la mort en droit social

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Master 2 Recherche Droit Social Dirigé par Madame le Professeur Françoise Favennec-Héry et Monsieur le Professeur Jean Michel Olivier La mort en droit social Benjamin SCHIL Sous la direction de Monsieur le Professeur Patrick Morvan Mémoire effectué en vue de l’obtention du Master 2 Recherche Droit social Année 2013-2014 Promotion Avosial

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  • Master 2 Recherche Droit Social

    Dirig par Madame le Professeur Franoise Favennec-Hry et Monsieur le

    Professeur Jean Michel Olivier

    La mort en droit social

    Benjamin SCHIL

    Sous la direction de Monsieur le Professeur Patrick Morvan

    Mmoire effectu en vue de lobtention du Master 2 Recherche Droit social

    Anne 2013-2014

    Promotion Avosial

  • [2]

    Remerciements,

    Je souhaite tout dabord remercier Monsieur le Professeur Patrick Morvan, pour ses prcieux

    conseils et sa grande disponibilit.

    Je souhaite ensuite remercier mes professeurs, actuels, comme passs, qui mont fourni les outils

    ncessaires la rdaction de ce mmoire.

    Je souhaite enfin remercier mes proches, mes camarades, les membres de lAJDS ainsi que ceux du

    Laboratoire de Droit social pour leur indfectible soutien.

    A mon pre,

  • [3]

    Sommaire

    Liste des abrviations............................4

    Introduction................................7

    Partie I) De la vie la mort........27

    Titre I) Comprendre la mort...28

    Chapitre I) Atteintes physiques mortelles.28

    Chapitre II) Atteintes psychologiques mortelles..58

    Titre II) Anticiper la mort75

    Chapitre I) La mort prvisible....76

    Chapitre II) La mort imminente86

    Partie II) La vie aprs la mort.97

    Titre I) La famille du mort...98

    Chapitre I) La dtermination de la famille...99

    Chapitre II) Le devenir de la famille....111

    Titre II) Lentreprise du mort...129

    Section prliminaire) Mort et force majeure..129

    Chapitre I) Le remplacement...132

    Chapitre II) La responsabilit..142

    Conclusion....161

    Bibliographie..163

    Index alphabtique173

    Table des matires..176

  • [4]

    Table des abrviations

    ACAATA: Allocation de cessation anticipe d'activit des travailleurs de l'amiante.

    AGIRC : Association gnrale des institutions de retraite des cadres.

    AGS : Association pour la gestion du rgime de garantie des crances des salaris.

    ANI: Accord national interprofessionnel.

    Arr: Arret.

    ARRCO: Association pour le rgime de retraite complmentaire des salaris.

    AT-MP: Accidents du travail et maladies professionnelles.

    BIT: Bureau international du travail.

    BTP: Btiment et travaux publics.

    CAA: Cour administrative dappel.

    Cass. 1ere civ: Cour de cassation, premire chambre civile.

    Cass. ass. plen. : Cour de cassation, assemble plnire.

    Cass. crim : Cour de cassation, chambre criminelle.

    Cass. req : Cour de cassation, chambre des requtes.

    Cass. soc : Cour de cassation, chambre sociale.

    C. civ. : Code civil.

    CCMSA : Caisse centrale de la mutualit sociale agricole.

    CCN : Convention collective nationale.

    CDD : Contrat dure dtermine.

    CEDH : Cour Europenne des Droits de lHomme.

    CESDH : Convention Europenne de Sauvegarde des Droits de lHomme.

    CGCT : Code gnral des collectivits territoriales.

    CGSS : Caisse gnrale de scurit sociale.

    CHSCT : Comit dhygine, de scurit et des conditions de travail.

    CISST : Comit interentreprises de sant et de scurit au travail.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Cr%C3%A9ance

  • [5]

    CJCE : Cour de justice des Communauts europennes.

    CNAMTS : Caisse nationale de lassurance maladie des travailleurs salaris.

    CNAV : Caisse nationale dassurance vieillesse.

    Cons. Const : Conseil constitutionnel.

    CPAM : Caisse primaire dassurance maladie.

    CPP : Code de procdure pnale.

    CPRPSNCF : Caisse de prvoyance et de retraite du personnel de la socit nationale des

    chemins de fer franais.

    CRAM : Caisse rgionale dassurance maladie.

    C. sant publ : Code de la sant publique.

    CSS : Code de la Scurit sociale.

    C. trav : Code du travail.

    D : Dcret.

    DGT : Direction gnrale du travail.

    DIRECCTE : Direction rgionale des entreprises, de la concurrence, de la

    consommation, du travail et de l'emploi.

    Dr. adm : Droit administratif.

    Dr. fam : Droit de la famille.

    Dr. soc : Droit social.

    ENIM : Etablissement national des invalides de la marine.

    FCAATA : Fonds de cessation anticipe d'activit des travailleurs de l'amiante.

    FIVA : Fond dindemnisation des victimes de lamiante.

    HALDE : Haute autorit de lutte contre les discriminations.

    INRS : Institut national de recherche et de scurit.

    InVS : Institut national de veille sanitaire.

    IRP : Institutions reprsentatives du personnel.

    JCP E : Juris-Classeur Priodique, dition conomique.

  • [6]

    JCP G : Juris-Classeur Priodique, dition gnrale.

    JCP S : Juris-Classeur Priodique, dition sociale.

    JO : Journal officiel.

    LFSS : Loi de financement de la scurit sociale.

    NTIC : Nouvelles technologies de linformation et de la communication.

    OIT : Organisation internationale du travail.

    OPPBTP : Organisme professionnel de prvention du btiment et des travaux

    publics.

    PACS : Pacte civil de solidarit.

    PASS : Plafond annuel de la Scurit sociale.

    PNAC : Plan national dactions coordonnes.

    QPC : Question prioritaire de constitutionnalit.

    RDSS: Revue de droit sanitaire et social.

    RDT : Revue de droit du travail.

    RJS : Revue de jurisprudence sociale.

    RPS : Risques psychosociaux.

    SSL : Semaine sociale Lamy.

    TA : Tribunal administratif.

    TASS : Tribunal des affaires de la Scurit sociale.

    TGI : Tribunal de grande instance.

  • [7]

    mort, vieux capitaine, il est temps ! Levons lancre

    Charles Baudelaire, Le Voyage.

    Introduction

    1- Une fascination. Ah, ah, le dfunt nest pas mort sexclame Toinette quand Argan, qui feignait

    la mort pour dcouvrir les relles intentions de sa femme Bline, se rveille1. Ce passage est tir

    du Malade Imaginaire de Molire, dont lun des principaux ressorts comiques est de rire de la mort,

    par le biais dArgan, un hypocondriaque chronique. Ironie du sort, le 17 fvrier 1673, lors de la

    quatrime reprsentation de la pice, Molire, qui joue le rle dArgan, est pris dun malaise

    mortel sur scne et meurt quelques heures aprs. Rire de la mort, la tourner en ridicule pour

    mieux la ddramatiser, mais toujours la garder comme point de rfrence, tant elle fascine

    lhomme. Pourquoi cette fascination ?

    Deux extraits de Bel-Ami de Guy de Maupassant donnent un dbut dexplication. Dans le

    premier, Norbert de Varenne, pote hant par la mort, explique au hros, Georges Duroy, que

    La vie est une cte. Tant quon monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux ; mais lorsquon arrive en

    haut, on aperoit tout dun coup la descente, et la fin, qui est la mort. Ca va lentement quand on monte mais a va

    vite quand on descend , puis, faisant allusion la mort Oui elle ma miett, la gueuse, elle a accompli

    doucement et terriblement la longue destruction de mon tre, seconde par seconde 2. Il exprime ici avec force le

    fait que la mort est inluctable. Le mdecin et essayiste Jean Hamburger disait que La plupart des

    mcanismes de la vie connaissent des rats, des failles. La mort jamais. . Ce caractre invitable de la mort

    est une des explications de la fascination de lhomme pour la mort.

    Dans le deuxime passage, Maupassant dcrit la panique de Charles Forestier lors de son agonie

    Il rptait toujours : - Je ne veux pas mourir !... Oh ! Mon Dieu mon Dieu quest-ce qui va marriver ? Je

    1 Molire, Le Malade Imaginaire, Acte III, Scne XII. 2 G. de Maupassant, Bel Ami, Gallimard, 1973, p. 169.

    http://www.top-citations.com/2012/09/la-plupart-des-mecanismes-de-la-vie.htmlhttp://www.top-citations.com/2012/09/la-plupart-des-mecanismes-de-la-vie.html

  • [8]

    ne verrais plus rien plus rien jamais Oh ! Mon Dieu ! 3. Ainsi, la mort fascine galement parce

    quelle fait peur. Comme lcrit Franois Ren de Chateaubriand, L'homme n'a qu'un mal rel : la

    crainte de la mort. Dlivrez-le de cette crainte et vous le rendrez libre . Cette peur de la mort explique

    notamment lobsession de lhomme pour limmortalit.

    Enfin, la mort fascine parce quelle npargne personne. Dans les diffrentes reprsentations de la

    Danse Macabre, principale expression de lart macabre au Moyen-Age, la mort entrane tout le

    monde dans la danse: ensemble de la hirarchie clricale (pape, cardinaux, vques), reprsentants

    du monde laque (empereurs, rois, ducs chevaliers, mdecins, marchands, voleurs, paysans), et

    jusqu' l'enfant innocent. La mort ne regarde ainsi ni le rang, ni les richesses, ni le sexe, ni l'ge de

    ceux qu'elle fait entrer dans sa danse4. Cest toujours le cas de nos jours : mme si la condition

    sociale joue beaucoup sur lesprance de vie, en dfinitive personne ne survit la mort.

    Cette fascination est le moteur des grandes uvres, lhomme voulant laisser une trace prenne

    dans lhistoire, comme le rsume cette phrase du philosophe anglais Francis Bacon On nat. On

    meurt. C'est mieux si entre les deux on a fait quelque chose .

    2- Une omniprsence. Consquence de cette fascination, de la peinture (La mort triomphante de

    Pieter Bruegel), la littrature (La mort de Vladimir Janklvitch), en passant par la musique (le

    Requiem de Mozart) ou le cinma (Adieu Berthe, ou lenterrement de mm de Bruno Podalyds), la

    mort est omniprsente dans notre culture, passe comme actuelle. Une omniprsence sans cesse

    croissante, comme lillustre ltude de John Mueller sur le nombre de morts visibles lors des

    diffrents films Rambo (o lon passe de 0.01 personnes tues par minute dans Rambo I en 1982

    2.59 morts par minute dans Rambo IV en 2008)5.

    3- Un tabou. Cependant, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, la mort est - ou plutt est

    devenue - un tabou dans notre socit contemporaine. Une enqute ralise les 15 et 16

    septembre 2010 par TNS-Sofres pour Philosophie Magazine rvle que 71% des franais sont dans

    une attitude de penser le moins possible la mort, minorer ses effets nfastes 6. Ce tabou est mis en

    lumire par leuphmisation de la mort, remplacs par des expressions plus consensuelles ( il nous

    a quitt , nous apprenons la disparition de ). Une des consquences de ce tabou est le transfert

    progressif des obsques aux professionnels.

    3 G. de Maupassant, Bel Ami, Gallimard, 1973, p. 215. 4 P. Pollefeys La Danse Macabre, in La Mort dans lart (http://lamortdanslart.com/index.html). 5 J. Mueller, Dead and Deader, Los Angeles Time, 20 janv. 2008 6 Sondage TNS Sofres/Logica, Les Franais et la mort, 15/16 sept. 2010.

    http://www.top-citations.com/2012/09/on-nait-on-meurt-cest-mieux-si-entre.htmlhttp://www.top-citations.com/2012/09/on-nait-on-meurt-cest-mieux-si-entre.html

  • [9]

    4- Un march. Avec 572 000 dcs en 20137 et un cot moyen de 4000 euros par enterrement

    (les frais dobsques ont doubl depuis 1980)8, le business de la mort se porte bien, dautant plus

    que le nombre de dcs augmente depuis 2006 (cest une des consquences du vieillissement de la

    population). Ainsi une tude Xerfi-Precepta de septembre 2013 estime que lactivit des

    professionnels des services funraires progressera de 3,2% en moyenne par an dici 20159. En

    avril 2011 se tenait mme Paris un salon de la Mort runissant plus de 114 exposants et 14

    000 visiteurs, en prsence des principaux acteurs du march. Un march en pleine expansion,

    dop par le dveloppement dinternet qui permet lapparition dinitiatives originales comme le site

    MovieEternity proposant aux personnes denregistrer un message vido qui sera diffus leurs

    proches aprs leurs dcs, ou encore le site Mmoire des vies qui permet une retransmission vido

    de la crmonie funraire en direct ou en vido la demande10. Enfin, Facebook propose de

    transformer les comptes des utilisateurs dcds en compte de commmoration 11. Le secteur

    du funraire rassemble un peu plus de 2 500 entreprises pour un total de 19 000 salaris et un

    chiffre daffaire annuel denviron 10 milliards deuros12. Les salaris du secteur du funraire sont

    soumis la Convention collective nationale des pompes funbres du 1er mars 1974.

    5- Diffrents sens. La mort peut tre comprise de diffrentes manires. Prise dans son sens

    premier la mort est la cessation de la vie, on parle alors de mort physique. Cest la notion sur

    laquelle nous nous attarderons. La mort peut galement sentendre au sens symbolique, comme

    une fiction juridique. Cest le cas de la mort civile, cessation de toute participation aux droits civils 13.

    Elle entrainait une incapacit de jouissance gnrale, empchant toute personne dacqurir et

    dtre titulaire de quelque droit que ce soit, ce qui aboutissait une privation de la personnalit

    juridique14. Ainsi, la personne frappe de mort civile voyait sa succession ouverte, son mariage

    dissous, lillgitimit de ses futurs enfants, limpossibilit dtre lecteur, candidat, fonctionnaire

    etc... Pratique ds lAntiquit (elle tait par exemple prvue par les Romains dans le cas o un

    citoyen tait maintenu en captivit par lennemi), elle fut abolie en France par la loi du 31 mai

    185415. Enfin, la mort peut sentendre comme une image, une illustration, comme par exemple la

    mort dune entreprise qui correspond la liquidation judiciaire, ou la mort dune convention

    collective faisant rfrence sa dnonciation ou sa mise en cause au sens des articles L.2261-9 et

    7 Insee, bulletin statistique : dmographie. 8 Lvolution des mtiers du funraire, Branche professionnelle des mtiers du funraire, metiersdufuneraire.fr. 9 Le march du funraire de plus en plus connect... et promis un bel avenir, Latribune.fr, 27 oct. 2013. 10 E. Colombi, Le business de la mort est bien vivant, Lentreprise.com, 28 oct. 2011. 11 L. Clairmont, Le business de la mort en pleine expension, Cadre Et dirigeant magazine, 1er nov. 2013. 12 B. Jullien, Funraire : linnovation en grande pompe, Libration, 17 sept. 2013. 13 Dictionnaire de lAcadmie Franaise, Librairie Hachette, 8e d., 1932. 14 P. Malaurie, L. Ayns, Droit Civil, Les Personnes, Lextenso ditions, 5e d., 2010. 15 Loi 1854-05-31, 31 mai 1854, portant abolition de la mort civile.

  • [10]

    suivants du code du travail. Nous traiterons ici exclusivement de la mort physique.

    Ltude de la mort impose que lon sarrte tout dabord sur la dfinition de la mort, avant de

    ltudier sous un angle historique, puis de saventurer du ct des sciences humaines, et enfin de

    laborder laune du droit.

    Section Prliminaire) La dfinition de la mort

    Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, nous ne connaissons pas de dfinition incontestable et

    arrte de la mort. En effet, avec les progrs de la ranimation, la dfinition de la mort et la

    constatation de sa survenance sont devenues plus complexes. Cependant une dfinition de la

    mort, aussi fragile soit-elle, savre ncessaire.

    1) Le mot mort

    6- Etymologie. Le mot mort est un nom fminin issu du latin mortem, accusatif de mors,

    cessation de la vie . Ce nom, ainsi que le verbe mori, remonte la racine indoeuropenne mer

    ( mourir ) qui a donn meurtre, moribond, marasme etc... Mors qualifie galement la mort

    personnifie et connait un emploi au sens figur indiquant une dficience (par exemple mors

    memoriae pour perte de la mmoire )16.

    7- Smantique. La lecture des diffrents ouvrages, juridiques ou non, consacrs la mort, fait

    ressortir un autre mot, le mot dcs . Mort et dcs sont-ils synonymes ? Pour la plupart des

    dictionnaires, oui. Le nom masculin dcs est issu du latin decessus, qui signifie dpart .

    Dcs est utilis dans le langage administratif pour laction de mourir. Ainsi le mot dcs a une

    connotation plus clinique, plus fonctionnelle que le mot mort. En outre le mot mort est plus

    large, flou, et peut renvoyer dautres formes de mort (civiles, mort de lentreprise, dune

    convention collective). Le mot dcs sentend exclusivement de la mort physique. Cest pour cela

    quil est plus utilis en droit. A titre dexemple, mort apparait dans 5 articles du code du travail

    alors que le mot dcs y apparait 34 fois. Et le mot dcs apparait 19 fois de plus que

    mort (310 articles contre 16) dans le code de la scurit sociale.

    16 Dictionnaire historique de langue franaise, dir. A. Rey, Le Robert, 2010.

    http://fr.wiktionary.org/wiki/meurtrehttp://fr.wiktionary.org/wiki/moribondhttp://fr.wiktionary.org/wiki/marasme

  • [11]

    2) Evolution du rle de la dfinition de la mort

    8- Dun rle de vrification Le rle de la dfinition juridique de la mort a beaucoup volu.

    Initialement la vrification tait prvue pour viter les erreurs de diagnostic (la peur dtre enterr

    vivant tait une ralit dans le monde occidental jusquau XXme sicle, tel point quen 1896, le

    comte Karnice-Karnicki, chambellan du tsar de Russie, avait fait breveter un dispositif

    permettant une personne qui aurait t inhume par erreur dactionner un drapeau et de faire

    tinter une cloche pour alerter les vivants ). Si, rcemment aux Etats-Unis, un homme dclar

    mort s'est rveill dans sa housse mortuaire alors qu'il allait tre embaum17, de telles erreurs sont

    relativement rares.

    9- un rle thrapeutique. La dfinition de la mort a aujourdhui pour principale fonction

    dassurer le succs dune transplantation dorgane : lintitul du dcret du 2 dcembre 199618

    relatif au constat de la mort pralable au prlvement dorganes, de tissus et de cellules des fins thrapeutiques

    ou scientifiques est ce titre rvlateur.

    Une telle volution peut soulever des problmes dthiques, car tout systme de dfinition

    prcoce de la mort relve dun objectif dutilisation du corps humain, et cet objectif peut

    dboucher sur un conflit dintrt19. Afin dy remdier, le Comit consultatif national dthique a

    publi le 7 avril 2011 un avis n115 portant sur les questions d'thique relatives au prlvement et au don

    d'organes des fins de transplantation dans lequel il invitait notamment maintenir une sparation

    nette entre les quipes mdicales de ranimation (ne devant avoir dautre objectif que de

    sauvegarder lintrt du patient) et celles du prlvement (intervenant aprs le constat de la

    mort)20.

    3) La dtermination du moment de la mort

    Selon le Larousse mdical, la mort est la cessation complte et dfinitive de la vie ,

    correspondant l'arrt de toutes les fonctions vitales, avec cessation dfinitive de toute activit crbrale 21.

    10- La mort traditionnelle : un instantan. Pendant des sicles, la mort correspondait un

    moment : linstant o le cur sarrtait. Cette dfinition fige de la mort tait entrine par les

    circulaires du 3 fvrier 1948 et du 18 septembre 1958. En effet, la circulaire du 3 fvrier 1948

    dfinissait la mort comme tant la cessation de toute activit cardiaque et circulatoire. Cette

    17 USA : dclar mort, il se rveille avant son embaumement, AFP, 28 fvr. 2014. 18 D. n 96-1041, 2 dc. 1996, JCP 1996, d. G, III, 68229. 19 P. Demay De Goustine, Le nouveau constat de la mort en cas d'utilisation du cadavre, RDSS 1997, p. 524. 20 M Bruggeman Dons d'organes : nouvel avis thique, Dr. fam. 2011, n9, alerte 79. 21 Larousse mdical, Larousse, 2006.

  • [12]

    simplicit dans la dtermination du moment de la mort tait due l'unicit de manifestation de la

    mort sous la forme d'un cadavre inerte et froid.

    11- La mort contemporaine : un processus. Le dveloppement des techniques de ranimation

    et des transplantations dorganes marqua le dbut d'une deuxime phase. Les mdecins

    saperurent que la mort nest pas un moment mais une succession de phases sparant ltat de

    vie de ltat de poussires , et ds lors, la question est moins de savoir quel moment prend fin le

    processus qu quel instant il sengage dans une voie irrmdiable. En se plaant dans cette perspective, le cerveau

    devient l'organe vital plus que le cur 22. La mort devient donc un processus de dgradation qui peut

    tre enray dans lintrt du malade ou dun tiers. En outre, le maintien artificiel de la vie a forc

    les mdecins rechercher et dterminer un point de non-retour, dfini comme la destruction du

    systme nerveux central indpendamment de toute autre signe de vie.23

    Cette volution dboucha sur la circulaire du 24 avril 1968, dite Jeanneney autorisant le

    prlvement de tissus et dorganes sur des patients en tat de vie vgtative apparente ( cur-

    poumon maintenu ) la condition quils soient dclars en tat de mort crbrale. Cette

    circulaire affirme quen France la mort est celle du cerveau. Ainsi donc, la ncessit, pour des raisons

    tenant aux techniques de greffe, de prlever cur battant les organes a conduit trs tt dans l'histoire des

    transplantations adopter un critre spcifique de dtermination de la mort : la cessation irrversible de toutes les

    fonctions crbrales 24.

    La loi du 29 juillet 199425 (une des deux lois biothiques) nonce ensuite que le prlvement aux

    fins de greffe dun organe ne peut tre effectu quaprs constat de la mort dont les modalits

    sont prcises par le dcret du 2 dcembre 1996 qui institue larticle R.671-7-1 du code de la

    sant publique (qui deviendra larticle R.1232-1 avec le dcret du 21 mai 200326) disposant que :

    Si la personne prsente un arrt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut tre tabli que

    si les trois critres cliniques suivants sont simultanment prsents :

    1 Absence totale de conscience et dactivit motrice spontane ;

    2 Abolition de tous les rflexes du tronc crbral ;

    3 Absence totale de ventilation spontane.

    En outre, larticle R. 1232-2 du code de la sant publique nonce une liste de tests destins

    vrifier le dcs dune personne assiste par ventilation mcanique et conservant une fonction

    hmodynamique (le sang circule toujours). Le mdecin est tenu de vrifier dune part labsence de

    22 B. Beignier, Constat de la mort : le critre de la mort crbrale, JCP G, avril 1997, II 22830. 23 P. de Goustine, La dtermination de la mort en droit positif, RDSS 1990, 595. 24 C. Byk, Transplantation d'organes et droit : une greffe russie ? Exprience franaise, contexte europen, JCP G, juin 1997, I 4026. 25 Loi n 94-654, 29 juil 1994, JCP 1994, d. G, III, 66974. 26 Dcret n 2003-462 du 21 mai 2003 relatif aux dispositions rglementaires des parties I, II et III du code de la sant publique.

  • [13]

    ventilation spontane du patient par une preuve dhypercapnie et dautre part le caractre

    irrversible de la destruction encphalique (cest--dire ltat de mort crbrale) par deux

    lectroencphalogrammes nuls et aractifs effectus un intervalle minimal de quatre heures ou par une

    angiographie objectivant l'arrt de la circulation encphalique .

    Ainsi donc, si la mort crbrale est le point de non-retour la vie, ce nest pas suffisant pour les

    mdecins qui sassurent de la mort de la personne par dautres constatations comme labsence de

    rflexes du tronc crbral ou labsence de ventilation spontane.27

    Section I) La mort travers lhistoire

    Selon Edgard Morin, une des premires dcouvertes de lhomo sapiens fut celle de la mort, et un de ses premiers

    soucis fut celui densevelir les morts. 28. Avec la conscience de la mort nait la civilisation, et lhomme au

    cours de lhistoire a apprhend cette inconnue de diffrentes manires, mesure que la lutte

    contre celle-ci sintensifiait.

    1) La perception de la mort

    12- Lantiquit. Souviens-toi bien que tous les hommes sont destins la mort , ces paroles de

    Pythagore29 illustrent bien la perception de la mort dans lAntiquit, mort qui est vue comme une

    fatalit. Pour les Romains la mort nest pas une fin en soi car le mort continue une existence, il

    reste une entit, mais une entit qui est dans un monde souterrain, dans un monde anonyme 30. Cependant, la

    mort nest pas perue de la mme manire selon la qualit du dfunt. Par exemple, en droit

    romain, le pater familias possde un droit de vie et de mort sur les femmes et les fils de la famille31.

    La puissance paternelle sur les enfants, la patria potestas est dcrite comme potestas in eum vitae

    necisque 32 (un droit de vie et de mort sur lui), mme si en pratique cette puissance est restreinte

    par la coutume. En effet, toute dcision prise concernant une punition grave de lenfant oblige le

    pre solliciter laccord du conseil de famille runi en tant que tribunal domestique33.

    13- Le Moyen-Age et lEpoque Moderne. Jusqu la fin du XIXme sicle la mort est

    27 B. Teyssi, Droit civil, les personnes, Lexinexis, 12e d., 2010, 129. 28 E. Morin, 1970. 29 Pythagore, Les vers dors XI, traduction P.-C. Lvesque, in Potes Moralistes de la Grce, Garnier Frres, 1892. 30 Y. Pailhs, La perception du corps dans lAntiquit mditerranenne, in Le corps et la loi, Presses universitaires dAix-Marseille, 2010. 31 J. Ladjili-Mouchette, Histoire juridique de la Mditerrane, Publisud Editions, 2e d., 2007. 32 Gellius, N.A. 5 ,19, 9. 33 B. Schmidlin, Droit priv romain I : Origines et sources, Famille, Biens, Successions, Universit de Genve Facult de Droit, 2008.

    http://www.top-citations.com/2012/09/souviens-toi-bien-que-tous-les-hommes.htmlhttp://fr.wikisource.org/wiki/Po%C3%A8tes_Moralistes_de_la_Gr%C3%A8ce?match=de

  • [14]

    omniprsente, elle est intgre dans les schmas de pense34 et nest donc pas vue comme une

    chance lointaine. A la fin du XVIIIme sicle, lesprance de vie tourne autour de 30 ans et la

    moiti des enfants natteignent pas lge de 10 ans. Aux risques quotidiens, sajoutent dautres

    dangers tels que les maladies rcurrentes, les pandmies, les mauvaises conditions climatiques

    entrainant des famines. Lomniprsence de la mort influe sur sa perception par lhomme. La mort

    est accepte, ainsi que lexplique Lonard de Vinci Comme une journe bien remplie nous donne un bon

    sommeil, une vie bien vcue nous mne une mort paisible .

    Cette banalisation de la mort se rpercute dans lart : lart du XIVme sicle garde par exemple

    trace des pidmies de peste, des guerres et des famines avec les danses macabres, sarabandes

    mlant morts et vivants. Cette proximit de la mort, renforce par la ruralit de la France, fait que

    le dcs dpasse le simple cadre familial et est intgr la vie sociale et religieuse, tout le village

    participant aux funrailles.

    14- LEpoque Contemporaine. Les progrs de la mdecine et de lhygine ont progressivement

    fait reculer la perspective de la mort dans la socit occidentale, bouleversant le rapport de

    lhomme moderne la mort. Notre socit glorifie la jeunesse et dans cette optique la mort est

    une fiction qui ne se manifeste que lorsquelle frappe un proche. De mme, lesprance de vie de

    plus en plus longue cantonne la mort une lointaine abstraction, une image prsente seulement

    dans les mdias. Le caractre distant de la mort nous te lapproche raliste et rationnelle de la

    mort que nos anctres avaient. Cette dernire nest plus considre comme un vnement

    invitable mais plutt comme une injustice. Ce refus de la mort coupl aux progrs de la

    mdecine nous amne estimer que la mdecine est dbitrice non plus dune obligation de

    moyens, mais dune obligation de rsultat, ce qui entraine une judiciarisation de la responsabilit

    mdicale. En outre, la socialisation de la mort disparait aprs la seconde guerre mondiale. Les

    lieux de mort changent, les personnes malades ou ges steignent lhpital ou en maison de

    retraite et non plus leur domicile, les crmonies funraires deviennent plus confidentielles et

    familiales, le corps du dfunt tant confi des professionnels. La perception de la mort par

    lhomme a t influence par les conditions mdicales de son poque et est donc indissociable de

    sa lutte perptuelle contre la mort.

    2) La lutte contre la mort

    15- Hier : la mort triomphante. Jusquaux grandes dcouvertes mdicales de la fin du XIXme

    34 C. Dugas de la Boissonny, Quelques rflexions sur la perception de la mort du Moyen-Age nos jours, in La mort et le droit, dir. B.Py, Presses universitaires de Nancy, 2010.

    http://www.citation-celebre.com/citations/54662http://www.citation-celebre.com/citations/54662

  • [15]

    sicle lhomme subit la mort. Certes, les mdecines antiques (grecques, romaines) avaient le

    mrite dexister - Hippocrate, au nom duquel les mdecins prtent serment avant dexercer tait

    un mdecin grec - mais elles ntaient que rudimentaires et le plus souvent compltement

    dmunies. Ainsi, la Thorie des humeurs fut popularise sous lAntiquit notamment par les Ecrits

    Hippocratiques35 et perdura tout le Moyen-Age. Les dfenseurs de cette thorie considraient que la

    sant de l'me comme celle du corps rside dans l'quilibre des humeurs sang, phlegme, bile

    jaune, bile noire et des qualits physiques chaud, froid, sec, humide qui les

    accompagnent. Toute maladie, due un drglement du jeu de ces lments, est ainsi susceptible

    d'une explication purement physique. Cette conception ntait videmment daucune aide pour

    lutter contre la mort, comme en attestent les pidmies frappant les populations antiques, comme

    par exemple la Peste antonine qui fit des ravages entre 165 et 190 aprs Jsus Christ. La

    domination de la mort sur lhomme et la vacuit du combat de celui-ci sillustre galement

    pendant le Moyen-Age, les moyens de lutte contre la Peste noire se rsumant de dsastreuses

    saignes et des flagellations publiques36.

    16- Aujourd'hui : la mort maitrise. Les XIXme et XXme sicles sont tmoins de grandes

    dcouvertes mdicales qui permettent de lutter plus efficacement contre la mort. La dcouverte

    du vaccin (en 1796 par le mdecin anglais Edouard Jenner), de la transfusion sanguine (ds 1818

    par le professeur James Blundell) et des groupes sanguins (en 1900 par lautrichien Karl

    Landsteiner), de la pnicilline (en 1928 par lcossais Alexander Fleming), ou encore des

    antibiotiques (en 1940 par les chercheurs britanniques Howard Florey et Ernst Chain) ont

    rvolutionn la mdecine. En outre, il faut noter une constante amlioration de lhygine. Le

    mdecin obsttricien austro-hongrois Ignace Philippe Semmelweis dmontra ainsi en 1847

    lutilit du lavage des mains, faisant passer le taux de mortalit au sein de la clinique o il exerait

    de 12% 1,3%. Ainsi donc, si aujourd'hui la mort nest pas vaincue, loin de l, les progrs de la

    mdecine et de lhygine permettent de la juguler dans une certaine mesure. Cependant le

    problme de lingal accs ces progrs travers le monde nest pas rsolu.

    17- Demain : la mort vaincue ? Les progrs de la mdecine sont tels que dans un avenir plus ou

    moins proche on estime que la mort pourra tre vaincue dans certains domaines. Par exemple, un

    vaccin thrapeutique contre le Sida est test depuis le dbut de lanne 2014 en Espagne. Sil est

    efficace, ce vaccin permettra de neutraliser dfinitivement la maladie chez les personnes dj

    porteuses du virus. Mais la victoire totale contre la mort suppose limmortalit, ternelle qute de

    35 E. Littr, uvres compltes dHippocrate, volume 6 De la nature de lHomme , 1839. 36 G. Frantiek,. Autour de la peste noire au XIVe sicle en Bohme , Annales. conomies, Socits, Civilisations. Tome n18, n 4, 1963. p. 720-724.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1963_num_18_4_421041

  • [16]

    lhomme, prsente dans la mythologie (Hercule, La Fontaine de Jouvence), la religion, lart.

    Pendant de la mort, elle fascine tout autant lhomme. Les expriences concernant limmortalit

    sont nombreuses. A partir de 1912, le prix Nobel de mdecine Alexis Carrel russit maintenir

    vivant in vitro un cur de poulet pendant une dure estime entre 28 et 37 ans (la dure de vie

    moyenne dune poule tant de 5 ans). En 2010, le professeur Russe Vladimir Skulachev dclare

    avoir stopp le vieillissement chez des souris au moyen dun antioxydant. Enfin, le fondateur de

    Google, Larry Page, a annonc le 18 septembre 2013 le lancement de Calico, une entreprise

    sattaquant au dfi de lge et des maladies associes et visant percer le secret de limmortalit, ce

    qui a amen le Times se demander : Google peut-il rsoudre la mort ? .

    Le droit reste hostile cette perspective, comme en tmoigne linterdiction de la cryognisation

    (conservation trs basse temprature de tout ou parties d'tres vivants, dans l'espoir de pouvoir

    les ressusciter ultrieurement) par le Conseil dEtat37. En France, la cryognisation est considre

    comme un mode de spulture interdit au nom de lordre public et de la sant publique38.

    Section II) La mort travers les sciences humaines

    Les sciences humaines se sont longuement penches sur la mort, qui fait mme lobjet dune

    science part entire, la thanatologie, au carrefour de nombreuses sciences comme la biologie

    (qui nest certes pas une science humaine), la sociologie, la thologie, lart ou la littrature.

    1) Mort et conomie

    18- Un impens de la thorie conomique ? Mme sil existe des thories conomiques sur la

    vieillesse, la sant ou la dpendance, la mort na pas t pense en tant que telle par les

    conomistes. Elle nest pas un lment structurant la thorie conomique, tel point quon peut

    se demander si la mort nest pas un impens de la thorie conomique 39. Cependant, la mort nest pas

    compltement absente du champ conomique.

    Tout dabord, il est arriv quAdam Smith traite aborde la mort. Ainsi, dans la Thorie des sentiments

    moraux, publi en 1990, Smith voque dans un passage, communment appel Apologue de lhomme

    pauvre , la destine dun homme pauvre mais ambitieux et conclut alors Cest lors de ses derniers

    jours, le corps puis par le labeur et les maladies, lesprit humili et irrit [] quil commence enfin trouver que

    37 CE, 29 juill. 2002 : D.2002, IR 2583. 38 B. Teyssi, Droit Civil : Les personnes, Lexinexis, 12e d., 2010. 39 S. Ferey, Trois regards conomiques sur la mort : Smith, Keynes et la thorie standard, in La mort et le droit, dir. B. Py, Presses universitaires de Nancy, 2010.

  • [17]

    la richesse et la grandeur ne sont que des bibelots frivoles . A travers ce texte, Adam Smith explique que

    lambition apparait comme le principal ressort de la qute de richesse et de prosprit des

    individus. Et cest de ce point de vue que la mort, ou la perspective de son imminence, rvle la

    vacuit de leur recherche de prosprit matrielle. Ainsi, la plupart des hommes se rapprochent

    de la sagesse lissue de leur vie quils considrent travers le prisme de leur propre mort.

    Un autre exemple nous est donn par John Maynard Keynes dont la clbre phrase A long terme,

    nous sommes tous morts 40 garde toute son actualit. Pour Keynes, si la possession de largent apaise

    langoisse de la mort, la poursuite infinie de la richesse remet sans cesse plus tard la jouissance

    que pourrait procurer cette monnaie. Lconomiste le dmontre en comparant lpargnant un

    homme qui ferait des pots de confiture sans jamais les manger41 : pour cet homme de la confiture nest

    pas de la confiture, moins quil sagisse dune caisse de confiture pour demain et jamais de confiture pour

    aujourd'hui mme. Ainsi, en rejetant toujours sa confiture loin dans lavenir, essaie-t-il dassurer limmortalit de

    son acte confiturier 42. Ce faisant, Keynes nous explique les consquences nfastes pour lconomie

    de lacte dpargner, cette monnaie tant accumule dans un seul but illusoire, celui de se procurer

    limmortalit. Il slve contre cette morale de labstinence et de la thsaurisation, cre

    indirectement par la peur de la mort et langoisse sur le futur.

    2) Mort et sociologie

    19- Rite funraires et suicide. Les liens entre mort et sociologie semblent priori peu vidents.

    En effet, La mort ne signifie-t-elle pas en effet la sortie de la socit, lobjet mme de ltude de la

    sociologie? Pourtant la mort est un phnomne profondment social et la sociologie de la mort

    rejoint des problmatiques sociologiques majeures comme le changement social, la relation entre

    individu et socit, les tensions entre reprsentation et matrialit etc43

    Tout dabord, la sociologie tudie la manire dapprhender la mort. En effet, les rites funraires

    sont considrs comme un des fondements du passage la civilisation. Selon Arnold van

    Gennep, bien quextrmement varis, les rituels funraires correspondent un rite de passage

    divis en trois tapes : une tape de sparation (le dcs, sa vrification et son annonce), suivie

    dune tape de liminalit (veille funbre, convoi, inhumation ou crmation) et enfin dune tape

    40 In the long all, we are all dead, J.M Keynes, Thorie gnrale de l'emploi, de l'intrt et de la monnaie, d. Payot, 1998. 41 C. Bormans, 400 citations dconomies commentes et analyses, Studyrama, 2011. 42 J.M Keynes, Essais sur la monnaie et lconomie, 1930. 43 Rappele la vie : la mort en sociologie, colloque en sociologie luniversit de Zurich, 16-18 nov. 2007.

  • [18]

    dagrgation (repas de funrailles, commmorations) survenant aprs une priode de deuil44.

    Mais dans toutes les socits, la mort est perue comme dangereuse pour lquilibre de la

    communaut, ce qui entraine une sparation entre le mort et le monde des vivants. Cette

    sparation peut tre conservatrice (momification) ou destructrice (inhumation, crmation). Elle a

    finalement pour but dassurer un lien entre les vivants et le mort, et les funrailles sont, ce titre,

    essentielles : par exemple, dans les socits traditionnelles, on considre que des funrailles rates

    entrainent une mauvaise intgration du mort aux anctres. Ainsi donc, la finalit des rites est de

    scuriser ceux qui restent dans le monde des vivants, car le mort est assign un statut et un

    territoire45.

    En outre, un point de contact majeur entre la mort et la sociologie est le suicide. Ce phnomne

    intresse tellement les sciences humaines quun champ dtude propre a vu le jour : la

    suicidologie, approche multidisciplinaire et synthtique des conduites suicidaires, de leurs facteurs

    et de leur prvention, au carrefour de la psychologie, de la biologie, ou encore de la sociologie. De

    nombreux sociologues, au premier rang desquels Emile Durkheim, ont crit sur le suicide. Ce

    dernier publie en 1897 Le suicide, dans lequel il explique quil existe pour chaque groupe social une

    tendance spcifique au suicide, dpendant de causes sociales. En outre, en comparant des

    donnes statistiques concernant le suicide des donnes statistiques sur divers phnomne

    sociaux comme le mariage, la religion ou lducation, il cherche laborer des thses. Ainsi,

    affirme-t-il par exemple que le suicide varie en raison inverse du degr dintgration des groupes

    sociaux, lhomme se tuant sil est trop dtach de la socit (suicide goste) ou sil y est trop

    attach (suicide altruiste). Dautres tudes montrent linfluence du temps46, de la prison (les

    situations denfermement sont si mauvaises que le suicide peut paratre un choix avantageux aux

    yeux du dtenu, car il lui permet de raffirmer sa libert face la socit qui len prive)47, ou

    encore de la religion48 sur le suicide.

    44 A. van Gennep, Les rites de passage : tude systmatique des rites de la porte et du seuil, de l'hospitalit, de l'adoption, de la grossesse et de l'accouchement, de la naissance, de l'enfance, de la pubert, de l'initiation, de l'ordination, du couronnement, des fianailles

    et du mariage, des funrailles, des saisons, etc. Nourry, 1909. 45

    G. Clavandier, Sociologie de la mort : Vivre et mourir dans la socit contemporaine, Armand Colin, 2009. 46 Avec llvation et labaissement progressifs du chiffre des suicides, concident exactement lallongement et la diminution de la dure des jours. , J- B Petit, Recherches statistiques sur ltiologie du suicide, Paris, Rignoux, 1850. 47 N. Bourgoin, Le suicide en prison, LHarmattan, Logiques sociales, 1998. 48 La religion qui a le moindre penchant pour le suicide, cest--dire le judasme, est aussi celle o lide dimmortalit joue le moindre rle, E. Durkheim, presses universitaires de France, 1897.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Arnold_van_Gennep

  • [19]

    3) Mort et philosophie

    20- Une dfinition varie. La philosophie sest toujours intresse la mort qui reprsente pour

    lhomme la preuve la plus incontournable de sa nature temporelle et terrestre. En effet, si la mort

    soppose lexistence, cest le temps qui les runit. La dfinition de la mort varie selon les

    philosophes. Ainsi, Platon fait de la mort une dlivrance qui permet lme dchapper sa

    prison corporelle pour connaitre son vritable destin49 ( La mort, est-ce autre chose que la sparation

    de lme davec le corps ? On est mort, quand le corps, spar de lme, reste seul, part, avec lui-mme, et quand

    lme, spare du corps, reste seule, part, avec elle-mme ). Epicure vacue quant lui cette notion

    ( Familiarise toi avec lide que la mort nest rien pour nous, car tout bien et tout mal rsident dans la sensation :

    or, la mort est la privation complte de cette dernire ), alors quHeidegger lapprhende comme la

    forme mme de la vie humaine, considre dans sa finitude - La mort est une manire dtre que la

    ralit-humaine assume, ds quelle est : Ds quun humain vient la vie, dj il est assez vieux pour mourir ).

    Enfin, Jean Paul Sartre la considre comme un fait sans aucune cause ontologique ( La Mort

    reprsente le sens futur de mon pour-soi actuel pour lautre ).

    4) Mort et religion

    21- Une place centrale. La mort occupe une place centrale dans la plupart des religions et

    laprs-mort est souvent un moteur des prescriptions religieuses, permettant daccder ou non au

    paradis, quel que soit sa dnomination. Pour le Bouddhisme, la mort ne constitue en fait quun

    passage dune vie une autre. Le livre des morts tibtain, le Bardo Thdol, relate les diffrentes

    tapes du passage entre deux vies et fournit des conseils permettant de russir la transition50.

    Pour le Christianisme, la mort nest que la sparation du corps avec lme qui est immortelle, le

    corps ressuscitant pour rejoindre lme la Fin des Temps. Aprs la mort, les mes des morts se

    retrouvent alors face Dieu et choisissent de vivre ou non avec lui pour lternit. Dans le

    premier cas de figure, les mes sont combles et vivent dans le bonheur pour lternit (aprs un

    passage par le Purgatoire). Dans le cas contraire, lme prfre se priver elle-mme de Dieu, et elle

    est laisse elle-mme et au mal qui lentoure, lEnfer (qui nest pas en soi un lieu mais plutt

    ltat de lme qui choisit de vivre sans Dieu).

    Pour l'Islam, tous les tres sont destins mourir51 ( l'exception de Dieu, qui est ternel), y

    compris l'ange de la mort lui-mme, qui sera le dernier mourir. Comme pour le Christianisme, la

    49 G. Durozol, A. Roussel, Dictionnaire de philosophie, Nathan, 2004. 50 Padmasanbhava, Le livre des morts Tibtain - La grande libration par l'coute dans les tats intermdiaires, Buchet-Castel, 2009. 51 Sourate 3, Ali-Imran, La famille d'Imran, verset 185 : Toute me gotera la mort .

    http://recherche.fnac.com/ia828012/Padmasanbhava

  • [20]

    consquence de la mort est la sparation de lme et du corps, effectue par lange de la mort,

    Malak Al Mawt, le corps ressuscitant pour se joindre lme la fin du temps lors du Jugement

    Dernier. Comme pour le Christianisme et lIslam, selon le Judasme la mort nest que la

    sparation du corps et de lme, cette dernire allant dans diffrents lieux selon les actions

    accomplies au cours de la vie du dfunt. Si les actions ont t positives, les commandements de la

    Torah respects, lme montera au ciel. Si la vie a t remplie de pchs, lme alourdie sera

    condamne errer sur Terre.

    Section III) La mort travers le droit

    Les rapports entre le droit et la mort sont lgions. La mort se situe au carrefour dun nombre

    importants de branches du droit. La branche concerne nest pas la mme selon que le droit vise

    constater la mort, la prsumer, en rgir les consquences, y faire obstacle ou enfin ladministrer.

    Quant au droit social, objet de notre tude, la question de son unicit dans le traitement de la

    mort se pose.

    1) La mort et le droit

    22- Le constat de la mort. Larticle R.1232-1 du code de la sant publique nonce les critres du

    constat de la mort pralable au prlvement dorgane. La mort clinique, dsignant la disparition

    des signes extrieurs de vie, est suivie de morts biologiques, tales sur plusieurs heures ou

    plusieurs jours, et dtruisant les cellules. On parle galement de mort crbrale, pour des

    individus dont le corps a perdu toute autonomie, et les tentatives de ranimation ont t sans

    issue. Dans ces cas, la mort clinique succde rapidement la mort crbrale52.

    En pratique, larticle L2223-42 du code gnral des collectivits territoriales prvoit quun

    certificat de dcs, prcisant la ou les causes du dcs, est rdig par un mdecin. Ce certificat est

    exig pour lautorisation de fermeture du cercueil. Larticle 78 du code civil prvoit que lofficier

    dtat civil de la commune o le dcs a eu lieu rdigera un acte de dcs comprenant des

    renseignements sur le dcs (date, lieu), le dfunt (identit, domicile) et les proches du

    dfunt.

    23- La prsomption de la mort. Il est de certaines situations o lon ne sait pas si une personne

    est toujours vivante ou dj dcde. Il faut dans ce cas distinguer selon les circonstances qui

    entourent lincertitude du dcs. Si lors de la dernire apparition du prsum vivant il n'y a aucune

    52 E. Aubin, I. Savarit-Bourgeois, Cimetires et oprations funraires, Guide pratique, Berger-Levrault ,5e d., p. 15.

  • [21]

    circonstances de nature mettre sa vie en danger 53 celui est soumis au rgime de labsence, rgi par les

    articles 112 et suivants du code civil. La loi du 28 dcembre 1977 simplifie le droit de labsence et

    le divise en deux tapes.

    La premire est une prsomption dabsence constate par le juge des tutelles la demande des

    parties intresses ou du ministre public si lon demeure sans nouvelles dune personne qui

    napparait plus son domicile. Suite cette constatation la personne est prsume toujours en vie,

    ce qui emporte plusieurs consquences : le prsum absent ne peut tre priv de ses droits

    patrimoniaux, son mariage demeure a priori intact, et le juge des tutelles peut nommer une ou

    plusieurs personnes charges de reprsenter labsent ou dadministrer ses bien. Cette priode de

    prsomption dabsence prend fin lorsque disparait le doute sur le sort de labsent, cest--dire

    lorsquil reparait ou donne des nouvelles. Ce dernier peut alors demander au juge des tutelles de

    mettre fin aux mesures prises pour sa reprsentation et ladministration de ses biens54.

    Si le prsum absent ne donne toujours pas de signe de vie senclenche alors la deuxime tape

    du rgime de labsence, la dclaration dabsence, qui renverse la prsomption de vie. Cette

    dclaration dabsence est un jugement du tribunal de grande instance enferme dans de strictes

    exigences et une large publicit55. Ce jugement intervient dix ans aprs le jugement qui a constat

    la prsomption dabsence, ou dfaut dun tel jugement, au bout dune priode de vingt ans au

    cours duquel la personne na pas donn de signes de vie. La principale caractristique de ce

    jugement est quil emporte, partir de la transcription, tous les effets que le dcs tabli de

    labsent aurait eus56, ce qui emporte des consquences patrimoniales (ouverture de la succession

    de labsent) et familiales (le conjoint de labsent peut contracter un nouveau mariage par

    exemple). Cette mort nest pourtant pas irrversible, labsent pouvant toujours reparaitre, ce qui

    entraine lannulation du jugement.

    Dans certains cas (naufrage, accident arien) lorsque le corps dune personne na pas t

    retrouv mais que les circonstances entourant sa disparation sont de nature mettre sa vie en

    danger , la personne peut tre judiciairement dclar dcde. La date du dcs ne devant jamais

    tre indtermine, elle est fixe en tenant compte des prsomptions tires des circonstances

    entourant la disparition ou, dfaut, au jour de la disparition57.

    24- Les consquences de la mort. Si Planiol crivait dans son Trait lmentaire de 1899 que les

    morts ne sont plus des personnes, ils ne sont plus rien , le droit ne se dsintresse pourtant pas

    53 C. civ., art. 88 al 1. 54 C. civ., art 118. 55 C. civ., art 123 et 127. 56 C. civ., art 128. 57 C. civ., art 90.

  • [22]

    compltement du dfunt. Xavier Labe explique que le seul fait que le cadavre soit pris en considration

    par le droit le retire du nant juridique sans pour autant lui confrer la qualit de sujet 58.

    Si la Cour Europenne des Droits de lHomme (CEDH) refuse de considrer la personne dj

    morte comme une victime dune violation de la Convention de Sauvegarde des Droits de

    lHomme au sens de larticle 34 de cette mme Convention, elle permet aux proches de la

    personne dcde dagir en leur nom et de pouvoir invoquer eux-mmes une violation de la

    convention, assurant une protection indirecte des droits du dfunt59.

    Limportance sociale dun dcs justifie limportance de ses consquences, et le droit, notamment

    le droit civil, les encadre. On attache traditionnellement deux catgories de consquences au

    dcs dune personne, tenant dune part la personnalit physique et dautre part la

    personnalit juridique. Le dcs pose la question du sort de la dpouille du dfunt. Celle-ci peut

    faire lobjet dune autopsie pour des raisons tenant la justice60 ou la sant publique61. En outre,

    le dfunt est prsum avoir accept une transplantation dorganes des fins thrapeutiques ou

    scientifiques. Larticle 16-1 du code civil dispose que le respect d au corps humain ne cesse pas avec la

    mort. Les restes des personnes dcdes [] doivent tre traits avec respect, dignit et dcence . Cet article a

    trouv sappliquer notamment dans laffaire Our Body , du nom dune exposition de cadavres

    humains plastins dont la seule finalit tait commerciale et qui fut interdite par le juge des

    rfrs62, interdiction confirme par la Cour de Cassation63.

    Enfin les funrailles ne sont pas laisses pour compte par le droit. Ainsi la jurisprudence a pu

    dduire de larticle 371 du code civil que lenfant doit assumer la charge financire des obsques

    de ses parents64. En cas de contentieux, le juge du fond tranchera, et dterminera celui qui

    apparait comme le plus qualifi pour fixer le mode et le lieu de la spulture. Le dveloppement de

    la crmation a justifi lextension de larticle 16-1-1 du code civil et de son respect d au corps

    humains aux cendres de celles [les personnes dcdes] dont le corps a donn lieu crmation . En outre la

    loi du 19 dcembre 2008 a dress une liste des lieux de destination des cendres (spulture de

    famille, dispersion dans un espace amnage cet effet dans un cimetire, en pleine nature sauf

    sur les voies publiques)65.

    Mme aprs la mort, la volont de celui qui n'existe plus peut survivre, notamment par le mandat

    58 X. Labe, La condition juridique du corps humain avant la naissance et aprs la mort, Presses universitaires de Lille, 1990. 59 N. Deffains, Le dfunt devant la Cour europenne des droits dHomme, in La mort et le droit, dir. B. Py, Presses universitaires de Nancy, 2010. 60 CPP, art. 74 et 81. 61 C. sant publ. art. L. 1211-2, al 3. 62 TGI Paris, ord. rf., 21 avr. 2009, JCP 2009, act. 225, obs. Loiseau. 63 Cass. 1ere civ., 16 sept. 2010, n09-67.456 : Bull. civ. 2010 I, n174, p. 162. 64 Cass. 1ere civ., 28 janv. 2009 : D. 2009, 1927, note G. Raoul-Cormeil. 65 CGCT, art. L. 2223-18-2.

  • [23]

    effet posthume , dfini aux articles 812 et suivants du code civil, et qui empche les hritiers

    d'avoir la libre disposition du patrimoine hrditaire66.

    25- Lobstacle la mort. Faire obstacle la mort cest protger la vie, valeur fondamentale dans

    notre socit. La protection de la vie est organise de plusieurs faons.

    Tout dabord, le droit de toute personne la vie est consacr par de nombreux textes au premier

    rang desquels vient la Convention Europenne de Sauvegarde des Droits de lHomme (CESDH)

    et son article 2. Les Etats ayant ratifi la convention doivent ainsi protger la vie humaine, y

    compris la vie des dtenus et des disparus67, car ils sont titulaires dune obligation positive de prendre

    prventivement des mesures dordre pratique pour protger lindividu dont la vie est menace par les agissements

    criminels dautrui 68. De ce droit la vie dcoulent des obligations procdurales comme par

    exemple lobligation de mener une forme denqute efficace lorsque le recours la force, notamment par des

    agents de lEtat, a entrain mort dhomme 69.

    Une des consquences les plus videntes de ce droit la vie est la rpression de lhomicide, au

    moyen du droit pnal. En France, les articles 221-1 et suivants du code pnal prohibent les

    atteintes la vie de la personne. Dautres branches du droit ont une place rsiduelle dans cette

    rpression, comme par exemple le droit civil, qui exclue de la succession du De cujus celui qui est

    condamne comme auteur ou complice, une peine criminelle pour avoir volontairement donn ou tent de donner la

    mort au dfunt 70.

    Ensuite, lobstacle la mort se fait galement par le biais de la prvention. Cette prvention passe

    par des mesures extrmement varies concernant notamment la sant (par exemple larticle

    L3112-1 du Code de la sant publique organisant la vaccination contre la tuberculose et la lpre),

    lhygine (larticle L1321-1 du mme code disposant que Toute personne qui offre au public de l'eau en

    vue de l'alimentation humaine [] est tenue de s'assurer que cette eau est propre la consommation. ) ou la

    scurit (larticle L234-1 du Code de la route punit la conduite dun vhicule sous lemprise dun

    tat alcoolique de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende).

    26- La dlivrance de la mort. La mort dlivre avec laval du droit renvoie deux questions de

    socit, o droit et morale sont intimement lis.

    Tout dabord, la peine de mort. Elle est conteste de longue date, comme lattestent ces crits de

    Voltaire Rarement les voleurs sont-ils punis de mort en Angleterre ; on les transporte dans les colonies. Il en est

    66 F. Dekeuwer-Defossez, Rapport de synthse : existe-t-il une dfinition unique et transversale de la notion de personne ?, Droit de la famille n9, sept 2012, dossier 11. 67 J. Pradel, G. Corstens, G. Vermeulen, Droit pnal europen, Dalloz, 3e d., 2009. 68 CEDH, 28 mars 2000, n 22535/93, Mahmut Kaya c/ Turquie, 85. 69 CEDH, 27 sept. 1995, n 18984/91, Mc Cann c/Royaume-Uni, 161. 70 C. civ., art 726.

    http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx#%7B%22appno%22:[%2222535/93%22]%7Dhttp://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx#%7B%22appno%22:[%2218984/91%22]%7D

  • [24]

    de mme dans les vastes Etats de la Russie ; [] Les crimes ne se sont point multiplis par cette humanit, et il

    arrive presque toujours que les coupables relgus en Sibrie y deviennent gens de bien 71. La peine de mort

    serait cependant voue lextinction, comme lexplique Eugne Lerminier Toutefois il nest pas

    moins vrai que la peine de mort, trop tragique de par sa nature et pas assez philosophique, doit suivre le progrs de

    la civilisation, et que, selon toutes les vraisemblances morales et historiques, elle disparaitra naturellement, comme

    un dernier hommage rendu la charit du genre humain 72. Il est vrai quun mouvement actuel,

    essentiellement europen, tend labolition de la peine de mort, juge inhumaine. A ce

    mouvement sest jointe assez tardivement la France, qui, aprs plusieurs tentatives avortes

    comme par exemple en 1908, abolit la peine de mort par la loi du 09 octobre 198173. Cependant,

    pour dautres pays, comme la Chine ou les Etats-Unis, cette peine est considre comme

    acceptable si elle sanctionne les atteintes les plus graves, la socit acquiesant cette mort vue

    comme proportionne et lgitime, au nom de lintrt gnral .74

    Une autre dlivrance de la mort discute est leuthanasie. Cette question du droit la mort est au

    cur de lactualit et divise, comme en atteste la rcente polmique autour du cas de Vincent

    Lambert. En effet, comme lexplique Marc Gheza La question du droit la mort est complexe, dans la

    mesure o elle renverse l'approche ordinaire des droits fondamentaux. Le schma classique des droits

    fondamentaux est d'assurer la protection du droit la vie contre les menaces des pouvoirs publics ou particuliers, ce

    qui s'oppose la revendication d'un droit la mort. Aussi, reconnatre un tel droit conduirait branler une

    certaine conception de la socit : celle qui tend sacraliser toute vie humaine et qui renvoie une vision particulire

    de l'humain 75. Du grec ancien bonne et mort , ce mot a t invent par le

    philosophe anglais Francis Bacon qui considrait que, si le rle du mdecin tait de gurir, il tait

    galement, lorsque la gurison tait impossible, de procurer au malade une mort douce et

    paisible76. A lheure actuelle, le dfinition de leuthanasie est telle que dfinie par le Grand

    Larousse de la langue franaise comme lusage des procds qui permettent de hter ou de provoquer la

    mort pour dlivrer un malade incurable de souffrances extrmes, ou pour tout motif d'ordre thique .

    En France, leuthanasie est traite par deux textes principaux : la loi du 4 mars 200277 et la loi du

    22 mars 2005, dite loi Lonetti, relative aux droits des patients en fin de vie 78. Pour linstant, il est mis

    71 Voltaire, Commentaire sur le livre Des Dlits et des Peines, 1766, in Mlanges, bibl. de la Pliade, p. 785. 72 E. Lerminier, Philosophie du droit, Corpus des uvres de philosophie en langue franaise, p.155. 73 Loi n 81-908 du 9 octobre 1981, portant abolition de la peine de mort, JO 10 oct. 1981, p. 2759. 74 M. Gheza, Essai de dconstruction juridique du droit la mort, RDSS 2008, p. 1071. 75 Ibid. 76 F. Bacon, De dignitate et augmentis scientiarum, The Advancement of Learning, 1605. 77 Loi n 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et la qualit du systme de sant, JO 5 mars 2002, p. 4118. 78 Loi n 2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et la fin de vie, JO 23 avr. 2005, p. 7089.

  • [25]

    laccent sur les soins palliatifs79 et le mdecin est dissuad de pratiquer une obstination

    draisonnable dans le soin des malades en fin de vie80. Un juste milieu est recherch entre le fait

    d'viter des souffrances juges inutiles un patient qu'on estime vou la mort, et celui de le

    maintenir en vie.

    Cependant, l' euthanasie active est interdite, larticle R. 4127-38 du Code de dontologie

    mdicale dictant une interdiction de provoquer dlibrment la mort du malade. Cest ce point

    qui fait dbat, aliment par plusieurs affaires mdiatiques (affaire Vincent Humbert en 2003,

    affaire Chantal Sbire en 2008), et ce dautant plus que leuthanasie active est autorise dans

    certains pays voisins, comme par exemple la Belgique (qui vient mme de lautoriser pour les

    mineurs) ou le Luxembourg.

    Ainsi donc, le droit franais sanctionne leuthanasie sur quatre plans diffrents. Sur le plan pnal,

    leuthanasie est assimile un meurtre, un empoisonnement ou un dlit de non-assistance

    personne en danger, selon les circonstances. Sur le plan civil, leuthanasie est de nature engager

    la responsabilit dlictuelle de celui qui la commet. Sur le plan disciplinaire, si celui qui commet

    lacte agit dans le cadre de sa profession, il sexpose des sanctions disciplinaires. Enfin, sur le

    plan successoral si un hritier est l'instigateur de l'acte ou le commet, il peut se voir dchu du

    droit hriter.

    2) La Mort et le droit social

    Quen est-il du droit social ? Existe-t-il une unicit du traitement de la mort par cette branche du

    droit, ou au contraire un clatement? Encore faut-il dfinir ce quest le droit social.

    27- Le droit social. Cest une branche du droit constitue par lensemble des rgles rgissant les relations de

    travail et englobant, dans lopinion commune, la protection contre les risques 81.

    Le droit social regroupe principalement le droit du travail qui est constitu par lensemble des rgles

    applicables aux relations de travail subordonn et le droit de la protection sociale qui est lensemble

    des rgles juridiques destines protger les personnes physiques contre la survenance dun ensemble dvnements

    ou risques sociaux 82.

    28- Une unicit. Le droit social connait une certaine unicit propos de la mort. En effet, le

    droit du travail comme le droit de la protection sociale abordent tous les deux la mort. En outre,

    79 C. sant publ. art. L.1110-5: Les professionnels de sant mettent en uvre tous les moyens leur disposition pour assurer chacun une vie digne jusqu' la mort. 80 L'acharnement thrapeutique est dfini comme une obstination draisonnable, refusant par un raisonnement but de reconnatre qu'un homme est vou la mort et qu'il n'est pas curable. Dr. L. Ren, Commentaire du code dontologie mdicale, Le Seuil, Paris, 1996. 81 G. Cornu, Vocabulaire Juridique, PUF, 8e d. 2007. 82 P. Morvan, Droit de la protection sociale, Lexisnexis, 6e d. 2013.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Soins_palliatifshttp://fr.wikipedia.org/wiki/Souffrance

  • [26]

    ils traitent tous les deux aussi bien de sa prvention (le droit du travail travers les rgles relatives

    la scurit au travail, le droit de la protection sociale travers la protection sociale

    complmentaire que de ses consquences (prestations de lassurance dcs ou remplacement du

    salari dcd).

    29- Un clatement. Cependant le droit du travail et le droit de la protection sociale nont pas la

    mme finalit, la mme fonction, ce qui implique un traitement diffrent de la mort. La mort est

    ainsi mettre sur deux plans diffrents selon quelle est traite par le droit du travail, sous langle

    de lentreprise, de la recherche de lefficacit, ou sous langle de la protection sociale dont comme

    son nom lindique, la finalit est de protger lindividu et sa famille. On peut galement noter un

    clatement du contentieux morbide , devant le Conseil de prudhommes, le Tribunal des

    affaires de la scurit sociale, le Tribunal administratif ou encore le Tribunal correctionnel.

    Ainsi, il sera intressant dtudier plus attentivement de quel ct penche le droit social, et sil est

    possible de faire merger une notion unitaire de la mort en droit social. En dautres termes, peut-

    on parler de la mort en droit social ou des morts en droit social ?

    A cet effet, il faut dabord envisager le traitement de la mort par le droit social avant le dcs du

    sujet de droit cest--dire le cheminement de la vie la mort, puis enfin la prise en charge de la

    mort par le droit social suite son dcs, cest--dire la vie aprs la mort.

  • [27]

    Partie I) De la vie la mort

    30- Le spectre de la mort. La crainte de la mort est telle quelle exerce une considrable

    influence avant sa survenance, son spectre ne laissant personne indiffrent. Lextrme majorit

    des actions de lhomme durant sa vie sinscrivent en creux de la mort et ont pour but de retarder

    son arrive, dfaut den rgler lavance les consquences. Il tait logique que le droit, ensemble

    de rgles de conduite sociale dictes et sanctionnes qui simposent aux membres de la socit,

    sempare galement des problmatiques poses par la perspective de larrive de la mort, et le

    passage de la vie trpas. Le droit social couvrant tous les moments de la vie de lindividu (du

    cong maternit au cong dcs, de lassurance maternit lassurance dcs), il tait galement

    naturel que celui-ci se saisisse de ce sujet.

    31- Comprendre afin de lutter. Le droit social se calque sur lattitude humaine et traite

    lventualit de la survenance de la mort de deux faons. Tout dabord en tentant dapprhender

    les diverses causes de la mort du salari lors de la relation de travail, dans le but vident dy

    remdier, en accord avec le proverbe de Sun Tzu Si vous connaissez vos ennemis et que vous vous

    connaissez vous-mme, mille batailles ne pourront venir bout de vous 83. Appliqu au droit social, cela

    aboutit envisager les atteintes mortelles la personne du salari, que ces atteintes soient

    physiques ou psychologiques, cette connaissance tant un pralable la prvention.

    32- Anticiper afin de dattnuer. Enfin, la perspective de la mort dtermine souvent lhomme

    en anticiper larrive en organisant ses consquences, lexemple le plus vocateur en droit tant la

    possibilit pour le futur De Cujus de rdiger un testament, acte par lequel le testateur dispose, pour le

    temps o il nexistera plus de tout ou partie de ses bien ou de ses droits et quil peut rvoquer 84. Cette

    anticipation, cette organisation, lui permet alors denvisager la venue de la mort avec plus de

    srnit. En droit social, lanticipation passe essentiellement dune part par la protection sociale

    complmentaire dans le cas de la mort prvisible, et dautre part par les droits dalerte et de

    retrait, et le prjudice danxit dans le cas de la mort imminente.

    83 Sun Tzu, Lart de la guerre, Mille et nuits, 1997. 84 C. civ., art. 895.

  • [28]

    Titre I) Comprendre la mort

    33- Intolrance morale. Comment peut-on accepter que quelquun puisse perdre sa vie en cherchant

    simplement la gagner ? 85 Cette question rhtorique illustre bien lvolution des mentalits

    concernant les atteintes mortelles au travail. Autrefois frquentes et tolres, voire admises (le

    fameux adage ce sont les risques du mtier ), ces morts ne le sont plus aujourd'hui, les progrs

    techniques rendant intolrable toute atteinte lhomme. En outre, sur le plan juridique la sant

    est un droit reconnu tout citoyen lalina 11 du prambule de la Constitution du 27 octobre

    194686. La mort tant la ngation ultime de la sant, elle est ds lors combattue.

    34- Intolrance conomique. Insupportables dun point moral, les atteintes mortelles sur la

    personne du travailleur le sont galement dun point de vue conomique. Tout dabord pour les

    ayants droits de la victime qui se trouvent souvent placs dans une grande difficult financire,

    malgr les prestations de la scurit sociale. Elles le sont galement pour lentreprise de la victime

    qui supporte des cots directs (compte employeur, frais administratifs, de rorganisation, de

    formation au poste) et indirects (perte de production, procdures judiciaires, expertises, image

    de lentreprise)87.

    Ces atteintes mortelles sont de deux types, physiques et psychologiques, mais atteignent toutes les

    deux le mme rsultat, la mort du salari, que cette mort soit de son fait ou indpendante de sa

    volont.

    Chapitre I) Atteintes physiques mortelles

    35- Une proccupation croissante. Et tout dun coup, comme le petit allait slancer pour rejoindre son

    train, un craquement formidable stait fait entendre, lboulement avait englouti lhomme et lenfant [] Tout de

    suite, on constata que le toit stait effondr sur une dizaine de mtres au plus [] Mais les curs se serrrent,

    lorsquun rle de mort sortit des dcombres 88 . Cet extrait de Germinal dEmile Zola illustre bien les

    dsastreuses conditions de scurit rgnant dans les mines du nord de la France la fin du XIXme

    sicle. A titre dexemple, la Catastrophe de Courrires un coup de grisou immdiatement suivi dun

    85 Les risques professionnels et la sant au travail en questions, dir. P. Coursier et S. Leplaideur, Lexisnexis, 2013. 86 Elle garantit tous, notamment l'enfant, la mre et aux vieux travailleurs, la protection de la sant, la scurit matrielle, le repos et les loisirs 87 B. Pribre, Le guide de la scurit au travail : les outils du responsable, Afnor ditions, 2013. 88 E. Zola, Germinal, Folio Classique, p. 242.

  • [29]

    coup de poussier dvastant 110 kilomtres de galeries en lespace de deux minutes - fit 1099

    morts le 10 mars 1906.

    Mais dj la sant au travail tait une proccupation sans cesse croissante de la part des pouvoirs

    publics, proccupation reflte par la recherche de la protection des plus fragiles par exemple

    une loi du 19 mai 1874 interdit lemploi des enfants dans les fabriques ou ateliers insalubres ou

    dangereux dtermins par dcret mais pas exclusivement la mme loi prvoyant lobligation

    de protger les ouvriers contre les risques des machines en les sparant des organes dangereux-.

    Presque un sicle spare cette loi de la mise en place par la loi du 23 dcembre 1982 du comit

    dhygine, de scurit et des conditions de travail (CHSCT), hritier des comits de scurit

    institus sous Vichy. Le droit en matire de scurit au travail a galement volu en fonction des

    diverses catastrophes industrielles. On peut citer titre dexemple la loi du 30 juillet 2003

    tablissant des rgles de protection renforce pour les tablissements industriels haut risque, en

    raction lexplosion de lusine AZF de Toulouse le 21 septembre 2001 qui entraina la mort de

    29 ouvriers.

    36- Quelques chiffres. Ainsi, si depuis la fin du XIXme sicle la scurit au travail sest

    constamment amliore, il nen demeure pas moins que lon dnombre 558 dcs suite un

    accident du travail en 201289, selon le rapport de gestion 2012 de lassurance maladie. La priode

    2004-2012 a vu le nombre daccident du travail mortels culminer en 2004 avec 626 dcs90, puis

    baisser significativement en 2005 avec 474 accidents mortels91, avant daugmenter

    progressivement jusquen 2007 avec 622 dcs92, et enfin, se stabiliser sur la priode 2008-2012

    avec un nombre daccidents mortels compris entre 529 (en 2010) et 569 (en 2008).

    En tte des secteurs dactivit touchs on retrouve sans surprise le secteur du BTP avec 131 dcs

    en 2012, suivi du secteur des Transports, Eau, Gaz et Electricit avec 108 dcs, et celui de la

    Mtallurgie avec 64 dcs93. Enfin, si lon carte les accidents du travail mortels non classs faute

    de donnes suffisantes, les principaux lments matriels lorigine des accidents mortels sont les

    vhicules, responsables de 132 dcs, les chutes de hauteur (52 dcs), les masses en mouvement,

    (32 dcs), et enfin la manutention manuelle (20 dcs)94.

    La situation dans le monde est pire. Le BIT estimait en 2005 que chaque anne 2,2 millions de

    personnes meurent du fait d'accidents ou de maladies lis au travail, et que ce nombre serait

    largement sous-estim du fait de la mauvaise collecte des informations dans de nombreux pays

    89 CNAMTS Rapport de gestion 2012, tableau 40, p. 46. 90 CNAMTS, Rapport de gestion 2008, tableau 12, p. 22. 91 Idem. 92 Idem. 93 CNAMTS, Rapport de gestion 2012, tableau 44, p. 51. 94 Ibid, tableau 41, p. 48.

  • [30]

    (lInde, par exemple, dnombrait en 2005 222 accidents mortels, alors que le BIT estimait le

    nombre rel 40 000)95. L'Union europenne, dans un rapport statistique, estimait 120 000 le

    nombre d'accidents mortels dans l'UE des 15 causs par une activit professionnelle (le BIT

    l'estime 122 000).

    Les atteintes mortelles ne sont pas les mmes selon quelles sont le fait de situations mortelles, de

    trajets mortels, ou enfin de substances mortelles. Cette division ne recoupe pas compltement le

    triptyque du Code de la Scurit sociale (CSS) qui lui divise les risques professionnels en accidents

    du travail (CSS, art. L. 411-1), accidents du trajet (CSS, art. L. 411-2) et maladies professionnelles

    (CSS, art. L. 461-1), car des substances mortelles peuvent par exemple tre lorigine daccidents

    du travail fatals, et vice versa.

    Section I) Situations mortelles au sein de lentreprise

    37- Une situation mortelle. On peut dfinir ngativement les situations mortelles au sein de

    lentreprise. Ainsi une situation mortelle est une atteinte mortelle dans laquelle ne sont pas

    impliqus de substances ou produits dangereux. Si lune des situations mortelles les plus connues

    de ltudiant en droit est lexplosion de la chaudire dun remorqueur96, les illustrations sont aussi

    nombreuses que varies : effondrement de pr-dalles en bton composant la couverture d'un

    poste de transformation97, chute accidentelle98, noyade99, meurtre100, lectrocution101, asphyxie lors

    dun incendie102 Mais galement la mort subite du salari pendant son travail et dont lenqute

    na pu en dterminer les causes103.

    38- Au sein de lentreprise. Le terme au sein de lentreprise dsigne les atteintes physiques

    mortelles qui ne se sont pas produites en dehors de lentreprise, comme par exemple les trajets

    mortels. Lentreprise peut tre dfinie comme le lieu o sont runis sous lautorit de lemployeur

    ou de ses prposs, des travailleurs poursuivant sous une forme juridique variable une activit

    95 Le nombre de dcs lis au travail est largement sous-estim, dclare le BIT, OIT, communiqu de presse, 18 sept. 2005. 96 Civ., 16 juin 1896, Teffaine, D.P. 1897, I, 433, note Saleilles, concl. Sarrut ; S. 1897, 1, 17, note Esmein. 97 Cass. crim., 16 sept. 2008, n 06-82.369, F-D, D. et a. : JurisData n 2008-045547. 98 Cass. soc., 5 dc. 2012, n 11-22.577. 99 Cass. crim., 11 oct. 2011, n 11-80.122, F-P+B, L'tablissement public Voies navigables de France : JurisData n 2011-023231. 100 Cass. soc., 23 avr. 1970 : Bull. civ. 1970, V, n275. 101 Cass. crim., 25 mars 2003, n 02-84.377. 102 Cass. soc., 21 dc. 1988 : Juris-Data n 1988-703531 ; RJS 1989, n 191. 103 Cass. soc., 14 janv. 1999, n 97-12.922; Bull. civ. 1999, V, N 23, p. 17.

  • [31]

    commune. Elle englobe les tablissements distincts, units techniques de production, localises et

    runissant de faon durable des moyens matriels et un personnel dirig par un chef

    dtablissement auquel le chef dentreprise dlgue des pouvoirs limits104. Cependant quen est-il

    des accidents de mission ? Si la jurisprudence les assimile aux accidents du travail, peut-on

    considrer par exemple quune hmorragie crbrale fatale dont est victime le salari en mission

    dans sa chambre dhtel105 soit considre comme un accident de travail ? La question renvoie la

    notion de lieu de travail. Il convient donc distinguer lentreprise physique de lentreprise

    virtuelle .

    1) Lentreprise relle

    38- La notion dentreprise relle. Lentreprise relle, quelle soit constitue dun ou plusieurs

    tablissements, sentend comme le lieu physique o sont regroups des moyens (locaux,

    personnels) pour assurer une activit conomique. Pour rsumer, il sagit des locaux de

    lentreprise. Ainsi, le salari est thoriquement sous le contrle physique dun suprieur dans

    lentreprise relle, celui-ci pouvant se dplacer tout moment et venir vrifier le travail de son

    subordonn. Cette entreprise relle comprend lenceinte, les dpendances106 mais exclut les

    abords107.

    A) Diagnostic

    1) Un risque rel

    39- Accidents de travail mortels. Il nest pas une semaine sans que les journaux rgionaux

    reportent dans leur rubrique faits-divers la mort dun salari. Ces situations mortelles sont

    essentiellement marques par les accidents de travail mortels. Selon larticle L. 411-1 du CSS est

    considr comme accident du travail quelle quen soit la cause, laccident survenu par le fait ou

    loccasion du travail toute personne salarie ou travaillant, quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un

    ou plusieurs employeurs ou chefs dentreprise . En 2012, sur 640 891 accidents du travail, 558 furent

    fatals, soit 0,087%. Ces drames soulvent la question de la scurit au travail. A ce titre, le meurtre

    du salari, symbolique car doublement mortel (la mort donne, la mort subie), peut fournir

    une illustration des critres de laccident de travail mortel.

    104 G. Cornu, Vocabulaire juridique, Presses universitaires de France, 8e ed., 2007. 105 Cass. soc., 19 juill. 2001 : JurisData n 2001-010719 ; Bull. civ. 2001, V, n 285. 106 Cass. ass. plen., 3 juill. 1987, n 86-14.914. 107 P-H. Mousseron, Le lieu de travail, territoire de lentreprise, Dr. soc. 2007, p. 1110.

    https://www-lexisnexis-com.biblionum.u-paris2.fr/fr/droit/search/runRemoteLink.do?A=0.9804488640539495&bct=A&service=citation&risb=21_T19397789147&langcountry=FR&linkInfo=F%23FR%23lnfr%23ref%25010719%25sel1%252001%25year%252001%25decisiondate%252001%25

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    40- Le meurtre du salari. Le meurtre en entreprise nest pas anecdotique. Ainsi, une enqute

    mene sur les crimes commis contre les entreprises en 2008-2009 auprs de 73 entreprises

    principalement franaises allant jusqu 265 000 salaris, a recens 5 meurtres108.

    La jurisprudence a t amene plusieurs reprises se prononcer sur le caractre daccident du

    travail du meurtre du salari. La Cour de cassation a pu juger quest victime dun accident du

    travail le salari tu aux temps et au lieu de travail par deux personnes qui nont pu tre

    identifies109, ou par son ancien concubin venu au sige de la socit qui lemployait pour lui

    demander (initialement ndlr) de reprendre la vie commune110.

    En revanche, la qualification daccident du travail na pas t retenue dans le cas dune salarie

    tue dans son bureau, aprs en avoir fait sortir un membre du personnel, avant de sy enfermer

    avec son mari pour traiter de leurs problmes conjugaux111, de mme que le meurtre aux temps et

    lieu de travail (locaux Ajaccio) imputable la seule activit politique de la victime112. Si ces

    meurtres se sont drouls aux temps et lieu de travail, la prsomption dimputabilit de laccident

    de travail est renverse quand la preuve a t rapporte que la cause de la mort du salari est

    totalement trangre au travail.

    2) Lillustration du secteur du BTP

    41- La scurit sacrifie. Dans son livre Chantier interdit au public113, Nicolas Jounin simmerge

    dans le monde du BTP en tant quouvrier et dresse un constat alarmant sur la scurit et les

    pratiques ayant cours sur les chantiers du BTP, secteur dactivit totalisant 23% des dcs alors

    quil ne reprsente que 8,6% de lensemble des effectifs salaris114. Ainsi il dcrit comment

    chaque fois quune direction de chantier, un coordinateur de scurit, un contrleur de lOPPBTP115 ou un

    inspecteur du travail fait irruption sur les chantiers, les cadres et les ouvriers ne donnent voir quune parodie de

    travail de chantier [] ce qui frappe dans ces scnes, cest lunion qui prvaut entre ouvriers et cadres dans la

    tentative de masquer toutes les carences en matire de scurit. [] Non seulement des ouvriers prennent des

    risques pour tenir les cadences qui leur sont imposes, mais ils cachent aux cadres quils prennent des risques, par

    peur de sanctions . Le constat est sans appel : la scurit est sacrifie sur lautel de la productivit,

    les salaris tant la fois complices et victimes.

    108 S. Nicolet, Affronter la dlinquance en entreprise, Les Cahiers du DRH 2011, n 177. 109 Cass. soc., 15 juin 1995, n 93-20.688. 110 Cass. soc., 10 juin 1987, n 85-16.868. 111 Cass. soc., 23 janv. 1985, n 83-15.263 112 Cass. soc., 1er juill. 1999, n 97-18.990. 113 N. Jounin, Chantier interdit au public : enqute parmi les travailleurs du batiment, Editions La Dcouverte, 2008. 114 Chiffres de lInstitut national de recherche et de scurit pour la prvention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). 115 Organisme professionnel de prvention du btiment et des travaux publics, ndlr.

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    42- Lintrim, facteur aggravant. Nicolas Jounin tmoigne : lors de mon arrive comme manuvre

    intrimaire, japprends tout sur le tas, sans visite ou explication pralable. Une semaine aprs mon arrive, Serge,

    lassistant du chef de chantier, me dit : Tiens, signe a , en me tendant un papier jaune cest pour dire quon

    ta bien montr les vestiaires, et tout . En ralit, le document indique que je garantis en tant quintrimaire,

    quon ma bien expliqu les rgles de scurit quand je suis arriv. Je sens que Serge ne sattend pas vraiment ce

    que je me pose pour lire le papier, alors je signe sans lire les consignes quil contient . Cet extrait illustre la

    situation critique des intrimaires qui sont selon lassurance maladie ont deux fois plus de risques

    davoir un accident du travail que lensemble des effectifs salaris, ces accidents savrant deux

    fois plus graves. En effet, plus exposs du fait des mtiers quils exercent et des secteurs dactivit

    qui les emploient (BTP, industrie notamment), ils sont, dautre part, en situation quasi

    permanente de nouveaux embauchs, contraints de sadapter pour chaque mission un contexte,

    un environnement et une tche spcifiques116. La Cour de cassation a pourtant rgulirement

    affirm que lentreprise de travail temporaire et lentreprise utilisatrice sont tenues, lgard des salaris mis

    disposition, dune obligation de scurit de rsultat dont elles doivent assurer leffectivit 117.

    B) Remdes

    43- Les accidents mortels ne sont pas une fatalit. Certains, cyniques, estiment que les

    accidents, notamment mortels, sont invitables, du fait de lactivit humaine. Pourtant, comme

    lexplique Pascal Jacquetin, statisticien la CNAMTS lanalyse des causes montre que tout accident du

    travail est vitable. Si les entreprises avaient respect les principes de prvention dicts par le Code du travail, ils

    auraient pu tre tous vits, et mme une partie des accidents de la route [] il ny a aucune fatalit dans ces

    accidents, mme pour les chutes de hauteur dans le BTP 118. Ainsi la DIRECCTE dans son tude sur les

    accidents du travail graves et mortels survenus en 2010 en Ile de France, comptabilise cinq

    accidents dascenseurs causant deux dcs et remarque que pour lensemble de ces accidents des

    manquements ont t constats119 (absence dtude de scurit pralable concernant lascenseur,

    inadquation des accessoires de levage et des moyens de manutention, absence de formation des

    salaris la scurit). Des voies daction existent donc.

    1) Agir sur la formation

    44- Dvelopper la formation. Ce dveloppement passe dabord par la simple application des

    textes lgislatifs ou rglementaires. On peut ainsi voquer lexemple de la formation des

    116 Travailleur temporaire, intrimaire : mettre en place toutes les conditions pour un travail en scurit, www.inrs.fr. 117 Cass. soc. 30 nov. 2010 : JCP S 2011, 1183, obs. Bousez. 118 M. Hajdemberg, La mort sans bruit de 552 accidents du travail, Mediapart Blogs. 119 DIRECCTE Ile de France, Les accidents du travail graves et mortels survenus en 2010 en Ile-de-France, p. 4.

    http://www.inrs.fr/

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    intrimaires. Une obligation de formation existe bien puisque larticle L. 4142-2 du Code du

    travail dispose que [] Les salaris temporaires affects des postes de travail prsentant des risques

    particuliers pour leur sant ou leur scurit bnficient dune formation renforce de scurit, dans les conditions

    prvues larticle L. 4154-2 . Si cette disposition existe, comment la faire respecter en pratique

    quand on sait quen 2008, la dure moyenne des missions tait de deux semaines et quun quart

    dentre elles nont dur quune seule journe ? Il convient en outre de mieux associer le CHSCT

    aux mesures de formation et de prvention, notamment en renforant la formation des membres

    du CHSCT comme le prconise le professeur Verkindt120.

    45- Mieux valuer les risques. Pour Pascal Jacquetin, il faut voir plus loin que les accidents

    (notamment ceux mortels). Pour le statisticien, il faut distinguer frquence et gravit. Une charge qui se

    dcroche peut tomber 20 cm de moi, et je naurai rien; me tomber sur le pied, et je men tire avec une fracture; me

    tomber sur la tte, et me tuer. Pour progresser en prvention, il faut viter que les charges ne se dcrochent, et donc

    ne pas seulement compter les fois o elles sont tombes sur les ttes. Cest pourquoi les entreprises les plus en avance

    en matire de prvention recensent les situations de presquaccident . En effet, comptabiliser les situations

    de presquaccident, vnement inattendu et soudain mais qui nentrane aucun dommage, permet

    de mieux prendre en compte les risques, potentiellement mortels (on songe aux chutes dobjets

    sur les chantiers). Ces presquaccidents devraient alors tre mentionns dans le document unique,

    document o lemployeur transcrit et met jour les rsultats de lvaluation des risques pour la

    sant et la scurit des travailleurs121.

    2) Agir sur les contrles

    46- Rformer les procdures de contrle. Laffaire du Pic de Bure a mis en exergue la ncessit

    de rformer les procdures de contrles des risques sur les lieux de travail122. La cabine du

    tlphrique du Pic de Bure stait dcroche le 1er juillet 1999 faisant une chute de plus de 80

    mtres, alors quelle transportait vingt techniciens et ouvriers qui allaient prendre leur service. La

    cause de laccident tait selon les experts labsence de systme de freinage, le frein