delphine outhier
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DelphineOuthier
LaZoneblancheChroniquesdestueursd'auras–2
©DelphineOuthier,2021
ISBNnumérique:979-10-262-8612-7
Courriel:contact@librinova.com
Internet:www.librinova.com
LeCodedelapropriétéintellectuelleinterditlescopiesoureproductionsdestinéesàuneutilisationcollective.Toutereprésentationoureproductionintégraleoupartiellefaiteparquelqueprocédéquecesoit,sansleconsentementdel’auteuroudesesayantscause,estilliciteetconstitueunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelapropriétéintellectuelle.
Àmeschershappyfew…
Chapitre1Saisissantàpleinesmainslatigedeferquidépassaitdel’unedesbriquesdu
mur, je me hissai sur le rebord de fenêtre de l’immeuble en ruines avant dem’installer,doscontrelapierrefroide,unejambependantnonchalammentdanslevide.J’avais trouvé cet endroit lors de l’une de nos traques dans le dédale
labyrinthiquedelavilleenruines,etj’yvenaischaquefoisquej’avaisbesoindecalme et de silence et que la vie au campement, avec les autres, me donnaitl’impressiond’avoirlatêteprisedansunétau.Lolottedisaitquel’endroitpuait«ledeuiletlapoussière»,maisjustementje
croisquele«deuiletlapoussière»,c’étaitcequimeconvenait,àmoi.« Sérieusement, je ne vois pas ce que tu vas faire là-bas, Clarence ! avait
grommelélaborgnelapremièrefoisquejeluiavaisditoùjedisparaissais.C’estvraimentglauque. En plus, on est déjà allés récupérer tout ce qu’on pouvait,alors…»Alorsquoi?avais-jepensésansledireàvoixhaute,tandisqu’ellemelançait
un regard perplexe. En bons zonards, nous avions peut-être récupéré toute lamatière première dont nous avions besoin pour établir le campement – despierres,desbriques,desplanchesdebois,d’anciensrideaux–maiscen’étaitpasçaquejevenaischercherici.Jeneparvenaispasàmerésoudreàluidirequ’ici,oùiln’yavaitplusrienque
cepromontoireescarpéflirtantaveclevideetlenéant,àdixétagesau-dessusdusol, j’avais le sentiment de pouvoir respirer à nouveau, et que la douleur quicreusaituntroudansmapoitrines’apaisait.Qu’ici,j’étaispeut-êtreunespriterrantdansunevillefantôme,maisquejeme
sentais plus libre que nulle part ailleurs, et que je ne craignais pas le silencedense et empoussiéré, ni le sourire figé des poupées gisant sur le sol deschambresd’enfant, parceque c’était aumoins lapreuvequ’il y avait eude lavie,ici,avantl’évacuation.Lapreuvequelestravailleursdel’usined’armementavaientvécu làavec leur famille,etquequelquepart,d’unemanièreoud’uneautre, les murs avaient absorbé un peu de leur voix et de leurs rires, et engardaientl’écho.L’écho…Jen’étaispassûrequeleslieuxetlesobjetsicipossèdentuneaura,
à proprement parler, mais c’était définitivement quelque chose qui s’enapprochait.Unesorted’empreintepsychique,unerésonance…Entouscas,jene
craignaispasde sentir enypassantmesdoigts l’étrangevibrationquiémanaitdesvieuxmursdétruits,etquel’implantamplifiait.Et puis ici, au moins, j’étais vraiment seule avec moi-même, et j’avais
l’assurancequependantquelquesheures,latempêtequisoufflaitsousmoncrâneétaitseulementlamienne.Voilà.Et la raisonpour laquelle jenedisais riende toutcelaàLolotteétaitque je
pressentaisqu’ellen’auraitpascompris.Jevoyaisbienqu’elleaimaitcetteviequenousmenions,notreviedanslazoneblanche.Qu’elleaimaitlecampementetqu’elleétaitfièredecequenousavionsaccomplipoursurvivreici.Qu’ellesesentaitàl’aiseaveclestueursd’auras.Jen’étaispascommeelle.Mêmedeuxmoisaprèsnotreinstallation,j’avaisencoredumalàmemêlerà
eux.Etlefrôlementdeleursaurasmerendaittoujoursnerveuse.« Franchement, je ne te comprends pas, Clarence, avait soupiré Lolotte.
Sérieux.Pourquoiest-cequetunefaispasplusd’effortspourt’intégrer?ÀpartAlonsoquiresteunconnarddepremièreclasse,ilssonttousplutôtsympas,et…—Jesais.—Tusais?avait-elleinsisté.Vraiment?Alorsquoi?»J’avais cherchémesmots. Pour essayer de lui expliquermonmalaise. Pour
essayerdeluiexpliquerpourquoijenemesentaispasàmaplaceparmieux.J’étais restée muette et stupide. Incapable de justifier ma mise au ban
volontaire.« Ils sont commenous. » avait insistéLolotte, comme si c’était le cœur du
problème.Commenous…«LesparentsdeThéosesontdébarrassésdeluiexactementcommelesmiens
l’ont fait, et Nox et Kilian sont entrés dans le programme d’implantation endevenantorphelinsdeguerre.QuantàEdithetAlonso…tusaispourquoiilsontétécondamnésetenvoyésauCentreensemble,pasvrai?»J’avaishochélatête.Edith avait servi de jouet sexuel à certains de ses « compagnons d’armes »
pendantdesmoisetsessupérieursavaientfermélesyeux.Pourfinir,elleavaittuétroisdessoldatsdesonunité,mêmesi«tuer»étaitunmottropfaiblepourdécrirelechâtimentqu’elleleuravaitréservé...Ediths’étaitintroduitedansleurdortoirdanslanuit,etaprèsavoiranéantileur
aura,elleleuravaitcrevélesyeux,coupélesmains,lalangue,et…toutlereste.
Alonsol’avaitcouverte.«Ilssontcommenous,Clarence.Cenesontpasdesmonstres.Iln’yaqu’un
seulvraimonstreici,ettusaisdequiils’agit…»Oui, je lesavais, justement.Jenelesavaisquetropbien.Toutcommejene
savaisquetropbienquec’étaitmoiquiavaispris laresponsabilitéd’emmenerSethavecnous.Voilàpourquoijen’étaispasàl’aiseaveclesautres.Sethétaitunfardeauquej’avaisimposéàtoutlemonde.De là où jeme trouvais, duhaut demonpromontoire, la forêt agitéepar le
vent ressemblait au pelage d’un animal en colère. À l’est, les blocs noirs etsinistres de l’usine d’armement rassemblaient leur masse sombre sous unamoncellementdenuages.Unegouttedepluiemefrappaauvisage.Jel’essuyaimachinalement.Delapluie…Encore.Cela faisait trois joursmaintenant qu’il pleuvait presque sans relâche.Nous
n’avionsplusgrand-chose àmanger, et nousnepouvionsmêmepas lancerdetraque.Àquoi bon ? Il pleuvait à verse.Des trombesd’eau se déversaient duciel,encoreetencore,frappanticidesmursinsensiblesàleurrageoblique,maisdétrempant là-bas, dans la forêt, des sols déjà si gorgés d’eau qu’un rien lesrendaitboueuxetglissants…Unesecondegouttedepluiemefrappaauvisage.Jefermailesyeux.«Clarence?»Je sursautai et tournai le cou avec une rapidité qui m’arracha une grimace
d’inconfort.Lolottevenaitàmoienenjambantlesdébris.«ClarenceMarchal…Qu’est-cequetufaisencorelà-haut?—Rien,bredouillai-je,malàl’aise,aveclesentimentabsurdequ’ellevenait
demeprendreenfaute.—Ouais,c’estça,raillaLolotteenpassantunemaindanssescheveuxnoirs
coupéscourts.Rien…—Ilyaunproblèmeaveclecampement?m’inquiétai-jealors toutàcoup.
AvecSeth?—Non,non,relax,Clarence,soupiraLolottetoutenétudiantlemursousla
fenêtre pour trouver des prises. Aucun problème, d’accord ? Je te cherchais,c’esttout.Pourpapoter,cegenredetrucs,tuvois…Pasbesoindepaniquer…»Papoter ? Je hochai la tête sans conviction tandis qu’elle escaladait le mur
pourmerejoindresurmonperchoir.
«C’esthaut,marmonna-t-elleenjetantunbrefcoupd’œilverslebasavantdelaisseràsontourpendresesjambesdanslevide.—Tupeuxredescendre,situveux…—Tropaimable,Clarence,railla-t-elleenm’observantdesonregardborgne.—Non,jeveuxdire…—Çava,netefatiguepas, jevois trèsbiencequetuveuxdire.Mais jene
suispasdécidéeàtelaissertedéfilerunefoisdeplus.—Medéfiler?Dequoiest-cequetuparles?marmottai-je.Jenemedéfile
pas,jene…— Oh, eh, à d’autres, hein ? me coupa-t-elle avec un reniflement un peu
dédaigneux.Jeteconnaisbien,Clarence.Jesaiscommenttufonctionnes.Jet’ailaissédutempsetdel’espace,parcequec’étaitcequetuavaisl’airdevouloir,etjemesuisditquetumeparleraisquandtuseraisprêteàlefaire,maisbon…—Dequoi…»Sonregardmedissuadad’allerauboutdemadénégation.«Ecoute,Clarence,poursuivit-ellequandellevitquejen’étaispasdécidéeà
parler, pourquoi est-ce que tu ne me dirais pas tout simplement ce qui tetracasse?—Peut-êtrequeriennemetracasse.Etdetoutefaçon,lesgrandsdéballages,
cen’estpasvraimentmon truc, répondis-jeenfinenm’efforçantdenepas luimontreràquelpointjedésiraisqu’ellemelaissetranquilleets’enaille.—Ouaisouais,jesais,concéda-t-elleavecunsouriremoqueur.Maistun’as
qu’àvoirçacommeunequestiond’hygiènepersonnelle.D’hygiènepersonnellepsychique.—Ahoui?relevai-jeavecunhaussementdesourcilssceptique.—Binoui,parcequesi tunesorspas tout,Clarence,àunmomentoùàun
autre,çavafinirparteboufferdel’intérieur.—Cen’estpasàcepoint-là,franchement,etjenesaispas…»Je m’interrompis brusquement, incapable de dire quoi que ce soit d’autre
tandisqueladouleurtapiedanslecreuxdemapoitrineseréveillait.«Tuvois,c’estdeçaquejeveuxparler,déclaraLolotteavecunpetitrictus.
Tutefermescomplètement.Tuterepliessurtoi.Jenet’avaisjamaisvuecommeçaavant,Clarence,mêmepasauCentral.Ettonauraachangé.C’estcommesiunepartdetoiétaitentraindemourir.Mêmelesautresl’ontremarqué.»Sesparolesm’atteignirentdepleinfouet.« Non, ce n’est pas comme ça, protestai-je, heurtée par sa violence et sa
crudité.Cen’estpas…
—Si,insista-t-ellealors,impitoyable.C’estexactementcommeça.Jelevois.Sérieusement,jelevois,Clarence.Touslesjours.C’estexactementcommeça,etc’estcommeçadepuisqu’ilestparti.»Jeme tendis,brusquementauxabois.Jen’avaispasenvied’entendrecequi
allaitsuivre.Jenevoulaispasl’entendre.«Jenesuispasidiote,tusais,poursuivit-elleavecplusdedouceurtandisque
je luttai pour garder sous contrôle l’insupportable douleur qui me lacéraitdésormaislesentrailles.Et jesaisquetuneveuxpasl’entendre,maisc’estunfait,Clarence.Et c’est pour ça aussi que tu viens ici dès que tu peuxpour nerepartirqu’aprèslecoucherdusoleil.»Jesecouailatêtecommesijepouvaischassersesparoles,ennierlesens.«Onvoitleslumièresdelafrontièreaprèslatombéedelanuit,pasvrai?»Les lumières de la frontière…Une traînée de feu blanc déchirant l’horizon
commeuneplaiequerienneguérit.Jenerépondispas.«Qu’est-cequis’estpassé,Clarence?demanda-t-elle,conscientequ’elleme
poussait dansmesderniers retranchements, à la fois désolée et résolue. Il fautquetumeledises…—Non.—Clarence…—Non.Ilestparti,etc’esttout.Iln’yariendeplusàdire.—Ce n’est pas vrai. Il y a beaucoup plus à dire que ça. Il est parti, et tu
attendssonretour,tu…—Non,lacoupai-jesèchementenluicoulantunregardnoir.Jen’attendspas
sonretour.Jen’attendsriendutout.»Ellemeregardaunmomentensilence,sonœilglauqueetvoiléimmobile,et
l’expression de compassion sur son visage me fut si insoutenable que je medétournaipourneplusavoiràluifaireface.«Franchement,Clarence!râla-t-elleenfin.Pourquoiest-cequetufaisencore
commesitun’enavaisrienàfaire?Onsaittouteslesdeuxquecen’estpasvrai.C’estquandmêmepassidifficiled’admettrequetutenaisàlui,si?»Si.«Àmoi aussi ilmemanque aussi, ce connard, poursuivit-elle.Mais ça fait
deuxmois…»Deux mois et trois jours, en fait… Je me gardai cependant bien de la
reprendre.«…alorsilserabientôtlàavecMathilde.»
Jehochai la tête sansgrandeconviction, et enguisede remontranceLolottemedonnadansl’épauleunebourrade«amicale»quimeforçaàmeraccrocherauxmontantsdelafenêtrepournepastomberdanslevide.«Oups ! rigola-t-elle. Désolée !Mais allez, quoi, sérieusement, secoue-toi,
Clarence!Toutcetoptimisme…çafaitpeur...—Sympa,grimaçai-je.—Enplus,onadéjàSethcommecasseurdemoral,alors...Eh,attends…Est-
cequ’ildéteintsurtoi?»Jelevailesyeuxaucieltandisqu’unsourires’invitaittraîtreusementsurmes
lèvres.« Eh ! Il va pleuvoir, non ? demanda alors Lolotte, sourcils froncés, en
regardantlesnuagesdévalersurlaforêtàl’est.— Probablement, acquiesçai-je en accueillant avec reconnaissance le
changementdesujet.J’aisentidesgouttes.—Sérieusement?Encore?Mesaffairescommencenttoutjusteàsécher!Et
onn’amêmepasfinidedéplacerlereste!Ilfautrentrermaintenant.»Selaissantglissersurlesolaccidenté,ellerepassaàl’intérieurdubâtiment.«Allez,bouge-toiClarence!»Je commençai à la suivre par réflexe etm’arrêtai un instant pour glisser un
regardversl’ouest,endirectiondelafrontière…«Ta fichue frontière sera encore là demain, Clarence !me cria Lolotte qui
avaitdéjàgagnélaporteetallumésalampetorche.Sérieusement…Bouge-toi!Sic’estcommeladernièrefois,lesautresvontavoirbesoindenous!»La dernière fois… les baraquements avaient été inondés, et nous avions été
forcés de rassembler toutes nos affaires sous une bâche en attendant la fin dudéluge…JesuivisLolotteàcontrecœur,etnousdescendîmeslesdixétagesd’escaliers
enruinequinousséparaientdusol.Àpeineavions-nousgagnélesruessilencieusesetplongéesdanslesombres
du crépuscule que la pluie commença à tomber, compacte, dure et glacée,déchirant en stries le faisceau de lumière de nos lampes torches, heurtant nosvêtementsetlesolcommesiellepouvaitnousforceràdisparaître.Enquelquesinstants,nousfûmestrempées.Lolotterâla.«C’estquoicetemps?Çafaitdéjàtroisjours…S’ilpleutencorecommeça
demainetlesjoursquiviennent…»Ellen’ajoutarien,maisellen’eneutpasbesoin.Jesavaistoutdel’inquiétude
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