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À mon fils

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Pelotonnée dans le canapé du salon, une couverture recouvrant son corps, Fauve feuilletait l’album photo de son enfance. Elle en pointa une du doigt, la caressa. Elle avait trois ans, un poupon en celluloïd dans les bras, et souriait à l’objectif assise à côté de sa mère qui tenait sur ses genoux son frère Guillaume, âgé de huit mois. Sur un autre cliché, elle donnait la main à sa grand-mère Emilie, sa Mamée adorée, qui lui racontait en les mimant, de merveilleuses histoires et lui fredonnait des chansons de son temps.

Elle ferma les yeux et songea : « Les souvenirs s’agrippent à nos âmes, comme le

lierre se cramponne à la pierre. » Elle revoyait les maisons de ses grands-parents,

celle de la ville pour ceux de sa mère et de la campagne pour les parents de son père.

« Mamée des villes et Mamée des champs » Elle sourit mélancoliquement en se disant que les

générations s’écroulaient derrière elle, comme des

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pans de murs d’une ville en ruine, tombant l’un après l’autre.

Fauve soupira et, à travers la baie vitrée, il lui sembla que le temps ralentissait sa course, comme suspendu. Le ciel gris et menaçant l’angoissait.

Il lui faudrait trouver un terme exprimant cette impression de froid, de malaise que l’on éprouve à l’approche d’un événement dont on devine qu’il nous transformera irrémédiablement à notre corps défendant.

Que pour la première fois de votre vie, il y aura un avant et un après et que l’on ne sera plus exactement la même personne.

Comment pourrait-elle appeler cette sensation, ce mélange de certitude et d’appréhension ?

Sa fille de treize ans était à son cours de natation synchronisée et Thomas son mari, bricolait dans le garage.

Elle continua à tourner les pages de l’album. Que revoyait-elle ? « Beaucoup trop de choses ! » Que savait-elle ? « Qu’on payait souvent très cher le fait de

connaître la vérité. » À nouveau, elle fixa intensément un cliché, ferma

les yeux, et une odeur d’herbe l’enveloppa. Elle entendit le murmure du chant nostalgique dont se berçait la nature et soudain, dans le kaléidoscope planétaire, les fragments brassés par le mouvement perpétuel prirent une direction, une forme, un sens, s’immobilisèrent en un tableau, le temps d’une vision, d’un déclic, pour préserver l’instantané.

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Une lucarne venait de s’ouvrir sur le passé, une alchimie se dégageait en une douloureuse renaissance.

Guillaume, son frère, n’avait que six ans, mais il courait aussi vite qu’elle dans la pinède où ils s’amusaient avec les enfants de la petite Cité.

C’était le début de l’été, les cigales reprenaient leur chanson de lumière. Ils jouaient aux gendarmes et aux voleurs ; Fauve adorait se cacher derrière les arbres et entendre leur mère les appeler du balcon à l’heure du repas.

Leur père n’était pas là ce midi, déjà parti au bureau à Aix en Provence, il n’en reviendrait qu’après vingt heures, travaillant chez E.D.F en trois-huit. Les jours d’école, lorsqu’il rentrait vers vingt et une heures, ils étaient déjà couchés, mais quelquefois, les entendant rire et s’amuser, il venait les embrasser ou leur donner la fessée, selon son humeur.

Bientôt, ils partiraient tous les quatre à la montagne avec la caravane, et termineraient les vacances chez les grands-parents.

Le jour du départ arriva et, très excités, ils grimpèrent à l’arrière de la voiture, se retournant sans arrêt pendant le trajet pour s’assurer que la caravane suivait toujours, tellement fiers de transporter leur maison derrière eux.

Leur père se tenait bien droit, les mains sur le volant et leur mère demanda, soudain inquiète, s’il avait mis la glacière dans le coffre.

– Mais oui, arrête de te faire du souci ! Il sourit. Eux, derrière leurs dos, commençaient

déjà à se chamailler. – Cela suffit vous deux ! tonna leur mère.

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Enfin calmés et silencieux, après un laps de temps assez long, la voiture stoppa dans un sous-bois.

– Allez, dégourdissez-vous les jambes ! Ils avancèrent en sautillant dans les fourrés,

pendant que les parents faisaient quelques pas. Si l’été avait un goût, il aurait la saveur des fraises

des bois, l’odeur des fougères, si vertes, si fraîches. Mais leur mère les appela trop vite et ils

repartirent. – Regardez autour de vous les enfants ! Les

arbres… le lac… les montagnes… la magnificence de la nature ! Elle doit vous inspirer de l’émerveillement, de l’admiration, et surtout du respect, lança-t-elle dans une envolée lyrique.

Ils comprenaient ce dont elle parlait, tout était si beau !

La voiture roula encore et encore, puis enfin ralentit un peu.

Dans un pré, des vaches recherchaient l’ombre. Les pâturages n’avaient d’herbe fraîche qu’au plus près de l’eau. Un seau de bois cerclé de fer dans chaque main, une vachère se dirigeait vers un troupeau agglutiné sous les branches de chêne. Guillaume, tout heureux, montrait les grosses bêtes de la main.

Près d’une ferme, ils croisèrent un paysan portant un grand panier débordant de choux et de salades. Souriant, il les salua, et ravis ils agitèrent leurs mains. Après avoir traversé le charmant petit village tant espéré, ils arrivèrent enfin au camping. L’installation fut assez longue, surtout pour placer l’auvent, mais ils eurent tout de même le temps, avant le repas du soir,

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de parcourir un joli sentier, entre les genévriers et les petits chênes qui frémissaient sur leur passage.

Ils entendaient les sabots des brebis rentrant à la bergerie. Le ciel était d’un bleu limpide. En arrivant près de la rivière, leur père leur montra des galets blancs tout en expliquant la façon dont il fallait les lancer sur l’eau, pour faire des ricochets. Après quelques essais infructueux, ils repartirent entre les orties et les buissons de clématites et firent une halte.

Assis sur une grosse roche, ils étaient bien. Le soleil finissait de dorer les champs. Le chemin du retour fut joli, entre deux murets de pierres cuites par le soleil, aux pieds desquels s’étalait une bordure d’herbes folles et de ronces.

– Demain, nous irons au lac, lança leur père en découpant un melon. Tiens ma fille, du « moulon » pour toi, dit-il en riant.

– Je n’ai plus quatre ans ! – Ce n’est pas si loin, le temps où tu écorchais le

mot melon, répondit sa mère en souriant. – Je ne disais pas « moulon » ! – Pardon… Mademoiselle, ricana-t-il. – Laurent, tu présentes des excuses à ta fille ? – Elle a déjà perdu la mémoire, la pauvre ! Alors Fauve éclatait de rire. Les dix jours passèrent à une vitesse folle, entre les

baignades au lac, les promenades en barque, très surveillées par Martine leur mère, qui agitait sans arrêt les bras de peur qu’ils ne s’éloignent trop ! Il est vrai que, si les enfants nageaient très bien, leur père ne savait pas. Fauve et son frère, assis à l’avant face au rameur, lui demandaient craintivement de ne pas aller trop loin.

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– Je sais tenir les rames, rétorqua-t-il vexé, et je sais aussi… nager !

– Seulement avec les bras… murmurait-elle à son frère en pouffant de rire.

Après quoi, elle ajoutait bien fort : – Je n’en doute pas, papa ! Mais, regarde maman

qui s’égosille ! Alors, lentement, il revenait près de la rive.

Le lendemain, ils partirent se promener dans la forêt. Guillaume les devançait. Fauve l’aperçut, immobile, comme cloué sur place, les yeux fixés sur un bouquet touffu de jeunes arbres et d’arbustes. Sans faire de bruit, elle s’approcha. La forêt bruissait de pépiements d’oiseaux, de frôlements, et les rayons du soleil couchant couraient à l’horizontale entre les troncs d’arbres, éclaboussant de lueurs orangées les taillis.

Un lapin, assis sur ses pattes postérieures, lançait autour de lui des regards craintifs, ses longues oreilles frémissaient, captant les sons. Les enfants retenaient leur respiration, mais le craquement des pas de leurs parents le fit s’enfuir tout d’un coup.

Les journées s’enchaînaient, les jeux aussi. Les courses après le ballon dans les prés, les parties de badminton, la traditionnelle pétanque du soir organisée par le directeur du Camping, pour les adultes ainsi que les enfants et pour une fille, Fauve gagnait souvent. Elle était si fière d’arriver en finale, sous le regard de tous les autres joueurs et de certains spectateurs, si heureuse de capter l’attention de son père, dont elle souhaitait quelques compliments. Peut-être est-ce pour cela qu’elle se comportait souvent en garçon manqué !

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Le seul jour où l’orage éclata, ils avaient projeté de visiter une ferme. L’averse s’arrêta au moment où Laurent gara leur véhicule dans la cour.

Fauve huma l’air… À cause de la pluie, toutes les odeurs devenaient plus fortes. Celles qui venaient de l’étable toute proche, âcre. Celle du fumier aussi, entassé dans un coin de la cour et sur lequel picoraient quelques poules.

Elle jeta un coup d’œil vers le bosquet d’en face. À l’orée du bois, les chênes s’inclinaient sous le vent.

Toine le fermier, n’arrêtait pas de leur dire qu’il était très content de les recevoir. Un jappement leur fit tourner la tête. Un petit chien marron et feu, à poils ras et durs, se précipita vers eux en remuant son derrière. D’abord surpris, les enfants reculèrent, puis se penchèrent pour le caresser.

– C’est un bon truffier, dit Toine. Quand il eut terminé ses fêtes, le chien s’éloigna à

l’autre bout de la cour, Guillaume voulut le suivre, Martine l’en empêcha,

alors son petit visage se renfrogna et il dit. – Il est joli, mais on dirait une saucisse. – C’est un Teckel, répondit Toine en éclatant de rire. Ensuite, il les fit entrer à l’intérieur de la maison.

Dans une immense pièce, une grande table en bois trônait au milieu, entourée de chaises empaillées.

Au centre du mur principal, se trouvait une cheminée avec les chenets pour poser les bûches ainsi qu’une crémaillère à laquelle était suspendue une marmite, dont le fumet odorant réveilla leurs papilles. Un trépied, sur lequel trônait une grande poêle à queue, était posé à côté. Ils burent chacun un grand verre de limonade servi par Jeannette la fermière, aux

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bonnes joues rouges, et mangèrent un gros morceau de clafoutis aux cerises.

Le jour du départ, leurs voisins de camping, avec lesquels ils avaient bien sympathisé, leur souhaitèrent bonne route en les embrassant.

– Soyez prudents !

La voiture stoppa devant la maison de Mamée Emilie à l’instant même où l’horloge de la ville sonna les douze coups de midi.

Un tablier autour de la taille, elle sortit sur le perron et son visage s’illumina d’un beau sourire.

– Enfin, vous voilà ! Mémée Julie, leur arrière grand-mère, les attendait

dans le fauteuil de la salle à manger, les mains croisées sur les genoux, ses cheveux grisonnants coiffés en petit chignon rond derrière la tête. Maintenant ses doigts noueux l’empêchaient de tricoter. Pourtant avant, aucun point n’avait de secret pour elle et c’est à deux ou quatre aiguilles qu’elle se lançait dans la confection de gilets, de pulls, de chaussettes, de gants et de moufles. Grâce à elle, ils avaient toujours bien chaud en hiver. À présent, leur mère achetait les pulls au supermarché.

Quant à Papé Justin, son éternel béret noir vissé sur le crâne, il revenait de promener le chien Filou. La cuisine embaumait.

Après les embrassades, le repas fut joyeux et réussi comme toujours. L’ambiance était à la gaieté et à la tendresse.

Filou, épuisé d’avoir bénéficié de tant d’attentions, sommeillait déjà dans son panier. Après le café, leur père lança un coup d’œil interrogatif à Martine.

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Cette dernière hocha la tête, alors Mamée Emilie lui dit.

– Laurent, tu pars déjà jouer au tennis ? – Je ne rentrerai pas tard ! Et puis, je vais retrouver

les copains ! Chaque fois, c’était la même chose. Une fois

arrivé, il s’éclipsait rapidement pour son loisir préféré.

Fauve et Guillaume, après avoir demandé la permission à leur mère, sortirent jouer sur l’aire de jeux du lotissement. Les jolies maisons étaient bordées de petits jardinets fleuris, et c’est avec une joie non dissimulée qu’ils retrouvèrent les petits voisins.

Une semaine après, Fauve déambulait dans le jardin de ses grands parents paternels.

À une extrémité, un carré assez grand était planté de salades, de tomates et de courgettes. Au bout du jardin potager, sur des abricotiers, les fruits bien mûrs attendaient d’être cueillis.

Tout alentour, s’étendaient des parterres fleuris, des oliviers, des amandiers et des cerisiers.

Le chant des cigales la ravit, celui du coq matinal, un peu moins. Le dindon dans son petit endroit grillagé lui donnait la chair de poule, quand il glougloutait et que des grappes de colère lui pendaient au bec.

Elle aimait cette bâtisse aux vieux murs de pierres. À l’intérieur, la pièce à vivre était décorée d’un mobilier Henri II, assez austère, mais des rideaux de dentelle crochetée, à motif d’oiseaux et de fleurs, l’égayaient.

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Papé Marcel leur avait installé une balançoire dans un arbre, une simple planche en bois, fixée aux extrémités d’une grosse corde.

Il avait eu une légère coronarite voilà quelques mois et un grand besoin de soins attentifs, mais il allait mieux à présent.

Lorsque leur cousin Pierre venait, c’était le fils d’Albert, le frère de Laurent et de leur tante Michèle, ils se disputaient la place et s’amusaient alors à pousser la planche tellement fort, que Pierre s’agitait pour en redescendre rapidement.

Quant à Mamée Léonie, elle laissait Fauve malaxer la pâte qui servirait à confectionner la tarte aux pommes pour le dessert, et en riant aux éclats, elle pointait de son doigt les mains emplâtrées et le visage enfariné de sa petite-fille.

À table, il fallait éviter de parler politique avec papé Marcel, car, lorsqu’il arborait ses idées, si une personne de l’assistance n’était point de son avis, son visage devenait écarlate et il s’époumonait à en perdre la respiration, ce qui affolait sa femme qui répétait sans cesse.

– Arrête Marcel, tu vas être malade ! Mais il continuait et Léonie aussi. – Mon Dieu, quel idiot ! Comme si ce qu’il disait

allait changer le monde ! Mais la tirade de Marcel prenait de l’élan. Alors,

elle se mettait à tousser en faisant signe qu’elle s’étouffait et lui, tapait dans son dos en s’effrayant.

– Tu vois ce qui arrive, à force de vouloir m’empêcher de parler !

Le calme revenait et mamée Léonie lançait à ses petits enfants, un clin d’œil complice.

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Ils adoraient le soir, où après le repas, sous la treille, avec leurs grands parents et leurs parents, assis sur un vieux banc de bois, ils écoutaient le piaillement des oisillons sur les branches, pendant que les grillons entamaient leur chanson.

Les jours passaient, aucun nuage ne venait assombrir l’éclat du ciel, ni leur état d’esprit. Ils étaient tous heureux.

Ils firent de longues promenades dans la garrigue, découvrirent, entassées en ribambelle ou bien éparpillées, entre les asphodèles et les genêts, de vieilles pierres.

– Les pierres parlent à qui sait les entendre, leur conta Papé Marcel, car les pierres de nos garrigues, en capitelles ou en murets, racontent les histoires des hommes du temps passé.

– Tu es un poète Marcel, s’extasiait Mamée Léonie.

– Tu te souviens des poèmes que je t’écrivais ? – Ils sont rangés dans une boîte, répondait-elle

émue. Les ronces et les clématites sauvages envahissaient

ces vieux murs et au bord des sentiers, fleurissaient des petits liserons roses.

Ils cueillirent des mûres sur des ronciers touffus, sortirent les mouchoirs pour y déposer les baies noires, petites, brillantes. Celles qui avaient encore quelques grains rouges au goût plus acidulé, étaient celles que Fauve préférait.

– Attention à ne pas vous piquer les enfants ! – Nous faisons attention Papé… et à ce moment là,

Guillaume criait : – Aie, aie… en suçant son doigt.

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– Et voilà ! disait en riant papé Marcel ; et il ajoutait :

– Quand on a cueilli les mûres, on a cueilli l’été ! Ils rentraient à la maison, les mains collantes et

barbouillés de rouge et de violet. Le dernier soir, en rentrant de la promenade, un

crépuscule rouge auréola les rondeurs des collines, et ils s’usèrent les yeux dans le cercle du soleil qui se défaisait lentement à l’horizon.

La route plongeait entre les genêts chargés d’insectes. Les cigales zézayaient, la brise se chargeait des mille odeurs de la garrigue et Fauve respira à fond, pour les savourer.

La nuit parut courte. Mamée Léonie fut debout la première.

– Déjà levée, lui dit son fils. – Avec l’âge, le sommeil s’amenuise mon grand. Elle prépara un solide petit déjeuner et ils

dégustèrent les grandes tartines beurrées, la confiture de figues et de groseilles accompagnées du lait fumant, du café, avec appétit et bonheur.

Ils partirent à regret, en embrassant bien fort leurs grands-parents.

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Et la vie reprit son cours normal. Martine les amenait à l’école, allait les rechercher, préparait les repas, nettoyait, rangeait, criait, les cajolait.

Un jour, en rentrant pour déjeuner, ils virent une petite boule de poil gris qui dormait sur une chaise, regardèrent leur mère qui dit en souriant.

– Il est à vous. Qu’il était joli ce petit chat ! Ils n’osaient pas le

déranger dans son sommeil et décidèrent d’un commun accord, de l’appeler Mistigris.

Par la suite, ils s’en servirent comme d’un jouet. Fauve le promenait dans le landau avec ses poupées, ce qui n’était pas toujours au goût du matou !

Le soir, à l’heure du coucher, il se cachait sous leurs lits et Martine avait toutes les peines du monde à le déloger, même en agitant le manche du balai sous leurs couches, afin qu’il aille retrouver son panier.

Laurent continuait son travail en trois-huit, et ses jours de repos ne tombaient pas automatiquement le samedi et le dimanche. Quelquefois, c’était lui qui allait les chercher à l’école.

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Les rares fois où il avait ses week-ends, ils partaient promener dans de jolis coins, comme la Fontaine de Vaucluse où, à cette époque, Fauve et son frère, ne retinrent que les noms de Pétrarque et de sa muse Laure… aux Baux de Provence, ce magnifique village au cœur des Alpilles, où de nombreux artisans exposaient leurs produits provençaux, et ils se régalaient de courir dans l’herbe autour du Moulin d’Alphonse Daudet à Fontvieille, dont l’auteur s’était fortement inspiré pour écrire « Les lettres de mon moulin » et de son meunier pour les aventures de « Maître Cornille ».

Un jour, Martine et Laurent s’aperçurent que certaines des dents de lait de Fauve ne tombaient pas, et la radio panoramique démontra dans sa bouche, un désordre total.

Il fallut lui en enlever plusieurs, afin que ses dents définitives puissent prendre leurs places correctement.

Ce fut son père qui l’amena chez le dentiste à Aix en Provence et elle ne l’avait jamais connu aussi doux à son égard. Ils y retournèrent plusieurs fois et aussi bizarrement que cela puisse paraître, malgré une certaine crainte, Fauve était presque contente, d’aller seule avec lui à ces rendez-vous.

– Mets bien ton écharpe sur la bouche, ne prends pas froid. Tu as été très courageuse, c’est bien ma fille.

Il prenait sa main et pressait le pas, afin qu’ils puissent s’engouffrer rapidement dans la voiture.

Elle venait d’entrer au CM2, quand sa mère fut souffrante et passa une série d’examens. Elle percevait une atmosphère pesante dans leur vie quotidienne, et sentait bien que ses parents

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échangeaient devant eux des commentaires sur des sujets sans risque.

Martine souffrait d’insomnies et dans la journée, elle était très fatiguée. Les vacances de Noël arrivèrent et ils partirent chez mamée Emilie.

Une fois installés chez elle, ils visitèrent avec leurs parents, des villas, beaucoup de villas, et après que ces derniers en aient choisi une, ils apprirent qu’elle deviendrait leur prochaine maison.

Ensuite, avec mille précautions, grand-mère Emilie leur avoua que Martine allait être opérée.

L’hiver avait étendu sur la ville son sinistre manteau de froidure, la bise se fit plus mordante et la nuit se mit à tomber très tôt. Un sentiment de tristesse régnait dans la maison.

Cette année, des fêtes de Noël, personne ne parlait. Martine les rassura du mieux qu’elle put et la

veille de son opération, leur père les conduisit chez mamée Léonie et papé Marcel.

En arrivant, le jardin leur sembla lugubre. Les branches des arbres sans feuille, se penchaient sous le mistral qui soufflait, courait dans la garrigue, gelait hommes et bêtes de son haleine glaciale.

Une fois leur père parti, et après le repas du soir, Fauve vida son cœur à mamée Léonie, comme on crève un abcès. Cette dernière s’employa à le guérir en la rassurant, pendant que Guillaume regardait la télévision avec papé Marcel.

Son angoisse s’atténua et elle put s’endormir assez sereinement.

Le lendemain, le soleil frappait la garrigue et le vent s’était atténué. Emmitouflés, ils partirent se

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promener avec leurs grands-parents. Fauve huma toutes les senteurs contenues dans l’air. Le thym et le romarin dominaient.

Le paysage accidenté cachait ses trésors. Là, des sureaux noirs abritaient des rouges-gorges. Ici, des buis, des genêts et des petits houx se partageaient un val rougi par des coulées de terre.

Papé Marcel leur montra l’orbite d’un terrier qui s’enfonçait entre deux touffes de thym. Il leur apprit qu’au Printemps, les asperges sauvages pousseraient au pied ou à proximité de certains buissons.

– Comme ceux-là ! Ils se nomment « Asparagus » et nous reviendrons en cueillir à ce moment là.

– Puis, nous préparerons une omelette et c’est toi qui la feras Fauve ! dit mamée Léonie.

– C’est vrai ? – Mais bien sûr que c’est vrai ! répondait Papé

Marcel. À force de marcher, ils trouvèrent un chemin de

terre qui les amena vers une profusion de chênes verts. Le mistral les avait tous poussés du même côté et ils penchaient leurs têtes vers le levant. Ils entendirent des oiseaux, des rongeurs.

À présent, le silence pesait. Il pesait sur les ramures immobiles, sur les herbes et les brindilles. Il pesait sur Fauve.

– Nous sommes perdus ? demanda-t-elle. – Mais non fillette ! répondit son grand-père.

Venez, avançons. Elle fut soulagée, les troncs se clairsemaient. Un

grand pan de ciel bleu entra soudain dans leur champ de vision, quand ils émergèrent enfin de l’ombrage.

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Un peu plus loin, la terre s’ouvrait. Un trou, rond, profond.

Poussés par la curiosité, Guillaume et elle voulurent s’en approcher.

– Revenez-ici ! cria mamée Léonie, c’est dangereux ! Il sembla à Fauve, qu’une atmosphère étouffante

s’en dégageait. – Pourquoi as-tu voulu passer par là ? maugréa

leur grand-mère à papé Marcel. Fauve se dit que quelque chose pouvait surgir de

ce grand trou, et ce qui lui restait d’intrépidité s’envola, lorsqu’ils entendirent un tintement.

– Mamée, j’ai peur ! dit Guillaume. – Mais non, quelqu’un se promène, répondit-elle

en souriant. Le tintement se fit entendre à nouveau. Quelqu’un

frappait le sol avec un objet en ferraille et soudain derrière des arbrisseaux, une femme avec un long bâton de fer et un fichu noir, un grand sac bourré d’herbes sur l’épaule, apparut.

– Pour les lapins, dit-elle en désignant la besace, avec un petit sourire en coin qui laissait entrevoir une mâchoire édentée.

Elle leur fit peur, avec son menton pointu, son nez en forme de serpe, son corps maigre, sa figure très brune, labourée de rides profondes.

– Si tu as besoin, je peux les garder de temps en temps, dit-elle à leur grand-mère, en les fixant.

– C’est gentil, mais ils ne resteront pas longtemps. Après un signe de tête, elle continua son chemin. – On dirait une sorcière, dit Guillaume.

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– Oui, mais elle n’est pas méchante, répliqua grand-mère. Elle est veuve et n’a pas beaucoup d’argent. Pierre te dirait qu’elle est gentille, de temps en temps elle lui donne des bonbons.

Ce qui ne les rassura pas du tout. Ils pressèrent le pas, entraînant leurs grands-parents qui peinaient à les suivre, soucieux de retrouver rapidement la maison.

Le téléphone sonna à l’instant où ils pénétraient dans le vestibule.

Papé Marcel se précipita sur le combiné et répondit. Suspendus à ses lèvres, ils attendirent. Son regard s’illumina et il annonça, solennellement.

– L’opération de votre maman, s’est très bien passée !

Enfin, ils étaient rassurés ! mamée Léonie leur adressa un sourire plein de tendresse et ajouta.

– Après cette bonne nouvelle, je vais vous préparer un chocolat chaud avec des tartine de beurre et de la confiture de figues.

Trois mois s’étaient écoulés et ils habitaient maintenant à la jolie villa, dans la même ville que mamée Emilie.

Leur seul regret, les parents avaient laissé Mistigris chez des voisins à l’appartement de la Cité.

Ils avaient changé d’école et Fauve s’intégrait assez difficilement.

Martine se remettait doucement et leur père avait eu une mutation à Nîmes, pour son travail. Maintenant, il partait le matin et rentrait le soir vers dix sept heures.

Le mois de Mars se terminait. La pluie et le vent qui n’avaient guère cessé d’y sévir, firent soudain

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