Éloge de la folie (fiche de lecture) · 2013-07-29 · l’importance du message des auteurs...

Éloge de la folieÉrasme

Fiche de lectureDocument rédigé par Nathalie Roland

maitre en histoire(Université de Liège)

lePetitLittéraire.fr

Rendez-vous sur lePetitLittéraire.fr et découvrez : plus de 1200 analyses claires et synthétiques téléchargeables en 30 secondes à imprimer chez soi

RÉSUMÉ 3

ÉCLAIRAGES 5Le contexte intellectuel : l’humanisme

Le contexte politique et religieux

CLÉS DE LECTURE 7Un éloge ironique et paradoxal

Le genre de l’élogeIronie et paradoxe

Érasme et l’humanismeUn humaniste chrétienL’omniprésence de l'AntiquitéL’importance de la pédagogie

L’Éloge de la folie et les questions religieuses

La folie dans l’histoire

PISTES DE RÉFLEXIONS 12

POUR ALLER PLUS LOIN 13

http://www.lepetitlitteraire.fr

2Éloge de la folieFiche de lecture –LePetitLittéraire.fr –

ÉrasmeÉcrivain, humaniste et théologien hollandais

• Né vers 1469 à Rotterdam • Décédé en 1536 à Bâle• Quelques-unes de ses œuvres :

Éloge de la folie (1511) essaiLibre arbitre (1524) essaiLa Civilité puérile (1530) essai

Né d’une union illégitime, Desiderius Erasme Rotterdamus (vers 1469-1536) commence une carrière religieuse. Secrétaire et proche d’hommes puissants, il multiplie les voyages et les rencontres. Au contact d’érudits et d’imprimeurs d’Europe, il décide alors de vivre de sa plume : il écrit au sujet de l’éducation et de la philosophie politique, édite et traduit des textes antiques et chrétiens, et rédige des œuvres polémiques et religieuses. Auteur d’une importante correspondance, il défend, tout au long de sa vie, les belles-lettres et l’importance du message des auteurs antiques.

Éloge de la folieUn texte complexe sous

un discours amusant

• Genre : essai• Édition de référence : Éloge de la folie, traduit par

Pierre de Nolhac, Paris, GF-Flammarion, 1964, 190 p.• 1re édition : 1511• Thématiques : folie, religion, critique sociale,

ironie, vices

Publié en 1511, l’Éloge de la folie cache sous un discours amusant un texte complexe : la Folie fait son propre éloge tout en critiquant, d’une part, la société et en apportant, d’autre part, des réflexions profondes sur la religion. L’auteur a utilisé le grec pour faire un jeu de mots avec le mot folie (moriae en grec) qui renvoie à l'un de ses amis de longue date, Thomas More. Aux yeux d’Érasme, cet ouvrage n’est qu’une « bagatelle » (p. 14) qu’il a écrite lors d’un voyage à cheval. Pourtant, ce livre sera largement critiqué. Bien que s’adressant à un public ciblé puisqu'il a été écrit en latin, le texte est traduit et largement diffusé. Les illustrations du graveur Hans Holbein ont largement contribué à sa popularisation.

http://www.lepetitlitteraire.fr/ebooks



RÉSUMÉ

Le résumé a été subdivisé en différentes parties selon les thèmes abordés dans le texte.

DÉDICACEÉrasme dédicace ce livre à son ami l’humaniste Thomas More (chancelier d'Angleterre, 1478-1535), et lui demande de le défendre. Le texte s’inscrit dans la lignée des textes antiques : il dénonce les vices en général sans attaquer quelqu’un en particulier.

LA FOLIE SE PRÉSENTE (CHAPITRES 1-10)Bien qu’elle se sache critiquée, la Folie connait la puissance de son pouvoir : « Moi seule, réjouis les Dieux et les hommes. » (p. 17) Devant le manque de reconnaissance des Hommes, elle décide de faire son propre éloge.

Elle est née de Plutus, dieu de la richesse, dans les iles Fortunées. Élevée par l’Ivresse et l’Igno-rance, elle vit entourée de ses « serviteurs » (p. 21) qui l’aident à diriger le monde : Amour-propre, Flatterie, Oubli, Paresse, Volupté, Étourderie, Mollesse, Bonne Chère et Sommeil Profond. Puisque le rôle des dieux est de soulager les hommes, elle se considère comme la divinité suprême étant donné qu'elle les apaise tous.

SANS LA FOLIE, LA VIE N’EXISTERAIT PAS ! (CHAPITRES 11-46)La Folie affirme que la vie sans elle ne serait pas possible. D’un point de vue rationnel, personne n’aurait l’idée de se marier ou de faire un enfant. Sans elle, il n’y aurait pas de plaisir dans l'existence. Grâce à elle, les enfants, tout comme les vieillards qui retombent en enfance, vivent heureux. Elle est présente même chez les dieux.

Selon elle, « Dame Nature […] a bien pris soin de laisser en tout un grain de folie » (p. 27). Si l’homme a à la fois la raison et la passion, la seconde est présente en lui en bien plus grande quantité. Sur les conseils de la Folie, Jupiter a donné à l’homme « un animal délicieux fol et déraisonnable » (p. 28) : la femme.

C’est encore à l’initiative de la Folie que nait l’amitié. Elle en conclut que sans elle, « aucune société n’a d’agrément, aucune liaison n’a de durée » (p. 31). Aidée de l’Amour-propre, elle permet aux hommes de se supporter les uns les autres. Mais elle est aussi à l’origine des guerres.

Sans elle, il n’y aurait pas de bon sens : celui-ci vient de l’expérience, or personne ne tenterait quoi que ce soit sans un peu de folie.




Si la Folie génère « l’illusion, l’erreur et l’ignorance » (p. 40), elle estime qu’il n’existe pas de pire fléau pour l’homme que le savoir. Elle affirme donc que « plus on est fou, plus on est heureux » (p. 47), et donne quelques exemples de fous que l’Amour-propre rend satisfaits d’eux-mêmes. De même, la Flatterie apporte aussi ses bienfaits : elle est « le miel et le condiment de toutes les relations entre les hommes » (p. 53).

LA FOLIE ET SES ADEPTES (CHAPITRES 47-61)Bien que personne n’ait de reconnaissance pour elle, la Folie n’exige rien : elle n’en a pas besoin car elle possède tout l’univers. Elle touche tant les grands que les petits, les dieux comme les marchands. La Folie se lance alors dans une longue énumération de tous ceux qui dépendent d’elle.

Il y a les grammairiens qui se torturent l’esprit, les poètes qui séduisent par des fables, les rhé-teurs et les écrivains qui rédigent des sottises. Elle mentionne aussi les vaniteux jurisconsultes, les dialecticiens et les sophistes qui ne cessent de bavarder et de se disputer. Elle pense également aux philosophes qui expliquent des phénomènes inexplicables. Elle n’oublie pas les théologiens qu’elle dit « irritables » et maitres en « subtiles niaiseries » (p. 64). De même, les religieux et les moines apparaissent comme orgueilleux et bien éloignés des préceptes du Christ.

Elle voit dans les princes et rois, seuls à lui rendre hommage, des personnages ignorants des lois, pensant uniquement à leur propre bien et plaisir. Les gens de cour « rampants », « serviles » et « sots » (p. 75) ne vivent que par et pour la flatterie. Quant aux papes, elle dénonce leur gout pour le luxe et la guerre. Elle mentionne aussi les cardinaux préoccupés par l’ambition et les évêques intéressés par leurs revenus. Puis elle s’arrête : elle ne veut pas tomber dans la satire des papes et des évêques (p. 79).

DE LA FOLIE À LA FOLIE CHRÉTIENNE (CHAPITRES 62-68)Après avoir cité quelques exemples de grands auteurs antiques qui ont loué les actions de la Folie, elle s’intéresse à ce qu’ont dit d’elle les auteurs chrétiens. Elle s’arrête sur saint Paul qui parle beaucoup d’elle. Elle constate également que ceux chez qui elle a le plus d’emprise, à savoir les femmes, les enfants et les pécheurs, ont toujours été appréciés de Dieu. La Folie avance donc que « la religion chrétienne paraît avoir une certaine parenté avec la Folie » (p. 90). Elle invite ensuite le lecteur à tout oublier et à applaudir.

Cette édition est suivie d’une réponse d’Érasme (1515) à son ami le théologien Martin Dorpius (1480-1525). Ce dernier se fait le porte-parole des théologiens fortement critiqués dans l’Éloge de la folie. Dans sa lettre, l’auteur se justifie : il n’a pas cherché à offenser quiconque, mais il a voulu, tout en utilisant un ton léger, dénoncer certaines vérités. Toutefois, le théologien critiquera dans une nouvelle lettre le travail d’Érasme. En 1516, Thomas More écrit à Dorpius pour riposter et, quelques années plus tard, il fait paraitre une lettre pour défendre son ami, calomnié par un moine.




ÉCLAIRAGES

L’essai d’Érasme s’inscrit pleinement dans les mutations qui apparaissent à la Renaissance, une période extrêmement riche du point de vue intellectuel, littéraire et artistique, mais très troublée sur les plans politique et social.

LE CONTEXTE INTELLECTUEL : L’HUMANISMENé en Italie au xive siècle avant de s’étendre à toute l’Europe au cours des xve et xvie siècles, l’humanisme désigne un mouvement de renouveau dans les lettres et la pensée qui remet en question la vision du monde, les connaissances, les modèles littéraires et artistiques, les tradi-tions, les institutions, etc. D’une part, l’homme se trouve remis au centre des préoccupations, d’autre part, les érudits de l’époque redécouvrent l’Antiquité : ils la considèrent comme un « passé glorieux » par opposition au Moyen Âge, période « sombre et sans intérêt ». Ils éditent les textes des auteurs anciens de manière critique – c’est-à-dire en donnant de ceux-ci une version la plus proche du texte d’origine – et les diffusent à grande échelle soit grâce à l’imprimerie, soit en y faisant allusion dans leurs œuvres. Cet amour de l’Antiquité ne fait cependant pas oublier le fait que les anciens, si brillants soient-ils, sont des païens : les humanistes tentent alors de concilier l’héritage antique avec la tradition chrétienne.

LE CONTEXTE POLITIQUE ET RELIGIEUXAu début du xvie siècle, l’Europe est déchirée par les conflits : les États rivaux ont pour seul objectif d’agrandir leurs territoires, engendrant famines, massacres et épidémies dans les populations. La France se remet à peine de la guerre de Cent Ans (1337-1453) contre l’Angleterre et se lance dans les guerres d’Italie (1494-1530) qui l’opposent aux Habsbourg (famille qui a régné pendant de nombreuses années sur le Saint Empire romain germanique, l'Autriche, l'Espagne, la Bohême et la Hongrie). L’Angleterre retrouve un peu de stabilité politique après la guerre des Deux-Roses (1450-1485) qui opposaient deux familles nobles pour la couronne : les York et les Lancastre. Mais elle s’allie avec les Habsbourg pour contrer la France. L’Espagne est quant à elle toujours divisée malgré l’intervention des rois catholiques d’Aragon et de Castille pour chasser le dernier roi musulman de Grenade (1492). Le monarque du Portugal a imposé son autorité : le royaume devient une puissance importante, notamment en établissant des colonies en Amérique. Le Saint Empire et l’Autriche détenus par les Habsbourg poursuivent une politique de mariage avec les familles régnantes d’Europe afin de s’imposer politiquement.

Sur le plan religieux, l’Église est secouée par différents courants de pensée qui remettent en cause la religion catholique et ses représentants : ils dénoncent les abus du pape et les vices du clergé ; ils veulent retrouver une religion plus proche des principes originels et un accès direct




à la Bible sans interprétation du clergé. En 1517, le moine allemand Luther (1483-1546) critique l’Église, mais celle-ci ne comprend pas ses reproches et ne réagit pas. L’Église chrétienne est alors divisée entre catholiques et protestants, créant ainsi de nombreux conflits.




CLÉS DE LECTURE

UN ÉLOGE IRONIQUE ET PARADOXAL

Le genre de l’éloge

L’éloge est un genre littéraire provenant de l’Antiquité qui consiste à célébrer une institu-tion ou une personne. Dans le cas de l’Éloge de la folie, il convient néanmoins de faire deux remarques préalables.

D’une part, l’auteur de cet éloge n’est pas vraiment Érasme. En effet, dès les premiers mots du texte, il est précisé que « c’est la Folie qui parle » (p. 17). À la fin du discours, elle invite le lecteur à tout oublier : elle est comme frappée d’amnésie. Cette distance prise par l’humaniste constitue non seulement un procédé littéraire, la prosopopée – qui consiste à donner la parole à une personne absente ou à une abstraction (ici la Folie) –, mais surtout une façon de se protéger : comment prendre le texte au sérieux quand il a été dicté par la folie ?

D’autre part, cet éloge ne peut pas vraiment être qualifié comme tel. Dans la dédicace, l’auteur parle d’une « petite déclamation » (p. 13). Ce genre, également originaire de l’Antiquité, renvoie à l’art oratoire, à la rhétorique, c’est-à-dire l’art de bien parler : l’orateur doit maitriser sa voix, ses intonations, ses gestes et ses expressions, et savoir articuler correctement. Au cours de l’Antiquité, de nombreux auteurs ont donné des conseils au travers de manuels de rhétorique comme Cicéron (106-43 av. J.-C.) ou Quintilien (vers 30-100 ap. J.-C.).

Respectant les règles de la rhétorique, le texte d’Érasme comprend quatre parties :

• l’exorde : bref exposé du sujet traité ;• la narration : exposé des faits ;• la confirmation : ensemble des preuves et réfutation des arguments adverses ;• la péroraison : conclusion sous forme d’amplification ou de récapitulation.

Dans la Grèce antique, les professeurs de rhétorique les plus reconnus étaient les sophistes. Pour savoir maitriser le discours, ils enseignaient à leurs élèves non seulement l’art de bien pro-noncer, mais aussi les moyens de persuader l’auditoire (raisonnements, techniques logiques, etc.). Ils les amenaient également à défendre publiquement une thèse et son contraire ou des éléments improbables afin de leur apprendre à développer davantage d’arguments.

Le discours de la Folie est, selon ses propres termes, une « effusion de verbiage » (p. 94) et un « éloge inépuisable » (p. 81). Elle parle sans s’arrêter et semble avoir un besoin irrépressible de parler : elle s’exprime de manière tantôt rapide (grâce aux énumérations), tantôt plus posée (en développant des exemples) ; son discours suit le fil de sa pensée souvent désordonnée (« J’en reviens à mon sujet », p. 34 ; « j’en ai assez […]. Passons à un sujet moins sérieux », p. 39 ; « Je me hâte », p. 51), à la manière d’une logorrhée, trouble généralement associé à des maladies mentales.




Ironie et paradoxe

Un des éléments essentiels de ce discours est l’ironie. La Folie sait susciter le rire par son ton mordant et sa maitrise de la raillerie : « le crieur (pardon, je voulais dire l’orateur) » (p. 54) ou « un fou… – excusez-moi, je voulais dire un savant homme… » (p. 71).

Par ailleurs, les paradoxes sont un autre élément important du texte :

• cet éloge, qui est au départ celui de la Folie, se transforme en éloge de la religion chrétienne ;• le texte se présente comme un long bavardage, or Érasme, tout au long de sa carrière, a écrit

des livres au sujet de la maitrise de la langue ;• les idées de la Folie sont le contraire de ce que l’humaniste défend dans ses autres œuvres :

ʟ il critique la théorie de Platon qui préconise que les gouvernants soient des philosophes alors qu’il affirme le contraire dans son traité d’éducation pour le prince (De l’institution du prince chrétien, 1516) ;

ʟ il présente le mariage comme un produit de la folie. Pourtant, il a écrit L’Institution du mariage chrétien (1526) dans lequel il affirme l’importance de cette union ;

ʟ il attaque les stoïciens (comparés à des « grenouilles », p. 46), mais il a édité, en 1515 et en 1529, l’un de leurs plus célèbres représentants, Sénèque (écrivain latin, vers 60-39 av. J.-C.) ;

ʟ il loue la flatterie bien qu’il reprenne les théories de Plutarque (écrivain grec, vers 50-vers 125), très critique à ce sujet.

ÉRASME ET L’HUMANISME

Un humaniste chrétien

L’humanisme d’Érasme est généralement qualifié de chrétien pour plusieurs raisons :

• tout d’abord, il s’est engagé dans une contestation de la religion et de ses excès ;• ensuite, il s’est intéressé à des questions religieuses comme le mariage, l’art de prêcher ou la

paix entre les différentes religions ;• enfin, il a accordé une grande importance à l’édition d’une traduction du Nouveau Testament

qui ne trahit pas le texte d’origine et à des commentaires sur les Psaumes.

Le texte d’Érasme montre bien sa volonté de concilier les deux héritages, antique et chrétien. Il mentionne à de nombreuses reprises l’Antiquité, tout en citant des passages de la Bible, de saint Paul ou en renvoyant à des théologiens. À la fin de son discours, la Folie relève les similitudes entre les chrétiens et les adeptes de Platon.

Mais l’humanisme d’Érasme ne s’arrête pas là.




L’omniprésence de l'Antiquité

L’Éloge de la folie, par sa forme et son titre, est déjà un hommage à la rhétorique de l’Antiquité. Aussi, dès la dédicace, l’auteur évoque-t-il des textes antiques dont il partage l’esprit.

Les nombreuses évocations de l’Antiquité couvrent aussi bien la Grèce que Rome ou l’Égypte et touchent des domaines aussi variés que :

• la langue et le vocabulaire : il différencie les « morotatoï » (les « fous sages ») des « morosophoï » (les « sages fous », p. 19) ;

• la littérature : il cite non seulement de nombreux auteurs (Homère, p. 24 ; Euripide, p. 45 ; Cicéron, p. 46 ; Aristote, p. 83 etc.), en précisant même le livre dont est tirée la phrase, mais il imite également leur style (ce sont des réminiscences stylistiques : l’édition de référence en répertorie bon nombre) ;

• la mythologie, les légendes et les croyances : il connait les dieux et leurs rôles, leurs représenta-tions, leurs lieux de culte, les personnages mythologiques, ainsi que les héros et leurs légendes ;

• la nature : il énumère les plantes antiques comme l’ambroisie ou le népenthès ;• les arts : il parle des peintres grecs Apelle (vers le ive siècle av. J.-C.) et Zeuxis (vers le ve et le

ive siècle av. J.-C.) ;• la médecine : il mentionne l’ellébore, plante utilisée comme remède contre la folie.

Ces nombreuses allusions montrent qu’Érasme avait une connaissance approfondie de cette période, de ses mœurs et de son histoire. Ces informations proviennent de ses lectures : il les a d’ailleurs compilées en 1500 dans les Adages (citations célèbres de l’Antiquité), réédités et augmentés à plusieurs reprises.

L’importance de la pédagogie

Érasme a consacré une part importante de sa vie et de son œuvre à démontrer l’importance de l’éducation aussi bien pour les hommes les plus puissants que pour tous les enfants et même les femmes, ce qui est rare pour l’époque. Selon lui, la pédagogie doit surtout être pratique et passe par le langage, qui distingue l’homme de l’animal : lorsqu’un enfant nait, il ne peut pas parler, il ressemble à un animal et n’est donc pas vraiment humain ; mais lorsqu’il apprend à maitriser son langage, il devient véritablement un homme. L’éducation doit en outre former la morale et la vertu.

L’importance qu’il accorde aux langues s’explique par plusieurs raisons. D’une part, les langues sont un moyen d’accéder aux savoirs et aux contenus de la littérature antique. D’autre part, connaitre les langues est nécessaire pour éditer correctement les textes anciens chrétiens (la Bible a été rédigée en hébreu, puis traduite en grec et enfin en latin) ou païens. En travaillant sur diverses éditions, l’humaniste se rend compte des nombreux contresens et erreurs présents dans les textes. Dans l’Éloge de la folie, Érasme montre combien les tentatives des humanistes pour rétablir les textes originaux sont négligées par les théologiens. À partir de là, il cherche à




convaincre les théologiens d’apprendre les langues anciennes (grec et hébreu) pour bien com-prendre la Bible. C’est également pour ces raisons que l’humaniste participe à la fondation du Collège trilingue de Louvain en 1517.

L’Éloge de la folie contient plusieurs outils pédagogiques fréquemment utilisés par l’humaniste. En voici quelques exemples :

• le vocabulaire : il donne les noms sous leurs formes grecque et latine ;• les exempla : ce sont des anecdotes réelles ou fictives amenant une morale positive ou néga-

tive concernant les hommes ou les animaux, qui servent à illustrer une idée. Ces exempla permettent de faire comprendre un concept au lecteur et de s’en rappeler ;

• le rire : il permet de dénoncer les travers de ses contemporains avec légèreté afin de les aider à modifier leur comportement.

L’ÉLOGE DE LA FOLIE ET LES QUESTIONS RELIGIEUSESL’Éloge de la folie ne doit pas être lu comme un simple divertissement : cet ouvrage contient un message profond et réfléchi sur la religion, message qui se divise en deux thèmes principaux.

D’une part, Érasme, à l’image de nombreux autres érudits, critique les abus et l’éloignement de l’Église vis-à-vis des principes originels. En plus de dénoncer l’incompétence des théologiens, il s’attaque notamment :

• au pape, à qui il reproche de se comporter davantage comme un prince accumulant les richesses que comme un serviteur de Dieu (il vise notamment le Pape Jules II (1443-1513) qui a entrepris plusieurs guerres pour enrichir les terres de l’Église) ;

• au culte des saints et à la piété, devenus un ensemble de superstitions : les gens s’adressent à tel ou tel saint pour être protégé d’une maladie, etc. ;

• aux religieux mendiants qui ne respectent pas leurs vœux de pauvreté et de charité ;• au trafic des indulgences (remise de peine pour les croyants pour se rendre plus vite au paradis).

Tous ces reproches s’inscrivent dans le contexte religieux de l’époque. Érasme a été sensible à un mouvement spirituel appelé la Dévotion moderne, né aux Pays-Bas à la fin du xive siècle et à un de ses représentants, Thomas a Kempis (auteur présumé de l’Imitation de Jésus-Christ, un des ouvrages le plus lu dans le monde après la Bible, 1379-1471). Ces adeptes défendent une religion plus intérieure et destinée à imiter plus simplement les principes de la vie du Christ.

D’autre part, à la fin du discours, la Folie se base sur les théories de Platon (dissociation de l’âme et du corps) et de saint Paul pour affirmer que « le bonheur recherché par les chrétiens, au prix d’épreuves, n’est qu’une sorte de démence et de folie » (p. 90). Le texte se transforme en une conversion presque mystique qui permet au fou (qui prend alors un sens positif : c’est un fervent chrétien) d’atteindre Dieu et de connaitre ses mystères.

De manière générale, la conception de la religion d’Érasme sera critiquée tant par les théolo-giens conservateurs (choqués par ses dénonciations et idées nouvelles) que par les réformés (qui trouvent qu’il ne va pas assez loin).




LA FOLIE DANS L’HISTOIREDepuis la nuit des temps, la folie fascine et en même temps effraie. Dès l’Antiquité, Hippocrate, médecin grec (460-377 av. J.-C.), la reconnait comme une maladie de l’esprit, différente d’une maladie du corps. Dans la mythologie, le cas d’Hercule, frappé de démence, qui a mangé ses enfants, reste célèbre, tout comme certains rituels de transe. Dans la réalité aussi, les exemples troublent : l’empereur romain Caligula (12-41 apr. J.-C.) a acquis une triste réputation en raison de ses accès de folie et de violence. Érasme cite également plusieurs auteurs antiques – Horace (65-8 av. J.-C.), Homère (viiie siècle av. J.-C.) et Cicéron – qui ont loué les actions de la folie.

Au Moyen Âge, les médecins recourrent à la trépanation (technique médicale qui consiste à ouvrir la boite crânienne en vue d’agir sur le cerveau) pour soigner la folie. Cette opération fut notam-ment pratiquée sans succès sur Charles VI (1368-1422), victime d’accès de fureur par intermittence.

La folie s’apparente également à la possession par le diable contre laquelle les religieux luttent grâce aux exorcisations. La folie envahit également le domaine religieux : durant cette époque, il existe un nombre impressionnant de « fous de Dieu », des personnes qui se font passer pour le Christ ou un prophète. Bien qu’il la transforme, Érasme évoque la folie de Dieu : « Nous sommes fous pour le Christ. » (p. 87)

Mais le fou médiéval est avant tout ambivalent. Loin de cette image négative, il est aussi le bouf-fon et est un élément essentiel dans les cours européennes : ces personnes, souvent malformées (nains, bossus, etc.), déclenchent le rire et sont les seuls à pouvoir parler de manière très libre aux plus grands.

C’est également à cette période qu’apparait la fête des Fous qui n’est pas sans rappeler la fête du Carnaval : les gens y sont costumés et se défoulent dans les lieux de culte. De même, Érasme a revêtu le masque de la Folie pour pouvoir parler librement.

Durant la Renaissance, le fou est à la mode : il représente et dénonce le monde retourné par un contexte politique, religieux et social difficile. En 1494, Sébastien Brant (humaniste et poète saty-rique alsacien, 1458-1521) fait paraitre La Nef des fous, un ouvrage illustré dans lequel il dénonce les vices de ses contemporains. Ce texte, ainsi que le De triumpho stultitiae de l’humaniste italien Faustino Perisauli (1450-1523), ont inspiré Érasme pour sa propre satire. De même, dans l’art, le fou tient un rôle similaire dans les peintures de Jérôme Bosch (1450-1516) ou Pieter Bruegel (vers 1525-1569). En résumé, il faut renverser le monde pour qu’il redevienne normal : « Que celui d’entre vous qui paraît sage devienne fou pour être sage ! » (p. 87)

Par la suite, l’image du fou est nettement moins positive. Avec le xviie siècle commence ce que Michel Foucault (philosophe français, 1926-1984) appelle le « grand renfermement ». L’hôpital général de Paris est fondé par un édit qui vise à enfermer dans ce type d’établissement les fous et surtout les mendiants et les pauvres pour lutter contre leur nombre croissant. À partir du xixe siècle, c’est la naissance et le développement de la psychiatrie : les premiers asiles sont construits et les spécialistes tentent de comprendre les rouages de la folie – Jean-Martin Charcot (1825-1893), par exemple, étudie les hystériques à l'hôpital de la Salpêtrière à Paris.




PISTES DE RÉFLEXIONS

QUELQUES QUESTIONS POUR APPROFONDIR SA RÉFLEXION…• Par quel(s) moyen(s) et argument(s) l’humaniste défend-il son ouvrage ?• Analysez cette citation : « La guerre est une chose si féroce qu’elle est faite pour les bêtes et

non pour les hommes. » (p. 78)• Au moyen de citations, montrez que ce texte correspond aux idées humanistes.• « Rien n’est plus sot que de traiter avec sérieux de choses frivoles ; mais rien n’est plus spirituel

que de faire servir les frivolités à des choses sérieuses. » (p. 14) En quoi cette phrase est-elle un bon résumé de l’Éloge de la folie ?

• Vu les nombreuses critiques qu’il a suscitées à son époque, quelles réactions engendreraient un livre similaire à l’Éloge de la folie à l’heure actuelle ?

• Comment Érasme rend-il son texte vivant et léger ? Citez des exemples.• Le discours de la Folie représente-t-il la pensée d’Érasme ou défend-il son contraire ? Expliquez.• Si « la Sagesse consiste à se faire guider par la raison, la Folie à suivre la mobilité des passions »

(p. 27), selon vous, faut-il choisir la raison ou les passions ?• Quel(s) rapport(s) y a-t-il entre cette œuvre et L’Utopie de Thomas More (1516)?




POUR ALLER PLUS LOIN

ÉDITION DE RÉFÉRENCE• Érasme, Éloge de la folie, traduction de Pierre de Nolhac, Paris, GF-Flammarion, 1964.

ÉTUDES DE RÉFÉRENCE• « Depuis quand a-t-on peur des fous ? La folie d’Érasme à Foucault » in Histoire – les collections

(n°51), Paris, avril-juin 2011.• « Les Nouveaux chemins de la connaissance - La Folie 4/4 : Érasme », émission de Enthoven

R. avec Margolin J.-C. sur http://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-la-folie-44-erasme-rediffusion-2010-11-05.html

• Halkin L.-E., Érasme, Paris, Fayard, 1987, p. 115-138.• Margolin J.-C., « Érasme (1467 ?-1536) » in Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée

(Paris, UNESCO), vol. XXIII, n° 1-2 (1993), p. 337-356.• Ménager D., Érasme (1469-1536), Paris, Desclée de Brouwer, 2003.• Screech M. A., Érasme. L’extase et l’Éloge de la folie, traduction de J. Chambert, Paris,

Desclée, 1991.

© LePetitLittéraire.fr, 2013. Tous droits réservés.www.lepetitlitteraire.fr




Anouilh• Antigone

Balzac• Eugénie Grandet• Le Père Goriot• Illusions perdues

Barjavel• La Nuit des temps

Beaumarchais• Le Mariage de Figaro

Beckett• En attendant Godot

Breton• Nadja

Camus• La Peste• Les Justes• L’Étranger

Céline• Voyage au bout

de la nuit

Cervantès• Don Quichotte

de la Manche

Chateaubriand• Mémoires d’outre-tombe

Choderlos de Laclos• Les Liaisons dangereuses

Chrétien de Troyes• Yvain ou le

Chevalier au lion

Christie• Dix Petits Nègres

Claudel• La Petite Fille de

Monsieur Linh• Le Rapport de Brodeck

Coelho• L’Alchimiste

Conan Doyle• Le Chien des Baskerville

Dai Sijie• Balzac et la Petite

Tailleuse chinoise

De Vigan• No et moi

Dicker• La Vérité sur l’affaire

Harry Quebert

Diderot• Supplément au Voyage

de Bougainville

Dumas• Les Trois Mousquetaires

Énard• Parlez-leur de batailles,

de rois et d’éléphants

Ferrari• Le Sermon sur la

chute de Rome

Flaubert• Madame Bovary

Frank• Journal d’Anne Frank

Fred Vargas• Pars vite et reviens tard

Gary• La Vie devant soi

Gaudé• La Mort du roi Tsongor• Le Soleil des Scorta

Gautier• La Morte amoureuse• Le Capitaine Fracasse

Gavalda• 35 kilos d’espoir

Gide• Les Faux-Monnayeurs

Giono• Le Grand Troupeau• Le Hussard sur le toit

Giraudoux• La guerre de Troie

n’aura pas lieu

Golding• Sa Majesté des Mouches

Grimbert• Un secret

Hemingway• Le Vieil Homme et la Mer

Hessel• Indignez-vous !

Homère• L’Odyssée

Hugo• Le Dernier Jour

d’un condamné• Les Misérables• Notre-Dame de Paris

Huxley• Le Meilleur des mondes

Ionesco• La Cantatrice chauve

Jary• Ubu roi

Jenni• L’Art français

de la guerre

Joffo• Un sac de billes

Kafka• La Métamorphose

Kerouac• Sur la route

Kessel• Le Lion

Larsson• Millenium I. Les hommes

qui n’aimaient pas les femmes

Le Clézio• Mondo

Levi• Si c’est un homme

Levy• Et si c’était vrai…

Maalouf• Léon l’Africain

Malraux• La Condition humaine

Marivaux• Le Jeu de l’amour

et du hasard

Martinez• Du domaine

des murmures

Maupassant• Boule de suif• Le Horla• Une vie

Mauriac• Le Sagouin

Mérimée• Tamango• Colomba

Merle• La mort est mon métier

Molière• Le Misanthrope• L’Avare• Le Bourgeois

gentilhomme

Montaigne• Essais

Morpurgo• Le Roi Arthur

Musset• Lorenzaccio

Musso• Que serais-je sans toi ?

Nothomb• Stupeur et Tremblements

Orwell• La Ferme des animaux • 1984

Pagnol• La Gloire de mon père

Pancol• Les Yeux jaunes

des crocodiles

Pascal• Pensées

Pennac• Au bonheur des ogres

Poe• La Chute de la

maison Usher

Proust• Du côté de chez Swann

Queneau• Zazie dans le métro

Quignard• Tous les matins

du monde

Rabelais• Gargantua

Racine• Andromaque• Britannicus• Phèdre

Rousseau• Confessions

Rostand• Cyrano de Bergerac

Rowling• Harry Potter à l’école

des sorciers

Saint-Exupéry• Le Petit Prince

Sartre• La Nausée• Les Mouches

Schlink• Le Liseur

Schmitt• La Part de l’autre• Oscar et la Dame rose

Sepulveda• Le Vieux qui lisait des

romans d’amour

Shakespeare• Roméo et Juliette

Simenon• Le Chien jaune

Steeman• L’Assassin habite au 21

Steinbeck• Des souris et

des hommes

Stendhal• Le Rouge et le Noir

Stevenson• L’Île au trésor

Süskind• Le Parfum

Tolstoï• Anna Karénine

Tournier• Vendredi ou la

Vie sauvage

Toussaint• Fuir

Uhlman• L’Ami retrouvé

Verne• Vingt mille lieues

sous les mers• Voyage au centre

de la terre

Vian• L’Écume des jours

Voltaire• Candide

Yourcenar• Mémoires d’Hadrien

Zola• Au bonheur des dames• L’Assommoir• Germinal

Retrouvez notre offre complète sur lePetitLittéraire.fr des fiches de lectures des commentaires littéraires des questionnaires de lecture des résumés

Et beaucoup d’autres sur lePetitLittéraire.fr




Éloge de la folie (fiche de lecture) · 2013-07-29 · l’importance du message des auteurs...

Documents