krishnamurti et la méditation, par david bohm

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  • 7/28/2019 Krishnamurti et la mditation, par David Bohm

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    David Bohm

    Krishnamurtiet la mditation

    sV

    34i.

    e premier contact que j eus avec

    luvre de K rishnamurti fut en 1959

    quand je lus son livre Premire et

    Dernire Libert. Ce qui m'intressa plus

    particulirement fut lexamen en profon-

    deur de la question Observateurs et

    choses observes . Cette question tait depuis

    longtemps au cur du mon travail en tant que

    thoricien de la physique intress au dpart par

    la thorie des quanta. Dans cette thorie, pour la

    premirefois dans le dveloppement de la phy-

    sique, lide que observateur et observ ne

    peuvent tre spars, a t avance comme nces-

    saire pour la comprhension des lois fondamen-

    tales de la matire en gnral.

    A cause de ceci, et galement cause de bien

    dautres choses, je sentis quil tait urgent pour

    moi de parler K rishnamurti directement et per-

    sonnellement aussitt que possible. Et quand je le

    rencontrai lors de l une de ses visites Londres, je

    fus frapp de voir quel point il tait facile de

    communiquer avec lui. Ceci tait rendu possible

    par lintensit de son attention et la libert, hors de

    toutes barrires et protections, avec laquelle il

    ragissait ce que j avais dire. En tant quindivi-

    du engag dans la recherche scientif ique, je mesentais tout fait laise avec ce genre de raction,

    parce quelle tait en essence de la mme qua-

    lit que celle que j avais rencontr lors du contact

    avec dautres scientifiques avec qui j tais en com-

    munion d'esprit. Et je pense plus particulirement

    Einstein qui faisait preuve dune mme intensit

    et absence de barrire pendant les nombreuses dis-

    cussions qui eurent lieu entre lui et moi.

    Aprs cela, je commenai voir K rishnamurti

    rgulirement et discuter avec lui chaque fois

    quil venait Londres. Ce fut le dbut dune asso-

    ciation devenue dautant plus troite que je me suis

    intress aux coles, telles que Brockwood Park en

    Angleterre, fondes son initiative. Pendant ces

    discussions, nous examinmes en profondeur de

    nombreuses questions me concernant dans mon

    travail scientifique. Nous tudimes la nature de

    l espace et du temps et de luniversel, la fois par

    rapport la nature extrieure et par rapport les-

    prit. Mais ensuite, nous en vnmes considrer le

    dsordre gnral et la confusion qui envahit la

    conscience de lhumanit. C est l que je rencon-

    trai ce que je sens tre la plus importante dcou-

    verte de K rishnamurti. Ce quil avanait avec

    srieux est que tout ce dsordre, cause partout de

    tant de malheur et de souffrance et qui empche les

    humains duvrer efficacement ensemble, a sa

    racine dans le fait que nous ignorons tout de la natu-re gnrale de nos propres processus de pense, ou

    pour l exprimer diffremment, on peut dire que

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    K r i s h n a m u r t i et l a m d i t a t i o n - 27

    La mditation consiste tre conscient de chaque pense, de chaque sentiment ;

    ne jam ais les ju g e r en bien ou en mal, mais les observer et se m ouvoir avec eu x...

    De cette lucidit nat le silence.

    Se librer du connu

    Un esprit m d itatif est silen cieu x. Ce nest pas un silenc e que la pense puisse con cev oir ; ce nest

    pa s le si le n ce d' un so ir tr an qu ill e ; c est le si le n ce total q u i se pr od uit lo rsqu e s ar r te

    la pense, avec toutes ses images, ses mots, ses percep tions. Cet esprit m d itatif est lesprit

    religieu x - c elui don t la religion nest pas atteinte p ar les glises, les temples et leurs chants.

    la rvolution du silence

    Da ns l attention, il n y a pas de centre pa rtir duque l on est attentif.

    Jl est tr s im po rtan t de co m p re n d re ce la, ca r c est l ess en ce de la m di ta tion .

    Plnitude de la Vie

    nous ne voyons pas ce qui se passe en fait quand nous

    sommes engags dans l activit de la pense. En obser-

    vant de trs prs cette activit, Krishnamurti sent qu'ilperoit directement cette pense comme un processus

    matriel qui a lieu lintrieur de ltre humain, dans le

    cerveau et le systme nerveux constituant un tout.

    En gnral, nous avons tendance tre principa-

    lement conscients du contenu de cette pense plutt

    que de la manire dont cela se passe. On peut illus-

    trer ce point en voyant ce qui se passe quand on lit un

    livre. D habitude, on ne prte attention quau sens de

    ce quon lit. Cependant, on peut avoir conscience

    galement du livre luimme, de la faon dont il est

    fait, des pages qui peuvent tre tournes, des mots

    imprims et de lencre, de la texture du papier etc. De

    mme, nous pouvons prendre conscience de la struc-

    ture et de la fonction relle du processus de la pense

    et non seulement de son contenu.

    Comment une telle conscience peutelle se dve-

    lopper ? Krishnamurti avance que cela exige ce quil

    appelle la mditation. Cependant, on a donn ce mot

    tant de sens diffrents et mme contradictoires, beau-

    coup dentre eux sousentendant une espce de vague

    mysticisme. K rishnamurti a lesprit une notion pr-

    cise et claire quand il se sert de ce mot. On peut obte-

    nir une indication prcieuse de son sens en consid-

    rant lorigine du mot (les racines des mots rappro-

    ches du sens gnralement admis aujourdhui

    fournissent souvent dtonnantes voies pour parve-

    nir leur signification profonde). Le mot anglais

    mditation est bas sur la racine latine Med quiest mesurer . Le sens actuel est rflchir, peser (cest

    dire peser, mesurer) etprter une grande attention .

    De faon similaire, le mot sanscrit Dhyana est

    apparent de faon trs proche dhyati signifiant

    rflchir. De sorte que, de cette faon, mditer serait

    rflchir, penser , tout en prtant grande attention

    ce qui se droule en ralit pendant ce temps. Cest

    peuttre ce que Krishnamurti entend par le commen-

    cement de la mditation. C estdire prter une gran-

    de attention ce qui se passe en conjonction avec l ac-

    tivit relle de la pense qui est la source sousjacen-

    te du dsordre gnral. On fait cela sans choix, ni cri-

    tique, sans accepter ou rejeter ce qui se passe. Et tout

    ceci saccompagne de rflexions sur le sens de ce que

    lon apprend, sur lactivit de la pense (ce pourrait

    tre comme lire un livre dont les pages ont t

    brouilles et tre intensment conscient de ce

    dsordre, plutt que dessayer uniquement de trouver

    un sens au contenu confus qui se prsente quand on

    prend les pages comme le hasard les a places).

    K rishnamurti a observ que le fait mme de mdi-

    ter met de lordre dans l'activit de la pense sans

    l intervention de la volont, du choix, de la dcision

    ou daucune autre action de celui qui pense . Au

    moment o cet ordre stablit, le bruit et le chaos qui

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    28 - D a v i d Bo h m

    sont le fond habituel de notre conscience, rteignent

    et lesprit devient gnralement silencieux (la pense

    ne nat que lorsquelle est ncessaire puis sarrte jus-

    qu ce quelle soit de nouveau ncessaire).

    Dans ce silence, Krishnamurti dit que quelque

    chose de nouveau et de crateur se produit, quelque

    chose qui ne peut tre traduit en mots mais qui est

    dune extraordinaire signification pour l ensemble de

    notre vie. Aussi ne tenteti l pas de communiquer ceci

    avec des mots, mais il demande plutt ceux que cela

    intresse dexplorer le problme de la mditation

    directement pour euxmmes en prtant une attention

    vraie la nature de la pense.

    Sans essayer d'approfondir davantage la significa-

    tion du mot mditation, on peut cependant dire que la

    mditation, au sens que lui donne K rishnamurti, peutmettre de l'ordre dans toute notre activit mentale et

    ceci peut tre un facteur cl susceptible de mettre fin

    l affliction, au malheur, au chaos et la confusion

    qui sont depuis toujours le lot de lhumanit et qui

    continuent l'tre sans perspective de changement

    dans un avenir prochain.

    La mditation peut mettre de lordre

    dans toute notre activit mentale

    et ceci peut tre un fCtS UT c l

    susceptible de mettre fin au chaos...

    Luvre de Krishnamurti est empreinte de ce que

    lon peut appeler lessence dune approche scienti-

    fique des problmes, sous sa forme la plus haute et la

    plus pure. A insi, il part dun fait, ce fait concernant la

    nature du processus de la pense. Ce fait est tabli par

    une trs grande attention sousentendant lobservation

    soigneuse du processus de la conscience. En ceci on

    apprend constamment et de cela vient la connaissance

    de la nature gnrale du processus de la pense. Cette

    connaissance est ensuite mise l preuve. Dabord on

    voit si elle est cohrente, rationnelle. Puis on voit si

    elle mne lordre et la cohrence, et ce qui en

    dcoule dans la vie considre comme un tout.

    K rishnamurti met constamment laccent sur le fait

    quil n'est en aucune faon une autorit. Il a fait cer-

    taines dcouvertes et il fait simplement de son mieux

    pour rendre ses dcouvertes accessibles tous ceux

    capables de lcouter. Son uvre ne contient pas de

    doctrine et noffre pas non plus de la technique ou des

    mthodes pour obtenir le silence de lesprit. I l ne

    cherche pas fonder un nouveau systme de croyan-

    ce religieuse. Il pense plutt que cest chaque tre

    humain de voir sil peut dcouvrir par luimme ce

    que K rishnamurti a indiqu et ce partir de l, faire

    de nouvelles dcouvertes pour son propre compte.

    Il est clair quune introduction comme celleci

    peut, au mieux, montrer comment l uvre de

    Krishnamurti a t vue par une personne en particu-

    lier, par un scientifique tel que moimme. Pour voir

    dans son ensemble ce que K rishnamurti veut dire, il

    est ncessaire, naturellement, de poursuivre et de lire

    ce quil dit luimme avec cette qualit dattention

    visvis de la totalit de nos ractions intrieures et

    extrieures dont nous venons de discuter.

    (Extraits d'une interview de la revueAurore)

    Prire et M ditation selon K rishnamurti

    Quappelons-nous prire ? La prire consiste

    d'abord en une ptition, une supplication ce que

    vous appelez Dieu... vous qumandez, mendiez... en

    somme vous cherchez une rcompense, un contente

    ment.... En dautres termes, nous voulons que notre

    confusion, nos conflits, soient remis en ordre par un

    autre que nous...

    Qu'est donc la mditation ? Mditer, c'est com

    prendre ; la mditation du cur est comprhension...

    Se concentrer, prier, cela n veille pas la compr

    hension, et celle-ci est la base mme, le processus fon

    damental de la mditation...

    Mais qu 'appelons-nous comprendre ? Comprendre

    veut dire donner sa vraie valeur toute chose...pour

    que surgissent des valeurs exactes, il me faut com

    prendre le penseur, nest-ce pas ?... Donc, la connais

    sance de soi est le dbut de la mditation. I l ne sagit

    pas des connaissances que l'on ramasse dans les livres,

    chez des guides spirituels, des gourous, mais de celle

    qui provient dune enqute intrieure et dune juste

    perception de soi. Sans connaissance de soi, il ny a

    pas de mditation... Le penseur qui demande, prie,

    exclut, sans se comprendre, doit invitablement tomber

    dans la confusion de l'illusion...

    La premire et dernire libert

    David Bohm, minent physicien du XXesicle,

    a longuement dialogu avec J. K rishnamurti ;

    quelques recueils dentretiens ont dj t publis

    en franais : Les limites de la pense (Stock, 1999)

    et Le temps aboli (Le Rocher, 1999).

    David Bohm est l'auteur de La plnitude

    de l'Univers (Le Rocher, 1987) ;

    La Danse de l Esprit (Seveyrat, 1988) ;et. en collaboration avec David Peat,

    La conscience et l'Univers (Le Rocher, 1990).