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  • 8/18/2019 Pierre Rapp

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     Programme : POLITIQUES TERRITORIALES ET DÉVELOPPEMENT DURABLE

    (Ministère Equipement – PUCA, Ministère de l’écologie et du Développement durable -MEDD)

    Le développement durable : un concept planétaire aurisque de dynamiques territoriales maghrébine et

    sahélienne

    (Maroc –Burkina Faso)

    Rapport Final

    L. Pierre-Louis, Institut d’Urbanisme de Paris, Université Paris 12, UMR LOUEST, Equipe Vie Urbaine

    P. Philifert, Université Paris 10, UMR LOUEST, Equipe Mosaïques 

    A. Biehler, Doctorante Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, laboratoire PRODIG UMR 8586

    Septembre 2007

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    Le développement durable : un concept planétaire au risque de dynamiques territoriales maghrébine et sahélienne

    UMR LOUESTUMR LOUESTUMR LOUESTUMR LOUEST - -- - Laboratoire «Vie Urbaine», équipe «Mosaïques» Laboratoire «Vie Urbaine», équipe «Mosaïques» Laboratoire «Vie Urbaine», équipe «Mosaïques» Laboratoire «Vie Urbaine», équipe «Mosaïques»

    Le développement durable : un concept planétaire aurisque de dynamiques territoriales maghrébine et

    sahélienne

    Avant – propos :une intention commune déclinée sur troisterrains.

    Au Maroc, une politique nationale déclinée en stratégies etprojets locaux.

    Pascale Philifert 

    1. Problématiques, questionnements et hypothèses

    1.1. Gouvernance, décentralisation et acteurs de l’aménagement

    1.2. Le développement durable : concept et mise en œuvre, une reconfiguration du jeu

    d’acteurs et des pratiques d’aménagement ?

    2. Émergence et affirmation de la notion de développement durable au Maroc : uneréappropriation marocaine ?

    2.1. Environnement et développement durable : la longue marche2.1.1.  une composante environnementale présente depuis 1968 mais uneproblématisation des questions environnementales dans les années 80/902.1.2. Le tournant des années 1990-2000 : de l’environnement audéveloppement durable une nette inflexion.2.1.3. Vers une approche globale

    2.1.4.  Une attention plus soutenue aux questions sociales ? l’INDH et ledéveloppement durable2.1.5. Un domaine sans domicile fixe, des réassemblages fréquents 

    2.2. Problématiques territoriales, aménagement et développementdurable : vers de nouvelles modalités d’action ?

    2.2.1.  Une histoire chaotique de la planification et de l’aménagement duterritoire et de ses impasses2.2.2. Un changement majeur de vision et de démarche2.2.3. Et la gouvernance ?

    2.2.4. Le changement par les instruments ?

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    •  Les projets de territoire :•  La planification stratégique et les villes : la ville durable, une prise en

    compte à travers de nouvelles modalités de fabrication.•  Un choix pour les métropoles : Le Schéma d’Organisation Fonctionnelle

    et d’Aménagement (SOFA). Des principes au risque des contradictions

    2.2.5.  Les contradictions internes aux politiques publiques, des conflits enpuissance

    3. Stratégies de développement local et projets de développementdurable : une reconfiguration du jeu d’acteurs et despratiques ?

    3.1. Sidi Taibi : un projet emblématique pour une mise en œuvreglobale?

    3.1.1. Un site marqué par des fragilités et des problèmes de tous ordres. Uncontexte sous pression3.1.2.  Un projet de restructuration complexe autour de trois enjeux(urbanistique, environnemental, social)3.1.3. Un démarrage délicat3.1.4. La question particulière de l’eau : promouvoir des solutions durables3.1.5. « En attendant Godot ». Le social : parent pauvre du projet3.1.6. Problèmes et ambiguïtés du projet ; court terme et long terme

    3.2. Le projet de développement urbain du territoire de la province de

    Kenitra : une appropriation locale du développement durable3.2.1. Les fondements d’une nouvelle approche et le rôle moteur du Ministèrede l’urbanisme3.2.2. Des intentions à l’application : le cas du projet de territoire de la régiondu Gharb Chrarda Bni Hssen défini par l’agence urbaine

    •  Un acteur central•  L’affichage de grands principes•  La promotion d’une méthode basée sur le terrain et la négociation•  des projets en concurrence : le lancement du Schéma Régional

    d’Aménagement du Territoire de la Région du Gharb Chrada Bni Hssen etle projet de territoire de l’inspection régionale

    •  Le projet de territoire entre difficultés et changements

    Conclusion.Développement et durabilité : vers un renouveau des politiques publiques eturbaines ?

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    Au Burkina Faso, des intentions étatiques émiettées jusqu’aux villages pour renaître en prémices de

    processus. Liliane PIERRE LOUIS

    Introduction.Principes de développement durable, stratégies d’acteurs, réponses desterrains.

    4. Dispositif pour gouverner vu sous l’angle du développement durable – cadrage généralet manière de l’observer

    4.1. Manières de dire le développement durable 4.1.1. Le repérage à partir du programme D2RT4.1.2. Le glossaire de principe

    •  Développement durable•  Syntagmes récurrents associés à développement

    4.2. Caractéristiques des terrains d’observation 4.2.1. Aperçu du Burkina Faso 

    •  Une thématique domine : la pauvreté•  Un PPTE en décentralisation•  Son éventail de projets et programmes

    Des programmes axés sur « développement et territoire »Des programmes axés sur « développement et institutions »Un programme axé sur la promotion de méthodes et outils pour le développementPeu de structures associatives locales dont l’activité s’inscrit dans la longue durée

    4.2.2. Les cas sur lesquels on s’appuie •  Deux régions rurales au climat éprouvant : le Centre-Nord et le Sahel, la région

    capitale : le Centre.•  Une campagne qui pénètre sa ville chef-lieu, Kaya et son département.•  Des situations villageoises contrastées : Barsalgho, Essakane•  Une ville qui s’impose à sa campagne, de Ouagadougou à Komsilga.

    5. Le développement durable comme objectif ou comme horizon.

    5.1. Conditions5.1.1. Territoires, attaches foncières

    •  Découpage territorial•  Importance de la manière d’appréhender le foncier

    5.1.2. Démarches d’approche : offre, demande et pédagogie•  Approche « offre », approche « demande »•  Maîtrise d’œuvre sociale •  Proximité des agents déconcentrés 

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    5.2. Situations5.2.1. Lieux

    •  Communes urbaines, communes rurales, terres urbaines, terres rurales, et qualitéenvironnementale

    •  Un terrain lourd de contradictions : Essakane et l’orpaillage•  Une commune rurale effrangée par l’étalement urbain de sa métropole : Komsilga

    5.2.2. Acteurs•  Jeu démocratique, jeu partisan, jeu individuel.•  Perspectives de durabilité et structures appropriées

    5.2.3. Moyens •  Crise attendue pour les finances locales

    5.3. Interprétations5.3.1. Un mécanisme lourd de contradictions : la cohabitation de l’orpaillage avec

    l’exploitation industrielle •  Sur le plan social•  En matière d’environnement•  Sur le plan économique

    5.3.2. Des contradictions dans la construction d’une identité collective •  Un dilemme municipal•  La construction d’un « nous » communal•  Gouverner ou obéir•  Le point de repère constitué par le département est actuellement ébranlé•  Ambition individuelle, biens collectifs et expertise locale

    6. Le développement durable comme processus 

    6.1. Modalités, principes et convictions perceptibles6.1.1. Acteurs et comportements

    •  Spécificités et articulation des commissions municipales•  Des dispositifs aux processus

    6.1.2. Principes•  Modernisation ou rénovation sociale•  Gouvernement

    6.1.3. Convictions •  Se méfier des tactiques ancrées•  Savoir conduire un processus•  Associer pédagogie et soumission à la règle

    6.2. Contradictions et obstacles identifiés 6.2.1. Les communes sont encore mal armées et mal positionnées

    •  Un déficit de vision descendante articulée et projective•  Les premiers obstacles et dangers•  Le besoin d’ajustements

    6.2.2. Les rythmes et les manières s’entrechoquent

    •  Des échéances tranchantes

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    •  Des orientations contraintes•  Des rythmes concurrents 

    6.2.3. L’engagement pratiqué n’est pas émancipateur•  La réussite enviée est individuelle et urbaine•  Le dialogue social rivalise avec les négociations professionnelles

    6.3. Glossaire de terrain et questions à mettre en débat6.3.1. Syntagmes fondamentaux pour la démarche 

    •  Légitimité et compétence•  Capacités•  Approche•  Responsabilisation

    Au-delà des mots : encadrement et souveraineté6.3.2. Syntagmes supports de la problématique 

    •  Décision et action•  Capitalisation et gestion d’un patrimoine•  Acquis et expertise

    Au-delà des mots : durable par accumulation ou par progressivité ?6.3.3. Syntagmes outils du processus 

    •  Conditionnalité•  Chaîne d’opérations•  Arbitrage•  Alphabétisation

    Au-delà des mots : l’absence de catalyseur

    ConclusionLe développement durable au Kadiogo, en Oudalan, au Sanmatenga 

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    À Ouagadougou, renouvellement urbain et projet de villedurable : leurs incidences sur la capitale Burkinabé

    Alexandra BIEHLER

    7. Ouagadougou, Capitale du Burkina Faso

    7.1. Une capitale : lieu des enjeux de pouvoir7.2. Ville du Sud, ville durable?7.3. Le projet ZACA comme "fil rouge" : une entrée privilégiée pourobserver la construction de la ville.

    8. Naissance et gestion d'un nouveau quartier. Le quartier et seshabitants

    8.1. Naissance d'un quartier : du projet ZACA à la trame d'accueil, unenouvelle norme urbaine?8.1.1. Un projet urbain pour une capitale moderne8.1.2. L'affirmation de nouvelles normes8.1.3. Une démarche nouvelle, la participation de tous les acteurs estsollicitée8.1.4. La presse offre un espace d'échange à propos du devenir de laville

    8.2. La marge au centre de la ville et le rapport à la périphérie urbaine :vers un appauvrissement de la population pour une ville moderne?8.2.1. De l'abandon à la marge8.2.2. Mise à la norme et processus de précarisation sur la trame

    d'accueil8.3.3. Evaluation de la situation des habitants de le trame d'accueil à

    l'aide d'un certain nombre d'indicateurs•  La mobilité : Distance et précarité.•  Lien social : De la marge spatiale à la marge sociale.•  Nouvelle norme et précarité : Financement, état des travaux, et forme du nouveau

    logement.•  Précarité lié à l'activité : Variation des revenus, changement d'emploi et perte

    d'activité, illégalité et sécurité.•  Nouveau quartier : nouvel environnement.

    8.3. L'engagement et l'investissement des habitants. De la communauté à lacitadinité

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    8.3.1. De la communauté à l'espace public : la création d'uneassociation sur la trame

    8.3.2. Etre citadin pour concevoir la ville dans son unitégéographique, et sa construction dans le temps long

    9. Les élus face à la gestion d'un nouveau quartier

    9.1. La mairie d'arrondissement : sa position face au projet, ses rapportsavec le quartier et les ONG.

    9.1.1. Les habitants de la trame d'accueil sollicitent la mairied'arrondissement pour la gestion du quartier. 

    •  Une mairie d'arrondissement mise devant un " fait accompli".•  Les habitants : initiateurs de la prise de contact avec la mairie

    d'arrondissement.9.1.2. Les moyens de la mairie d'arrondissement et son action.9.1.3. Les ONG et la mairie d'arrondissement partenaires pour une

    gestion durable des quartiers.•  L'exemple de l'eau et l'assainissement avec WaterAid : une aide technique

    et logistique.•  Les ONG importent le concept de durabilité.

    9.2. Gestion et développement de la capitale. Le point de vue de la mairie

    centrale.9.2.1. La mairie centrale, une force de projet pour le développement

    de la ville ou une structure de gestion ?9.2.2. L'histoire d'un partenariat Grand Lyon - Ouagadougou basé

    sur l'aide à la gestion urbaine et l'environnement.•  Une coopération axée sur l'appui à la gouvernance locale.•  La formation, élément clé pour le développement urbain durable.

    9.2.3. La mise en place d'un agenda 21 à Ouagadougou : favoriser la

    cohérence des actions municipale.

    10. L'Etat et les politiques publiques.

    10.1. Une politique spécifique pour le milieu urbain qui se matérialise dansdes guides.

    10.1.1.  Un Guide d'actions communales dans le domaine del'environnement.

    10.1.2.  La SONATUR : vers une politique environnementale

    pour l'aménagement des terrains urbains?

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    Le développement durable : un concept planétaire au risque de dynamiques territoriales maghrébine et sahélienne

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    10.2. Le ministère de l'environnement et du cadre de vie, et l'attention aumilieu urbain

    10.2.1.  Ministère de l'environnement : Une absence de

    concertation pour les projets urbain de la capitale.•  La Direction des Evaluations Environnementales peu sollicité en milieuurbain

    •  La Direction des Aménagements Paysager "fantôme"•  La Direction de l'Assainissement et de la prévention des Pollutions et des

    Nuisances : une politique environnementale de prospective

    10.2.2. Le CONEDD et la succession des grands textes de politiquenationale pour l'environnement.

    •  Rapide historique de la création du Conseil National pour l’Environnementet le Développement Durable

    •  Les grands textes de politique nationale pour l'environnement tenant lieud'Agenda 21 national. 

    ConclusionOuagadougou, ville durable ?

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    Avant-proposUne intention commune déclinée sur trois terrains

    Ce rapport sur le développement durable, concept planétaire au risque de dynamiquesterritoriales maghrébine et sahélienne  est composé de trois contributions dont laméthodologie a été élaborée en commun pour la réponse à l’appel à propositions de recherche.

    Une première série de missions réalisées en 2006 a permis de poser les éléments de contexte

    qui, tout à la fois, caractérisent et contraignent les pays dans lesquels ont été choisis lesterrains d’observation.

    Le rapport intermédiaire avait eu pour fonction de marquer les singularités de chacun desdeux pays et de placer les éléments qui rendaient opératoire l’intention originelle de lecturecroisée.Dès 2006 nous avions montré le caractère emblématique et exemplaire de deux expériencesmarocaines, dévoilé les singularités de territoires provinciaux burkinabè et interrogé les effetspressentis d’un projet urbain grandiose dans la capitale Ouagadougou.

    Pour conclure cette première phase nous avions souligné les aspects démonstratifs dessituations approchées et montré que la poursuite des analyses selon les problématiques dedéveloppement durable s’avérait pertinente.Les missions d’approfondissement réalisées fin 2006 et dans les premiers mois de 2007 ontdonc été consacrées à une analyse et à une interprétation prenant comme clés les critèresreconnus signifiants dans les travaux portants sur le développement durable.

    Cette synthèse de deux années de recherche rapporte trois investigations singulières quiillustrent la variété des situations et des approches qui portent le label de développementdurable et montre que l’une des vertus essentielles de cette labellisation est de provoquer desdébats qui interrogent et réinterrogent les orientations et les pratiques d’aménagement des

    territoires.Cet avant - propos est centré sur l’écho que se renvoient les unes aux autres ces troisinvestigations. Par une lecture croisée, il met en exergue les points forts des trames généralesde nos démonstrations, puis ceux des résultats de nos observations.Il montre les rapprochements et les disparités constatés dans la recherche de ce qui estsupposé faire développement durable et dans ce que les terrains « nous ont dit » puisque notreintention méthodologique initiale était de les « faire parler ».Il montre aussi comment nos interprétations de chercheurs se répondent et il se termine sur laformulation d’une différence globale entre les deux pays objets de cette recherche.

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    La trame générale de la démonstration a varié selon l’ampleur des territoires pris commesupports.Au Maroc et dans le cas burkinabè appréhendé à l’échelon régional, le déroulement duraisonnement est fondé sur la même logique : le premier temps décline les politiques, dans un

    second le chercheur les lit, les analyse et les interprète sur ses terrains permettant ainsi d’allerdu global ou du national au local.Quand l’objet central est le quartier la logique est inverse. Le point de départ est sa place dansville, puis le questionnement de son rôle oriente le raisonnement vers l’autorité de projet,l’autorité municipale puis l’État et les directives politiques qu’il impulse.

    Les trames générales présentent des analogies, mais conduisent àla mise en évidence de singularités.

    * Les premières différences notables tiennent aux contextes socio -politiques.Le Maroc vit une ouverture démocratique et met l’accent sur son ouverture aux circuitsmondiaux de l’économie. Il porte un système de gouvernance en transition, une cultureadministrative plus poussée qu’avant et un développement visible des procédurescontractuelles (notamment dans le domaine de l’environnement).L’ouverture stratégique impulsée par la décentralisation du Burkina Faso reste fortementmarquée par la prégnance de la dette et l’obligation de traitement de la pauvreté quimaintiennent le pays dépendant de l’aide publique au développement (APD) apportée par lesbailleurs multilatéraux. Son ouverture politique est balbutiante, comme en témoignent lesélections municipales de 2006 où, malgré une floraison du multipartisme, la prééminence duparti principal de la mouvance présidentielle lui restitue une posture proche des partis uniquesqui prévalaient dans les régimes des deux premières décennies de l’indépendance des paysafricains au sud du Sahara.

    * Les recherches suivent des déroulements spécifiques…Au Maroc, on suit une progression de la diffusion et du déploiement de la notion puis ladémonstration se focalise sur l’opérationnalité du concept du côté des acteurs et desinstruments d’aménagement.Au Burkina Faso, la notion est émiettée, elle apparaît en saupoudrage dans les textes des

    grandes directives. Il y a de grandes injonctions nationales mais le passage aux politiquessectorielles est court-circuité par les programmes bi latéraux et multi latéraux dedéveloppement dont les dispositifs sont financés en grande partie par l’apport externe del’A.P.D..La démarche qui s’est imposée a été d’entrer par les deux côtés du global et du local et derepérer la coïncidence des deux sphères et leur articulation au niveau régional. Cettedémarche correspond à des manières de faire sur les terrains, elle prend sens si on regardecomment ces manières s’organisent et si leur agencement « fait processus ».L’émiettement de la notion justifie l’élaboration du glossaire car il ouvre des divergencessémantiques. La démarche aboutit à interroger la notion de développement elle-même

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    * … mais montrent des convergences dans leurs fondements.Dans l’observation des deux situations nationales, la même importance est accordée auxstratégies des acteurs et à la production de normes, aux dynamiques spatiales et à la diversitérégionale et locale en posant la question essentielle : comment vont se nouer les rapports entreniveaux ? La même importance est aussi accordée aux discours et concepts utilisés par les

    acteurs.

    Des points qui se font écho les uns aux autres au fil des textes dansles clés d’entrée aux terrains et dans les résultats des observations

    Regards portés sur les terrains* Deux dimensions sont privilégiées dans le cas marocain, d’une part la traduction au niveaulocal du développement durable dans les stratégies de développement territorial et d’autre part

    les dynamiques ou changements qu’elles entraînent chez les acteurs, dans les pratiquesprofessionnelles et dans l’effectuation des politiques.* Au Burkina Faso, la même lecture des stratégies de développement territorial et desdynamiques spécifiques a été effectuée, mais la traduction du développement durable estabsente au niveau local, ce qui a conduit à un raisonnement en deux temps : peut-on repérer ledéveloppement durable comme un objectif ou un horizon, peut-on le voir comme unprocessus implicitement en cours ?* À Ouagadougou l’observation se place sur le plan du rapport Homme -Ville et de ladurabilité sociale en milieu urbain pour approcher les thèmes de la construction de lacitoyenneté et de l'identité urbaine, de la ségrégation et de la précarité, de la place de l'espacepublic à côté des problématiques du logement, des transports, de la gestion del'environnement et du développement économique.

    Résultats des observations

    * Spécificités qui qualifieraient le développement durable

    Sa diffusion

    Au Maroc, si l’adoption des cadres internationaux est ancienne, leur traduction opérationnelledans les politiques nationales et a fortiori locales est plus récente. Le développement durableest resté longtemps au stade des engagements de principes, puis à la faveur des changementspolitiques et culturels, une traduction s’est opérée à l’échelle nationale et à l’échelle locale.Pourtant, au-delà d'un usage incantatoire, ces politiques semblent avoir du mal à embrayer surl'action de manière systématique.L’affirmation du développement durable dans les politiques publiques s’est produite sansqu’une politique préalable de gestion environnementale ait eu le temps de réellement faire sespreuves, même si l’activité de cette dernière se démultiplie.On y décèle de nombreux emprunts au vocabulaire international et une interrogation du choix

    de modèle de développement. Le tournant s’est effectué au cours des années 1990-2000, on

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    est passé de l’environnement au développement durable dans un contexte dominé par lafragilité du milieu naturel, le déficit en eau, la surexploitation des ressources forestières, lesproblèmes d’assainissement et les crises sociales et urbaines. Le Maroc a pris desengagements institutionnels aux niveaux international, européen et national (agendas 21…).S’il y a eu une pénétration des thématiques liés au développement durable, elle s’est

    accompagnée d’une polysémie des référentiels.

    Au Burkina Faso l’adoption des cadres internationaux est à l’ordre du jour depuis au moinsdeux décennies, mais elle est cantonnée au niveau ministériel. Dès l’échelon régional, lesresponsables institutionnels ne mentionnent ni les principes affirmés dans les grands textesnationaux ni les dispositifs supposés harmoniser l’application sur le terrain des politiquessectorielles qui en sont issues.L’activité environnementale donne un éventail d’actions mais sous l’angle, agriculture,

    hydraulique, forêt en milieu rural et assainissement en milieu urbain. La phase d’affirmationdu développement durable dans les politiques publiques n’est pas accomplie.Le projet ZACA observé à Ouagadougou a permis d’entrer essentiellement par le volet social

    du développement durable : tentatives de concertation et sensibilisation, d'information et decollecte de doléances de la population.

    La prise en compte du volet environnemental, qui classiquement est venule premier dans l’histoire mondiale du développement durable

    Le Maroc affine actuellement l’élaboration d’outils juridiques et réglementaires dans ledomaine de l’environnement, des stratégies plus globales se précisent. En 2002, la stratégie deprotection de l’environnement mise en place en 1995 a été déclinée dans le plan d’actionnational pour l’environnement (PANE), document de synthèse qui précise les responsabilités,les investissements et les mesures d’accompagnement.

    Le Burkina Faso a aussi un plan d’action national pour l’environnement (PANE), mais leconseil national pour l’environnement et le développement durable (CONEDD) semble s’enêtre servi seulement pour le country partnership program  en 2006 (CPP qui exprime leprogramme national pour la gestion durable de terres) et le Guide d'actions communales dansle domaine de l'environnement  en 2007 dont personne ne parle sur le terrain. Les experts duGrand Lyon qui élaborent l’Agenda 21 de la ville de Ouagadougou n’ont pas été informés del’existence du CONEDD, structure qui est chargée de l’Agenda 21 national.On connaît un code général de l’environnement et du cadre de vie correspondant à la mise en

    œuvre de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) quiconstruit des législations communes ou harmonisées à l’image de l’Union Européenne1. Lespays harmonisent les législations, mais l’application tarde à suivre, en particulier dans ledomaine de l’environnement. Les agents du ministère burkinabè en charge del’environnement s’en plaignent mais ils ont des prétentions tellement irréalistes que les autresministères ne peuvent pas les prendre en considération. Cette attitude fut particulièrementvisible lors de l’atelier ministériel et de l’atelier national de présentation du code del’urbanisme et de la construction en 2004 et 2005. Les schémas directeurs d’aménagementurbain (SDAU) et les plans d’(occupation des sols (POS) ne sont pas en mesure de prendre

    1 La CEDEAO, créée en 1978 surtout pour des raisons de défense, compte 15 états membres et fonctionne avec 8 commissions en charge des

    secteurs de l’agriculture, du transport, de l’industrie, du commerce, de l’environnement, des ressources humaines, de la justice et de lapolitique. Le prochain code commun aux pays CEDEAO devrait être le code minier.

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    concrètement en charge les contraintes environnementales correspondant aux dispositions ducode.

    La place du volet développement humain dans les dispositifs

    Au Maroc, l’accent est mis sur la prise en compte des questions relatives au développementhumain et de la dimension sociale dans les projets (de territoire, urbains, de restructuration). Elle entend porter un projet de développement humain durable et vise à garantir les principesdu développement durable notamment à partir de nombreux programmes transversaux derestructuration de l’habitat clandestin dans les grandes villes en s’appuyant sur une« démarche participative » et de nouvelles formes de gestion des politiques publiques.L’initiative nationale de développement humain (INDH) définit trois axes d’actions : l’accèsaux équipements et services de base, la promotion des activités génératrices de revenus, l’aideaux personnes les plus vulnérables (Trois cent soixante communes et 250 quartiers sontéligibles).

    Au Burkina Faso la situation semble analogue. La lettre d’intention de politique dedéveloppement humain durable (LIPDHD) a la finalité de centrer la stratégie dedéveloppement du pays sur le concept de sécurité humaine.  Elle affirme que chaqueburkinabè devra accéder à la sécurité économique liée à l’éducation, à la formationprofessionnelle et à un emploi rémunérateur, ainsi qu’à la sécurité sanitaire liée auxéquipements, la sécurité alimentaire, la sécurité environnementale et la sécurité individuelle etpolitique liée à la bonne gestion de la cité.

    Le volet développement économique

    Au Maroc la planification nationale s’impose par l’intermédiaire des PDES et depuis unedécennie, des maîtres mots s’imposent : mise à niveau, compétitivité des territoires, priorités àl’équipement du territoire, à l'implantation des entreprises, au développement touristique), quine débouchent pas toujours sur l'amélioration de la vie collective, notamment au niveau local.

    Au Burkina Faso, l’appréhension économique est dominée par les stratégies de lutte contre lapauvreté qui préconisent au niveau national une privatisation de nombreux services publics etau niveau local la promotion d’activités privées génératrices de revenus encadrées mais passtrictement conformes à la réglementation existante. Les cadres régionaux et provinciaux des

    services déconcentrés ont souvent exprimé la crainte que la dominante économique n’écraseles autres dimensions dans les actions de terrain tandis que les élus et les cadresdépartementaux assimilent souvent le développement des territoires à leur développementéconomique.

    Le volet spatial

    Dans les deux pays, l’aménagement de l’espace est central. L’option d’une planificationsouple, indicative et conventionnelle se dessine peu à peu depuis le milieu des années 1990 etl’on tend à passer d’une planification centralisée à une planification régionalisée ou

    communalisée qui devrait inclure la « participation ». La mise en cause des instruments de

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    planification urbaine passés et l’apparition de nouveaux concepts, comme les  projets deterritoire  au Maroc et les  plans communaux de développement   au Burkina Faso sont leproduit de l’amorce de cette phase de transformation. Cependant on observe l’émergence devaleurs différentes selon les ministères de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire, del’économie et du développement ou de l’administration territoriale.

    Au Maroc comme au Burkina, ces politiques et ces plans stratégiques sont censés s’emboîteret incombent à l’ensemble des acteurs concernés. On peut s’interroger sur l’articulation desstratégies et des programmes, sur le flou de certains concepts utilisés, sur les contradictionsentre ministères et politiques et sur l’écart inévitable qui existe entre les discours officiels etles pratiques concrètes et sur les différences dans les temporalités de mise en oeuvre

    * Ce qu’ont «dit» les terrains en réponse à notre choix

    méthodologique de les «faire parler»

    Sur les questions d’échelle dans le passage des intentions aux actions

    Au Maroc, dans un contexte où la déconcentration se met en place et où les collectivitéslocales sont destinées à être plus autonomes on assiste à un réexamen de la problématique del’aménagement du territoire et de ses échelles. Elle s’appuie désormais sur chaque niveau decollectivité territoriale. L’échelon régional aura une fonction de synthèse –partielle ?- deconception mais surtout de gestion des politiques qui invite à un nouveau positionnement del’ensemble des acteurs et à de nouvelles formes d’articulation entre opérateurs locaux et

    décideurs.

    Au Burkina Faso, on a constaté la même importance d’une échelle à déclinaisons par niveauxmais le niveau régional est celui de la transmission d’instructions gouvernementales par lesgouverneurs, ministérielles par les directeurs régionaux, pas encore celui qui invite à unnouveau positionnement des acteurs à moins que cela ne vienne quand les conseils régionauxfonctionneront vraiment.

    Au Maroc, les stratégies spatiales qui déclinent ces principes témoignent d’une forteambiguïté – d’un double langage ?- ou de contradictions impossibles à résoudre surtout pourles usages concurrentiels dans l’accès au sol et aux ressources (contradiction cruciale entredéveloppement et protection) notamment dans les grandes villes aussi bien pour Casablancaque pour Rabat Ceci vient confirmer la difficulté de mettre en oeuvre (…) le projet de « villedurable » qui a pour ambition de trouver des compromis acceptables entre les objectifs, a

     priori opposés, du développement urbain (l’économique, le social et l’écologique) et lesexigences divergentes du local et du global 2.Cette déclinaison stratégique fait écho au constat que (…) le développement durable n’est pasun projet qui se greffe sur une politique. Il se définit au contraire en fonction des situations

    2 J. Theys et C. Emelianoff « Les contradictions de la ville durable » in le Débat, n° 113, janv. 2001, pp. 122

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    existantes, des besoins, de la volonté des acteurs locaux et des priorités qu’ils énoncent, cequi demande de reconsidérer un ensemble de questions urbaines3.

    Le Burkina Faso offre des analogies dans le découpage territorial, la manière d’appréhender lefoncier, la présence des actions par programmes mais des velléités de changements se sont

    manifestées. Le glissement récent d’une démarche de projets villageois centrés sur des offresdestinées aux groupes sociaux reconnus dans le besoin vers une démarche de programmesrépondant à une demande de citoyens reconnus responsables a montré que les situationslocales peuvent primer sur la déclinaison administrative des échelons à partir du centre.Comme nous le verrons, cette expérience est mise en grand danger avant qu’on ne sache sielle a pu faire école.Cependant un paradoxe burkinabè subsiste à Ouagadougou dans la présence d’un hiatus réelentre la volonté et la décision nationales de faire une zone d’activités commerciales etadministratives (ZACA) et les intentions municipales d’aménagement d’une ville qualifiée dedurable par la communication municipale

    Au Maroc dans les projets de territoire, il est fait appel à 2 échelons : le premier niveau qui porte sur le cercle concerné est celui des villes et s’appuie sur leurs atouts, contraintes,dysfonctionnements, la problématique de développement ainsi que les grandes orientations deleur développement. Le deuxième niveau porte sur les communes rurales de chaque cercle,leurs atouts leurs contraintes, leurs dysfonctionnements ainsi que les grandes orientations dedéveloppement pour chacune d’elles. 

    Au Burkina Faso on y trouve un écho dans la complémentarité souhaitée par certains acteursinstitutionnels entre la province qui serait le meilleur niveau de construction de la décision etla commune, le niveau le plus pertinent pour l’action.

    Au Maroc, la traduction des grands principes au niveau régional adopte plusieurs axes : lapréservation du littoral et de l’environnement tout en développant le tourisme et endynamisant le secteur industriel, la réduction du sous-équipement rural et le renforcement del’armature urbaine enfin la lutte contre l’habitat insalubre. L’attention se porte en parallèle surla sensibilisation des départements ministériels et des élus locaux mais aussi des milieuxéconomiques à la question du développement durable en dépit d’une faiblesse des outils deconnaissance et d’observation (pas de réel système d’indicateurs de suivi).

    Au Burkina Faso, la déclinaison en paliers des directives ministérielles vers le niveau localmontre en général une perte dans la transmission directe. Des cas symptomatiques commel’échec de périmètres aménagés pour la production maraîchère irriguée dans leur rôle devecteurs de la préservation de l’environnement ont poussé notre recherche à dépasser leconstat du dérapage des dispositifs et à mettre en valeur les quelques indices trouvés de prisede conscience de la nécessité de monter des actions valorisantes pour les années à venir.

    Sur les stratégies locales

    3 C. Emelianoff in La ville durable, un modèle émergent, thèse de 3ème cycle, 1999, Orléans, p.101

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    Au Maroc, l’incitation au changement est forte sur les projets locaux (soit en termes de projetsopérationnels soit sur des documents de planification territoriale). Les idées ont commencé àse concrétiser et à se diffuser, des démarches nouvelles ont été initiées mais a-t-on à faire pourautant à une nouvelle génération de projets ? Dans le champ de l’aménagement, ces nouvelles

    postures et stratégies impliquent de prendre en compte les finalités de l’action publique et lecontexte local, de mettre à l’épreuve les pratiques locales de concertation entre acteurs et lamobilisation des compétences professionnelles et de confronter les modes opératoires sur desterritoires ordinaires.

    Au Burkina Faso la situation est différente car les idées nouvelles sont surtout venues par lesprogrammes, donc apportées de l’extérieur et selon des diagnostics fait par des experts dont larationalité est ancrée sur la culture des pays ou organismes bailleurs ou selon les intentionsdes organisations non gouvernementales (ONG). La crédibilité du discours sur la villedurable, formulé à l’échelle de Ouagadougou, est très ténue, les attitudes qui pourraient êtreorientées vers une certaine durabilité sont en général limitées à un pragmatisme destiné à

    obtenir des effets visibles au plus vite.

    Sur la responsabilisation des bénéficiaires des dispositifs

    Au Maroc, à Sidi Taibi,  les instruments d’action sont ceux qui sont employés dans d’autresopérations de recasement ou de restructuration récentes de quartier et s’accompagnent dedispositifs basés sur la mise en place d’une équipe de maîtrise d’ouvrage sociale (MOS).L’un des animateurs est chargé d’identifier et de suivre les projets sociaux locaux, les ateliersd’information et d’aider à la gestion et au montage des projets en vue de financements. Ledeuxième est chargé de l’encadrement et du suivi de projets culturel et artistique, desrencontres avec les associations. Enfin, le dernier participe aux comités de terrain et donc ausuivi des travaux. Mais, le processus de participation demeure plutôt « descendant » et lamédiation apparaît comme le parent pauvre du projet.  La nomenclature est intéressante, levolet social serait celui de l’aide, le volet sociétal, celui de l’encadrement des projets culturels,le volet technique, celui de la gestion et du montage des projets en vue de financements

    Le Burkina Faso ferait écho au Maroc avec la mise en pratique des concepts deresponsabilisation et de capacitation des bénéficiaires de programmes, la logique danslaquelle ont été formées les comités villageois de gestion des terroirs qui ont pu aller jusqu’àla compétence de contractualisation avec les entreprises privées, la manière dont certaines

    associations urbaines sollicitent et orientent les mairies. Il faut cependant mettre encontrepoint les difficultés des services de MOS, maîtrise d’œuvre sociale (qui font plutôt de lamaîtrise d’ouvrage) pour dépasser des activités limitées à une prise en charge pas toujoursefficace des questions d’assainissement.

    Au Maroc  l’articulation entre dimension de l’aménagement et dimension sociale ne s’estopérée qu’a posteriori. Le recours tardif à la MOS se double du manque de marge demanœuvre de l’équipe, le diagnostic pré - opérationnel visant à prendre en compte tous lesparamètres de faisabilité sociale de l’opération observée n’a été que partiel. Ainsi, malgré tousles discours tenus au niveau national, une équipe est n’arrivée sur le terrain auprès des

    habitants qu’une fois le plan d’aménagement arrêté et les décisions les plus importantes

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    prises. De même, le couplage de la dimension environnementale et de la question sociale,place la MOS en porte-à-faux avec des acteurs locaux, notamment sur la question du maintiendes activités agricoles dans le périmètre du projet ou de l’eau.

    Au Burkina Faso, la dominante récente a été de passer des projets aux programmes. La

    dimension sociale consistant alors en la capacité à exprimer des besoins, à les prioriser pourformuler une demande et avoir la responsabilité du devenir des aménagements. L’articulationentre la dimension d’aménagement et la dimension sociale risque d’être mise au second planau nom d’une nécessité d’efficacité économique. Dans la commune de Ouagadougou,certaines opérations et initiatives partent des actions locales pour arriver à mettre en oeuvreune stratégie qui pourra être cohérente à terme. 

    * Quand nos interprétations de chercheurs se font écho

    Sur ce qui pourrait être dynamique de projet de territoire

    Au Maroc, sur le plan théorique et, dans certains documents, la voie du développementdurable est tracée, mais dans les faits la confrontation entre aménagement du territoire,développement économique, planification urbaine et politique foncière est toujours bienréelle. Les mécanismes s’enrayent, s’annulent ou se contredisent.Les structures chargées de leur mise en œuvre, les processus de partenariat ou de négociationsont encore à leur début.Il existe des problèmes d’articulation entre les activités des ministères et on assiste àl’éclatement des structures chargées des questions sociales. Les approches sectoriellesdemeurent tout autant que le poids de la centralisation des décisions.Les démarches et initiatives demeurent abstraites ou très précaires, les outils encore maladaptés. Tout cela entrave l’enclenchement d’une véritable dynamique de développementdurable. Cependant, il est incontestable que le développement durable est amorcé dans lespolitiques publiques comme dans le débat collectif et sociétal.

    Au Burkina Faso le tracé de la voie supérieure du développement durable est essentiellementincantatoire. Comme au Maroc, certains mécanismes s’enrayent, s’annulent ou secontredisent, les structures villageoises risquent de s’égarer dans la réorganisationcommunale.

    Les approches sont aussi très sectorisées dans la déclinaison de ladéconcentration administrative, l’agriculture, l’environnement, les infrastructures,l’urbanisme et l’habitat, l’économie et le développement sont très cloisonnés.Par contre, les démarches sont très pragmatiques et, si le développement durable n’est pasamorcé dans les politiques publiques déclinées sur le terrain, on peut en trouver des indicesdans les actions.

    Au Maroc, pour les membres de l’agence urbaine, la démarche du projet de territoire vise bienle développement durable car de la prise en compte des réalités locales à la formalisation deprojets fédérateurs et intégrés qui touchent à tous les aspects de la vie c’est un vrai

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    changement qui s’impose. Ces nouvelles manières de faire invitent à ne plus raisonnerseulement sur les actions sectorielles mais à déterminer une vision globale

    Au Burkina Faso on trouvera un écho essentiellement dans les manières de dire, dans lessyntagmes supports de la problématique et outils du processus. Il n’existe pas d’homologues

    des agences qui aient reçu des informations labellisées développement durable car on est dansune situation d’émiettement et non d’essaimage de la notion.

    Sur le fait qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas projet

    Au Maroc, cinq axes définissent les principes et la méthode sur lesquels s’est construite lanouvelle démarche de projet de territoire : présenter une vision prospective du territoire,définir les enjeux à maîtriser, arrêter une stratégie commune aux acteurs, tenir compte dudiagnostic stratégique interne et externe, et adopter un processus de concertation entre acteursqui débouche sur un « contrat de territoire ». Ces nouvelles manières de faire invitent à ne

    plus raisonner seulement sur les actions sectorielles mais à déterminer une vision globale. Deplus, les apprentissages collectifs sont au cœur du processus de travail.

    Au Burkina Faso, le questionnement stratégique du système d’acteurs se trouve à un échelondifférent, celui de la commune dans son rapport aux structures déconcentrées avec lesquelleselle est en rapport direct : la province et le département.

    Au Maroc, l’ensemble du réseau des 21 agences urbaines est concerné par la mise en œuvredes projets de territoire qui ont pour objectif de lutter contre la dégradation du panoramaurbain, le manque d’organisation de l’espace en milieu rural, la gestion horizontale, lesinterventions éparses et dispersées dans le tissu traditionnel et un système foncier complexe etnon maîtrisé ainsi que dans l’insuffisance de l’exécution des prévisions des documentsd’urbanisme.

    Au Burkina Faso, il n’y a pas d’instrument équivalent aux 21 agences urbaines, ce seraientplutôt les directions techniques attachées aux 13 régions qui seraient le point nodal dudéploiement des critères énoncés comme symptomatiques de la situation : dégradation dupanorama urbain, manque d’organisation de l’espace rural, système foncier complexe.

    Sur ce qui compte pour les agents de terrainAu Maroc, pour l’inspectrice, la mission principale est de promouvoir une pédagogie autourdes questions de développement durable dans les projets. La durabilité au niveau de larégion, c’est attirer l’attention des autorités régionales sur les risques dans les projets quisont soumis pour avis, c’est veiller à ce que les projets prennent en compte ces risques. Pour la responsable de l’agence urbaine,  dans la phase dans laquelle nous sommes, ce quiimportait c’est moins le résultat en soi c’est-à-dire le plan, mais c’est la dynamique que ça

     permet de mettre en place.

    Au Burkina Faso, c’est au niveau du gouvernorat des régions que la primauté de la dynamique

    mise en place sur les effets concrets immédiats des actions est clairement exprimée. Dans les

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    directions départementales, on est très soucieux de réponses concrètes à la gravité de lasituation surtout environnementale et prêt à laisser de côté le soin à mettre à la démarche auprofit du pragmatisme qu’on trouve indispensable à l’obtention de résultats visibles à brèveséchéance.

    Au Maroc, le caractère expérimental de la démarche est évoqué, c’est un essai qui a le mérited’exister. Il vaut ce qu’il vaut, on est en train d’apprendre, mais ces documents, ce sont devrais manuels, de vrais guides pour les prises de décision, des documents de référence.  

    Au Burkina Faso, on n’envisage pas de créer une référence consignée dans des documents quiseraient de vrais manuels. Dans les gouvernorats et les directions provinciales, on met enexergue la valeur d’exemple des projets, dans les directions départementales et leurs divisionsen sections de terrain, on met en exergue la valeur pédagogique de la démonstration descomportements adéquats.

    De manière générale, le Maroc est engagé dans une mutation urbaine et territoriale rapideet connaît une évolution politique profonde depuis 1998 avec la mise en place de ce qu’il estconvenu d’appeler la transition démocratique. En effet, après une période de centralisationimposé par un Etat fort et autoritaire où l’urbanisme était dominé par le sécuritaire, le pays estaujourd’hui engagé dans de nouveaux processus. Alors que d'importantes réformesterritoriales de décentralisation et de déconcentration sont en cours, la problématique dudéveloppement durable, sur laquelle s’adosse celle de ville durable, participe et amplifie lamutation du système de l'aménagement.

     Le développement durable s’enracine dans une

    tradition de réflexion assez longue et se forge progressivement dans l’action tout enbousculant certaines façons de faire préexistantes et tend à interroger les politiquessectorielles, voire à les démanteler. Si le niveau local reste interdépendant des politiquesélaborées au niveau central, on assiste à la construction d’initiatives propres tant dans ladéfinition de nouveaux objectifs que dans la capacité à organiser des coopérations.Il y a bien des cultures nationales du rapport entre développement durable et société et desprocessus historiques différenciés tant sur la diffusion des concepts que sur les politiques demise en œuvre et leur territorialisation ainsi que sur le rôle des acteurs impliqués.

    Au Burkina Faso on pourra peut- être parler de politiques territoriales locales quand la

    décentralisation sera expérimentée dans sa phase de communalisation intégrale. Pour lemoment, aucun d’échelon des dispositifs de décentralisation en collectivités territoriales ni deceux de la déconcentration des services ne rassemble et harmonise les actions de terrain pourles appréhender en termes de politique. Le hiatus persiste entre les documents de cadragenationaux et les politiques sectorielles qu‘ils doivent orienter, le hiatus persiste aussi entre lesdécisions de l’État et les stratégies des collectivités. Il est flagrant dans la ville deOuagadougou, il est ténu, mais présent dans le relais entre le gouvernement et les communesurbaines et rurales représenté par les gouvernorats. La question qui se pose actuellement portesur la manière dont vont entrer en scène, dans ce jeu d’acteurs, les conseils régionaux dans lesrelations stratégiques qu’ils devront avoir avec les gouvernorats et dans les relationshiérarchiques qu’il souhaiteront avoir avec les communes si l’on en crois les prémices à

    l’œuvre.

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    Au Maroc, une politique nationale déclinée en stratégies etprojets locaux.

    Pascale Philifert

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    1. Problématiques, questionnements et hypothèses :

    1.1. Gouvernance, décentralisation et acteurs de l’aménagementLa thématique majeure de notre précédente recherche au sein du programme PRUD (MAE-

    ISTED-GEMDEV) portait sur le changement des conditions d’exercice du pouvoir(gouvernement d’alternance depuis 1998 et décentralisation accrue) et ses effets sur le réseaud’acteurs du champ urbain4. Ce travail se centrait notamment sur les praticiens et laredéfinition de leur rôle dans le processus de fabrication de la ville. En pratique, il s’agissaitd’analyser ce que J.-G. Padioleau a appelé « L’Etat au concret » c’est-à-dire de « (…) mettreà nu, traquer les actes et les travaux d’agents individuels et collectifs, définir les rapportsentre ce que les gens disent et ce qu’ils font »5 dans le champ urbain et de mieux cerner, lecontenu, les contours (acteurs, ressources…), les stratégies et les modes d’action despolitiques urbaines.

    De manière générale, le Maroc est engagé dans une mutation urbaine et territoriale rapide et

    connaît une évolution politique profonde depuis 1998 avec la mise en place de ce qu’il estconvenu d’appeler la transition démocratique. En effet, après une période de centralisationimposé par un Etat fort et autoritaire où l’urbanisme était dominé par le sécuritaire, le pays estaujourd’hui engagé dans de nouveaux processus. Comme l’a rappelé F. Navez-Bouchanine« (…), cette situation doublement héritée de l’histoire et du contexte politique des trentedernières années tend sous certains aspects, à se modifier sous l’effet de la décentralisationadministrative, d’une certaine forme de démocratisation et de l’émergence de ce qu’il estconvenu d’appeler la société civile »6. Dans cette perspective, A. Youssoufi, premier ministredu gouvernement de transition déclarait lors de son investiture devant le Parlement, le 17 avril1998 « La démarche du gouvernement sera à la fois globale et de proximité territoriale. Ladéconcentration, la décentralisation et la régionalisation inscrites dans une politique globale

    et volontaire d’aménagement du territoire constituent à cet égard des choix fondamentaux degouvernement  ». De plus, comme l’a rappelé M. Catusse « les règles et les normes de la miseà niveau par rapport au marché européen ont accéléré le rythme de cette transformation »7.

    C’est ainsi, que les réformes institutionnelles et territoriales vont dans le sens d'unrenforcement de la décentralisation et d’un mouvement de déconcentration, qui s’imposentpeu à peu dans la gestion territoriale du pays, d’une affirmation des instances municipales etdes grandes agglomérations. Mais si la notion de développement local se généralise, fondéesur l’échelon régional comme relais du pouvoir central, ce dernier garde de larges possibilitésd'interventions ad hoc. Outre ces éléments, et dans leur prolongement, le mode d’exercice desprofessionnels est en pleine mutation et traduit de nouveaux systèmes d’action (coopération,

    partenariat…). Enfin, l'émergence d'une société civile, issue pour une part des traditionsd'activités charitables et de ses acteurs (associations locales, amicales de quartiers…), est envoie de structuration. Elle suppose l'établissement d'une communication entre les responsablesélus ou les fonctionnaires et leurs administrés, alors même que la culture de l’échange et de lacoopération/participation est demeurée longtemps absente des modes de faire.En définitive, on assiste à ce qui semble être une réorganisation institutionnelle qui aboutit àla multiplication des strates de pouvoirs, à leur superposition dans le cadre de la gestion

    4  Programme PRUD (GEMDEV-ISTED), dir. : M. Jolé et A. Iraki, Equipe Vie Urbaine Université Paris 12 et INAU-CERAU Rabat,« Gouvernance urbaine et décentralisation : L’émergence d’acteurs locaux dans le champ démocratique et professionnel au Burkina Faso etau Maroc », 2002-2004.5 J. G. Padioleau, l’Etat au concret, PUF, 1982, p. 116 in A. Abouhani, l’Etat et les quartiers populaires au Maroc, Codesria, 1995, p. 1007 M. Catusse in Critique économique n°5, 2001, pp. 39-67

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    urbaine et à la définition de nouvelles règles du jeu construites sur des idéologies territorialesdans le cadre d’un jeu politique basé sur une plus grande démocratisation. Ces transferts depouvoirs et de compétences ont contribué à la démultiplication des acteurs qui doiventconduire ces changements. Dans la continuité de ces bouleversements, notre hypothèseprincipale invitait à penser que des figures nouvelles avaient émergé dans le champ technique

    accompagnés de processus d’innovation et qu’une construction de nouvelles légitimités et desformes de régulation étaient en cours. Dans cette perspective, les processus d'élaboration, dedécision et de mise en œuvre des politiques urbaines et territoriales étaient analysés sousl’angle d’une complexification croissante et visait à étudier les emboîtements entre niveauxdéconcentrés, administration technique locale, élus, agents d'autorité, mouvements associatifset individus… Tout en ayant à l’esprit que l’expérience de la démocratisation en marche nepeut s’inscrire que dans la longue durée et avec toutes les contraintes héritées du passé.

    Au terme de ce travail, plusieurs constats ont pu être dressés et permettent d’éclairer laquestion des effets de la décentralisation dans le champ des acteurs techniques de l’urbanismeau Maroc :

    - L’accélération des réformes institutionnelles a permis l’affirmation et la montée enpuissance d’instances de décision territoriale qui tiennent une place majeure dans lareconfiguration territoriale (niveau régional et agglomération par exemple) ; l’évolution dumaillage communal dans le cadre de la réforme de la Charte communale d'octobre 2002témoigne du nouveau principe d'unicité de la ville8,- La prééminence du réseau centralisé d’acteurs demeure et celui-ci reste ainsi maître du jeuterritorial. L’Etat demeure fort (notamment à travers la figure du Wali) et le local restesubordonné au niveau supérieur. Il existe donc toujours une hiérarchie implicite des acteurs del’amont par rapport à ceux de l’aval,- Les transferts institutionnels consécutifs aux lois de décentralisation/déconcentration ontentraîné un certain nombre d’effets sur le travail des acteurs qui interviennent dans le champde l’urbanisme : organisation d’un nouveau réseau local d’acteurs, mais aussi uneconcurrence inévitable entre acteurs techniques et/ou politiques (municipalité et communautéurbaine, Agence urbaine, délégation régionale de l’urbanisme et de l’habitat, Préfectures etProvinces, Wilaya, Conseil de région …),- La multiplication de la sphère des intervenants : grands groupes internationaux, bailleurs defonds, habitants et associations,- Les contextes d’action se renouvellent et on assiste à une systématisation des processuscodifiés de partenariat, de coopération « obligée » et de coordination entre acteurs, quis’appuient sur des lieux de médiation plus formalisés (commissions techniques …).- De nouveaux champs techniques semblent émerger, des savoir-faire, des compétences plus

    spécialisées ou pluridisciplinaires ou des ressources (idées, valeurs, normes, procédures) sontmobilisés dans l’élaboration de la planification ou dans la gestion urbaine, notamment dans lechamp environnemental voire social, ce qui laisse à penser que des expertises sont en cours deformation.

    1.2. Le développement durable : concept et mise en œuvre, unereconfiguration du jeu d’acteurs et des pratiques d’aménagement ?Questions et hypothèses

    8 Elle vise à mieux répartir les pouvoirs, d’assurer l’unité politico-administrative, à identifier des leaderships à l’échelle des structures éluesde la ville et à mettre fin à l’émiettement des entités communales.

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    A partir de ces conclusions partielles et d’une meilleure connaissance du contexte et du cadrepolitico-institutionnel marocains, il nous semble aujourd’hui possible de poursuivre les pistesde travail de manière plus systématique et d’approfondir la nature, la place et le rôle du champtechnique de l’urbanisme et de ses professionnels de manière moins globale et surtout plusappliquée. En effet, les techniciens de l'urbanisme sont confrontés à la nécessaire adaptation

    de leurs compétences techniques au profit de la prise en compte de champs de réflexionsémergents : attention croissante à l'environnement social, coopération plus forte entre acteurs,négociation dans le cadre des projets urbains, intégration des habitants à la gestion en vue desatisfaire la demande sociale croissante, approche en termes de développement durable. Ils’agit à présent de poursuivre notre recherche en mettant en lumière, de manière exploratoire,un de ces aspects plus spécifiques, sur lequel très peu de recherches se sont portées : « leconcept de développement durable », dans son interaction avec les acteurs et les politiquesterritoriales, dans un contexte où « le concept de développement durable a envahi le champsémantique des politiques publiques » comme le rappelle C. Emelianoff9. Si cette nouvelleréférence se diffuse, son contenu demeure néanmoins très large et encore peu stabilisé. Lequestionnement sur le modèle de développement et de croissance pour nos sociétés et celles à

    venir, le souci de prendre en compte l’irréversibilité de certains processus, l’interpénétrationdes approches écologiques, économiques et sociales, la mobilisation d’un ensembled’acteurs (politiques, associatifs, monde de l’entreprise…), l’adhésion à la lecture del’articulation entre local et global apparaissent comme les bases d’une notion polysémique etsurtout assez volatile.

    En dépit de ces incertitudes, deux dimensions sont privilégiées dans le cas marocain, d’unepart la traduction au niveau local du développement durable dans les stratégies dedéveloppement territorial et d’autre part les dynamiques ou changements qu’elles entraînentchez les acteurs et dans les pratiques professionnelles de l’aménagement. Cette rechercheexploratoire renvoie plus largement à un questionnement déjà formulé ailleurs : « Puisque lapensée de la «ville durable » prétend renouveler l’action, puisque, comme toute utopie, elle seprésente comme l’instrument idéel d’une régénération des pratiques sur le réel, ledéveloppement durable dans son application à l’idée de ville apporte-t-il un nouveau souffleau politique, de nouvelles représentations et pratiques, voire des discontinuités (révolutions)dans les politiques urbaines ? » (Mathieu et Guermond, 2005)10.

    En effet, alors que d'importantes réformes territoriales de décentralisation et dedéconcentration sont en cours, la problématique du développement durable, sur laquelles’adosse celle de ville durable, participe et amplifie selon nous la mutation du système del'aménagement au Maroc. Mais si la prise en compte des questions liées au développement

    durable fait son apparition, tant les discours que les programmes d'action, leurs référents etcontenus ou leurs résultats sont encore bien incertains. De nombreuses questions se posentalors : de quelle manière, le développement durable s’insère-t-il dans les politiquesd’aménagement, quel sont les contenus qui y sont donnés ? Comment ce concept est-ilappréhendé, repris, approprié ? Quels sont le poids et les impacts des transferts et circulationdes modèles internationaux, surtout définis au Nord ? A cet égard, les politiques dedéveloppement durable peuvent-elles se concevoir indépendamment des questions degouvernance ? Quel est le sens donné par les acteurs au développement durable ?

    9 C. Emelianoff : le développement durable : comment sortir de la quadrature du cercle ? p. 33, in S. Wachter, l’aménagement durable : défis

    et politiques, L’Aube, 2002,10 In N. Mathieu et Y. Guermond, la ville durable, du politique au scientifique, 2005, Ifremer, p.15

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    Si on assiste peu à peu à l'émergence de la notion de développement durable (et plusparticulièrement de sa dimension environnementale) dans la gestion territoriale, sa traductionsous forme de stratégies et d'actions concrètes ne se fait pas sans difficulté et reste peuétudiée. Au-delà des débats sur le bien-fondé de la notion de durabilité au sein des institutionselles-mêmes, ce qui nous préoccupe ici ce sont les pratiques actuelles et le contenu concret

    des actions mises en place par le niveau territorial local (et non pas une nouvelle lecture duconcept). Comment se combinent-elles avec des formes plus anciennes ? Quelles sont lesréférences culturelles, les normes, les valeurs qu'elles véhiculent, les apprentissages qu'ellesprésupposent ou les traductions qu’elles mobilisent? Selon quelles modalités les niveauxterritoriaux et les acteurs locaux se sont-ils saisis de cette nouvelle injonction ? Et surtoutcomment les dispositifs portés par un cadre législatif et réglementaire national sonteffectivement investis et appropriés localement et contribuent à « définir des univers locauxde pertinence » (L. Boltanski)11? Qu’en est-il de l’articulation entre politique descendante etaction ascendante ? Quels sont les modes d’articulation – de coopération, de médiation ou deconfrontation - entre les différents champs de l’aménagement ? Qu’en est-il des contradictionsou ambiguïtés des politiques territoriales liées au développement durable aussi bien au niveau

    national ou local qu’entre niveaux ?

    Du côté des acteurs technico-administratifs, placés en grande partie sous contrôle étatiquedirect ou indirect, une « fenêtre » s’est ouverte sur le développement durable et suscite biendes interrogations voire une certaine tension. Quels sont les acteurs privilégiés ou dominantsdans la mise en oeuvre des politiques de développement durable (agence d'urbanisme, bureaud'études, inspection régionale de l'urbanisme, préfecture...)? Quels nouveaux acteurs,nouvelles compétences, nouvelles pratiques sont mobilisés dans l’application de cette notion ?Nous faisons l’hypothèse que ce nouveau paradigme de l’action urbaine va contribuer, un peuà l’image de la décentralisation, à l’émergence de nouvelles configurations d’actionsconstruites localement et à des logiques d’interfaces plus approfondies entre acteursterritoriaux et qui débouchent peut-être sur des méthodes innovantes ou plus expérimentales.De quelles façons, le développement durable est-il intégré dans la réflexion et les documentsde planification et d’urbanisme ou les procédures (charte nationale de l’aménagement duterritoire, plans régionaux en cours d'élaboration, actualisation des schémas directeurs et desplans d'aménagement, Agenda 21 locaux, projets de restructuration de quartiers…) ? Oscille-t-on entre deux tendances, l'innovation et la normalisation ? Comment les pratiques desassociations, des habitants ou celles des agents privés (grands groupes économiques etinternationaux) sont-elles prises en compte, évaluées… ?

    Ce faisant, par un apport réflexif, nous souhaitons enrichir les connaissances sur les systèmes

    d'acteurs du développement durable, les processus en cours dans la fabrication de la ville, lescultures administratives et techniques sous-jacentes, les modes d’exercice professionnel et lescultures mobilisées (celles qui relèvent de l’urbain, de l’économique, du social et del’opérationnel) confrontées à cette nouvelle donne.

    De manière plus théorique, le développement durable est interrogé comme un révélateur deschangements en cours dans les politiques publiques et comme un nouvel instrument porteurde valeurs innovantes censées inaugurer un renouvellement, un déplacement ou unenrichissement de l’action publique et un mode de gouvernance plus centré sur la négociation,

    11 cf. introduction de P. Corcuff et C. Lafaye in L. Boltanski, Eclairages locaux sur les transformations des services publics », rapport final derecherches « innovation et pratiques locales dans l’administration », Commissariat général au Plan, 1992, 108 p.

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    au sens ou P. Lascoumes et J.-Y. le Galès l’ont suggéré récemment12. L’accent s’est porté surles « investissements de dispositifs initiés localement ayant contribué à déplacer et à redéfinirformes et instruments de l’action publique » (L. Boltanski)13. En outre, le local n’est pasexclusivement lu à travers le prisme de ses relations avec le centre, pas plus qu’il n’estconsidéré comme un de ses sous-produits mais plutôt à la croisée de plusieurs tensions,

    mouvements ou entités macro et microsociales qui engendrent de nouvelles formes derelations et de coopération entre niveaux (P. Corcuff et C. Lafaye)14.

    Enfin, le travail des acteurs (savoirs, savoir-faire, moyens et objectifs) et plus précisémentcelui des techniciens ou professionnels de l’aménagement n’est pas séparable desconfigurations dans lesquelles ils s’inscrivent, des politiques menées et des recompositionsinstitutionnelles en cours. Et à ce titre, le développement durable comme facteur dechangement dans les organisations et analysé du point de vue des acteurs est abordé dans cerapport sous plusieurs angles inspirés des analyses défendues par L. Boltanski et L. Thévenotou M. Callon15. Il favoriserait ainsi la mise en réseau d’acteurs aux logiques différentes,l’application de nouvelles règles et normes, la réalisation d’accords et de conventions dans

    des situations d’interaction, la traduction dans les actions concrètes de constructiond’arrangements, la modification des pouvoirs et jeux d’influence et entraînerait l’adhésion desacteurs au sens où l’entend P. Bernoux16. Si de nouvelles possibilités d’action sont alorsouvertes, il est aussi probable qu’elles se cumulent avec de nouvelles zones d’incertitude, decontraintes et de tensions.

    12 P. Lascoumes et J.Y Le Galès (dir.) , Gouverner par les instruments, Presses Science Po, 200413 introduction de P. Corcuff et C. Lafaye in L. Boltanski, op. cité, p.714 ibid15 entre autres : L. Boltanski (1990) et L. Thévenot (1991), M. Callon (1986, 1991)16 P. Bernoux (1996, 2004)

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    2. Emergence et affirmation de la notion de développementdurable au Maroc : des concepts internationaux aux politiquespubliques nationales, une réappropriation marocaine ?

    Née des inquiétudes que fait peser le choix du mode de croissance à l’échelle planétaire, laprise de conscience du développement durable au Maroc, notamment dans le domaine despolitiques de planification, s’est d’abord focalisée modestement sur les aspects écologiques etl’environnement avant que ne soit envisagé une réflexion plus large autour des considérationséconomiques et du modèle de société à promouvoir. Si au niveau international, ledéveloppement durable bénéficie d’un contexte favorable, son actualité dans la sociétémarocaine pose la question délicate des orientations à engager et surtout des conditions oupossibilités de leur mise en œuvre. Ce « nouveau sésame » renferme bien des contradictions,déjà dévoilées pour les sociétés développées.Car, tant la transition démocratique que le nouveau concept d’autorité ou la pérennisation del’adaptation de l’économie nationale aux mutations exigées par la mondialisation avec la

    stratégie de mise à niveau17 et l’ouverture d’une zone de libre-échange entre le Maroc etl’Union Européenne à partir de 2010 esquissent un nouveau contexte et impliquent deprofondes transformations pour le Maroc. Dans le même temps, la recomposition territorialeet les priorités affichées en termes d’aménagement du territoire et de développement durablesont des éléments incontournables des politiques publiques et sont loin d’êtrecirconstancielles. Dans leurs desseins comme dans leurs projets, elles mobilisent les acteurspolitiques et techniques et attestent de nouvelles complexités pour l’action tout en révélantde profonds antagonismes. Il convient, avant d’en analyser les caractéristiques, de porter unregard rétrospectif sur la lente élaboration de la politique de développement durable auMaroc, ses vecteurs, ses formes, ses dynamiques…

    2.1. Environnement et développement durable : la longue marche

    2.1.1 une composante environnementale présente depuis 1968 mais uneproblématisation des questions environnementales dans les années 80/90Dés la préparation des plans quinquennaux de 1968-1972 la composante environnementale estprésente dans les plans de développement économique et social (PDES), base de laplanification politique au Maroc. Cette dimension sera reprise dans tous les plans ultérieurs -même si les plans quinquennaux seront mis entre parenthèse à partir du début des années 80.Mais ce n’est véritablement qu’à partir des années 1978-1980 qu’une impulsion est donnée àla dimension environnementale par une affirmation plus forte dans les PDES. Mais si, tout au

    long de ces années, les objectifs environnementaux sont mentionnés de manière plusaccentuée dans les textes de référence, les réalisations resteront faibles et plutôt centrées surles études. Ainsi, dans le PDES de 1981-1985 (marqué par l’ouverture libérale et les Plansd’ajustement structurel), le bilan fait apparaître des études réalisées en matière d’eaux usées,d’élimination des ordures ménagères. Par ailleurs, des états de l’environnement commencent àêtre dressés pour les médinas, un atlas scientifique des ressources naturelles est en cours deréalisation, la lutte contre la pollution aux hydrocarbures est initiée, une action pilote derénovation des ksours est en voie d’achèvement. De plus, des campagnes d’information et desensibilisation sont menées et des actions de création d’espaces verts sont lancées.

    17 Qui suppose le rattrapage des retards et la préparation de l’avenir

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    Mais c’est surtout en 1985-1990, que va s’affirmer plus fortement la nécessité et l’urgence deprotéger l’environnement au travers d’un discours et d’une lettre royale. Le principe del’élaboration d’une loi sur la protection et la mise en valeur de l’environnement est lancé. Elleentend promouvoir une vision globale et met en avant les ensembles interdépendants danstoute action (social, environnement, économique…). Des emprunts au vocabulaire

    international font leur apparition : « Les deux concepts, environnement et développement,sont pas conséquent indissociables. Partant de cette constatation et eu égard à la prise deconscience généralisée vis-à-vis de la nécessité de sauvegarder le patrimoine naturel etd’améliorer l’environnement humain, non seulement pour les générations présentes maiségalement pour les générations à venir et étant convaincu que toute politique d’environnementdevrait être intégrée à la planification du développement économique et social du pays …»18En 1989, c’est le choix du modèle de développement qui est interrogé : « C’est ainsi que lacrise qui caractérise les Etablissements Humains a un impact néfaste sur les conditions et lecadre de vie des citoyens. Quant au milieu naturel, nombreuses sont les agressions et lesdégradations auxquelles il est souvent soumis. Il est clair que tous ces problèmes sontengendrés par le processus de développement dans les différents domaines dans lequel notre

    pays s’est engagé : urbanisation, promotion du tourisme, développement industriel, mise envaleur agricole et exploitation des ressources naturelles »19.Puis entre 1988-1992, l’activité s’accroît et devient plus précise. Les objectifs se sontmultipliés : la préservation des ressources naturelles par la lutte contre la désertification et ladéforestation ou la pollution des eaux (protection des milieux marins, inventaire des sites),l’évaluation de l’état de l’environnement (plages, espaces verts), l’amélioration du cadre devie ou encore la sauvegarde des médinas, la lutte contre toute forme de pollution etnuisances (pollution industrielle, inventaire et surveillance, pollution de l’air, création destations d’épuration, mise au point de normes sur la qualification environnementale, sur lesétudes d’impact pour certains projets…).Des parcs naturels se créent et les campagnes de sensibilisation se poursuivent. En parallèle,on assiste à la rédaction du rapport national de l’environnement et des outils sont mis enplace : plans directeurs des bassins versants, plan national de reboisement, plan nationald’assainissement liquide, schéma directeur pour l’alimentation en eau potable.Pourtant, la législation demeure faible, éparpillée, fragmentaire. Et ce qui résulte de cettepériode ce sont les décalages entre les intentions et discours de promotion et les pratiques.Mais dès lors, l’intégration dans les politiques publiques est lente mais réelle.

    2.1.2. Le tournant des années 1990-2000 : de l’environnement audéveloppement durable une nette inflexion.Que se passe-t-il à l’orée des années 1990 ? Depuis les années 90, la mise en place de la

    politique de développement durable est encouragée par les nombreux documents qui formentun socle commun en Europe, par des fonds financiers et surtout par des organismesinternationaux qui ont donné une forte impulsion (ONU, OCDE) et qui doit beaucoup à laConférence de Rio et à celles qui vont suivre (Aalborg, Lisbonne).Mais en réalité, ce n’est qu’à partir de la période 1996-2000 qu’apparaît véritablement lanotion de développement durable au Maroc. Un chapitre du PDES est consacré à « l’enjeu dudéveloppement durable » et explique que « la sauvegarde des ressources naturelles, leurexploitation optimale, la mise en place des conditions de leur renouvellement et de leurpérennisation constituent un enjeu essentiel pour un développement durable et la préservation

    18 in séminaire national sur l’Urbanisme, l’aménagement du territoire et l’environnement, rapport des commissions, Ministère de l’Intérieur,

    DGUATE, tome I et II, 1989, commission 3 Environnement p. 8719 ibid, p.62

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    de la qualité et du cadre de vie des populations »20. Sans aucun doute la fragilisation desmilieux naturels a conduit à une prise de conscience. De nombreux discours, plus tardifs, entémoignent « Le développement durable e