.

1928.

Ravel, Boléro.

Mort de Janácek.

1922.

Joyce, Ulysse.

Murnau, Nosferatu.

1924.

Thomas Mann, La Montagne

magique.

Mort de Kafka.

1925.

Fritz Lang, Metropolis.

1927.

1er

film parlant : Le Chanteur

de jazz.

Mai : Nungesser et Coli

disparaissent en tentant la

traversée de l’Atlantique en avion

sans escale d’est en ouest.

L i n d b e rgh réussit, d’ouest en est.

1928.

Fleming : la pénicilline.

1929.

Claudel, Le Soulier de satin.

Page 78: Weill Sans Livrets

KURT WEILL REPÈRES BIOGRAPHIQUES

78

H I S T O I R E KU RT WEILL

1932.

F. D. Roosevelt, président

des Etats-Unis.

1933.

Hitler, chancelier d’Allemagne.

Mise à l’index des écrivains

juifs, autodafé des ouvrages

« non conformes ».

1935.

Rétablissement du service

militaire en Allemagne.

1936.

Guerre d’Espagne.

Das Lindberghflug à Baden-

Baden (juillet avec des parties

composées par Hindemith)

puis à Berlin (décembre avec

la partition intégralement

composée par Weill).

1930.

Création de Mahagonny

à Leipzig.

23 juin, création de

Der Jasager [Celui qui dit oui],

pièce didactique,

texte de Bertolt Brecht.

Création américaine de

Das Lindberghflug par Leopold

Stokowski avec l’Orchestre

de Philadelphie.

1932.

Création de Die Bürgschaft

[La Caution ], opéra en 3 actes,

texte de Caspar Neher.

1933.

18 février, à Leipzig, Erfurt et

Magdebourg : création de

Der Silbersee[Le Lac d’argent],

un conte d’hiver en 3 actes,

texte de Georg Kaiser.

21 mars : menacé par les nazis,

Weill quitte Berlin et

se rend à Paris.

Création des Sept Péchés capitaux.

1935.

Arrive à New York avec Lotte

Lenya. Rencontre George

et Ira Gershwin.

1936.

Création de Johnny Johnson, mise

en scène de Lee Strasberg .

Page 79: Weill Sans Livrets

KURT WEILL & SON TEMPS

79

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCES & ART S

1930.

Création à Berlin de Christophe

Colomb de Darius Milhaud

1931.

Varèse, Ionisation.

1935.

Berg, Concerto pour violon

« A la mémoire d’un ange ».

Gershwin, Porgy and Bess.

1936.

Bartók, Musique pour cordes,

percussions et célesta.

1930.

Von Sternberg, Marlène

Dietrich, L’Ange bleu.

Musil, L’homme sans qualités.

1931.

Fritz Lang, M le Maudit.

1932.

Céline, Voyage au bout

de la nuit.

1933.

Les Sept Péchés capitaux,

du peintre Otto Dix.

Première rétrospective du

peintre Hopper au MOMA

de New York.

1936.

Charlie Chaplin,

Les Temps modernes.

Page 80: Weill Sans Livrets

KURT WEILL REPÈRES BIOGRAPHIQUES

80

H I S T O I R E KU RT WEILL

1938.

Annexion de l’Autriche

par l’Allemagne.

Accords de Munich.

1939.

Début de la Deuxième Guerre

mondiale.

1941.

Pearl Harbor et entrée

en guerre des Etats-Unis.

1942.

Contre-offensive soviétique

à Stalingrad.

1937.

Création à New York de

The Eternal Road, drame

biblique en 4 parties, mise

en scène de Max Reinhardt.

Séjour à Hollywood. Rencontre

avec Fritz Lang.

1939.

Devient membre de

l’Association des compositeurs

américains.

1941.

Création de Lady in the dark

à New York.

1943.

Création à New York de One

Touch of Venus, mise en scène

d’Elia Kazan, direction

de Maurice de Abravanel.

Projet d’un opéra sur Schweyk

avec Brecht qu’il a revu à

Hollywood. Des négociations

auront également lieu sur

La Bonne Ame de Se-Tchouan.

Ces projets resteront sans suite.

Obtient la nationalité américaine.

Page 81: Weill Sans Livrets

KURT WEILL & SON TEMPS

81

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCES & ART S

1937.

Orff, Carmina Burana.

1942.

Chostakovitch, Symphonie no 7,

“Leningrad”.

1936.

Jeux olympiques de Berlin.

1937.

Walt Disney, Blanche-Neige

et les sept nains.

1939.

Steinbeck, Les Raisins

de

la colère.

Lubitsch, Ninotchka avec

Greta Garbo.

1940.

Charlie Chaplin, Le Dictateur.

1941.

Claude Levi-Strauss s’exile

à New York.

1942.

Suicide de Stefan Zweig.

Lubitsch, To be or not to be.

1943.

Saint-Exupéry, Le Petit Prince.

Page 82: Weill Sans Livrets

KURT WEILL REPÈRES BIOGRAPHIQUES

82

H I S T O I R E KU RT WEILL

1945.

Fin de la Deuxième Guerre

mondiale.

1947.

Plan Marshall en Europe.

1948.

Création de l’Etat d’Israël.

1949.

Traité de l’Atlantique nord.

Proclamation de la République

populaire de Chine par

Mao Tse Toung.

Création de la République

fédérale d’Allemagne.

1950.

Début de la guerre de Corée.

1945.

Rencontre Jean Renoir

et René Clair.

1947.

Création à Broadway de

Street Scene.

Voyage en Europe et en

Palestine. Il retrouve ses

parents qu’il n’avait pas vus

depuis 1933.

Prend par à un comité de

protestation contre la

commission McCarthy.

1948.

Création de Down in the valley,

variation américaine de Celui

qui dit oui, à Bloomington.

1949.

Création à New York de Lost in

the stars, tragédie musicale

en 2 actes, mise en scène

de Rouben Mamoulian.

1950.

Commence Huckleberry Finn

d’après Mark Twain en

collaboration avec

Maxwell Anderson.

Il est victime d’un infarctus

le 15 mars et meurt à New York

le 3 avril.

Page 83: Weill Sans Livrets

KURT WEILL & SON TEMPS

83

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCES & ART S

1947.

Naissance de John Adams

1948.

Messiaen,

Turangalîla-Symphonie.

1949.

Mort de Richard Strauss.

Naissance de Michaël Lévinas.

1945.

Première bombe atomique.

Simenon s’installe aux Etats- U n i s

où il résidera dix ans.

1947.

Thomas Mann, Doktor Faustus.

A New York, création de

l’Actor’s Studio dont Lee

Strasberg prendra la direction.

1949.

Stanley Donen, Un jour à New

York avec Gene Kelly.

William Faulkner, prix Nobel

de littérature.

1950.

Mort de Georges Orwell

et de Nijinsky.

Page 84: Weill Sans Livrets

84

Du compositeur

Kurt Weill, de Berlin à Broadway. Ecrits et propos du compositeur

traduits et présentés par Pascal Huynh, Editions Plume, 1993.

Sur le compositeur

PASCAL HUYNH. Kurt Weill ou la conquête des masses,

Actes Sud, 2000.

Un site internet : www.kwf.org.

Site de la Fondation Kurt Weill (en anglais)

KURT WEILL NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

Page 85: Weill Sans Livrets

85

1898.

Naissance à Augsbourg. Son père est directeur d’une fabrique

de papier. Sa mère est originaire de la Forêt-Noire.

1904-1916.

Etudes primaires et secondaires dans sa ville natale.

1913-1914.

Publication de ses premiers textes – poèmes, récits – dans

La Moisson, revue de son lycée ainsi que dans la presse locale.

1917.

Etudes de philosophie et littérature à Munich.

1918.

S’inscrit en faculté de médecine.

Mobilisé comme infirmier à l’hôpital d’Augsbourg.

1919.

A Munich, suit avec intérêt les mouvements spartakistes

et aide certains révolutionnaires.

Naissance de son fils Frank dont la mère est Paula Banholzer.

1920.

Mort de sa mère.

1922.

Création à Munich de Tambours dans la nuit.

Il reçoit le prestigieux prix Kleist. Il épouse Marianne Zoff.

1923.

Naissance de sa fille Hanne. Rencontre Helene Weigel.

Création à Munich de Dans la jungle des villeset à Leipzig de Baal.

1924.

S’installe à Berlin. Devient dramaturge au Théâtre Max Re i n h a r d t .

Naissance de Stefan, fils qu’il a avec Helene Weigel.

1927.

Rencontre avec Kurt Weill. Création du Petit Mahagonny à

Baden-Baden. Divorce avec Marianne Zoff.

1928.

Création de L’Opéra de quat’sous.

BERTOLT BRECHT REPÈRES BIOGRAPHIQUES

Page 86: Weill Sans Livrets

1929.

Se marie avec Helene Weigel.

Création à Baden-Baden des pièces didactiques :

Le Vol de Lindberghet De l’importance d’être d’accord.

1930.

Création d’œuvres écrites avec Kurt Weill : Grandeur et

décadence de la ville de Mahagonny(Leipzig) ; Celui qui dit

oui (Institut central d’enseignement et d’éducation de Berlin).

Ecrit Celui qui dit non.

1932.

Les Trois Soldats, livre pour enfants illustré par Georg Grosz.

1933.

Départ en exil avec sa famille. Séjourne en Suisse avant

de s’installer au Danemark.

Création à Paris des Sept Péchés capitaux.

1935.

Brecht est déchu de sa nationalité allemande.

Ecrit Grand’ Peur et Misère du IIIeReich.

1936.

La représentation des Sept Péchés capitauxà Copenhague

est interdite par le roi du Danemark.

1937.

Paris : il participe au congrès international des écrivains sur

le thème de la guerre d’Espagne ; création des Fusils de la

mère Carrar avec Helene Weigel.

1939.

S’installe en Suède.

L’Achat du cuivre, texte théorique sur le théâtre.

1940.

Quitte la Suède pour la Finlande.

Ecrit les Dialogues d’exilés.

1941.

Passe en URSS d’où il s’embarque pour la Californie.

Il s’installe à Santa Monica.

Création à Zurich de Mère Courage et ses enfants.

BERTOLT BRECHT REPÈRES BIOGRAPHIQUES

86

Page 87: Weill Sans Livrets

1942.

Rencontre Adorno et Schoenberg.

Plusieurs travaux cinématographiques, notamment avec

Fritz Lang pour Les bourreaux meurent aussi.

1943.

Mort de son fils Frank sur le front russe.

Création à Zurich de La Bonne Ame de Se-Tchouan

et de La Vie de Galilée.

1945.

Travaille avec Charles Laughton sur la version américaine

de La Vie de Galilée.

1947.

Création à Los Angeles de la version américaine

de La Vie de Galiléedans une mise en scène de Joseph Losey.

A Washington, Brecht passe devant la commission McCarthy

des activités antiaméricaines.

Quitte les Etats-Unis et s’installe en Suisse.

1948.

Création à Zurich de Maître Puntila et son valet Matti.

S’installe à Berlin-Est.

Parution des Histoires d’almanach (recueil de récits).

1949.

Il fonde avec Helene Weigel le Berliner Ensemble.

1951.

Staastoper de Berlin : création du Procès de Lucullus,

musique de Paul Dessau.

1953.

Début de la publication du théâtre complet chez Suhrkamp.

Commence à travailler sur ce qui sera sa dernière œuvre

théâtrale : Turandot ou le congrès des blanchisseurs.

1956.

Assiste à Milan à L’Opéra de quat’sous, mis en scène

par Giorgio Strehler.

Le 10 août, il dirige sa dernière répétition de La Vie de Galilée.

Il meurt le 14 août à Berlin d’un infarctus. Il est enterré

au Dorotheenfriedhof, non loin de la tombe de Hegel.

BERTOLT BRECHT REPÈRES BIOGRAPHIQUES

87

Page 88: Weill Sans Livrets

Œuvres de Bertolt Brecht

Le Vol au-dessus de l’océan(dans le Théâtre complet, vol. 2).

Texte français de Gilbert Badia, L’Arche éditeur, 1968.

Les Sept Péchés capitaux.

Version bilingue réalisée « en étroite collaboration avec

l’Opéra de Lyon ». Avec des textes de Michel Bataillon,

Geneviève Lièvre, et un entretien avec Maguy Marin

réalisé par Jean-Jacques Lerrant, L’Arche éditeur, 1987.

Les œuvres de BERTOLT BRECHT en traduction française

sont disponibles aux Editions de l’Arche :

Poèmes – 9 volumes.

Théâtre complet– 8 volumes.

Prose (sélection) dont :

Les Affaires de monsieur Jules César,

traduction de Gilbert Badia, 1959.

Histoires de monsieur Keuner,

traduction de Maurice Regnaut, 1980.

Histoires d’almanach,

traduction de Ruth Ballangé & Maurice Regnaut, 1983.

La Vieille Dame indigne & autres histoires,

traduction de Ruth Ballangé & Maurice Regnaut, 1988.

Les Crabes de la mer du Nord & autres histoires,

traduction de Bernard Lortholary, 1988.

Journal de travail 1938-1954 , traduction de Philippe Ivernel, 1976.

Journaux 1920-1922 / Notes autobiographiques 1920-1954,

traduction de Michel Cadiot, 1978.

Ecrits sur le théâtre, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2000.

Les œuvres complètes de Bertolt Brecht en allemand,

en quarante volumes, sont éditées par Suhrkamp.

BERTOLT BRECHT NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

88

Page 89: Weill Sans Livrets

Sur l’écrivain

WALTER BENJAMIN. Essais sur Bertolt Brecht,

François Maspero éditeur, 1969.

BERNARD DORT. Lecture de Brecht, Points-Seuil, 1972.

HANS MAYER. Brecht et la tradition, L’Arche éditeur, 1977.

KLAUS VÖLKER. Brecht : une biographie, Stock, 1978.

GEORGES BANU. Bertolt Brecht, ou le petit contre le grand, Aubier,

collection Homme de Théâtre, 1981.

GÜNTER BERG & WOLFGANG JESKE. Bertolt Brecht,

L’Arche éditeur, 1999.

COLLECTIF. Brecht après la chute : confessions, mémoires, analyses,

L’Arche éditeur, 1993.

Bertolt Brecht (2 volumes, nos

35/1 & 35/2),

Cahiers de L’Herne, 1982.

Bertolt Brecht, revue Europe, no 856-857, 2000.

BERTOLT BRECHT NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

89

Page 90: Weill Sans Livrets

JAN LATHAM-KOENIG

Orchestre de la radio de Cologne. Chœur Pro Musica de Cologne

Wolfgang Schmidt (Lindbergh). Herbert Feckler,

Lorenz Minth, Christop Scheeben

(Enregistré en 1987)

Avec des extraits de la première version (Kurt Weill et Hindemith) :

HERMANN SCHERCHEN, Orchestre & chœur de la radio de Berlin

Ernst Ginsberg, Betty Mergler, Erik Wirl, Gerhard Pechner

(Enregistré en 1930)

1990 – Capriccio

LE VOL DE LINDBERGH DISCOGRAPHIE SÉLECTIVE

90

Page 91: Weill Sans Livrets

WILHELM BRÜCKNER-RÜGGEBERG, Orchestre symphonique

Lotte Lenya

1956 – Sony

JOHN ELIOT GARDINER, Orchestre symphonique de la NDR

Anne Sofie von Otter

1993 – DG

KURT MASUR, Orchestre philharmonique de New York

Angelina Reaux

1994 – Teldec

KENT NAGANO, Orchestre de l’Opéra de Lyon

Teresa Stratas

(Enregistré en 1993)

1997 – Erato

En vidéoKENT NAGANO, Orchestre de l’Opéra de Lyon

Teresa Stratas – Nora Kimball (danse)

Mise en scène.Peter Sellars

1995 – Decca

LES SEPT PÉCHÉS CAPITAUX DISCOGRAPHIE SÉLECTIVE

91

Page 92: Weill Sans Livrets
Page 93: Weill Sans Livrets

Chargé d’édition

Jean Spenlehauer

Remerciements

Michel Bataillon

Geneviève Lièvre

Martine Mattler, Atelier du Rhin de Colmar

Conception & Réalisation

Brigitte Rax / Clémence Hiver

Impression

Horizon

Opéra national de Lyon

Saison 2005/06

Directeur général

Serge Dorny

OPÉRA NATIONAL DE LYON

Place de la Comédie

69001 Lyon

Renseignements & Réservation

0.826.305.325 (0,15 e/ m n )

www.opera-lyon.com

L’Opéra national de Lyon est conventionné par le ministère de la Culture et

de la Communication, la Ville de Lyon, le conseil régional Rhône-Alpes

et le conseil général du Rhône.

Page 94: Weill Sans Livrets

Pour la présente édition

© Opéra national de Lyon, 2006

Page 95: Weill Sans Livrets

ACHEVÉ d’IMPRIMER

le 21 juin 2006 pour les représentations

du Vol de Lindbergh / Vol au-dessus de l’Océan

& des Sept Péchés capitauxde Kurt Weill

à l’Opéra national de Lyon

Mise en scène, François Girard

Direction musicale, Roberto Minczuk