l’adresse, un enjeu national

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16 Géomètre n° 2089 février 2012 Géomètre n° 2089 février 2012 17 E n décembre 2011, l’Association française pour l’information géographique (Afigéo) diffusait les conclusions de son rapport Pour une politique nationale de la donnée adresse. « Ce rapport est issu des réunions d’un groupe de travail mis en place suite à la tenue, en janvier 2010, d’un atelier national sur les données adresse dans le cadre du projet européen Euradin (1) », explique François Salgé, conseiller du directeur général de l’aménagement du logement et de la nature au ministère de l’Ecologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement, qui a co-animé ce groupe avec Yves Cousquer, ancien directeur de La Poste. Le projet Euradin vise à harmoniser les adresses non nominatives en Europe pour assurer leur interopérabilité et leur accès grâce à la mise en place d’« infra- structures de données adresse » natio- nales ou régionales. En France, il impli- que l’Afigéo en tant que membre d’Eurogi, l’Institut national de l’infor- mation géographique et forestière (IGN) y participant également. Outre les communes, chargées de dési- gner et de numéroter les voies, un très grand nombre d’acteurs est aujourd’hui concerné par la collecte de l’adresse en France : l’Etat (recouvrement de l’impôt, identification des propriétés...), les collectivités territoriales (aména- gement du territoire, action sociale...), les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), ou encore La Poste, les administrations, les gestionnaires de réseaux, des entreprises privées de géolocalisation, de vente par correspon- dance ou de marketing... Or, l’absence d’un fichier adresse unique normalisé, organisé et cohérent, génère une perte d’efficacité. Les adresses erronées ou incomplètes ont parfois des consé- quences ubuesques, quand elles ne mettent pas en jeu des vies en retardant l’arrivée des secours sur le lieu d’un sinistre. « Les coûts économiques de la non-qualité sont diffus et répartis sur tous les acteurs , explique François Salgé. Ils sont donc difficiles à évaluer. » La Poste a chiffré à 300 millions le nombre de lettres ou colis retournés par an à leur envoyeur à cause d’une adresse incorrecte (dont 140 millions de plis publicitaires)... A raison d’un euro perdu par pli non distribué, le calcul est vite fait ! Mais il faut aussi prendre en compte les surcoûts de fonctionnement pour les différents services et les coûts de gestion et de mise à jour des nombreuses bases de données locales et nationales – Service national de l’adresse de La Poste, composante adresse du référentiel à grande échelle (RGE) de l’IGN, fichier des propriétés bâties de la direction générale des finances publiques, réper- toire des immeubles localisés de l’Insee. Eviter des flux redondants de données permettrait sans nul doute une écono- mie de moyens conséquente. Les pompiers ont soulevé la problématique L’importance d’un développement har- monisé de l’adresse géoréférencée est soulignée par son inscription dans les thèmes de l’annexe I de la directive Inspire adoptée en 2007. « En Europe, le Danemark, qui a été un précurseur en matière de mise en œuvre d’un fichier de référence d’adresse libre de droits et acces- sible à tous les acteurs, a estimé un retour sur investissement de l’ordre de 1 à 70 en régime continu », précise François Salgé. Ainsi, pour l’année 2010, les auteurs du rapport danois ont chiffré le bénéfice social à 14 millions d’euros (30 % dans le secteur public et 70 % dans le secteur privé), pour un total des coûts de 0,2 million. « Les Anglais sont également bien avancés sur la voie de l’harmonisation, mais ont choisi de commercialiser leur fichier de référence. » La France, quant à elle, a entrepris quelques efforts depuis une dizaine d’années. Dès le début des années 2000, un rapport du Conseil national de l’information géographique (Cnig) a émis des recommandations qui ont abouti à la création par l’IGN de la BD Adresse, composante adresse du RGE, dont le rôle est essentiellement tourné vers la localisation géographique des éléments constituant une adresse. Le rapport de l’Afigéo pointe la nécessité d’un rapprochement des principaux acteurs au niveau national – La Poste et l’IGN, voire la DGFIP et l’Insee. La mise en place d’un guichet unique (un outil web permettant de façon simple une mise à jour en continu des données) semble s’imposer pour faciliter la mutualisation des données et standar- diser l’information à la source, notam- ment au travers d’un formulaire officiel. « L’adhésion de tous les acteurs, et en particulier des collectivités territoriales créatrices d’adresse, est l’une des clés de la réussite », souligne François Salgé. Selon une enquête menée au printemps 2011 auprès des collectivités de tous échelons, des services d’incendie et de secours (SDIS) et des infrastructures de don- nées géographiques (104 réponses dans 52 départements), la prise de conscience de la nécessité d’une normalisation nationale est massive (100 % des répon- dants), un acteur local sur deux ayant d’ores et déjà engagé une réflexion autour de la thématique adresse. Certains d’entre eux, tels la régie des données 73-74, la communauté urbaine Marseille-Provence, la communauté d’agglomération de Saint-Omer ou le centre de ressources en géomatique Géo Vendée, ont fait partager leur expérience au groupe de travail. « Géo Vendée a été créé officiellement en 2006 après un passé de mutualisation des données géographiques autour des années 1995 à 2005, année d’achèvement de la numérisation du cadastre », explique Vincent Deshoux, responsable du pôle animation-formation de l’association. Celle-ci assume notamment la gestion des données de référence et des données partenaires ainsi que l’animation d’un réseau de compétence. « Toutes les communautés de communes et commu- nes sont sous convention, de même que les syndicats départementaux d’eau potable ou d’électrification, le SDIS, etc. C’est d’ailleurs les pompiers qui ont fait émerger la problématique adresse dans le cadre de l’assistance au secours. » La localisation d’une intervention s’avère en effet cruciale pour le choix du centre de secours ainsi que pour la détermi- nation de l’itinéraire. Rapidement, l’objectif était de con- verger localement vers une base de données unique, mutualisée, partagée par tous les acteurs et mise à jour en continu. Suite à une première conven- tion IGN-SDIS signée pour la période 2006-2009, une seconde convention IGN-SDIS-Géo Vendée et l’acquisition de la BD Adresse de l’IGN en 2009 dynamisent le partenariat étendu vers les collectivités, la DGFIP et La Poste. Cette mutualisation se consrétise au travers d’un formulaire de déclaration unique normalisé qui permet aux communes de faire remonter l’infor- mation en cas de création de lotisse- ments, de nouvelles voies, de lieux-dits ou de changement de nom d’une voie ou d’un lieu-dit. « Aujourd’hui, ce dispo- sitif est reconnu et fonctionne, même si certaines collectivités omettent de remon- ter les informations vers le guichet unique. Communiquer, informer et accompagner les collectivités, c’est assurer la pérénité du projet et sa réussite, juge Vincent Deshoux. L’inscription de cette organi- sation comme relais local du futur guichet unique national permettra d’accroitre et de légitimer les remontées de déclarations d’adresses. » « La création d’un guichet unique national peut aller très vite, à condition d’être portée par une volonté stratégique forte », estime quant à lui François Salgé. Une mission de préfiguration est en train de se mettre en place pour appro- fondir les différents modèles envisagés par le groupe de travail (organisa- tionnels, techniques, juridiques et régle- mentaires, économiques). « Le choix du modèle économique reste la plus grande question. Qui supportera le coût initial ? S’orientera-t-on vers un investissement au titre de l’intérêt général ? » Les collec- tivités territoriales souhaitent massi- vement utiliser et diffuser les données librement, mais certains services, notamment en direction des entre- prises, pourraient être facturés pour amortir les coûts... On devrait en savoir plus d’ici à l’été prochain. (1) European Address Infrastructure. L’adresse, un enjeu national Une mission de préfiguration va définir les modalités de mise en œuvre d’un guichet unique permettant d’alimenter un référentiel adresse national et de mutualiser les moyens. Marielle Mayo Territoires Territoires CC du Pays Moutierrois CC des Isles du Marais Poitevin CC du Pays de Pouzauges CC Vendée Sèvre Autise CC du Pays de Palluau CC du Pays de la Chataigneraie CC du Canton de St Fulgent CC de Vie et Boulogne CC du Pays des Achards CC de l'Auzance et de la Vertonne CC du Pays des Essarts CC du Pays de l'Hermenault CC du Canton de Mortagne sur Sèvre CC des Olonnes CC Terres de Montaigu CC du Pays Né de la Mer CC Marais et Bocage CC du Talmondais CC Côte de Lumière CC du Marais Breton Nord CC Océan Marais de Monts CC de l'Ile de Noirmoutier CC du Canton de Rocheservière CC Atlancia CC des Deux Lays CC du Pays des Herbiers CC du Pays Mareuillais CC du Pays de Sainte Hermine CC du Pays Yonnais CC du Pays de Fontenay le Comte 0, 1 2 3 - 5 6 et + Expérimentation de base de données adresse mutualisée menée par Géo Vendée sur le département. La carte fait le bilan du nombre d’alertes transmises par les collecti- vités entre novembre 2006 et janvier 2012. O. ROCHARD

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16 • Géomètre n° 2089 • février 2012 Géomètre n° 2089 • février 2012 • 17

En décembre 2011, l’Associationfrançaise pour l’informationgéographique (Afigéo) diffusait

les conclusions de son rapport Pour unepolitique nationale de la donnée adresse.«Ce rapport est issu des réunions d’ungroupe de travail mis en place suite à latenue, en janvier 2010, d’un ateliernational sur les données adresse dans lecadre du projet européen Euradin (1)»,explique François Salgé, conseiller dudirecteur général de l’aménagement dulogement et de la nature au ministère del’Ecologie, du Développement Durable,des Transports et du Logement, qui aco-animé ce groupe avec YvesCousquer, ancien directeur de La Poste.Le projet Euradin vise à harmoniser lesadresses non nominatives en Europepour assurer leur interopérabilité et leuraccès grâce à la mise en place d’« infra-structures de données adresse» natio-nales ou régionales. En France, il impli -que l’Afigéo en tant que membred’Eurogi, l’Institut national de l’infor-mation géographique et forestière(IGN) y participant également.Outre les communes, chargées de dési -gner et de numéroter les voies, un trèsgrand nombre d’acteurs est aujourd’huiconcerné par la collecte de l’adresse enFrance : l’Etat (recouvrement del’impôt, identification des propriétés...),les collectivités territoriales (aména-gement du territoire, action sociale...),les services départementaux d’incendieet de secours (SDIS), ou encore La Poste,les administrations, les gestionnaires deréseaux, des entreprises privées degéolocalisation, de vente par correspon-dance ou de marketing... Or, l’absenced’un fichier adresse unique normalisé,organisé et cohérent, génère une perted’efficacité. Les adresses erronées ouincomplètes ont parfois des consé-

quences ubuesques, quand elles nemettent pas en jeu des vies en retardantl’arrivée des secours sur le lieu d’unsinistre. «Les coûts économiques de la non-qualitésont diffus et répartis sur tous les acteurs,explique François Salgé. Ils sont doncdifficiles à évaluer.» La Poste a chiffré à300 millions le nombre de lettres oucolis retournés par an à leur envoyeur àcause d’une adresse incorrecte (dont140 millions de plis publicitaires)... Araison d’un euro perdu par pli nondistribué, le calcul est vite fait ! Mais ilfaut aussi prendre en compte lessurcoûts de fonctionnement pour lesdifférents services et les coûts de gestionet de mise à jour des nombreuses basesde données locales et nationales –Service national de l’adresse de La Poste,composante adresse du référentiel àgrande échelle (RGE) de l’IGN, fichierdes propriétés bâties de la directiongénérale des finances publiques, réper-toire des immeubles localisés de l’Insee.Eviter des flux redondants de donnéespermettrait sans nul doute une écono -mie de moyens conséquente.

Les pompiers ont soulevéla problématique

L’importance d’un développement har -monisé de l’adresse géoréférencée estsoulignée par son inscription dans lesthèmes de l’annexe I de la directiveInspire adoptée en 2007. «En Europe, leDanemark, qui a été un précurseur enmatière de mise en œuvre d’un fichier deréférence d’adresse libre de droits et acces-sible à tous les acteurs, a estimé un retoursur investissement de l’ordre de 1 à 70 enrégime continu», précise François Salgé.Ainsi, pour l’année 2010, les auteurs du

rapport danois ont chiffré le bénéficesocial à 14 millions d’euros (30% dansle secteur public et 70% dans le secteurprivé), pour un total des coûts de 0,2million. «Les Anglais sont également bienavancés sur la voie de l’harmonisation,mais ont choisi de commercialiser leurfichier de référence.» La France, quant àelle, a entrepris quelques efforts depuisune dizaine d’années. Dès le début desannées 2000, un rapport du Conseilnational de l’information géographique(Cnig) a émis des recommandationsqui ont abouti à la création par l’IGN dela BD Adresse, composante adresse duRGE, dont le rôle est essentiellementtourné vers la localisation géographiquedes éléments constituant une adresse. Le rapport de l’Afigéo pointe la nécessitéd’un rapprochement des principauxacteurs au niveau national –La Poste etl’IGN, voire la DGFIP et l’Insee. La miseen place d’un guichet unique (un outilweb permettant de façon simple unemise à jour en continu des données)semble s’imposer pour faciliter lamutualisation des données et standar-diser l’information à la source, notam -ment au travers d’un formulaire officiel.«L’adhésion de tous les acteurs, et enparticulier des collectivités territorialescréatrices d’adresse, est l’une des clés de laréussite», souligne François Salgé. Selonune enquête menée au printemps 2011auprès des collectivités de tous échelons,des services d’incendie et de secours(SDIS) et des infrastructures de don -nées géographiques (104 réponses dans52 départements), la prise de consciencede la nécessité d’une normalisationnationale est massive (100% des répon-dants), un acteur local sur deux ayantd’ores et déjà engagé une réflexionautour de la thématique adresse.Certains d’entre eux, tels la régie desdonnées 73-74, la communauté urbaineMarseille-Provence, la communautéd’agglomération de Saint-Omer ou lecentre de ressources en géomatiqueGéo Vendée, ont fait partager leurexpérience au groupe de travail.«Géo Vendée a été créé officiellement en2006 après un passé de mutualisation des

données géographiques autour des années1995 à 2005, année d’achèvement de lanumérisation du cadastre », expliqueVincent Deshoux, responsable du pôleanimation-formation de l’association.Celle-ci assume notamment la gestiondes données de référence et des donnéespartenaires ainsi que l’animation d’unréseau de compétence. « Toutes lescommunautés de communes et commu -nes sont sous convention, de même que lessyndicats départementaux d’eau potableou d’électrification, le SDIS, etc. C’estd’ailleurs les pompiers qui ont faitémerger la problématique adresse dans le

cadre de l’assistance au secours. » Lalocalisation d’une intervention s’avèreen effet cruciale pour le choix du centrede secours ainsi que pour la détermi-nation de l’itinéraire. Rapidement, l’objectif était de con -verger localement vers une base dedonnées unique, mutualisée, partagéepar tous les acteurs et mise à jour encontinu. Suite à une première conven -tion IGN-SDIS signée pour la période2006-2009, une seconde conventionIGN-SDIS-Géo Vendée et l’acquisitionde la BD Adresse de l’IGN en 2009dynamisent le partenariat étendu versles collectivités, la DGFIP et La Poste.Cette mutualisation se consrétise autravers d’un formulaire de déclarationunique normalisé qui permet auxcommunes de faire remonter l’infor-mation en cas de création de lotisse-ments, de nouvelles voies, de lieux-ditsou de changement de nom d’une voieou d’un lieu-dit. «Aujourd’hui, ce dispo-sitif est reconnu et fonctionne, même sicertaines collectivités omettent de remon -ter les informations vers le guichet unique.Communiquer, informer et accompagnerles collectivités, c’est assurer la pérénité du

projet et sa réussite, juge VincentDeshoux. L’inscription de cette organi-sation comme relais local du futur guichetunique national permettra d’accroitre etde légitimer les remontées de déclarationsd’adresses.»« La création d’un guichet uniquenational peut aller très vite, à conditiond’être portée par une volonté stratégiqueforte», estime quant à lui François Salgé.Une mission de préfiguration est entrain de se mettre en place pour appro-fondir les différents modèles envisagéspar le groupe de travail (organisa-tionnels, techniques, juridiques et régle-mentaires, économiques). «Le choix dumodèle économique reste la plus grandequestion. Qui supportera le coût initial ?S’orientera-t-on vers un investissementau titre de l’intérêt général ?» Les collec-tivités territoriales souhaitent massi-vement utiliser et diffuser les donnéeslibrement, mais certains services,notamment en direction des entre-prises, pourraient être facturés pouramortir les coûts... On devrait en savoirplus d’ici à l’été prochain.

(1) European Address Infrastructure.

L’adresse, un enjeu nationalUne mission de préfiguration va définir les modalités demise en œuvre d’un guichet unique permettant d’alimenterun référentiel adresse national et de mutualiser les moyens.

Marielle Mayo

TerritoiresTerritoires

CC du Pays Moutierrois

CC des Isles du Marais Poitevin

CC du Pays de Pouzauges

CC Vendée Sèvre Autise

CC du Pays de Palluau

CC du Pays de la Chataigneraie

CC du Canton de St Fulgent

CC de Vie et Boulogne

CC du Pays des Achards

CC de l'Auzance et de la Vertonne

CC du Pays des Essarts

CC du Pays de l'Hermenault

CC du Canton de Mortagne sur Sèvre

CC des Olonnes

CC Terres de Montaigu

CC du Pays Né de la Mer

CC Marais et Bocage

CC du Talmondais

CC Côte de Lumière

CC du Marais Breton Nord

CC Océan Marais de Monts

CC de l'Ile de Noirmoutier CC du Canton de Rocheservière

CC Atlancia

CC des Deux Lays

CC du Pays des Herbiers

CC du Pays Mareuillais

CC du Pays de Sainte Hermine

CC du Pays Yonnais

CC du Pays de Fontenay le Comte

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Expérimentation de base de donnéesadresse mutualisée menée par Géo Vendéesur le département. La carte fait le bilan dunombre d’alertes transmises par les collecti-vités entre novembre 2006 et janvier 2012.

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