gonseth philo ouverte 66

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Société romande de philosophie : la philosophie ouverte Autor(en): Gonseth, Ferdinand Objekttyp: Article Zeitschrift: Revue de théologie et de philosophie Band (Jahr): 16 (1966) Heft 2 Persistenter Link: http://dx.doi.org/10.5169/seals-380854 PDF erstellt am: 22.11.2014 Nutzungsbedingungen Mit dem Zugriff auf den vorliegenden Inhalt gelten die Nutzungsbedingungen als akzeptiert. Die ETH-Bibliothek ist Anbieterin der digitalisierten Zeitschriften. Sie besitzt keine Urheberrechte an den Inhalten der Zeitschriften. Die Rechte liegen in der Regel bei den Herausgebern. Die angebotenen Dokumente stehen für nicht-kommerzielle Zwecke in Lehre und Forschung sowie für die private Nutzung frei zur Verfügung. Einzelne Dateien oder Ausdrucke aus diesem Angebot können zusammen mit diesen Nutzungshinweisen und unter deren Einhaltung weitergegeben werden. Das Veröffentlichen von Bildern in Print- und Online-Publikationen ist nur mit vorheriger Genehmigung der Rechteinhaber erlaubt. Die Speicherung von Teilen des elektronischen Angebots auf anderen Servern bedarf ebenfalls des schriftlichen Einverständnisses der Rechteinhaber. Haftungsausschluss Alle Angaben erfolgen ohne Gewähr für Vollständigkeit oder Richtigkeit. Es wird keine Haftung übernommen für Schäden durch die Verwendung von Informationen aus diesem Online-Angebot oder durch das Fehlen von Informationen. Dies gilt auch für Inhalte Dritter, die über dieses Angebot zugänglich sind. Ein Dienst der ETH-Bibliothek ETH Zürich, Rämistrasse 101, 8092 Zürich, Schweiz, www.library.ethz.ch http://retro.seals.ch

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ferdinand gonseth revue de théologie et de philosophie 1966

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  • Socit romande de philosophie : laphilosophie ouverte

    Autor(en): Gonseth, Ferdinand

    Objekttyp: Article

    Zeitschrift: Revue de thologie et de philosophie

    Band (Jahr): 16 (1966)

    Heft 2

    Persistenter Link: http://dx.doi.org/10.5169/seals-380854

    PDF erstellt am: 22.11.2014

    NutzungsbedingungenMit dem Zugriff auf den vorliegenden Inhalt gelten die Nutzungsbedingungen als akzeptiert.Die ETH-Bibliothek ist Anbieterin der digitalisierten Zeitschriften. Sie besitzt keine Urheberrechte anden Inhalten der Zeitschriften. Die Rechte liegen in der Regel bei den Herausgebern.Die angebotenen Dokumente stehen fr nicht-kommerzielle Zwecke in Lehre und Forschung sowie frdie private Nutzung frei zur Verfgung. Einzelne Dateien oder Ausdrucke aus diesem Angebot knnenzusammen mit diesen Nutzungshinweisen und unter deren Einhaltung weitergegeben werden.Das Verffentlichen von Bildern in Print- und Online-Publikationen ist nur mit vorheriger Genehmigungder Rechteinhaber erlaubt. Die Speicherung von Teilen des elektronischen Angebots auf anderenServern bedarf ebenfalls des schriftlichen Einverstndnisses der Rechteinhaber.

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  • SOCIT ROMANDE DE PHILOSOPHIE

    LA PHILOSOPHIE OUVERTE

    RFLEXIONS PRLIMINAIRES

    Il n'y a gure plus de trente ans que, sous le nom d'idonisme, laphilosophie ouverte a fait son entre sur la scne philosophique. Sesides directrices sont-elles toutes nouvelles Je me garderai bien del'afhrmer. Elle ne s'est pas moins trouve et ne s'en trouve pas moinsencore devant le problme qui est celui de toute philosophie nouvelle,celui de la lgitimit. Comment une philosophie irrductible auxphilosophies dj existantes peut-elle trouver place ct d'elles, encomptition avec elles Ce n'est d'ailleurs l qu'un aspect du problme que pose le fait de la pluralit des systmes philosophiques.

    Quelques mots tout d'abord du fait lui-mme, c'est--dire del'existence de fait d'une pluralit de discours philosophiques irrductibles l'un l'autre et, partant, d'une pluralit de systmes philosophiques incompatibles entre eux. Ce n'est naturellement pas d'aujourd'hui que date sa mise en vidence. Pour s'en assurer, il suffit dese rappeler le principe selon lequel Renouvier avait opr la classification des systmes promus jusqu'alors l'existence philosophique :il ne les avait pas ordonns sur la base de leurs points d'accord, maissur celle de leurs points d'affrontement. Il ne semble pas que cettefaon de faire ait fait crier au scandale. Mais peut-tre assiste-t-ondepuis un certain temps une prise de conscience aigu du paradoxeque le fait engendre et du problme de mthode sinon mme duproblme d'existence qu'il soulve.

    Il convient ce propos de rappeler la belle confrence faite parM. H. Reverdin dans ces lieux mmes l'occasion de la runion de1955 de la Socit romande de philosophie, sous le titre Philosophieet philosophies . M. Reverdin y procdait une analyse et uneapproche aussi lucide que nuance du problme. Il faut cependant

    N. B. Expos prsent la Socit romande de philosophie, Rolle, le13 juin 1965.

  • 82 FERDINAND GONSETH

    remarquer qu'il mettait en particulire vidence les conditionnementssubjectifs susceptibles d'clairer telles ou telles prfrences. Pour nous,et particulirement pour les besoins de cet expos, c'est au-del deces conditionnements subjectifs, c'est dans son objectivit mthodologique que le problme prend son importance.

    Quant au problme, son acuit dpend de la rigueur avec laquelleon conoit les conditions remplir par un systme philosophique etpar le discours qui s'en fait l'expression. On ne saurait certes oublierque l'ide de systme n'a pas chapp une certaine volution historique. Elle s'est carte, par exemple, de la vise totalitaire qui taitcelle de Lambert dans la Perspective prkantienne du NouvelOrganon . Il n'en reste pas moins que, mme dans ces versionsnuances et affaiblies, le systme reste la forme d'accomplissement detoute philosophie : c'est alors un ensemble de vues coordonnes qui,pour se dployer, font appel l'inalinable intermdiaire d'un discourscohrent. (Pour ce qui nous concerne, il serait prmatur d'exiger queds ici les critres d'une bonne coordination et d'une juste cohrencesoient expliqus avec prcision et fixs dans leur sens dfinitif.)

    Par souci de clart, je m'en vais ranger les systmes philosophiquesen deux catgories :

    a) ceux qui s'intgrent au principe ( faire valoir) de pure rationalit, et

    b) ceux qui ne le font pas.Dans un article rcent ', M. F. Brunner formule un certain ensemble

    de proprits (ou de conditions) auxquelles tout systme qui entendse fonder et se dployer rationnellement ne peut que satisfaire. Dansses exigences, M. Brunner fait preuve d'une rigueur extrme. Jepense que bien des philosophes hsiteront le suivre sans rserves.J'ai pour mon compte une tout autre conception du systme philosophique. Il est cependant un aspect de la question pour lequel je suissans rticence, me semble-t-il, du mme avis que M. Brunner. Jepense que si l'on opte pour la pure rationalit, aucune des consquencesde cette option ne saurait tre carte. Sans exception, il faut toutesles faire valoir. L'intransigeance est ici la premire garantie de la justemise en place de l'option fondamentale, car rien ne permet de penserqu'on puisse chapper l'erreur en mariant au hasard des circonstances les exigences de la pure rationalit aux exigences venues d'un ailleurs plus ou moins opaque.

    Comment puis-je moi-mme concilier cet loge de l'intransigeancedans la dfense et l'illustration de l'option de pure rationalit avec

    1 Histoire de la philosophie et philosophie, dans Etudes sur l'histoire de laphilosophie en hommage Martial Guroult, Paris, 1964, p. 179-204.

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    le rejet de cette mme option Je m'en expliquerai tout l'heure endveloppant une intransigeance analogue, mais autrement oriente.

    Voici maintenant ce que, d'aprs M. F. Brunner, un systmephilosophique doit tre ' : le systme a prise sur la totalit de ce quia valeur philosophique. C'est dire aussi que pour tout ce qui est, laphilosophie a droit de juridiction sous l'angle de vrit qui lui estpropre. Le systme se dploie partir de ses principes avec unencessit que le philosophe sait reconnatre. Une fois dgags, lesprincipes s'clairent de leur propre lumire. Quant au discours qui s'yfonde, qu'il soit logique ou analogique, il est lui-mme affaire de purerationalit : sa transparence rationnelle en assure la cohrence interneet l'unit d'ensemble. La vrit qu'un tel systme comporte ne sauraittre mise en cause par aucune autre espce de vrit.

    Je disais il y a un instant que l'acuit avec laquelle le problme dela pluralit des systmes se pose dpend de la rigueur avec laquelle lesystme est dfini . Avec la dfinition 2 de M. Brunner, on setrouve dans une situation extrme. Le problme fait place au paradoxe. Si, dans un horizon de pure rationalit, deux systmes sontirrductibles l'un l'autre, il n'existe que les deux ventualits suivantes : 1) les deux systmes sont incomplets, ils pourront alors trerunis en un seul systme cohrent ; 2) les deux systmes sont nonseulement irrductibles l'un l'autre, mais en contradiction l'un avecl'autre au moins sur un certain nombre de points prcis ; leur runionne peut alors engendrer qu'un systme inconsistant . Il est doncimpossible qu'ils soient l'un et l'autre totalement vrais.

    La premire de ces deux ventualits ne s'applique pas aux systmes ayant accd l'existence philosophique propos desquelsle problme de la pluralit des systmes se pose. Ces systmes rpondent la seconde ventualit. On se trouve ainsi rduit pour deuxquelconques de ces derniers au pnible dilemme que voici :

    ou bien les deux systmes entendent rpondre l'un et l'autre toutes les exigences de la pure rationalit : c'est alors que l'un aumoins des deux fait erreur ;

    ou bien l'on tient les deux systmes pour admissibles : c'estalors que l'un au moins des deux n'est pas tabli de faon purementrationnelle.

    Or, il ne semble pas plus facile de se rallier l'une qu' l'autre deces ventualits. Comment par exemple adopter la premire sans

    1 II ne s'agit pas d'une citation la lettre, mais d'une esquisse que je croissomme toute fidle.

    2 Je n'emploie ici les termes dfini et dfinition qu'avec une certainehsitation. Qu'on veuille leur rserver une signification largement ouverte dansle sens prcis par la suite.

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    dvaloriser par l mme le plus clair de l'effort philosophique de nosdevanciers Il est tout naturel de chercher l'carter. Mais commenty parvenir Dans l'article cit plus haut, M. F. Brunner examine lestentatives faites rcemment dans cette intention par MM. Souriau etGuroult. Disons trs sommairement que le premier assimile la vritd'un systme philosophique celle d'une uvre d'art et le second celle d'un systme formel. Je suis parfaitement d'accord avecM. Brunner pour ne pas me satisfaire de ces solutions. A mon avis,elles abandonnent l'une et l'autre la proie pour l'ombre, la proie dujugement de vrit.

    Ces essais apportent un tmoignage de valeur, quoique ngatif.Ils illustrent le fait qu'on ne dispose pas de critres permettant detrancher au nom de la vrit (de la vrit philosophique) les contradictions existant rellement entre tels et tels systmes. Mais c'estsurtout une autre lacune, une lacune encore plus importante, qui setrouve ainsi mise en vidence : personne ne parat songer fournirla preuve d'existence, c'est--dire dmontrer que la dfinition dusystme philosophique rationnel comporte avec ncessit l'existenced'un tel systme au moins . Cela ne veut certes pas dire qu'un telsystme ne puisse pas exister. Cela signifie pourtant que l'acte d'enposer l'existence quivaut une option. On adopte pour la fairevaloir l'une de deux ventualits dont ni l'une ni l'autre n'a pu etne pourra probablement jamais tre carte avec ncessit. (Lancessit dont nous parlons ici est bien entendu celle qui rgne dansun horizon de rationalit.)

    L'option de pure rationalit est promouvoir. Elle tablit, pourcelui qui s'y rsout, une instance de lgitimit qui doit couvrir toutle champ de la pense philosophique. Et pourtant l'acte mme del'option, la dcision de s'engager en la faisant valoir et pour la fairevaloir, relve d'une autre instance. Une fois qu'on a choisi et qu'ons'est dtermin par ce choix, on a souscrit ses consquences. Lamise en valeur de l'option est une exprience dont l'aboutissementn'est plus affaire de choix. Comme toute autre, cette exprience doitassumer le risque de l'chec. En bref, l'instance dont l'option relveest celle devant laquelle se juge le succs ou l'insuccs de nos entreprises : ce n'est pas une instance de pure raison.

    L'impossibilit dans laquelle la philosophie se trouve de donner,en accord avec l'option de pure rationalit, une solution satisfaisantedu problme de la pluralit des systmes philosophiques quivaut-elle un chec Nous ne pouvons que laisser la question en suspens.D'ailleurs, l'examen de l'autre ventualit dont il a t question plushaut et de l'autre option qui lui correspond apporte un lmentd'apprciation dont, en toute conscience, on ne saurait faire abstraction. Je pense d'ailleurs qu'il suffit du doute qu'on voit planer avec

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    opinitret sur la convenance de l'option de pure rationalit pour quese dresse la question que tout semble annoncer : celle de la mutationqu'entranerait la mise en place de l'autre option, dont l'intentiondominante est celle de l'ouverture l'exprience. Mais quel seraitalors, dans cette mutation, le sort du systme philosophique Oncomprendra qu'une explication ne peut prendre sa valeur que dansla perspective de l'une ou de l'autre option. Tout ce qui prcde seplace dans une situation d'attente plus ou moins indtermine, maisdans laquelle l'option d'ouverture se fait dj pressentir par anticipation. On comprendra facilement que, pour aller plus loin, il me faillemettre en place l'option qui ds maintenant restera dominante.L'installation de l'option d'ouverture fera-t-elle, elle aussi, appel une autre instance qu'elle-mme Au contraire, ce qui la distingue,c'est qu'elle se renouvelle en se prenant elle-mme pour objet.

    LA SITUATION DE CONNAISSANCE OUVERTE ET LA PROCDUREDES QUATRE PHASES

    J'ai dit que c'est par option qu'on pose l'existence d'un systmephilosophique susceptible de se dployer par l'intermdiaire d'undiscours purement rationnel. On pourrait m'objecter qu'il s'agit ld'une vidence qui s'impose tout esprit justement form. Je rpondrai que, dans le contexte de la connaissance en volution, nous avonsvu tomber tant d'vidences que l'objection en perd toute sa valeur.

    Pour qu'une recherche puisse progresser, il n'est pas ncessairequ'elle se dveloppe partir d'une situation d'vidence ou d'unesituation de connaissance dont en dernire analyse un certainensemble d'vidences apporterait la garantie. En fait, la situation dedpart peut tre ralise par une situation de connaissance ouverte,en somme quelconque. Mais qu'est-ce qu'une situation de connaissance ouverte

    Il ne faut pas songer faire par avance la somme de tout cequi peut ou pourra tre dit ouvert l'exprience. Pour l'instant, c'esttout ce qui est affaire de connaissance et tout ce qui a affaire avec elle

    1 J'ai laiss entendre plus haut combien l'ide traditionnelle de la dfinitionme parat problmatique. Vais-je faire maintenant une exception Certes non.Je demande que ce qui va tre dit de l'ide d'ouverture soit envisag comme uneapproche anticipatrice de ce que, sous la pression des circonstances, elle pourradevenir par la suite. Je demande qu'on l'imagine susceptible d'tre reprise,complte, retouche, inflchie pour rpondre aux exigences de son engagement dans la recherche d'une connaissance en devenir. Je demande en un motqu'on la maintienne elle-mme ouverte. Dans un discours ouvert (dont il serabientt question), il ne nat aucun paradoxe du fait que l'ide d'ouverture ait s'appliquer elle-mme.

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    qui se trouve particulirement vis. Il s'agit l par exemple de toutce qui est forme ou moyen d'expression, des signes aux mots, auxfaons de dire, aux textes, au discours et jusqu'au langage entier ;de tout ce qui est relatif la mise en forme et la mise en uvre del'information, de l'exercice des sens, la pratique de l'exprimentation jusqu' l'laboration thorique et anticipatrice ; de tout ce qui atrait la gense, la constitution et l'interprtation des sens et dessignifications, etc. En quoi, dans tous ces cas, l'ouverture l'exprience consiste-t-elle Prenons-en comme exemple le mot et l'ided'atome. Chacun sait que, le mot restant le mme, sa signification,c'est--dire l'ide qu'on s'en est faite au mieux de la connaissance desphysiciens sur la matire, a profondment volu. De Dmocrite nos jours, en passant par l'atome de Bohr, on peut dire sans exagration qu'il a subi une srie de vritables mutations. En avons-nousatteint le terme Dans l'tat actuel de la recherche physique, ilserait bien audacieux de l'affirmer. De toute faon, les choses tantce qu'elles sont, il est sage de maintenir l'ide ouverte, c'est--dire dene pas lui refuser la capacit d'tre nouveau rvise pour pouvoircontinuer jouer valablement son rle dans le discours des physiciens.(En reprenant les quelques lignes qui prcdent, on pourrait rencontrer plusieurs mots, ceux de connaissance, de matire, de mutation,etc., propos desquels il faudrait faire des remarques analogues.)

    Plus gnralement, un lment de connaissance (ou un ensembleli de tels lments) est dit ouvert si on ne lui refuse pas par avancela capacit d'voluer pour tenir compte au mieux des rsultats del'exprience venir. Bien entendu, cette faon de mettre en placel'ide d'ouverture dont il doit tre fait usage ici n'est pas une vraiedfinition. L'expression au mieux, par exemple, reste largement indtermine, largement en tat d'incompltude. C'est, pour reprendre uneexpression souvent employe, un chque en blanc tir sur une situation de connaissance venir. Comment, si la situation se prsentejamais, ce chque pourra-t-il prendre une valeur relle Par quelmoyen l'intention de faire au mieux pourra-t-elle se raliser Il y al un point d'interrogation sur lequel il faudra bien revenir.

    On aura certes aussi remarqu la forme en quelque sorte ngativede cette quasi-dfinition. Ne suffirait-il pas de dire qu'une connaissance ouverte est tout simplement une connaissance rvisable Ongagnerait certes en simplicit, mais on perdrait une nuance essentielle.Prenons un autre exemple, celui de l'axiome. On ne saurait nier, sansse mettre en contradiction avec la vrit historique, que l'ided'axiome s'est elle aussi transforme, que la mthode axiomatiquetelle qu'on la pratique aujourd'hui diffre assez radicalement de celledont se servait Euclide. C'est l une exprience d'une importancecruciale, que les mathmaticiens ont faite sans en avoir eu la claire

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    intention. Personne ne contestera que, les choses tant maintenant cequ'elles sont, il convienne de maintenir ouverte l'ide de l'axiome.Serait-il tout aussi juste de dire que cette ide doit rester rvisableNe laisserait-on pas entendre qu'elle est ds aujourd'hui reviserQue l'obligation d'avoir encore voluer pse ds maintenant surelle Or, il est clair qu'on dpasserait ainsi le but. Dans la situationactuelle, les deux ventualits suivantes restent en suspens :

    a) L'ide de l'axiome ne variera plus, elle est dsormais fixepour toujours.

    b) L'ide de l'axiome variera au moins encore une fois.

    Avons-nous ds aujourd'hui la certitude que la premire de cesventualits doit tre carte Certainement pas. Les deux ventualits restent hypothtiques, mme si l'une d'elles nous parat plusplausible que l'autre. C'est cette situation d'indtermination qu'ilconvient aujourd'hui de rserver dans l'attente d'une dcision quiviendra peut-tre un jour, mais qui peut-tre n'aura jamais lieu.C'est l ce qu'on entend prciser en posant que l'ide de l'axiomene doit pas tre prive par avance de toute possibilit de varier nouveau, qu'elle ne doit pas tre soustraite par dcision anticipe l'ventualit de toute procdure en rvision. C'est dans ce sens et nondans celui d'une rvisibilit obligatoire et fatale que l'ide d'ouverture doit tre interprte.

    Ne pourrait-on concilier la justesse et la simplicit en disant quel'ouverture quivaut une rvisibilit en principe Ne serait-il pasadmissible de poser que ds aujourd'hui l'ide de l'axiome est enprincipe rvisable Rien ne nous empche de le faire par conventionde langage, tout en sachant bien que l'interprtation juste de cetteexpression, celle qui vient d'tre explique, ne lui tait pas inhrente.

    Avec cette convention, la situation de connaissance ouverte secaractrise trs simplement : c'est une situation qui, dans son ensemble, ne comporte que des connaissances (ou de la connaissance)rvisables en principe.

    Dans une telle situation, me demandera-t-on peut-tre, le recoursaux vidences n'est-il pas interdit Tout dpend de la faon dont onconoit le rle et la nature de l'vidence. Si l'on pose qu'une vraievidence ne saurait jamais tre remise en question (et que ce seraittout particulirement le cas des vidences produites par l'intuition),il va de soi qu'une situation ouverte ne saurait en comporter aucunequ'on aurait d'avance dsigne comme telle. Ne va-t-on pas se trouverde ce fait devant un problme difficile, celui de distinguer dans lapratique les situations ouvertes de celles qui ne le sont pas Il n'enest rien. Dans la ralit de la recherche, le problme ne se pose jamais

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    ainsi, et si l'on tient toute force le mettre en lumire, il se prsente alors de faon en quelque sorte oppose. Il y a un instant, nousavons fait allusion aux vidences que le progrs de la connaissance afait passer du statut des vidences tenues pour vraies celui desvidences reconnues comme apparentes. Le fait est qu'on ne possde aucun critre de l'vidence vraie. En l'absence d'un tel critre etcompte tenu des expriences de plus en plus drastiques qui vonts'accumulant en la matire, n'avons-nous pas reconnatre que c'estdevant le problme de caractriser les vraies vidences que nous noustrouvons dsormais Une vidence vraie, dira-t-on, ne pourra jamaistre dmentie par l'exprience. N'y a-t-il pas l de quoi la fairereconnatre Cela ne suffit pas, car nous l'avons vu, ce pourrait treaussi le cas d'une vidence en principe rvisable dont le procs enrvision serait indfiniment diffr. De deux choses l'une :

    Ou bien l'on s'en remet au sentiment de l'vidence en posant

    qu'il ne peut pas nous tromper. Il s'agit alors l d'une option quel'on se propose de faire valoir avec tous les risques d'arbitraire etd'erreur qu'elle comporte.

    Ou bien l'on renonce dsigner par avance les vraies vidences.

    On les traite alors comme des vidences ouvertes, mme s'il parat trsplausible qu'elles ne puissent jamais tre contredites. Rien ne s'opposealors ce qu'elles soient intgres une situation de connaissanceouverte. Bien entendu, il s'agit galement l d'une option, d'uneoption qui, au contraire de la prcdente, cherche avant tout viterles risques d'erreur qu'une dcision arbitraire peut comporter.

    C'est cette seconde option que la philosophie ouverte s'arrteet qu'elle cherche faire valoir.

    Peut-tre trouvera-t-on que ces explications prliminaires prennent trop de place. Je ne pense pas qu'il y ait avantage les courter.Je les tiens pour indispensables si l'on entend tre en mesure de poseren termes actuels le problme central de toute philosophie, celui de laMthode.

    On claire la mthode qui va s'esquisser en la mettant la foisen parallle et en opposition avec la mthode cartsienne. Celle-ciprocde en trois temps :

    i. Par l'artifice de la table rase, on prpare une situation de dpartde pleine certitude.

    2. On installe cette situation de dpart en ne retenant que ce quise prsente avec la garantie d'une entire vidence ; la mthodecartsienne pose donc que nous soyons en tat de distinguerles vraies vidences sans aucun risque d'erreur.

  • LA PHILOSOPHIE OUVERTE 89

    3. A partir de la situation d'vidence ainsi assure, on dploie leschanes de raisonnement qui en explicitent les consquences.En principe, c'est--dire si la situation de dpart n'est pasincomplte, il n'existe pas de vrit qui ne puisse tre ainsirejointe.

    La nouvelle mthode s'orientera non pas vers la recherche dela pleine certitude, mais vers celle de la meilleure idonit. Elle commence par renoncer l'artifice de la table rase et la fiction de lasituation d'vidence destine servir de situation de dpart. Elleestime tout au contraire que le progrs de la connaissance doitpouvoir prendre pied dans une situation de connaissance ouvertequelconque.

    A-t-on le droit d'en dcider ainsi Vous venez, me dira-t-on, deparler d'artifice et de fiction propos de la situation de dpart quela mthode cartsienne entend se donner. Ne faudrait-il pas en direautant de la situation de connaissance ouverte C'est prcisment lqu' mon avis se marque l'un des avantages de la nouvelle mthode.Plus on s'avance dans la pratique de la recherche, russissant mettreen uvre des procdures de plus en plus exactes et de plus en pluspuissantes, et plus l'idal d'une situation de pleine vidence s'loigneet se drobe ; mais plus aussi s'affirme la situation relle du chercheurqui vient d'tre dgage. Mais qu'on ne confonde pas les raisons quela nouveUe mthode peut invoquer ici avec celles que la mthodecartsienne aurait fournir. Ce n'est pas par vidence que l'ide dela situation ouverte parat rendre adquatement compte de la situation du chercheur en exercice. Pour la nouvelle mthode, cette adquation est affaire d'exprience. Peut-tre dira-t-on tout de mmeque l'exprience allant se rptant et l'analyse en s'approfondissant,l'adquation se confirme jusqu' l'vidence. Mais cette dernirevidence, l'vidence du confirm, du longuement et diversementprouv, n'a pas grand-chose voir avec l'vidence par intuition,l'vidence pleine dont la garantie se suffirait elle-mme. Pour moi,je juge prfrable de ne pas engager le mot et l'ide d'vidence dansune interprtation aussi sujette mprise.

    Il me paratrait juste que, sur un point aussi dcisif, on ne puissepas se satisfaire d'une justification aussi peu dtaille. Qu'il me soitpermis de m'en tenir ce propos aux deux remarques que voici :

    1. Pour tout ce qui touche la justification par l'exprience desides que je dveloppe ici, il ne me parat pas indiqu de sparer ceque j'en ai dj dit de ce qui doit l'tre encore, et spcialement en cequi concerne la procdure dite des quatre phases. C'est le tout quidoit tre engag dans l'exprience et mis insparablement l'essai.

  • 90 FERDINAND GONSETH

    2. C'est prcisment pour soumettre ce tout l'preuve que j'enai fait la doctrine pralable, c'est--dire la doctrine la fois inspiratrice et anticipatrice des deux grandes tudes intitules La Gomtrie et le problme de l'espace J et Le Problme du temps, essaisur la mthodologie de la recherche 2. Ces deux tudes devaient tremenes indpendamment l'une de l'autre, afin que les rsultats del'une puissent tre valoriss par ceux de l'autre au cas bien entenduo ils convergeraient. Cette double exprience, effectue en multipliant les garanties et les prcautions, me parat d'ores et djcapable d'assurer elle seule la justesse des vues que j'avance ici.Dans ce contexte, sa valeur de confirmation lui vient pour une bonnepart d'avoir t imagine et conduite comme une double exprience-tmoin. Mais il existe par ailleurs cent et cent autres cas qui pourraient tre aussi invoqus dans le mme sens.

    La mthode cartsienne, disions-nous (en d'autres termes),imagine pouvoir couvrir tout le champ de la vrit par les chanes deraisonnement susceptibles de se dployer partir des vidences dgages au pralable. Comment la nouvelle mthode imagine-t-elle pouvoir faire avancer la connaissance partir des situations qu'elle ditadmettre au dpart, c'est--dire en somme partir de toute situationde connaissance J'ai eu dj plusieurs fois l'occasion d'expliquer etde commenter la procdure dite des quatre phases qu'elle met enuvre cet effet. Aussi pourrai-je me borner ne le faire ici que defaon succincte 3. La procdure peut tre prsente en deux variantesprincipales, celle qui s'applique la rsolution d'un problme et cellequi vise la ralisation d'un projet. Il ne sera question ici que de lapremire. Rappelons-en la prsupposition sine qua non : l'horizond'application qui lui est offert est une situation de connaissanceouverte.

    a) La premire phase de la procdure est celle de l'mergence duproblme. Dans un horizon de connaissance ouverte, jamais unenonciation ne met en droit le point final une recherche. Mais celane signifie pas, il faut le souligner, que d'ores et dj cette nonciationsoit reviser. On admet simplement que, si les circonstances changeaient et venaient l'exiger, elle pourrait l'tre un jour. Il faut plusque cela pour qu'un problme merge. Il faut qu'une question soit

    1 Editions du Griffon, Neuchtel, 1953 et 1956.1 Ibid., 1964.3 II serait trop long d'numrer ici tous les aspects sous lesquels elle a t

    dj prsente. Elle se trouve bien entendu esquisse, justifie et appliquedans les deux grandes tudes dont je viens de parler, mais le texte qui complterait au mieux les indications forcment abrges qui vont suivre est l'article intitul Comment la recherche peut-elle se donner sa mthode , le dernier des cinqarticles parus dans La Suisse horlogre, en octobre, novembre et dcembre 1965.

  • LA PHILOSOPHIE OUVERTE 9I

    aperue et puisse tre formule avec une certaine prcision. C'estainsi qu'il n'y a gure de sens parler du problme du langage, tantqu' propos de l'usage d'une langue on n'a pas vu se dessiner certaines questions, tant qu'on n'a pas cherch les noncer, et tantqu'on n'a pas pris conscience qu'il ne suffit pas de savoir parler pourpouvoir y rpondre. L'une de ces questions pourrait tre la suivante :comment le sens vient-il aux mots Elle est trs vague encore, mais ilsuffit de l'avoir pose pour qu'un problme commence s'esquisser.

    6) La seconde phase de la procdure est celle de Ynonciationd'une hypothse. Pour noncer une question relativement claire etcomprehensive, le chercheur ne peut viter de procder une certaine laboration de la connaissance laquelle il prend dj part. Ildresse donc en face de l'horizon des faits l'horizon de sa proprepense. A supposer qu'il lui vienne une rponse l'esprit, c'est dansce dernier horizon qu'il la formulera : ce ne sera donc qu'une hypothse.

    Comment entrer en possession d'une hypothse Elle se prsenteparfois avec la soudainet d'un clair. Mais d'autres fois elle nes'esquisse qu' travers une longue et pnible laboration. Il arrivequ'en la rencontrant, on ait l'impression de l'avoir dj connue. Mais,d'autres fois, il faut avancer ttons et multiplier les essais pourenfin la gagner. De toute faon, la conception et la formulation d'unehypothse sont insparables d'une certaine activit cratrice et de lafacult d'valuation d'un certain ensemble de circonstances. Laseconde phase ne prend fin que lorsque l'imagination cratrice, allie la facult valuatrice, y a dgag une hypothse plausible. Celle-cin'est cependant encore qu'une anticipation. Or, l'anticipation restevaine si elle n'est pas faite pour se mesurer aux faits qui viendront sa rencontre. La seconde phase de la procdure en appelle doncncessairement une troisime, celle de cette rencontre.

    c) La troisime phase de la procdure et celle de la mise l'preuvede l'hypothse.

    Pour laborer une hypothse plausible, il faut naturellementchercher tenir compte au mieux de toute l'information dont ondispose au dpart. La procdure n'est cependant pas faite pour enrester au stade de l'anticipation. Pour donner au problme une rponsevalable dans l'horizon mme o il se pose, c'est dans ce dernier quel'hypothse doit tre reprise pour tre juge. Il faut y raliser undispositif d'preuve dont le fonctionnement ne dpende pas de l'activit dont l'hypothse est le produit. Du point de vue de la mthode,il faut insister sur l'indpendance de l'activit par laquelle l'hypothses'prouve, de celle par laquelle elle s'est labore. Cette indpendanceest la condition faute de laquelle il serait vain de parler d'une mise

  • 92 FERDINAND GONSETH

    l'preuve par l'exprience. Dans la pratique de la recherche, elle esten gnral satisfaite sans mme qu'on y prenne garde. Dans l'analysede la mthode, il importe de souligner que c'est l la circonstance quiconfre son caractre et qui donne tout son prix l'exprimentationsystmatique .

    Peut-tre la ralisation de l'exprience a-t-elle t plus ou moinsprpare en projet au cours de l'laboration de l'hypothse. Cette ralisation n'en reste pas moins une entreprise en vue de laquelle il fautdresser un horizon d'exprimentation en face de ce qu'il est commoded'appeler un horizon d'nonciation ou de figuration. Dans l'horizon defiguration, la mise au point de l'hypothse n'a rien d'automatique ;il en est de mme de la mise au point du dispositif exprimental dansson horizon de ralisation. Sa mise au point exige galement un effort la fois crateur et valuateur, mais orient cette fois vers l'oprationnel et l'observationnel.

    Supposons maintenant que l'exprience de la mise l'preuve aitt faite. L'hypothse en sort soit valorise, soit dvalorise. La procdure n'a-t-elle pas ainsi atteint son terme Il reste au contraire lui faire accomplir une quatrime phase au moins aussi importanteque les trois prcdentes.

    d) La quatrime phase de la procdure est celle du retour lasituation de dpart.

    Supposons qu'au sortir de la troisime phase, l'hypothse setrouve valorise. Au cas contraire, tout serait recommencer cequi d'ailleurs ne signifie pas que l'effort aurait t fait en pure perte.Il convient alors de revenir la situation de dpart pour y intgrer,cette fois avec le statut d'une information prouve, la contribution la solution du problme que la troisime phase a laiss passer.Trois cas peuvent alors se prsenter :

    i. L'intgration se fait sans difficult : la cohrence d'ensemblede la situation de dpart n'est pas remise en cause.

    2. L'intgration ne peut se faire sans engendrer certaines difficults, sans faire surgir certaines incompatibilits entre l'informationnouvelle et l'ensemble de la situation de dpart. Il n'est d'ailleurspas exclu que ces difficults aient t prises en charge par anticipation, au moment de la formulation de l'hypothse. La situation nouvelle ayant t analyse de faon plus approfondie, on peut, en cher-

    1 II est clair qu'en prsentant ainsi le rapport qui doit exister entre l'activitanticipatrice et l'activit confirmatrice, on fait appel certaines vues dont lajuste laboration appartient la thorie des probabilits. On peut considrer iciqu'elles appartiennent une information antrieure qui, cependant, chaquefois que l'on applique la procdure, se trouve nouveau remise l'preuve.

  • LA PHILOSOPHIE OUVERTE 93

    chant valuer au mieux l'ensemble des circonstances, tre conduit prendre l'une ou l'autre des deux dcisions suivantes :

    a) Dcider de procder une revision de la situation de dpartpour y faire valoir la nouvelle information. Il peut arriver que ce soitl une affaire de longue haleine et que la revision porte jusqu'auxnotions fondamentales.

    b) Dcider de faire, de telle ou telle situation de conflit, l'objetd'une nouvelle procdure du mme genre.

    De toute faon, la situation dans laquelle on se retrouve, aprsavoir parcouru le cycle complet de la procdure, est nouveau unesituation de connaissance ouverte.

    La mthode cartsienne est un idal qui ne s'applique pas. Onretrouve la procdure des quatre phases tous les dtours de larecherche relle. Elle ne s'y prsente cependant pas toujours rigidement et compltement applique. Elle demeure parfois en filigrane.Son rle directeur reste inhrent la dmarche de la recherche. On secontente alors de savoir qu' la rigueur elle pourrait tre explicite.D'autres fois, elle n'affleure que par certaines allusions. Il arrive aussique les diverses phases s'interpntrent et se trouvent mme inverses. Pourtant, du point de vue mthodologique, ce qui compte avanttout, c'est que, dans certains cas litigieux, la mise en vidence entireet rigoureuse de la procdure reprsente le moyen le plus simple et leplus sr de tirer les choses au clair.

    Dans le cadre de cet expos, la mise sur pied de la procdure, sischmatique soit-elle, quivaut une dmonstration d'existence : ilexiste de fait une mthode capable de confrer l'option d'ouverture l'exprience le rle d'un principe directeur prouv de la rechercheefficace.

    Comment l'option de pure rationalit pourrait-elle russir tablir,elle aussi, sa lgitimit C'est l une question l'lucidation delaquelle la philosophie ouverte ne peut contribuer qu'en la soulignant.

    Esquisse d'une mise en forme mthodologiqueplus dtaille

    La procdure des quatre phases n'est qu'un exemple de la faondont l'option d'ouverture l'exprience peut revtir le rle de principe directeur de la recherche. Il faut se garder de penser que ce soitl la seule et unique mise en forme mthodologique qu'elle puissecomporter. Sur la ligne que nous suivons, on peut aller plus loin dansl'analyse des conditions remplir pour que la procdure se droulenormalement.

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    On aura peut-tre t frapp, peut-tre mme troubl, par l'emploiassez frquent de l'expression au mieux. Elle marque chaque fois unesituation dans laquelle le chercheur assume, en mme temps que saplus entire libert d'examen (d'valuation), la responsabilit dedcider que tel ou tel choix est celui qui convient, compte tenu del'information intgrale. On commettrait la plus grave des erreurs enimaginant que la recherche s'effectue au mieux en appliquant desalgorithmes tout faits ou en droulant des procdures compltementautomatises. Il importe au contraire de relever avec force que lechercheur ne peut pas viter de se trouver en position de responsabilit.C'est lui qu' certains carrefours il appartient d'opter pour telle outelle ventualit avec tous les risques d'erreur que cela comporte.(Et c'est d'ailleurs pourquoi il ne saurait s'enfermer dans une mthodequi ne lui assurerait pas le droit la rvision.) On peut d'ailleursconfrer un accent mthodologique ce fait essentiel en l'enrobantdans un principe qu'on pourrait appeler le principe de la meilleureconvenance ou le principe de l'idonit la meilleure. C'est le second deces deux noms que nous adopterons. Ce principe brise la chane desncessits qu'une mthode purement rationneUe devrait fatalementintroduire.

    Pour que la mthode puisse se drouler partir d'une situationde connaissance donne et revenir celle-ci pour y faire valoir lesinformations assures par la procdure, il faut que le chercheur soitd'emble en situation de connaissance ouverte et qu'il le demeure debout en bout. On peut aussi dire, mais en gardant bien en mmoireles prcisions donnes ce propos, que la connaissance dont le chercheur bnficie effectivement doit tre en toute circonstance tenuepour rvisable en principe, la fois dans son ensemble et dans toutesses parties. Pour que le fait prenne tout son relief, on peut en faire aussil'objet d'un principe qu'on pourra nommer le principe de rvisibilit.Mais qu'on veuille bien, dans ce cas comme dans le prcdent etcomme dans les cas qui vont suivre, ne pas interprter le mot deprincipe comme il faudrait le faire dans un horizon de pure rationalit.Il faut et il faudra comprendre qu'il s'agit l de principes faire valoir,dont l'ouverture garantit le rapport avec l'exprience. Dans sondroulement normal, la procdure des quatre phases formule unehypothse en seconde phase et la soumet l'preuve en troisimephase. Pour que cette preuve ait valeur exprimentale, il faut quel'horizon dans lequel elle s'effectue se dresse en horizon de ralisationen face de l'horizon o l'hypothse a pris forme nonable. Ce dernierhorizon prend alors valeur d'horizon de figuration.

    La porte de la mise l'preuve dpend du rapport de ces deuxhorizons : ils doivent pouvoir tre le sige de deux activits indpendantes l'une de l'autre, c'est--dire sans lien de causalit de l'une

  • LA PHILOSOPHIE OUVERTE 95

    l'autre. Le lien qui s'tablit entre une reprsentation (une figuration)et une interprtation (une ralisation) est en effet d'une nature tout fait diffrente.

    C'est l le sens donner au principe de dualit de la mthodologieouverte.

    Le principe de dualit couvre en particulier le rapport classiquede la thorie l'exprience, mais sa porte le dpasse . Commentl'ide de l'exactitude (telle qu'elle intervient par exemple dans l'expression les sciences exactes ) peut-elle s'interprter dans une perspective ouverte Dans la recherche relle, jamais une mesure n'estfaite avec une prcision absolue. Les dispositifs exprimentaux, lesinstruments de mesure en particulier, ne fonctionnent qu'avec unecertaine marge d'incertitude. Tout le ct oprationnel et observa-tionnel de la connaissance reste donc en dessous d'un certain niveaude prcision qui est en lui-mme l'ensemble des moyens techniquessusceptibles d'tre mis en uvre.

    La mise en valeur de l'apport technique l'heure de la connaissancefait l'objet du principe de technicit.

    En tudiant sur les exemples concrets 2 comment il est possiblede franchir un seuil de prcision, c'est--dire d'imaginer, de construireet d'installer dans son usage un instrument de mesure plus prcis quetous ceux dont on dispose dj, on remarque bientt que la mesured'une grandeur physique dtermine ne saurait tre durablementisole de celle d'autres grandeurs physiques : c'est pour un ensemblede grandeurs physiques solidaires qu'un certain seuil de prcisiondoit tre franchi.

    Cette solidarit qu'il ne faut pas confondre avec la cohrence

    qui doit rgner dans un horizon de figuration doit tre galementmise sa juste place. Elle fait l'objet du principe de solidarit ditaussi principe d'intgralit.

    Suffit-il, pour assurer le progrs d'une recherche, de faire valoirles principes qui viennent d'tre esquisss Assurment non. Lesprincipes dgagent et prcisent un cadre mthodologique dans lequeltoute une activit doit avoir encore la facult de s'inscrire : si lechercheur s'y conforme, il met simplement de son ct les meilleureschances qui lui sont offertes de ne pas faire fausse route. Dans uneperspective ouverte l'exprience, l'intention d'installer une mtho-

    1 L'article comporte une tude moins sommaire du principe de dualit. Ony peut voir qu'un mme horizon peut fort bien jouer, selon le contexte danslequel il est intgr, le rle de l'un ou de l'autre des horizons mettre enplace dans l'application du principe.

    1 La chose a t faite pour les instruments mesurer le temps, des plussimples aux plus complexes, des plus lmentaires aux plus prcis, dans l'ouvrage dj mentionn.

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    dologie de caractre necessitate resterait d'ailleurs dans le vide. Cequi compte avant tout, c'est d'entrer en possession d'un savoir-faireefficace. La mthodologie veille ce que ce dernier ne reste pasaveugle, mais s'claire en prenant conscience de ce qu'il est, lafois, prospectif et assur par l'exprience.

    La question qui doit donc tre pose est la suivante : la nouvellemthode, qui n'est elle-mme qu'une mise en forme mthodologiquede l'option d'ouverture l'exprience est-elle en mesure de jouer sonrle par rapport la recherche relle Je ne rpondrai tout d'abordque pour ce qui concerne la recherche scientifique : en s'y conformant,on peut dgager une procdure de fondement (la procdure d'auto-fondation) applicable aux diverses disciplines scientifiques et capable la fois d'en clairer l'volution historique et d'en rserver le dveloppement venir .

    La mthode ne pourrait-elle tre largie de manire fournir aussile cadre mthodologique adquat une philosophie ouverte C'estce que nous allons maintenant examiner grands traits.

    LE PROBLME DU LANGAGE

    Les vues qui viennent d'tre exposes propos de la mthode dela recherche (et tout spcialement de la mthode de la recherchescientifique) peuvent-elles tre portes dans la recherche philosophique en gnral Le langage avec les problmes qu'il pose celuiqui s'en sert peut servir de lieu de transition. Dans toute recherche,le rle du discours est inalinable. Toute discipline scientifique a sonlangage, bien que (en accord avec le principe de dualit), la disciplinene soit pas toute dans son langage. Dans la rflexion philosophique,le rle du discours est au moins en apparence prpondrant : le langagede l'lucidation philosophique est-il donc d'une autre nature quecelui de l'laboration de la connaissance scientifique Et si tel n'estpas le cas, quelle est la thorie du langage qui en manifesterait l'unitEst-il ncessaire de souligner que toute rponse cette dernirequestion revt une importance cruciale C'est d'elle que dpendra enparticulier le rapport qu'on estimera juste d'tablir entre la scienceet la philosophie.

    Un paradoxe semble barrer le chemin ds le dpart : aucunerecherche sur le discours ne saurait tre entreprise sans la participation active du discours. N'y a-t-il pas l un cercle vicieux auquel onchappe en faisant appel un discours de pure rationalit Maisl'existence d'une autre ventualit, celle d'un discours ouvert montre

    1 J'ai dj dit que les deux grandes tudes mentionnes plus haut en apportent le double tmoignage.

  • LA PHILOSOPHIE OUVERTE 97

    nouveau qu'il s'agirait l d'une option, de l'option de rationalitdont il a dj tant t question plus haut. Quelle est cette autreventualit C'est naturellement celle de l'ouverture l'expriencesous les traits que son engagement dans le problme spcial luiconfre. Comment faire ( nouveau) la preuve d'existence de cetteseconde ventualit Il ne peut s'agir que d'une preuve par le fait.Il suffit d'ailleurs ici aussi d'indiquer la mthode par laquelle onentreprend de faire valoir l'option correspondante. Tout l'heure,pour introduire la procdure des quatre phases, il a fallu dgagerpralablement une ide dont tout le reste dpendait, celle de la situation de connaissance ouverte. Il s'est ensuite avr que cette iderendait compte, au plus juste de nos connaissances actuelles, de lasituation qui est en ralit celle du chercheur. L'ide de situationdiscursive ouverte peut rendre les mmes services : elle permet demettre en place une procdure de constitution et de spcificationprogressives des significations susceptibles d'tre lies la procduredj dcrite de constitution et de spcification des connaissances. Ilse rvle d'autre part que, au mieux de ce que nous pouvons jugerrellement aujourd'hui (c'est--dire sans faire appel la fiction decritres absolus dont nous ne disposons pas), cette ide rpond lasituation de celui qui entend se servir du langage aux meilleuresconditions.

    Le mieux est ici de commencer par l'examen de la situation discursive dans laquelle se trouve rellement, pour toute langue dtermine, celui qui entend s'en servir. Cette situation est domine parun certain nombre de faits indniables :

    ) Toute langue d'usage courant n'est pas langue d'un seul, maislangue d'une certaine communaut plus ou moins nombreuse.Ce fait entranerait-il que tous ceux qui font partie de cettecommunaut la parlent de faon parfaitement identiqueAssurment pas. Pour chacun, la langue de tout autre estaffecte d'un certain coefficient d'tranget. Une comprhensionmutuelle plus ou moins entire n'en reste pas moins possible.

    b) L'enfant doit faire l'apprentissage de sa langue. Celle-ci s'assure et se prcise en lui par son intgration un milieu linguistique et social. Son imperfection n'empche pas l'enfantde s'en servir avec un certain succs.

    c) Une langue est comparable un organisme capable de s'adapter : elle volue pour rpondre aux exigences changeantes oucroissantes du milieu dont elle est la langue commune.

    d) La signification d'un mot ou d'un fragment de texte peutencore dpendre du contexte.

    e) Etc., etc.

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    L'ensemble de ces faits suggre d'tendre l'ide de l'ouverture tout ce qu'une langue comporte de moyens d'expression et de contenus de signification ( tous les lments et toutes les vises du discours).

    Tout l'heure, on a pu voir comment la procdure des quatrephases permet de rendre compte du progrs de la connaissance partir d'une situation de connaissance en somme quelconque. Faisantvaloir l'option d'ouverture l'exprience, l'argumentation s'est prsente comme suit :

    1. Elle a tout d'abord dgag l'ide de situation de connaissanceouverte.

    2. Elle a install la procdure des quatre phases partir de toutesituation de ce genre.

    3. Elle a mis pratiquement hors de doute que l'ide de situationde connaissance ouverte rend compte au mieux de la situation relledu chercheur.

    Pour ce qui concerne le progrs de la mise en uvre des moyensdu discours, une argumentation analogue peut tre maintenantmise en place :

    1. Le premier pas en est la mise jour de l'ide de la situationdiscursive ouverte ; on estimera, je pense, que sur ce point les indications prcdentes suffisent.

    2. A partir d'une telle situation, la mise en uvre progressivedes moyens du discours peut tre explicite par le jeu d'une nouvelleprocdure des quatre phases.

    3. Il faut enfin s'assurer qu'on ne fait pas fausse route en posantque la situation discursive, insparablement lie une situation deconnaissance ouverte, est elle-mme ouverte et que c'est aussi l,par consquent, la situation normale du chercheur.

    Sur ce troisime point aussi, les explications ne seront pas poussesplus loin. Reste le second point, celui de la mise en action d'une procdure capable d'assurer l'volution du langage (aux fins qui sont etseront les siennes) partir de toute situation de fait.

    La premire phase sera celle de l'mergence d'une exigence nouvelle, exigence pouvant tout aussi bien porter sur le rle du discoursque sur ses moyens et sa structure. Dans le premier cas, il pourraits'agir par exemple de l'adaptation du langage la situation cre parle franchissement d'un seuil de prcision. Et dans le second cas,l'initiative pourrait venir du grammairien entrevoyant les avantagesde tel ou tel remaniement du vocabulaire ou de la syntaxe. La secondephase est celle o se conoit, en projet, telle ou telle faon de rpondre

  • LA PHILOSOPHIE OUVERTE 99

    ces exigences. La troisime phase passe du projet de la rponse faire celui de la rponse faite titre d'essai, de l'horizon d'anticipation celui de l'excution. La quatrime phase revient enfin la situation de dpart pour y faire valoir le rsultat (positif ou ngatif) del'essai effectu en troisime phase.

    Cette procdure est-elle vritablement oprante Le langage courant a sans cesse faire face des exigences qui ne sont pas la simplerptition d'exigences strotypes. La faon dont il y parvient ne seprsente pas analyse par avance en actes distincts. C'est surtout enrponse des exigences croissantes que l'on voit les articulations dela procdure se dtacher. Il arrive enfin que celles-ci ne soient qu'unaspect de la procdure expose au paragraphe prcdent, l'aspectdiscursif qui lui est fatalement attach.

    Pour mettre les choses au clair, il suffirait d'ailleurs d'examiner etde faire voir comment, sous son aspect discursif, la procdure rendcompte des faits indiqus plus haut, des faits la fois indniables etcaractristiques dont la liste devrait d'ailleurs tre complte. Cettemise au point lasserait probablement le lecteur sans lui apporterd'lments d'apprciation vraiment nouveaux, si ce n'est celui de larptition varie d'une confirmation. Il est vrai que dans toutemthodologie ouverte, cet lment revt une valeur toute spciale.Qu'on veuille bien admettre que cette analyse pourrait tre entreprise et poursuivie sans trop de difficult.

    Bien entendu, cette nouvelle variante (la variante discursive) de laprocdure des quatre phases, pourrait donner lieu mutatis mutandisaux mmes remarques et aux mmes rserves que la variante originale.

    Ds ici, la mise en place de la variante discursive de la procdureprend la valeur d'une preuve d'existence. Il est maintenant acquisque le dploiement d'un discours partir d'une situation discursivedonne peut tre compris, clair, orient, dirig et mme ralis enconformit avec l'option d'ouverture l'exprience. En parlant dela conception que M. F. Brunner se fait d'un systme philosophiqueet du discours par le moyen duquel ce systme se ralise, je disaisavoir une tout autre ide de l'un et de l'autre. A ce moment-l, fautedes explications que je viens de donner, je n'tais pas en tat deprciser mes propres vues. Je puis maintenant commencer le faire.J'estime tout simplement qu'un systme philosophique se dploie parle truchement d'un discours ouvert, que c'est un systme discursifouvert. Je vais mme jusqu' penser que tout systme philosophiqueayant accd l'existence historique, et mme s'il entend se conformer strictement l'option de pure rationalit, ne peut manquer deprsenter tel ou tel moment caractristique d'un systme discursifouvert.

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    Ce qui prcde suffit-il pour fixer les grands traits d'une thorieidoine du langage, et spcialement d'une thorie susceptible de fonderl'unit du langage dont le savant et le philosophe se servent chacunselon ses fins et par consquent chacun sa manire Une thoriedu langage, ce serait un ensemble li de vues nonces aux fins d'unemeilleure prise de conscience de tout ce que le langage est et peut trepour nous. Une telle thorie pourrait se baser sur l'ide que le rledu langage se rduit n'tre qu'un moyen de communication, unmoyen de vhiculer une information l'laboration de laquelle iln'aurait pas prendre part. Au vu de ce qui prcde, une telle thorieserait rejeter. On pourrait partir aussi de l'ide que le sens d'untexte rgulirement formul lui est inhrent, et qu'il ne doit pas trencessaire, pour le retrouver, de revenir la situation extrieure delaquelle on l'aurait dgag. Confronte avec la variante discursive dela procdure des quatre phases, cette thorie ne saurait tre retenue.On pourrait prendre comme ide directrice que le sens d'un mot oude tout complexe discursif s'puise par l'numration de tous sesusages effectifs. Au premier jug, cette ide parat rpondre toutesles exigences. Elle ne permet cependant pas de mettre justement envaleur le passage de la seconde la troisime phase de la procdure.

    Comment prendre parti Pour une premire approche, on peuts'arrter aux trois conditions limites (conditions dterminantes) quevoici :

    i. Expliciter les exigences (les principes) faire valoir pour qu'undiscours puisse se dployer conformment la variante discursive de la procdure des quatre phases.

    2. Tenir compte du fait que ce dploiement doit rserver la fonction des structures de la subjectivit des structures phnomnologiques, et

    3. Mettre en valeur le fait en quelque sorte oppos que du ctdes significations en volution, c'est l'engagement dans lesactivits prcisantes dont l'action devient prdominante.

    Dans cette perspective, le langage apparat comme un milieuuniversel d'vocation et de mise en relations .

    Il ne m'est pas possible dans les limites de cet article de dvelopperle commentaire susceptible d'assurer et de prciser le sens de cesderniers mots. En revanche, il est ds ici possible de revenir sur laquestion de la pluralit des systmes philosophiques et d'en effacer

    1 Voir ce sujet le premier livre Le temps dans le langage dans Le Problme du Temps, essai sur la mthodologie de la recherche (Le Griffon, 1964) etl'article paratre dans Dialectica, 1966 : Le langage dans la philosophieouverte .

  • LA PHILOSOPHIE OUVERTE 101

    le caractre paradoxal. Celui-ci ne tient pas l'intention mmed'tablir un systme, c'est--dire de dvelopper un discours couvrantet ordonnant en un tout, pour en avoir une plus claire conscience,l'ensemble la fois stable et fuyant des vues que nous pouvonsprendre sur le monde et sur nous en mme temps que sur notre treau monde. Il tient l'option qu'on se propose de faire valoir, optionqui agit fatalement comme un principe ordinateur du systme ;l'option de pure rationalit est incompatible en effet avec l'existenced'une pluralit de systmes contradictoires. Dans la perspective del'ouverture l'exprience, une telle pluralit n'a rien de scandaleux.Un systme discursif ouvert, prenant appui sur une situation deconnaissance ouverte, ne peut qu'tre doublement en suspens : c'estune saisie approche dont l'objet est encore en devenir. Il est toutnaturel que deux approches diffrentes ne soient pas conciliables dupremier coup. Le problme est alors non pas de choisir entre elles,mais de les dpasser, de les reviser l'une et l'autre jusqu' les mettred'accord.

    Le passage de l'option de pure rationalit l'option d'ouverture l'exprience quivaut une vritable mutation philosophique. Cettemutation une fois opre, la pluralit des systmes philosophiquesne se pose plus en problme, elle s'explique presque d'elle-mme.

    Remarques finalesOn me demandera : Ce que vous appelez une philosophie ouverte mrite-t-il encore

    le nom de philosophie Estimez-vous en particulier que les considrations que vous prsentez en ce moment mme puissent tre qualifiesde philosophiques

    Dans ce qui prcde, j'ai trait successivement de la nature dessystmes philosophiques, de la mthode de la recherche, du problmedu langage, et j'ai mme ouvert la perspective (par une simple allusion, il est vrai) du ct de la phnomnologie. Est-ce que ce ne sontpas l des problmes classiques de la philosophie De quel droitrejetterait-on du domaine philosophique la tentative qui prcde deles traiter systmatiquement En restant dans la mme perspective,en faisant valoir la mme option fondamentale, il me serait facile derejoindre la recherche sur les structures de la subjectivit et de traiterde la mthode de cette recherche . Ce serait donc l, me dira-t-on,une phnomnologie ouverte Pourquoi pas Une phnomnologieouverte n'est-elle pas seule pouvoir s'intgrer le fait (paradoxal s'il

    1 Voir l'Homo Phenomenologicus, Dialectica, 1965, n 1, p. 40, et L'Analogieet les modles mathmatiques, ibid., 1963, n 2/3, p. 119.

  • 102 FERDINAND GONSETH

    en est) qu'une vidence gomtrique soit la fois inalinable etrvisable Mais o tracerez-vous, me dira-t-on peut-tre encore, lalimite entre la science et la philosophie, entre la gomtrie et la phnomnologie, en particulier Dans une perspective ouverte, cettelimite ne peut passer nulle part. La science et la philosophie n'y sontpas sparables, mais l'intention philosophique se renouvelle constamment dans l'effort de maintenir vivante la conscience du tout,la conscience en son double sens : conscience pour possder le savoird'une part, et conscience pour juger de sa valeur d'autre part.

    Ferdinand Gonseth.

    DISCUSSION

    Henri Reverdin : i. Vous parlez de l'option d'ouverture l'exprience paropposition l'option de pure rationalit. Mais peut-on jamais parler de rationalit pure Pour ma part, j'aurais plutt recours aux deux options la fois.

    2. Quand vous parlez d'ouverture l'exprience, de quelle expriences'agit-il Je pense qu'il s'agit d'abord pour vous de l'exprience scientifique.

    3. A propos du point 7 de votre expos, je me suis demand s'il tait vraiment ncessaire de parler d'option d'ouverture l'exprience pour reconnatre la philosophie un droit gnral de libre examen . Les vrais philosophes onttoujours revendiqu ce droit.

    Ferdinand Gonseth : L'option de pure rationalit et l'option d'ouverture l'exprience s'excluent mutuellement en principe. Je suis d'accord avecM. Reverdin pour mettre en doute l'existence d'une pense satisfaisant toutesles exigences de la pure rationalit, mais cela revient se dcider pour l'optiond'ouverture l'exprience. Celle-ci permet en effet le dveloppement d'une activit thorique en face d'une activit exprimentale, mais on ne saurait faireappel ces deux activits la fois sans avoir aussi le souci de leur mise enrapport. C'est prcisment l, en mthodologie ouverte, l'objet du principe dedualit.

    L'exprience dont je parle est-elle avant tout l'exprience scientifique Jene pense pas l'avoir jamais affirm. Lorsque je parle par exemple de l'expriencemultiforme qui conditionne l'acquisition d'un langage, ce n'est certainementpas de l'exprience scientifique qu'il s'agit. Il n'en reste pas moins que c'est dansla science et par la science que l'exprience revt certains de ses caractres les

    1 Voir La Gomtrie et le problme de l'espace, Le Griffon, 1953 et 1956.1 Cette discussion renseigne le lecteur plus sur la doctrine de M. Gonseth que

    sur celle de ses interlocuteurs. Les questions et les rponses avaient t d'abordrsumes pour tre publies ici. Les interlocuteurs ont accept ou peine modifile rsum qui leur tait soumis. M. Gonseth a prfr repenser et recomposerlargement ses rponses.

  • LA PHILOSOPHIE OUVERTE IO3

    plus prcis. C'est l'une des raisons pour lesquelles le philosophe ne saurait l'exclure de son champ de rflexion. En le faisant, il renoncerait simplement savoirce que l'exprience peut tre.

    L'intention de fixer priori par une dfinition ce que l'exprience peut oudoit tre est antinomique. Dans le contexte de la philosophie ouverte, c'est, partir du sens courant, ce que sa reprise mthodologique en fait.

    Certes, en tant que personne, le philosophe n'a jamais fait abandon du droitau libre examen. Mais ce droit est-il intgr la mthode L'option de purerationalit par exemple n'en fait-elle pas l'abandon mthodologique La philosophie ouverte est, me semble-t-il, la seule qui ait pos et rsolu explicitement leproblme de cette intgration la mthode.

    Fernand Brunner : J'ai une question qui reprend celle de M. Reverdin.Il n'y a pas que l'exprience sensible. U y a aussi l'exprience morale, esthtique,mtaphysique. Il est donc trs difficile de s'entendre sur ce terme d'exprience.De plus, l'exprience ne dit jamais quelle question il convient de lui poser. Ilfaut donc une rflexion pralable l'exprience pour savoir ce qu'il faut chercher.

    Sur le problme de la pluralit des systmes, je dirai que la philosophie queM. Gonseth nous prsente est une philosophie parmi les autres. Toutes les philosophies sont fermes en ce sens qu'elles posent quelque chose de ncessaire. Ainsiil y a quelque chose qui est pos inconditionnellement dans cette philosophie :c'est l'ouverture...

    F. Gonseth : M. Brunner souligne qu'il y a plusieurs faons d'tre ouvert l'exprience. Je ne suis pas d'un autre avis, je pense que nous le savons tousdeux par exprience . Ce qui est difficile, ce n'est pas de s'entendre ce propos,puisque la chose est dj faite. C'est de dfinir, pralablement toute exprience (par la vertu seule des mots), ce qu'est tel ou tel genre d'exprience. Enparticulier, je ne vois pas comment il pourrait tre possible de dfinir mtaphysiquement et sans antinomie ce qu'est une exprience mtaphysique.

    Quant au sens trs gnral donner au mot exprience dans la philosophieouverte, je viens de m'en expliquer en rpondant M. Reverdin.

    M. Brunner accepte que la philosophie ouverte soit une philosophie parmiles autres. Mais une telle tolrance n'est-elle pas souvent le prtexte un refusd'examen M. Brunner en trouve-t-il le principe dans la philosophie qui lui estpropre Je pense que celle-ci, dans sa rigueur, ne saurait s'en accommoder.

    Mais o je pense que M. Brunner se trompe, c'est lorsqu'il dit qu'une philosophie quelle qu'elle soit ne peut manquer de poser quelque chose de ncessaireet que ce quelque chose, dans la philosophie ouverte, c'est l'option d'ouverture.L'option est tout autre chose qu'un inconditionnel ncessaire par lui-mme. Il ya de Tune l'autre une diffrence analogue celle qui spare l'hypothse fairevaloir de l'axiome valable par vidence.

    F. Brunner : Mais vous dites qu'il est ncessaire d'opter, ce qui en un sensferme votre philosophie...

    F. Gonseth : Je ne puis que dire non. Il y a des choix qui posent des barrires, mais il y en a d'autres qui les enlvent. Opter pour la libert d'examen,par exemple, c'est uniquement limiter l'arbitraire. Ce n'est pas l ce qu'onappelle une clture. Opter pour l'ouverture l'exprience, c'est limiter le droitau dcret l'arbitraire qui souvent se cache sous le recours l'vidence. Je ne

  • 104 DISCUSSION

    saurais souscrire ce qu'une telle dlimitation soit appele une fermeture. Il y ad'ailleurs un contresens juger la philosophie ouverte sur ses pralables. Ceux-cisont faits pour tre engags dans l'exprience et pour tre ventuellement rvisssi les circonstances venaient l'exiger. Ce qui compte, c'est le succs ou l'insuccsde l'exprience qu'elle prtend faire pour elle et pour les autres du dploiementd'une mthodologie ouverte. C'est sur le front de ce dploiement que les jugements de valeur peuvent tre ports. Mais comment pourraient-ils l'tre si Tonse fermait l'exprience

    F. Brunner : Votre philosophie ressemble celle de la Nouvelle Acadmie,par exemple celle de Camade.

    F. Gonseth : Tant mieux si la philosophie ouverte a ses prcurseurs. Ce quiest pourtant nouveau, radicalement nouveau, ce sont les exigences lies l'tatactuel de nos connaissances devant lesquelles la philosophie ouverte de ce tempsse trouve et qu'elle entreprend de surmonter.

    Quant au problme de la pluralit des systmes, je pense qu'une certaineligne de recherche peut tre suggre je l'ai dj laiss entendre par lesmots incompltude du discours mtaphysique et ouverture des systmes discursifs.

    F. Brunner : Mais cette incompltude signifie pour moi qu'il y a une rationalit suprieure qu'on vise.

    F. Gonseth : Je crois distinguer, chez vous comme chez moi, une certaineintention de rigueur, une certaine volont de ne pas transiger que je tiens pourindispensable, si l'on veut que la philosophie ne sombre pas dans la confusion.

    Charles Gagnebin : M. Gonseth refuse de recourir un fondement, parceque celui-ci compromet l'ouverture l'exprience. Mais, au livre IV de la Rpublique, Platon propose une vision de l'homme en s'appuyant sur le principefondamental de non-contradiction donn comme hypothse de travail pluttqu' titre d'absolu. Eclairant l'exprience, ce principe permet d'en distingueret d'en articuler les niveaux. Loin de nuire la recherche, un tel fondement contribue donc nous ouvrir l'exprience.

    Comment comprendre l'option d'ouverture, quand il s'agit de la communication avec autrui Est-ce un pari, ainsi que l'entend Pascal De l'usage d'unmme mot la vue d'un mme objet, on tire, dit Pascal, une puissante conjecture d'une conformit d'ides ; mais cela n'est pas absolument convaincant, dela dernire conviction, quoiqu'il y ait bien parier pour l'affirmative, puisqu'onsait qu'on tire souvent les mmes consquences de suppositions diffrentes .Dans l'option d'ouverture telle que vous la comprenez, y a-t-il un aspect semblable ce pari-l

    F. Gonseth : Prsent comme M. Gagnebin vient de le faire, c'est--direcomme une hypothse de travail, comme un principe faire valoir, le tiers exclupeut tre intgr sans autre la philosophie ouverte. Tout au plus faudrait-ilajouter que le principe tant pos de cette faon, on ne pose pas en mme tempsqu'il est inconditionnellement et absolument valable, c'est--dire jamais irr-formable. Dans ce cas, l'irrformabilit du principe se ft d'ailleurs heurte l'exprience, puisqu'il s'est rvl possible d'difier et d'appliquer des logiqueso le principe du tiers exclu n'est pas valable. C'est dans la mme acception deprincipe faire valoir que tous les principes de la mthodologie ouverte doiventtre aussi compris.

  • LA PHILOSOPHIE OUVERTE I05

    Il faut cependant prendre garde qu'un ensemble de principes ainsi conusne constitue pas un fondement au sens classique de ce mot. En ce dernier sens,il n'y a fondement que si les principes de base sont poss une fois pour toutes ettenus pour irrformables. C'est seulement ce genre de fondement-l que la philosophie ouverte rcuse ou plutt dont elle n'a pas besoin. Mais au sens le pluslarge, toute situation de connaissance ouverte peut servir, au moins titre provisoire, de fondement.

    Pourquoi me dtourn-je comme d'instinct de l'exigence d'un fondementdgag une fois pour toutes et qui restera ds lors immuable, irrformable C'estqu'aprs en avoir pos le principe, il faut continuer en disant : Je ne commencerai valablement que lorsque j'aurai dgag le fondement inbranlable surlequel je pourrai m'appuyer. Or, dans les situations vcues, cela signifie pratiquement : Je ne commencerai donc jamais. Mais la vie ne nous accorde pasce dlai. Elle nous oblige commencer et recommencer. La philosophie ouvertene fait que tirer les consquences mthodologiques de la situation qui est en faitla ntre.

    On a pu croire que le mathmaticien, en imaginant la mthode axiomatique,avait rsolu le problme du fondement immuable. L'exprience du gomtredcouvrant les geometries non euclidiennes a cependant montr que, l aussi, lasituation tait reste et reste encore ouverte. Cette constatation est-elle dsesprante Elle s'intgre sans difficult dans la perspective d'une science ouverte .

    Quant l'ide du pari, elle intervient trs heureusement dans le dbat.Toute la citation de Pascal est, par avance, j'en suis frapp, dans le style d'unephilosophie ouverte du langage. Pour ce qui concerne mon expos, l'ide dupari intervient plus ou moins explicitement, trois fois au moins :

    l'option d'ouverture l'exprience est comparable un pari qui se renouvelle et dont les chances augmentent chaque fois qu'il est tenu ;

    l'hypothse que Ton fait la seconde phase de la procdure des quatrephases est un pari, mais dont la troisime phase doit dcider s'il a t fait tortou raison ;

    toute innovation dans le domaine du langage, qu'elle soit de sens ou devocabulaire, est un pari que l'usage a pouvoir de trancher.

    En bref, les deux citations faites par M. Charles Gagnebin me semblentpouvoir tre interprtes comme deux intuitions profondment anticipatrices dela philosophie ouverte bien en avant du moment o celle-ci pourra prendreforme de rponse des exigences immdiates et pressantes.

    Maurice Gex : Je dsire rechercher quels sont les prsupposs impliquspar une philosophie ouverte l'exprience, et je le ferai sur deux plans : ouverture l'exprience et rationalit.

    1 On peut comparer l'idonisme de M. Gonseth la philosophie ouverte deBrunschvicg, qui s'oppose lui aussi toute tentative de synthse (Hamelin parexemple). Mais la philosophie de Brunschvicg, comme philosophie de pure intriorit, n'est pas ouverte l'exprience (toute l'interprtation du choc del'exprience provient en effet de l'esprit). Deux thses, je crois, soutiennentl'ouverture l'exprience dans la philosophie de M. Gonseth : un certain ralisme d'abord, nourri par un incessant arbitrage entre l'esprit et le rel, chacun

    1 Voir La Gomtrie et le problme de l'espace. Le Griffon, Neuchtel, 1953 et1956-

  • I06 DISCUSSION

    des deux termes possdant sa structure propre, un certain dcalage donc entrel'esprit et le rel ; puis la thse que le rel possde une trs grande complexit.

    2 On pourrait craindre que l'exigence d'ouverture l'exprience ne soit uneinvite l'arbitraire. C'est l qu'intervient l'aspect de rationalit dans la pensede M. Gonseth : c'est une exigence de cohrence qui rclame la rvision desprincipes (quatrime phase).

    F. Gonseth : Les remarques de M. Gex sont, mon avis, aussi justes quepntrantes. Je suis heureux qu'elles aient t faites. Je crois y distinguer unaccord qui va trs loin avec les ides dominantes de la philosophie ouverte.

    J'aimerais y ajouter une nuance en ce qui concerne la cohrence. Celle-cin'est pas quelque chose dont on puisse expliciter d'avance toutes les exigences.Ces dernires aussi se rvlent de mieux en mieux au fur et mesure que l'volution de la connaissance se fait. C'est l l'une des raisons qui rendent la quatrime phase de la procdure des quatre phases si indispensable.

    Daniel Christoff : Les philosophes n'ont-ils pas toujours admis qu'ils sontouverts l'exprience L'ouvert et le ferm s'impliquent pourtant plus qu'onne voudrait le voir dans l'exprimentation et, par exemple, dans les tests. Leferm est impliqu dans l'ouvert : l'ouverture elle-mme se pose dans des dfinitions et repose sur elles. L'option suppose des fondements bien tablis. L'exprience suppose le concept.

    De mme, l'existence de dictionnaires non empiriques montre que l'ide desens propre d'un mot permet l'ide de concept. Votre critique du sens propreremet donc en question l'ide de concept. Si un mot n'est pas isolable (et noussommes tous d'accord qu'il ne Test pas), alors pourquoi l'isole-t-on

    Ce qui permet l'ouverture, ce sont donc bien des dfinitions. Pour clairer lerapport entre l'ouvert et le ferm, on peut avoir recours la morale provisoirede Descartes ; n'est-ce pas une image qui permet de fixer le climat dans lequelvous dveloppez votre pense

    F. Gonseth : L'intervention de M. Christoff est trs riche en remarques quipourraient tre presque sans autres portes au compte de la philosophie ouverte.Celle-ci, en effet, pratique une dialectique et dialectise une pratique de l'ouverture et de la fermeture. Dans cette perspective, la fermeture peut revtir sonidonit sans cesser pour cela de prparer en principe une ventuelle et nouvelleouverture. C'est ce qui explique par exemple qu'on puisse isoler un concept,bien qu'on sache et qu'on admette, comme M. Christoff le dit, qu'il n'est pasisolable compltement et absolument.

    L'allusion la morale provisoire de Descartes me semble tre aussi trs sa place. Il faut cependant faire observer que chez Descartes le provisoire n'estl qu'en lieu et place des vidences et de leurs consquences qui devront venirun jour, tandis que dans la philosophie ouverte, le provisoire prend fonction defondement provisoire et de situation de dpart pour le progrs et l'volutionultrieurs. Dans la philosophie ouverte, le provisoire reste en suspens pour treventuellement rvis. C'est ce que signifie d'ailleurs l'ouverture de principe.Chez Descartes, le provisoire prpare son effacement au profit des certitudespleines et entires. Le proverbe dit : Il n'y a que le provisoire qui dure , laphilosophie ouverte ajoute : la condition d'tre adquatement adapt et certaines fois remplac .

  • LA PHILOSOPHIE OUVERTE I07

    En regardant la fois vers la fermeture et vers l'ouverture, M. Christoff meparat avoir dsign l'un des aspects sous lesquels toutes les phUosophies deviennent comparables. La philosophie ouverte ne fait que mettre cet aspect en particulire vidence .

    Andr Voelke : 1. Vous avez fait allusion la thorie traditionnelle del'induction, qui n'entre pas dans le schma des quatre phases. Faut-il renoncer cette ide d'induction ou peut-on lui apporter quelques modifications

    2. Au point 9, votre expos montre la ncessit de l'engagement pour lascience. Mais quel sens a la notion d'ouverture quand il s'agit d'engagementpolitique, moral, en un mot existentiel

    F. Gonseth : 1. Il y a bien une procdure d'induction, mais elle n'est passeparable d'une procdure plus complexe. Je ne rejette pas l'induction, mais leschma du raisonnement inductif, pour le remplacer par la procdure des quatrephases.

    2. C'est l'exprience scientifique qui a t le plus tudie et qui offre le plusde possibilits de contrle. Mais il faut distinguer la procdure engage dansl'objectivit, qui est procdure de l'hypothse et de l'preuve (avec les quatrephases), et la procdure valable pour la subjectivit, procdure de l'preuve etdu tmoignage. L'intention pourtant reste commune : progresser dans la connaissance du sujet et de l'objet.

    Jean Rudhardt : r. Y a-t-il vraiment une philosophie rationnelle d'ol'exprience soit absente Dans toute philosophie il y a une assise profonde surune ou plusieurs expriences privilgies.

    2. Toutes les expriences sont-elles rductibles au processus des quatrephases Et la vrification philosophique est-elle comparable la vrificationexprimentale Dans le problme moral par exemple, quelle exprimentationpeut dire : ceci est bon, cela est mauvais

    F. Gonseth : Je ne contesterai naturellement pas que dans toute philosophie il doive y avoir une assise profonde sur une ou plusieurs expriences privilgies. Mais je contesterai qu'il soit lgitime d'tablir un privilge par dcisionpralable au profit de tel ou tel aspect de notre exprience en ngligeant systmatiquement les autres ; il ne saurait y avoir de privilge exclusif par exemplepour l'exprience scientifique, mais il ne saurait y en avoir aucun non plus pourl'exprience morale. Ce qui n'empche pas que, mme dans une vise globale,tel aspect puisse nous servir plus srement que tel autre.

    Qu'est-ce qu'une vrification philosophique Le problme de la mthode(mme s'il ne s'agit que de la mthode de la recherche scientifique) est un problme philosophique. On ne sort pas de la philosophie en en proposant une solution, mme titre hypothtique, mais pour qu'il y ait un sens parler de vrification, il faut avoir un champ de garantie, c'est--dire un champ o cette solution puisse tre mise l'preuve. Ce champ de garantie existe, c'est la rechercherelle, la recherche en action ; il n'exclut pas la recherche philosophique, lacondition qu'on sache distinguer ce qu'elle vise et juger si elle l'atteint ou ne

    1 A ce propos, il conviendrait de citer l'article de M. F. Fiala, sur l'ouvertureet la fermeture, dans Dialectica, 1947, n 2.

  • I08 DISCUSSION

    Tatteint pas. La mthodologie ouverte est un chapitre de la philosophie. S'ap-plique-t-elle Si oui, il n'y a pas d'autre vrification exiger d'elle.

    Certes, il y a des expriences spcifiques. Celles de la couleur vcue, par exemple. Mais leur spcificit est elle-mme affaire d'exprience. Tant qu'une observation la fois vaste et objective n'aura pas fait apparatre comment les catgoriesmorales s'appliquent de faon parfois si contradictoire, toute intention de vrification ne pourra rencontrer que le vide.

    Le Pre Cottier : i. Vous avez cart un peu rapidement le systme. Danstoute recherche rationnelle, il y a les notions d'ordre et de totalit, comme butsviss en tout cas. Et cela justifie l'existence des systmes. En rduisant la notionde systme la notion de systme dductif, vous avez limit le domaine durationnel.

    2. Faut-il parler d'option II vaudrait mieux dire, je crois, postulat. Il y aune raison notre option.

    F. Gonseth : Je n'ai pas cart l'ide de systme philosophique, mais seulement celle de systme purement rationnel. Je l'ai mme remplace par l'ided'un systme discursif ouvert. Surtout, je n'ai pas rduit l'ide de systme cellede systme dductif. J'ai fait, me semble-t-il, justement le contraire. Je ne suissurtout pas d'accord pour remplacer le terme d'option par celui de postulat.Par l'ide de postulat, on rejoint l'ide d'un fondement pos en raison, et c'estprcisment cela que, pour les raisons que j'ai dites, la philosophie ouverte meten doute.

    Ren Schaerer : Vous parlez de perte de vitesse de la philosophie. Je necrois pas. Crise, oui ; mais c'est signe de vie. Et cette crise est peut-tre due lafermeture des philosophies sur elles-mmes. Les philosophes ne doivent pas secouper des savants : ce qui enrichit notre vision du monde, ce sont en effet lesdcouvertes des savants.

    Ce que vous avez dit de la dmarche des quatre phases concerne seulementla dmarche scientifique, non la dmarche philosophique. Si je m'occupe duproblme du mal par exemple, j'irai interroger le mdecin sur la souffrance, puisje consulterai les potes et les philosophes. Je me formerai une ide de la souffrance que je pourrai corriger sur de nouvelles donnes. Le progrs philosophique est donc de l'ordre de l'lucidation : il vise une conception lucide, claire,rationnelle et universelle. O sont l les quatre phases dont vous parliez

    F. Gonseth : Elles y sont, je les ai toutes remarques. Vous parliez d'unaboutissement qui n'est pas dfinitif. Pour tablir votre thorie de la souffrance,vous avez procd de cette manire : vous avez prpar les ides par une enquteaussi complte que possible, afin d'avoir une ide claire du problme. Ensuite,vous ordonnez les ides : c'est l'hypothse qui se forme, et qui se contrlera parle recours aux nouvelles expriences qui peuvent se prsenter.

    J'ai dj dit et ne puis que rpter que la procdure des quatre phases neconcerne pas seulement la dmarche scientifique. Elle est applicable par exemple la dmarche mme par laquelle la mthodologie ouverte se constitue. Or, celan'est pas une dmarche scientifique, c'est je l'ai dj dit une dmarchetraditionnellement philosophique.

    Je ne me lasse pas de protester contre la tentative de tracer une ligne desparation nette entre le scientifique et le philosophique. Dans la perspective de

  • LA PHILOSOPHIE OUVERTE IO9

    la philosophie ouverte, cette ligne ne peut tre trace nulle part. Et je crains quecette faon de faire, par laquelle certains philosophes cherchent se mettre l'abri des consquences de l'volution de la connaissance scientifique, ne finissepar se retourner contre la philosophie elle-mme.

    Vous me dites, par exemple, que dans le problme du mal, et plus prcisment dans le cours de Tlucidation possible que vous imaginez, la procdure desquatre phases ne saurait tre nulle part aperue. Eh bien au fur et mesure quevous drouliez les stades de votre elucidation, moi j'apercevais la progression desphases de la procdure. Je pourrais tout d'abord insister sur le fait que vousparliez d'un enrichissement qui n'est pas dfinitif : en fin d'analyse, votre situation reste donc ouverte. Pour tablir votre thorie de la souffrance, vous aviezprpar une prise de position par une enqute aussi entire que possible. Lersultat de cette enqute vous permettra de prendre une premire fois position.Mais le problme mme ayant t pos en premire phase, ne venons-nous pasde dcrire comment en seconde phase on peut tre conduit mettre une hypothse plausible Vous avez ensuite pos qu'il serait juste de confronter votreprise de position avec la ralit : mais c'est l la troisime phase de la procdure.Vous avez mme envisag de revenir au problme avec un potentiel de jugementaccru et enrichi. Sincrement, j'y reconnais la quatrime phase de la procdure,celle du choc en retour sur la situation de dpart. Ai-je tort en disant que vousvenez de montrer trs clairement que la procdure des quatre phases s'appliquebien au-del des limites de la recherche scientifique

    Denis Zaslawsky : Pour qu'il y ait problme, il faut que le problmemerge et qu'on en prenne conscience comme d'un problme qui se pose rellement. Votre mthode repose sur l'existence pralable de problmes . Or, il n'ya peut-tre pas le problme du langage.

    F. Gonseth : A propos du langage, on peut se poser diverses questions quifont, dans leur ensemble et dans leur interdpendance, ce qu'il est assez natureld'appeler le problme du langage. Mais dire vrai, je ne saisis pas si et comment M. Zaslawski entend remettre en cause tout ou partie de ce que je viensde dire.

    Socit romande de philosophie : la philosophie ouverte