avicenne - 28702-8

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    The Project Gutenberg EBook of Avicenne, by Carra de Vaux

    This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and withalmost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away orre-use it under the terms of the Project Gutenberg License includedwith this eBook or online at www.gutenberg.net

    Title: Avicenne

    Author: Carra de Vaux

    Release Date: May 6, 2009 [EBook #28702]

    Language: French

    Character set encoding: ISO-8859-1

    *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK AVICENNE ***

    Produced by Fritz Ohrenschall, Rnald Lvesque, Sania Ali

    Mirza and the Online Distributed Proofreading Team athttp://www.pgdp.net (This book was produced from scannedimages of public domain material from the Google Printproject.)

    AVICENNE

    LES GRANDS PHILOSOPHESCollection dirige par CLODIUS PIAT_Publie chez Flix Alcan._

    Volumes in-8 de 300 pages environ, _chaque volume_ 5 fr.

    _Ont paru:_

    SOCRATE, par Clodius Piat.KANT, par Th. Ruyssen, ancien lve de l'cole normale, professeur de

    philosophie au Lyce de Limoges.AVICENNE, par le baron Carra de Vaux, ancien lve de l'colePolytechnique, professeur d'arabe l'Institut catholique de Paris.

    _Va paratre:_

    MALEBRANCHE, par Henri Joly.

    _DU MME AUTEUR:_

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    COURS D'ARABE profess l'Institut Catholique de Paris, autographie,1892, l'Institut Catholique.

    LES MCANIQUES OU L'LVATEUR DE HRON D'ALEXANDRIE publies pour lapremire fois sur la version arabe de Qost ibn Lq et traduites enfranais; extrait du _Journal asiatique_, Paris, Leroux, 1894.--Uneseconde dition de ce texte accompagne d'une traduction allemande, parle Dr L. Nix, avec la collaboration de M. Carra de Vaux, est enprparation dans la collection Teubner: HERONIS ALEXANDRINI OPERA QUAESUPERSUNT OMNIA, Vol. II. Leipzig, Teubner.

    MAOUDI. LE LIVRE DE L'AVERTISSEMENT ET DE LA REVISION; traduction;faisant partie de la collection d'ouvrages orientaux publis par laSocit asiatique. Paris, Leroux, 1896.

    NOTIONS RELATIVES A LA PHILOSOPHIE DES SCIENCES; une brochure, Paris,Hermann, 1896.

    LE MAHOMTISME. LE GNIE SMITIQUE ET LE GNIE ARYEN DANS L'ISLAM.Paris, Champion, 1897.

    L'ABRG DES MERVEILLES, traduit de l'arabe d'aprs les manuscrits de laBibliothque nationale de Paris; faisant partie de la collection desActes de la Socit philologique. Paris, Klincksieck, 1898.

    En cours de publication dans le _Muson_ de Louvain: LA DESTRUCTION DESPHILOSOPHES, PAR AL-GAZALI traduction.

    TYPOGRAPHIE FIRMIN-DIDOT ET Cie.--MESNIL (EURE).

    LES GRANDS PHILOSOPHES

    AVICENNEPARLE Baron CARRA DE VAUX

    PARISFLIX ALCAN, DITEUR108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 1081900

    AVANT-PROPOS

    Ce volume n'est pas consacr au seul systme d'Avicenne, mais ladescription de toute une partie du mouvement philosophique qui s'estproduit en Orient entre l'hgire et la mort d'Avicenne, mouvement o lesystme de ce philosophe apparat comme un point culminant. A ct dessectes et des coles dont il est question dans ce livre, s'en trouventd'autres qui en sont restes exclues: les coles thologiques; lessectes politiques et mystiques. La thologie n'y est prsente qu'audbut comme point de dpart, et, dans le courant de l'exposition, sous

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    forme de mtaphysique. De la politique, il est trait sommairement dansles passages o est dessin le cadre historique dans lequel se sont musnos hros; il est aussi parl un peu, en divers endroits, de lapolitique comme d'une science distincte faisant partie de laphilosophie, selon la tradition grecque. Quant la mystique, souventnos auteurs nous conduiront jusqu' son seuil; mais nous refuserons denous y engager, et quoique forcs d'en dire quelques mots pour acheverla mtaphysique, nous ne l'tudierons pas comme systme indpendant.

    Les sciences dont nous aurons spcialement nous occuper sont: d'abordla logique qui, dlaisse aujourd'hui, tint une grande place dans laphilosophie de ce temps; puis, troitement lies ensemble, la physique,la psychologie et la mtaphysique. Les trois chapitres que nousconsacrerons ces dernires sciences, prcds d'une introductionlogique, suivis d'un complment mystique, reprsenteront l'essentiel dusystme auquel a abouti le mouvement de pense qui fait l'objet de celivre.

    Nous demandons au lecteur qu'il veuille bien aborder cet ouvrage sansparti pris; il sera bon qu'il se laisse conduire par nous comme nousnous sommes nous-mmes laiss conduire par nos auteurs. Dans un domainescientifique encore aussi peu connu du public que la philosophie arabe,les divisions du sujet et les problmes qu'il comporte ne doivent pastre poss priori; il faut plutt attendre qu'ils se dessinent

    d'eux-mmes, au fur et mesure des progrs de l'tude.Cette remarque cependant ne signifie pas que le sujet que nous allonstraiter soit absolument neuf. Au contraire--nos notes en feront foi,--iln'est gure de section de ce livre qui ne s'appuie sur des travauxantrieurs solides et profonds. Mais ces travaux n'avaient pas, pour laplupart, rayonn en dehors d'un milieu spcialiste; leurs rsultatsn'avaient pas t groups en un ensemble. Nous croyons le moment venud'oprer cette synthse, et de livrer au public lettr la matirelabore dans les officines de l'orientalisme. Cette entreprise,pensons-nous, prsente maintenant assez de scurit. Bien que nous nenous soyons pas interdit de laisser sentir notre action personnelle danscette oeuvre, nous croyons nanmoins qu'elle est surtout une oeuvre

    objective, consistante par elle-mme, vivant de sa vie propre etsuffisamment indpendante de son auteur, en laquelle les dtails segroupent et s'enchanent moins par l'artifice de l'crivain que par leurnature mme.

    Nous ne parlerions pas avec autant d'assurance des autres parties del'histoire de la philosophie dans l'orient musulman, qui sont restes endehors de notre cadre. L'tude des coles thologiques, celle surtoutdes coles mystiques n'est pas aussi avance que celle de l'colephilosophique proprement dite; et nous n'oserions pas en prsenter lesrsultats aux lettrs, avant d'avoir reu encore de la main desorientalistes quelques travaux prparatoires et spciaux que nousappelons de tous nos voeux.

    B. DE VAUX.

    Paris, mai 1900.

    AVICENNE

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    CHAPITRE PREMIER

    LA THODICE DU CORAN

    Le Coran n'est pas un trait de philosophie, et Mahomet n'tait pasproprement un philosophe. Mais Mahomet a, comme prophte, touch desquestions d'ordre philosophique; il leur a donn des solutionsintuitives qu'il a exprimes dans une forme lyrique; et ces solutions,qui ont constitu la dogmatique musulmane, sont devenues des pointsfixes, dans la spculation philosophique chez les Arabes. Le problme leplus gnral de la philosophie arabe n'a donc pas t de rechercher lavrit, puisque celle-ci tait donne en plusieurs de ses pointsessentiels; mais de soutenir cette vrit intuitivement pose par uneconstruction analytique et rationnelle, et de substituer sonexpression lyrique une expression conforme aux modes de la philosophieantique. C'est ce qu'on peut appeler le problme scolastique. Quelquesesprits ont pu ensuite perdre de vue la fin de ce problme, s'intresserplus la philosophie qu'au dogme dont elle ne devait tre que la forme,se servir mme de la philosophie pour dnaturer le dogme; mais ce nesont l que des mouvements secondaires dans l'histoire de la pensearabe et le mouvement de recherche scolastique est le mouvement

    primaire. Il est donc important de rappeler d'abord le thme dogmatique partir duquel s'est dvelopp ce mouvement. C'est ce que nous feronsen exposant la thodice du Coran.

    L'intuition de Dieu chez Mahomet est tout d'abord celle de Dieu un etpuissant. La notion de l'unit divine s'imposa au prophte lors de saretraite au mont Hirah, par contraste avec les croyances des Arabespolythistes; celle de la puissance divine grandit dans son esprit aufur et mesure que se manifesta, puis que cda la rsistance des Arabesincrdules.

    L'unit de Dieu est affirme sans preuve dans le texte du Coran, commeelle l'est dans la formule de foi musulmane: Il n'y a de Dieu que

    Dieu. Ce Dieu un est le Jhovah biblique, le Dieu d'Abraham,l'apparition du buisson ardent: (_Sourate_ XX, v. 8-14[1]). As-tuentendu raconter l'histoire de Mose? Lorsqu'il aperut un feu, il dit sa famille: Restez ici, je viens d'apercevoir du feu... Et lorsqu'ils'en approcha, une voix lui cria: O Mose! En vrit je suis tonseigneur. Ote tes souliers, tu es dans la valle sainte de Touwa: Moi,je suis Dieu; il n'y a point d'autre Dieu que moi. Mahomet retira Dieu le pouvoir d'engendrer, condamnant du mme coup les croyanceschrtiennes trinitaires, et diverses croyances populaires telles quecelles qui faisaient Esdras fils de Dieu ou qui tentaient de voir dansles anges des filles de Dieu. Dieu tait donc pos par lui comme unepersonne une, distincte absolument du monde.

    [Note 1: Nous nous servons de la traduction du Coran, par Kasimirski.Mahomet, _le Koran_, Paris, Bibliothque Charpentier, 1891.]

    Les passages relatifs la puissance divine sont extrmement nombreuxdans le Coran et beaucoup plus dvelopps que ceux relatifs l'unit.Ils ont presque tous une valeur apologtique. Le Dieu musulman, comme leDieu juif, se prouve par sa puissance; sa puissance elle-mme se voit.

    La puissance divine se manifeste de trois faons: dans la nature, dansl'histoire gnrale, par le miracle actuel. Ces trois modes de

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    manifestation sont bibliques.

    Le Dieu que Mahomet voit dans la nature est ce crateur et ce gouverneurdu monde qui il a suffi de dire dans la Gense: Que la lumire soit,pour que la lumire ft; celui devant qui, dit le psalmiste, la mer fuitet les collines bondissent, celui que bnissent les cieux et la terre,le soleil et les astres, les vents et les frimas, et que louent tous lestres. coutez Mahomet: N'as-tu pas considr que tout ce qui est dansles cieux et sur la terre publie les louanges de Dieu, et les oiseauxaussi en tendant leurs ailes? Tout tre sait la prire et le rcit deses louanges (XXIV, 41); et encore: Certes, dit-il, dans la crationdes cieux et de la terre, dans la succession alternative des jours etdes nuits, dans les vaisseaux qui voguent travers la mer pour apporteraux hommes des choses utiles, dans cette eau que Dieu fait descendre duciel et avec laquelle il rend la vie la terre morte nagure, et o ila dissmin des animaux de toute espce, dans les variations des ventset dans les nuages astreints au service entre le ciel et la terre, danstout cela il y a certes des avertissements pour tous ceux qui ont del'intelligence (II, 159). Avertissement ici n'a d'autre sens que preuveou argument de crdibilit. C'est ce qui appert d'un autre verset oMahomet reconnat l'origine biblique de sa dmonstration: Tels sont lesarguments que nous fournmes Abraham contre son peuple.

    La preuve de la puissance de Dieu par l'histoire du peuple hbreu est

    abondamment fournie dans la Bible, o sans cesse rsonne l'cho de lavoix de Jhovah criant: Je suis celui qui ai tir vos pres de la terred'gypte, qui ai ouvert la mer devant eux, qui les ai dirigs par lanue, etc. Mahomet reprend cette preuve, mais il y met moins de forceet d'loquence que dans la prcdente; et comme d'ailleurs l'histoireseule du peuple hbreu n'tait pas assez fconde en motion pour desArabes, il y ajoute des faits lgendaires relatifs l'histoired'Arabie, par exemple la destruction par la colre divine d'anciennesgnrations corrompues, et quelques faits vrais et voisins du temps del'islam, comme la rupture de la digue de Mareb[2]. Ce dernier vnementest petit compar l'exode ou la captivit de Babylone; il a du moinscet intrt qu'il tmoigne de l'emploi des procds apologtiquesbibliques dans le Coran. L'on peut remarquer en outre que le prophte a

    choisi pour prouver Dieu ce qu'il y a de meilleur dans la nature et deplus terrible dans l'histoire.

    [Note 2: V. Maoudi, _les Prairies d'or_, d. et trad. Barbier deMeynard et Pavet de Courteille, III, 378 et suiv.]

    Quant la preuve par le miracle, Mahomet a prtendu la fournir; on lalui demandait au reste. Mais on sait que, dnu du don des prodiges, ila cherch faire passer le Coran lui-mme pour un miracle. Ce qu'il estcurieux de noter, c'est qu'il a eu conscience des conditions qui doiventrendre effective la preuve par le miracle, en demandant de la part deceux qui en sont tmoins les dispositions du coeur: Ils ont jur devantDieu... que s'il leur fait voir un miracle, ils y croiront. Dis:...

    lorsque le miracle clatera, ils n'y croiront pas. Nous dtourneronsleurs coeurs et leurs yeux de la vrit, puisqu'ils n'ont pas cru lapremire fois, et nous les laisserons errer confus dans leur garement(VI, 109-110).

    La science de Dieu apparat dans le Coran comme une condition et presquecomme une des faces de sa puissance. Le Coran, bien entendu, ne renfermepas de thorie de la connaissance ni chez l'homme ni chez Dieu. Lascience de Dieu y est simplement affirme, et elle y est aussi absolueque sa puissance: Il a les clefs des choses caches, lui seul les

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    connat. Il sait ce qui est sur la terre et au fond des mers. Il netombe pas une feuille qu'il n'en ait connaissance. Il n'y a pas un seulgrain dans les tnbres de la terre, un brin vert ou dessch qui nesoit inscrit dans le Livre vident (VI, 59). Les Musulmans pieux onttoujours eu le sentiment que l'homme ne devait pas chercher pntrertrop avant dans les secrets de Dieu et, comme l'auteur de l'_Imitation_,ils ont t bien prs de regarder la curiosit scientifique commesacrilge.

    Pas plus que ses attributs, la nature et la vie intime de Dieu n'ontfait l'objet de la part de Mahomet d'une tude mthodique. Il n'en ditrien que d'intuitif. Mais du moins affirme-t-il nettement laspiritualit de Dieu, qu'il aperoit dans son rapport avec l'unit, lapuissance, la science, et en mme temps que la majest. Dieu est sesyeux celui qui ne peut tre atteint, et qui atteint tout, qui n'a aucunedes infirmits du corps, dont la nature est suprieure celle del'homme et de toute chose, qui est si lev au-dessus du monde qu'il nepeut pas mme tre vu. Ce n'est gure l que le type amplifi dupotentat oriental, une image agrandie de cette reine de Saba qui reoitderrire un voile, de cet empereur des les lointaines sur le passageduquel les nuques se courbent et les fentres se ferment.

    A cette notion de la majest divine se rattache une question qui a tfort dbattue dans la thologie musulmane, et qui fut clbre aussi dans

    la scolastique chrtienne, celle de la vision de Dieu dans la viebatifique. Il est remarquable combien, d'aprs le Coran, l'obtention decette vision semble difficile. On s'en rend compte dans les chapitresqui contiennent des lgendes bibliques: Dieu crie Adam et ne se montrepas. No, seul sauv du dluge, ne voit pas Dieu. Abraham, appel l'Amide Dieu, ne reoit que ses anges. Mose demande voir Dieu sur lamontagne; peine l'a-t-il entrevu qu'il tombe vanoui, et, revenu lui, il est pntr de repentir. Mahomet lui-mme, le sceau de laprophtie, ne voit que l'Esprit-Saint, l'Archange Gabriel. Dans lesdescriptions coraniques du Paradis, les lus jouissent de la vue debelles demeures, de jardins et d'esprits mles ou femelles de diversesformes, mais il n'est pas dit qu'ils jouissent de celle de Dieu. Aujugement les hommes sont amens en prsence de Dieu, sans que l'on

    comprenne d'aprs le texte en quoi consiste cette prsence ni de quellefaon elle est perue.

    Il y a dans le Coran quelques versets assez singuliers o Mahomet ditque Dieu est lumire, et que la lumire des lus marchera leurdroite au jugement: Dieu est la lumire des cieux et de la terre. Cettelumire est comme un foyer dans lequel se trouve un flambeau, unflambeau plac dans un cristal, cristal semblable une toilebrillante; ce flambeau s'allume avec l'huile d'un arbre bni, d'unolivier qui n'est ni de l'Orient ni de l'Occident, et dont l'huilebrille quand mme le feu ne la touche pas (XXIV, 35). Les commentateursne voient que des comparaisons dans ces images tranges[3]. Nous nousdemandons si ces expressions ne proviennent pas plutt de quelque

    influence gnostique.

    [Note 3: V. le clbre commentaire de Zamakhchari, intitul _Kacchaf_,au verset indiqu.]

    L'ternit de Dieu est affirme par le Coran, sans qu'il y soitspcialement insist. Cette notion n'est d'ailleurs pas analyse, etMahomet ne s'est pas proccup de rechercher ce que peut trel'existence de Dieu hors du monde et hors du temps.

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    L'ide de cration n'est pas parfaitement prcise. Le texte du Coran,comme celui de la Bible, ne rpugne pas l'existence d'un chaos auquels'appliquerait la cration et dont l'origine serait indfinie. Mahometne s'est pas complu l'ide d'infinitude de temps. On est presquesurpris du vague de ses paroles touchant la perptuit des rcompenseset des peines: Les rprouvs seront prcipits dans le feu... Ils ydemeureront tant que dureront les cieux et la terre, moins que Dieu nele veuille autrement... Les bienheureux seront dans le paradis; ils ysjourneront tant que dureront les cieux et la terre, sauf si tonSeigneur ne veut ajouter quelque bienfait qui ne saurait discontinuer(XI, 108-110). L'ide d'ternit se prcisa plus tard chez lesthologiens, sous l'influence de la philosophie. L'on voit que Mahometla maniait imparfaitement; son ducation sur ce point n'tait encore quebiblique.

    L'immutabilit de Dieu est corrlative de sa science et de son ternit.Mais Mahomet a surtout conu Dieu immuable comme administrateur dumonde: C'est la coutume de Dieu, telle qu'il l'a pratique l'garddes gnrations passes. Tu ne trouveras pas de variations dans lescoutumes de Dieu (XLVIII, 23). Il s'agit ici de l'immutabilithistorique et morale; le prophte n'a pas eu souci de l'immutabilitmtaphysique, et il ne s'est point demand comment Dieu pouvait treactif tout en restant immuable.

    Ayant conu Dieu d'une faon moins mtaphysique que morale, Mahomet asurtout t sensible ses rapports avec l'homme. Il a clairementexprim la notion de la Providence, et il a pos, non sans brutalit, leterrible problme de la prdestination.

    La science, la sagesse et la puissance de Dieu s'tendent l'avenir;les oeuvres divines ont une fin. L'ensemble de la cration a un but, quiest reprsent simplement par ces mots: Je n'ai cr les hommes et lesgnies qu'afin qu'ils m'adorent (LI, 56). En outre, chaque dtail de lanature est fait en vue de l'ensemble et est bon par rapport son but.C'est toute une thorie de l'optimisme, drive sans effort de la notionde Dieu puissant, savant et bon: Nous avons tendu la terre et nous yavons lanc des montagnes, et nous y avons fait clore toutes choses

    dans une certaine proportion. Nous y avons mis des aliments pour vous etpour des tres que vous ne nourrissez pas. Il n'y a pas de chose dontles trsors n'existent chez nous et nous ne les faisons descendre quedans une proportion dtermine (XV, 19-21).

    Mais Mahomet fut pouss par son gnie propre et par la lutte s'appesantir plutt sur l'ide qui est en quelque sorte au revers decelle de la Providence: celle de la prdestination. Il y a insist avecune volont pesante et pre. Nanmoins, si l'on parcourt d'un espritcalme et non prvenu les passages du Coran relatifs la prdestination,on voit qu'ils ne sont pas aussi nettement fatalistes que beaucoup l'ontcru, et que tout en tant effrayants, ils ne sont nullement opposs toute justice. Voici, je crois, l'ide qu'ils contiennent:

    Dieu connat tout d'avance, par consquent les fautes et les chtimentsqui les suivront, de mme que les bonnes oeuvres et leurs rcompenses.Tout a t crit d'avance dans un Livre gard au ciel. Peu nous importeici que ce livre ait un certain mode d'existence mystique ou qu'il nesoit qu'un symbole de la prescience de Dieu. En tout cas, il n'quivautphilosophiquement qu' une affirmation de la prescience; mais uneaffirmation de la prescience n'est pas encore une ngation de lalibert. Aucune calamit ne frappe soit la terre, soit vos personnesqui n'ait t crite dans le Livre avant que nous les ayons cres

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    (LVII, 22). Cela ne veut pas dire que ces calamits arriventinjustement. Nous ressuscitons les morts et nous inscrivons leursoeuvres et leurs traces. Nous avons tout compt dans le prototypevident (XXXVI, 11). Cela ne signifie pas que les oeuvres des hommessont dtermines. Il est fait ici allusion deux livres: L'un le livrede la prescience, prototype ou plan de la vie du monde, qui est unesorte de budget. L'autre le livre de la science actuelle o sontinscrites les actions des hommes mesure qu'ils les accomplissent, etqui sera ouvert au jugement; c'est un livre de comptes. Aucun de cesdeux livres ne supprime encore la libert.

    Mais voici qui est plus effrayant: Si nous avions voulu, dit Dieu, nousaurions donn toute me la direction de son chemin; mais ma paroleimmuable a t celle-ci: je remplirai la ghenne d'hommes et de gniesensemble (XXXII, 13); et aussi cette affirmation prononce plus d'unefois: Dieu gare qui il veut, il dirige qui il veut (XXXV, 9). Prisesisolment, ces paroles semblent exprimer que Dieu veut priori la perted'un certain nombre d'tres, et que cette perte est invitable. Mais lalecture d'autres passages montre clairement que telle n'est pas lapense de Mahomet: Nous avons cr pour la ghenne, dit ailleurs Dieu,un grand nombre de gnies et d'hommes qui ont des coeurs avec lesquelsils ne comprennent rien, qui ont des yeux avec lesquels ils ne voientrien, qui ont des oreilles avec lesquelles ils n'entendent rien... Telssont les hommes qui ne prtent aucune attention nos signes (VII,

    178). Et aussi: Dieu affermira les croyants... il garera les mchants(XIV, 32). Ces deux citations sont parallles des deux prcdentes;mais elles renferment un complment en plus, et cette nuance estcapitale: ceux que Dieu a crs pour la ghenne ne sont plus des hommesquelconques, arbitrairement choisis, ce sont ceux qui refusentd'entendre la prdication du prophte; et ceux qu'il gare ce n'est pasn'importe lesquels d'entre les hommes; mais bien ce sont les mchants;de mme ce sont les bons qu'il conduit. Il est donc dj vident d'aprsces seules citations que l'garement et la ghenne ne sont que deschtiments, consquence d'une faute antrieure, laquelle sans aucundoute a t commise librement.

    Les autres passages du Coran, ayant trait la mme question, et ils

    sont nombreux, viennent tous l'appui de cette manire de voir; nouscroyons celle-ci originale, et il nous semble que cette interprtation,insuffisamment aperue jusqu'ici, peut fort bien servir clore lalongue dispute sur le fatalisme du Coran. Le Coran n'est pas fataliste.Il n'y est pas dit que Dieu dcrte priori le mal ni la perdition pourpersonne. La thse que l'on a voulu entendre de la sorte est en ralitque Dieu, aprs un premier pch, surtout aprs le premier pch contrela foi, gare, aveugle, endurcit de plus en plus le coupable, en sortequ'il marche, comme forc, sa perdition. Mais l'incrdulit premirereste libre. Cette doctrine n'est d'ailleurs pas autre chose quel'expression de l'impatience cause au prophte par la longue rsistancequi fut oppose sa prdication. Des hommes qui l'avaient entendumaintes fois et qui avaient t tmoins de tous ses signes, s'ils ne se

    rendaient pas enfin, taient vraiment des hommes dont la raison avaitt perdue par quelque force trangre, des hommes devenus desbrutes,--le mot est de Mahomet,--assourdis, aveugls,--les termes sontde lui,--dj la proie du chtiment divin. De leur vivant la ghenneenvahissait leur me; et s'ils taient ainsi frapps, c'est qu'au tempso ils taient libres de leur choix et matres de leur raison, ilsavaient refus de croire.

    Les versets les plus nets en ce sens sont celui-ci:

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    Sourds, muets et aveugles, ils ne peuvent plus revenir sur leurs pas(II, 17), et cet autre dj cit: Nous dtournerons leurs coeurs etleurs yeux de la vrit, puisqu'ils n'ont pas cru la premire fois, etnous les laisserons errer confus dans leur garement.

    Il sera utile d'ajouter cet expos de la thodice de Mahomet quelquesmots relatifs sa thorie de la rvlation et sa thorie des anges.

    Le dieu du Coran tant fort difficilement accessible l'homme, larvlation est, par ce fait, rendue ncessaire: Il n'est point donn l'homme que Dieu lui adresse la parole; s'il le fait, c'est par larvlation ou travers un voile (XLII, 50). Ce dur verset a reu dansla suite bien des dmentis pratiques de la part des mystiques del'islam.

    La rvlation elle-mme est conue par Mahomet d'une manire analogue celle dont il a conu l'administration du monde. L'ide s'en rattache celle de Dieu potentat. La rvlation est un message de Dieu. Il y a unprototype du livre rvl, une espce de Coran cleste, gard auprs deDieu. Un ange lit dans ce livre et vient communiquer ce qu'il a lu auprophte. C'est l un mcanisme trs simple et pour ainsi dire toutexterne. Nous sommes loin ici des ardeurs et de la passion duprophtisme biblique. La notion s'en est restreinte et dessche.

    Mahomet a admis la progression prophtique. A chaque poque, son livresacr, a-t-il dit (XIII, 39). Ces livres ne se contredisent pas maiss'expliquent et se compltent. Cette ide qui est belle en elle-mme etassez sduisante, fut nuisible l'islam. Beaucoup de sectes s'enservirent pour ajouter au Coran de nouvelles rvlations qui, souscouleur de l'expliquer, le dtruisaient.

    Le Coran conserve Jsus son titre de Verbe; mais ce mot n'a plus aucunsens prcis dans l'ide coranique de la rvlation.

    La thorie des anges doit tre mentionne uniquement pour rappelerqu'elle ne concde rien aux thories gnostiques de l'manation. L'espritde Mahomet fut trs ferme sur le point fondamental de l'unit divine; et

    il ne se laissa surprendre par aucun ct. Les anges qu'il admitconcurremment avec les gnies, sont crs et aussi distincts de Dieu quele sont les hommes. Ils ont des fonctions auprs de Dieu; ils prsidentaux grands mouvements de la nature; ils servent de messagers entre Dieuet l'homme. Mahomet connut la notion de sphre cleste, mais il n'eutconscience de celle de l'intelligence des sphres, qu'autant qu'il taitncessaire pour interdire l'adoration des astres. Il admit certainspouvoirs magiques, qu'il condamna sans s'occuper de les expliquer.

    Mahomet philosophe peut en dfinitive tre jug comme un esprit modret sage, net et pratique, beaucoup plus moral que mtaphysique. Il craune thodice noble et ferme, imite de la thodice biblique. Il futprserv par son bon sens de divers excs o des thologiens ultrieurs

    entranrent sa doctrine, et son ignorance relative ne lui permit pas depressentir aucune des difficults que la spculation philosophiquedevait aprs lui soulever dans l'islam.

    CHAPITRE II

    LES MOTAZLITES

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    La thodice du Coran commena tre l'objet de la spculationphilosophique ds le premier sicle de l'hgire. Avant doncl'introduction des ouvrages des philosophes grecs dans l'islam, il s'yproduisit un mouvement philosophique spontan. Cette spculations'affina ensuite et devint plus complexe mesure que l'influencegrecque se fit davantage sentir. Il est curieux de suivre ces variationsde la thodice jusqu'au moment o les oeuvres de l'antiquit ayant ttraduites et pleinement comprises, le problme scolastique se posa. Laplus importante ligne des docteurs qui se distingurent dans cettepriode est constitue par la secte dite _Motazlite_.

    Les thories fondamentales tudies par les Motazlites furent cellesdes qualits de Dieu et celle de la prdestination et du libre arbitre.Leurs discussions portrent aussi sur une question d'ordre politique quieut un grand rle dans l'histoire musulmane, savoir: quels signes onreconnat l'imam lgitime. L'imam, on s'en souvient, est le prsident dela communaut musulmane, c'est--dire le khalife ou le sultan. Il seforma ce sujet une multitude de sectes, dont chacune s'attacha, enmme temps qu' un dogme politique particulier, certaines croyancesmtaphysiques[4]. Dans cet ouvrage, nous laisserons absolument de ctles discussions politiques, pour ne nous occuper que de la suite desides philosophiques. Les Motazlites constituent une secte vaste que

    l'on peut diviser en beaucoup de sous-sectes, mais qui se distingue dansl'ensemble par ses tendances rationalistes et librales; en elle seconcentra une bonne part de la vie philosophique des musulmans, avantl'apparition puis ct des philosophes proprement dits.

    [Note 4: La thorie de l'immat a t longuement dveloppe par IbnKhaldoun dans ses _Prolgomnes_, trad. De Slane, _Notices et extraitsdes Mss. de la Bibliothque nationale_, t. XIX-XXI, premiresparties.--Maoudi y revient diverses reprises dans les _Prairiesd'or_, et nous en avons nous-mme dit quelque chose dans notre ouvrage_le Mahomtisme, le gnie smitique et le gnie aryen dans l'Islam_,Paris, Champion, 1898, l'endroit o nous traitons des Alides.]

    Nous ne possdons gure les ouvrages des docteurs Motazlites avant letemps d'Avicenne; mais nous avons sur cette priode quelques bonnessources secondaires, dont la principale est le clbre recueil deChahrastani sur _les Religions et les sectes_[5]. Ce remarquablehistorien des ides dans l'islam a consacr un grand nombre deMotazlites des articles qui mritent confiance, si l'on en juge par lesoin avec lequel est rdig son expos de la philosophie d'Avicenne, ole contrle est possible. Il existe d'autres renseignements dans untrait de thologie et de philosophie encore insuffisamment tudi, le_Mawkif_, compos par Adod ed-Dn el-Idji (mort en 756 H.). Soerensen adit les deux dernires sections de ce livre, avec leur commentaire parel-Djordjni[6]. En se servant de ces deux sources principales, Steinera publi nagure un bon travail sur les Motazlites[7].

    [Note 5: _Book of religious and philosophical sects_, d. W. Cureton, 2vol. Londres, 1847.--Cet important ouvrage a t traduit en allemand etannot par Th. Haarbrcker, _Abu'l-Fath Muhammed asch-Schahrastni'sReligions-partheien und Philosophenschulen_. 2 vol. Halle,1850.--Chahrastani mourut en 528 de l'hgire (1153 Ch.).]

    [Note 6: _Statio quinta et sexta et appendix libri Mevakif, auctoreAdhad-ed-Dn el-Ig_, ed. Th. Soerensen. Leipzig, 1848.--Le _Mawkif_est un volumineux ouvrage. Il a t imprim en entier Constantinople.

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    C'est un trait de philosophie; ce n'est pas, comme le livre deChahrastani, une histoire de la philosophie; mais il contient quelquesrenseignements historiques.]

    [Note 7: H. Steiner, _Die Mutaziliten oder die Freidenker im Islm_.Leipzig, 1865.]

    La question du libre arbitre fut pose, avant la naissance de la secteMotazlite, par Mabed el-Djohani et At fils de Yasr qui appartenaient l'cole du clbre jurisconsulte Haan fils d'Abou'l-Haan de Basrah(mort en 110). Ces docteurs se dclarrent partisans du libre arbitre del'homme. La doctrine contraire, que nous avons refus de voir dans leCoran, avait prvalu dans l'islam, pendant les guerres des Omeyades.L'on s'tait attach, implicitement au moins, au fatalisme, c'est--direque l'on croyait que l'homme tait bon ou mauvais, prpar pour laghenne ou pour le paradis, d'aprs les dcrets ternels de Dieu. Lespassages du Coran opposs cette opinion taient l'objet d'uneinterprtation (_tawl_). La doctrine librale de Mabed ayant amen destroubles, le khalife Abd el-Mlik le fit mettre la torture et pendreen l'an 80 de l'hgire. Un autre docteur qui avait suivi ses opinions,Abou Merwn de Damas, fut crucifi la porte de cette ville par ordredu khalife Hichm fils d'Abd el-Mlik. C'tait un esprit trs hardi.Quant At fils de Yasr, il chappa au martyre et ne mourut qu'en l'an103, g de 84 ans. Il tait un affranchi de l'une des femmes du

    prophte, Mamounah.Les premiers partisans du libre arbitre avaient pris le nom de_Kadarites_; mais cette dsignation se trouvait ambigu, car le mot_kadr_ peut signifier galement le pouvoir, le dcret de Dieu, ou lepouvoir, la libert de l'homme, et le terme de Kadarite pouvaits'entendre en mme temps des partisans du libre arbitre ou de leursadversaires. Les Motazlites, en adoptant la croyance au libre arbitre,rejetrent le nom de Kadarites, et dsignrent le libre arbitre par lemot _el-adl_, qui, dans son sens normal, signifie la justice.

    Wsil fils d'At fut le fondateur de la grande secte des Motazlites. Ilnaquit Mdine l'an 80, fut un affranchi des Bnou Makhzoum ou des

    Bnou Dabbah, et mourut en 131. Il tait orateur, mais il ne pouvait pasprononcer la lettre _ra_ qu'il changeait en _ghan_; autrement dit ilgrasseyait; mais sa connaissance de l'arabe et sa facilit de paroletaient telles qu'il russissait viter dans le discours les motscontenant le _ra_; ce qui a fait dire un pote: Tu m'as rduit l'tat du _ra_ que l'on ne prononce pas; tu m'as supprim comme si tutais Wsil.

    Wsil fut d'abord lve de Haan de Basrah; puis il se spara de lui cause d'une opinion nouvelle qu'il mit sur l'tat des croyantscoupables de pch grave. Il dit que le croyant pcheur, le _fsik_,tait dans un tat intermdiaire entre le croyant juste et l'impie ou_kfir_. Cette opinion demeura dans sa secte sous la dsignation de

    doctrine de l'tat mixte. On rapporte cette circonstance l'originedu nom de Motazlites qui signifie les spars.

    Wsil commena aussi nier les qualits de Dieu. Son intention, enmettant cette doctrine, tait de sauver le pur monothisme. Il necomprenait pas l'unit d'un Dieu possesseur d'attributs, et il disait:Celui qui affirme une qualit ternelle ct de Dieu affirme deuxdieux. Cependant il ne semble pas qu'il ait mri cette thorie, autantque nous pouvons en juger, en l'absence de ses oeuvres. Comme tous lesMotazlites aprs lui, il fut trs net dans la foi au libre arbitre: Il

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    est impossible, disait-il, que Dieu veuille et dcrte le mal,contrairement ce qu'il ordonne. Il admit le dcret divin en ce quiconcerne les vnements extrieurs, l'infortune ou la prosprit, lamaladie ou la sant, la vie ou la mort. En d'autres termes il admit unfatalisme physique, mais il condamna le fatalisme moral.

    Amr fils d'Obd, autre chef clbre des Motazlites, fut contemporainde Wsil fils d'At et se spara en mme temps que lui de l'cole deHaan de Basrah. C'tait un personnage d'un caractre intressant. Ilparat tre d'origine afghane, son aeul ayant fait partie desprisonniers qui tombrent aux mains des Musulmans Kaboul. Il tait unaffranchi des Bnou Tmim. Sa mort arriva en 144 ou 145.

    L'historien Maoudi tmoigne d'une grande admiration pour Amr filsd'Obd, dont il dit qu' il fut le cheikh des Motazlites de son temps,le docteur le plus minent de cette secte et que personne ne l'clipsadepuis. Il a laiss des traits, des discours et un grand nombre dedissertations sur le libre arbitre, sur l'unit de Dieu, etc.. Nous neconnaissons pas ces crits. L'historien appuie ces loges par quelquesanecdotes qui montrent le caractre lev et lgrement cynique de cepersonnage[8].

    [Note 8: V. les _Prairies d'or_, VI, 208-212.]

    Ces quelques vers que Maoudi cite comme ayant t rcits par Amr enprsence de Mansour donnent de lui une haute ide: O toi quel'esprance aveugle, les dceptions et la mort te sparent de ce que tuespres. Ne vois-tu pas que le monde avec ses attraits trompeurs n'estqu'une station o le voyageur campe un moment, puis s'loigne? Sespiges sont mortels, ses plaisirs une angoisse; sa srnit n'est quetrouble; son empire n'est que rvolutions. La quitude de l'homme y esttrouble par de perptuelles alarmes; ni la douceur ni la violence n'ypeuvent rien. L'homme est comme le but des catastrophes et du trpas, lejouet des adversits filles du destin. Il fuit pour sauver sa vie et lamort est en embuscade; chacun de ses faux pas est une chute. Il seconsume en efforts au profit de ses hritiers, et c'est la tombe quirecueille le fruit de ses fatigues.

    Malgr la rputation d'Amr fils d'Obd, nous savons en somme peu dechose de sa doctrine.

    Aprs l'poque de ces premiers Motazlites la connaissance des livresgrecs s'introduisit dans l'islam. Les Motazlites les tudirent, etnous constatons quels progrs cette tude fit faire leur pense,combien elle l'enrichit et l'affina, en rencontrant, aprs une ou deuxgnrations, toute une pliade de docteurs de cette secte, en ttedesquels il convient de citer Abou'l-Hodl el-Allf de Basrah.Abou'l-Hodl naquit en 135. Il tait affranchi des Bnou Abd el-Kas.Il tudia la philosophie Bagdad sous la direction d'un lve de Wsilfils d'At. Il composa de nombreux ouvrages que nous ne possdons point,

    et il prit part aux controverses thologiques qui eurent lieu sousMamoun. Chahrastani le fait mourir l'ge de 100 ans, en 235; maisAbou'l-Mahsin donne la date de 226, qui est sans doute prfrable.

    Abou'l-Hodl n'adopta pas l'opinion absolue de ses prdcesseurstouchant la ngation des qualits divines. Il admit les qualits commedes modes sous lesquels apparat l'essence divine; Chahrastani comparecette conception celle des hypostases chez les chrtiens; mais cettecomparaison ne semble pas trs satisfaisante. Les qualits divines, ditplus clairement le mme historien, taient pour lui l'essence mme de

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    Dieu, non pas des ides annexes cette essence; elles n'avaient qu'unesignification purement ngative, ou plutt elles exprimaient seulementce qui tait contenu dans le concept de l'essence. Abou'l-Hodl nedisait pas: Dieu est savant par son essence et non pas par la science;il disait: Dieu est savant par une science qui est son essence. Lapremire formule, qui pouvait tre celle des Motazlites antrieurs,niait la qualit; la seconde reconnaissait une essence qui estidentiquement qualit ou une qualit qui est identiquement essence.

    Cette remarquable finesse d'analyse se retrouve dans les autres partiesde la philosophie d'Abou'l-Hodl. Sa thorie de la volont divine ethumaine est intressante. La volont en Dieu n'est qu'un mode de lascience; Dieu veut ce qu'il sait bon. Il y a deux sortes de volitions oud'actions divines: les unes qui n'ont pas besoin d'tre formes dans unlieu, mais qui produisent d'elles-mmes leur effet immdiat, comme lesvolitions dans l'ordre de la cration, exprimes par la parole: _sois_;les autres qui ont besoin de tomber dans un lieu pour produire leureffet; ce sont les volitions d'ordre moral exprimes par lescommandements, les dfenses, les communications de Dieu. En l'homme lesvolitions et l'activit intrieures sont ncessairement libres. On nepeut pas, dit notre docteur, d'aprs Chahrastani, se les reprsenterd'une autre sorte. Ceci est la preuve du libre arbitre par la conscienceque l'on en a. Quant l'activit extrieure, elle n'est pas libre enelle-mme; mais elle est ordinairement la consquence des volitions

    libres du dedans.Assez trange est la thorie d'Abou'l-Hodl sur le mouvement du monde.Ce philosophe semble avoir cherch admettre la doctrine grecque del'ternit du monde, sans se mettre en contradiction explicite avec leCoran. Ne pouvant croire un mouvement ternel sans commencement nisans fin, il enseigna que la cration est la mise en mouvement du monde,et que la fin du monde est sa rentre dans le repos. Il y aurait donc eude toute ternit et il subsistera jamais une matire en repos. Encorece repos est-il conu d'une manire trs mtaphysique. Il ne faut pasprendre ce mot dans son sens ordinaire. L'tat de repos ternel du mondeest beaucoup plutt un tat d'ordre absolu, dans lequel tout arriveconformment des lois ncessaires, selon une prvoyance indfectible.

    C'est, en somme, un tat dans lequel tout caprice et toute libertcessent; il n'est pas douteux qu'Abou'l-Hodl ne l'ait entendu ainsi.Il ne comprit, dit Chahrastani, la libert humaine qu'en ce monde. Aprsce monde les hommes entrent dans une sorte d'tat absolu, qui est untat de suprme bonheur pour les uns, de peine affreuse pour les autres.

    L'on voit combien sont ingnieuses ces doctrines et comme le contact del'esprit grec, tout en menaant de dnaturer le dogme coranique, avaitpromptement veill chez les Mahomtans le gnie philosophique.

    Enfin on doit encore signaler chez Abou'l-Hodl une autre ide hardie,non indigne des prcdentes: c'est celle de la loi naturelle. Elle esttrs clairement exprime par Chahrastani. Avant toute rvlation,

    l'homme peut parvenir la connaissance de Dieu et la conscience dubien et du mal, et mme il y est tenu. L'homme doit, par sa propreraison, discerner la beaut du bien et la laideur du mal; il est obligde s'efforcer d'agir selon la vrit et la justice, d'viter le mensongeet l'iniquit. S'il manque cette obligation, il mrite d'tre puni.Cette thorie de la loi naturelle fut gnralement admise dans l'coleMotazlite.

    A ct d'Abou'l-Hodl el-Allf brille un autre grand docteurmotazlite, Ibrhim fils de Sayr en-Nazzm, l'un des principaux

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    dialecticiens de l'cole de Basrah au temps de Mamoun[9]. Ce khalife seplaisait entendre disserter ces deux matres; il les faisait venir sa cour avec des docteurs des autres sectes, et il rpandit ainsi dansle public le got et l'habitude de la spculation. Nazzm avait lubeaucoup de livres des philosophes grecs, nous dit Chahrastani qui, enl'absence des ouvrages de ce matre, reste toujours notre principalesource. Il ne parat pas cependant qu'il soit arriv une philosophiebien diffrente de celle d'Abou'l-Hodl; on peut seulement croire qu'ilavait un gnie mtaphysique moins fin et l'esprit davantage port versles sciences de la nature. Il fut un encyclopdiste.

    [Note 9: Abou'l-Mahsin dit que Nazzm parut en l'an 220. _Abu'l-MahasinIbn Tagri Bardii Annales_, d. Juynboll, 2 vol. Leyde, 1852-1857. Pourles rfrences, consultez l'index.]

    Nazzm dveloppa d'une manire intressante la doctrine de la justice deDieu, lie celle de l'optimisme. Il retira Dieu le pouvoir de fairele mal. L'opinion rpandue chez les Motazlites tait que Dieu pouvaitfaire le mal, mais qu'il ne le faisait pas parce que le mal tait laid.Nazzm soutint que si la laideur tait une qualit essentielle du laiden acte, le laid en acte ne pouvait tre attribu Dieu, et que commela laideur se trouvait aussi dans la possibilit du laid, on ne pouvaitpas davantage attribuer Dieu le laid en puissance. En d'autres termes,le mal n'tait pas pu par Dieu ni en puissance ni en acte. Nazzm pousse

    plus loin sa pense. Mme le moindre bien n'est pas pu par Dieu; il nepeut vouloir que le plus grand bien; ce serait lui faire injure que desupposer possible un plus grand bien et d'admettre qu'il ne le choistpas. A ceux qui objectaient qu'alors tous les actes du crateur taientdtermins, Nazzm rpondait: Cette dtermination que j'admets dans lapuissance, vous tes forcs de l'admettre dans l'acte; car tout endisant que Dieu a en principe le choix entre l'existence et l'absenced'un bien, vous reconnaissez qu'en fait il choisit son existence.C'tait dj l une assez haute dispute scolastique.

    Notre docteur se trompa en essayant d'emprunter aux Grecs cette notionfameuse que l'me est la forme du corps. Il comprit mal la pense, et ilenseigna que le corps est la forme extrieure de l'me et de l'esprit,

    l'esprit tant pour lui une substance doue elle-mme d'une espce decorps trs subtil qui pntre toutes les parties du corps matriel et yest infuse comme l'essence l'est dans la rose, l'huile dans le ssame,le beurre dans le lait. Ainsi que le remarque Chahrastani, Nazzm taitplus port vers les physiologues que vers les mtaphysiciens.

    L'ide qu'il se fit de la cration est curieuse, bien que Chahrastaniprtende qu'il l'ait prise aux Grecs; Dieu selon lui cra d'un seul couptout l'ensemble des tres, mais il les cacha, et il ne les laissaapparatre que successivement. Cette apparition est ce que nous appelonsla gnration. En ralit Adam et tous ses descendants ont existensemble depuis le premier jour. Il n'y a eu qu'une cration uniqueaprs laquelle aucune autre cration nouvelle n'est possible. Toutes les

    choses se dveloppent et se manifestent sur ce fond de la nature unefois donne.

    Cette doctrine aboutit chez Nazzm un dterminisme physique trs netet qui lui fait honneur: Il n'y a pour lui qu'une seule activit libredans la nature, c'est celle de l'homme. Hors de l toutes les chosesarrivent par ncessit. La pierre lance en l'air obit quelque temps l'impulsion libre qui lui vient de la main de l'homme; puis, l'effet decette impulsion tant us, elle revient la place que lui assigne laforce naturelle inhrente en elle.

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    Ce docteur s'occupa aussi de la question de la divisibilit l'infinides corps, et il conclut en niant la partie indivisible. Il mit unethorie des accidents physiques qu'il identifia avec des corps; lessaveurs, les couleurs, les odeurs sont corporelles pour lui. Nazzm futdonc un savant et un penseur aux ides hardies et vastes; son oeuvre etcelle d'Abou'l-Hodl, si succinctement qu'elles soient connues, nousmontrent dj la mtaphysique, la dialectique et la physique des Grecspntrant dans le monde musulman.

    Aux deux grands docteurs que nous venons de citer, on doit encore enjoindre d'autres auxquels on attribue des opinions intressantes sur desquestions clbres. Cette pliade de penseurs a, en peu de temps, poussses recherches dans les directions les plus varies, au point qu'oncroirait, en en entendant parler, qu'ils marquent les tapes d'unelongue volution philosophique, alors qu'en ralit ils sont presquecontemporains. L'impulsion donne l'esprit oriental par les lettresgrecques fut donc d'une vivacit merveilleuse.

    Bichr, fils de Motamir, posa la question dite du _tawallud_ qui consiste tudier la transmission de l'action d'un agent travers une sried'objets. Le _Mawkif_ donne comme exemple l'action d'une main tenantune cl; l'agent meut sa main, il en rsulte le mouvement de la cl quipeut-tre n'tait pas voulu[10]. Cette question prit de l'importance en

    morale et suscita de nombreuses discussions chez les Motazlitespostrieurs, comme on peut le voir d'aprs le _Mawkif_. Il s'agissaitde savoir comment des causes extrieures pouvaient modifier l'activitd'un agent libre et diminuer sa responsabilit. C'tait toute unethorie des causes interfrentes qui se constituait.

    [Note 10: Sur la question du _tawallud_, V. le _Mawkif_, pages 116 125.]

    Bichr souleva aussi deux questions fameuses en thodice et qui sontparmi les plus difficiles de cette science: celle de la justice de Dieu l'gard des enfants, et celle de sa Providence relativement auxpeuples qui n'ont pas connaissance de la foi. Sur la premire, il nia

    que Dieu pt condamner les enfants, non pas prcisment parce que ceserait injuste, mais parce que cela supposerait que l'enfant est capablede dmrite et qu'alors il n'est pas un enfant, ce qui estcontradictoire. Sur la seconde question, Bichr s'carte de l'optimismedominant chez les Motazlites. Il croit que Dieu et pu constituer unautre monde o tous les hommes eussent t appels la foi et eussentmrit d'tre sauvs; il n'y a pas de limite la perfection que Dieupeut raliser, et l'on peut toujours supposer un monde meilleur toutautre donn. Dieu donc n'tait pas tenu au meilleur; ou, en d'autretermes, nos jugements sur le bon et sur la justice ne lui sont pasapplicables. Il tait seulement tenu de donner l'homme le librearbitre, et, quelque moment, la rvlation; en dehors de larvlation, l'homme a, pour se conduire, les lumires de la raison qui

    lui dcouvrent la loi naturelle.

    Les doctrines de Bichr paraissent, d'aprs le bref compte rendu deChahrastani, moins solides et moins hautes que celles des prcdentsdocteurs.

    Avec Mamar fils d'Ibd es-Solami, la doctrine motazlite acquiert unehardiesse singulire et s'avance vers le panthisme. Pour ce docteur,Dieu n'a cr que les corps et non les accidents; les corps produisentles accidents ou par nature comme le feu produit la chaleur et la

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    brlure, comme la lune produit la clart, ou librement, comme dans lecas de la vie animale. Selon Mamar, l'tre et le prir sont aussi desaccidents; ils ne seraient donc pas les effets immdiats des actes ducrateur, et celui-ci n'aurait produit qu'une matire universelle d'osortiraient successivement, en vertu d'une force immanente, les formesde tous les tres.

    Ayant exclu Dieu de la nature, Mamar le relgue aussi hors des atteintesde notre connaissance, par son opinion trs absolue sur la ngation desqualits divines. La science, par exemple, ne peut tre attribue Dieu, parce que, ou il est lui-mme l'objet de sa science et alors il ya une distinction entre le connaissant et le connu et par consquent unedualit dans l'tre de Dieu; ou l'objet de sa science lui est extrieur,et alors il n'est savant qu' la condition de cet objet extrieur et iln'est plus absolu. Cette critique revient dire que nos concepts nesont pas applicables l'tre divin et que celui-ci est inconnaissable.

    Les tendances panthistes de Mamar trouvent leur aboutissement chezTommah fils d'el-Achras. Ce docteur, fort connu des historiens, futperscut par Rchd qui l'emprisonna en l'an 186, et jouit au contraired'une grande faveur auprs de Mamoun. Il mourut en 213. Il avait le donde l'anecdote et de l'ironie, comme il parat d'aprs les rcits deMaoudi[11]. L'histoire du parasite qui se glissa dans une troupe demanichens croyant qu'ils allaient une partie de plaisir, est assez

    amusante. Cet homme s'aperut de son erreur quand il vit les manichenset lui-mme chargs de chanes par ordre de Mamoun. Amens devant lekhalife, ces hrtiques furent excuts. Quant au parasite, il sedclara prt renier Mans et souiller son image, expliquant qu'ils'tait tromp, ce qui divertit fort le khalife.--On prte Tommahcette opinion que le monde est un acte de Dieu selon la nature,c'est--dire que le monde n'est pas l'effet d'un acte libre du crateur,mais qu'il sort ncessairement de la nature divine. Le monde seraitainsi ternel comme Dieu et une face de la divinit.

    [Note 11: Les _Prairies d'or_, VII, 12 et suiv.]

    La notion de la mtempsycose reparut chez deux docteurs de la secte de

    Nazzm, Ahmed fils de Hbit et Fadl el-Hodabi. Ils l'appliqurent aveclimitation et d'une manire assez grossire, aux hommes qui n'ayant tni tout fait bons ni tout fait mchants, ne sont dignes ni du cielni de l'enfer. Les mes de ces hommes rentrent dans des corps d'hommesou d'animaux et recommencent d'autres existences. Ils eurent aussi uneinterprtation originale de la vision de Dieu, au jour de larsurrection. Les hommes ne verront pas Dieu lui-mme; mais ils verrontla premire intelligence, qui est l'intellect agent d'o les formesdcoulent sur les tres; c'est, d'aprs eux, ce qu'a entendu le prophtequand il a dit: Vous verrez votre Seigneur, comme vous voyez la lunedans la nuit de la nomnie. Voil un exemple assez topique del'application d'une ide grecque un texte musulman.

    Nous arrivons un clbre polygraphe et encyclopdiste, Amr, fils deBahr el-Djhiz, chef des Motazlites de l'cole de Basrah. Ce docteuravait t au service de Nzzam en qualit de page. Il suivit ses leonset recueillit son enseignement. Nos bibliothques renferment un grandnombre d'crits attribus Djhiz, et quoique cette attribution soitsouvent douteuse, on peut regretter que ces manuscrits n'aient pas faitl'objet de plus de travaux[12]. Djhiz toucha les sujets les plusdivers: belles-lettres, rhtorique, folklore, thologie, philosophie,gographie, histoire naturelle; son oeuvre embrassa toute la viereligieuse, sociale et littraire de son temps. Elle reut les plus

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    hauts loges. Maoudi dit[13]: On ne connat pas parmi lestraditionnistes et les savants d'auteur plus fcond que Djhiz. Sescrits, malgr leurs tendances hrtiques bien connues, charmentl'esprit du lecteur et lui apportent les preuves les plus videntes. Ilssont bien coordonns, rdigs avec un art parfait, admirablementconstruits et orns de tous les attraits du style. Djhiz parat avoirexerc une influence considrable. Il contribua rpandre parmibeaucoup d'auteurs l'esprit libral et critique de sa secte. Quant saphilosophie propre, toujours connue par le rsum sec de Chahrastani,elle semble n'avoir pas t dpourvue de finesse ni de puissance.

    [Note 12: Van Vloten a dit un ouvrage attribu el-Djhiz: _Le livredes beauts et des antithses_, Leyde, 1898. Cet ouvrage n'est passpcialement philosophique. V. en un compte rendu par Hirschfeld dans_Journal of the Royal Asiatic Society_, janvier 1899, p. 177.--V. surles ouvrages d'el-Djhiz ou lui attribus Brockelmann, _Geschichte derArabischen litteratur_, I, 153.]

    [Note 13: Les _Prairies d'or_, VIII, 33 et suiv.]

    Il n'y a pas de libert dans la connaissance. La connaissance dcouled'une ncessit naturelle. La volont elle-mme n'est qu'un mode de lascience et une espce d'accident. L'acte volontaire dsigne l'acte quiest connu par son auteur. La volont relative un acte extrieur n'est

    qu'une inclination.Les corps ont aussi de ces inclinations naturelles, qui dcoulent deleurs forces intimes. Les substances sont seules ternelles. Lesaccidents sont le changeant, le mobile, et ils expriment, en raison dela puissance immanente dans les substances, le processus de la vie descorps et de l'esprit. Si ce systme est bien compris, il aboutit donc une espce de monadologie.

    El-Djhiz a mis cette opinion bizarre que les damns ne souffraient pasternellement dans le feu, mais qu'ils se transformaient dans la naturedu feu. Relativement la thorie de la rvlation, on lui attribuecette autre opinion passablement excentrique que le Coran est un corps

    cr qui peut se changer en homme ou en animal.

    Dj avec el-Djhiz, mort en 255, nous atteignons l'poque du premierdes grands philosophes el-Kindi. Mais pour n'avoir pas revenir plustard sur les Motazlites, nous allons poursuivre en peu de motsl'histoire de cette intressante secte jusqu'au temps du thologienAchari.

    El-Khayt se distingue pendant cette priode dans l'cole desMotazlites de Bagdad. Il fonde une thorie aspect subjectiviste etassez originale. Il appelle chose ce qui est connu, ce dont on peutparler; et la chose, pour lui, a une ralit indpendante de sonexistence. L'tre n'est qu'une qualit qui s'ajoute la chose. Le noir,

    par exemple, est noir mme dans la non-existence. Autrement dit, lachose est dj relle dans le simple concept, avec son essence et sesqualits; et la production de l'objet se limite l'addition de laqualit d'tre cette essence et ces qualits relles.

    Dans l'cole des Motazlites de Basrah, deux noms prdominent: ceuxd'el-Djobby, mort en 303, et de son fils Abou Hchim. La dispute quis'leva entre ces deux docteurs au sujet des attributs divins, est d'uneextrme subtilit. Jadis le grand docteur Abou'l-Hodl avait faitdisparatre tous les attributs dans le concept mme de l'tre divin.

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    Abou Hchim trouve ce concept pur un peu vide. Il essaye de le remplir,d'en faire une image plus vivante de Dieu. Selon lui, les attributs sontdes modes distincts de l'tre, mais qui ne sont ni existants ni connusen eux-mmes et qui ne peuvent tre et tre connus qu'avec l'essencedivine. La raison distingue la chose connue en soi et la chose connuedans une de ses qualits; et ces jugements par lesquels elle runit ouelle disjoint les attributs, ne reviennent ni affirmer l'tre seul, ni affirmer des accidents ct de l'tre. Les attributs sont donc desespces de modes ayant une existence subjective pour celui qui connatl'tre divin. La subjectivit mme de cette thorie dplut el-Djobby.Il lui sembla que ces modes se rduiraient des noms ne recouvrantaucun concept ou des ides purement relatives de l'esprit, incapablesde valoir comme qualits; et il s'en tint peu prs la doctrined'Abou'l-Hodl.

    Djobby eut pour lve, avec son fils, le fameux thologien Achari(260-324) qui marque un point culminant dans l'histoire de la thologiephilosophique chez les Musulmans; mais comme nous n'avons pasl'intention de parler de lui dans ce volume, il convient que nous nousarrtions.

    Nous avons dit que les Motazlites taient la plus philosophique dessectes musulmanes, et que nous n'entreprendrions pas l'histoire dessectes thologiques, juridiques, mystiques et politiques. Quelques

    lignes sur des sectes opposes aux Motazlites suffiront faire sentirla supriorit de ceux-ci, et laisser entrevoir l'immense mouvementd'ides qui eut lieu dans la priode dont nous nous occupons, et dontnous venons de rapporter ce qui intresse le plus la philosophie pure.

    En opposition avec la thorie Motazlite de la ngation des attributsdivins, on vit s'lever une thorie adverse qui affirma ces qualitsjusqu' tomber dans l'anthropomorphisme. On appelle en gnral Siftitesdu mot _Sift_, qualits, les Musulmans qui affirment la ralit desattributs divins, conformment la tradition orthodoxe. Aprsl'apparition de la critique Motazlite, quelques Siftites serfugirent dans une thorie prudente du divin inconnaissable. Ilsdirent que, sans aucun doute, Dieu n'tait pas semblable l'homme,

    qu'il n'avait ni semblable ni associ, et que, en dfinitive, onignorait le sens rel des versets du Coran qui contiennent des imagesanthropomorphiques. D'autres Siftites tombrent, en sens inverse, dansd'tonnants excs. Parmi eux on remarque Mohammed fils de Kerrm qui futle fondateur d'une secte trs importante, surtout en Syrie. Cepersonnage, issu du Sdjestan, mourut en 256 Zogar et fut enterr Jrusalem[14]. Il enseigna que Dieu est pourvu d'un corps et d'unefigure semblables ceux des cratures, et il expliqua la manirehumaine les qualits divines. Chahrastani donne de longs dtails surcette secte, et il remarque que les mmes questions existaient dans lejudasme o, selon lui, elles taient rsolues dans le sensanthropomorphe par les Karates[15].

    [Note 14: V. Sylvestre de Sacy, _Expos de la Religion des Druzes_, 2vol. Paris, 1838, Introduction, p. xix.]

    [Note 15: Chahrastani, d. Cureton, p. 65.]

    Les thologiens opposs la doctrine du libre arbitre, reurent le nomgnral de _Djabarites_, du mot _djabr_, contrainte. On doit citer parmieux Djahm, fils de Safwn, qui prcha Tirmid, dans la Transoxiane, etfut mis mort la fin du rgne des Omeyades. Djahm soutenait quel'homme n'a pas de pouvoir sur ses actes et qu'il ne peut tre qualifi

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    de soumis Dieu. Il est en vrit contraint; il n'a ni pouvoir, nivolont, ni libert. Dieu cre tous ses actes comme il les cre dans lesautres tres, dans l'arbre qui pousse, dans l'eau qui coule, dans lapierre qui tombe. Les actes bons ou mauvais de l'homme sont ncessitset les chtiments ou les rcompenses sont des consquences ncessairesde ces actes ncessaires.

    L'on voit combien ces thories brutales nous loignent de la fineanalyse des penseurs Motazlites et de la vraie philosophie.

    CHAPITRE III

    LES TRADUCTEURS

    Nous avons, dans les premiers chapitres, pos la thse du problmescolastique, c'est--dire la thodice mahomtane et ses variationsimmdiates; nous allons maintenant poser l'antithse, qui consiste dansl'introduction de la philosophie grecque dans l'islam. Et ici noussommes oblig d'largir beaucoup notre cadre. Il ne faut pas sereprsenter exclusivement la philosophie musulmane soit comme l'effet

    d'une renaissance subite survenue aprs la dcouverte d'ouvragesantiques, soit comme la continuation immdiate de la philosophiegrecque. Son origine est un peu plus complexe. Le mouvement detraduction en arabe commena sous le rgne d'el-Mansour (136-158), etfut encyclopdique. On traduisit des ouvrages scientifiques,littraires, philosophiques et religieux appartenant cinqlittratures: les littratures grecque, hbraque, syrienne, persane etindienne. Les crits philosophiques ne furent pas compris du premiercoup et l'on n'eut en arabe de traductions suffisamment parfaitesd'Aristote qu'au temps d'el-Farabi, au commencement du quatrime siclede l'hgire. Mais d'un autre ct la tradition de l'enseignementphilosophique grec s'tait continue dans le monde oriental jusqu'aumme temps; et alors que les grandes oeuvres de la haute poque

    classique taient oublies ou mal comprises, des oeuvres secondaires etde basse poque, contenant des mthodes d'un caractre dj scolastiquedevaient tre largement rpandues. Il ne me parat pas que l'on aitjamais tent un effort assez considrable pour reconstituer l'histoirede l'enseignement philosophique ds aprs le temps d'Aristote et jusqu'la formation de la scolastique musulmane. Au moment o celle-ci apparut,la philosophie tait considre, non pas comme une collection desystmes disparates, mais comme une science unique et vivante qui seperptuait surtout par la tradition. La renaissance philosophique chezles Arabes fut produite par l'tude directe des ouvrages anciens lalumire et sous l'influence de cette tradition.

    Plusieurs auteurs arabes, parmi lesquels Farabi, comme nous le verrons,

    ont trs nettement exprim cette croyance en l'unit de la philosophie,confondue leurs yeux avec la science, et en sa perptuit. Maoudi, serfrant un de ses livres malheureusement perdu, dit quelque part[16]:Nous avons rappel comment le chef-lieu du savoir humain a ttransfr d'Athnes Alexandrie, dans le pays d'gypte. L'empereurAuguste, aprs qu'il eut fait prir Cloptre, tablit deux foyersd'instructions, Alexandrie et Rome; l'empereur Thodose fit cesserl'enseignement Rome et le reporta tout entier Alexandrie. Nous avonsdit encore pourquoi, sous Omar fils d'Abd el-Aziz, le chef-lieu del'enseignement fut transfr d'Alexandrie Antioche, et comment, plus

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    tard, sous le rgne de Motwekkil, il fut transfr Harrn. Ceslignes sont un peu brves et elles ne reprsentent peut-tre pas trsexactement la marche relle de la tradition philosophique. Mais du moinselles indiquent assez bien l'esprit dans lequel doit tre rdig et luce chapitre.

    [Note 16: Maoudi, _le Livre de l'avertissement et de la revision_,trad. B. Carra de Vaux, page 170, Paris, Collection de la Socitasiatique, 1896. Le texte arabe de ce livre a t dit par M. J. deGoeje, _Bibliotheca geographorum arabicorum_, t. VIII, _Kitb at-tanbhwa'l-ischrf_, Leyde, 1894.]

    Avant l'poque de la conqute musulmane, la branche de la famillesmitique qui dominait en Orient n'tait pas l'arabe; c'taitl'aramenne, laquelle appartient la littrature syriaque. L'hellnismeavait pntr de fort bonne heure chez les Aramens, et ceux-ci avaienteu tout le temps d'en subir l'influence au moment o ils furentsupplants dans leur hgmonie par leurs cousins arabes. Les Arabestrouvrent donc la tradition philosophique dj tablie dans une raceapparente la leur, de qui ils la recueillirent sans peine. Nousdevons expliquer cette transmission.

    Ce fut ds le milieu du deuxime sicle de l're chrtienne quel'hellnisme commena se rpandre dans le monde aramen, port par le

    christianisme et la gnose. Vers ce moment-l fut faite de l'hbreu ensyriaque la version des critures dite _Pechito_, qui tmoigne de laconnaissance de la version grecque des Septante[17]. Dans le mme tempsles Marcionites et les Valentiniens comptaient des adeptes desse[18].Bardesane, peu aprs, fondait, dans cette ville, la littrature syriaqueet instituait une secte qui, malgr des doutes rcemment soulevs[19],ne peut gure tre rattache qu'au gnosticisme. Au commencement dutroisime sicle, un vque d'desse se fit imposer les mains parl'vque d'Antioche et affilia, par cet acte, l'glise syrienne l'glise hellnique[20]. Un lien officiel fut ds lors tabli entrel'aramasme et l'hellnisme.

    [Note 17: Rubens Duval, _Histoire d'desse_, _Journal Asiatique_, 1891,

    t. II, p. 262.]

    [Note 18: Rubens Duval, _op. laud._, p. 267.]

    [Note 19: M. F. Nau, dans diffrentes publications et notamment dans unenote intitule _Bardesane l'Astrologue_ (_Journal Asiatique_, 1899, t.II, pages 12 19), a soutenu que Bardesane n'avait jamais vers dans legnosticisme et que tout au plus tait-il tomb dans les erreurs desastrologues. Cette opinion, outre qu'elle conduit accuser saint Ephremd'ignorance et presque de mauvaise foi, rendrait difficilementexplicable la tradition ancienne et tenace qui range Bardesane parmi lesdualistes ou les gnostiques, ct de Mans et de Marcion, et plusdifficilement explicable encore l'existence d'une secte dite des

    Bardesanites qui fut connue durant tout le haut moyen ge oriental (V.Maoudi, _le Livre de l'avertissement_, p. 188; Chahrastani, d.Cureton, p. 194). Il est noter que la science des Chaldens danslaquelle on rapporte que Bardesane excellait, ne devait pas tresimplement l'astrologie mais devait comprendre une partie philosophique(cf. Brandt, _Die Mandische religion_ au chapitre _Die Chaldischephilosophie_, p. 182 et suiv.); en outre il est invraisemblable qu'onait pu confondre un grand philosophe, chef d'une importante cole, avecun vulgaire astrologue. M. F. Nau a rcemment publi de Bardesane untexte, _Le livre des lois des pays_ (Paris, Leroux, 1899), qui

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    videmment ne suffit pas trancher la question.]

    [Note 20: Rubens Duval, _op. laud._, p. 273.]

    La ville d'desse en Osrhone, situe dans la boucle la plus occidentalede l'Euphrate, l'Ouest de la Msopotamie, demeura pendant une assezlongue priode le centre de la culture aramenne. Une cole fameuse s'yforma, dont le docteur saint Ephrem (mort en 373 du Christ) fut une deslumires. A cette cole se pressrent des tudiants chrtiens venus desdivers points de la Msopotamie et des provinces de la Perse en proieaux perscutions des Mages. On s'y livra aux tudes grecques considrescomme branche de la thologie, et on commena y faire des traductions.

    Cette cole, dite cole des Perses, se laissa ensuite envahir par leNestorianisme, et l'empereur Znon la ferma en 489. Les matres et lesdisciples rests attachs l'hrsie de Nestorius s'exilrent; ils serunirent sur d'autres points, notamment Nisibe en territoirepersan[21].--A Djondisbour, dans la province perse de Khouzistan, leroi Khosros Anochirwan fonda, vers l'an 530 du Christ, une acadmie dephilosophie et de mdecine qui subsista jusqu'au temps desAbbasides[22].--Ibas, qui avait t vque d'desse, avait profess dansl'cole et avait contribu y rpandre l'hrsie nestorienne. Letravail de traduction reut de ce personnage une vive impulsion. C'est lui et ses disciples que les Syriens durent les premires versions

    d'aprs le grec des oeuvres de Diodore de Tarse et de Thodore deMopsueste[23]. A cette occasion, on traduisit aussi divers critsd'Aristote. Ibas en interprta lui-mme quelques-uns. Un certain Probustraduisit et commenta les _Hermneia_ et peut-tre aussi d'autresparties de l'_Organon_. Nous retrouverons plus loin d'illustrestraducteurs syriens de la croyance nestorienne l'poque mme desArabes.

    [Note 21: Rubens Duval, _op. laud._, p. 432.]

    [Note 22: Schulze, _Disputatio de Gundisapora_. Commentaria soc. scient.Petropolis, vol. XII.]

    [Note 23: V. sur Ibas et sur les savants syriens monophysites dont nousparlons ci-aprs, l'excellent livre de Rubens Duval: _La littraturesyriaque_, dans la collection des _Anciennes Littratures chrtiennes_,Paris, Lecoffre, 1899. Une deuxime dition est sous presse.--Cf. lathse latine de Renan, _De philosophia peripatetica apud Syros_, Paris,1852.]

    La ruine d'desse comme capitale scientifique n'interrompit pas l'tudedes lettres grecques chez les Syriens appartenant la sectemonophysite; mais cette tude eut ds lors pour centre les couvents.Philoxne de Mabboug qui fut patriarche monophysite d'Antioche est l'unde ceux qui avaient sollicit de l'empereur la destruction de l'coledes Perses. Il tait philosophe en mme temps que thologien, et c'est

    dans ses crits, dit-on, qu'il faudrait chercher les premiers essais dela scolastique[24]. Un autre monophysite renomm comme dialecticien futSimon, vque de Beit-Archam. Il vcut au commencement du siximesicle et il fut appel le Sophiste perse.

    [Note 24: Une mine d'une merveilleuse richesse pour l'histoire desorigines de la scolastique sera ouverte par la publication de lapatrologie syriaque que prpare Mgr R. Graffin. Un seul volume de cetteimportante publication est encore paru. Il comprend une rdition deshomlies d'Aphraste, avec traduction latine et introduction par Dom

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    Parisot. _Patrologia syriaca_, I, Paris, Didot, 1894.]

    Mais le plus intressant personnage de cette secte au point de vue quinous occupe, est le savant Sergius de Rechana (arabe Rasan). Sonoeuvre se compose presque entirement de traductions de livres grecs.Prtre, rudit, littrateur et mdecin, Sergius de Rasan n'eut pas lecaractre la hauteur de son talent. On lui reproche la corruption deses moeurs; sa conduite politique parat flottante et compliqued'intrigues. Quoique monophysite, il fut l'ami de Thodore de Merv,vque Nestorien, et il accomplit une mission diplomatique auprs dupape Agapet, de la part du patriarche orthodoxe d'Antioche. Il amena lepape Constantinople, o il mourut presque en mme temps que lui, enl'an 536. Il avait appris le grec Alexandrie. Sergius de Rechanatait loquent, grand philologue et le premier du corps des mdecins.Ses traductions, faites du grec en syriaque, portrent sur des livres dephilosophie et de mdecine. Il traduisit une partie des oeuvres deGalien. On a de lui une traduction des _Catgories_ d'Aristote, del'_Isagoge_ de Porphyre, du trait du _Monde_ qui fut attribu Aristote, d'un trait de _l'Ame_ entirement diffrent du trait de mmetitre d Aristote. Sergius ddia son ami Thodore de Merv, versainsi que lui dans la philosophie pripatticienne, un trait originalsur la _Logique_. Il crivit sur _la Ngation et l'affirmation_, sur _leGenre, l'espce et l'individu_, sur _les Causes de l'univers, selon lesprincipes d'Aristote_. Les Syriens et les Arabes lourent l'envi ses

    qualits de traducteur, avec raison selon un rudit moderne, M. VictorRyssel. Pour ce savant la traduction du trait du _Monde_ par Sergiusdoit tre considre comme le chef-d'oeuvre de l'art du traducteur, etil parat par la comparaison avec les textes grecs de cet ouvrage, queSergius ne se servit pas d'un seul manuscrit, mais de plusieurs dont ilsut faire un examen critique[25].

    Vers la fin du sixime sicle, Paul le Perse brilla dans la philosophie.Il composa, dit Bar Hebrus, une admirable _Introduction la logique_qu'il adressa au roi de Perse Khosros Anochirwan[26]. Au commencementdu septime sicle, l'enseignement du grec fut florissant dans lecouvent de Kennesr, sur la rive gauche de l'Euphrate. L'vque SvreSebokt, vers 640, y commenta les _Premiers Analytiques_ d'Aristote et

    les _Hermneia_. L'oeuvre de Svre Sebokt fut poursuivie par sesdisciples Athanase de Balad (mort en 687 ou 688) et le grandencyclopdiste syrien Jacques d'desse (mort en 708). Aprs eux encore,George vque de Koufah pour les Arabes monophysites traduisit_l'Organon_ d'Aristote. Mais nous sommes parvenus au temps de laconqute arabe, avec laquelle la littrature syriaque dcline.

    [Note 25: V. sur Sergius de Rechana Bar Hebrus, _Chroniqueecclsiastique_, d. Abbeloos et Lamy, Louvain, 1872, t. I, col.206.--Sur les traductions syriaques antrieures l'poque mahomtane,on consultera avec fruit l'ouvrage de Sachau, _Inedita syriaca_, Vienne,1870.--Hoffmann a consacr une tude spciale aux versions syriaques desHermneia: _De hermeneuticis apud Syros_.--Cf. encore sur Sergius de

    Rechana: Land, _Anecdota syriaca_, III, 289; Baumstark, _Lucubrationessyro-grc_, p. 358.]

    [Note 26: Renan, _Journal Asiatique_, 1852, t. I, p. 312.]

    Ainsi pendant cinq sicles les Syriens s'taient tenus au contact de lascience grecque, s'taient assimil sa tradition, en avaient traduit etinterprt les textes, et avaient produit eux-mmes des oeuvresimportantes dans le domaine de la philosophie thologique. Les formes dela philosophie scolastique taient nes entre leurs mains; les arts de

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    la logique avaient fleuri dans leurs coles. L'esprit, les oeuvres et latradition de l'hellnisme se trouvaient donc transports dj, au momento parut l'islam, dans un monde apparent au monde arabe. Nous verronsbientt les savants mahomtans s'initier la culture grecque sous ladirection de Syriens Jacobites et Nestoriens.

    Avant d'expliquer comment les Arabes reurent la science principalementdes mains des chrtiens, il convient de reprendre la question d'un peuhaut, afin de dissiper des impressions inexactes qui pourraient existerdans l'esprit de quelques lecteurs. Durant cette longue priodeantrieure l'islam o nous avons vu la branche aramenne de la famillesmitique s'assimiler le christianisme et la culture hellne, l'lmentarabe ne constituait pas lui-mme un monde absolument ferm. On asouvent not, propos de l'histoire des origines musulmanes, que lesud-ouest de l'Arabie, le Ymen, contenait cette poque des lmentschrtiens et qu'il tait en relations avec un royaume chrtiend'Afrique, l'Abyssinie. Un fait plus important et sur lequel on a moinsinsist, ce semble, est l'extension de la race arabe vers le nord,antrieurement l'islam, et la formation de petits royaumes arabes,vassaux des empires de Perse ou de Byzance, le long des frontires deces empires.

    Les empereurs et les Khosros s'taient habilement servis de certainestribus arabes sdentaires pour s'en faire un rempart contre les

    incursions des Arabes nomades ou Bdouins. Maoudi rapporte[27] que lesArabes de la famille de Tanoukh vinrent les premiers en Syrie, qu'ilss'y allirent aux Grecs aprs avoir embrass le christianisme et quel'empereur les investit de l'autorit sur tous les Arabes sdentairesdomicilis en Syrie. La famille de Salkh succda celle de Tanoukh etdevint chrtienne aussi; elle fut son tour supplante par la dynastiede Gassn qui continua gouverner les Arabes par dlgation des Roumis.Les rois de Gassn rsidaient Yarmouk et en d'autres localits entrela Goutah (la plaine) de Damas et les places frontires dpendant decette ville. Ce royaume sombra au moment de la conqute musulmane et unegrande partie des Arabes de Syrie embrassa l'islamisme.

    [Note 27: Maoudi, _les Prairies d'or_, t. III, p. 215 220, et le

    _Livre de l'Avertissement_, p. 251.]

    Le royaume de Hra tait un important royaume arabe dont les princestaient vassaux des rois de Perse. Hra tait situ au sud de Babyloneet l'ouest de l'Euphrate, non loin de l'emplacement o, dans lespremires annes de l'hgire, les Musulmans fondrent Koufah. Des Arabestaient venus de bonne heure s'tablir dans ces rgions. Le royaume deHra eut, avant l'islam, une assez longue histoire, dans laquellel'lment chrtien joue un rle important[28]. Un roi de Hra, nomm Amrfils de Moundir, qui rgna jusqu'en 568 ou 569, avait une mrechrtienne, probablement une captive prise la guerre, qui fonda uncouvent Hra sous le rgne de Khosros Anochirwan. On peut infrerd'une inscription qui fut place dans cette glise que ce prince aussi

    se fit chrtien[29]. Peu aprs ce temps-l on comptait un petit nombrede familles chrtiennes de haut rang dans la ville. Elles appartenaient la secte de Nestorius, et elles prenaient le nom d'Ibadites signifiantserviteurs de Dieu[30], pour se distinguer des paens. Un interprte dunom de Adi l'Ibadite, de la tribu arabe de Tmm, se fit alorsparticulirement remarquer[31]. Cet Adi accomplit le mtier d'interprteauprs de Kesra Eperwiz pour qui il traduisait l'arabe en persan. Iltait en outre pote, orateur, diplomate, un modle achev de laculture, tant physique que morale, des Perses et des Arabes. Il devaitaussi savoir le syriaque qui tait alors la langue des Arabes chrtiens.

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    Adi fut charg de l'ducation de Noman fils de Moundir, que, grce l'influence dont il jouissait auprs du roi de Perse, il fit monter surle trne de Hra. Il est probable que, en raison de cette mmeinfluence, Noman fit accession au christianisme; il n'en continua pasmoins vivre dans la polygamie, selon les moeurs paennes, et il selaissa induire en de longues intrigues au terme desquelles il mit mortson ducateur Adi. Le fils de ce dernier, qui avait hrit del'intelligence de son pre et de son crdit auprs des rois de Perse,dcida Eperwiz tirer vengeance de ce meurtre[32]. Noman vaincu fut mis mort, apparemment en 602.

    [Note 28: Le grand historien Tabari s'est longuement occup del'histoire du royaume de Hra. V. Noeldeke, _Geschichte der Perser undAraber zur Zeit der Sasaniden, aus der arabischen Chronik des Tabaribersetzt_. Leyde, 1879.]

    [Note 29: Noeldeke, _op. laud._, p. 172, n. 1.]

    [Note 30: Noeldeke, _op. laud._, p. 24, n. 4. Abou'l-Faradj, _Histoiredes dynasties_, d. Salhani, propos de Honn ibn Ishk, donne uneinterprtation de ce nom, p. 250. Cf. notre note Maoudi, _Livre del'Avertissement_, p. 205, n. 1, et _les Prairies d'or_, II,328.--Quelques auteurs prfrent lire Abadites, d'aprs Ibn Abi Oseibia,_Classes des Mdecins_, d. Mller, I, 184. V. encore sur ce nom Ibn

    Khallikan, _Biographical Dictionary_, trad. Mac Guckin de Slane, I, 188;Dr. Gustav Rothstein, _Die Dynastie der Lahmiden in al-Hra_, Berlin,1899, p. 19.]

    [Note 31: Noeldeke, _Geschichte der Perser und Araber_, p. 312 etsuiv.--Un trs clbre recueil arabe, le _Kitb el-Agni_ ou _Livre desChansons_ (dition de Boulaq, t. II, p. 18 et suiv.), a consacr Adifils de Zd une notice qui a t traduite par Caussin de Perceval,novembre 1838. Cf. Caussin de Perceval, _Essai sur l'histoire des Arabesavant l'islamisme_, t. II, p. 135 et suiv.]

    [Note 32: On trouve le rcit de cette vengeance dans Maoudi, _lesPrairies d'or_, t. III, p. 205.]

    Peu d'annes aprs ces faits et une dizaine d'annes avant l'hgire, eutlieu la bataille de Dou Kr dans laquelle les Perses allis aux Arabesde la tribu chrtienne de Taglib furent vaincus par les Arabes de latribu de Bekr[33]. Le royaume de Hra fut dtruit, et ce boulevard tanttomb, la Perse se trouva sans rempart contre les Arabes musulmans. Hrafut saccage l'anne de la fondation de Koufah (15 ou 17 de l'hgire) etdisparut tout fait sous Motadid. Cette ville, ajoute Maoudi,renfermait plusieurs monastres; mais quand elle tomba en ruines, lesmoines migrrent dans d'autres contres. Aujourd'hui elle n'est plusqu'un dsert dont la chouette et le hibou sont les seuls htes[34].

    [Note 33: Maoudi, _le Livre de l'Avertissement_, p. 318.]

    [Note 34: Maoudi, _les Prairies d'or_, t. III, p. 213.]

    L'on voit donc que, longtemps avant l'hgire, les Arabes avaient franchiles limites de leur dsert. On a coutume de comparer la conqutemusulmane l'action d'une force qui, aprs avoir longtemps sommeill aufond des dserts, aurait soudain fait explosion et renvers devant elleun tiers des royaumes de la terre. Cette comparaison est utile si on nela fait servir qu' donner une ide vive de la rapidit de cetteconqute; mais applique l'histoire intellectuelle, elle est fausse.

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    Il faut au contraire retenir que, au moment o parut l'islam, les Arabestaient dj venus au contact de plusieurs empires, et qu'ils avaientabord cette civilisation chrtienne de qui ils allaient recevoir ledpt de la science, pour le lui rendre ensuite aprs l'avoir faitfructifier plusieurs sicles.

    Mahomet eut du respect pour les personnages religieux des diversescroyances, et son exemple Ali accorda des immunits beaucoup decouvents chrtiens. De plus le Coran reconnut aux Chrtiens et aux Juifsune certaine dignit dans l'ordre de la foi, parce qu'ils taientpossesseurs de livres rvls; il les dsigna par le titre de _Gens duLivre_ et il eut pour eux moins de mpris que pour les paens. Cescirconstances taient favorables la conservation de la science. Aprsla prise de Jrusalem en l'an 636, Omar accorda aux Chrtiens une charteou capitulation, qui servit de modle la plupart des rglementsrelatifs aux tributaires chrtiens, appliqus depuis dans l'islam. Letexte de cette capitulation nous a t transmis avec quelques variantespar plusieurs historiens, notamment par Tabari[35]. Il tait permis auxChrtiens de conserver leurs glises; mais elles devaient tre ouvertesaux inspecteurs musulmans et dfense tait faite d'en btir denouvelles. On ne devait plus sonner les cloches, ni exhiber d'emblmesreligieux en public. Les Chrtiens devaient garder leur costume, nepoint porter d'anneaux et se ceindre d'une corde appele _zonnar_, commesigne distinctif. Le port des armes et l'usage du cheval leur taient

    interdits. Enfin ils taient soumis une capitation. Ces dispositionsgnrales pouvaient, suivant le caprice des autorits, tre interprtesavec tolrance ou donner lieu au contraire des vexations pnibles.Mais elles taient de peu d'importance dans les cas spciaux o lafaveur d'un prince musulman s'attachait directement la personne dequelque infidle notable; et comme la science est principalementl'oeuvre des individualits, ce sont ces cas spciaux qui ici nousintressent le plus.

    [Note 35: La grande dition de Tabari, 1re srie, t. VIII, p. 2406.--LeP. H. Lammens a tudi d'une manire fort intressante la situation deschrtiens sous les premiers Khalifes dans son mmoire intitul le_Chantre des Omiades, notes biographiques et littraires sur le pote

    arabe chrtien Ahtal_, paru dans le _Journal Asiatique_, 1894. Il y estquestion de la capitulation d'Omar la page 112 du tirage part.]

    Quatre genres de talents attiraient surtout sur des personnages nonmusulmans la faveur des khalifes: les talents artistiques, mdicaux,administratifs et scientifiques. L'habilet dans les mtiers taitprise chez les Chrtiens, parce qu'elle ne se rencontrait pas au mmedegr chez les Musulmans. Le khalife Omar avait drog une dispositiondu prophte, en tolrant en Arabie la prsence d'un chrtien, AbouLoulouah, artisan fort habile dans divers mtiers. Ce favori devint sonmeurtrier. La posie et la musique taient des arts vivement gots parles Arabes, avant le temps de Mahomet. La prdication du Coran ne leuravait pas t trs favorable; mais les khalifes Omeyades, princes un peu

    sceptiques pour la plupart et amateurs de plaisirs, leur avaient renduleur faveur. Leur pote prfr fut un chrtien Ahtal, l'un des plusgrands potes arabes, contemporain d'Abd el-Mlik fils de Merwn; ilappartenait par son pre la tribu chrtienne de Taglib tablie Koufah et dans l'Aderbadjan, et par sa mre la tribu chrtienned'Iyd qui s'tait installe de bonne heure en Msopotamie[36]. Ahtalparaissait firement la cour du khalife, portant son cou une croixd'or. A cette poque on se divertissait Koufah en buvant le vin malgrles prohibitions du prophte, et en coutant les chansons. Le frred'Abd el-Mlik y faisait venir de la ville voisine, de Hra, le musicien

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    chrtien Honn, et il s'enfermait avec lui au fond de ses appartements,entour de ses familiers, le front couronn de fleurs[37].

    [Note 36: Lammens, _op. laud._, pages 6 et 7.]

    [Note 37: Lammens, _op. laud._, p. 165.]

    Les mdecins qui les premiers khalifes se confirent furentordinairement des Syriens ou des Juifs. Les Musulmans n'avaient pas eule temps encore d'apprendre la mdecine. Auprs de l'Omeyade Merwn filsd'el-Hakem, nous trouvons un mdecin juif de langue syriaque,Mserdjaweh, qui traduisit le trait du prtre Aaron[38]. Cet Aarontait un mdecin alexandrin du temps d'Hraclius dont le livre fut fortrpandu chez les Syriens. Auprs d'el-Heddjdj, le terrible gnrald'Abd el-Mlik fils de Merwn, nous voyons deux mdecins de noms grecsTayaduk et Thodon qui laissrent une cole[39]. Un peu plus tard,Haroun er-Rchd faisait rveiller par un mdecin indien, son cousinIbrhim tomb en lthargie, tandis qu'un mdecin chrtien de languesyriaque, Yohanna ibn Msaweh, traduisait pour lui en arabe les livresde mdecine antique[40]. Cet Ibn Msaweh assistait avec un autrechrtien Bokhtichou le khalife Mamoun mourant[41].

    [Note 38: Abou'l-Faradj (Bar Hebrus), _Histoire des Dynasties_, pages192 et 157.]

    [Note 39: Abou'l-Faradj, _op. laud._, 194.]

    [Note 40: Abou'l-Faradj, _op. laud._, p. 227.]

    [Note 41: Maoudi, _les Prairies d'or_, t. VII, p. 98.--Nous n'avons pasen principe nous occuper dans ce livre de l'histoire des mdecins.Mais comme la science, l'poque dont nous traitons, affectait souventle caractre encyclopdique, et que plusieurs des philosophes dont nousavons parler ont t mdecins, il est juste que nous mentionnions iciles deux principaux ouvrages relatifs aux mdecins arabes: Les _Classesdes mdecins_, par Ibn abi Osebia, d. Mller, Knigsberg, 1884, et la_Geschichte der arabischen Aerzte und Naturforscher_, Gttingue, 1840.]

    Dans l'ordre de l'administration, les chrtiens rendirent aux Musulmansd'minents services; et sans eux l'empire des khalifes n'aurait pas pus'organiser. Les conqurants mahomtans, ne trouvant dans leur proprerace que les souvenirs et les exemples de la vie de clan, n'avaientaucune connaissance des pratiques administratives. Ils furent contraintsde donner beaucoup de place des chrtiens. Mowiah, qui tait moinsferme croyant que rus politique, laissa, dans la plupart des provincesqu'il conquit, les employs chrtiens en place et se contenta de changerles garnisons. Il fut imit par ses successeurs Omeyades. Nous voyons uncertain Athanase, notable chrtien d'desse, tre en grande faveurauprs d'Abd el-Mlik fils de Merwn, cause de ses capacits d'hommed'affaires[42]. Wld fils d'Abd el-Mlik dut dfendre aux scribes, dont

    beaucoup taient chrtiens, de tenir leurs registres en grec, et il leurenjoignit de les tenir en arabe[43]. Un chrtien qui occupa des emploistrs levs auprs des Musulmans fut Sergius Mansour ou Serdjoun leRoumi, dont Maoudi nous apprend qu'il servit de secrtaire quatrekhalifes[44]. Ce Sergius eut pour fils un homme qui le dpassa enrenomme, qui devint l'un des derniers Pres grecs et l'un des premiersscolastiques: saint Jean Damascne.

    [Note 42: Lammens, _op. laud._, p. 122, d'aprs Rubens Duval, _Histoired'Edesse_.]

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    [Note 43: Abou'l-Faradj, _Histoire des Dynasties_, p. 195.]

    [Note 44: Maoudi, _le Livre de l'Avertissement_, V. l'_Index_. LesKhalifes dont il s'agit sont: Moawih, Yzid son fils, Moawih fils deYzid et Abd el-Mlik fils de Merwn.]

    Enfin la science et la philosophie furent pour leurs adeptes un titre la faveur des princes Mahomtans; et c'est par les cours que, endfinitive, elles entrrent dans l'islam. C'est au khalife Abou Djafarel-Mansour que revient l'honneur d'avoir inaugur la grande poque destudes arabes et d'avoir orn l'empire mahomtan de l'clat de lascience. Mansour donna l'ordre de traduire en arabe beaucoup d'ouvragesde littrature trangre comme le livre de _Kalilah et Dimnah_, le_Sindhind_, diffrents traits de logique d'Aristote, l'_Almageste_ dePtolme, le livre des _lments_ d'Euclide et d'autres ouvrages grecs,byzantins, pehlvis, parsis et syriaques[45]. Le livre de _Kalilah etDimnah_ fut traduit par Ibn el-Mokaffa qui fut l'un des rudits clbresde ce temps. On dit qu'il traduisit aussi du pehlvi et du parsi lesouvrages de Mans, de Bardesane et de Marcion[46]. Les Arabes semblentavoir eu ce moment les yeux tourns surtout vers la Perse et versl'Inde comme foyers de lumire. Cependant Ibn el-Mokaffa traduisit aussipuis abrgea les _Hermnia_ d'Aristote. Ce savant tait lui-mmed'origine persane. Il vcut Basrah. S'tant attir l'inimiti du

    khalife par ses opinions politiques favorables aux descendants d'Ali, ilfut mis mort[47] en l'an 140.

    [Note 45: Maoudi, _les Prairies d'or_, VIII, 291.--S. de Sacy a critune tude sur _Calila et Dimnah ou fables de Bidpai en arabe_, Paris,1830. V. sur la trs intressante bibliographie de cet ouvrage, V.Chauvin, _Bibliographie des ouvrages arabes ou relatifs aux Arabes_, II,Lige, 1897.]

    [Note 46: Maoudi, _les Prairies d'or_, VIII, 293. Il est regrettableque ces traductions ne se soient pas mieux conserves; voyez cependantsur le manichisme d'aprs les sources arabes la curieuse tude deFlgel, _Mani und seine Lehre_, 1862.]

    [Note 47: Brockelmann, _Geschichte der arabischen litteratur_, I, 151.]

    En l'an 156 de l'hgire, un Indien se prsenta la cour d'el-Mansour etapporta un livre de calcul et d'astronomie indienne[48]. Ce livre appel_sindhind_ fut traduit en arabe par l'astronome el-Fazari et fut lepoint de dpart des tudes astronomiques et arithmtiques des Arabes. Legrand astronome Mohammed fils de Mousa el-Khrizmi s'en inspira plustard, sous le rgne de Mamoun, pour composer des tables astronomiques etdes traits o il combina les mthodes indiennes avec celles des Grecs.

    Maoudi raconte encore que de son temps, c'est--dire antrieurement l'poque d'Avicenne, un livre connu sous le nom de _Mille et une Nuits_

    et venant de Perse, tait rpandu dans le public. C'tait un recueil decontes qui n'tait pas identique celui que nous possdons sous cenom[49].

    [Note 48: M. Cantor, _Vorlesungen ber Geschichte der Mathematik_, I,597. Il a paru une deuxime dition de cet important volume qui contientles chapitres relatifs aux mathmaticiens arabes.]

    [Note 49: Maoudi, _les Prairies d'or_, IV, 90.--On peut toujours relirela _Dissertation_ de Sylvestre de Sacy _sur