words by bro. robert schieler ialu 2015

15
Transmettre notre passion pour les pauvres et l’éducation : Mission possible PRÉSENTATION À L’AIUL. Le 5 mars 2015 Frère Supérieur Robert Schieler, FSC Mes salutations à tous! C’est un privilège pour moi d’être devant vous ce matin. Merci de votre aimable invitation! J’avais hâte de vous rencontrer , car je suis convaincu qu’au fur et à mesure que nous avancerons dans ce siècle le rôle de nos universités, de nos collèges et de nos institutions de haut savoir ne fera que croître en importance et en signification dans la mission lasallienne universelle. Je vous dis mon appréciation pour le choix du thème de cette rencontre ( Encuentro). Il s’agit d’un sujet qui fut une préoccupation pour moi depuis le printemps dernier lorsque les Frères m’ont demandé de servir l’Institut comme Supérieur. Je suis intéressé à renforcer le pont qui existe déjà dans notre orbite lasallien. Au nombre des réseaux lasalliens les plus forts qui existent aujourd’hui, on compte le Centre de l’Institut et l’Association internationale des universités lasalliennes. Ces deux réseaux mondiaux accomplissent des choses extraordinaires. Le potentiel existe pour qu’ils puissent faire beaucoup plus encore. Le problème principal que je souhaite aborder avec vous aujourd’hui es t le suivant : à ce moment de la vie de l’Institut, pouvons -nous laisser les choses comme elles sont ou encore trouver de nouvelles façons pour nous tous (ceux qui se consacrent à des projets spécifiques, ceux qui sont dans les écoles primaires ou secondaires, ou encore dans les collèges et les universités, ceux qui s’occupent des soins spéciaux aux enfants et aux jeunes en difficulté ou fragiles, ceux qui sont en éducation des adultes, les catéchètes et les directeurs de l’éducation religieuse), pouvons-nous trouver de nouvelles façons, donc, de vivre notre association lasallienne d’une manière plus originale en partenariat pour la mission? Est -il temps de dépasser les doutes, les préjugés et les peurs et de saisir ce moment historique dans l’histoire du salut? Ce que je me demande, c’est ceci : est-ce que le moment est mûr pour une coordination plus rapprochée entre nos réseaux qui « équilibre l’apport particulier de nos institutions avec l’apport universel en faveur du bien de notre mission et de l’éducati on en général? Est-ce qu’on peut, ensemble, renforcer la synergie que nous avons en commun : notre histoire de fondation, constamment consultée et transmise dans les formations; notre manière décentralisée de fonctionner reliée par des objectifs communs; et l’usage de la technologie » (note 1) pour renforcer et mener plus loin les liens qui nous unissent les uns les autres, ainsi qu’à nos Districts et à nos Régions? Que gagnerons-nous en nous ouvrant à une collaboration plus intentionnelle et organique entre les deux réseaux dans un mode d’administration plus structuré et transparent? Qu’est-ce qu’on craint de perdre?

Upload: encuentro-xi

Post on 08-Apr-2016

215 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

 

TRANSCRIPT

Page 1: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

Transmettre notre passion pour les pauvres et l’éducation : Mission possible

PRÉSENTATION À L’AIUL.

Le 5 mars 2015

Frère Supérieur Robert Schieler, FSC

Mes salutations à tous! C’est un privilège pour moi d’être devant vous ce matin. Merci de

votre aimable invitation! J’avais hâte de vous rencontrer, car je suis convaincu qu’au fur

et à mesure que nous avancerons dans ce siècle le rôle de nos universités, de nos

collèges et de nos institutions de haut savoir ne fera que croître en importance et en

signification dans la mission lasallienne universelle.

Je vous dis mon appréciation pour le choix du thème de cette rencontre (Encuentro). Il

s’agit d’un sujet qui fut une préoccupation pour moi depuis le printemps dernier lorsque

les Frères m’ont demandé de servir l’Institut comme Supérieur. Je suis intéressé à

renforcer le pont qui existe déjà dans notre orbite lasallien. Au nombre des réseaux

lasalliens les plus forts qui existent aujourd’hui, on compte le Centre de l’Institut et

l’Association internationale des universités lasalliennes. Ces deux réseaux mondiaux

accomplissent des choses extraordinaires. Le potentiel existe pour qu’ils puissent faire

beaucoup plus encore. Le problème principal que je souhaite aborder avec vous

aujourd’hui est le suivant : à ce moment de la vie de l’Institut, pouvons-nous laisser les

choses comme elles sont ou encore trouver de nouvelles façons pour nous tous (ceux

qui se consacrent à des projets spécifiques, ceux qui sont dans les écoles primaires ou

secondaires, ou encore dans les collèges et les universités, ceux qui s’occupent des

soins spéciaux aux enfants et aux jeunes en difficulté ou fragiles, ceux qui sont en

éducation des adultes, les catéchètes et les directeurs de l’éducation religieuse),

pouvons-nous trouver de nouvelles façons, donc, de vivre notre association lasallienne

d’une manière plus originale en partenariat pour la mission? Est-il temps de dépasser

les doutes, les préjugés et les peurs et de saisir ce moment historique dans l’histoire du

salut?

Ce que je me demande, c’est ceci : est-ce que le moment est mûr pour une coordination

plus rapprochée entre nos réseaux qui « équilibre l’apport particulier de nos institutions

avec l’apport universel en faveur du bien de notre mission et de l’éducation en général?

Est-ce qu’on peut, ensemble, renforcer la synergie que nous avons en commun : notre

histoire de fondation, constamment consultée et transmise dans les formations; notre

manière décentralisée de fonctionner reliée par des objectifs communs; et l’usage de la

technologie » (note 1) pour renforcer et mener plus loin les liens qui nous unissent les

uns les autres, ainsi qu’à nos Districts et à nos Régions?

Que gagnerons-nous en nous ouvrant à une collaboration plus intentionnelle et

organique entre les deux réseaux dans un mode d’administration plus structuré et

transparent? Qu’est-ce qu’on craint de perdre?

Page 2: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

Mais tout d’abord, qu’est-ce que notre histoire nous enseigne?

À la fin du 17e siècle, De La Salle et ses Frères-enseignants se sont engagés à libérer

les enfants des pauvres du cercle vicieux dans lequel ils se trouvaient. Cette initiative

tranchait par rapport aux pratiques éducatives établies. Le profit, les postes de pouvoir

et les intérêts personnels étaient souvent les principaux facteurs considérés lorsqu’on

devait décider qui devait recevoir une éducation et dans quel but. Les enfants des

travailleurs journaliers sans le sou et les artisans sans protection avaient peu de

chances, si tant est qu’ils en avaient, d’en bénéficier. (note 2)

Qu’est-ce que De La Salle a fait? Je vais souligner, retenant quelques-unes de ses

innovations, des pratiques et des façons de faire, familières à plusieurs d’entre nous, qui

ont caractérisé notre héritage et les réseaux que nous avons aujourd’hui.

Une école lasallienne est une école définie par les besoins des élèves, et non

par un programme de cours sans rapport avec leurs vies.

Les enseignants ne travaillent pas en isolement, mais ils forment une

communauté d’éducateurs.

Les enseignants basent leurs interventions sur des observations, pas sur des

idéaux théoriques.

Ils n’imposent pas leurs vues d’une manière autoritaire.

Quand ils mettent leurs connaissances en pratique, ils les vérifient d’abord

avant de les présenter à leurs supérieurs.

Ils connaissent le monde des jeunes avec ses hauts et ses bas, leurs valeurs

et leurs faiblesses, leurs succès et leurs échecs, et ces jeunes sont invités à

participer à leur propre formation et à croître en sagesse.

Des données spécifiques sont conservées qui permettent de suivre

l’apprentissage.

Chaque aspect du programme commence par une connaissance du milieu

dans lequel vit et travaille la famille.

Plus encore, les découvertes et les pratiques furent rendues possibles parce que De La

Salle ne se contentaient pas de recherches livresques, mais il s’investissait dans

l’accompagnement de ses Frères en accordant la priorité à l’entraînement, à la

formation du maître. Les besoins des enfants constituaient la préoccupation principale.

La responsabilité de s’occuper de ces besoins revient aux adultes dans une

communauté éducative. Cette reconnaissance du rôle de l’enseignant n’était pas

partagée par tous. Les écoles chrétiennes sous la direction de De La Salle exigeaient de

l’attention et un dévouement hors du commun, un développement professionnel

continuel et, toujours, une attention spéciale portée au contexte de vie de ses disciples.

À en juger par les nombreuses rééditions de La conduite des écoles, il est clair que ces

écoles remportaient un succès impressionnant, à la fois dans l’Institut des Frères des

Écoles chrétiennes et dans d’autres congrégations vouées au service de l’éducation.

Pourquoi? « Les Frères eux-mêmes vérifiaient eux-mêmes de façon continue et

approfondie les méthodes, les techniques d’enseignement, la structure et la discipline,

Page 3: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

les activités éducatives, etc. Les Frères étaient ceux qui, d’abord individuellement puis

ensuite tous ensemble, évaluaient la pertinence et l’efficacité de leurs pratiques avant de

décider ce qui devaient être conservé et ce qui devait être abandonné. » (note 3). Le

chercheur lasallien Frère Léon Lauraire écrit : « Comme travail de praticiens de l’école,

la richesse de la Conduite, même aujourd’hui, présente un intérêt spécial à ceux-là

seulement qui ont une expérience comparable d’enseignement. Lire cet ouvrage du

point de vue d’une théorie éducative quelconque, ou même à partir d’une idéologie

préconçue, présente le risque d’une faible compréhension. » (note 4) Et il continue :

« Nous sommes en présence d’un processus inductif. L’importance première était

accordée à la situation réelle : les besoins éducatifs des enfants… les conditions, les

contraintes et les moyens de dispenser cette éducation; les possibilités d’avenir et le

choix d’un objectif spécifique pour l’école. Une fois que ces choses étaient établies, les

modalités appropriées d’instruction et d’éducation étaient mises en place. » (note 5)

Au cours des derniers siècles, ce projet d’éducation lasallienne s’est consolidé au

niveau élémentaire, avec ses racines dans l’itinéraire fondateur des écoles chrétiennes

et gratuites, des écoles d’éducation populaire. Toutefois, lorsque De La Salle mourut, les

22 écoles qu’il nous a léguées ne paraissaient pas un succès remarquable à ce

moment-là, mais il nous a laissé ces principes simples et clairs.

C’est l’héritage des écoles élémentaires et lasalliennes populaires aujourd’hui. Sans

imposer un zèle fondamentaliste, les pratiques et les politiques établies il y a trois

siècles ont permis aux écoles de bien aller. Nos œuvres lasalliennes actuelles prennent

en compte les manières privilégiées par les nouvelles générations pour penser, se sentir

et se comporter, spécialement chez ceux qui sont dans le besoin, en faisant la

promotion de pratiques qui feront en sorte que les jeunes voudront venir dans nos

écoles.

De l’éducation primaire aux écoles secondaires; vers les hautes études.

Les Frères ne mirent toutefois pas de temps à comprendre, spécialement au cours du

18e siècle, que le dynamisme du charisme original ne se limitait pas aux écoles

primaires pour les pauvres. Leurs écoles se configurèrent à partir des caractéristiques

des petites villes où elles étaient implantées. Le niveau secondaire fit son apparition

assez rapidement en se basant sur ce qui existait déjà pour les besoins urgents de la

jeunesse pauvre et des travailleurs marginalisés de la société. Les Frères préparaient

les pauvres et la classe ouvrière pour qu’ils puissent s’insérer dans la vie de la société

avec des connaissances pratiques leur permettant de prendre des responsabilités dans

ladite société; on revoyait les programmes au besoin.

Quelles sont les origines de l’éducation catholique supérieure? Pour quoi et pour

qui avons-nous été fondés?

On s’entend généralement pour dire que les Jésuites, la Société de Jésus, l’Ordre des

Prêcheurs ou Dominicains, les Bénédictins, les Augustiniens et les Franciscains furent

les leaders de la tradition spirituelle et intellectuelle dans l’Église catholique. À plusieurs

Page 4: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

reprises, ils sont perçus comme des rivaux, même des ennemis, en compétition les uns

avec les autres, et pas seulement sur les terrains de jeux... Approuvés par la hiérarchie,

ce qui était réalisé était défini comme catholique. Mais comment justifier l’existence

d’une bande de laïcs consacrés fondés et éventuellement approuvés pour conduire des

écoles élémentaires, pour servir la classe ouvrière, sans qu’ils aient une éducation

classique, mais qui voudraient se risquer à explorer l’éducation supérieure? Ces Frères,

aux périodes de formation fragmentées et occasionnelles, avec un horizon très étroit, les

voilà qui répondent progressivement aux demandes d’une vie intellectuelle très sérieuse

à l’intérieur de la tradition catholique!

Le philosophe français Jacques Maritain, dans une allocution qu’il prononçait à

Manhattan College lorsqu’on lui remit un diplôme honorifique à l’occasion du

tricentenaire de la naissance de De La Salle, le 30 avril 1951, situa de façon impeccable

l’importance du charisme d’une institution qui, à cette époque, comptait 14 000 Frères.

Voici ce qu’il a dit :

« Ils sont les maître incomparables de l’éducation populaire. Ils ont une manière qui leur

est propre, avec une discipline forte, sérieuse et parfois sévère, de soulever l’affection

de leurs élèves et leur éternelle reconnaissance. Ils ont l’art de prendre des moyens

proportionnées aux fins, avec la précision d’un artisan, et en visant toujours l’essentiel.

Dès les tout débuts, ils ont compris que, pour ce qui concerne les classes ouvrières –

C’EST-À-DIRE L’HOMME NORMAL, l’homme dans sa condition la plus générale et

naturelle – L’ÉDUCATION DOIT DOTER LA JEUNESSE D’UNE PRÉPARATION

PROFESSIONNELLE ORIGINALE et efficace ET DES MOYENS DE GAGNER SA VIE.

Et ils ont compris en même temps que la formation de l’âme et de l’intelligence,

l’éducation d’un homme pour qu’il devienne un homme, demeure l’objectif le plus élevé

et le plus indispensable de l’éducation. L’intégration, que tous recherchent aujourd’hui,

de la pratique et de la théorie, de la préparation professionnelle et de l’éducation de

l’esprit – avec l’ouverture et l’éveil que cela implique, la capacité à penser et à juger par

soi-même, et un cheminement vers la sagesse – cette intégration est naturelle chez eux,

et ils y travaillent de façon spontanée, pour la raison qu’ils ne sont ni des idéalistes qui

méprisent la matière, ni des technocrates qui détestent le savoir; ils sont des éducateurs

chrétiens dans le sens LE PLUS concret et le plus réaliste de cette expression. (note 6)

Les réflexions de Maritain sont particulièrement intéressantes parce qu’elles sont

basées sur l’idée qu’il avait des Frères en France. Il continue :

« (…) nous avons l’habitude de penser aux Frères des Écoles chrétiennes en tant que

dévoués à une sorte d’enseignement qui va très loin en vérité et qui couvre de larges

domaines du savoir, mais qui a fait le choix volontaire de demeurer loin de l’éducation

secondaire ainsi que de l’éducation collégiale et du haut savoir. Et nous sommes

habitués à penser à eux comme étant attachés à ce qui est vernaculaire, avec une

aversion claire pour le latin et les études classiques. » (note 7)

Maritain montre les deux façons selon lesquelles l’Institut se développait au dix-

neuvième siècle en Europe et aux États-Unis et au Canada. Les deux modèles

Page 5: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

ressortent. Les deux choisissent les pauvres comme étant leur préférence, et l’éducation

pratique au niveau élémentaire. Les deux modèles sont caractérisés par une certaine

rigidité pour ce qui concerne le latin et les études classiques. L’exemple qui est peut-être

le plus spectaculaire de cette rigidité s’est produit aux États-Unis, lors de l’événement

connu dans l’histoire de l’Institut sous le nom de « La question du latin ».

Cette affaire du latin a ébranlé le modèle nord-américain. Profondément marqués par

l’immigration et les besoins urgents d’une population de jeunes en expansion, les

évêques se sont montrés très attentifs à l’éducation des immigrants catholiques. La

pauvreté, le manque d’emplois et la marginalisation croissante en firent des victimes de

l’économie. Quelques Frères constatèrent la situation qui prévalait et eurent l’audace

d’apporter des changements au programme et d’aller au-delà de l’éducation

élémentaire, fondant des écoles secondaires et établissant des écoles du soir et du

dimanche, par exemple. Ils se montrèrent également attentifs aux relations entre les

travailleurs et leurs chefs d’un côté, et entre les administrateurs et les propriétaires des

usines d’un autre côté. Tous avaient besoin de nouveaux styles de dialogue, de

techniques de négociation et d’habiletés. Que devrait être l’orientation des écoles dans

ce nouvel environnement? D’autres congrégations firent une démarche semblable, avec

leurs propres priorités, ce qui aida parfois, mais compliqua les choses à d’autres

occasions. Tout cela eut pour effet que les Supérieurs de la France craignirent que l’on

perdît le sens de notre charisme de fondation. Cependant, avec l’appui d’une importante

frange de laïcs, et grâce aussi à l’intervention de quelques évêques, le besoin de

changement apparut plus clairement. Maritain, encore une fois, citant le cardinal

Gasparri, le secrétaire d’État du pape, décrit cela en ces termes :

« En considérant les changements profonds que les temps modernes ont

apportés aux programmes éducatifs et dans les statuts, et pour favoriser la participation

de toutes les classes dans ces catégories d’études, Sa Sainteté, le pape Pie XI, estime

que l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes doit, en conséquence, étendre son

enseignement aux études classiques, comme cela a déjà été fait avec succès aux

sciences en éducation supérieure, même au profit des classes aisées. » (note 8)

La Question du latin occasionna de grandes souffrances et empêcha toute créativité.

Des punitions injustes, l’exil de Visiteurs et de présidents de collèges, etc. ont fait l’objet

d’études, mais ce n’est pas le moment d’aller plus loin dans ce sujet. Qu’il suffise qu’on

se rappelle qu’il s’est agi de rien de moins que de l’expérience d’un Institut en train de

débattre la question des attentes de son Fondateur et de la fidélité au moment présent.

En fait, il n’existe pas deux fidélités. La fidélité au passé exige parfois l’ouverture au

changement que le Fondateur ne pouvait pas prévoir.

La distinction est importante, pas tellement pour la raison que le Fondateur ne pouvait

pas tout prévoir, mais parce que, en histoire, les situations nouvelles émergent avec de

nouveaux besoins qui exigent de nouvelles réponses. Ces situations exigent du

discernement dans l’Église pour la gloire de Dieu, pour le bien de l’Église et pour le bien

de la société des Frères. Mais pendant que des situations nouvelles et sans précédent

Page 6: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

apparaissent, le but principal de la communauté, soit la préférence pour l’éducation des

pauvres, demeure inchangé.

La Question du latin a laissé voir deux concepts qui étaient considérés comme

incompatibles au dix-septième siècle : les pauvres et les études classiques. Comme

Institut, au cours des siècles, nous n’avons pas craint de rendre ces concepts moins

incompatibles.

Qui choisissons-nous comme préférence (ou audience) pour notre mission

éducative?

À la suite du second Concile du Vatican, du Chapitre de renouveau des Frères (1966-

1967) et de la publication de la Déclaration sur le Frère des Écoles chrétiennes dans le

monde d’aujourd’hui, l’Institut répond sans hésiter que les pauvres représentent notre

option préférentielle dans notre service d’éducation.

Quand, avec clarté et éloquence, nous parlons aujourd’hui des pauvres dans un monde

marqué par une économie globale dominée par une culture consumériste de

consommation, nous sommes davantage conscients de l’existence des « nouveaux

pauvres » forcés d’aller à la périphérie; les conséquences pour leurs enfants sont

souvent fatales. Déchirés par des difficultés d’insertion dans la société, ces jeunes font

face à de nombreux obstacles à leur développement, aussi bien au plan intellectuel

qu’au plan spirituel.

Je crois qu’aucune réunion au cours desquelles nous discutons de notre mission

lasallienne aujourd’hui ne se passe sans que nous abordions ce problème, spécialement

lorsqu’il est question de ceux que nous aimerions servir. Faisant cela, nous nous

inquiétons de ce que cela puisse causer des difficultés d’ordre académique à notre

héritage, nous plaçant dans l’obligation de créer, pour accompagner ces étudiants, des

programmes d’aide qui sont très coûteux et qui mettent des contraintes sur l’université.

De plus, nous prétendons que, en raison de nos ressources limitées, nous ne pouvons

financer ces programmes à partir seulement de ce que rapportent les étudiants qui

peuvent payer les frais de scolarité. Eux aussi doivent être aidés et nous constatons,

année après année, que le nombre de ces derniers diminue.

Il s’agit d’un vrai dilemme : comment aider les jeunes à l’extérieur de leur milieu?

Comme si en les attirant sur les campus, nous devions les faire renoncer à leurs

familles, à leur milieu de vie, à leur culture et à leur histoire. Comment créer un lien entre

le campus et ce qui l’entoure? Comment créer un lien entre ce qu’ils étudient et

apprendre à partir de leur réalité? Je suis porté à croire que cette affaire ne se règle pas

par des équations quantitatives; on devrait plutôt la considérer de façon qualitative. Cela

exige que nous réfléchissions à notre option préférentielle.

Une réponse possible à ce dilemme qui m’a mystifié fut l’exposé d’un Jésuite, le

Président de l’Université d’Amérique Centrale, Père Ignac io Ellacuria. Il fut assassiné un

soir, en même temps que d’autres confrères, par les forces répressives d’El Salvador.

Page 7: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

Une université chrétienne doit tenir compte de la préférence évangélique pour les

pauvres. Cela ne signifie pas que les pauvres seulement fréquenteront l’université, ni

que l’université doive renoncer à son excellence académique, cette excellence qui est

requise pour résoudre les problèmes complexes de notre époque. Ce que cela signifie,

selon Ellacuria, c’est que l’université doit être présente où cela est nécessaire :

- Pour donner la science à ceux qui sont sans science;

- Pour donner des techniques à ceux qui sont sans techniques;

- Pour donner une voix aux sans-voix;

- Pour fournir un appui intellectuel à ceux qui ne possèdent pas les

qualifications voulues pour faire respecter leurs droits.

Réfléchissez un moment à ces déclarations d’un Recteur qui imagina intentionnellement

ce que peut être un collège qui prend option pour les pauvres.

La première réalité qu’il mentionne est « l’endroit » où les universités se trouvent. Le

campus est le lieu où les besoins et les espérances se rencontrent, et différentes

interprétations de cela peuvent donner lieu à des conflits. Mais le point focal du

processus d’apprentissage et de toute activité intellectuelle est là où vivent les pauvres

et où ils se réalisent, là où ils mûrissent et se développent aux plans professionnel et

spirituel.

La seconde à laquelle il fait référence, c’est la « présence ». Il ne s’agit pas d’augmenter

le nombre de pauvres à l’université. Tout au contraire, une université prestigieuse et

forte réussit sans ambitions individualistes. Il ne s’agit pas créer un vide ou d’abaisser

les standards, mais plutôt de les élever. Faire nôtres ces vertus est nécessaire en vue

de régler des problèmes réels.

Cette façon de comprendre un collège catholique représente un défi pour les universités

élitistes, celles qui séparent du réel le contenu des diverses disciplines. Les échanges

entre le contenu des diverses disciplines, ou les divers domaines professionnels, et les

besoins de ceux qui sont laissés à eux-mêmes donnent lieu à un processus

d’apprentissage particulier.

Ceci n’exige pas des budgets de recherches particulièrement élevés. Avec des moyens

simples, nous pouvons renforcer cette partie de la vie académique visant à aider des

jeunes à être en lien avec de vrais problèmes. Cette étude est fondamentale. Les

professeurs deviennent davantage passionnés et créatifs. Les étudiants sont plus

motivés, car ils peuvent constater que ce qu’ils apprennent est en lien avec le réel et

peut être mis en application. De la sorte, toutes les matières deviennent égales dans les

conversations et dans les mises en œuvre suivantes. Mais Ellacuria va encore plus loin

en identifiant quatre verbes qui donnent de l’énergie à la raison d’être d’une université.

Ces verbes sont les suivants :

- « Fournir » de la science à ceux qui sont sans science.

Page 8: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

- « Donner des habiletés » pour bien se servir de ce qu’ils ont appris et le

mettre en pratique.

- « Être la voix » de ceux qui n’ont pas de voix. Cela ne veut pas dire d’enlever

votre place, mais de leur donner le pouvoir de s’exprimer eux-mêmes. Nous

ne sommes pas des remplaçants, c’est-à-dire que nous ne parlons pas à leur

place.

- Enfin, donnez-leur un « appui intellectuel ».

Permettez-moi de souligner que, dans ce texte, Ellacuria ne parle pas de cette façon

d’apprendre avec les pauvres et pour le bien commun comme étant un acte de charité.

Les rendre capables d’agir fait référence au concept de justice sociale, tel qu’il est

explicité dans les enseignements sociaux de l’Église.

Cela exige un souci de l’excellence dans l’étude du contexte où se trouvent les pauvres,

cela à partir des points de vue de chacune des disciplines. L’approche interdisciplinaire

ouvre sur de nouvelles possibilités qui privilégient les interventions et les actions

concertées.

Enfin, trouver des façons et des moyens de rendre l’éducation supérieure plus

accessible aux pauvres gagnerait en profondeur si l’objectif reconnu de l’université est

un endroit où les pauvres et leurs professeurs sont présents les uns aux autres et

œuvrent à la qualité de chaque étudiant à l’université. Heureusement, au sein de notre

famille lasallienne, nous avons des exemples de cette sorte de présence ainsi que des

modèles dont parle Ellacuria. Quoique je ne sois pas familier avec les initiatives que

vous pouvez avoir, il y a Utopia ici-même à Bogota et, aux Philippines, à Manille, les

origines du Collège Saint-Bénilde, qui ont permis l’accès à l’éducation tertiaire à ceux

qui, autrement, n’auraient jamais pu le faire.

Je termine là où j’ai débuté. Je n’ai pas le moindre doute concernant le potentiel de

transformation et la force que détiennent nos deux réseaux internationaux.

Historiquement, chacun est issu du même charisme donné à De La Salle et à ses

Frères; le regard de foi et la passion pour la mission, qui ont fait agir notre Fondateur,

sont toujours présents dans notre histoire d’aujourd’hui et dans nos deux réseaux

lasalliens. Permettez-moi de faire une brève récapitulation de votre propre histoire.

Les étapes d’une aventure

Le Bulletin de l’Institut no 252, publié en 2010, fut entièrement consacré au sujet des

centres lasalliens d’éducation supérieure. Dans ce numéro, Joan Landeros nous

présente un merveilleux résumé des progrès et de l’avenir de l’AIUL. Elle nous rappelle

la première rencontre, tenue en 1978 à l’Université La Salle de Mexico, et le

développement qui a suivi, jusqu’en 1987, faisant état de l’incroyable changement

d’atmosphère qui a eu lieu entre ces deux dates. La réunion de 1978 ne comptait que

des Frères; aucun laïc. À cette époque, « on ne prévoyait aucune forme de suivi et

toutes possibilités d’association aussi bien que des statuts qui la régiraient furent

rejetés. »

Page 9: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

Une conséquence directe de ce refus fut le retard à mettre en place ces Encuentros. Il a

fallu attendre 1987 pour avoir la suivante. Lors de cette autre réunion, il n’y avait pas

seulement des laïcs, mais également un dialogue avec un panel d’étudiants. Le climat

était complètement différent; l’association naissante ne s’est pas repliée sur elle-même.

Bien qu’il n’y avait pas encore de dirigeants élus pour diriger l’association, et pas non

plus de règlements, les rencontres suivantes, spécialement la sixième Encuentro aux

Philippines et la septième à Barcelone, ont laissé apparaître le besoin d’une meilleure

communication ainsi que d’une plus grande collaboration inter-institutions. Une nouvelle

idée venait de naître.

Selon ce qu’il semble, Encuentro VIII, à Canoas, Brésil, fut le moment où le réseau a

reconnu « le rôle parvenu à maturité de l’éducation lasallienne supérieure dans la

mission éducative de l’Institut » (p. 10). Cette assemblée a pu aussi entendre l’appel

insistant de F. Alvaro, alors Supérieur Général, qui rappela les appels du 42e Chapitre

Général de 1993, de la première Assemblée internationale de la mission de 2006 ainsi

que le 44e Chapitre Général de 2007. Le message de F. Alvaro présenta en effet à nos

universités, collèges et institutions de haut-savoir un important rôle à jouer dans le

mouvement associatif de l’ensemble des œuvres lasalliennes de l’Institut. Il vous

encouragea à jouer votre rôle propre en répondant aux urgences et aux défis

d’aujourd’hui, qui sont encore une fois ceux identifiés par nos quatre derniers Chapitres

Généraux : la faim, la migration, la désintégration des familles et les nouvelles

pauvretés. « Ne sont-ils pas, a-t-il demandé, l’appel de l’Esprit nous demandant une

réponse prophétique à ce moment de notre histoire? ». Comme il est encourageant pour

lui et pour nous tous de lire dans votre plan d’action 2013-2018 des projets de recherche

dans les domaines de la nutrition et de la santé, de l’environnement, des innovations

éducatives et de l’apprentissage visant à servir les pauvres.

Deux réseaux – ancien et nouveau – une mission : un unique partenariat

Dans le même esprit que mon prédécesseur, je vous assure aussi que ma présence ici

veut vous dire sans l’ombre d’un doute l’importance que revêt pour moi, en tant que

Supérieur Général, et pour tout l’Institut, ce réseau varié que nous appelons l’AIUL,

composé d’universités, d’institutions techniques et agricoles, et d’institutions de haut

savoir qui sont ou non associées à un autre collège ou université. J’apprécie beaucoup

qui vous êtes et ce que vous faites. Ma présence se veut aussi un acte d’espérance

dans ce que vous pouvez accomplir. La création d’un fort partenariat entre nous peut

aussi être un appui et une aide pour toutes les entreprises lasalliennes.

Nos réseaux ont des dimensions universelles et les Frères aussi bien que les laïcs

contribuent à la mission. Plus encore, les deux réseaux, comme nous l’avons exprimé

ici, reconnaissent et accordent de l’importance à notre charisme de fondation, celui de

De La Salle et de ses premiers Frères au 17e siècle, en France. Et les deux s’acquittent

en partenariat de la mission unique que leur a confiée l’Église.

Souvent, cependant, nous sommes tellement passionnés par un lieu donné, un travail

particulier que nous aimons, que nous perdons le sens de l’ensemble. Cela arrive dans

Page 10: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

les deux réseaux. Cela a probablement un aspect positif : nous avons un zèle ardent

pour ce que nous accomplissons dans nos ministères. Mais le risque existe que nous

éliminions ainsi la possibilité d’un plus grand impact dans la mission. Ne pouvons-nous

pas capitaliser davantage sur le caractère international de notre Institut?

Présentement, les deux réseaux ont suffisamment d’autonomie pour bien fonctionner

sans interférences et chacun a bien affirmé son identité, ses façons de travailler et les

structures les plus appropriées. Je ne vois pas de doutes évidents ou de tensions. La

validité de notre réseau d’éducation supérieure, ou réseau tertiaire, ne pose pas

question, surtout lorsque l’on constate que nous sommes en vérité la voix des pauvres.

Il ne doit pas y avoir la crainte que l’un des réseaux absorbe l’autre. Mais je demande

ceci : le temps serait-il venu de revoir les possibilités et de faire un pas de plus, tel que

suggéré par F. Alvaro Rodriguez, maintenant lui-même Recteur d’une université? Je

pose la question également dans le contexte des changements démographiques rapides

dans l’Institut, plus particulièrement pour ce qui concerne le vieillissement et la

diminution du nombre de Frères. La semaine dernière seulement, en fait, lors d’une

conférence à la rencontre annuelle des Directeurs d’établissements secondaires, dans

le RELAN, un conférencier a mentionné l’impact qu’a la distance générationnelle

croissante qui existe dans nos institutions lasalliennes par rapport à la culture mise en

place par les Frères.

Quelle est notre situation actuelle?

D’un côté, on trouve des institutions lasalliennes dirigées par des Frères et/ou par des

laïcs compétents, qui s’identifient parfaitement au charisme de De La Salle et qui offrent

des programmes éducatifs et des projets. Parmi ces institutions, il y a celles où il y a

encore une communauté visible de Frères et celles où la présence des Frères n’est plus

aussi nombreuse qu’avant. La continuité de la m ission est présentement assurée par la

présence de Frères et de laïcs engagés et même, dans certains cas, par des laïcs

seulement.

D’un autre côté, un nombre en croissance d’œuvres éducatives de haut savoir, inspirées

elles aussi par le charisme lasallien, ont davantage d’autonomie et sont gouvernées par

le moyen de structures qui correspondent à ce niveau d’éducation. Dans ces œuvres,

depuis leurs débuts, la présence des laïcs est beaucoup plus grande que celle des

Frères.

Bien sûr, tous ceux qui travaillent dans ces institutions ne se considèrent pas Lasalliens

eux-mêmes, ou n’aspirent pas à le devenir ou à s’en inspirer. Mais plusieurs s’identifient

clairement au charisme et à son héritage mis à jour aux plans spirituel et pédagogique.

Ces derniers représentent le début d’un « mouvement lasallien » grâce auquel les

Frères et les Partenaires sont à la recherche d’une structure d’association pour la

mission par le moyen des réseaux de l’Institut.

Au cours des dernières décennies, nos deux réseaux ont connu des développements

importants. Confronté aux changements démographiques, l’Institut s’est restructuré,

Page 11: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

passant de 11 Régions et environ 60 Districts à 5 Régions, 32 Districts et 2 Délégations.

Le but de cette restructuration a été d’assurer, autant que cela est possible, la vitalité et

la viabilité de la mission et le leadership dont elle a besoin. Mesurer le succès de nos

efforts et des effets imprévus de cette restructuration pourrait, en soi, constituer un sujet

de recherche.

L’AIUL a évolué, comme nous avons pu le voir, d’une idée jusqu’à devenir une

association avec des statuts, des échanges de professeurs et d’étudiants, un

programme de formation à Rome et des initiatives de recherches menées en

collaboration. Ici aussi vous avez pris à cœur les mots de mon prédécesseur : « L’AIUL

devrait cesser de n’être qu’une association bénévole qui surveille ses institutions

tertiaires et partager fraternellement. Elle devrait créer un corps, basé sur ce que nous

avons déjà, qui lui permettra de mettre de l’avant, d’appuyer et de transformé avec

efficacité la mission éducative au niveau tertiaire par le moyen de la fidélité à notre

héritage lasallien (…). Je ne vous invite pas à créer quelque corps géant qui contrôlerait

et paralyserait nos activités et exigerait des ressources énormes, mais bien plutôt un

organisme qui permettrait une collaboration modeste mais efficace. »

Je suis certain que votre programme de formation à Rome, ces dernières années, a été

davantage apprécié en tant que collaboration efficace et renforcement des liens entre

vos professeurs et les membres de votre personnel qui y ont participé. Il y a trois ans,

l’Université Saint-Mary’s, à Winona, MN, a inauguré son premier Symposium de

recherches lasalliennes. Lors de sa dernière rencontre, en septembre, des

représentants sont venus des cinq Régions de l’Institut, incluant le Directeur des

ressources lasalliennes et des recherches pour l’Institut, F. Diego Munoz. Plus

récemment, le 45e Chapitre Général a décidé de confier au Supérieur Général de

« désigner un Conseiller général pour accompagner l’éducation lasallienne supérieure et

de recommander sa désignation au Conseil d’administration de l’AIUL. »

J’ai appuyé personnellement cet appel à la collaboration et, comme preuve de cette

conviction, j’ai nommé F. Gustavo Ramirez au Conseil général pour servir de liaison

auprès de l’AIUL dans les domaines relatifs à la mission éducative. Comme je l’ai

mentionné auparavant, alors que les données démographiques de l’Institut changent

rapidement, est-ce que nos deux réseaux transmettent mieux ensemble notre vision,

nos espérances, nos rêves pour ceux qui sont confiés à nos soins, spécialement les

pauvres? Est-ce que ça ne va pas augmenter notre « pouvoir de transformation » à aller

de l’avant? Qu’est-ce que nous avons à perdre? Qu’y gagnons-nous?

Quelques autres pas possibles?

Au cours des vingt dernières années, à chacun des quatre derniers Chapitres Généraux,

des propositions furent proposées et adoptées, qui concernaient la contribution que nos

universités, nos collèges et nos institutions d’éducation supérieure pouvait offrir à la

mission lasallienne. J’ai souvent eu un sentiment mal défini à ce sujet. Non pas parce

que je n’étais pas d’accord avec ces propositions; je suis certain d’avoir voté pour

toutes. J’attribue cette ambivalence au fait qu’alors que certains des délégués étaient

Page 12: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

engagés directement en éducation supérieure, l’Institut lui-même et ses ministères

n’avaient pas de plate-forme pour un vrai dialogue et pour un échange de vues. Mes

sentiments étaient donc : voici ce que souhaite l’Institut, mais qu’est-ce que nos

universités souhaitent? Voilà pourquoi je vous suis reconnaissant pour ce qu’est

devenue l’organisation aujourd’hui. Les dernières années ont été témoins de beaux

développements et d’une augmentation des échanges et des communications. Mais

nous avons encore du chemin à parcourir.

À l’heure qu’il est, je ne veux pas entrer dans les détails. Si je le faisais, je ne

respecterais pas ce que je viens tout juste de vous dire. Mais je vais rappeler quelques

propositions issues du dernier Chapitre Général, simplement pour les porter à votre

attention et pour d’éventuels échanges. Je le ferai sous cinq titres : organisation,

recherche, vocations lasalliennes et formation, développement de notre présence en

éducation tertiaire et collaboration avec d’autres organisations.

Organisation

En plus d’avoir nommé un Conseiller général responsable de l’éducation supérieure,

une autre proposition de notre dernier Chapitre Général fut de créer le Conseil

international de la mission éducative lasallienne. Le premier pas a consisté à former un

comité spécial pour écrire les statuts de ce conseil d’Institut; ce travail a été terminé il y

a deux semaines à Rome. Ce conseil sera formé de neuf membres, soit 1/3 de Frères et

2/3 de Partenaires. Chacune des cinq Régions de l’Institut y aura un représentant. On y

a réservé une place pour un membre du Conseil exécutif international de l’AIUL. Cela

représente un pas de plus en vue d’une coordination plus rapprochée avec vous en

faveur de la mission lasallienne.

Recherche

Concernant la vitalité de la mission, le Chapitre a reconnu à nouveau que les universités

peuvent apporter leurs compétences en recherche, comme cela se fait déjà à quelques

endroits. Travaillant en collaboration, les deux réseaux peuvent mener des recherches

sur des sujets comme l’économie, la culture de consommation, les nouveaux pauvres, et

les nouvelles pauvretés, et comment tout cela touche les jeunes et les adultes qui

fréquentent nos institutions.

Malgré le bon travail de F. Diego Munoz et des Services des ressources et de la

recherche au centre de l’Institut, il s’agit d’un domaine qui a constamment besoin d’être

renforcé. Quand on se projette dans l’avenir, il est improbable que l’on puisse encore

trouver un groupe de chercheurs parmi les Frères, comme ce fut le cas dans le passé.

J’aime croire qu’il se trouve dans l’une ou l’autre de vos institutions des jeunes, des

professeurs non-permanents qui sont à la recherche d’un créneau dans le monde de la

recherche. La recherche, avec une couleur lasallienne, pourrait être menée à partir de

domaines comme l’éducation, l’histoire, la théologie, la sociologie et la spiritualité. Vous

avez reçu, fin janvier, une lettre annonçant la tenue de la 6e session de la SIEL. Tenue à

Rome en octobre prochain, la SIEL est un programme qui s’adresse aux chercheurs

Page 13: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

lasalliens. Nous sommes particulièrement intéressés à des chercheurs qui

proviendraient de vos institutions.

Une raison importante de promouvoir l’éducation supérieure dans une relation forte avec

le réseau de l’Institut est la possibilité que chaque faculté imagine des projets concrets

de recherches, qui impliqueraient leurs étudiants en train de développer des

connaissances et de trouver des applications possibles en vue du bien commun. Les

professeurs des deux réseaux apprendraient les uns des autres et seraient encouragés

à poursuivre leur formation académique et professionnelle. Le domaine dans lequel la

recherche serait entreprise, et les publications réalisées, serait mieux centré si toutes les

universités ou un consortium d’universités travaillaient sur les mêmes problèmes :

l’immigration de l’Amérique du Sud aux États-Unis, ou de l’Afrique à l’Europe, les

travailleurs immigrants au Moyen-Orient, ou la jeunesse en danger, les enfants de la

rue, déplacés par la guerre.

Chaque faculté ou un groupe donné de facultés pourrait définir des domaines de

recherches dans les périphéries ou les marges des sociétés dont parle le pape François

à partir de thèmes comme la santé, la nutrition, et l’environnement, comme vous avez

d’ailleurs commencé à le faire. Travailler avec nos propres modèles institutionnels

pourrait être pensé, mis en marche et suivi. Chacun des membres des deux réseaux,

étudiants, professeurs et enseignants, ainsi que les voisinages immédiats, pourraient

trouver avantage à cette collaboration.

Les vocations lasalliennes et formation

La recherche, au moins dans le monde occidental, nous dit que les jeunes adultes

retardent leurs choix de vie jusqu’à la fin de la vingtaine et même au début de la

trentaine. Est-ce que les universités lasalliennes et les institutions lasalliennes

d’éducation supérieure, en collaboration avec les chargés des vocations des Districts,

de la Région et de l’Institut, pourraient développer des stratégies plus efficaces de

promotion des vocations lasalliennes au niveau tertiaire, à la fois pour la vie de Frères et

pour les éducateurs lasalliens intéressés? Afin de commémorer le 300e anniversaire du

décès de saint Jean-Baptiste de La Salle, le Chapitre a désigné l’année 2019 comme

étant l’année des Vocations lasalliennes. Présentement, comme on compte environ 80

novices sur une base annuelle, je ne crois pas que nous devrions attendre 2019 pour

faire face à l’actuel défi des vocations.

Développement de notre présence en éducation tertiaire

Plusieurs de nos Frères africains détiennent un doctorat ou sont en train de le faire. J’ai

rencontré tous les Visiteurs de nos Districts africains en novembre, et je les ai

encouragés à commencer tranquillement l’établissement d’une université lasallienne sur

le continent africain. L’AIUL pourrait nous être ici d’un grand secours dans la réalisation

de ce rêve. De plus, le nouveau cardinal d’Addis Abeba est venu me voir la semaine

dernière, demandant que les Frères prennent la direction de l’Université catholique

Page 14: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

d’Éthiopie. Je ne sais pas encore si nous devrions répondre positivement à cette

demande, mais il faut certainement la considérer.

Collaboration avec d’autres organisations

Répondre avec audace et créativité aux besoins urgents des plus vulnérables de nos

sociétés est une autre proposition, et un défi, lancée par le Chapitre. Je suis heureux de

vous informer qu’il y a trois jours l’Institut a accepté de joindre une coalition avec les

Frères Maristes pour établir une présence et un centre éducatif pour les réfugiés syriens

au Liban. Nous l’appelons le Fratelli project. Il est prévu que tout sera lancé dans les

tout prochains mois. Tout en répondant à la crise actuelle, le but de nos deux

congrégations est de reproduire ce modèle dans d’autres régions qui seront en besoin.

Enfin, pouvons-nous imaginer atteler ensemble nos deux réseaux à deux autres réseaux

de notre famille : les Volontaires lasalliens et UMAEL, l’association des anciens élèves?

Quel extraordinaire vecteur pour le bien ne pourrions-nous pas devenir? Dans ces

temps à haute vitesse que nous connaissons, avec cette technologie qui communique

l’information en un instant à tout le monde ou à peu près sur la planète, il n’y a pas un

seul réseau qui ait la capacité de répondre de façon efficace aux besoins d’aujourd’hui

dans un délai acceptable. La plupart des organisations, toutefois, ont quelques

personnes ou des lieux ou encore des projets qui détiennent des graines d’innovation en

vue de l’avenir, au moins dans une forme partielle. Ensemble nous pouvons trouver et

aider ceux qui sont peut-être en train de pousser dans nos réseaux.

Encore une fois, ce que je viens de présenter sont des orientations générales que le

Chapitre et d’autres instances nous invitent fortement à prendre. J’ai hâte d’entendre

vos idées, alors que, je l’espère, nous ferons ensemble les pas qui nous conduiront

dans un avenir partagé.

CONCLUSION

Dans la toute première de ses Médiations pour le Temps de la retraite, De La Salle nous

dit : « Non seulement Dieu veut que tous aient la connaissance de la vérité, mais il veut

que tous soient sauvés. » Nous avons là notre but et notre mission comme membres de

la famille lasallienne. Dans son exhortation apostolique, La joie de l’Évangile, le pape

François écrit : « L’Église, dans son engagement à l’évangélisation, apprécie et

encourage le charisme des théologiens et leurs efforts savants pour faire avancer le

dialogue avec le monde de la culture et des science. Les universités constituent des

environnements extraordinaires pour organiser et développer cet engagement à

l’évangélisation d’une manière interdisciplinaire et intégrante. Les écoles catholiques,

qui se sont toujours efforcées de joindre leur travail d’éducation à une proclamation

explicite de l’Évangile, sont une ressource très valable pour l’évangélisation de la

culture, même dans les pays et les villes où des situations hostiles nous forcent à une

plus grande créativité dans notre recherche de méthodes appropriées. » (note 9) Ne

s’agit-il pas là d’une bonne raison militant pour une coordination plus rapprochée de nos

deux réseaux? Les universités et nos écoles secondaires et primaires annonçant

Page 15: Words by Bro. Robert Schieler IALU 2015

ensemble la bonne Nouvelle du salut pour tous, en ce monde et dans le Royaume de

Dieu à venir!

MERCI!

Notes :

1. Capelle, Nicolas. Je veux aller à ton école! Pédagogie lasallienne au 21e

siècle. Salvator, 103, rue Notre-Dame-des-Champs, F-75006 Paris, 2006, p.

241.

2. Lombaerts, Hermans. Chapel of Disclosure. Vlaams Lasalliaans Perspectief

Brochure, p. 7.

3. Lauraire, Léon. La conduite des Écoles : une approche contextuelle. Cahiers

lasalliens, No. 61, Maison San Juan Bautista De la Salle. 476, Via Aurelia,

Roma, 2008, pp. 6-7.

4. Ibid. p. 7

5. Ibid. p. 7

6. Maritain, Jacques. Mot prononcé à Manhattan College dans « Historical

note », 30 avril 1951, p. 43-44

7. Ibid. p. 44

8. Ibid. p. 45

9. Pape François. The Joy of the Gospel, Apostolic Exhortation, Pauline Books

and Media, Boston, 2013, p. 92

(La joie de l’Évangile, exhortation apostolique)