le chanvre, une nouvelle culture...

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20 NOVEMBRE 2020 PLEIN SOLEIL PLEIN SOLEIL NOVEMBRE 2020 21 ALTERNATIVE ALTERNATIVE ALTERNATIVE ALTERNATIVE Le chanvre, une nouvelle culture alternative Le chanvre, une nouvelle culture alternative Salomé Roussel Le chanvre est connu depuis huit mille ans et trouve son origine en Asie. Il s’est très rapidement répandu sur tous les continents et a été cultivé en Belgique à partir du 10 ème siècle jusqu’en 1950. À la fin du 18 ème siècle, presque tous les agriculteurs en produisaient. Il était alors destiné à la fabrication de cordages, de voilures de bateaux et du linge de table. On l’utilisait également en imprimerie 1 . L’apparition du coton et des fibres synthétiques, ajou- tée à la diabolisation de la plante trop souvent asso- ciée au cannabis a signé la fin de cette culture en Bel- gique. Le chanvre a néanmoins toujours été exploité en France où, dans le Sud du pays, on désignait par « canebière » un champ de chanvre. Cannabis et le chanvre agricole, l’un n’est pas l’autre Le genre botanique cannabis appartient à la famille des Cannabaceae au même titre que le houblon. Le terme « chanvre agricole » est utilisé pour désigner la plante industrielle et sa fibre végétale, tandis que « cannabis » 2 est le nom scientifique utilisé pour dési- gner la forme psychotrope, utilisée comme drogue ou dans un but médical. Botaniquement parlant, les deux variétés font partie de la même espèce, mais si le cannabis possède une quantité de THC (tétrahydrocannabinol) allant jusqu’à 20%, le taux de THC du chanvre agricole ne peut léga- lement pas dépasser les 0,2%. Physiquement aussi les plantes sont différentes. Leurs feuilles se ressemblent, mais le cannabis pousse en buissons touffus tandis que le chanvre semé très densément est très longiligne et, peut atteindre trois mètres cinquante de haut. Bon, beau et chaud La plante de chanvre lorsqu’elle est à maturité se com- pose d’une tige, de feuilles et de graines. La graine du chanvre est appelée chènevis. Après rouissage des tiges, la paille donne d’une part la fibre de chanvre (écorce) et d’autre part la chènevotte (partie centrale et moelleuse). Les graines du chanvre sont comestibles tant pour l’homme que pour l’animal. Elles sont riches en omé- ga 3/6, acides aminées, protéines, fibres, minéraux et vitamines. L'huile végétale de chanvre « bio » 3 est reconnue pour ses propriétés en cosmétique. Elle serait anti-âge, ré- générante et revitalisante. L’huile extraite des graines de chanvre est également convertible en biodiesel. Le chanvre est alors utilisé comme carburant écologique et renouvelable. La chènevotte, très absorbante, s’utilisera en tant que litière ou paillage. Elle sert également à la fabrication de matériaux d'isolation, notamment des blocs de chaux-chanvre. Les fibres durables seront employées pour les cordages, le textile, le papier et, associées à du plastique, elles donneront des matériaux compo- sites (panneaux de portières, capots de coffres, pare- chocs, etc.) 4 . Une plante modèle En Belgique, seuls les agriculteurs sont autorisés à cultiver le chanvre. Ils achèteront des semences certi- fiées et répertoriées et toutes les parcelles de chanvre seront renseignées dans le formulaire de déclaration de superficie PAC. Elles pourront ainsi bénéficier des aides au paiement de base, mais également des aides MAEC (mesures agro-environnementales et clima- tiques). La culture du chanvre fait surtout rêver les consom- mateurs toujours à la recherche de produits locaux et durables. La plante s’adapte au climat ainsi qu’à presque tous les sols en Belgique, elle est écologique et consomme peu d’eau, elle est résistante et ne né- cessite pas de pesticides. Elle pousse très rapidement. Quand les chaleurs diurnes et nocturnes sont presque identiques, elle peut croître jusqu’à 20 cm par jour. Elle nettoie les sols, favorise la biodiversité et entre bien dans les rotations bio. En Wallonie, le chanvre a été réimplanté en 2009. Sa culture est relativement simple, les deux étapes im- portantes étant la mise en place et la récolte. Le semis se fera entre début avril et fin mai quand tout risque de gelée est écarté. Le sol sera meuble et non inondable. Si les conditions climatiques sont bonnes, il y aura une belle levée homogène et couvrante après huit jours seulement. Cela étouffera les mauvaises herbes. Après, le chanvre demande peu d’entretien jusqu’à la récolte. Le soleil ne passant pas à travers les tiges les pieds resteront humides. De plus, la plante a de longues racines lui permettant d’aller puiser de l’eau profondément dans le sol. « La plante pousse autant vers le bas que vers le haut » explique Monsieur Van Malleghem, cultivateur de chanvre à Wiers 5 . On attend les machines Les techniques de récolte seront différentes selon le débouché privilégié. L’agriculteur cherche-t-il à condi- tionner les graines ou les fibres ? La récolte se fait après floraison, avant la montée en graine, si l’agriculteur souhaite récolter une paille avec une fibre de qualité (entre le 21 juillet et mi-août). On coupe le chanvre et on le laisse rouir sur le sol avant d’en faire de grosses balles rondes qui seront passées à la défibreuse. Le défibrage (ou « teillage » pour le lin) est une opération mécanique qui permet de séparer la fibre de la chènevotte de la paille par broyage et bat- tage. La récolte se fera fin septembre ou début octobre si ce sont les graines que l’agriculteur cherche à condi- tionner. Cependant, et c’est là que le bât blesse, la mécani- sation de récolte pose un vrai problème puisqu’il n’y a pas de machine réellement adaptée au chanvre. Puisque la culture du chanvre est restreinte, les fabri- cants de machines agricoles n’ont pas encore construit une machine appropriée. Un filon à exploiter Une autre difficulté, tout aussi importante, consiste à trouver des débouchés en Belgique. Il faut inciter les marchés à s’intéresser aux produits du chanvre. « Actuellement il n’y a pas de débouchés commerciaux pour la paille de chanvre en Belgique. Pour résoudre cela, des essais sont actuellement menés en Wallonie pour produire des fibres longues pour répondre aux attentes du secteur textile. » dit Madame Céline Géradon - Chef de projet Produits et matériaux chez ValBiom 6 . Cette asbl concentre ses recherches pour développer un maximum d’échantillons susceptibles d’intéresser le plus grand nombre possible de fabricants et pour évaluer la faisabilité technique et économique de la mise en place d’une filière fibres longues de chanvre en Wallonie. « Le but est d’assurer un débouché com- mercial et une entrée financière à tout agriculteur qui cultivera du chanvre. » Il faudra donc encore un peu de patience avant de voir des champs de chanvre prospérer en Wallonie même si l’optimisme reste de mise. Salomé Roussel (1) La bible de Gutenberg a été imprimée sur du papier de chanvre en 1455 (2) Aussi appelé weed, marijuana ou chanvre indien (3) En Wallonie la majorité des agriculteurs cultivent la graine de chanvre bio (4) Henry Ford, le célèbre fondateur de Ford, avait fabriqué une voiture végétale « cultivée à partir du sol » en 1941. La carrosserie et les pare-chocs étaient faits de chanvre, de sisal et de paille de blé. Il disait qu’elle était dix fois plus solide que les voitures en acier, moins chère et plus sûre à fabriquer. (5) Wiers, village dans le Hainaut (6) ValBiom (Valorisation de la Biomasse asbl) stimule et facilite la concrétisation d’initiatives durables intégrant la production de biomasse et sa transformation en énergies et matériaux. Pour plus d’infos voir www.valbiom.be Salomé Roussel Le chanvre, une plante qui s’était fait rare dans nos paysages belges, a amorcé son retour dans les champs. D’où vient cette plante ? A-t-elle quelque chose à voir avec le cannabis ? Pourquoi avait-on cessé de la cultiver à grande échelle et qu’en fait-on aujourd’hui ?

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20 NOVEMBRE 2020 PLEIN SOLEIL PLEIN SOLEIL NOVEMBRE 2020 21

ALTERNATIVEALTERNATIVE ALTERNATIVEALTERNATIVE

Le chanvre, une nouvelle culture alternative Le chanvre, une nouvelle culture alternative

Salo

Rous

sel

Le chanvre est connu depuis huit mille ans et trouve son origine en Asie. Il s’est très rapidement répandu sur tous les continents et a été cultivé en Belgique à partir du 10 ème siècle jusqu’en 1950. À la fin du 18 ème siècle, presque tous les agriculteurs en produisaient. Il était alors destiné à la fabrication de cordages, de voilures de bateaux et du linge de table. On l’utilisait également en imprimerie1.

L’apparition du coton et des fibres synthétiques, ajou-tée à la diabolisation de la plante trop souvent asso-ciée au cannabis a signé la fin de cette culture en Bel-gique. Le chanvre a néanmoins toujours été exploité en France où, dans le Sud du pays, on désignait par « canebière » un champ de chanvre.

Cannabis et le chanvre agricole, l’un n’est pas l’autreLe genre botanique cannabis appartient à la famille des Cannabaceae au même titre que le houblon. Le terme « chanvre agricole » est utilisé pour désigner la plante industrielle et sa fibre végétale, tandis que « cannabis »2 est le nom scientifique utilisé pour dési-gner la forme psychotrope, utilisée comme drogue ou dans un but médical.

Botaniquement parlant, les deux variétés font partie de la même espèce, mais si le cannabis possède une quantité de THC (tétrahydrocannabinol) allant jusqu’à 20%, le taux de THC du chanvre agricole ne peut léga-lement pas dépasser les 0,2%. Physiquement aussi les

plantes sont différentes. Leurs feuilles se ressemblent, mais le cannabis pousse en buissons touffus tandis que le chanvre semé très densément est très longiligne et, peut atteindre trois mètres cinquante de haut.

Bon, beau et chaudLa plante de chanvre lorsqu’elle est à maturité se com-pose d’une tige, de feuilles et de graines. La graine du chanvre est appelée chènevis. Après rouissage des tiges, la paille donne d’une part la fibre de chanvre (écorce) et d’autre part la chènevotte (partie centrale et moelleuse).

Les graines du chanvre sont comestibles tant pour l’homme que pour l’animal. Elles sont riches en omé-ga 3/6, acides aminées, protéines, fibres, minéraux et vitamines.

L'huile végétale de chanvre « bio »3 est reconnue pour ses propriétés en cosmétique. Elle serait anti-âge, ré-générante et revitalisante.

L’huile extraite des graines de chanvre est également convertible en biodiesel. Le chanvre est alors utilisé comme carburant écologique et renouvelable.

La chènevotte, très absorbante, s’utilisera en tant que litière ou paillage. Elle sert également à la fabrication de matériaux d'isolation, notamment des blocs de chaux-chanvre. Les fibres durables seront employées pour les cordages, le textile, le papier et, associées à du plastique, elles donneront des matériaux compo-sites (panneaux de portières, capots de coffres, pare-chocs, etc.)4.

Une plante modèle En Belgique, seuls les agriculteurs sont autorisés à cultiver le chanvre. Ils achèteront des semences certi-fiées et répertoriées et toutes les parcelles de chanvre seront renseignées dans le formulaire de déclaration de superficie PAC. Elles pourront ainsi bénéficier des aides au paiement de base, mais également des aides MAEC (mesures agro-environnementales et clima-tiques).

La culture du chanvre fait surtout rêver les consom-mateurs toujours à la recherche de produits locaux et durables. La plante s’adapte au climat ainsi qu’à

presque tous les sols en Belgique, elle est écologique et consomme peu d’eau, elle est résistante et ne né-cessite pas de pesticides. Elle pousse très rapidement. Quand les chaleurs diurnes et nocturnes sont presque identiques, elle peut croître jusqu’à 20 cm par jour. Elle nettoie les sols, favorise la biodiversité et entre bien dans les rotations bio.

En Wallonie, le chanvre a été réimplanté en 2009. Sa culture est relativement simple, les deux étapes im-portantes étant la mise en place et la récolte.

Le semis se fera entre début avril et fin mai quand tout risque de gelée est écarté. Le sol sera meuble et non inondable. Si les conditions climatiques sont bonnes, il y aura une belle levée homogène et couvrante après huit jours seulement. Cela étouffera les mauvaises herbes. Après, le chanvre demande peu d’entretien jusqu’à la récolte. Le soleil ne passant pas à travers les tiges les pieds resteront humides. De plus, la plante a de longues racines lui permettant d’aller puiser de l’eau profondément dans le sol. « La plante pousse autant vers le bas que vers le haut » explique Monsieur Van Malleghem, cultivateur de chanvre à Wiers5.

On attend les machinesLes techniques de récolte seront différentes selon le débouché privilégié. L’agriculteur cherche-t-il à condi-tionner les graines ou les fibres ?

La récolte se fait après floraison, avant la montée en graine, si l’agriculteur souhaite récolter une paille avec une fibre de qualité (entre le 21 juillet et mi-août). On coupe le chanvre et on le laisse rouir sur le sol avant

d’en faire de grosses balles rondes qui seront passées à la défibreuse. Le défibrage (ou « teillage » pour le lin) est une opération mécanique qui permet de séparer la fibre de la chènevotte de la paille par broyage et bat-tage.

La récolte se fera fin septembre ou début octobre si ce sont les graines que l’agriculteur cherche à condi-tionner.

Cependant, et c’est là que le bât blesse, la mécani-sation de récolte pose un vrai problème puisqu’il n’y a pas de machine réellement adaptée au chanvre. Puisque la culture du chanvre est restreinte, les fabri-cants de machines agricoles n’ont pas encore construit une machine appropriée.

Un filon à exploiter Une autre difficulté, tout aussi importante, consiste à trouver des débouchés en Belgique. Il faut inciter les marchés à s’intéresser aux produits du chanvre.

« Actuellement il n’y a pas de débouchés commerciaux pour la paille de chanvre en Belgique. Pour résoudre cela, des essais sont actuellement menés en Wallonie pour produire des fibres longues pour répondre aux attentes du secteur textile. » dit Madame Céline Géradon - Chef de projet Produits et matériaux chez ValBiom 6. Cette asbl concentre ses recherches pour développer un maximum d’échantillons susceptibles d’intéresser le plus grand nombre possible de fabricants et pour évaluer la faisabilité technique et économique de la mise en place d’une filière fibres longues de chanvre en Wallonie. « Le but est d’assurer un débouché com-mercial et une entrée financière à tout agriculteur qui cultivera du chanvre. »

Il faudra donc encore un peu de patience avant de voir des champs de chanvre prospérer en Wallonie même si l’optimisme reste de mise.

Salomé Roussel

(1) La bible de Gutenberg a été imprimée sur du papier de chanvre en 1455(2) Aussi appelé weed, marijuana ou chanvre indien(3) En Wallonie la majorité des agriculteurs cultivent la graine de chanvre bio(4) Henry Ford, le célèbre fondateur de Ford, avait fabriqué une voiture

végétale « cultivée à partir du sol » en 1941. La carrosserie et les pare-chocs étaient faits de chanvre, de sisal et de paille de blé. Il disait qu’elle était dix fois plus solide que les voitures en acier, moins chère et plus sûre à fabriquer.

(5) Wiers, village dans le Hainaut(6) ValBiom (Valorisation de la Biomasse asbl) stimule et facilite la

concrétisation d’initiatives durables intégrant la production de biomasse et sa transformation en énergies et matériaux. Pour plus d’infos voir www.valbiom.be

Salo

Rous

sel

Le chanvre, une plante qui s’était fait rare dans nos paysages belges, a amorcé son retour dans les champs. D’où vient cette plante ? A-t-elle quelque chose à voir avec le cannabis ? Pourquoi avait-on cessé de la cultiver à grande échelle et qu’en fait-on aujourd’hui ?