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UNIVERSITE DE PARIS-DAUPHINE CENTRE DE GEOPOLITIQUE DE L'ENERGIE ET DES MATIERES PREMIERES Polycopié du cours : ECONOMIE INDUSTRIELLE DES COMMODITES Pierre-Noël Giraud DESS 203 et 212 - DEA 129 Mars 2003

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UNIVERSITE DE PARIS-DAUPHINE

CENTRE DE GEOPOLITIQUE DE L'ENERGIE ET

DES MATIERES PREMIERES

Polycopié du cours :

ECONOMIE INDUSTRIELLE DES COMMODITES

Pierre-Noël Giraud

DESS 203 et 212 - DEA 129

Mars 2003

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Economie industrielle des commodités Pierre-Noël Giraud

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Ce polycopié est en partie constitué

de versions révisées de chapitres de :

« Economie Mondiale des Matières Premières »,

P.N. Giraud,

Collection Repères, Editions La Découverte, 1989.

Il s’agit des Chapitres 1, 2, 7, 10 et de l’Introduction.

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Economie industrielle des commodités Pierre-Noël Giraud

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Sommaire

Introduction________________________________________________________________________7

1. Des ressources aux besoins_________________________________________________________72. Caractéristiques et enjeux du secteur primaire_________________________________________133. Contenu et plan du cours_________________________________________________________15

Premiere partie : apercu historique, geographique et prospectif________________________17

Chapitre 1. Les matières premières dans l'économie mondiale : une mise en perspective

historique_________________________________________________________________________19

1. Consommations et échanges avant la seconde guerre mondiale ___________________________192. L'époque de la consommation de masse et l'émergence des nations souveraines ______________213. Géographie des échanges mondiaux de matières premières à partir des années 80 _____________27

Chapitre 2. Les matières premières : limite à la croissance ? ___________________________33

1. Le rapport du Club de Rome______________________________________________________342. Les ressources alimentaires________________________________________________________353. Les matières premières minérales___________________________________________________364. L'énergie______________________________________________________________________385. L'environnement________________________________________________________________39

SECONDE PARTIE : LA FORMATION DES PRIX DES COMMODITES __________________________________41

Chapitre 3. La rente d'épuisabilité de Hotelling________________________________________43

1. Hypothèses____________________________________________________________________432. Comportement d'un propriétaire____________________________________________________433. Limites pratiques et théoriques du concept ___________________________________________45

Chapitre 4. Les rentes différentielles _________________________________________________47

1. La rente foncière agricole chez Ricardo ______________________________________________472. L'analyse dynamique de Ricardo : évolution du prix du blé et du partage du revenu national____503. Existence et appropriation de rentes foncières différentielles______________________________514. Les rentes différentielles dans l'extraction des ressources minérales ________________________53

Chapitre 5. La formation du prix des commodités en situation d’oligopole ______________57

1. Le cas du monopole_____________________________________________________________572. Le cas du duopole_______________________________________________________________603. Oligopole de Stackelberg avec frange compétitive______________________________________664. Problèmes de stabilité d'un oligopole _______________________________________________68

Chapitre 6. Les fluctuations des prix des commodités _________________________________71

1. Les causes de l'instabilité des prix des commodités ____________________________________712. Causes et amplitude des fluctuations de prix sur un marché parfaitement compétitif de commoditésminérales________________________________________________________________________743. Les moyens d'une stabilisation des prix de marché_____________________________________794. Conclusions ___________________________________________________________________81

Chapitre 7. Les formes concrètes de formation des prix des commodités________________83

1. Les marchés de commodités : diversité et unité des prix ________________________________832. Les prix de bourses______________________________________________________________863. Les prix producteurs_____________________________________________________________874. Les prix négociés _______________________________________________________________89

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Economie industrielle des commodités Pierre-Noël Giraud

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5. Les ventes aux enchères et les marchés inorganisés_____________________________________906. Le système des prix mondiaux_____________________________________________________927. Structure de marché et mode de formation des prix_____________________________________93

Chapitre 8. Les marchés à terme de commodités______________________________________95

1. Origine et définition_____________________________________________________________952. Les rapports entre prix du physique et prix à terme_____________________________________973. Marché à terme et gestion des stocks_______________________________________________1004. Les opérations de couverture _____________________________________________________1005. La spéculation sur les marchés à terme déstabilise-t-elle les prix ?________________________1016. Les principaux marchés à terme d'influence mondiale et les principaux produits côtés ________104

Troisieme partie : Etudes de cas____________________________________________________105

Chapitre 9. Le partage des rentes différentielles minières entre firmes et Etats___________107

1. Problématique du partage des rentes _______________________________________________1072. Les instruments de partage des rentes ______________________________________________1093. Conséquences du partage des rentes________________________________________________1104. Le prix des gisements___________________________________________________________1115. Conclusion___________________________________________________________________111

Chapitre 10. Le tournant des années 80 : des prix producteurs aux prix de bourse ______113

1. Deux grandes ruptures et un scénario d'ensemble _____________________________________1142. Crise et restructuration de l'industrie minière et métallurgique___________________________117

Chapitre 11. Structure de l’industrie et formation des prix dans l’histoire du pétrole_____121

Introduction : Structure de marché et évolution des prix__________________________________1211. Les pionniers _________________________________________________________________1222. La constitution des « Majors » ___________________________________________________1223. Les prises de position au Moyen-Orient ____________________________________________1234. L’organisation du marché par le Cartel des sept soeurs_________________________________1255. L’effritement du pouvoir des majors _______________________________________________1266. La prise de pouvoir de l’OPEP ___________________________________________________1287. Le changement de structure du marché du brut _______________________________________129

Chapitre 12. La plage d'équilibre des prix du pétrole _________________________________131

1. Introduction __________________________________________________________________1312. Facteurs économiques et facteurs politiques _________________________________________1323. Le prix d'équilibre dynamique____________________________________________________1394. Seuils et plages de prix du pétrole_________________________________________________1415. Une interprétation des grandes fluctuations du prix du pétrole depuis la fin des années 60_____151Références______________________________________________________________________154

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Introduction

1. Des ressources aux besoins

Ressources Naturelles - Matières Premières - Produits de base - Commodités

Toute l'activité productive des sociétés humaines s'alimente à des ressources naturelles et

finit par rejeter à la nature des déchets.

Les ressources naturelles sont : l'air, l'eau sous toutes ses formes, le rayonnement

solaire, la biomasse végétale et animale, les sols, enfin les substances minérales contenues

dans le sous-sol, des matériaux de matériaux de construction au pétrole et au gaz en passant

par l'ensemble des minerais métalliques et non métalliques.

La cueillette, la chasse, la pêche, l'agriculture, la sylviculture, l'élevage, l'extraction minière

et le captage des eaux, du vent, du rayonnement solaire, sont les activités productives qui,

des ressources naturelles, tirent de la matière ou directement de l'énergie.

Comme l'indique son nom, une matière première devrait en tout rigueur être la première

forme sous laquelle se présente le résultat de l'application de l'activité productive humaine à

une ressource naturelle. Mais en pratique, on appelle matière première la première forme

sous laquelle un produit issu de l'exploitation d'une ressource naturelle peut voyager pour

entrer dans sa phase suivante de transformation. Ainsi pour le cuivre, ce n'est pas le minerai

"tout venant" extrait de la mine et contenant de 0,5 à 5 ou 6 % de cuivre, mais un

"concentré" contenant 25 à 35 % de cuivre qui est la matière première. La concentration du

minerai est en effet toujours effectuée sur le carreau de la mine. Elle est indissociable de

l'extraction car il serait inutilement coûteux de transporter le minerai tout venant. De

même on raffine la canne et la betterave à sucre sur les lieux de production. C'est le sucre qui

voyage.

Parmi les matières premières, ainsi définies, certaines sont utilisées très près de leur lieu de

production car leur valeur à la tonne ne supporterait pas de transport lointain. C'est le cas de

l'eau et de la plupart des matériaux de construction, dont les productions en volume

l'emportent de très loin sur toutes les autres. D'autres font l'objet d'un commerce

international, soit sous leur forme initiale, soit sous une forme déjà plus transformée. Ainsi

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le pétrole voyage sous forme de pétrole brut, mais aussi de produits raffinés (essences,

fiouls), le cuivre sous forme de concentré transporté en vrac, mais aussi de lingots de blister

(métal à 99 % de cuivre) ou de métal raffiné (de pureté encore supérieure), le soja sous

forme de graine, mais aussi d'huile ou de tourteaux (les deux produits de la trituration des

graines).

Dans la charte de la Havane, qui se proposait en 1948 d'organiser les marchés mondiaux de

matières premières, l'ONU qualifiait de produits de base : "Tout produit de l'agriculture des

forêts et de la pêche et tout minéral, que ce produit soit sous sa forme naturelle ou qu'il ait

subi la transformation qu'exige communément la vente en quantités importantes sur le

marché international". Le terme anglais correspondant est "Primary commodity". Cette

définition est cependant assez vague : où s'arrête en effet, dans les filières de

transformations successives de la matière, la notion de produit de base et où commence celle

de produit manufacturé ?

Plutôt que de rechercher une classification de nature technique, portant sur le degré

d'élaboration du produit, mieux vaut s'intéresser à la nature de la relation qui s'établit, à

l'occasion d'un échange de marchandise, entre un fournisseur et un client. Cela nous

permettra d'introduire la notion de "commodité".

Schématiquement, il existe une catégorie des marchandises pour lesquelles le directeur des

achats d'une entreprise parisienne prend son téléphone et demande à un individu dont le

bureau est à New York : "je veux 10 000 tonnes, livrables à Rotterdam à raison de 1000

tonnes par mois de juin 2000 à mars 2001, quel est votre prix ?". Il lui sera répondu soit :

"c'est tant", soit plus généralement : "ce sera LME + 10" (cf. Chap. 7, cela signifie une

référence à un cours de bourse acceptée d'un commun accord plus une marge). Notre

directeur des achats note, raccroche, téléphone à trois ou quatre autres personnes

(producteurs, courtiers, négociants voire concurrents en Europe ou ailleurs), puis rappelle

celui dont l'offre lui parait la meilleure et l'affaire est conclue. Le tout à duré dix minutes.

A l'autre extrême on trouvera des marchandises pour lesquelles les ingénieurs du producteur

passent une bonne partie de leur temps chez les clients pour examiner avec eux les

problèmes de mise en oeuvre, discuter des améliorations à apporter au produit, voire des cas

où fournisseurs et clients développent des recherches en commun. Il peut s'agir cependant de

produits peu élaborés : minerais complexes, produits végétaux ou animaux dont on cherche à

améliorer les qualités organoleptiques, alliages métalliques spéciaux, tôles, fils ou tubes de

caractéristiques précises, et faisant l'objet d'un commerce international. Ils pourraient donc

être qualifiés de produits de base. Dans le premier cas, nous proposons de parler de

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"commodité". L'anglicisme n'est qu'apparent puisque "commodity" est d'origine latine et que

dans le français du 17° siècle, le terme désignait couramment un bien matériel1. Une

commodité est donc une marchandise dont les producteurs s'adressent à un marché mondial

où la concurrence porte uniquement sur le prix. La relation fournisseur-client est avant tout

commerciale et les fournisseurs sont très facilement substituables. Dans le second cas, on

parlera de spécialités ou de produits évolutifs : les relations entre fournisseurs et clients ont

un contenu technique et sont plus stables, même si le critère de prix conserve évidemment

son importance.

Une commodité est nécessairement un produit standardisé. Les spécificités liéesà son origine naturelle (le gisement particulier, la région agricole dont ilprovient) se sont effacées, le rendant comparable à des produits d'originedifférente.

La plupart des grands produits de base sont des commodités.

Même lorsqu'ils conservent la marque de leur origine naturelle - les pétroles bruts par

exemple - les écarts de prix liés à des qualités différentes sont déterminés par les marchés au

même titre que le prix de la qualité standard de référence. Pour reprendre le cas du pétrole, le

brut de référence par rapport auquel les autres sont côtés fut longtemps "l'Arabe Léger"

produit en Arabie Saoudite, c'est désormais le "Brent", un mélange de mer du nord ou le

"West Texas Intermediate". Mais tous ne le sont pas : ainsi des minerais polymétalliques

complexes qui ne peuvent être traités que dans quelques usines particulières, ou des très

nombreuses espèces de thés.

Enfin, des marchandises de plus en plus nombreuses, plus élaborées que les produits de base au

sens traditionnel, ont tendance à devenir des commodités et à remplacer au moins

partiellement des produits bruts dans le commerce international : ainsi de l'acide

phosphorique et du superphosphate triple (au lieu du phosphate rocheux brut) de produits

sidérurgiques bas de gamme tels que les ronds à béton, les rails et même certains tubes, de la

pâte à papier ou du papier journal (au lieu du bois en grumes) etc.. Les marchés mondiaux de

ces produits se comportent comme ceux des grands produits de base.

De même certains services sont des commodités : le fret sur les grandes lignes, le transport

en masse de données numérisées, l’électricité, au moins au niveau des marchés de gros, dans

les pays qui ont libéralisé leur système électrique ( cf. l’étude de cas en seconde partie)

Le concept le plus pertinent pour l'analyse économique est donc bien celui decommodité.

1"Je suis un mortel qui ne possède que ces filets et quelques petites commodités" (La Fontaine).

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Le cycle productif

Le cycle productif peut être schématisé par un ensemble de filières qui, des ressources aux

besoins, transforment par étape matière et énergie. A l'origine, les ressources naturelles.

Ensuite viennent les activités initiales de production et d'extraction, avec la première trans-

formation lorsqu'elle est effectuée sur le lieu même de la production : ce sont l'agriculture,

l'élevage, la sylviculture (qui est pour une large part une culture, mais parfois encore

l'exploitation de la forêt naturelle, en particulier dans les zones tropicales) l'extraction des

minerais solides et des matériaux de carrière, l'extraction des hydrocarbures. Ces activités

donnent des "matières premières". Rares sont celles qui sont utilisées telles quelles pour la

satisfaction des besoins finaux : il s'agit avant tout des produits agricoles d'auto-

consommation ou de ceux qui sont vendus simplement conditionnés sur les marchés.

Les autres entrent dans un processus productif de transformation qui comprend plusieurs

étapes. Pour les matières premières dont l'usage final sera alimentaire, c'est l'industrie agro-

alimentaire qui, surtout dans les pays industrialisés, s'introduit de façon croissante entre la

production de matières premières et la consommation d'aliments. Pour les matières

premières minérales, une étape intermédiaire importante est l'industrie chimique et

métallurgique, qui transforme chimiquement (ce qui réclame en général beaucoup d'énergie)

les matières premières pour en faire des produits standardisés : produits raffinés ou

matériaux2 qui sont, avec l'énergie, les intrants de l'industrie manufacturière, du bâtiment et

des travaux publics, mais aussi de l'agriculture et de l'élevage (engrais, phytosanitaires).

Quant aux matières premières énergétiques, elles subissent des transformations qui ne sont

que des conversions des énergies dites primaires en formes d'énergies dites finales

(combustibles, carburants, électricité). Au terme des filières, les "besoins" sont satisfaits par

quelques grandes catégories de produits finaux : aliments, produits manufacturés, bâtiments

et infrastructures, énergies finales.

Le recyclage des déchets complète le cycle productif. Les déchets sont en effet soit rejetés

dans la nature, ils entrent alors dans les cycles de l'écosystème, soit récupérés et recyclés.

Dans certaines filières, le recyclage est une source de matière première aussi, et même plus

importante que les ressources naturelles. C'est particulièrement le cas des métaux, dont les

taux de recyclage varient de plus de 90 % pour les métaux précieux (platine, or) à quelques

dizaines de % pour les métaux courants. Dans le monde occidental au début des années 90 la

part des matières premières élaborées à partir de déchets recyclés est la suivante : 39 % pour

l'acier, 26% pour l'aluminium, 38% pour le cuivre, 48% pour le plomb, 30% pour papier.

Ces taux ont tendance à augmenter.

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Cette représentation du cycle productif en termes de grandes filières allant des ressources

aux besoins permet une classification des matières premières, qui croise origine et

destination.

Parmi les produits de l'agriculture, on peut ainsi distinguer : les boissons tropicales (thé, café,

cacao) à usage alimentaire ; les fruits et légumes, à usage alimentaire ; l'ensemble sucre,

céréales, oléo-protéagineux dont les usages se partagent entre alimentation humaine,

intrants de l'élevage, et, dans des volumes moindres, industrie chimique (sucro-chimie,

amidonnerie, lipochimie) ; les cotons et autres fibres végétales naturelles dont les usages

sont industriels.

Au sein des produits de l'élevage on distinguera : les viandes et produits laitiers, à usage

alimentaire ; les cuirs et peaux et la laine, à usage industriel.

Les produits de la sylviculture sont pour l'essentiel : le bois, à usage industriel ( pâte à papier)

et dans le BTP (également à usage énergétique direct), et le caoutchouc, à usage industriel.

Les produits de la pêche, chasse, cueillette sont utilisés à la fois comme aliments humains et

comme intrants de l'élevage (farines de poisson).

Les produits miniers et de carrière se classent en trois grandes catégories : les matériaux de

construction, destinés au BTP ; les produits miniers qui passent pratiquement tous par

l'industrie chimique et métallurgique, ou, s'ils sont énergétiques (charbon, uranium) rentrent

dans le système de conversion d'énergie ; les hydrocarbures, qui se distinguent des précédents

essentiellement parce que, étant liquides ou gazeux, les méthodes d'extraction et de transport

diffèrent.

A cette description du processus productif en termes de grandes filières techniques on peut

superposer une vision, plus économique, en termes de diabolo (ou de sablier). Dans une

première phase en effet, en amont, le processus productif se caractérise par la réduction

progressive des importantes différences naturelles d'origine et aboutit à ces produits

standardisés, en nombre relativement restreint, que nous avons appelé commodités. C'est

cette phase que l'on qualifiera de secteur primaire (au sens économique, ce qui ne recouvre

pas nécessairement exactement les nomenclatures des comptabilités nationales).

A partir de là commencent les secteurs secondaires et tertiaires, qui sont au contraire

caractérisés par une multiplication et une différenciation croissante des produits, et donc

des formes de concurrence plus complexes. Comme nous l'avons indiqué, les frontières entre

les deux ne sont pas figées, des produits manufacturés simples fabriqués en masse pouvant

2La différence est qu'à la notion de matériaux est associée celle de caractéristiques mécaniques particulières.

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devenir des commodités et leur production relever par conséquent de ce que nous appelons le

secteur primaire.

Différenciation produit

Ressources naturelles

Commodités

Produits manufacturés et services

différenciés

Secteur Primaire

Secteurs secondaire et

tertiaire

Réduction de ladiversité naturelle

Recyclage

Les substitutions

Les descriptions précédentes permettent d'introduire ici une dimension fondamentale de

l'économie des matières premières : la substituabilité.

Ce qu'achète un industriel, ce n'est pas un produit particulier, c'est un ensemble de fonctions

que ce produit peut assurer. Ce qu'achète l'utilisateur d'acier, ce n'est pas un alliage de fer, de

carbone et de quelques autres métaux, c'est un matériau qui possède des qualités mécaniques,

de résistance à la corrosion, voire électriques, thermiques, magnétiques, etc. Tel type d'acier

est susceptible d'être, à un moment donné, le meilleur compromis coût / qualités requises

pour un usage donné ( une carrosserie automobile par exemple). Mais cela peut aussi devenir

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le cas d'un alliage d'aluminium, ou d'un matériau composite à matrice organique. De même,

ce ne sont pas les produits pétroliers en tant que tels qui sont recherchés par les utilisateurs,

mais de l'énergie sous forme de chaleur, de force mécanique, de courant électrique, de

lumière. D'autres formes d'énergies dites primaires (charbon, gaz, bois, uranium, électricité

hydraulique) peuvent, au prix de diverses conversions, satisfaire ces besoins. Nous savons

tous enfin que ce dont nous avons besoin pour vivre est d'absorber des aliments d'un certain

contenu énergétique avec un bon équilibre entre protides, lipides et glucides plus quelques

vitamines et oligo éléments, et non pas de pain, de beefsteak et de fraises (même si

évidemment le goût entraîne des préférences). Il en est de même pour les boeufs, les porcs et

les volailles a qui, de plus, on ne demande pas s'ils préfèrent l'herbe fraîche au tourteau de

soja ou le maïs au blé.

Techniquement, toutes les matières premières sont substituables. C'est à peine forcer le trait

que de dire toutes. Les seules exceptions sont peut-être certains métaux utilisés dans des

techniques de pointe (mais on aura trouvé des substituts dans quelques années) ou certaines

matières premières agricoles appréciées pour leurs qualités organoleptiques (les meilleurs

thés, cafés ou vins) qui cependant ne sont pas strictement indispensables.

Mais certaines substitutions auraient un coût économique exorbitant ou se heurteraient à une

insuffisance des ressources naturelles, ce qui revient au même. Il est par exemple difficile

d'imaginer comment notre civilisation pourrait se passer, sans gigantesques bouleversements,

de l'acier comme matériau structurel de base, ou des engrais chimiques (nitrates, phosphates,

potasse). Mais techniquement, l'agriculture dite aujourd'hui "biologique" a nourri l'humanité

pendant 8000 ans et les métaux non ferreux, les plastiques et les céramiques peuvent

remplacer l'acier dans tous ses usages.

Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il n'est pas une matière première qui ne soit cernée par des

substituts plus ou moins proches en termes de coût. A 80 $ le baril, on se passerait

entièrement de pétrole, car le charbon, dont les réserves sont immenses, permet de fabriquer

de substituts parfaits du pétrole à un prix inférieur. A 25 $ le baril, le pétrole reste cependant

la source d'énergie la plus économique dans de nombreux usages, comme les transports. Mais

pour certains métaux, ou pour les aliments du bétail par exemple, ce sont des hausses de prix

beaucoup plus faibles, de l'ordre de quelques dizaines de % qui provoqueraient ou

accéléreraient des substitutions.

2. Caractéristiques et enjeux du secteur primaire

Dans quelle mesure est-il justifié de parler, en termes généraux, du secteur primaire ainsi que

du fonctionnement des marchés de matières premières et de leur place dans l'économie et la

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géopolitique mondiales ?

Les raisons en sont dans les caractéristiques propres du secteur primaire, tel que nous l'avons

défini :

Il exploite des ressources naturelles dont soit le volume (les gisements) soit la productivité

(le cycle des eaux) soit les deux (les sols agricoles) sont finis, autrement dit des ressources

épuisables.

• Ces ressources naturelles sont de qualité très variable selon les régions du monde,

autrement dit, elles sont inégalement riches et inégalement réparties.

• Ce secteur est en amont du reste du système productif qui ne peut fonctionner sans lui.

• La plupart de ses produits sont des commodités, marchandises standardisées faisant l'objet

d'une concurrence mondiale qui s'exerce avant tout par les prix.

De ces caractéristiques découlent certains enjeux, d'ordres économique et politique,

communs aux activités qui constituent le secteur primaire et à leurs produits.

• La croissance de la population et de la production, exponentielle jusqu'à présent, mise en

regard du caractère fini et épuisable des ressources, conduit périodiquement à de vives

polémiques sur l'urgence et les moyens d'une nécessaire "conservation" des ressources

naturelles.

• De ce que les ressources naturelles soient inégalement réparties il en résulte d'abord que les

matières premières ont toujours beaucoup voyagé et qu'elles firent partie du commerce

lointain dès l'antiquité.

• De plus, au sein même de l'ensemble des régions productrices subsistent toujours des

différences de coûts, liées aux différences de qualité de la ressource naturelle (le coût

d'extraction du pétrole est, par exemple, de 1 $/baril en Arabie Saoudite, mais de plus de 10

$ en mer du nord). Quand elles sont importantes, ces différences de coûts de production, que

l'économiste qualifie de rentes différentielles, sont toujours l'objet d'un conflit entre

producteurs et Etats. Les Etats, qui ont tous affirmé leur souveraineté sur les ressources

naturelles présentes sur leur territoire, estiment que les rentes doivent, à travers eux, revenir

à la collectivité nationale. Les producteurs, qu'il s'agisse de paysans ou de firmes minières ou

pétrolières, les revendiquent comme fruit de leur travail ou rémunération des risques qu'ils

ont pris dans la découverte ou la mise en valeur des ressources naturelles.

• Dans l'industrie pétrolière et minière, parfois aussi dans l'industrie agro-alimentaire, les

profits issus des rentes peuvent, quand ils ne sont pas confisqués par les Etats, l'emporter de

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loin sur tous les autres. Cela a d'importantes conséquences sur les stratégies des entreprises et

les formes d'organisation et de concurrence dans ces industries et ce d'autant plus que les

firmes ne peuvent pas se différencier par la nature de leurs produits, ce qui est le cas quand il

s'agit de commodités.

• Que les matières premières ne puissent être produites n'importe où mais qu'en même temps

elles se situent en amont de tout le processus productif soulève pour les Etats des problèmes

de sécurité d'approvisionnement et peut créer des situations de dépendance économique et

politique. Les Etats sont fréquemment tentés d'y faire face en protégeant la production

nationale. L'acuité de ce genre de question est redoublée, dans le cas des produits agricoles,

par le statut toujours particulier des paysans dans les Etats modernes. Qu'ils soient

surexploités ou protégés, qu'ils constituent la grande masse de la population ou une minorité,

ils ne sont en tout cas jamais livrés au libre jeu des "forces du marché".

• Le secteur primaire est donc l'un de ceux où l'intervention des Etats fut toujours forte soit

pour s'approprier les rentes soit pour protéger la production nationale au nom de la

nécessité de l'autosuffisance, soit pour pratiquer une diplomatie des ressources et assurer la

sécurité des approvisionnements extérieurs.

• Enfin, que les matières premières soient des commodités et qu'elles soient en amont du

processus productif (ce qui entraîne, au moins dans le court terme, que la demande est peu

sensible aux prix) provoque généralement d'amples fluctuations des prix, comme nous le

verrons plus en détail au chapitre 6. Mais cela favorise aussi, dans certaines conditions, la

pratique de prix de monopoles. Compte tenu des interdépendances fortes qu'entraîne le

commerce international des matières premières, l'évolution de leur prix cristallise donc en

permanence des conflits économiques. En période de bas cours les exportateurs s'estiment

spoliés (après avoir, disent les producteurs du Tiers Monde, été directement pillés dans la

période coloniale). En période de haut cours, les importateurs dénoncent des profits indus,

liés à leurs yeux à un véritable chantage à la pénurie.

3. Contenu et plan du cours

Ce cours traite de ces enjeux, en mettant l'accent sur les évolutions récentes. Il s'organise en

trois parties.

La première est historique, géographique et prospective. Le chapitre 1 replace d'abord dans

une perspective historique longue les niveaux actuels de consommation et la structure des

échanges internationaux, puis le chapitre 2 examine l'état actuel des débats sur l'épuisement

des ressources et l'articulation ressources/environnement.

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La seconde partie est consacrée à la formation des prix des commodités, avec un accent sur

les commodités minérales. Le chapitre 3 examine les conséquences sur les prix du caractère

épuisable des ressources naturelles. Le chapitre 4 introduit le concept central de rente

différentielle et analyse la formation des prix en situation de structure de marché

concurrentielle. Le chapitre 5, la formation des prix en situation d’oligopole. Le chapitre 6,

les fluctuations des prix. Le chapitre 7 décrit les modalités concrètes de formation des prix

des commodités. Le chapitre 8 est consacré aux marchés à terme de commodités.

La troisième partie est une série d’études de cas, illustrant les analyses qui précèdent.

Chapitre 9 : Le partage des rentes différentielles minières entre firmes et Etats. Chapitre

10 : Le tournant des années 80 : des prix producteurs aux prix de bourse. Chapitre 11 :

Structures de marché et formation des prix dans l’histoire du pétrole Chapitre 12 : La plage

d’équilibre des prix du pétrole. Economie, politique et incertitude dans la formation de prix

du pétrole.

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Economie industrielle des commodités Pierre-Noël Giraud

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PREMIERE PARTIE :

APERCU HISTORIQUE, GEOGRAPHIQUE ET PROSPECTIF

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Economie industrielle des commodités Pierre-Noël Giraud

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Chapitre 1. Les matières premières dans l'économie

mondiale : une mise en perspective historique

1. Consommations et échanges avant la seconde guerre mondiale

Avant la première révolution industrielle

Avant la première révolution industrielle les énergies de base restent la force animale et

humaine, le bois, et secondairement, l'utilisation des rivières et du vent. Les matériaux

structurels de base sont la pierre et le bois. Bien que la métallurgie du fer et des non ferreux

soit maîtrisée depuis des siècles les métaux restent rares et réservés aux usages nobles : les

armes, quelques outils. Ainsi l'Europe produisait 100 000 t de fer en 1540, 180 000 t en

1700 2 Les régimes alimentaires sont fondés sur les grandes "céréales de civilisation" : riz

dans l'Asie des moussons, blé en Europe, Amérique du Nord, Proche-Orient et Nord du sous-

continent indien, maïs en Amérique. Elevage et pêche apportent un complément en pro-

téines très limité.

L'autarcie, non seulement des nations, mais d'entités beaucoup plus réduites (provinces,

voire villages) est la règle générale. On produit là où l'on consomme, ou très près. En 1765

encore, il faut 12 jours pour aller de Paris à Marseille. Seuls voyagent à l'intérieur des

continents le sel, certaines protéines (le hareng salé aurait à plusieurs reprises sauvé l'Europe

de la famine) et naturellement les métaux précieux et des denrées rares et coûteuses, comme

les épices, lesquels font également l'objet d'un commerce lointain.

Mais, quoique se développant après les grandes découvertes, le commerce maritime est

dangereux et surtout lent et coûteux. Au 16e siècle, sur la route des Indes, 15 % des navires

se perdent corps et biens, 20 à 35 % des marins embarqués meurent au cours des plus longs

voyages (3 ans). Le prix de revient de la tonne transportée impose ses limites au transport

de masse : seuls l'Amérique des îles et le Brésil, plus tard l'Amérique du Nord, sont

susceptibles de voir se développer l'économie de plantation. Ailleurs, seule est possible la

collecte ou l'exploitation de produits rares et précieux : épices, or et argent. Avant le 18e

siècle, les métaux précieux représenteront toujours plus de 80 % des exportations des

colonies espagnoles. Les épices sont un produit de luxe, leur commerce procure des profits

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Economie industrielle des commodités Pierre-Noël Giraud

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considérables (au 16ème siècle, un quintal de clous de girofles qui était acheté 2 ducats aux

Moluques en valait 50 à Calicut aux Indes et plus de 200 à Londres3).

Les premières plantations de canne se développent dès le début du 16ème siècle à Saint-

Domingue. Mais l'économie de plantation ne prendra vraiment son essor qu'au 17ème siècle

avec la traite des Noirs. Au 17ème et au 18ème siècles, ses produits se diversifient avec la

colonisation de l'Amérique du Nord : tabac, coton, riz, puis blé. Les boissons tropicales

commencent également à faire partie des échanges.

En 1800, cependant, le tonnage moyen des navires est encore de 300 tonnes et leur vitesse

de 10 nœuds. A cette époque, le monde est relativement homogène : techniques productives

et consommations ne sont pas significativement différentes en Europe du reste du monde.

La richesse est également répartie. Paul Bairoch estime qu'à la fin du 18ème siècle, le revenu

par habitant dans ce qui deviendra le Tiers Monde est encore équivalent à celui de l'Europe

(200 $ de 1960 contre 213 $ par habitant respectivement). On peut supposer que les

consommations de matières premières par habitant sont également du même ordre de

grandeur.

De la révolution industrielle à la seconde guerre mondiale

Une première grande rupture intervient avec la révolution industrielle qui naît en Angleterre

au milieu du 18ème siècle et se développe en Europe et en Amérique du Nord au cours du

19ème siècle. Fondée sur le fer et le charbon, elle développe à une échelle jusqu'ici inconnue

les mines, la métallurgie et l'industrie textile. L'agriculture fait des progrès continus, grâce en

particulier à l'introduction de nouvelles espèces (pommes de terre, maïs) et aux débuts du

machinisme agricole (semoirs, moissonneuses). Mais elle reste traditionnelle dans ses traits

fondamentaux : polyculture, articulation élevage-culture (mais introduction des prairies

artificielles), fumure organique, traction animale, et les rations alimentaires de la grande

masse des populations ne se modifient pas significativement. Elles restent fondées sur les

céréales et les tubercules. La consommation mondiale de charbon passe de 20 Mt en 1800 à

210 Mt en 1870 puis à 768 Mt en 1900 et 1 340 Mt en 1913. En 1913, le charbon

représente plus de 90 % de la consommation mondiale d'énergie primaire (hors bois). La

consommation mondiale d'acier, estimée à 2 Mt autour de 1800, est de 77 Mt en 1913.

Les historiens des techniques qualifient souvent de seconde révolution industrielle celle qui se

développe à partir du début du 20e siècle. Elle se caractérise par le développement du pétrole

et du moteur à explosion, de l'électricité et de la chimie. La gamme des biens de

2Braudel Civilisation Matérielle, Economie et Capitalisme 15ème-18ème Siècles, T1 p. 335.3 A. Giraud et X. Boy de la Tour "Géopolitique du pétrole et du gaz" p. 32.

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consommation manufacturés s'élargit, en particulier avec l'automobile. L'aluminium

commence une brillante carrière et la consommation des métaux non ferreux croît et se

diversifie. L'utilisation d'engrais chimiques se répand.

Comme par ailleurs, le 19e siècle et le début du 20e siècle connaissent des progrès

importants des transports maritimes (le tonnage moyen des navires passe de 300 t autour de

1800 à 4 000 t autour de 1900 et à 9 000 t autour de 1930, la vitesse passe de moins de 10

noeuds à 25), on assiste au premier véritable développement du commerce lointain des ma-

tières premières de base, celles que nous qualifierons encore ainsi en 1989 : fibres textiles,

céréales et minerais non ferreux (cuivre, plomb, zinc et étain, mais aussi nitrates du Chili,

matières premières des explosifs avant l'invention de Nobel). Les premières exploitations

minières hors d'Europe qui ne soient pas des mines d'or ou d'argent sont en effet développées

dans la dernière moitié du 19ème siècle.

Cependant, comme l'indique une carte publiée en 1937 par la Société des Nations, avant la

seconde guerre mondiale, l'économie des transports terrestres et maritimes laisse encore de

très vastes zones du Tiers Monde inexploitables, quelle que puisse être la richesse de leurs

gisements. Les investissements miniers et pétroliers outre-mer restent sélectifs : seule les

motive la recherche de rentes différentielles très importantes par rapport à la production

dans les pays industrialisés. Les minerais pondéreux restent essentiellement produits près des

lieux de consommation. L'Angleterre en 1913 est encore le second producteur mondial de

charbon (après les Etats-Unis) et toujours le premier exportateur (100 Mt, surtout vers

l'Europe, sur un commerce mondial de 193 Mt). Les Etats-Unis produiront plus de la moitié

du pétrole mondial jusqu'en 1952 et resteront les premiers exportateurs jusqu'en 1948.

Globalement malgré tout, la spécialisation primaire de la périphérie s'est affirmée pendant

cette période, surtout d'ailleurs celle des anciennes colonies de peuplement, car en Afrique et

en Asie, la transformation des systèmes de production antérieurs se heurte à d'importants

obstacles internes et subit de nombreux échecs, qui font que la politique coloniale est

constamment contestée par une partie des milieux d'affaires qui en critiquent le coût et

mettent en doute ses avantages économiques.

2. L'époque de la consommation de masse et l'émergence des nations

souveraines

L'après seconde guerre mondiale est une période caractérisée par :

- l'explosion des consommations, liée à la consommation de masse dans les pays

industrialisés et à la rapide croissance démographique du Tiers Monde,

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- une mondialisation des marchés et une vive croissance du commerce international,

- l'affirmation par les Etats producteurs, tous devenus indépendants, de leur souveraineté sur

les ressources naturelles,

- enfin d'importantes évolutions de la structure des industries constituant le secteur

primaire.

L'explosion des consommations

Du point de vue de la consommation de matières premières, comme d'ailleurs du point de

vue économique d'ensemble, la rupture essentielle n'est pas tant la seconde révolution

industrielle que le passage d'une croissance extensive du capitalisme (la production

industrielle s'élargit en utilisant de plus en plus de main d'oeuvre fournie par l'exode rural, lui-

même lié au progrès de l'agriculture, mais les gains de productivité du travail restent

modérés) à une croissance intensive, fondée sur l'augmentation relative du capital et de forts

gains de productivité du travail grâce au taylorisme et aux chaînes de montage.

L'augmentation massive de la production de biens manufacturés ainsi rendue possible ne

pouvait se contenter des débouchés offerts par la bourgeoisie : les classes moyennes puis les

classes populaires elles-mêmes devaient avoir accès à ces biens, sous peine de crises

récurrentes de surproduction.

On a qualifié de "fordiste" ce mode de croissance combinant une production de masse de

biens de consommation de masse à un partage des gains de productivité entre capital et tra-

vail tel qu'il assurait en permanence le soutien de la demande finale. Il apparaît dès les

années 20 aux Etats-Unis, mais c'est surtout après la seconde guerre mondiale que ce mode

de croissance va se déployer. C'est lui qui explique la croissance économique exceptionnelle,

tant en rythme qu'en régularité, de l'Amérique du Nord, de l'Europe et du Japon durant ce que

Jean Fourastié a appelé les "Trente glorieuses" (1945-1975).

Or, ce mode de croissance, compte tenu de sa rapidité et de la nature des biens produits :

automobile, biens d'équipement des ménages, biens d'équipement industriels, infrastructures,

logements, va provoquer une véritable explosion des consommations de matières premières

industrielles, et tout particulièrement des combustibles et des métaux. Dans le domaine de

l'énergie, le charbon va céder le pas au pétrole. L'ère du pétrole commence en Pennsylvanie

en 1859, mais la consommation mondiale (essentiellement sous forme de pétrole lampant

et de lubrifiants) n'est que de 21 Mt en 1900. Elle croît ensuite régulièrement, avec le

développement de l'automobile et le passage des flottes de navires au mazout, pour atteindre

170 Mt en 1929 et 424 Mt en 1950. Mais ensuite, elle s'envole vers un sommet de 3124 Mt

en 1979. Entre 1950 et 1979, le taux de croissance annuel moyen dépasse 7%. En fait,

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toutes les matières premières minérales connaissent des taux de croissance exceptionnels au

regard des tendances passées. Ainsi, l'indice de la production minière non énergétique

progresse de 5,2% par an en moyenne entre 1950 et 1973 (contre 4% au cours du 19ème

siècle et 2% de 1910 à 1950). Parmi les produits minéraux, certains ont des taux de

croissance de la consommation nettement plus rapides que la moyenne de l'économie, tels

l'aluminium (9,2%) entre 1950 et 1973, le nickel (5,9%), les engrais phosphatés (7,6%),

tandis que l'acier se situe désormais à peine au-dessus de la moyenne (5,8%).

L'élévation des revenus dans les pays industrialisés provoque une autre rupture, dans le

domaine agricole cette fois. Ici encore, c'est aux Etats-Unis et avant-guerre que se dé-

veloppe un nouveau modèle alimentaire qui se généralise ensuite en Europe (et plus

tardivement au Japon où il ne s'est pas encore vraiment imposé). Il se caractérise par

l'augmentation massive de la consommation de viande, de produits laitiers, de fruits et de

légumes. Au début des années 80, la consommation annuelle moyenne du citoyen des Etats-

Unis est la suivante : 60 kg de céréales, 64 kg de sucre et de produits sucrés, 73 kg de fruits

et 94 kg de légumes, 148 kg de produits laitiers (beurre exclu) et 113 kg de viande! Sa ration

calorique journalière moyenne est de 3 345 calories alors que la FAO estime dans ce pays à

2 700 calories/jour et à 75 g de protéines (au plus) les besoins physiologiques. On est

désormais très loin du modèle à prépondérance de céréales ou de tubercules qui reste

dominant dans le Tiers Monde. Aux mêmes dates, la ration moyenne en Inde est en effet de

2 050 calories/jour apportées à 67 % par des céréales, au Mali les chiffres respectifs sont de

1 730 et 71 %. Une telle augmentation de la consommation de viande et de produits laitiers

n'a été possible que grâce à une révolution dans l'élevage : bétails et volailles sont désormais

nourris par le couple céréales/soja. Ceci provoque un effet de levier considérable sur la

production de ces derniers puisqu'une calorie de viande rouge exige six à sept calories

agricoles. La consommation indirecte de céréales est désormais très supérieure dans les pays

industrialisés à la consommation directe.

Cette explosion des consommations de matières premières a creusé des écarts considérables

entre pays industrialisés et du Tiers Monde. Les différences de régime et de consommation

alimentaires ont été évoquées ci-dessus. En 1987, l'habitant moyen de l'OCDE consomme

4,7 fois plus de pétrole, 16 fois plus de métaux non ferreux, 8 fois plus d'acier, 5 fois plus

d'engrais phosphatés que l'habitant moyen du Tiers Monde.

Explosion de la population du Tiers Monde (la population mondiale passe de 2,6 à 4

milliards d'habitants entre 1950 et 1975 et l'essentiel de cet accroissement est dû à la

"frénésie" consommatrice dans les pays industrialisés : pendant les "Trente Glorieuses",

l'humanité a "tiré" sur les ressources naturelles du globe comme jamais dans son histoire !

D'où les inquiétudes qui s'expriment au début des années 70 et dont nous parlerons au

chapitre suivant. Cependant, dans les pays riches, ce mode de croissance s'essouffle dès le

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milieu des années 70. Nous y reviendrons dans le chapitre 9.

La mondialisation des marchés

Tirant les leçons de la crise de 1929, les Etats-Unis mettent en place un système

international fondé sur le libre-échange et la stabilité monétaire (création du GATT et

accords de Bretton Woods) qui va progressivement lever les obstacles juridiques et

monétaires au développement du commerce mondial.

Le commerce mondial va croître en moyenne deux fois plus vite que la production,

manifestant ainsi l'ouverture générale de toutes les économies et leur interdépendance

croissante. Cependant, au sein de ce commerce mondial, la part des matières premières qui

était de 58 % en 1955 passe à 39 % en 1985 et 25 % en 1992. En $ constant le taux de

croissance moyen du commerce des produits de base est de 4,3 % par an entre 1955 et 1985

Cette très forte croissance du commerce des produits de base a été possible grâce à la

poursuite de spectaculaires progrès dans les transports terrestres par chemin de fer et le

transport maritime. Si la vitesse des navires a peu augmenté, leur taille a atteint 350 000

tonnes pour les plus gros vracquiers (qui transportent les minerais et les céréales) et 500 000

tonnes pour les pétroliers. Avec l'automatisation et la réduction des équipages, cela a permis

une énorme réduction des taux de fret et donc, pour la première fois, une véritable

mondialisation des marchés, y compris des matières premières pondéreuses de plus faible

valeur à la tonne, comme le minerai de fer, la bauxite ou le charbon. En 1987, les frets

Australie-Europe n'étaient que de 10 $/tonne pour des produits dont le prix rendu à

Rotterdam était situé entre 30 et 50 $/tonne (charbons et minerais de fer).

Les pays riches satisfont largement eux-mêmes leurs besoins

Comment a été satisfaite l'exceptionnelle croissance de la consommation des pays

industrialisés que nous avons décrite ci-dessus ? Il faut sur ce point détruire une idée fausse,

bien qu'encore largement répandue. La croissance des pays riches n'a pas reposé sur une

exploitation privilégiée des richesses naturelles du Tiers Monde, sauf pour le pétrole. De

1950 à 1983, pour l'ensemble des minerais non énergétiques, les pays du Tiers Monde (hors

pays socialistes dont le commerce international est très limité) ont représenté une part

stable de la production minière non énergétique mondiale : 35 %. Ainsi, lorsqu'une mine

s'ouvrait dans un pays du Tiers Monde, deux s'ouvraient dans les pays industrialisés à

économie de marché (cette moyenne recouvrant évidemment des évolutions divergents par

substance). Si "pillage" des ressources il y a eu pour satisfaire la consommation des pays

riches, ceux-ci ont avant tout pillé les ressources de leur propre sous-sol ! Quant aux

productions de l'agriculture et de l'élevage, c'est également dans les pays industrialisés qu'elles

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ont le plus rapidement augmenté, par habitant. Ainsi entre 1960 et 1980, les taux de

croissance de la production alimentaire par habitant ont été de 1,2 % dans l'OCDE et de 0,3

% dans le Tiers Monde et ceux de la production agricole totale par habitant de 1,2 % et 0,4

% respectivement. De plus, les pays industrialisés sont devenus largement excédentaires

pour les produits alimentaires à la fin des années 80 (produits tropicaux mis à part,

naturellement, mais dira-t-on que la croissance du Nord résulte du pillage du café et du

cacao ?).

La situation est différente pour le pétrole. En effet c'est avant tout sur le Moyen-Orient qu'a

reposée la croissance de la production, au point que les Etats-Unis, exportateurs de pétrole

jusqu'en 1948, deviendront dangereusement dépendants, à leurs yeux, du pétrole du Moyen-

Orient dès le début des années 70, ce qui explique qu'ils aient été alors favorables à une

augmentation des prix internationaux leur permettant de relancer la production américaine.

L'époque des nations souveraines

Mais cette époque est aussi celle des indépendances nationales dans le Tiers Monde et de

l'affirmation par les nouveaux Etats de leur souveraineté sur leurs ressources naturelles. La

plupart des colonies accèdent à l'indépendance dans les années 50 et le début des années 60.

La résolution 1803 (XVII) des Nations Unies (décembre 1962) sur la "souveraineté

permanente et intégrale sur les richesses et ressources naturelles" leur reconnaît le droit,

pour l'exercer, d'aller jusqu'à la nationalisation des compagnies étrangères. De fait, une vague

de nationalisations, parfois conflictuelles mais le plus souvent négociées, fait passer aux

mains de sociétés publiques l'essentiel des actifs des compagnies étrangères dans les mines, les

puits de pétrole, les plantations et même les terres des colons étrangers. Ces nationalisations

sont justifiées par la volonté des Etats de capter les rentes, de maîtriser les rythmes de

production et d'exportation et par le fait que de très nombreux excès avaient

incontestablement été commis par les sociétés étrangères. Si l'on ne peut à mon avis,

comme je l'ai dit ci-dessus, parler de pillage des ressources du Tiers Monde comme moteur de

la croissance du "Nord", il reste vrai que bien souvent le mode d'exploitation des ressources

ne laissait pratiquement rien dans le pays, voire mettait en danger la production future en

gaspillant les réserves ou en épuisant les terres. En ce sens on peut, localement, parler de

pillage...

A partir de ce moment les Etats des pays producteurs, avec leurs firmes publiques, leurs

offices de collecte et de commercialisation des produits agricoles deviennent des acteurs

indépendants à part entière des marchés mondiaux. Ils sont désormais maîtres de la politique

de développement de la production, de celle des prix intérieurs et de l'usage qu'ils font des

rentes issues de l'exportation de produits primaires. Le débat sur la dégradation des termes de

l'échange, qui succède avec les indépendances aux accusations de pillage des ressources,

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masquera longtemps ce fait nouveau et essentiel de la responsabilité des gouvernements

indépendants dans leur politique de développement à partir de leurs ressources naturelles et

dans l'équilibre ou les déséquilibres des marchés mondiaux.

L'évolution de la structure des industries

Par structure de l'industrie, il faut entendre, en première analyse, le nombre et la nature des

acteurs de la production des échanges et de la consommation, leur degré d'intégration

verticale et d'internationalisation, les rapports qu'ils entretiennent avec leur amont et leur

aval, et le degré de concurrence qui existe entre eux.

Très schématiquement, on peut dire que la période de l'après-guerre est marquée, surtout à

partir des années 70, par l'apparition de nouveaux acteurs, en particulier les firmes publiques

résultant des nationalisations dans le Tiers Monde, par une désintégration verticale des

filières autorisant parfois un rôle accru des négociants internationaux, et par l'importance

croissante du rôle des Etats, spécialement dans le domaine agricole.

Ainsi, comme nous le verrons au chapitre 10, l'industrie pétrolière hors des Etats-Unis était,

jusque dans les années 60, organisée et dominée par l'oligopole des "sept soeurs" ou "majors"

(5 américaines : Exxon, Mobil, Chevron, Gulf et Texaco, une britannique : BP et une anglo-

hollandaise : Shell), qui étaient des firmes totalement intégrées du puits à la pompe. Cet

oligopole, qui était donc entièrement maître des prix du pétrole, a d'abord été entamé par la

création de compagnies publiques européennes (Elf, l'ENI) et l'arrivée des plus gros

indépendants américains sur ses chasses gardées. Mais surtout, la nationalisation progressive

des puits après 1973 lui fait perdre son accès privilégié au brut, au profit des compagnies

publiques des pays producteurs, qui ont d'ailleurs très vite cherché à s'intégrer sur le raffinage

et même la distribution. En 1973, les sept majors contrôlaient encore, dans le monde

occidental : 70% des réserves, 66% de la production de brut, 49% du raffinage, 57% de la

distribution. En 1985 ces pourcentages étaient de 5%, 18%, 32% et 41% respectivement.

En conséquence, on constate entre ces deux dates l'apparition d'un véritable marché du brut

et le développement de celui des produits raffinés, alors qu'auparavant il s'agissait surtout

d'échanges captifs entre filiales d'un même groupe ou de groupes alliés.

Le phénomène est moins spectaculaire dans l'industrie minière et métallurgique, mais de

même nature. (Chapitre 9). De filières contrôlées jusque dans les années 60 par un petit

nombre de firmes occidentales très internationalisées et intégrées de la mine au métal et

parfois au-delà, on est progressivement passé à une industrie plus fragmentée. Les gros

producteurs miniers sont désormais des compagnies américaines, australiennes, canadiennes

et sud-africaines, mais aussi de grandes firmes publiques du Tiers Monde, tandis que les firmes

européennes et japonaises se sont recentrées sur la métallurgie, la chimie et son aval. Des

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négociants jouent de plus un rôle significatif dans le contrôle de certains flux de minerais.

Dans l'agriculture, les indépendances ont fait disparaître les maisons coloniales et les grandes

plantations contrôlées par des multinationales telles que United Fruit (bananes) ou Firestone

(caoutchouc). Au niveau de la production, le modèle dominant est désormais le modèle

paysan. Ces millions de paysans, au Nord comme au Sud, sont insérés entre, en amont les

firmes de l'agrofourniture et en aval, les coopératives de collecte et de commercialisation et

les firmes agro-alimentaires qui, par contre, manifestent une nette tendance à la

concentration et à l'internationalisation. Quant au commerce international proprement dit

de produits agricoles, il est devenu le royaume privilégié des grands négociants

internationaux.

3. Géographie des échanges mondiaux de matières premières

à partir des années 80

A partir des années 80, les échanges mondiaux n'ont absolument plus le caractère simpliste

d'échanges de produits primaires issus des pays du Tiers Monde contre des produits

manufacturés des pays du Nord, ce qui était en gros le cas au 19ème siècle et au début du

20ème siècle.

Les échanges par grands groupes de produits

Structure des exportations des principales zones en 1992En %, et en G$ de 1993

Produitsalimentaires

1

Matièrespremièresagricoles2

Mineraiset

métaux3

Combustibles 4

Produitsmanufacturés5

∑6en G$

de1993

PIEM 9,4 2 2,9 4 82 2652Etats-Unis 10,5 2,9 2,3 2,5 81,8 448Europe 10,2 1,4 2,5 4,1 81,7 1682Japon 0,6 0,1 0,9 0,5 97,9 340Pays d'Europe orientale 7,5 4,2 7,4 24,9 56 91OPEP 3,9 1 1,7 80,7 12,6 180PVD non OPEP* 10,7 2,3 3,4 2,4 81,2 830Monde 9,7 2,2 3 9,1 75,9 3662

Le tableau ci-dessus donne la structure des exportations des grandes zones géopolitiques. Les

principales remarques qu'appelle ce tableau sont les suivantes. La part des produits de base

non énergétiques dans les exportations des Etats-Unis (15,7%) est équivalente à leur part

dans celles du Tiers Monde hors OPEP (16,4 %). Les pays du Tiers Monde exportent quatre

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fois plus de produits manufacturés que de produits de base non énergétiques. Mais ceci doit

être nuancé par le fait qu’une dizaine de pays dits émergents du Tiers Monde, assurent à eux

seuls 80 % des exportations de produits manufacturés de cet ensemble.

Le tableau suivant donne les matrices du commerce mondial par grandes catégories de

produit en 1992 (avec un rappel de la situation en 1970).

Matrices du commerce mondial en milliards de dollars 1992 (1970)Importations Produits alimentaires

Exportations Monde PIEM PVD ex-PEPMonde 354,6/389,1

(46,5/51,4)276,1(36,7)

91,2(10,1)

21,8(4,6)

PIEM 248,5(26,7)

PVD 99,3(16,5)

ex-PEP 6,8(3,2)

Importations Matières premières agricolesExportations Monde PIEM PVD ex-PEPMonde 79,1/89,2

(15,8/18,5)66

(14,1)21,8(2,3)

1,4(2,1)

PIEM 54,4(8,7)

PVD 20,9(5,5)

ex-PEP 3,8(1,6)

Importations CombustibleExportations Monde PIEM PVD ex-PEPMonde 335/

(28,3/)PIEM 105,5

(7,6)PVD 206,8

(18,1)ex-PEP 22,7

(2,6)

Importations Minerais et métauxExportations Monde PIEM PVD ex-PEPMonde 112,7/129,1

(23,6/25,8)95,7

(21,8)30,6(2,1)

2,8(1,9)

PIEM 75,7(13,9)

PVD 30,4(7,7)

ex-PEP 6,7(2)

PIEM : pays industrialisés à économie de marché. PVD : pays en voie de développement (Chinecomprise et pays socialistes du tiers monde compris). ex-PEP : ex-pays à économie planifiés d'Europe del'Est. Le total mondial peut différer légèrement de la somme des totaux par zone en raison des arrondis.

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Les exportations sont généralement exprimées en valeurs f.o.b. et les importations en valeurs c.i.f.

Source : CNUCED - Annuaire des Produits de Base 1994.

Les principales constatations sont les suivantes. L’ex-URSS et les pays de l'Est européens

(ex PEP : Pays à Economie Planifiée), participent relativement peu, par comparaison aux

deux autres blocs, au commerce mondial de produits de base. Les principaux exportateurs de

produits de base d'origine agricole et de minerais et métaux sont les pays industrialisés

(PIEM). Les PVD, grâce à l'OPEP, ne l'emportent nettement que pour les exportations de

produits énergétiques.

Production Prix et commerce des principaux produits

Les chiffres précédents agrègent des flux commerciaux très différents. Il est nécessaire de

considérer à part les principaux produits. Combien de millions de tonnes de pétrole, de fer,

de blé produit-on dans le monde ? Combien de tonnes d'or ? A quels prix les principaux

produits de base s'échangent-ils ? Que représentent-ils dans le commerce mondial ? Donnons

ici quelques ordres de grandeur, pour fixer les idées. Le tableau suivant indique pour les

principaux produits de base : le volume de la production, le volume des exportations, le

degré d'ouverture du marché international (mesuré par le ratio exportations/production), la

part des PVD dans les exportations, le prix des produits sur le marché international en 1992

et enfin la valeur des exportations.

Production, commerce et prix des principales matières premières (1992)1992 Prod.

MtPrincipaux producteurs Exp. Mt Principaux exporteurs E/P

%PVDExp%

Prix$/t*

Val.E G$

Pétrole 2947 Ex-URSS - Arabie S. -Etats-Unis - Iran - Chine -

Mexique - Vénézuela

1278 Arabie S. - Norvège -Emirats AU - Nigéria -

Mexique

43 78 126** 161

Charbon(houille)

3501 Chine - Etats-Unis - ex-URSS - Inde

395 Australie - Etats-Unis -Afrique du Sud - Canada -

ex-URSS

11 40,6 16

Gaz naturel(Tep)

1826 ex-URSS - Etats-Unis -Canada - Pays-Bas

389 ex-URSS - Canada - Pays-Bas - Algérie

21

Minerai defer

902,7 Chine - ex-URSS - Brésil -Australie

365,9 Brésil - Australie 41 45 31,6 11,6

Bauxite 108 Australie - Guinée -Jamaïque - Brésil

33,1 Guinée - Australie - Brésil- Jamaïque

30,6 77 36,3 1,2

Al métal 19,5 Etats-Unis - ex-URSS -Canada - Australie

9,6 Canada - ex-URSS - Brésil- Norvège - Etats-Unis

49 26 1 254 12

Minerai Cu(en contenude Cu)

9,3 Chili - Etats-Unis - ex-URSS - Canada

2,4 Chili - Canada - Etats-Unis- Indonésie - Portugal -

PNG

25,8 55 1591 3,8

Cu raffiné 12,5 Etats-Unis - Chili - Japon -ex-URSS

3,9 Chili - Zambie - Canada -Péru - Australie - Zaïre (B)

31 51,5 2 281 8,9

Phosphates(rocheux)

140 Etats-Unis - ex-URSS -Chine - Maroc

29,8 Maroc - Etats-Unis -Jordanie - ex-URSS

21 69 43 1,3

Etain (métal) 0,20 Malaisie - Chine - Brésil -Indonésie

0,18 Malaisie - Indonésie -Singapore - Chine - Brésil

92 76 5 990 1,1

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1992(*=92/93)

Prod.Mt

Principaux producteurs Exp. Mt Principaux exporteurs E/P%

PVDExp%

Prix$/t

Val.E G$

Blé * 560,3 Chine - ex-URSS - CEE -Etats-Unis -

102,4 Etats-Unis - Canada - CEE- Australie - Argentine

18 11 177/193

19

Maïs * 530,4 Etats-Unis - Chine - Brésil- CEE

62,8 Etats-Unis - Argentine 12 104/102

6,5

Riz 529(pad)

Chine - Inde - Indonésie -Bangladesh

13,5(déc.)

Thaïlande - Etats-Unis -Vietnam

2,6 56 287 3,9

Sucre* 114,2 CEE - Inde - Brésil - ex-URSS - Etats-Unis

32,14 CEE - Cuba - Australie -Brésil

285604 200/22

110,6

Soja(graines)*

116,9 Etats-Unis - Brésil -Argentine - Chine

29,5 Etats-Unis - Brésil -Argentine

25 27 236/255

7,2

Soja(tourteaux)*

75,9 Etats-Unis - Brésil - CEE -Brésil

27,7 Etats-Unis - Brésil -Argentine - CEE

37 204/208

7

Café 5,9 Brésil - Colombie -Indonésie

4,9 Brésil - Colombie 84 89 1 410/1 560

7,7

Cacao(fèvres)

2,4 Côte d'Ivoire - Brésil -Ghana - Indonésie -

Malaisie

1,7 Côte d'Ivoire - Ghana 74 98 1200/1 100

1,9

Cacao(produits)

- 1,1 Pays-Bas - Brésil -Allemagne

- 47 1,8

Coton 18,6 Chine - Etats-Unis - Inde -ex-URSS - Pakistan

4,9 ex-URSS - Etats-Unis -Pakistan

26,5 43 1 280 6,3

Bois(grumes)*6

937 Etats-Unis - Canada - ex-URSS - Malaisie (feuillus)

65,6 Malaisie (feuillus) - Etats-Unis - ex-URSS

7 687 200(316)8

17

Caoutchouc(naturel)

5,6 Thaïlande - Indonésie -Malaisie

4,3 Thaïlande - Indonésie -Malaisie

77 97 861,3 3,7

Tabac 8,3 Chine - Etats-Unis - Brésil- Inde

1,7 CEE - Etats-Unis - Brésil -Zimbabwe

21 55 2 460 4,2

Viande(boeuf etveau)9

48 Etats-Unis - CEE - ex-URSS - Brésil

3,3 Australie - CEE - Nouv.Zélande - Brésil

6,8 10 2 460 8,1

Sources : Cyclope 1994 (ED. ECONOMICA), World Metal Statistics 1994 (World Bureau of MetalStatistics), World Bank, Annuaire des Produits de Base 1994 (CNUCED).*Source : World Bank, "Commodity markets and the developing countries", August 1994 (WB,International Economics Department, International Trade Division)**17,3 $/bbl.

Production

En tonnage produit, on trouve d'abord le charbon : 3,5 milliards de tonnes, puis le pétrole : 3

milliards (mais en valeur énergétique, le pétrole l'emporte encore sur le charbon) . Derrière,

les céréales avec 1,6 milliards de tonnes puis le minerai de fer avec 900 millions de tonnes

(qui, avec la ferraille recyclée, a permis de produire 700 millions de tonnes d'acier). Les

autres minerais et les autres matières premières agricoles ont des volumes de production très

inférieurs. Nous sommes bien toujours dans l'âge du fer, des céréales et des combustibles

4Exportations de sucre brut et raffiné.580% pour le sucre brut.6(résineux + feuillus) en Mm3.7Non résineux seulement.8$/m3 meranti (sapelli).9Equivalent poids carcasse.

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fossiles.

Prix

En ordre de grandeur, les prix internationaux reflètent les conditions de production, c'est à

dire les quantités de travail et d'énergie employées pour produire et transporter sur les lieux

de consommation. En bas de l'échelle, entre 20 et 40 $ par tonne, on trouve les minerais qui

peuvent être utilisés sans concentration, et qui sont extraits d'immenses gisements en

surface. Leur prix international comporte une part significative de coûts de transport. Il

s'agit du minerai de fer, du charbon, du phosphate rocheux, de la bauxite. Le prix des

minerais et métaux s'élève ensuite au fur et à mesure qu'il faut les concentrer et qu'il faut

employer de l'énergie pour en extraire la substance utile. Les métaux non ferreux valent

entre 1000 et 2000 $ par tonne, plus pour l'étain dont les minerais sont moins concentrés.

A l'extrême, si l'or ou le platine valent si cher, c'est qu'on ne les trouve dans leurs minerais

qu'à raison de quelques grammes par tonne. Le pétrole est plus cher que le minerai de fer ou

de charbon, car même s'il est vendu sous forme brute, il faut désormais fréquemment, pour

l'extraire, forer à plusieurs milliers de mètres et sous plusieurs dizaines de mètres d'eau en

off-shore (de plus, comme nous le verrons le prix du pétrole a largement dépassé son coût de

production dans certaines périodes).

Parmi les produits agricoles, les cultures à haut rendement : céréales, sucre, soja et autres

oléoprotéagineux, se situent entre 100 et 250 $ par tonne. Le prix s'élève au fur et à mesure

que les rendements à l'hectare faiblissent et que la culture ou l'élevage demande plus de

travail et d'intrants.

Commerce mondial

On trouve une grande diversité de situation quant à l'ouverture du marché mondial. Certains

produits sont pour l'essentiel consommés dans les pays qui les produisent : c'est le cas du

charbon et du riz, des grumes de bois. Le pétrole et les principaux minerais et métaux

voyagent plus (autour de 50 % de la production mondiale sont exportés). A l'autre extrême

on trouve les boissons tropicales, l'étain et le caoutchouc, produits principalement pour

l'exportation. On conçoit que selon que les marchés mondiaux sont des marchés d'excédents

ou qu'ils concernent l'essentiel de la production, ils se comporteront différemment.

On constate à quel point, avec 160 milliards de $ d'exportations en 1992, le pétrole surpasse

tous les autres produits dans le commerce mondial. Il est suivi de loin par un groupe dont les

exportations se situent entre 6 et 20 milliards de $ : le charbon, le minerai de fer, le blé, le

maïs, le soja, le sucre, le café, le coton, l'aluminium et le cuivre.

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Remarquons enfin que les PVD sont les exportateurs dominants (autour de 80 %) d'un

groupe restreint de produits : les boissons tropicales (café, cacao), le caoutchouc, l'étain, la

bauxite et le pétrole (78 %), suivis par le sucre (60 %) et le riz (56 %) le phosphate rocheux

(69 %), le bois (68%).

Dépendance de nombreux pays à l'égard des matières premières

Même si, contrairement à certaines conceptions simplistes des clivages Nord/Sud encore

actuellement répandues, le Tiers Monde dans son ensemble n'est pas et de loin le principal

producteur, ni même le principal exportateur de matières premières, il n'en reste pas moins

vrai que de nombreux pays du Tiers Monde sont très dépendants des produits de base, en ce

sens qu'un petit nombre d'entre eux constitue l'essentiel de leurs exportations. On constate

que les pays les plus dépendants (plus de 80 % d'exportations primaires) sont généralement

de petits pays peu peuplés du Tiers Monde. Certains pays industrialisés membres de l'OCDE,

sont cependant également dans ce cas, quoiqu’à un moindre degré : Australie, Nouvelle-

Zélande et Norvège, ainsi que l'Afrique du Sud.

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Chapitre 2.

Les matières premières : limite à la croissance ?

La quantité de matières premières que les sociétés humaines peuvent extraire des ressources

naturelles, est a priori limitée. Le volume des gisements exploitables de minerais l'est, la

surface des terres disponibles pour l'agriculture et l'urbanisation l'est également, les flux des

cycles de l'eau et de l'énergie solaire le sont. Depuis Malthus qui, le premier, s'en inquiète à la

fin du 18ème siècle, la crainte est régulièrement exprimée que la croissance démographique

et économique de l'humanité soit stoppée par de graves crises provoquées par une pénurie

globale de matières premières.

Il est certain qu'à de nombreuses époques avant la révolution industrielle, les sociétés

humaines s'étaient heurtées dans leur développement au caractère limité des matières

premières dont elles pouvaient disposer. La révolution néolithique, qui sédentarise les

sociétés nomades vivant de cueillette et de chasse en inventant l'agriculture a probablement

pour cause, parmi d'autres, une pression démographique trop forte eu égard aux ressources

disponibles dans le mode de vie antérieur. Plus tard dans l'histoire, la croissance de la

population se heurte périodiquement aux limites d'un système productif. Ces contradictions

sont, à travers des crises, dépassées à la fois par des mouvements démographiques (réduction

de la population par famines et épidémies, migrations et conquête de terres vierges) et par

des progrès techniques, dont la mise en oeuvre est stimulée par la situation de crise et qui

élargissent non pas tant les ressources elles-mêmes, que la capacité humaine à en tirer

matière et énergie.

Mais il s'agit là d'une dialectique entre croissance démographique et de la production d'une

part, conquête de l'espace et progrès de productivité de l'autre. Le caractère limité des

ressources elles-mêmes n'apparaît pas comme un facteur déterminant, sauf localement, et

dans ce cas, les populations se déplacent. Le monde en effet n'est pas encore fini, de vastes

territoires restent à découvrir et à conquérir sur la nature sauvage. Pour qu'apparaisse avec

Malthus le thème du caractère limité dans l'absolu des ressources, il fallait la triple

perception que la terre était finie (la conquête de nouveaux espaces est nécessairement

limitée), que la population s'était mise à croître beaucoup plus rapidement 10 et qu'avec les

10 Entre 1750 et 1800 la population de l'Europe passe de 140 à 187 millions ... (Braudel op. cit.)

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débuts de la révolution industrielle, la production faisait de même.

Il n'est donc pas étonnant qu'un vif débat éclate à nouveau sur ces questions au début des

années 70, au cours d'une phase d'explosion démographique et après 30 ans d'une croissance

économique dont le rythme fut plus de deux fois supérieur aux tendances séculaires

antérieures et qui, de plus, fut particulièrement intense en consommation de matière

première. C'est surtout la publication (et la diffusion à plus de 3 millions d'exemplaires) du

rapport du Club de Rome : "Halte à la croissance", qui va relancer le débat.

1. Le rapport du Club de Rome

Ce rapport, publié en 1972, n'est pas sans antécédents au 20ème siècle. Dans les années 20,

des publications américaines s'inquiètent déjà d'un épuisement des réserves de pétrole. De

manière plus systématique, le rapport Paley, commandé par l'administration américaine et

publié en 1951, examinait l'ensemble des ressources minérales non énergétiques. Ses

conclusions sont pessimistes : le problème de la disponibilité des ressources allait se poser,

selon lui, de manière croissante et globale. Et pourtant, le rapport sous-estimait très

largement ce qu'allaient être les consommations du monde occidental 25 ans après en 1975,

d'un facteur allant de 1,5 pour le zinc à 2,2 pour l'aluminium et à 2,8 pour la manganèse !

Seule la prévision pour l'étain était correcte.

L'originalité du rapport du Club de Rome est son caractère global, articulant ressources,

population, économie, environnement. En particulier, il lie la préoccupation de

l'épuisement des ressources à celle de dégradation de l'environnement qu'entraînent

notamment la production et l'utilisation de ces ressources.

Sa conclusion majeure, destinée à provoquer une prise de conscience, est que si l'humanité

continue dans la voie de la croissance exponentielle passée, c'est-à-dire en maintient le

rythme et le contenu, elle court droit à des crises majeures autour du milieu du 21ème siècle :

dégradation irréversible de l'environnement, effondrement économique, famines. Seul l'arrêt

immédiat de la croissance démographique, une gestion sévère des richesses naturelles

conduisant à un arrêt de la croissance économique ("croissance zéro") et même à la

diminution de certains niveaux de consommation "gaspilleuse" permettraient d'éviter la

catastrophe.

Une vive polémique se développe aussitôt. Les arguments du camp des optimistes sont

poussés à l'extrême par Julian Simon qui dans « The Resourceful Earth » affirme que compte

tenu de l'adaptabilité des sociétés, l'ingéniosité humaine trouvera toujours les moyens de

faire face à temps à n'importe quelle situation, comme elle l'a fait dans les millénaires

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passés.

Près de 30 ans après le rebond de cette polémique, et à la lumière des effets des chocs

pétroliers, que beaucoup sur le moment ont interprété comme la confirmation immédiate

des analyses du Club de Rome, comment peut-on aujourd'hui poser le problème ?

Tout d'abord, dans le domaine, évidemment fondamental, de la démographie, le

fléchissement des taux de croissance de la population dans de nombreux pays du Tiers

Monde, y compris les "grands" que sont l'Inde et la Chine, a conforté les démographes dans

la conviction que ces pays avaient entamé leur "transition démographique" : les taux de

natalité ont commencé de décroître. En conséquence, il existe aujourd'hui un assez large

consensus sur le fait que la population mondiale devrait se stabiliser à la fin du 21ème siècle

entre 10 et 12 milliards d'hommes, six individus sur sept vivant alors dans ce qu'on appelle

aujourd'hui le Tiers Monde, et l'Europe ne représentant plus que 5 % de la population

mondiale (contre 10 % en 1985). Il n'y a donc pas lieu de raisonner sur la poursuite indéfinie

d'exponentielles, mais sur une phase de transition de 100 ans vers un monde à population

stabilisée. Ensuite, la réaction des pays industrialisés aux deux chocs pétroliers a montré

qu'une significative déconnexion entre croissance économique et consommation de matière

première y était possible, à des niveaux insoupçonnés quelques années auparavant. Là

encore, l'extrapolation d'exponentielles ne se justifie pas. Examinons dans ce contexte les

perspectives dans les quatre principaux domaines qui, nous allons le voir, s'emboîtent : les

ressources alimentaires, les matières premières minérales non énergétique, l'énergie,

l'environnement.

2. Les ressources alimentaires

En 1975, paraît un livre de Joseph Klatzmann : "Nourrir dix milliards d'hommes ?" A cette

interrogation, l'éminent agronome répond par l'affirmative. Les ressources de la terre sont

suffisantes pour nourrir largement, sans renoncer aux productions animales, dix milliards

d'hommes et les moyens existent pour mettre en valeur ces ressources. Mais cela suppose

que partout dans le monde, et tout particulièrement dans le Tiers Monde, le développement

de l'agriculture soit dans les faits, et non seulement dans les discours, traité comme une

urgente priorité. Les obstacles sur la voie de l'élimination des famines et de la malnutrition

ne sont pas de l'ordre de la limitation des ressources naturelles, mais de la politique.

En 2000, cette analyse peut être confirmée. Des succès techniques spectaculaires ont été

obtenus dans certains pays du Tiers Monde, tels que la "révolution verte" en Inde, qui a

permis à ce pays d'atteindre une autosuffisance alimentaire globale. Les critiques justifiées,

que l'on peut adresser à cette expérience (elle est loin de toucher toute la paysannerie,

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accentue les différences entre riches et pauvres dans les campagnes, etc.) relèvent très

largement de ses modalités politiques de mise en oeuvre, ce qui conforte les analyses de

Klatzmann.

Bien évidemment, les progrès de la production agricole viendront désormais surtout d'un

processus d'intensification (les terres encore à conquérir se font rares) et donc entraîneront

une forte augmentation des consommations d'énergie et de matières premières minérales.

Puis, lorsque la population se sera stabilisée et avec elle la consommation alimentaire, le seul

problème de ressource viendra de la nécessité d'entretenir la fertilité des sols et de fournir

l'énergie nécessaire à la culture. On peut donc craindre que les contraintes repoussées au

niveau de la production alimentaire ne soient en fait que déplacées au niveau des

disponibilités en ressources minérales11.

3. Les matières premières minérales

Avant toute discussion sur les limites des ressources minérales énergétiques et non

énergétiques, il convient de préciser les notions de réserves et de ressources. Le diagramme

ci-dessous illustre ces définitions.

Figure 2 : Modèle de classification des richesses naturelles minérales

Degré croissant de validité géologiqueIdentifiées Non découvertes

Degrécroissant defiabilitééconomique :

Réserves Prouvées

Déduites

Economiques Mesurées Estimées

RéservesHypothétiques(secteursconnus)

RéservesSpéculatives(secteursinconnus)

Paramarginales

Ressources Ressources Ressources Ressources Ressources

Submarginales

Source : J. Bethemont, op. cit.

La notion de coût d'extraction est essentielle dans la définition tant des réserves que des

ressources. Les réserves sont les quantités de minerais 1) découvertes 2) exploitables avec les

techniques actuelles à un coût inférieur à une limite donnée. Pour avoir un sens, la notion de

ressource doit aussi être associée à un coût limite.

11 Le développement des biotechnologies, qui s'est accéléré depuis 10 ans, ouvrant de nouvelles perspectivesdans la sélection, dans la lutte contre les parasites et peut-être dans la fertilisation (fixation directe par les

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Pour mesurer le risque d'épuisement des gisements d'une matière première minérale, il est

tout simplement absurde de comparer la consommation actuelle et prévisible aux réserves,

comme l'avait fait, avec bien d'autres, le rapport du Club de Rome. Une situation où la durée

de vie des réserves est de quelques dizaines d'années est tout à fait normale. Car trouver de

nouvelles réserves par l'exploration est un investissement que les firmes n'ont pas de raison

d'entreprendre si leur portefeuille de réserve est déjà très important. Dans le passé, on a

constaté que les réserves augmentaient régulièrement avec la production, leur durée de vie

moyenne restant du même ordre de grandeur. De plus les réserves augmentent non

seulement par l'exploration, mais aussi automatiquement sous l'effet du progrès technique.

Ainsi, dans l'industrie du cuivre, par exemple, pour un coût d'extraction qui n'a pas consi-

dérablement varié, les teneurs économiquement exploitables des minerais sont passées de

2,1 % en 1925 à 0,3 % dans le milieu des années 70. Ainsi, tous les gisements dont les

teneurs étaient comprises entre 2 % et 0,3 %, qui étaient classés dans les ressources en 1925,

sont devenus progressivement des réserves.

Tout raisonnement sur l'épuisement doit donc partir des ressources existantes à des coûts qui

paraissent compatibles avec l'effort que l'humanité peut consentir pour s'approvisionner en

matières premières minérales (notion, on le conçoit bien, toute relative..). Or, il faut faire

ici une distinction entre le pétrole et les autres matières premières minérales. Compte tenu

de l'intensité des efforts d'exploration déjà faits et de nos connaissances géologiques, le

pétrole est la seule substance minérale pour laquelle on puisse donner des chiffres de

ressources dont l'ordre de grandeur soit vraisemblable. On estime ainsi aujourd'hui à 300

milliards de tonnes (soit en gros 100 fois la consommation annuelle actuelle) le volume

total de pétrole que l'on pourrait extraire à moins de 60 $ le baril (cette limite a un sens

économique, car au delà, il reviendrait moins cher de fabriquer des carburants à partir du

charbon, infiniment plus abondant). Pour les autres matières premières, on ne peut

absolument pas donner de telles évaluations, car on est très loin d'avoir été aussi

systématique dans l'exploration que pour le pétrole.

De plus, pour de nombreuses substances, le volume des ressources augmente énormément

avec le coût limite. Ainsi, on exploite actuellement la bauxite qui contient 50 %

d'aluminium. Les ressources identifiées sont déjà de 10 milliards de tonnes. Mais

l'anorthosite est une roche qui contient 25 % d'alumine. Si on en extrayait l'aluminium (ce

qui est techniquement possible, mais coûterait plus cher), il suffirait de 8 km3 d'anorthosite

pour égaler les ressources identifiées de bauxite. Or, rien que dans l'Est du Canada, le sous-sol

formé d'anorthrosite couvre plus de 100 000 km2 ! (il est vrai que l'aluminium est un des

éléments les plus répandus dans la croûte terrestre). Cet exemple cependant appelle une

plantes de l'azote atmosphérique) pourraient ralentir la croissance de ces besoins en intrants minéraux et

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remarque: abaisser les teneurs (ici de 50 à 25 %) augmenterait dans bien des cas énormément

les ressources, mais exploiter des teneurs plus basses exige systématiquement plus d'énergie.

C'est ce que Claude Guillemin, à qui cet exemple est emprunté, a appelé le mythe du recours

aux basses teneurs. Ainsi, c'est la disponibilité de l'énergie pour les exploiter qui, bien plus

que le volume même, des ressources minérales non énergétiques, pourrait constituer une

limite à la croissance de leur consommation.

Mais les matières premières minérales non énergétiques présentent une autre particularité

par rapport à l'énergie : elles sont dans la plupart des cas recyclables. A la stabilisation de la

population mondiale et à la diminution du contenu matière de la croissance économique déjà

très nette dans les pays industrialisés et qui se manifestera aussi dans l'actuel Tiers Monde

viendront donc s'ajouter les progrès du recyclage. Dans un monde à la population stabilisée

et aux besoins fondamentaux satisfaits, les apports de matières neuves ne représenteront

vraisemblablement qu'une part réduite des consommations finales. Compte tenu, enfin, des

possibilités de substitutions entre matières, le risque d'une pénurie de matières premières

minérales non énergétiques peut donc être résolument écarté.

4. L'énergie

Restent donc les énergies fossiles, qui, elles, sont irrémédiablement dégradées par leur

utilisation, donc non recyclables, et dont la disponibilité conditionne l'accès aux deux

catégories précédentes de ressources. C'est pour elle que la situation pourrait devenir tendue,

d'autant que le recours à la fusion nucléaire, souvent cité comme la solution définitive du

problème, semble se situer à un horizon qui s’éloigne au fur et à mesure de l'avancée des

recherches. Les réserves de charbon sont certes gigantesques (520 milliards de tonnes

d'équivalent pétrole, 75 ans de consommation énergétique totale actuelle) et les ressources,

bien mal connues, sont certainement d'un ou peut-être de deux ordres de grandeur supérieurs.

Mais leur utilisation pose, comme nous allons le voir, d'inquiétants problèmes

d'environnement. Le recours au nucléaire classique (fission), y compris par développement

des surgénérateurs (qui multiplieraient par 80 le pouvoir énergétique de l'uranium) sera à

mon sens nécessaire, et les problèmes de sécurité et d'environnement qu'il pose peuvent être

résolus. Quoi qu'il en soit, la suppression du gaspillage, une meilleure utilisation de l'énergie,

et aussi une modification des modes de vie fondés sur une énergie abondante et bon marché

sont et resteront une priorité à l'échelle mondiale, mais avant tout dans les pays développés

dont la consommation énergétique par habitant est en moyenne 10 fois supérieure à celle

des pays du Tiers Monde. Sous condition de la poursuite d'importants efforts d'économie

énergétiques, mais certainement pas la stopper, du moins dans les prochaines décennies.

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d'énergie et un développement maîtrisé du nucléaire, la disponibilité en énergie ne devrait

pas non plus être un obstacle à la croissance.

5. L'environnement

Finalement, c'est beaucoup moins le caractère limité des ressources que les problèmes

d'environnement que pose et posera leur utilisation qui sont progressivement apparus

comme les défis les plus importants.

L'intensification de l'agriculture devra, pour éviter l'épuisement des sols et la désertification,

leur accorder une attention constante. Mais la question qui préoccupe le plus la communauté

scientifique est aujourd'hui "l'effet de serre". L'augmentation de la teneur en CO2 dans

l'atmosphère, due à la combustion du carbone fossile, ainsi que celle d'autres gaz dont les

émissions sont directement liés à la croissance de la population et de l'activité productive,

devrait provoquer dans les 50 à 80 prochaines années un réchauffement de 2 à 3° de la

température moyenne à la surface de la terre et une augmentation de l'humidité, avec de très

fortes variations régionales. L'effet sera peu perceptible autour de l'équateur, mais le

réchauffement pourrait atteindre 10° dans les régions septentrionales du globe. Ce

réchauffement devrait provoquer (par simple dilatation de l'océan) un relèvement du niveau

des mers. S'il se poursuivait au-delà des 2 ou 3 degrés envisagés, nul ne peut prévoir quels en

seraient les effets...

Ce problème illustre bien le déplacement des préoccupations dans le domaine des relations de

l'homme à son milieu naturel. La crainte d'une pénurie physique de ressources limitées s'est

éloignée, à juste titre à mon avis. Les dégradations locales de l'environnement (pollutions

localisées, désertification, etc.) restent préoccupantes, cependant les solutions existent. Par

contre les problèmes cruciaux du 21e siècle, et ils sont tout à fait nouveaux, seront ceux de

la maîtrise des causes et des conséquences des modifications non plus locales mais globales

des écosystèmes.

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SECONDE PARTIE :

LA FORMATION DES PRIX DES COMMODITES

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Chapitre 3.

La rente d'épuisabilité de Hotelling

Dans ce chapitre, nous examinons les conséquences sur la formation des prix des

commodités de l’une de leurs caractéristiques décrite un introduction : le fait que les

ressources naturelles dont elles sont issues sont épuisables. Nous nous limiterons au cas le

plus simple des ressources minérales, issues donc de gisements. Ce problème a été abordé par

un célèbre article de Harold Hotelling publié en 1931 : "The Economics of Exhaustibles

Resources" Journal of Political Economy, vol. 39. Donnons ici les grandes lignes du

raisonnement.

1. Hypothèses

Les propriétaires des gisements sont distincts des exploitants. La concurrence est pure et

parfaite, tant entre les exploitants, qui se contentent donc du taux de profit moyen de

l'économie, qu'entre les propriétaires de gisements qui cherchent à valoriser au mieux leur

droit à la propriété sur cette ressource naturelle.

• Il existe un substitut abondant au minerai. Son coût de production est ps.

• Le stock de minerai dont le coût d'extraction (incluant le profit normal des exploitants)

est inférieur à ps est fini (épuisabilité)

• On connaît la demande future de minerai, et donc on connaît la date To où le stock de

minerai à coût inférieur à ps sera épuisé (hypothèse évidemment très forte).

2. Comportement d'un propriétaire

Pour un propriétaire il doit être équivalent à chaque instant t<To :

• de donner à exploiter son gisement contre une redevance à la tonne: a et de placer a sur

le marché des capitaux rémunérés au taux d'intérêt : i

• d'attendre To que cette tonne soit la dernière offerte sur le marché avant l'épuisement

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des réserves à coût inférieur à ps. Le prix du minerai sera alors ps et le propriétaire

pourra concéder l'exploitation contre une redevance de ps-pe, pe étant le coût

d'extraction (incluant le profit de l'exploitant) de son gisement que nous supposons

constant dans le temps.

On doit donc avoir en To :

a (1 +i) To - t = ps-pe

soit a = (ps-pe) (1+i)t-To

Ainsi donc la redevance à la tonne, a, croît exponentionnellement au taux d'intérêt i avec le

temps. Hotelling l'appelle la rente d'épuisabilité du propriétaire, et le prix du marché du

minerai p est égal à :

p = pe + a = pe + (ps - pe) (1+i)t-To

Si pe n'est pas constant, les calculs sont plus complexes, mais le principe reste le même : le

comportement intertemporel rationnel des propriétaires d'une ressource épuisable entraîne à

leur profit l'apparition d'une rente d'épuisabilité qui conduit le prix à augmenter au fur et à

mesure qu'on approche de l'épuisement jusqu'à atteindre le prix du substitut à la date

d'épuisement (figure suivante).

Ps

Pe

a

To

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L'existence de cette rente d'épuisabilité n'exclut pas celle de rentes de monopoles

complémentaires, si les conditions de la concurrence le permettent. La somme des deux

étant toujours limitée par le prix du substitut.

3. Limites pratiques et théoriques du concept

- La rente d'épuisabilité, même si elle existe en théorie et croît en théorie au taux d'intérêt,

est dans la réalité, quand on est très loin de la date d'épuisement, tellement faible qu'elle

influence de manière négligeable l'évolution des prix.

Un exemple pratique illustrera ce point. Considérons quelques instants le cas du pétrole,

seule ressource dont on pense avoir une idée (à un facteur de 2 ou 3 près) du volume des

réserves restant à exploiter à un prix inférieur à celui où les utilisateurs de cette ressource

favoriseront des produits ou une technologie alternatifs (ce qu’on appelle une "backstop

technology"). Si l'on suppose un horizon d'épuisement d'environ 50 ans (en présumant une

consommation croissante), un prix limite de $50/bl (au-dessus de ce prix les substituts

augmentent très vite leur part de marché), un coût marginal d'extraction pour le pétrole dit

"conventionnel" de $20/bl, et un taux de rendement interne moyen de 17% (le taux de

rentabilité jugé "normal" dans l'industrie pétrolière compte tenu du degré élevé de risque

affectant les investissements dans cette industrie), la rente d'épuisabilité oscillerait alors

autour de 10 cents par baril. Il est vrai que l'adoption par les entreprises pétrolières d'un taux

de rendement interne plus faible de 5 % ferait grimper la rente d'épuisabilité à $2,50/baril.

Par contre, cette dernière reculerait à 60 cents si l'horizon d'épuisement est établi à 80 ans,

hypothèse aussi probable que la première. Une rente de 60 cents/bl croissant à 5% par an est

à l'évidence un facteur secondaire, voire négligeable par rapport aux autres dans l'évolution

des prix du pétrole.

Et encore le pétrole est-il un cas particulier ! Pour les autres ressources, nous sommes loin

d'avoir simplement une idée des réserves ultimes, surtout si l'on considère aussi les effets de

changements technologiques non seulement sur l'offre mais aussi sur la demande de ces

ressources. Si leur horizon d'épuisement dépasse 100 ans, alors leur rente d'épuisabilité

peut être considérée comme nulle.

- Mais il y a une objection plus profonde, c'est la validité des hypothèses d'information

parfaite (ou probabilisable) des acteurs et en particulier des propriétaires des ressources en

terre.

Ceux-ci sont censés surveiller le prix de marché de la ressource en terre (donc le prix de

vente du minerai moins le coût d'extraction marginal) et vérifier qu'il croît bien au taux

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d'intérêt. Mais à un instant t quelconque, le niveau absolu de la rente d'épuisabilité dépend de

la date To d'épuisement du stock de la ressource exploitable à un coût inférieur à celui du

substitut. Si To est fondamentalement incertain (au sens de Knight) les détenteurs de la

ressource en terre ne peuvent pas savoir quoi faire, face, par exemple, à un

ralentissement de son prix qui ne croît donc plus au taux d'intérêt! En effet, si To n'a pas

varié, ils doivent réagir au ralentissement des prix en restreignant leur offre de ressource,

comme indiqué ci-dessus. Mais si To s'est en réalité significativement éloigné, ils doivent au

contraire accroître cette offre pour profiter d'une rente d'épuisabilité qui est alors, malgré le

ralentissement de la croissance de son prix, surévaluée par le marché !Or dans la réalité, To

varie en permanence, et de façon incertaine, sous l'effet de très nombreux facteurs. Faire

l'hypothèse que les détenteurs de ressources maximisent leur revenu intertemporel sur des

dizaines d'années en avenir probabilisable pour expliquer leur comportement en matière

d'offre de ressources est pour le moins héroïque.

Reste l'idée, juste en théorie, qu'une ressource en terre est bien un actif et doit donc être

valorisé comme les autres actifs de la même classe de risque. Tout le problème est : quelle est

sa valeur aujourd'hui ? On l'a vu, cette valeur est généralement négligeable, sauf si l'horizon

d'épuisement est proche (quelques dizaines d'années) et le prix du substitut élevé par rapport

au coût marginal de production.

A la suite du premier choc pétrolier, on a cru que ces deux conditions étaient réunies pour le

pétrole. En conséquence, l'OPEP avait proposé une formule de prix, dite de "Taïeb", dans

laquelle le prix réel du pétrole devait augmenter au même rythme que la croissance

économique mondiale en tendance (on sait que sur une sentier de croissance économique

équilibrée, le taux d'intérêt réel doit être égal au taux de croissance économique). Mais tout

le débat portait sur le niveau initial des prix auxquels appliquer cette formule ! Et il n'a pas

abouti, car quoique relativement "proche", la date To d'épuisement ne pouvant être connue

avec précision, OPEP et pays consommateurs n'ont pu se mettre d'accord sur ce point.

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Chapitre 4.

Les rentes différentielles

Dans ce chapitre; nous analysons les conséquences d’une seconde caractéristique des

ressources naturelles dont sont issues les commodités : leurs différences de « qualité ».

1. La rente foncière agricole chez Ricardo12

C'est David Ricardo qui met en évidence les lois d'apparition et d'appropriation des rentes

foncières différentielles. Il le fait en étudiant la place de l'agriculture dans l'économie en voie

d'industrialisation de la Grande-Bretagne au début du 19e siècle. Il s'intéresse surtout au

problème de la répartition.

Le modèle de Ricardo est très simple.

Les trois hypothèses de départ sont :

• Il y a concurrence entre les capitaux et mobilité de ceux-ci : il y donc un taux de profit

moyen uniforme dans toute les branches de l'économie.

• La terre agricole est possédée par des propriétaires fonciers qui la louent à des fermiers-

capitalistes. Les fermiers sont supposés avoir le choix entre l'investissement dans

l'agriculture et dans les autres branches. Tant les propriétaires que les fermiers sont en

situation de concurrence pure et parfaite. (Ils sont très nombreux et aucun ne peut

influencer les prix en jouant sur les quantités qu’il produit ou sur la surface des terres qu’il

offre à la location).

• La demande de blé (pour simplifier on suppose que la seule production agricole est le blé,

qui constitue également le bien de subsistance unique) augmente avec la croissance

économique.

12David Ricardo, économiste britannique (1772-1823). Après A. Smith, il formalise la description du mondeproposée par ce dernier, tout en limitant l'objet de l'économie politique à la répartition de la richesse entreclasses sociales. Il formalise aussi une théorie des avantages du libre-échange plus générale que celle de Smith.Son ouvrage essentiel est "Principes de l'économie politique et de l'impôt", 1817.

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• Il existe un stock fini de terres qui sont mises en culture par ordre de fertilité

décroissante.

Dans ces conditions, l'équilibre du marché du blé, pour une demande donnée, est schématisée

par la figure suivante :

p

p3

p2

p1

q1 q2 q3

1 2 33

4Q3

Qo

Q

Déplacement de la courbede Demande avec la croissance

économiquep4

p

D

La fertilité décroissante des sols, ici classés 1, 2, 3 signifie que des quantités de capital et de

travail équivalentes vont, appliquées aux terres de la catégorie 2, produire moins de blé que

lorsqu'ils le sont sur les terres de la catégorie 1. Il en résulte que le prix de production du blé

va être supérieur sur les terres 2 à ce qu'il est sur les terres 1. q1, q2, q3 sont les productions

maximales des terres de chaque catégorie. Le prix de production est défini comme le prix qui

assure au producteur (le fermier) la couverture de ces coûts d'exploitation et une

rémunération "normale" des capitaux qu'il a engagés c'est-à-dire un taux de profit égal au

taux de profit moyen de l'économie 13.

On a donc p1 < p2 < p3 < .......

Il nous faut ici faire une hypothèse supplémentaire :

Au prix p = p3, la demande, représentée par la courbe D et naturellement décroissante avec

le prix, est Qo. Elle sature les capacités de production des terres de catégories 1 et 2 mais

n'est pas telle qu'il faille mettre en culture toutes les terres de la catégorie 3 (Qo < q1 + q2 +

13 On fait ici une hypothèse implicite simplificative. On suppose en effet que les fonctions de production sontà facteurs (terre-travail-capital) complémentaires et non pas substituables. Autrement dit, pour cultiver unesurface unitaire de terre de qualité donnée il faut une quantité fixe de travail et de capital. Coûts moyens etcoûts marginaux de production sont donc égaux sur chaque catégorie de terre, mais différents selon la fertilitédes terres. La capacité de production Qi de chaque catégorie de terre est déterminée par sa surface et sa fertilité.On peut évidemment introduire la possibilité, sur une terre de qualité donnée d'intensifier l'utilisation ducouple, lui-même optimisé, capital-travail pour produire plus, mais avec un rendement marginal en blédécroissant (coût marginal croissant), ce qui fait que la capacité de production de chaque catégorie de terre n'estplus fixe, mais croissante avec rendements décroissants Qi = Qi (K, L), dérivées positives dérivées secondesnégatives. Mais cela complique inutilement le problème sans modifier ses résultats fondamentaux quiproviennent de ce que, dans tous les cas, les coûts moyens, ici appelés prix de production, diffèrent en

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q3), on supposera alors, puisqu'une partie de ces terres est en friche, que l'accès en est

libre, ou du moins gratuit, pour les fermiers qui voudraient les mettre en culture. Ce fut le

cas aux USA par exemple quand la "frontière" progressait vers l'Ouest.

Dans ces conditions le prix d'équilibre du marché est p = p3, prix de production

sur les terres marginales, c'est-à-dire les terres les moins fertiles dont la

demande exige la mise en culture.

En effet si p < p3 aucun fermier n'acceptera d'aller cultiver les terres 3 car il n'en recevrait

pas le profit moyen. Le déficit de l'offre entraînerait le relèvement des prix.

Si p > p3 le profit serait sur les terres 3 supérieur à la moyenne, ce qui entraînerait afflux de

fermiers (l'accès sur les terres 3 est libre), excédent de production et baisse des prix.

Il y a donc une différence entre les prix de production p1 et p2 du blé et le prix du marché

du blé qui est nécessairement unique et égal à p3. Cette différence est appelée rente

différentielle. Elle est ici exprimée en unité monétaire par tonne de blé.

On l'appelle rente pour la distinguer du profit normal des capitaux investis sur ces terres

(lequel est inclus dans le prix de production), différentielle car elle provient de la différence

"naturelle" de fertilité des sols.

Dans le modèle de Ricardo, cette rente est appropriée par les propriétaires fonciers des

terres plus fertiles que les terres marginales. Cela résulte de ses hypothèses de séparation des

propriétaires du sol et des exploitants en deux catégories d'acteurs distinctes, et de

concurrence entre les derniers.

Les propriétaires peuvent en effet mettre la location des terres aux enchères et leur fertilité

étant supposée connue (sur la base du passé) par les fermiers, la concurrence entre ceux-ci

doit conduire le meilleur offreur à proposer au propriétaire un revenu à la tonne égal à (p -

pl) sur les terres 1 et (p - p2) sur les terres 2 , puisqu'en acceptant un bail sur cette base, le

fermier tirera encore de son exploitation le profit moyen.

fonction de la fertilité des terres.

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2. L'analyse dynamique de Ricardo : évolution du prix du blé et du partage du

revenu national

Lorsque la demande augmente et dépasse la production q3 qui sature les capacités de

production des terres 1, 2 et 3, il faut passer aux terres de catégorie 4, moins fertiles, dont le

prix de production est p4 > p3.

Le prix de marché doit donc s'élever à p4, créant une rente différentielle sur les terres 3 et

augmentant la rente différentielle des terres 2 et 1.

Ainsi l'évolution de la demande entraîne une augmentation du prix relatif du blé.

L'introduction du progrès technique ne peut que retarder ce processus inéluctable car

résultant du rendement décroissant avec les quantités produites de l'agriculture, lui-même lié

au caractère limité , donc à la rareté, des terres les plus fertiles "naturellement".

Pour Ricardo - et les classiques, Marx compris - c'est le seul cas où la demande influence les

prix.

Pour toutes les autres marchandises, qui ne sont pas produites par application directe de

travail et de capital sur un support naturel dont la qualité est rare (plus précisément dont

les quantités d'une qualité donnée sont limitées), et qui sont donc reproductibles, le prix ne

dépend pas de la demande mais de la quantité moyenne de travail (direct et indirect) que

contiennent ces marchandises. L'hypothèse implicite est donc que les rendements sont

constants.

D'ailleurs les néoclassiques ne pourront généraliser l'analyse que Ricardo fait pour le blé à

toutes les marchandises, dont les prix vont ainsi résulter d'une interaction offre/demande

avec un prix d'équilibre égal au coût marginal de production, qu'en généralisant d'abord

l'hypothèse des rendements décroissants de la production (et en y ajoutant celle de

la satisfaction marginale décroissante du consommateur).

Le développement démographique et économique, entraînant la croissance de la demande de

blé, va entraîner, dans le cadre d'une Angleterre à rendements agricoles décroissants, une

augmentation du prix relatif du blé, et donc, toute chose égale par ailleurs, une augmentation

de la part relative des rentes foncières dans le revenu national. Ceci ne peut se faire qu'au

détriment de la masse des profits (puisque pour Ricardo le salaire est maintenu à un niveau de

subsistance physiquement défini) et donc des possibilités ultérieures d'accumulation, source

de progrès industriel. En conséquence, Ricardo combattra au Parlement pour l'ouverture du

marché britannique aux blés américains, afin de borner supérieurement le prix du blé, de

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limiter les rentes foncières et de favoriser ainsi l'industrie.

3. Existence et appropriation de rentes foncières différentielles

L'existence de rentes foncières différentielles ne vient que de la nécessité, pour satisfaire

une demande donnée, de mettre en production des sols de qualité différente (que cette

différence de qualité soit "naturelle" ou déjà le résultat d'un travail passé importe peu à ce

stade - statique - de l'analyse, de même que l'effet du progrès technique sur les différences de

prix de production).

L'appropriation de ces rentes, par contre, dépend de la distribution initiale des droits de

propriété. Et nous allons voir que cette distribution n’est pas sans conséquences sur le

montant même des rentes différentielles.

Dans la configuration du modèle de Ricardo, nous avons vu que les rentes différentielles

revenaient entièrement aux propriétaires fonciers, qui sont des individus propriétaires du sol

mais ne l’exploitant pas.

D'autres schémas sont possibles. Décrivons-en deux pour illustrer comment le niveau des

rentes peut varier avec leur appropriation.

Premier schéma : nationalisation des sols

Supposons que les sols soient entièrement nationalisés et exploités par des coopératives qui

vendent leur blé à l'Etat. Le prix du blé dans ce cas n'est pas fixé par le marché. C'est l'Etat

qui le fixe en décidant des règles d'affectation du surplus entre branches de production et, au

sein des branches, entre unité de production.

Supposons que l'Etat se fixe les règles suivantes :

• Le taux de surplus de la branche agricole est fixé de manière exogène en fonction du

rythme souhaité d'accumulation14 dans l'agriculture.

• Il ne doit pas y avoir de différence dans la rémunération du travail collectif des

coopératives et donc une péréquation doit répartir ce surplus au sein des coopératives.

Dans ces conditions le prix du blé est fixé en ajoutant au coût moyen unitaire de production

le surplus unitaire affecté à l'agriculture. L'Etat devra ensuite, par exemple grâce à un

14 Le taux d'accumulation est le rapport Investissement annuel/Valeur ajoutée annuelle.

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système de taxe et de subvention, prélever une part du surplus sur les coopératives dont le

surplus individuel est supérieur à la moyenne et reverser cet excédent aux coopératives

marginales.

En fin de compte, le prix du blé sera inférieur, parce qu'aligné sur un prix de production

moyen de l'ensemble des terres en culture, à ce qu'il serait dans le schéma de Ricardo.

Les rentes, qui subsistent ex ante (les coûts et prix de production restent différents selon les

coopératives), auront été pour une part transférées au consommateur et pour ce qui reste

réparties entre les coopératives.

En ce qui concerne l’agriculture, ce cas de figure ne s’est rencontré que dans les pays

socialistes. Mais pour les mines, ce fut le cas des mines de charbon en France après guerre.

Elles étaient exploitées, non par des coopératives, mais par des entreprises publiques. Les

rentes différentielles existaient : certaines mines de Lorraine, par exemple, avaient des coûts

de production bien inférieurs à certaines mines du Nord. Mais le prix du charbon était fixé

par l’Etat, à un niveau inférieur au coût des mines marginales qui étaient donc

subventionnées.

Second schéma : les propriétaires sont les exploitants

C'est le cas dans les agricultures fondées sur la propriété familiale, forme dominante en

Europe Occidentale.

En théorie, le prix de marché devrait être le prix de production des agriculteurs marginaux.

En pratique ceux-ci, qui sont généralement des paysans pauvres luttant pour leur survie et

voulant rester paysans, n'exigent pas pour leurs capitaux investis le profit moyen, ni même

pour leur travail le salaire minimum garanti dans l'industrie (on n'a donc plus les hypothèses

de parfaite mobilité du capital et du travail du modèle de Ricardo).

Dans ce cas, le prix d'équilibre de marché sera inférieur, transférant une partie des rentes au

consommateur.

Il laissera cependant subsister des rentes différentielles sur les exploitations non marginales.

Ces rentes sont appropriées par le paysan "propriétaire - exploitant - ouvrier", elles

viennent s'ajouter aux profits normaux, les taux de profits individuels apparents dans

l'agriculture ne sont plus égaux. C'est un puissant facteur de différenciation interne à

cette branche.

Le caractère irréductible des rentes différentielles

Certes, des différences de productivité, donc de prix de production, donc de profits

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individuels, existent en permanence dans toutes les branches de l'économie. Elles y sont à la

fois le résultat et le stimulant des progrès techniques et d'organisation. Mais à la différence

de l'agriculture elles ne sont pas en permanence entretenues par des facteurs naturels

médiés par des rapports juridiques (la propriété du sol par l'exploitant). Seule la

détention de brevets se rapproche du cas de l'agriculture, et bien évidemment, nous allons y

venir, la détention de gisements de matières premières minérales.

Ainsi, les rentes différentielles existent toujours ex ante, mais leur appropriation est

fonction de la nature des acteurs en jeu et de leurs rapports. La forme que revêt cette

appropriation peut également modifier le prix d'équilibre du produit, et créer

dans les branches concernées des obstacles permanents à l'égalisation

tendancielle des taux individuels de profits. Nous reviendrons sur ces questions

d'appropriation des rentes différentielles, dans le cas des gisements, dans une étude de cas de

la troisième partie (chapitre 9).

4. Les rentes différentielles dans l'extraction des ressources minérales

Analyse statique des rentes différentielles minières

Pour Ricardo, les analyses concernant la rente foncière différentielle agricole s'appliquaient

sans modification au secteur d'extraction des ressources minérales. Le propriétaire du sol est

simplement remplacé par celui du sous-sol, ou par l'Etat, quand c'est l'Etat qui exerce sa

souveraineté sur le sous-sol et concède les droits miniers, ce qui est aujourd'hui le cas dans la

plupart des pays, à l'exception notable des USA. En réalité ceci n'est vrai que pour la partie

statique de l'analyse.

Soit en effet une demande donnée d'un minerai Qo, satisfaite par trois gisements. q1, q2 et

q3 deviennent cette fois la capacité annuelle de production maximum de chacun des

gisements (cf. Fig. 1 ci-dessus).

On peut définir à l'identique les prix de production p1, p2 et p3 à ceci près que ces prix de

production devraient tenir compte des coûts engagé pour découvrir les gisements. Ce point,

qui est délicat, sera négligé pour l'instant et traité dans l’étude de cas de la troisième partie.

Dans ces conditions, sous réserve de concurrence entre détenteurs et entre exploitant des

gisements (donc d'égalité des taux de profit individuels dans l’exploitation), et d'accès libre

au gisement marginal 3 on a bien un résultat équivalent au précédent :

• Le prix de marché du minerai est le prix de production du gisement marginal

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dont l'exploitation est nécessaire pour satisfaire une demande donnée.

• Les différences de qualité des gisements (teneur du minerai, profondeur, facilité

d'exploitation), induisent des différences de prix de production individuels et donc des

rentes différentielles. Ces rentes sont donc créées par le caractère non reproductible des

gisements, (respectivement des terres agricoles) dont les qualités sont uniques.

Quant au partage de ces rentes, il relève également de la même logique des rapports entre

acteurs que précédemment. En particulier si c'est l'Etat qui a découvert les gisements (ce

point est essentiel nous y reviendrons) et qui les met à la disposition de l'industrie minière et

s'il y a concurrence dans l'industrie minière, par exemple à travers la mise aux enchères des

concessions d'exploitation, la totalité des rentes différentielles devrait revenir à l'Etat

"propriétaire".

Analyse dynamique : le rôle des structures de marché

Les choses se compliquent cependant dans l'analyse dynamique. Contrairement au cas des

terres agricoles, i l n'y a aucune raison de supposer que tous les gisements sont

initialement connus et évalués, et donc mis en exploitation par ordre de prix de

production croissant au fur et à mesure de l'augmentation de la demande . Les

gisements sont en effet le produit d’une activité « productive » : la recherche minière.

Supposons qu'au moment où le gisement 3 arrive à pleine capacité, le prix de marché étant p

= p3, un très important gisement 4 est découvert dont le prix de production est du niveau de

1, et que la demande continue à augmenter. Tout va alors dépendre de la structure de

propriété du gisement 4.

Figure 2

p3

p2p1

q1 q2

1 2 3 4Qo

q3 q4

p4 = p1

p

DDéplacement de la courbe

de Demande avec la croissanceéconomique

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Supposons qu’il soit d’accès libre. Ce fut le cas lors des ruées vers l’or en Californie et en

Alaska : le premier à planter ses piquets sur une partie du gisement avait le droit de

l’exploiter. Dans ces conditions, la production sur le gisement 4 va augmenter rapidement,

car au prix de marché p = p3, elle dégage une rente : p3 - p4, importante. Le prix va donc

baisser en raison de la surproduction. En situation de concurrence entre exploitants, le prix

baissera jusqu’à p1. Les gisements 2 et 3 seront éliminés du marché et le nouveau prix

d’équilibre de marché sera p = p1 = p4.

Supposons, à l’opposé, que l’ensemble du gisement 4 ait un propriétaire unique, l’Etat par

exemple, et qu’il cherche à maximiser sa rente. Le propriétaire, en contrôlant l’étendue des

concessions qu’il octroie sur le gisement 4, peut en contrôler le volume de production. Dans

ces conditions :

• Soit il ajuste le rythme de montée en production du gisement 4 à l'augmentation de la

demande. Le prix peut alors se maintenir à p3, prix d'équilibre précédent, et une rente

différentielle (p3-p4) apparaît sur 4.

• Soit il permet que le rythme de production de 4 augmente plus rapidement que la

demande, la surproduction fait baisser les prix en dessous de p3 et force donc 3 à sortir du

marché. Le prix se stabilise à p2 mais avec une production de 4 qui remplace celle de 3. 4

bénéficie alors d'une rente différentielle unitaire (p2-p4) moins importante, mais d'une

production supérieure.

Le problème de la meilleure stratégie pour le propriétaire de 4 n'est pas compliqué à

résoudre. Il s’agit de maximiser sa rente totale, soit le produit de la rente unitaire par le

volume.

Mais on conçoit aussi que cela puisse se compliquer assez vite si l'on introduit des

hypothèses un peu moins simples, par exemple :

• Le type de partage de la rente différentielle sur le gisement 4 entre le propriétaire, l'Etat

et la firme exploitante. Si par exemple l'Etat décide de prélever une redevance sur le

gisement 4 exactement égale à p3 - p4, on est dans le cas précédent. Mais l'Etat peut ne

pas connaître a priori la rente sur 4, fixer un prélèvement minimum, et satisfaire toutes

les demandes de concession qui s’expriment alors.

• On peut aussi supposer qu'en réalité ni q1, ni q2 ne sont physiquement strictement

déterminés (alors qu'on pouvait supposer que c'était le cas pour des terres agricoles à

technologie donnée). Le rythme d'extraction d'un gisement peut en effet varier (dans

certaines limites techniques). Dans ces conditions, face à une stratégie offensive de la

firme 4, les firmes exploitant 1 et 2 pourraient réagir en augmentant aussi leur

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production.

• Enfin, si la firme 4 exploite déjà des gisements dans les catégories 1 à 3, elle n'a pas

nécessairement intérêt à adopter la même stratégie que si elle est un nouvel entrant

dans l'industrie sur le gisement 4.

On conçoit alors que contrairement au secteur agricole, généralement très concurrentiel

(grand nombre de propriétaires et d’exploitants ou d’exploitants-propriétaires), dans le

secteur minier, ce n'est pas simplement sur le partage de rentes différentielles d'origine

"naturelle" c’est sur l’existence-même des rentes et sur leur niveau que va jouer directement

le nombre des acteurs et les formes de concurrence (parfaite, monopole, oligopole), c’est-à-

dire les structures de marchés.

Ainsi, analysées en dynamique, les rentes différentielles dans l'industrie extractive perdent le

caractère "naturel", et lié à des rendements nécessairement décroissants, qu'elles avaient

dans l'agriculture. C'est leur existence même, avant donc leur répartition, qui est le produit

des structures de marchés et des rapports entre acteurs, présents et passés.

Un bon exemple, sur lequel nous reviendrons, en est les effets des découvertes de pétrole à

très bas coût de production au Moyen-Orient. Ces découvertes auraient pu a priori faire

sortir la plupart des producteurs américains du marché (au moins du marché international

hors USA). Mais les compagnies pétrolières, qui constituaient un oligopole (« Les Sept

Soeurs ») ont préféré s'entendre pour contrôler la production au Moyen-Orient et donc

maintenir sur ces gisements d'importantes rentes différentielles qu'elles pouvaient alors

s'approprier presque entièrement, compte tenu des rapports existant entre ces compagnies

et les Etats, théoriquement propriétaires des gisements (cf. chapitre 11).

Il nous faut donc examiner la formation des prix dans des structures monopolistiques ou

oligopolistiques. C’est l’objet du chapitre suivant.

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Chapitre 5.

La formation du prix des commodités

en situation d’oligopole

Nous nous plaçons désormais dans le cas où un petit nombre d’acteurs détiennent les droits

de propriété sur une ressource naturelle. Nous supposerons pour simplifier que les

propriétaires sont aussi les exploitants. Le fait qu’ils soient peu nombreux fait qu’en agissant

sur les quantités qu’ils produisent, ils ont une influence sur le prix de marché.

Le problème qui nous intéresse est d’examiner les conséquences de l’existence de rentes

différentielles : les propriétaires exploitants ont des coûts de production différents. Est-ce

que cela implique que seuls ceux qui ont les coûts les plus bas peuvent rester dans l’industrie ?

Un exploitant qui découvre une nouvelle ressource à bas coût d’exploitation et à vaste

capacité productive a-t-il intérêt à faire sortir les autres, qui ont des coûts plus élevés, de

l’industrie ?

Nous raisonnerons dans le cas de l’industrie minière (incluant l’industrie pétrolière). D’une

part nous avons vu que c’est dans cette industrie que la situation de découverte de gisements

à bas coût se rencontre, d’autre part elle est généralement plus « concentrée » que

l’agriculture. Mais les raisonnements s’appliqueraient à l’agriculture, dans des sous-secteurs

où les acteurs sont peu nombreux, et où des découvertes techniques, par exemple,

permettraient de nouvelles formes de production à coûts inférieurs aux techniques existantes

(on peut penser au génie génétique).

1. Le cas du monopole

Supposons un producteur unique d’une commodité. Il est en situation de monopole.

Rappelons quel est le comportement qui maximise son profit. Supposons que son coût total

de production soit CT = cq

avec q : quantité produite

c : constante.

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Cela signifie que le coût moyen (CT/q) et le coût marginal (d(CT)/dq) sont égaux à c : les

rendements d’échelle sont constants. Cela signifie que le producteur dispose de réserves

importantes et que la mise en production de ces réserves ne donne lieu à aucune économie

ou déséconomie d’échelle. C’est une hypothèse simplificatrice, mais réaliste si l’on

s’intéresse à l’équilibre à long terme ( qui prend en compte la possibilité d’accroître les

capacités de production) du marché. Rappelons que ces coûts contiennent ceux du capital,

donc le profit « normal » dans l’économie.

Supposons que la courbe de demande du marché soit de la forme :

p = qo - aq

soit : q = (po - p)/a

Quelle est la quantité q que doit produire le monopole pour maximiser son profit ?

∏ = (p-c)q = (po-aq-c)q = -aq2 + q (po-c)

Maximum pour q = (po-c)/2a

Le prix de marché est alors p = (po+c)/2

Par rapport au prix c qui inclut le profit concurrentiel normal, la rente de monopole par

unité produite est :

r = p - c = (po - c)/2

Si le monopole acceptait de se contenter du prix p = c, qui serait le prix de marché en

situation d’offre concurrentielle, il produirait q = (po - c)/a soit deux fois plus que s’il

maximise son profit.

Remarquons que le profit maximal est obtenu en écrivant :

dΠdq

= 0

Soit :

d(pq)dq

− d(cq)dq

= 0 , pq étant la recette de monopole.

Soit :

d(pq)dq

= c, avecd(pq)

dq= recette marginale

Autrement dit, pour maximiser son profit, le monopole choisit la quantité qui

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égalise sa recette marginale à son coût marginal.

Remarquons enfin, cela nous sera utile pour les résolutions graphiques dans la suite, que :

- Si la courbe de demande a la forme p = po - aq , c’est une droite.

La recette est : pq = poq - aq2

Et la recette marginale :

d(pq)dq

= po - 2aq

C’est donc une droite qui est la médiane du triangle formé par les deux axes et la droite de

demande.

Illustrons ceci d'un exemple numérique que nous allons conserver dans l'analyse suivante,

celle du duopole.

La courbe de demande adressée au monopole est :

q = 120 - p, p = 120 - q

c = 30

On a donc :p = 75 , q = 45 , r = 45 , ∏ = 2025

p

120

p = 75

C=30

0q = 45 60 90 120 q

RM

D

On démontre géométriquement, puisque la droite RM du revenu marginal est la médiane du

triangle formé par la droite de demande D et les deux axes, ce qui était déjà démontré

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algébriquement (q = (po - c)/2a) à savoir que le monopole produit exactement moitié moins

que ce qui serait produit en situation de concurrence parfaite sur les gisements, à savoir ici :

90.

2. Le cas du duopole

Que se passe-t-il s’il n’y a pas une, mais deux firmes dans l’industrie, la première bénéficiant

d’une rente différentielle, parce que ses gisements sont de meilleure qualité ?

Reprenons donc l'exemple numérique précédent.

Nous avons donc désormais 2 gisements, détenus par deux acteurs 1 et 2, dont les coûts

(moyens et marginaux) de production sont c1 = 30 et c2 = 60, faisant face ensemble à une

demande de la forme q = 120 - p.

Il n'y a pas une seule théorie du duopole. Ce qui va se passer dépend des hypothèses que l'on

fait sur le comportement de chacun des acteurs. Deux cas sont classiques : le duopole de

Cournot et le duopole de Stackelberg. Nous nous contenterons de ceux-là.

Le duopole de Cournot

Dans ce cas on considère que chacun des acteurs offre la quantité qui maximise son

profit en prenant comme donnée la production de l'autre.

On peut donc pour chaque acteur calculer sa courbe de réaction, CR, c'est-à-dire ce qu'il va

offrir pour une production donnée de l'autre.

Soit q1 et q2 les productions respectives de 1 et 2 qui doivent respecter q1 + q2 = q = 120 -

p, soit : p = 120 - (q1 + q2).

CR1 s'obtient en écrivant :

Max ∏ 1, q2 donné

∏ 1 = (p - 30) q1 = (120 - q1 - q2 - 30) q1 = -q12 + q1 (90 - q2)

Maximum pour q1 = (90 - q2)/2 cette relation est donc la courbe de réaction de 1 CR1.

De même Max ∏ 2 pour q1 donné

∏ 2 = (p - 60)q2 = ( 60-q1-q2) q2= -q22 + q2 (60 - q1)

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Maximum pour q2 = (60 - q1)/2, qui est donc la courbe de réaction de 2.

Traçons ces deux courbes sur un graphique q1 - q2.

q2

90 CR1

30

CR2

45 60 q1

10

40

Ces deux courbes se croisent au point donné par :

q2 = (60 - (90 - q2)/2)/2

q2 = 10 et q1 = 40 à ce point on aura donc :

q1 = 40

q2 = 10

q = q1 + q2 = 50

p = 70

1 = 1600

2 = 100

Ce point est qualifié d'équilibre de Nash-Cournot.

En effet c'est un point d'équilibre par construction. A ce point, aucun des deux acteurs n'a

intérêt à modifier les quantités qu'il produit compte tenu de ce que produit l'autre. On appelle

cette situation, en théorie des jeux, un équilibre de Nash. Le fait que les stratégies des acteurs

soient de décisions de niveau de production (et non de prix, par exemple) a été étudié en

premier par Cournot. D'où le nom d'équilibre de Nash-Cournot.

De plus c'est une position stable, en ce sens qu'il y a convergence vers cet équilibre.

Supposons en effet que 1, se croyant seul, se comporte comme dans la situation de

monopole ci-dessus et produise donc q1 = 45, attendant tranquillement par conséquent le

prix p = 75 (cf. ci-dessus). S'il produit 45, compte tenu du marché, ce qui se passe est que 2

sort des ténèbres et produit 7,5, un niveau de production qui maximise son profit si q1

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produit 45 (c'est ce que donne CR2 : q2 = (60 - q1)/2). Mais si 2 produit 7,5, alors 1 n'a plus

intérêt à produire 45, mais plutôt 41, 25 (d'après CR1). Mais à ce compte là, 2 produira

9,375. On voit que cela converge vers (40, 10).

A ce point d'équilibre, le duopole produit donc plus que le monopole (50 au lieu de 45) et le

prix est plus bas (70 au lieu de 75). L'existence de 2 a réduit le profit du monopole de 2025 à

1600.

Mais on est très loin de la situation où il y aurait grand nombre d’acteurs et situation de

concurrence parfaite sur les gisements 1, le prix serait alors de 30, si les gisements 1

pouvaient satisfaire une demande de 120 - 30 = 90 à ce prix. S'ils ne le pouvaient pas c’est-

à-dire si leur capacité maximum était inférieure à 90, il faudrait passer aux gisements 2, qui,

si les acteurs y étaient eux-mêmes nombreux et en concurrence parfaite, produiraient au

prix de 60.

A titre d'exercice on pourra traiter la question suivante. Il y a monopole sur 1 et 2, mais la

production de 1 est limitée à 30. Quel est alors l'équilibre de Nash-Cournot ?

Le duopole de Stackelberg

Dans ce cas on fait l'hypothèse suivante. Il y a une firme leader, par exemple 1 : elle

produit ce qu'elle souhaite soit q1, et la firme 2, qualifiée de suiveur, produit une

quantité qui maximise son profit compte tenu de q1. La question devient : sachant

que 2 va se comporter ainsi, quel est le niveau optimal de production que va fixer 1 ?

Pourquoi 1 serait-il leader ? Autrement dit, pourquoi 2 considère-t-il que la production de 1

est une donnée, c'est-à-dire que quoi qu'il fasse, 1 ne modifiera pas son niveau de

production ? Nous l'acceptons pour l'instant, renvoyant la discussion de cette intéressante

question au paragraphe suivant : les barrières à l'entrée.

L'équilibre de Stackelberg s'obtient de la façon suivante : 1 maximise son profit sachant que

2 va maximiser le sien en considérant la production de 1 comme une donnée. 2 agit donc

selon sa courbe de réaction CR2 calculée plus haut, à savoir q2 = (60 - q1)/2.

Donc : ∏ 1 = (p - 30) q1 = (120 - q - 30) q1 = (90 - q1 - q2)q1

= (90 - q1 - (60 - q2)/2)q1 = (120 - q1) q1/2

∏1 est maximum pour q1 = 60 donc q2 = 0 !

L'équilibre de Stackelberg élimine la firme 2 du marché, q = q1 = 60, p = 60 , ∏ 1 = 1800. Le

profit de 1 est supérieur à la situation du duopole de Cournot, mais toujours inférieur à la

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situation du monopole. La concurrence potentielle de 2 puisque dans cet exemple

numérique il ne produit pas, suffit à réduire le profit de 1.

Le fait que 2 ne produise pas est lié à nos données numériques. Pour s'en convaincre, il suffit

de les modifier. Supposons que le coût de 2 soit 40 au lieu de 60. Il reste donc supérieur au

coût de 1 qui est 30.

On vérifiera que :

La courbe de réaction de 2 devient q2 = (80 - q1)/2.

L'équilibre de Stackelberg est :

q1 = 50 ; q2 = 15 ; p = 55 ; ∏ 1 = 1100 ; ∏2 = 225

La firme 2 entre donc dans cette industrie malgré son handicap de coût.

On voit donc que le fait qu’une firme en place dans l’industrie dispose de gisements dont le

coût de production est de 30 n’empêche pas l’entrée d’une autre firme dont le coût de

production est supérieur, ici 40. Par contre si la différence de coût est trop grande, dans

notre exemple si la firme entrante a un coût de 60, et dans un équilibre de Stackelberg où la

firme entrante prend la production de la firme en place comme une donnée, il n’y a plus

d’entrée profitable possible.

Les barrières à l'entrée

Revenons au cas où c1 = 30 et c2 = 60 et à la question de savoir pourquoi 2 se comporterait

comme indiqué dans l'équilibre de Stackelberg, c'est-à-dire en considérant la production de 1

comme intangible, ce qui la dissuade d’entrer.

Il n'aura pas échappé, en effet, au lecteur attentif de ce qui précède, l'apparente

contradiction suivante.

Dans l'équilibre de Nash-Cournot, 1 laisse entrer 2, produit 40 et fait un profit de 1 600,

alors que s'il produit 60, comme dans le cas de l'équilibre de Stackelberg, 2 n'entre pas (2

produit 0) et le profit de 1 est 1 800 donc supérieur. Il apparaît donc rationnel pour 1 de

produire 60 et d'empêcher l'entrée. Que signifie dans ces conditions l'équilibre de Nash-

Cournot ?

Ce qu'il faut bien voir c'est ceci. Supposons que 1 affiche son intention de produire 60. Si 2

le croit, c'est-à-dire si 2 croit que quoi qu'il arrive 1 produira 60, on est dans la situation de

Stackelberg et dans notre exemple numérique, 2 n'entre pas. Mais en fait, si 2 n'en croit

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rien, entre quand même et produit 10 (comme à l'équilibre de Nash-Cournot), il

n'est plus rationnel pour 1 de continuer à produire 60 ! Ce qui est rationnel (ie :

maximisation de profit) pour 1 est alors de produire 40, comme l'indique le calcul

de l'équilibre de Nash-Cournot.

On voit donc que la conjecture de Stackelberg suppose que la firme dominante n'ait jamais

intérêt à modifier sa production quoi que fasse la firme suiveur et que cette dernière sache

qu'il en est ainsi, ce qui fait qu'elle prend la production de 1 comme une donnée non

susceptible de varier sous l'effet de ses propres décisions. Cette condition est très forte. Elle

suppose, par exemple, que la firme dominante ait fait des investissements qui ne peuvent

être utilisés pour d'autres productions et qui l'obligent à produire à un certain niveau ( sinon

son coût moyen augmenterait fortement). En d'autres termes, cela suppose qu'elle ait pris

des décisions irréversibles qui rendent crédible, car rationnel pour elle, le fait qu'elle ne

modifiera pas son niveau de production quel que soit celui de l’entrant. Ce genre

d'engagement peut alors constituer une barrière à l'entrée en présence de différences de coûts

de production, ou du moins permettre de limiter l'entrée des firmes concurrentes au degré qui

maximise le profit de la firme dominante.

Découverte de gisements à bas coût

Supposons maintenant que la firme en place soit la firme 2, dont le coût est c2 = 60, et

qu’une firme 1 découvre des gisements donc le coût est 30.

Quand 2 était seule sur le marché, elle produisait 30 (comportement de monopole) et le prix

était 90. Supposons que le nouvel entrant 1 considère la production de 2 comme une donnée

et dimensionne son entrée en conséquence.

Tout se passe comme s’il faisait face à une demande, adressée à lui, égale à la demande du

marché moins 30, la production de 2.

Il maximise donc son profit sur la base d’un comportement de monopole face à une

demande q = (120 - p) - 30 = 90 - p. On vérifiera qu’il produit q1 = 30. La production totale

est q1 + q2 = 60, le prix 60. Le profit de 2 s’annule. Le profit de l’entrant 1 est de 900. Ce

n’est pas intéressant pour 2. Sachant que 1 prendra sa production comme une donnée, il a

intérêt à la réduire par rapport à la situation où il était seul. De combien ? Le duopole de

Stackelberg avec 2 comme firme en place leader nous donne la réponse. 1 considère donc la

production de 2 comme une donnée et fixe sa production selon CR1 : q1 = (90-q2)/2 = 45 -

q2/2.

Dans ces conditions, la quantité q2 qui maximise le profit de la firme en place 2 est donné

par :

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Max ∏ 2 = q2 (p-60) = q2 (120-q1-q2-60)

= q2 (60-45+(q2/2)-q2) =

q22

(30-q2)

Soit : q2 = 15

On a donc :

q2 = 15

q1 = 37,5

q = q1 + q2 = 52,5

p = 67,5

∏1 = 1 406,25

∏2 = 112,5

Le profit de 2 reste ainsi positif, et q1 rentre à un niveau supérieur : 37,5 au lieu de 30.

1 a-t-il intérêt à pousser son entrée jusqu’à 60, ce qui conduirait le prix au mieux à 60,

incitant 2 à sortir du marché ?

Si 2 maintient sa production à 15, parce qu’il ne peut faire autrement, la production sera de

60 + 15 = 75, le prix de 45. 2 fera certes des pertes, mais 1 n’aura qu’un profit de 900,

inférieur à 1 406,25. Ce n’est donc pas intéressant pour 1.

Même si 2 n’est pas forcé, par des investissements irréversibles, de rester dans l’industrie,

l’équilibre de Nash Cournot, décrit plus haut avec c2 = 60 et c1 = 30, nous indique que la

solution optimale pour 1 n’est pas 60 mais 40, laissant 2 produire 10.

Dans tous les cas, on voit donc que la firme entrante 1, bien qu’ayant des coûts

deux fois inférieurs à la firme en place 2, n’a cependant pas intérêt à la faire

sortir entièrement du marché !

Conclusion sur le duopole

Les situations de duopole sont encore relativement simples.

Nous avons vu cependant que pour déterminer un équilibre, il fallait faire des hypothèses sur

la rationalité des acteurs qui ne soient pas simplement la maximisation du profit, mais qui

portent sur l'interaction entre les acteurs, sur la manière dont il agissent en fonction du

comportement de l'autre. Lorsque le comportement d'un acteur dépend de celui d'un autre

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(ou de ce qu'il suppose que celui de l'autre pourrait être), on le qualifie de "stratégique". Les

deux situations de duopole que nous avons examinées sont des exemples très simples

d'équilibre de marché résultant de comportements stratégiques. On conçoit que le problème

se complexifie avec des situations d'oligopole, c'est-à-dire avec plus de deux acteurs.

3. Oligopole de Stackelberg avec frange compétitive

Il est cependant un cas simple d'oligopole, qui présente le grand intérêt de représenter

correctement des structures de marché fréquentes dans les industries de commodités

minérales, c'est l'oligopole de Stackelberg avec frange compétitive. C’est une version un peu

élaborée du cas du duopole examiné ci-dessus.

Cette structure est la suivante. Un groupe de producteurs, que nous appellerons le "coeur"

dispose de gisements très abondants et dont les coûts de production sont les plus bas. Ces

deux caractéristiques peuvent se traduire par une courbe d'offre à coûts moyens et marginaux

égaux et constants. S'ils se faisaient concurrence entre eux, les producteurs de ce premier

groupe pourraient donc satisfaire toute la demande à leur coût moyen : c. Le second groupe,

qui rassemble tous les autres producteurs présents dans l'industrie, dispose de gisements moins

abondants et à coût plus élevé que les premiers. Le fait qu'ils soient moins abondants se

traduit par un coût marginal et un coût moyen croissant au-delà d'un certain niveau de

production qui correspond à leur minimum de coût moyen, niveau qu'on supposera inférieur

à la demande du marché à ce prix. En d'autres termes, ces producteurs ne pourraient

satisfaire seuls la demande que dans la partie croissante de leur courbe d'offre. Ce second

groupe est qualifié de frange. On supposera de plus qu'elle est constituée de producteurs

nombreux, donc petits, donc sans pouvoir de marché et qui vont donc se comporter en

preneurs de prix (price takers) : ils considèrent le prix de marché comme une donnée et

déterminent leur production de manière à maximiser leurs profits à ce prix, ce qui signifie,

comme on le sait, qu'ils choisissent le niveau de production qui égalise leur coût marginal et

le prix de marché. De cela peut se déduire une courbe d'offre de la frange compétitive, qui est

croissante avec le prix.

Le problème est le suivant : les producteurs du coeur ont-ils intérêt à se faire concurrence

entre eux et donc à éliminer la frange du marché ? C'est exactement le problème que nous

avons posé ci-dessus lorsque nous nous demandions quelle était la meilleure stratégie pour un

producteur découvrant par bonheur des gisements très vastes et beaucoup moins coûteux que

ceux qui jusqu'ici satisfaisaient la demande. Mais nous pouvons le traiter maintenant avec un

modèle un peu plus réaliste que celui du duopole.

S'ils s'entendent entre eux, c'est-à-dire s'ils se comportent collectivement comme un

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monopole, les producteurs du coeur peuvent décider de la quantité qu'ils vont collectivement

produire. Sachant qu'à un prix p, la frange produira tout ce qu'elle peut produire de manière

rentable à ce prix, quel est le niveau de prix qui maximise le profit du coeur, sachant qu'à ce

prix, il devra produire q (demande du marché à ce prix) - qf (production de la frange à ce

prix) ? Ce problème peut se représenter et se résoudre graphiquement de la manière

suivante :

p

A

D

d' c' c""B

C B'

RMc

Dc

qf

qc qf q

•• ••

• •

dp

••

cb

D : demande du marché

qf : offre de la frange - La frange ne produit que pour un prix > b

Dc : ligne brisée A B, puis D : demande adressée au coeur. Elle se construit comme suit.

Pour p = A, la frange produit toute la demande du marché. La demande adressée au coeur est

nulle : Dc = o

Pour p<b, la frange ne produit plus, la demande adressée au coeur rejoint celle du marché au

point B.

RMc : recette marginale du coeur, compte tenu de sa demande Dc (la partie verticale en B'

correspond à la cassure de Dc en B).

En tant qu'oligopole se comportant en monopole, le coeur égalise son coût marginal c à sa

recette marginale : cela donne le point C qui détermine la quantité qc produite par le coeur.

Le renvoi sur la courbe de demande du coeur en c' donne le prix p.

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A ce prix p la demande du marché est donnée par c", le segment c'c" est la production qf de

la frange, égale par construction au segment dd'.

Remarquons que si c est suffisamment bas, plus précisément si c est inférieur à l'ordonnée du

point B', la stratégie de maximisation du coeur élimine la frange du marché, puisqu'elle le

conduit à produire une quantité ≥ au segment bB, à un prix ≤b.

Ce modèle est en particulier une bonne représentation de l'industrie du pétrole. Nous y

trouvons effectivement un coeur, constitué des pays du Moyen-Orient ayant d'immenses

réserves à bas coût de production, et une frange compétitive, constituée des autres

producteurs. Il sera repris en introduisant l'incertitude, dans le chapitre consacré aux

marchés pétroliers de la troisième partie.

4. Problèmes de stabilité d'un oligopole

Nous venons de voir que l'intérêt collectif du coeur, qui est un oligopole de plusieurs

producteurs, est donc de se comporter en monopole, comme indiqué ci-dessus. Mais à quelle

condition peut-il le faire ? C'est ce que nous allons brièvement évoquer maintenant.

La question des taux d'actualisation

Le comportement de maximisation du profit doit être intertemporel. Or la courbe de

demande que nous avons utilisée jusqu'ici est statique, c'est-à-dire qu'elle donne la

modification de la demande des consommateurs lorsque le prix se modifie, pour une

période donnée, quelle qu'elle soit.

Mais une hausse de prix, disons de 30 %, peut n'avoir que peu d'effet sur la demande en

courte période (1 an par exemple) et des effets beaucoup plus importants au bout de 5 ans,

lorsque des investissements de substitution feront sentir leurs effets, par exemple.

Illustrons ceci par les Figure 5 et 5 bis.

Nous faisons les hypothèses suivantes :

• au prix p, la consommation se stabilise à un niveau D(p)

• si le monopole augmente le prix à p' > p en t = 0 (en restreignant l'offre) la demande va

fléchir puis se stabiliser à un niveau inférieur : courbe D (p')

• s'il l'augmente à p"> p' > p, la demande va fléchir plus vite et ensuite connaître une

tendance décroissante : courbe D (p"), (Figure 5).

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Temps

D (p)

D (p')

D (p")

Demande=

Fig. 5

D (p, t)

Temps

Revenu=

Fig. 5 bis

R (p)=D(p).p

R (p')=D(p’).p’

R (p")=D(p"). p"

R (p, t)

La Figure 5 bis indique quel est le profil des revenus (c’est-à-dire le produit de la demande et

des prix) du monopole dans les trois cas. Choisir entre ces trois stratégies celle qui maximise

le revenu exige d'adopter un taux d'actualisation qui seul permet de calculer la valeur actuelle

des revenus futurs.

Le classement des trois stratégies (p, p' ou p") va dépendre de ce taux. Un taux fort conduira

à préférer la stratégie p" (il vaut mieux d'importants revenus tout de suite que plus tard). Au

contraire un taux faible conduira à préférer p. En fait, si l'on connaît l'évolution de la

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demande dans le temps en fonction du prix et si on a affaire à un véritable monopole, la

maximisation intertemporelle de son revenu actualisé conduira dans tous les cas à

déterminer le prix optimal, fonction du taux d’actualisation.

Mais dans la réalité, on a le plus souvent à faire à des oligopoles, à des coalitions, qui

décident de contrôler collectivement l'offre de ressources à condition que chacun y trouve

sont intérêt.

Si dans l'oligopole, les taux d'actualisation sont différents, par exemple parce que les

contraintes qui pèsent sur les Etats détenteurs de réserves ou la durée de vie de celles-ci sont

très différentes, la stratégie jugée optimale pour l'un ne le sera plus pour un autre. C'est ce

qu'on observe dans l'histoire récente de l'OPEP ou certains Etats (l'Arabie et les Emirats)

ont toujours prôné une stratégie de prix modérés pour soutenir la demande à long terme,

alors que d'autres préféreraient une stratégie de prix élevés pour engranger rapidement des

rentes importantes.

L'oligopole risque fort de se défaire, confronté à de telles divergences. Même si ce n'est pas

le cas, la politique de prix sera le résultat d'un compromis et son niveau ne résulte plus de la

seule logique d'optimisation économique, mais de bien d'autres facteurs, qui de plus seront

variables dans le temps.

Le problème du partage des rentes d'oligopole

En admettant que l'ensemble des membres de l'oligopole adoptent le même taux

d'actualisation, leur stratégie de prix et la quantité totale à produire correspondante peut

normalement être déterminée. Mais il se pose toujours un problème supplémentaire, qui est

le partage de cette quantité à produire. C'est, pour reprendre le cas de l'OPEP, le délicat

problème de la fixation des quotas de chaque membre. En examinant ce problème, dans les

cas concrets où il se pose, on constate qu'il n'y a pas de règles incontestables, en particulier

pas de rationalité économique pure, qui permette de fixer ces quotas. Par conséquent leur

contestation en est fréquente, ce qui peut conduire l'oligopole à s'écarter de la politique de

prix qui pourtant maximise le revenu collectif.

La possibilité d'une détermination de la rente et du prix par une rationalité économique

simple, du type maximisation du revenu, qui semblait résulter de la théorie du monopole

parfait, s'évanouit donc pour peu que l'on veuille bien considérer le fonctionnement concret

des oligopoles réels.

Nous illustrons ceci par le cas du pétrole dans la troisième partie.

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Chapitre 6.

Les fluctuations des prix des commodités

1. Les causes de l'instabilité des prix des commodités

Les raisons des fluctuations des prix des commodités sont les suivantes :

• La consommation et/ou la production connaissent d'amples et brusques variations.

• L'élasticité de la demande au prix 15 est très faible à court terme.

• L'élasticité de l'offre au prix est également très faible, non seulement à court terme, mais

même à moyen terme, en raison des délais nécessaires à la mise en exploitation de nouvelles

ressources.

Illustrons ces affirmations.

D'amples et brusques variations de la consommation et/ou de la production

Il faut ici distinguer les matières premières alimentaires des matières premières industrielles.

Ces dernières sont en amont de tout le système productif. On constate que les écarts de

consommation, d'une année sur l'autre, amplifient les fluctuations de la production

industrielle. Ce phénomène s'explique aisément. Tout d'abord, une reprise de l'activité

industrielle s'accompagne presque toujours d'un mouvement de reconstitution des stocks.

Utilisées en amont du processus productif, les matières premières industrielles doivent donc

satisfaire non seulement la croissance de la demande finale, mais la reconstitution des stocks

tout au long de la filière. Ensuite, ces matières premières sont généralement plus utilisées

dans le secteur des biens d'équipement que dans celui des biens de consommation finale. Or la

reprise de la consommation s'accompagne d'une reprise toujours plus vigoureuse de

l'investissement, c'est ce que les économistes appellent l'effet accélérateur. Inversement, en

cas de ralentissement de l'activité économique, on assiste à un mouvement de destockage et

15 L’élasticité de X à Y est :

dX/X

dY/Y

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à une stagnation, quelquefois une chute de l'investissement. Les fluctuations économiques

d'ensemble sont donc fortement amplifiées au niveau de la demande de matières premières

industrielles. Ce phénomène est moins net pour l'énergie, dont une bonne part relève de la

consommation finale des ménages, au moins dans les pays industrialisés. Par contre, la

production des produits d'origine minérale n'a pas de raison particulière de subir des

fluctuations erratiques.

Quant aux produits d'usage alimentaire, leur consommation ne fluctue pas de manière

significative. Au contraire, elle aurait tendance à être plus stable que l'activité économique

d'ensemble, car il s'agit d'un besoin fondamental qui est satisfait en priorité. Hélas, c'est la

production qui est très instable en raison de sa sensibilité aux aléas climatiques ! Dans le

commerce mondial, cela entraîne des fluctuations importantes tant de l'offre à l'exportation

des pays à excédents agricoles que de la demande d'importations des pays déficitaires. Une

année de sécheresse dans le Middle West américain, ou de gelée au Brésil, et l'offre

internationale de céréales, de soja, de café se contracte brusquement.

De ce fait, production et consommation de matières premières ne sont

qu'exceptionnellement équilibrées. La règle, c'est le déséquilibre, avec des écarts qui peuvent

être importants : 10 à 20 % ne sont pas des situations exceptionnelles.

L'inélasticité de la demande au prix à court terme

Mais ceci ne suffit pas, à soi seul, à expliquer l'amplitude des variations de prix. Pour mieux

le comprendre, imaginons ce qui se passerait si, en Europe par exemple, la production

automobile se trouvait brusquement inférieure de 10 % à la demande aux prix actuels. Dans

ce cas, il est peu probable que les producteurs d'automobile en profiteraient pour relever

considérablement leurs prix. Le réajustement entre production et consommation se fera par

les délais de livraison, qui s'allongeront. Autrement dit, la régulation se fait par la file

d'attente et non par les prix. Si inversement, la production était supérieure de 10 % à la

demande, les producteurs se garderaient bien de se lancer dans une guerre des prix pour

écouler au plus vite leur production. Les automobiles s'accumuleront sur les parkings des

usines. Il y aura certes des efforts promotionnels, des reprises à argus + 1 000 euros, une

débauche de publicité mettant en avant les qualités supérieures de tel modèle. Mais la

régulation là encore se fera par les stocks et non par les prix, la concurrence,

incontestablement aggravée, passera par bien d'autres canaux que le prix de vente.

Rien de tel dans le monde du commerce international des matières premières : parce qu'elles

sont en amont du processus productif, la réduction des déséquilibres entre offre et demande

par les files d'attente est inconcevable. Un particulier peut différer l'achat d'une automobile,

le producteur d'automobile peut à la rigueur différer un peu le renouvellement de certaines

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machines, mais il ne peut absolument pas se passer d'acier sauf à arrêter sa production. Pour

en obtenir, il sera disposé à payer un prix très élevé, du moment que ses concurrents payent

le même. Il se contentera de transmettre vers l'aval l'augmentation du prix de ses achats. Or,

dans une automobile, l'ensemble des matières premières ne représente que 20 à 30 % du prix

final. Même une très forte augmentation de l'une d'entre elle sera très amortie au niveau du

prix du produit fini. Ainsi, l'augmentation des prix des matières premières, en particulier

industrielles, a très peu d'effet sur la demande de biens de consommation finale. C'est vrai à

court terme également pour l'énergie mais moins pour certains produits alimentaires, en

particulier les produits non indispensables. Inversement, ce n'est pas parce que le prix de

l'acier ou de l'aluminium aura baissé de moitié que l'on consommera plus d'automobiles, et

que la demande de matières premières dans l'industrie automobile augmentera. Et dans ce

sens là, c'est vrai également de la plupart des produits agricoles !

Par contre, à plus long terme, la consommation des matières premières est très sensible aux

prix, en raison des substitutions et des possibilités d'économie de matériaux et d'énergie

(allégement des produits, miniaturisation etc.). Mais dans les deux cas, des investissements

sont nécessaires. Il faut donc que l'augmentation des prix soit 1) forte, 2) considérée comme

durable par les industriels pour que se déclenchent les mécanismes de substitution et

d'économies. Ceci prend du temps. Il a par exemple fallu attendre le cumul des effets des

deux chocs pétroliers de 1973 et 1980 pour que la demande de pétrole commence à chuter

nettement dans les pays industrialisés.

En résumé, en cas de déséquilibre entre production et consommation, même de très fortes

variations des prix des matières premières ne sont pas capables de ramener rapidement la

consommation à des niveaux compatibles avec la production. Reste donc à examiner si la

production, elle, est plus flexible et sensible aux prix.

L'inélasticité de l'offre au prix

Malheureusement, non : la production est également peu élastique au prix ! Les raisons en

sont d'ordre technico-économique (surtout dans l'industrie extractive) et politique (surtout

dans l'agriculture mais aussi dans les mines).

Les industries extractives et de première transformation des minerais sont des secteurs très

capitalistiques. Cela signifie d’abord que le coût total de production contient une part

importante de coût du capital (amortissement et frais financiers) tandis que les coûts

opératoires représentent une fraction relativement limitée des coûts totaux. Par exemple,

pour une usine d'aluminium construite dans les années 90 dans les meilleurs sites, donc

disposant d'électricité à très bon marché, le coût opératoire était de l'ordre de 950 $ /tonne,

mais le coût total de l'ordre de 1 350 $/tonne. Sur un gisement pétrolier moyen en mer du

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Nord, le coût opératoire est de l'ordre de 3 à 5 $/bl et le coût total de l'ordre de 13-15 $/b1.

Nous en verrons les conséquences ci dessous. Cela signifie ensuite que le délai de construction

de nouvelles capacités est long : souvent plusieurs années.

Dans le domaine agricole, le poids des facteurs politiques est évidemment fondamental.

Aucun gouvernement ne peut traiter les paysans comme des ouvriers qu'on peut licencier (en

y mettant éventuellement l'accompagnement social nécessaire). Sur le plan technico-

économique, la flexibilité de l'offre des cultures annuelles en cas de baisse des prix n'est

possible au niveau du paysan que s'il existe des cultures alternatives, mais elle est très limitée

dans les cas de monoculture. Enfin, pour les plantations qui n'entrent en production qu'après

plusieurs années (café, cacao, thé, fruits, etc.), on a à la fois des délais de montée en

production, comme dans les mines, et une production peu flexible à la baisse.

2. Causes et amplitude des fluctuations de prix sur un marché parfaitement

compétitif de commodités minérales

L'équilibre de court terme (capacités de production et d'utilisation sont considérées comme

données) d'un marché compétitif d’une commodité minérale peut être représenté par la

figure 1.

La courbe d'offre est l'histogramme des coûts marginaux de production des champs ou des

mines existants. Si le coût total CT est de la forme :

CT=CF + cq, avec CF : coût fixe, c : coût variable unitaire et q : quantité,

Le coût marginal est le coût variable c.

En situation compétitive, il est en effet normal qu’une firme offre les quantités qu’elle

produit au coût variable. Les coûts fixes sont en effet déjà payés. Tant que la firme peut

couvrir ses coûts variables, elle dégage un cash flow positif et a donc intérêt à produire.

Le caractère presque vertical de la courbe de demande, au moins dans sa partiemédiane, traduit la très faible élasticité à court terme de la demande au prix.Compte tenu de ce que la demande de la plupart des commodités minéralesamplifie les évolutions de la conjoncture économique, cette courbe de demandeest susceptible de se déplacer latéralement avec rapidité et ampleur.

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Figure 1

Courbe dedemande

Courbe d’offre : coûtvariable

Zone de prix plafond

Zone de prix plancher

Volatilité de la demande

Q = Capacité maximale

C'est cette volatilité de la demande et cette inélasticité à court terme de la demande au prix,

combinée à la structure des coûts de production, qui explique les amples fluctuations de prix

qui caractérisent les marchés de commodités minérales lorsque domine une situation

compétitive, c'est-à-dire lorsque tous les producteurs sont de simples "price-takers" et n'ont

aucun pouvoir de marché.

Evolution des prix en cas d'excès de demande : existence d'une zone plafond

Soit une situation de vive reprise de la demande alors que les capacités sont proches de la

saturation. Dès que les capacités de production (et/ou de transport) sont saturées, l'offre ne

peut plus croître. Compte tenu de la très faible élasticité de la demande au prix à court

terme, il faut que les prix atteignent des niveaux élevés pour que se manifestent des forces de

rappels rétablissant l'équilibre de l'offre et de la demande.

Ces forces de rappel qui réduisent le déséquilibre initial ne s'exercent ni instantanément, ni

avant que le prix ait atteint un certain niveau. Ces forces agissent sur la demande et sur

l'offre. Sur la demande, il s'agit :

i) d'économies dites de "comportement" qui peuvent agir rapidement, car par définition

elles n'exigent pas d'investissement, mais seulement si les prix augmentent

significativement,

ii) de substitutions par des produits concurrents. Ces substitutions ne peuvent être rapides

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que dans des installations capables d'utiliser plusieurs énergies ou plusieurs matériaux. Les cas

sont assez rares et les volumes concernés sont généralement faibles. Au-delà, des

investissements sont nécessaires. Qu'ils soient ou non entrepris dépend alors crucialement

non tant du niveau atteint par les prix que des anticipations des consommateurs sur

l'évolution future des prix,

iii) Dans le cas des métaux, une troisième force de rappel est l'augmentation du

recyclage, c'est-à-dire le recours à l'autre source de métal qui sont les déchets. C'est, dans

certains cas, la principale force de rappel. Elle n'existe pas pour le pétrole ou d'autres

commodités non recyclables, comme les phosphates.

Du côté de l'offre, l'expérience a montré que les capacités, même apparemment saturées, ne

sont jamais totalement inflexibles. Sur de nombreux gisements, des investissements

marginaux permettent dans des délais courts des accroissements marginaux de production.

Mais ici encore, les anticipations sur l'évolution future des prix interviennent.

Quatre types de force agissent donc pour rétablir l'équilibre du marché. Elles se caractérisent

par des intensités qui dépendent : du niveau de prix, des anticipations sur son évolution, du

temps, et ceci à des degrés différents. Certaines agissent dès que les prix augmentent mais

lentement, c'est-à-dire avec une intensité faible voire nulle au départ, d'autres ont une

intensité plus forte et/ou plus rapide, mais qui ne se manifeste qu'à des niveaux de prix (réels

et anticipés) élevés.

Une fois engagée par une demande excédant les capacités immédiatement disponibles, la

hausse des prix ne peut qu'être rapide, car le processus de déséquilibre est d'abord cumulatif :

la hausse des prix augmente la demande de stock et accroît donc le déséquilibre. Pour la

plupart des commodités minérales, les forces de freinage ne commencent à agir pour réduire

efficacement un déséquilibre initial significatif qu'à des niveaux de prix élevés, c'est-à-dire

très supérieurs aux coûts des producteurs marginaux16. Tel un objet spatial rentrant dans

l'atmosphère, les prix sont d'abord très peu freinés, puis les forces de freinage augmentent,

avec le prix et le temps.

On peut donc parler de zone plafond de freinage économique. Sa limite inférieure est

difficile à préciser (comme l'est la limite extérieure de l'atmosphère terrestre). Plutôt qu'une

limite, il faudrait représenter graphiquement une densité croissante de forces.

16 Les forces de freinage peuvent très bien ne commencer à agir efficacement qu'au-dessus du niveau de prixd'un substitut ou de la "backstop technology". Il est clair en effet que celle-ci n'est mise en oeuvre et n'agitcomme force de rappel que si les acteurs sont convaincus que les prix vont se maintenir durablement au-dessusdes niveaux de substitution.

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Evolution des prix en cas d'excès d'offre : la zone plancher

Inversement, lorsque la production excède la consommation, les stocks des producteurs

augmentent d'abord. La baisse des prix est alors provoquée par la moindre tentative d'un

producteur d'étendre sa part d'un marché globalement rétréci au détriment d'un autre en se

débarrassant de ses stocks excédentaires. Ce mouvement de baisse, une fois déclenché,

dégénère inévitablement en guerre des prix si chacun cherche à défendre ses parts de marché,

ce qui est le comportement normal en situation de concurrence atomisée.

La baisse des prix n'a, pour autant, aucun effet immédiat sur la demande, qui est à court

terme tout aussi inélastique au prix à la baisse qu'à la hausse. L'équilibre offre-demande ne

peut donc être rétabli que par une réduction de l'offre, donc une réduction de la production

permettant de résorber les stocks excédentaires. Sur un marché parfaitement concurrentiel,

cette réduction de production n'intervient que lorsque les prix ont chuté en

dessous du coût marginal, c’est à dire du coût variable, des unités marginales. 17.

En effet tant que le prix reste au-dessus des coûts variables, quelle que soit l'accumulation des

stocks, aucun producteur n'a normalement (c'est-à-dire, s'il se comporte comme il est

rationnel pour lui de le faire dans une situation de concurrence où il ne dispose d'aucun

pouvoir de marché) intérêt à réduire sa production. Les coûts fixes en effet doivent être

couverts, qu'il y ait production ou pas. Tant que sa marge opérationnelle (son cash flow)

reste positive, un producteur rationnel doit continuer à produire, pour couvrir une part

maximum de ces coûts fixes et minimiser ainsi ses pertes. Compte tenu de l'intensité

capitalistique élevée de l'industrie extractive, les coûts variables ne sont qu'une fraction du

coût total, a fortiori une fraction des prix atteints lors des crises évoquées ci-dessus. Cette

fraction est variable selon les commodités et les techniques de production. Elle se situe entre

10 et 50% des coûts totaux.

Dans certains cas cependant, la baisse de prix, au-delà d'un certain niveau, peut déclencher

des substitutions rapides, cette fois au profit du produit concerné, si bien que l'ajustement se

fait par redressement de la demande, en même temps que l'offre se réduit, ou même avant.

(Ceci est traduit, sur la courbe de demande de la Figure 1, par une courbure de celle-ci vers la

17 En toute rigueur, un producteur ne cesse de produire que lorsque le prix de marché devient inférieur au « coûtévitable ». Les coûts évitables sont les coûts que la décision d'arrêter la production d'un gisement permetd'éviter par rapport à une situation où on continue de produire. En première approximation, les coûts évitablessont les coûts marginaux, c’est à dire les coûts variables. Mais ce n’est pas rigoureusement exact. Il faut ajouteraux coùts variables les coûts de reconstitution du gisement. Si de plus les décisions de cesser de produire, puisde reprendre la production entraînent des coûts spécifiques (indemnité de licenciement ou de chômagetechnique, coût d'entretien des puits ou mines pendant l'arrêt etc.), il faut retrancher de la somme ci-dessus letotal de ces coûts divisée par le nombre de tonnes non produites. Cela implique que toute évaluation précisedes coûts évitables exige une anticipation de la durée de la fermeture, donc de l'évolution future des prix. Enprésence de coût de fermeture/ouverture des mines significatifs, la décision d'arrêter ne sera pas prise, même siles prix descendent en dessous de (coûts variables + coûts de reconstitution), si la baisse des prix en dessous

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droite en dessous d'un certain niveau de prix).

On peut donc ainsi déterminer théoriquement un plancher de prix, qui est soit le niveau

qui provoque des fermetures d'unités entières, permettant ainsi de résorber les stocks des

producteurs, soit le niveau auquel la demande devient fortement élastique au prix, en raison

de substitutions rapides.

Une instabilité "naturelle"

Ce qu'il faut souligner c'est qu'en réalité, sur un marché à structure purement compétitive de

commodité minérale, toute position des prix intermédiaire entre la zone plafond de freinage

et la zone plancher est très instable ! La demande de commodités minérales, en effet, fluctue

plus amplement que l'activité économique générale. Par contre, du côté de l'offre, il s'agit

d'industries où les délais de développement de nouvelles capacités de production et de

transport sont de plusieurs années. Dans ces conditions il n'y a aucune raison, sauf de pur

hasard, pour que les capacités disponibles égalent exactement la consommation.

On se trouve donc alternativement :

• soit dans une situation proche de l'utilisation maximum des capacités, et toute

augmentation importante de la demande provoque alors une flambée de prix qui les fait

entrer dans la zone de freinage jusqu'à ce que la demande s'infléchisse et/ou l'offre

augmente de manière à rétablir un équilibre ;

• soit dans une situation de surcapacité et donc sous la menace permanente d'une guerre des

prix, qui conduit très rapidement au plancher où les prix se stabilisent pendant que la

surcapacité est résorbée.

Les phases de flambée des prix conduisent généralement à des investissements de capacité

excessifs, eu égard à l'évolution en tendance de la consommation, ce qui engendre des

situations de surcapacité. Celles-ci déclenchent presqu'inévitablement des guerres de prix qui

le conduisent au plancher. Ces phases de prix déprimés stoppent tout investissement de

capacité, ce qui favorise le retour de situations de tensions sur les capacités et ainsi de suite.

On a donc là un mécanisme qui entretient des fluctuations de grande ampleur,

engendrées par l'irrégularité des investissements, elle-même engendrée par

l'instabilité du prix de marché. Nous appellerons cette instabilité, instabilité du

premier type. Elle est inévitable sur un marché de commodités minérales purement

compétitif. En effet le marché, sur lequel se forme un prix qui résulte de la confrontation

instantanée de l'offre et de la demande de stocks, ne fournit pas le signal qui permettrait des

de ce niveau est jugée devoir être de courte durée.

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investissements tels que les capacités croîtraient au même rythme que la consommation, en

conservant un "matelas" de régulation à court terme. En d'autres termes, le marché ne

révèle pas le « prix d'équilibre ». C'est ce qui fait dire à juste titre que le marché, dans ces

conditions, est "myope".

3. Les moyens d'une stabilisation des prix de marché

Les stocks régulateurs

Pour stabiliser les prix de marchés, on peut tout d'abord songer à un système de stock

régulateur. C'est le mécanisme mis en oeuvre par certains "Accords de produits"18. Le

gestionnaire du stock dispose d'une fourchette de prix d'interventions. Quand le prix de

marché atteint le plancher, il achète du physique et le stocke. Quand le prix atteint la limite

haute, il vend du physique. Ainsi, il maintient le prix de marché dans la fourchette. On voit

bien que le problème essentiel est la détermination de cette fourchette de prix et en

particulier de son plancher. Si au plancher, alors que le gestionnaire du stock achète, certains

producteurs ont intérêt à continuer d'augmenter leur capacité et donc leur production, la

situation de surproduction qui avait provoqué la chute des prix va perdurer, le stock aura

rapidement épuisé ses ressources financières, et ceci fait, les prix traverseront le plancher et

continueront à baisser. En d'autres termes, la fourchette doit être située autour d'un niveau

de prix qui assure l'équilibre de long terme du marché.

L'usage de capacités poumons

L'autre moyen, non exclusif du précédent, est de faire jouer à certaines unités de production

le rôle de "capacités poumons". Cela signifie que, lorsque la demande faiblit, engendrant

gonflement des stocks producteurs et baisse des prix, on ferme ces capacités sans attendre

que le prix soit tombé en dessous de leurs coûts évitables . De cette manière, le

gonflement des stocks est stoppé, voire les stocks sont réduits, et la chute des prix est

arrêtée. Inversement, en cas d'augmentation de la demande, il faut pouvoir mettre en oeuvre

rapidement des capacités normalement oisives. Il faut donc disposer d'un matelas de capacité

excédentaire par rapport à la consommation moyenne, de manière à absorber sans

flambée des prix les fluctuations au dessus de sa moyenne de la demande.

18 Cf. Economie Mondiale des Matières Premières, chp. V, pour plus de détails sur les "Accords de Produits".

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Pourquoi stabiliser ?

Ces mécanismes ont un coût, encore qu'un stock régulateur est susceptible de s'autofinancer

puisqu'il achète moins cher qu'il ne revend, mais ce n'est pas toujours le cas, cela dépend des

taux d'intérêt financier et du temps pendant lequel il porte le stock physique. L'usage de

capacités poumons a clairement un coût : elles doivent être fermées avant qu'il devienne

économiquement rationnel de le faire et il faut entretenir un matelas de capacités

excédentaires. La question est alors : pourquoi et dans quelles conditions certains producteurs

ont intérêt à supporter ces coûts ? En d'autres termes quels sont les avantages qu'ils peuvent

en retirer ?

Certes, en soi, on peut considérer que la stabilisation des prix de marché autour d'un niveau

d'équilibre est bénéfique à tous les acteurs : elle réduit l'incertitude, permet une meilleure

allocation des ressources, réduit le risque des investissements. Mais la question devient : à

quelles conditions un sous-ensemble d'acteurs est-il prêt à payer pour cet avantage collectif.

Problème classique de "passager clandestin". On conçoit que la réponse sera : à condition

qu'ils en retirent un profit particulier qui ne peut être que le résultat de l'exercice d'un

pouvoir de marché. En d'autres termes la stabilisation des prix de marché par certains

producteurs, à l'aide de capacités poumons, n'a d'intérêt pour eux que si c'est aussi le moyen

de fixer des prix qui leur assurent une rente de monopole. Seul donc un oligopole

cohérent trouvera intérêt à stabiliser les prix de marché.

Examinons maintenant dans quelle mesure des capacités poumons peuvent effectivement

stabiliser les prix de marché.

Deux types d'instabilité inévitables

La stabilisation par le jeu des capacités poumons est en effet loin d'être parfaite. Ces

capacités ne peuvent pas moduler leur production au jour le jour, ni même aussi vite que se

modifient les anticipations et les stocks désirés dont on a dit l'influence sur les prix de

marchés. Elles peuvent néanmoins tenir les prix dans une fourchette d'amplitude limitée

avec des périodes (non nécessairement régulières) d'environ plusieurs mois. Ce type de

fluctuations, que nous qualifierons d'instabilité de second type, est inévitable dans le

cadre du fonctionnement d'un véritable marché. Mais elles ne gênent en vérité personne,

puisque les marchés à terme et leurs instruments dérivés sont faits pour que les opérateurs

puissent s'en protéger.

Cependant les instruments financiers dérivés des contrats d'échange de commodités

introduisent eux-mêmes un troisième type d'instabilité dont les périodes sont beaucoup

plus courtes : de l'ordre du jour ou de la semaine.

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4. Conclusions

Résumons les principaux résultats de ce chapitre.

• Les prix de marché d'une commodité minérale fluctuent inévitablement entre un

plancher et une zone plafond sauf s'il existe un groupe suffisamment important (en

termes de parts de marchés) de producteurs poumons opérant avec flexibilité un certain

volume de capacités du même nom.

• La stabilisation des prix de marchés par l'usage de capacités poumons ayant un coût, les

producteurs poumons n'ont intérêt à stabiliser le prix de marché que si cela leur permet

d'engranger des rentes de monopole. Ceci n'est possible que s'ils disposent seuls de

l'essentiel des réserves à bas coût. Dans ce cas, ils peuvent se comporter, en dynamique,

comme un oligopole de Stackelberg flanqué d'une frange compétitive.

Certains prix de commodités minérales ont été relativement stables dans les années 60 et

70 : cela a toujours signalé l'existence d'une structure de l'industrie de ce type. S'ils sont

devenus amplement fluctuants dans les années 80, c'est que cette structure s'est

transformée.(chapitre 10)

Dans les années 80 et 90, l'industrie du pétrole a, elle, conservé une telle structure. C'est la

raison de la stabilité relative des prix. Le cas du pétrole est traité en détail dans le chapitre

12.

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Chapitre 7.

Les formes concrètes de formation des prix des commodités

1. Les marchés de commodités : diversité et unité des prix

Diversité des prix

Alors que nous avons caractérisé les produits de base comme étant pour la plupart des

commodités, pour lesquelles existe un prix mondial unique, un observateur non familier des

marchés sera au contraire frappé par l'existence simultanée d'une grande variété de prix pour

un même produit.

Ainsi, pour une matière première minérale, il observera des prix "spot" et des prix de

contrats, des prix producteurs et des prix dits de "marché libre", des prix de bourse de

commerce au comptant et des prix à terme. Pour une matière première agricole, il entendra

parler de prix garantis au producteur, de restitution à l'exportation, de prix de marché libre,

de prix national et de prix international, également de prix de bourses au comptant et à

terme.

Cette diversité de prix s'organise en fait autour de cinq dimensions :

L'espace : les prix varient d'abord en raison de différences de coûts de transports à partir des

régions productrices ou des ports. D'autre part, malgré une tendance à l'internationalisation

des marchés, certains Etats protègent solidement leur marché national. C'est le cas en

particulier des marchés de produits agricoles de base (céréales, sucre, viandes et produits

laitiers) dans les pays industrialisés. Il existe alors des différences, qui peuvent être

importantes, entre les prix intérieurs dans ces pays et les prix internationaux. Sauf

exception lors des brèves mais brutales flambées des cours internationaux, les prix intérieurs

de ces agricultures protégées sont naturellement supérieurs à ces derniers.

La qualité : les prix diffèrent évidemment, pour une même famille de produits, en fonction

de la qualité : variétés de blé ou de maïs, pétroles bruts plus ou moins "légers" ou chargés en

soufre, charbons de pouvoir calorifique variable, lingots de métaux de degré de pureté

différente. Mais dans la plupart des cas, il existe une qualité de référence, et les prix des

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autres sont déterminés par des "primes", positives ou négatives, à partir de la qualité de

référence. Ceci s'étend, au-delà des variations de qualité d'un même produit, à des produits

différents mais facilement substituables comme les oléoprotéagineux.

Le temps : à chaque instant, des prix se forment non seulement pour livraison immédiate,

mais pour livraison différée, jusqu'à plusieurs mois à l'avance. De plus, les marchés à terme,

que nous évoquerons ci-dessous, fixent des prix futurs sur plusieurs échéances, sans que pour

autant les transactions qui déterminent ces prix se concluent par un échange de marchandise.

Le volume et la régularité : bien que le commerce "de détail" ne soit évidemment pas

pratiqué pour les produits de base, un consommateur n'obtiendra pas en général le même prix

pour une cargaison unique - achetée "spot" - avec laquelle il complète son

approvisionnement en cas de besoin et pour un contrat d'un an qui prévoit des livraisons

mensuelles régulières. Il n'est d'ailleurs pas constant qu'il paye le spot plus cher : si le marché

est excédentaire et si les producteurs cherchent à brader des tonnages marginaux, ce sera le

contraire.

L'identité des contractants et la nature des contrats : certains types de contrats font l'objet

de prix particuliers. Cela existe entre industriels qui trouvent parfois un intérêt essentiel à

lisser les fluctuations du marché. Mais c'est surtout le cas des contrats d'Etat à Etat, avec les

cas extrêmes que sont le troc (il est alors fort difficile de déterminer les prix, par exemple

dans un troc d'avions de combat contre pétrole brut) et l'aide alimentaire. Même lorsqu'il

s'agit de contrats entre Etats de nature purement commerciale et faisant référence à un prix

international reconnu, des conditions de financement particulières modifient souvent le prix

réel.

Mais, malgré cette diversité, il existe presque toujours, et en tout cas pour les grandes

matières premières, un prix mondial de référence. Les autres prix lui sont liés de façon

d'autant plus solide que le marché mondial n'est pas cloisonné par les Etats et que ceux-ci

interviennent peu dans le commerce international. Ce prix mondial se forme selon diverses

modalités qui dépendent, pour l'essentiel, de la nature des produits et des structures de

production et de commercialisation. Quelles sont ces modalités, et dans quelle mesure le prix

mondial l'est-il effectivement, c'est-à-dire commande-t-il étroitement les autres prix, c'est

ce que nous allons examiner dans ce chapitre.

Qu'est ce qu'un "marché" de matières premières ?

Auparavant, il convient de préciser ce que sont les marchés de matières premières. Le terme

évoque un lieu, une enceinte plutôt, où se retrouvent périodiquement vendeurs et acheteurs

de gros pour confronter offres et demandes et aboutir par un processus itératif convergent à

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un prix. De tels marchés existent encore à l'échelon local : les marchés à la criée de poisson

dans les grands ports de pêche ou les marchés "au cadran" du porc et des choux-fleurs en

Bretagne. Ce mode de fonctionnement est également celui des bourses de valeurs mobilières

où, autour de la "corbeille" (en fait par ordinateur désormais), un petit nombre

d'intermédiaires agréés fixent le prix par confrontation de l'offre et de la demande. Au plan

mondial, de tels marchés n'existent plus pour les grandes matières premières, à l'exception

notable des marchés à terme. Mais sur ceux-ci, ce ne sont pas des matières premières qu'on

échange, mais des contrats, du papier. Ce sont en fait des marchés financiers. Nous allons y

venir.

Des marchés physiques de matière première d'importance mondiale ont existé dans l'histoire

: la bourse du coton de Liverpool fondée en 1842 par exemple. Mais aujourd'hui, sauf

exception, ils se sont délocalisés : un marché physique est désormais un réseau dont les

noeuds sont les sièges et les agences locales des grands négociants, producteurs et consom-

mateurs reliés par télex et téléphone. Ces réseaux couvrent la planète, avec évidemment des

concentrations particulières de noeuds dans les grandes régions productrices, dans les grands

pays consommateurs et auprès des principales places financières. Par ces réseaux se

prennent une multitude de contacts bilatéraux entre vendeurs et acheteurs. Mais il n'existe

pas de commissaire-priseur walrasien qui à chaque instant confronterait l'ensemble des offres

et des demandes pour déterminer le prix ! Acheteurs et vendeurs prennent la décision

d'accepter ou de refuser une offre particulière sur la base des informations qui circulent en

permanence dans le réseau. Ces informations portent sur la production, la consommation,

les incidents les affectant et sur les prix pratiqués dans les transactions antérieures. Mais

parmi ceux-ci l'un d'eux a une importance cruciale, c'est le prix de référence dont nous par-

lions ci-dessus. Il se forme dans une partie du réseau, selon des modalités spécifiques, mais

il influence l'ensemble des transactions.

On peut classer ces modes de formation du prix mondial de référence selon quatre grands

types :

- les prix de bourses,

- les prix producteurs,

- les prix négociés,

- Les ventes aux enchères

- les marchés "inorganisés".

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2. Les prix de bourses

Une bourse de commodités est une institution qui organise une confrontation des offres et

des demandes, fixe un prix d’équilibre issu de cette confrontation et se porte généralement

contrepartie des vendeurs et des acheteurs ( elle achète et revend la totalité de ce qui est

offert et demandé au prix d’équilibre). Une bourse possède généralement un ou plusieurs

entrepôts où les commodités effectivement échangées par la bourse sont livrables.

Formation du prix d’équilibre

La bourse recueille les offres de ventes et d’achats, exprimées par des couples (quantités -

prix) d’une qualité spécifiée de la commodité, les deux pour livraison à une date spécifiée.

Elle construit ainsi une courbe d’offre de vente et une courbe d’offre d’achat, dont le

croisement donne le prix d’équilibre, prix auquel les quantités offertes à la vente et à l’achat

sont égales.

Prix

Quantités

Prixd’équilibre

Quantités échangées

Offredevente

Offre d’achat

En pratique les quantités d’une commodité effectivement échangées sur une bourse ne

représentent que quelques % du commerce mondial. Néanmoins, ce prix constitue une

référence pour l’ensemble des acteurs et, tous les vendeurs et tous les acheteurs étant libres

de se porter sur la bourse, il représente effectivement le prix d’équilibre du marché dans son

ensemble.

La plupart des bourses de commodités organisent aussi des marchés à terme, que nous

traiterons, compte tenu de leur importance, dans le chapitre suivant.

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3. Les prix producteurs

Ce mode de fixation des prix est très simple : les principaux producteurs, etmême dans la plupart des cas le principal producteur, fixent les prix etl'ensemble des autres s'alignent sur ce prix.

L'existence d'un prix producteur n'est cependant pas le signe d'un monopole et d'une absence

totale de concurrence, sauf dans quelques rares cas particuliers comme celui de la Central

Selling Organization, filiale de De Beers qui, commercialisant près de 80 % des diamants, est

un véritable monopole et, bien sûr, fixe unilatéralement le prix des diamants! C'est plutôt le

signe d'une certaine organisation oligopolistique de la concurrence entre producteurs et d'une

convergence d'intérêt entre la grande majorité des acteurs, producteurs et consommateurs.

Cette convergence se fait d'abord sur la stabilité des prix. Les prix producteurs sont en effet

plus stables que les prix de bourse. Ils ne sont modifiés, en période normale, que deux ou trois

fois par an pour tenir compte des évolutions du marché. Quant à leur niveau, il est fixé de

manière telle que le prix permette la rentabilité, avec un profit "raisonnable" sur le capital

investi, des extensions de production qu'exige la croissance de la demande.

Même si une forte cohésion et le contrôle d'une part très importante des capacités de

production le leur permettaient a priori, il est rare que les producteurs leaders en abusent.

Ceux qui l'ont fait - par exemple l'OPEP entre 1980 et 1986, nous reviendrons sur cet

épisode très significatif - en ont toujours payé très cher les conséquences. Trois types de

menaces cernent en effet en permanence un système de prix producteur : les substituts, les

nouveaux entrants, le marché libre.

Nous l'avons dit en introduction, toutes les matières premières sont substituables. Fixer un

prix trop élevé, c'est à coup sûr ralentir à terme la croissance de la demande, ce qui à son

tour menace la cohésion de l'offre. Fixer un prix trop élevé, c'est aussi rendre inévitable

l'entrée dans l'industrie de francs tireurs qui voudront ensuite se faire une place sur le marché

et n'hésiteront pas, pour cela, à déclencher des guerres des prix, brisant ainsi le "gentleman

agreement" indispensable au fonctionnement du système (les accords formels de type cartel

sont en effet rares et non indispensables, le contre exemple est évidemment le cartel des

"sept soeurs" du pétrole mis en place en 1928). Enfin, il existe toujours, à côté du prix

producteur un prix dit de "marché libre". Ce marché libre est soit organisé par une bourse -

en réalité cette situation est rare et marque plutôt une phase de transition car prix

producteur et prix de bourse ne peuvent coexister longtemps - soit un marché libre

"inorganisé" du type de ceux que nous décrivons ci-dessous. En fait, il s'agit généralement

d'un marché parallèle, organisé par les négociants internationaux, qui fixe le prix de

quantités marginales liées soit à des besoins exceptionnels, ou à des surplus transitoires de

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grands opérateurs, soit à de petits producteurs ou consommateurs. Pour cette raison, ce prix

est particulièrement fluctuant. Il donne cependant aux grands producteurs une indication des

tendances du marché qu'ils ne peuvent se permettre de négliger durablement. Faute de quoi de

marginal qu'il reste normalement, le marché libre va s'enfler et les relations stables établies

entre fournisseurs et clients dans le cadre des prix producteurs vont se défaire.

De ce qui vient d'être dit, il ressort qu'un système de prix producteur exige que l'offre soit

concentrée entre un petit nombre d'acteurs ayant un comportement relativement

homogène. C'est pourquoi on le rencontre surtout dans le domaine minier et pétrolier. En

fait, parce que c'est un système très satisfaisant pour les producteurs, mais également pour

les consommateurs, on ne trouve guère de marchés matières premières minérales qui, à un

moment ou à un autre de leur histoire, n'aient pas connu ce système.

Dans les années 70, il s'appliquait aux produits suivants : Aluminium : prix fixé par Alcan

(pour le monde) et Alcoa (aux Etats-Unis) ; Nickel : prix fixé par Inco (Canada) ;

Molybdène : prix fixé par Amax (Etats-Unis) ; Platine : prix fixé par Rustenberg (RSA) ;

Cobalt : prix fixé par Gecamines (Zaïre) et ZCCM (Zambie) ; Zinc : existence d'un prix

producteur européen, en parallèle avec la cotation sur le LME ; Vanadium : prix fixé par

HighWeld et Union Carbide. Aux Etats-Unis le régime des prix producteurs s'appliquait de

plus aux autres non ferreux : cuivre, plomb, zinc. Il faut également mentionner le diamant,

déjà évoqué, mais aussi le niobium (la CBBM brésilienne dispose de l'essentiel des réserves

mondiales) et le berylium pour lesquels on a pratiquement affaire à des monopoles. Enfin,

naturellement, le pétrole fut dans ce cas jusqu'à 1986. On est passé d'un prix producteur fixé

par les compagnies jusqu'en 1970 à un prix fixé par l'OPEP à partir de 1971.

Dans le domaine des produits agricoles, le système s'applique à la pâte à papier, mais aussi

aux produits laitiers qui sont dans une situation proche. En effet, le niveau des restitutions à

l'exportation fixé par la Commission de la CEE détermine, par soustraction du prix intérieur

communautaire, le prix d'offre international de la CEE qui joue sur ce marché un rôle de prix

directeur.

Mais un phénomène majeur des années 80 sur tous ces marchés (cf. chp.10) a été

l'affaiblissement du rôle des prix producteurs et même dans certains cas, et non des

moindres : pétrole, aluminium, nickel, leur disparition sous l'effet de la modification de la

structure de l'industrie et du passage d'une "concurrence organisée" à une concurrence

acharnée.

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4. Les prix négociés

Ce mode de formation des prix concerne des matières premières qui possèdent les

caractéristiques suivantes :

Elles ne sont pas standardisées : la marque de leur origine naturelle reste très présente dans la

forme sous laquelle elles sont commercialisées.

Non seulement les producteurs sont peu nombreux, comme dans le cas des prix producteurs,

mais également les consommateurs. Chacun de ceux-ci a donc un petit nombre de fournis-

seurs, des installations adaptées à la qualité particulière de leurs produits, ce qui rend très

coûteux d'en changer très souvent. Inversement chaque producteur n'a qu'un petit nombre de

gros clients qu'il connaît bien. On a donc à faire à une structure de marché où un oligopole de

producteurs fait face à une « oligopsone » de consommateurs.

Dans ces conditions, les prix sont tout simplement directement négociés entre producteurs

et consommateurs. C'est ainsi que fonctionnent les marchés du minerai de fer et du

manganèse, des charbons, des minerais de phosphate et de potasse, c'est-à-dire en fait des

matières premières minérales qui sont exportées brutes - pétrole et gaz exceptés - et qui

représentent les tonnages les plus importants dans le commerce mondial des minerais

solides. Les clients sont donc les entreprises sidérurgiques, les compagnies électriques, les

producteurs d'engrais, tous de très grandes sociétés qui achètent annuellement de plusieurs

centaines de milliers à plusieurs millions de tonnes à chacun de leurs fournisseurs (moins

d'une dizaine dans la plupart des cas). C'est ainsi également que fonctionne le marché des

grumes de bois.

Les négociations de prix sont cependant organisées, et plus précisément hiérarchisées. Elles

ont lieu en automne pour des contrats de livraison qui couvriront toute l'année suivante,

quelquefois plus. De nombreux contacts informels précèdent les négociations, qui débutent

généralement entre le plus gros producteur et son plus gros client. Le prix qui en résulte

indique la tendance du marché, et les autres négociations se bouclent alors rapidement. Ainsi,

pour le minerai de fer, ce fut jusqu'en 1975 les contrats entre le producteur suédois LKAB et

les sidérurgistes allemands qui étaient conclus les premiers et donnaient le ton. Ensuite, ce

furent les contrats entre le premier producteur mondial, la CVRD (entreprise publique

brésilienne) et les sidérurgistes allemands, en parallèle avec les négociations producteurs

australiens - sidérurgistes japonais. Pour le charbon, en période normale, ce sont également

les contrats Australie-Japon qui donnent la tendance. Les prix sont publiés, contrat par

contrat, dans des revues spécialisés .

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Il n'existe pas vraiment de marché libre parallèle. Cependant, soit par l'intermédiaire des

négociants soit directement, s'échangent aussi quelques cargaisons "spot". En période

normale, ces échanges ne représentent qu'un faible pourcentage (5 à 10 %) des flux

internationaux. Quand ils augmentent, c'est le signe de tensions inhabituelles sur les marchés

et de réorganisation des rapports de force. C'est ce qui s'est passé sur le marché du charbon

vapeur quand l'Afrique du Sud, exclue par des mesures d'embargo de quelques pays européens,

a cherché à regagner, dans d'autres zones, le terrain ainsi perdu. La revue "International Coal

Report" a pu alors publier un prix du charbon spot CAF Rotterdam pour la qualité sud-

africaine standard.

Soulignons enfin que, d'un point de vue économique, la différence entre ce mode de fixation

des prix et le système des prix producteurs n'est pas toujours pertinente. Il est clair que

quand le marché est "vendeur", c'est-à-dire quand la demande sature pratiquement les

capacités de production, ce sont les producteurs qui fixent les prix, la négociation n'en est

pas vraiment une... Mais ils évitent d'en abuser, pour les mêmes raisons que nous avons

évoquées ci-dessus. Réciproquement, quand le marché est "acheteur" les prix baissent. Mais

les consommateurs qui sont parfaitement informés de la situation de leurs fournisseurs (bien

souvent, ils s'arrangent pour avoir des participations minoritaires dans les mines; c'est tout

particulièrement le cas des Japonais) n'utilisent pas alors leur pouvoir de marché au delà du

seuil qui mettrait en danger leurs approvisionnements futurs. Ils se contentent de

contraindre les mineurs à de violents efforts de productivité !

5. Les ventes aux enchères et les marchés inorganisés

Parmi les modes de fixation des prix qui ne relèvent pas des trois catégories précédentes, on

trouve essentiellement les ventes aux enchères et d'autre part, des marchés que l'on qualifie

souvent "d'inorganisés" ce qui est impropre mais signifie simplement qu'ils n'ont ni

localisation bien précise, ni pratiques commerciales très stabilisées, ni la transparence et la

publicité des prix qui caractérisent les précédents.

Les ventes aux enchères

Très utilisées pour les épices à l'époque mercantiliste, elles concernent aujourd'hui des

produits pour lesquels la qualité est essentielle dans la formation du prix. On ne peut donc

pas en réalité parler de commodités. Une vente aux enchères permet en effet d'écouler des

lots de produits de qualité spécifiques et de faire révéler aux acheteurs leurs « consentement

à payer » pour cette qualité. On peut donc considérer que chaque vendeur est en situation de

monopole : les lots qu’il vend ne sont semblables à aucun autre et la vente aux enchères lui

permet de trouver le consommateur qui valorisera au mieux la spécificité de ces lots.

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L’ensemble des vendeurs constituent donc un ensemble de « monopoles différenciés ». Les

principales ventes aux enchères au plan mondial, sont celles du thé à Londres, des grands

vins en France et de la laine en Australie et en Nouvelle-Zélande (mais il existe aussi un

marché à terme pour la laine à Sydney). Les ventes d'étain à Penang en Malaisie peuvent

être considérées comme un système d'enchères puisque des offres cachetées sont faites pour

l'achat de la production des raffineries, qui sont honorées par ordre de prix décroissants.

Les marchés inorganisés

Au sein du réseau qu'est le marché mondial, un sous ensemble aux frontières mouvantes

constitué de gros négociants et opérateurs industriels, constitue le "lieu" où s'expriment les

déséquilibres entre offres et demandes. Une moyenne, ou une fourchette des prix pratiqués

dans les transactions qui s'effectuent entre eux, est alors publiée, soit par des journaux

spécialisés, soit par des experts indépendants, et sert de référence aux autres transactions.

Ces prix de référence sont parfois contestés et plusieurs prix concurrents peuvent coexister.

Ainsi, mécontents du prix publié chaque semaine pour le tungstène par le Metal Bulletin de

Londres, les producteurs affichent tous les quinze jours un index calculé par le cabinet

d'expert-comptable britannique Peat Marwick and Mitchell.

La non transparence de ce mode de fixation des prix permet aux courtiers de conserver un

rôle sur ces marchés. A la différence du négociant qui achète, transporte et revend, le

courtier se contente de rassembler le maximum d'information sur le marché et de mettre en

rapport, moyennant commission, un vendeur et un acheteur. Ce métier devient inutile avec

les marchés à terme qui concentrent dans un prix public toute l'information utile, il reste

nécessaire dans les marchés "inorganisés" : l'information, pour ceux qui n'en sont pas à la

source, conserve un prix. Les courtiers la collectent et la vendent.

Les matières premières concernées sont, dans le domaine agricole : le riz (dont le marché

international est très étroit par rapport à la production mondiale), la viande et les produits

laitiers (il existe aux Etats-Unis des marchés à terme pour la viande bovine et porcine sur

pied et congelée, mais il n'ont qu'une influence nationale) et de nombreux produits

d'importance secondaire ; dans le domaine minier : de nombreux "petits" métaux.

Naturellement, les "marchés libres" parallèles aux systèmes de prix producteurs et de prix

négociés sont de ce type, mais dans ce cas, on l'a vu, ils ne font pas référence, tout au plus

indiquent-ils des tendances.

Il ne fait pas de doute que lorsque ces marchés inorganisés sont le mode unique de formation

des prix, la situation des petits producteurs et des consommateurs dépourvus de pouvoir de

négociation est inconfortable : ils sont les victimes désignées des abus de position

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dominante, ne pouvant généralement pas savoir si le prix qu'ils ont obtenu est, dans la

conjoncture, favorable ou défavorable. De ce point de vue, les marchés à terme sont

incontestablement un progrès. Mais si des marchés inorganisés perdurent, même pour des

produits aussi importants dans le commerce mondial que le riz, la viande et les produits

laitiers, c'est que les conditions techniques, économiques et politiques (cloisonnement des

marchés) ne sont pas réunies pour que réussissent des marchés à terme, ou que s'imposent des

systèmes de prix producteur.

6. Le système des prix mondiaux

Ce qui précède avait pour but de montrer comment, derrière la grande diversité apparente

des prix, existaient, dans les réseaux que constituent les marchés de matières premières, des

modes spécifiques de formation de ce que nous avons appelé les prix de référence mondiaux.

Les autres prix sont rattachés à ce prix de référence par des liens qui prennent en compte les

différences de qualité, géographiques, temporelles et de nature des contrats commerciaux.

Ces liens sont cependant plus ou moins étroits. Pour utiliser une image peut-être plus

précise : ce sont des élastiques plus ou moins tendus. Il reste donc à évoquer une question

importante : dans quelle mesure le prix mondial influence-t-il l'ensemble des prix réellement

pratiqués dans le monde ?

Nous avons déjà évoqué deux aspects particuliers de cette question. Le premier, c'est

l'existence, parallèle aux systèmes de prix producteurs et de prix négociés, de marchés libres

où se forment un prix a priori différent, ou encore l'existence conjointe de prix producteurs

et de prix de bourses. Cependant pour ce qui est de ces marchés dits libres, nous avons

souligné qu'en période normale, ils concernent des tonnages marginaux. Disons que ce sont

des prix de "soldes", ou au contraire de "marché noir"... Lorsque l'importance des volumes

qu'ils concernent s'accroît durablement, c'est toujours un signe de transformation en cours

dans la structure de l'industrie, pouvant conduire au passage d'un mode de formation

dominant à un autre. Cela s'est produit par exemple pour le pétrole, l'aluminium et le nickel

dans la période où certains gros producteurs ont lutté en vain contre le développement des

bourses avec marchés à terme qui ont fini par s'imposer. De même, une coexistence durable

entre prix producteur et un prix de bourse est le signe d'une phase de transition, où alors c'est

que les deux prix sont en fait très étroitement liés (cas par exemple du prix producteur

européen et du prix LME du zinc).

Le second cas, c'est simplement l'inexistence d'un véritable prix mondial, fréquente sur les

marchés dits inorganisés. Leur non transparence peut conduire à la coexistence d'une gamme

de prix assez différents selon le pouvoir de marché des acteurs impliqués.

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Enfin autre cas particulier qu'il faut mentionner, c'est l'inexistence, ou plutôt le caractère

très étroit du marché lui-même, quand l'essentiel de ce qui apparaît comme des échanges

internationaux sont en fait des transferts au sein de firmes verticalement intégrées. Cela a

longtemps été le cas de la bauxite et de l'alumine et surtout du pétrole brut avant le milieu

des années 70. Le prix qui faisait figure de prix mondial était en fait un prix fiscal, destiné à

calculer les royalties et impôts revenant aux Etats producteurs. Mais les échanges réels de

pétrole, au sein des compagnies intégrées, et même entre elles, se faisaient à des prix

différents. Le mouvement général de désintégration verticale et prise en charge directe de la

production par les compagnies publiques dans les Etats producteurs au cours des années 70 et

80 a cependant réduit l'importance de ce genre de situation.

Au-delà de ces cas particuliers, l'essentiel des cloisonnements des marchés mondiaux qui

limitent l'influence et la pertinence du prix mondial sont introduits par les Etats et

concernent avant tout les produits agricoles de base : céréales, sucre, viandes et produits

laitiers. Les mesures de protection des agricultures, garantissant un prix minimal à la

production ( ou la subventionnant), isolent les marchés nationaux du marché mondial par

des systèmes parfois complexes mais dont le principe général est de taxer les importations

et de subventionner les exportations d'excédents.

7. Structure de marché et mode de formation des prix

Il n’existe pas de relation biunivoque entre structure de marché et mode de formation des

prix, mais comme on l’a vu, certain modes de formation du prix de référence, tels que les

prix producteurs où les enchères, correspondent à des structures de marché particulières. On

peut résumer les liens entre les deux de la manière suivante :

Structure de marché Mode de formation des prix

Compétitif Prix de bourse

Marchés inorganisés

Oligopole avec frange compétitive Prix producteur

Prix de bourse

Marchés inorganisés

Oligopole - oligopsone Prix négociés

Monopole différencié Enchères

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Chapitre 8.

Les marchés à terme de commodités19

1. Origine et définition

Temples de la spéculation pour les uns, miracle de l'inventivité capitaliste pourse protéger de l'incertain pour les autres, les marchés à terme sont desinstitutions controversées et complexes. Ils exigent donc quelquesdéveloppements. Cependant, nous ne pourrons ici qu'en décrire très sommaire-ment le fonctionnement, l'usage et le rôle dans la formation des prix de certainesmatières premières et évoquer en les simplifiant considérablement les débatsauxquels ils donnent lieu.

A l'origine des marchés à terme, se trouvent les bourses de commerce, elles-mêmes

descendant des foires du Moyen Age. Fondées au cours du XIXème siècle, elles avaient pour

but, par la mise en présence physique en un même lieu des principaux acheteurs et vendeurs,

de faciliter les négociations pour des produits livrables immédiatement. Mais presque

aussitôt, apparaissent les pratiques de ventes et d'achat à livraison différée (forward en

anglais). Ainsi le paysan, pour garantir son prix, vend sa récolte au moment des semailles,

livrable dans six mois. Le métallurgiste achète une cargaison de cuivre ou d'étain au moment

de son embarquement, pour livraison trois mois plus tard (le temps de transport entre

Valparaiso au Chili ou Penang en Malaisie et Londres au XIXème siècle), également pour

garantir un prix et ne pas être victime de flambées conjoncturelles des cours si par exemple

certains navires ont du retard ou se sont perdus.

Déjà cette pratique autorise la spéculation. Un marchand peut vendre, à l'époque des

semailles pour livraison à celle de la récolte, du blé qu'il ne produira pas (et faire, donc,

comme le paysan) s'il anticipe que la récolte sera abondante et qu'il pourra donc racheter

moins cher au comptant pour honorer sa vente. Il peut acheter pour livraison future,

comme l'industriel, une marchandise dont il n'a aucun besoin s'il anticipe une pénurie qui lui

permettra de revendre plus cher la marchandise quand elle lui sera livrée.

Ces contrats de vente ou d'achat pour livraisons différées, sur des termes variables, sont à

l'origine des marchés à terme. Ils étaient au départ établis au cas par cas, concernaient des

19 L'ouvrage de référence en français sur cette question est celui de Y. SIMON.

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marchandises de qualité spécifique et exigeaient du spéculateur (celui qui vend sans avoir la

marchandise ou qui achète sans en avoir l'usage) de trouver un vendeur ou un acheteur

particulier pour racheter ou revendre la marchandise particulière qu'il avait vendue ou

achetée.

Autour de 1919, aux Etats-Unis et en Angleterre, les négociants décident d'organiser cette

activité. Les contrats sont standardisés : ils concernent des marchandises d'un volume et

d'une qualité parfaitement spécifiés (par exemple, au Chicago Board of Trade : le contrat sur

le maïs est de "5 000 boisseaux de yellow corn n° 2") ; les termes de livraison sont

strictement précisés : 1 mois, 2 mois, 3 mois, ... n mois (jusqu'à 36 mois aujourd'hui sur

certaines bourses pour certains produits). Par conséquent, seul le prix reste à négocier, les

contrats peuvent passer très rapidement de main en main. Par ailleurs, on crée des chambres

de compensation qui se portent systématiquement contrepartie des acheteurs et des vendeurs

et garantissent l'exécution des contrats.

Ainsi sont nés les contrats à terme et les marchés à terme, où ces contrats s'échangent. Ce

qui est essentiel c'est que les contrats à terme (futures en anglais) sont des instruments

financiers et les marchés à terme, par conséquent, des marchés financiers.

Un contrat à terme est un papier (au sens financier donc métaphorique du terme), c'est un

engagement, négocié à l'instant t, à livrer ou prendre livraison d'un lot bien spécifié d'une

marchandise à une date t + n, à un prix fixé en t. Dans la plupart des cas, cet engagement

n'est pas pris avec l'intention de livrer ou de se faire livrer la marchandise, mais avec

l'intention de revendre ou de racheter le contrat avant terme. Les livraisons physiques

résultant de contrats à terme concernent de 1 à 3 % des cas seulement.

Le rôle des marchés à terme est en effet de permettre aux opérateurs sur le physique

(producteurs, négociants, consommateurs) de se protéger contre les risques commerciaux

provoqués par les fluctuations des cours et de mieux gérer leurs stocks (cf. ci dessous). Pour

qu'ils puissent remplir ce rôle, il est utile - certains experts disent même qu'il est indis-

pensable - que des spéculateurs y interviennent, achetant des contrats s'ils pensent que leur

prix va monter, en vendant dans le cas inverse et dénouant de toute façon leur position sans

prendre livraison d'une marchandise dont ils n'ont que faire ou, bien sûr, livrer une

marchandise qu'ils n'ont pas. Les spéculateurs acceptent donc, dans l'espoir d'un gain, de

prendre les risques de prix dont veulent se défausser les opérateurs sur le physique.

A priori, donc, marché du physique et marché à terme sont des institutions distinctes où

n'interviennent pas exactement les mêmes acteurs, et les prix s'y forment indépendamment.

En réalité, bien sûr, il existe une solide liaison entre les deux, et tout particulièrement entre

les prix des contrats à terme pour différentes échéances, et le prix de la marchandise

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physique immédiatement disponible dans les magasins agréés par les bourses de commerce

qui abritent les marchés à terme dans la qualité qui est celle des contrats à terme. Les bourses

de commerce, même si leur activité sur le physique est devenue tout à fait marginale, restent

en effet néanmoins l'un des noeuds du réseau qui constitue le marché physique et cotent aussi

les marchandises "au comptant" pour livraison immédiate.

C'est la possibilité d'exiger le dénouement d'un contrat à terme par une livraison physique qui

établit le lien entre les deux marchés, même si, en période normale, cela se produit très

rarement. Des opérations d'arbitrage entre physique et papier (cf. ci-dessous) assurent donc

une liaison relativement étroite entre les évolutions du comptant (le physique) et du terme.

C'est pourquoi le prix à terme (en général le terme le plus rapproché) peut devenir la

référence de prix pour l'ensemble du marché. Il présente en effet l'avantage d'être public,

immédiat, et référé à une qualité parfaitement spécifiée. Aux Etats-Unis, par exemple, les

prix négociés pour des céréales comme le maïs et le blé sont indiqués sous (under) ou sur

(over) "Chicago", c'est-à-dire le prix à terme le plus rapproché coté sur le Chicago Board of

Trade, la principale bourse de commerce pour les céréales.

2. Les rapports entre prix du physique et prix à terme

A l'échéance d'un contrat à terme, le prix de ce contrat est égal au prix du comptant,

autrement dit du physique disponible immédiatement dans les entrepôts de la bourse (le prix

d'un engagement de livraison de 100 t de métal de telle qualité le 30 juin, vaut évidemment

le prix auquel on peut se procurer ce métal le 30 juin). C'est la possibilité d'exiger que le

contrat soit honoré par une livraison physique qui introduit ce lien.

Avant l'échéance, le prix d'un contrat à échéance t, Pt peut être différent de celui du

comptant du jour Pc. La différence entre le prix d'un contrat à échéance donnée et le prix

du comptant du jour est appelée la base : B

B = Pt-Pc.

Si la base est positive (Pt > Pc), il y a report (contango en anglais). Si la base est négative(

Pt < Pc), il y a déport (backwardation en anglais).

Un report R= Pt-Pc > 0 ne peut être supérieur au coût du stockage CS (CS est le coût total

du stockage : coût du stockage physique en entrepôt et coût financier) jusqu'à l'échéance du

contrat. En effet s'il était supérieur, un opérateur disposant de capacités de stockage pourrait

faire une opération dite de « cash and carry ». Il achète du physique au comptant à Pc0, le

prix du physique en t0 et simultanément il vend un contrat de la même quantité à terme t1 à

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un prix Pt1 = Pc0 + R. A l'échéance t1, l'opérateur revend le physique à Pc1 et rachète son

contrat à Pc1 également puisqu'à son échéance le prix du contrat = le prix du physique.

Le solde de l'opération est :

-sur le marché physique : Pc1 – Pc0

-sur le marché à terme : Pc0 + R - Pc1

- au total : R

alors que son coût est le coût du stockage CS, par hypothèse inférieur au report R.

L’opération de cash and carry engendre alors un bénéfice net : R-CS, sans aucun

risque.

De nombreux opérateurs disposant de capacité de stockage agissant ainsi, le prix du

comptant va monter, celui du terme baisser et le report R se réduire pour devenir inférieur

ou égal au coût du stockage CS.

Inversement s'il y a un déport D (Pt = Pc-D < Pc), un opérateur qui dispose en t0 de

physique dont il n'a pas l'usage avant t1, fera les opérations suivantes, dites de « reverse

cash and carry » : en t0, il vend du physique à Pc0 et achète un contrat à Pt1 = Pc0-D. A

l'échéance t1, il rachète le physique à Pc1 et revend son contrat à Pc1.

Le solde de l'opération est :

-sur le physique Pc0 - Pc1

-sur le contrat : Pc1 - (Pc0 - D)

-au total : D.

De plus l’opérateur économise les coûts de stockage CS. Le gain total est donc D+CS

Normalement, tant que des opérateurs ont des stocks de physique disponibles dont ils

acceptent de se débarrasser provisoirement, les opérations de reverse cash and carry

vont continuer, engendrant une baisse du comptant et une hausse du prix à terme qui tend à

annuler le déport D.

Par conséquent on voit qu'une situation de déport D non nul traduit le fait que les opérateurs

qui détiennent des stocks physiques ne veulent plus les céder, malgré le gain D + CS que cela

engendre automatiquement. Cela signifie que le fait de détenir ces stocks a pour eux

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une valeur supérieure ou égale à D + CS.

La valeur associée à la détention de stocks physiques est appelée « convenience

yield », CY. La détention des stock a en effet une valeur en soi pour la même raison que

des acteurs préfèrent détenir une partie de leurs avoirs en monnaie, plutôt qu’en titres

financiers rémunérés : elle permet de faire face à des imprévus dans l’ordre de la production,

par exemple une commande supplémentaire, et elle permet de conserver la possibilité

d’écouler ses stocks plus tard à un prix plus élevé.

On conçoit que plus les stocks sont réduits dans l’industrie prise dans son ensemble, plus le

CY pour chaque détenteur individuel de stock est élevé.

Un acteur détenant des stocks fera donc des opérations de reverse cash and carry, c’est à

dire cédera ses stocks au marché tant que :

Pc-Pt + CS > CY

Tous les acteurs se comportant de même, on a finalement la relation d’équilibre suivante

entre prix au comptant et prix à terme :

B = Pt – Pc = CSm - CYm

CSm et CYm étant respectivement le coût de stockage et le convenience yield marginaux

Le coût marginal de stockage peut être supposé croissant avec le niveau desstocks dans l’industrie. Le convenience yield marginal décroît avec le niveau desstocks dans l’industrie, comme nous l’avons vu ci dessus.

On a donc l’évolution suivante de la base B, en fonction du niveau général desstocks :

Niveau desstocks

- CYm

CSm-CYm

Déport Report

B=Pt-PcCSm

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Conclusion : un déport signifie une situation de stocks rares dans l’industrie, un report une

situation de stocks abondants. Le déport n’est en théorie pas limité, le report l’est par CS, le

coût physique et financier du stockage.

3. Marché à terme et gestion des stocks

Ces opérations d’arbitrage entre comptant et terme montrent d’abord comment les

opérateurs peuvent utiliser le marché à terme pour mieux gérer leurs stocks tout en

"fluidisant" le marché.

Si un opérateur (producteur, commerçant, utilisateur) a des capacités de stockage disponibles

et si le report augmente, signe d'une abondance de physique qui fait baisser le comptant et/ou

d'une crainte pour l'avenir qui fait monter le terme, il fera une opération de cash and carry :

non seulement il valorise ses capacités de stockage, mais il retire du physique sur un marché

où il est trop abondant, pour le replacer plus tard. Il régularise donc le marché. Inversement

le déport signale à tous ceux qui ont du physique disponible et qui n’en ont pas un besoin

immédiat qu'ils ont intérêt à diminuer leurs stocks au minimum. Ils gagnent de l'argent et là

encore les tensions sur le physique sont relâchées.

4. Les opérations de couverture

Les marchés à terme servent aussi, et avant tout, aux opérateurs sur le physique à se couvrir

contre le risque de prix, donc à fixer leurs marges. Donnons en un exemple :

Soit un négociant qui achète en t0 du physique au prix Pc0 et qui n'a pas encore de client.

Pour se couvrir contre le risque que le prix baisse avant qu'il n'ait trouvé son client, il vend

un contrat sur le marché à terme au prix Pc0 + B0 (base en t0). Imaginons qu'en t1, il

trouve un client, mais que le prix ait baissé de 20 % : il vend le physique à perte ,à 0,8 Pc0,

mais en rachetant son contrat à 0,8 Pc0 + B1, B1 étant la base en t1), il limite cette perte.

En effet, le solde de l'opération est le suivant

-sur le physique une perte: 0,8Pc0 – Pc0 = -0 ;2 Pc0

-sur le contrat : Pc0+B0 – ( 0,8 Pc0 + B1 )

-au total : B0 – B1

Si le marché était normalement en report on doit avoir B0> B1, car le report a tendance a

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diminuer quand on se rapproche de l'échéance. Le solde total est donc un gain pour le

négociant. Si B0 < B1 (par exemple situation de déport en t0 et de report en t1), il subira

une perte, mais la variation de la base étant beaucoup plus faible que celle des prix eux-

mêmes, cette perte sera beaucoup plus faible que s'il ne s'était pas couvert

Se couvrir consiste donc à effectuer sur le terme les opérations strictement

inverses de celles sur le physique. Cela permet de substituer à un risque sur le niveau

absolu des prix, un risque sur les variations de la base qui est beaucoup plus faible et qui peut

même se transformer en gain.

Sur le marché à terme, notre négociant a peut-être trouvé en face de lui unspéculateur qui, anticipant une hausse des prix, lui a acheté le contrat en t0 etqui l'a revendu en t1 pour se dégager face à une baisse : le spéculateur dans cecas a perdu. Il a acheté le risque que le négociant ne voulait pas prendre et aperdu. Mais si le prix avait monté, le négociant en se couvrant se serait privé d'unprofit car il est facile de voir dans l'exemple précédent que son gain sur lephysique aurait été compensé par une perte sur le terme , tandis que lespéculateur aurait gagné.

5. La spéculation sur les marchés à terme déstabilise-t-elle les prix ?

Sans fluctuation des prix, il n'y a pas d'espoir de gain qui en vaille la peine pour les

spéculateurs, pas de nécessité de se couvrir pour les opérateurs : les marchés à terme perdent

une bonne part de leur intérêt. On constate d'ailleurs que leur extraordinaire développement

dans les années 70 et le début des années 80 accompagne un net accroissement de l'ins-

tabilité des prix. Inversement, les cours généralement déprimés et plats des années 82-86

ont vu les volumes de contrats à terme sur les marchandises se réduire, tandis que les

contrats à terme sur devises et taux d'intérêts (eux toujours très fluctuants) se multipliaient.

De là surgit bien évidemment la question centrale, qui est de la grande famille des questions

concernant l'antériorité de l'œuf ou de la poule... Les marchés à terme sont-ils les

instruments indispensables de réduction des risques liés à des fluctuations qui sont tout à fait

indépendantes de leur existence, et qu'ils tendraient même à réduire ? Sont-ils au contraire,

en raison de la présence nécessaire de spéculateurs, la cause des fluctuations, ou du moins un

mécanisme qui les amplifie ? Cette question a en fait deux aspects : les marchés à terme

rendent-ils les cours des matières premières sensibles à des facteurs externes aux

fondamentaux (le rapport entre la production et la consommation, le niveau des stocks) de

ces marchés ? Peuvent-ils être manipulés par des spéculateurs ?

Sur le premier point on peut répondre ceci :

Il est indéniable que, n'importe qui ayant la possibilité d'intervenir sur les marchés à terme,

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ceux-ci peuvent subir l'influence de facteurs qui n'ont rien à voir avec l'évolution des

"fondamentaux" du marché physique. Ce peut être par exemple une abondance de liquidités,

liée aux évolutions d'autres marchés financiers, associée à un courant d'opinion, spontané ou

habilement provoqué, selon lequel le prix de telle matière première devrait par exemple

augmenter. Ceci provoquerait un courant d'achats à terme, et, la hausse appelant la hausse,

une éventuelle bulle spéculative (comme cela s'est produit sur le marché du sucre blanc à

Paris en 1974 20 ). La hausse des prix à terme entraînerait, par l'effet des arbitrages ci-

dessus, une hausse des prix du physique au comptant. Mais comme disent les professionnels,

"le physique finit toujours par imposer sa loi". Dans l'exemple précédent, en effet, la hausse

du physique viendrait d'achats pour stockage engendrés par l'apparition d'un report

important. Ces stocks finiront pas peser sur le comptant, inversant ensuite la tendance des

prix à terme. Cependant, on aurait bien eu une fluctuation que ne justifiait pas les évolutions

sur le marché du physique.

Mais inversement, on peut soutenir que les marchés à terme ont une influence régulatrice sur

le marché physique. Les partisans de cette analyse constatent d'abord que les marchés

physiques sans marché à terme sont généralement encore plus fluctuants, ce qui est exact

mais peut aussi s'expliquer éventuellement par les caractéristiques propres de ces marchés.

Plus fondamentalement, le rôle régulateur des marchés à terme a la même origine qui permet

les fluctuations décrites ci-dessus. Tout le monde y a accès et les prix qui s'y forment sont

publics et instantanément connus de tous. En conséquence, ces prix rassemblent le

maximum d'informations du maximum d'acteurs sur l'évolution du marché. Ils sont donc

normalement plus stables et stabilisent les prix au comptant.

Donnons-en une simple illustration. Imaginons qu'une grève éclate dans d'importantes mines

de cuivre ou qu'on annonce une gelée au Brésil. Ni la durée de la grève, ni l'importance des

conséquences de la gelée sur la récolte de café ne sont connues. En l'absence de marché à

terme, tous les consommateurs se précipiteraient pour acheter et augmenter leur stock par

précaution. Les prix flamberaient. L'existence d'un marché à terme : 1) permet aux

opérateurs d'étaler leurs achats de précaution sur plusieurs échéances (si l'un d'eux a besoin de

marchandise dans trois mois seulement, il achète à terme de trois mois), la pointe de

demande de précaution sera donc étalée, 2) permet aux spéculateurs qui, soit parient sur une

faible durée de la grève ou un faible effet de la gelée, soit disposent d'informations dans ce

sens, de vendre quand tout le monde achète, modérant ainsi la hausse des prix à terme.

Finalement, l'inévitable flambée des prix devrait s'en trouver réduite et étalée.

Lequel des effets déstabilisant ou stabilisant l'emporte ? On ne départagera pas facilement les

20 Cf. Y. SIMON : op. cit., pour une description de cette affaire.

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adversaires - du moins les adversaires animés d'un esprit scientifique, ce qui n'est pas toujours

le cas de ceux qui participent à cette polémique... Mais il est un point sur lequel un consensus

peut être obtenu : plus le marché est important par le nombre d'opérateurs agissant en

couverture d'actifs et en gestion de stocks, plus il est liquide (important volume de

transaction sur toutes les échéances), moins les spéculateurs jouent entre eux et plus ils

jouent en contrepartie d'opérations d'arbitrage, plus les effets stabilisant ont tendance à

l'emporter.

Un autre point, d'importance moindre, est également bien admis : un marché à terme est

plus "nerveux" et communique cette nervosité au comptant. Cela veut dire que de petites

variations journalières sont fréquentes qui n'apparaîtraient pas forcément sur un gros marché

physique. Mais à vrai dire, cela ne gêne pas grand monde...

La réponse au second point dérive de ce qui vient d'être dit.

Oui, les marchés à terme peuvent être manipulés, en ce sens que des interventions destinées

à provoquer des fluctuations de cours pour les exploiter sont possibles. Les exemples les plus

connus sont les spéculations sur le marché du sucre blanc à Paris en 1974 et la spéculation,

dans laquelle les frères Hunt sont dits avoir joué un rôle décisif, sur l'argent aux Etats-Unis

en 1979-1980. Moins spectaculaires et provenant cette fois de producteurs voulant

influencer les cours avant d'importantes négociations internationales concernant le produit

ont été les interventions du groupe de Bogota sur le café en 1978 de la Malaisie sur l'étain en

198221.

Mais d'une part, l'influence de ces manipulations sur les prix ne peut qu'être de courte durée :

le physique finit par imposer sa loi et d'autre part et surtout il y faut à la fois des moyens

financiers gigantesques et un marché relativement étroit. Même dans ce cas, la réussite est

loin d'être certaine pour le spéculateur, comme le montre le bilan plutôt négatif des affaires

citées ci-dessus pour ceux qui s'y sont lancés.

En conclusion, à partir du moment où les prix du physique fluctuent, les marchés à terme

rendent d'importants services aux opérateurs sur le physique (producteurs, négociants,

consommateurs) en leur permettant de se couvrir, au moins partiellement, contre les risques

de prix et de mieux gérer leurs stocks. C'est d'ailleurs la raison fondamentale de leur succès.

Ils présentent par ailleurs l'avantage de produire un prix public instantané, ce qui rend

normalement impossible les abus de position dominante dans les transactions commerciales.

Lorsqu'ils fonctionnent correctement, les marchés à terme ne sont pas à l'origine des

21 Cf. dans Y. SIMON, op. cit., la relation de ces épisodes.

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fluctuations des cours, ni ne les amplifient, au contraire (ce point est néanmoins contro-

versé). Même lorsqu'ils sont bien organisés, liquides et contrôlés, les marchés à terme sont

des institutions financières complexes où les erreurs peuvent se payer très cher. Il faut

apprendre à s’en servir. Une bonne part de ceux qui les critiquent sont ceux qui n'ont pas pu,

ou voulu, se donner les moyens de les utiliser intelligemment. Les marchés à terme peuvent

devenir dangereux pour leurs utilisateurs normaux, et provoquer des fluctuations

préjudiciables aux industriels, s'ils sont manipulés. Mais là encore, une bonne pratique des

marchés permet de le pressentir et de s'en dégager quand leur comportement devient

anormal, et un contrôle institutionnel renforcé peut éviter les tentatives de manipulation.

6. Les principaux marchés à terme d'influence mondiale et les principaux

produits côtés

Pour qu'un marché à terme se développe et que ses prix deviennent une référence mondiale,

deux types de conditions doivent être réunies : techniques et économiques.

Les conditions techniques sont que le contrat soit établi pour une marchandise bien spécifiée

et qu'il puisse effectivement être utilisé en couverture ou gestion de stock pour des volumes

très importants de marchandises réellement échangées. Cela suppose que ces dernières soient

bien standardisées et que les prix des différentes qualités puissent être rattachés avec

précision au prix de la qualité qui fait l'objet du contrat.

Une première condition économique est que les opérateurs sur le physique soient nombreux,

c'est une condition de la liquidité du marché. Un marché à terme ne pourrait être organisé, et

à vrai dire n'aurait pas grand intérêt, si l'essentiel des échanges internationaux s'effectuait

entre quelques dizaines d'acteurs (ce cas n'a rien de théorique : c'est celui du minerai de fer, du

charbon, et de quelques "petits" métaux, par exemple). La seconde condition économique,

essentielle, est que les prix fluctuent, nous l'avons déjà souligné.

Les principaux marchés à terme dans le monde et les principaux produits qu'ils cotaient dans

les années 90 sont les suivants. Le Chicago Board of Trade, CBT (céréales, soja), le New

York Mercantile Exchange, NYMEX (produits pétroliers, platine) le New York Commodity

Exchange, COMEX (or, qui est également coté sur de nombreuses autres bourses, argent,

cuivre, aluminium), le London Metal Exchange, LME (la principale bourse pour les métaux

non ferreux : aluminium; cuivre, plomb, zinc, étain, nickel), le New York Coffee, Sugar and

Cocoa Exchange. Le sucre est également coté au London Commodity Exchange et c'est le

seul produit actif sur la bourse de commerce de Paris.

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TROISIEME PARTIE : ETUDES DE CAS

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107

Chapitre 9.

Le partage des rentes différentielles minières

entre firmes et Etats

1. Problématique du partage des rentes

On l'a vu (chapitre 4), les rentes différentielles sont un "don de la nature". Dans le cas des

terres agricoles, ce don est immédiat et, s'il y a concurrence entre exploitants, elles

reviennent intégralement au propriétaire.

La situation est assez différente pour les gisements miniers car il faut d'abord découvrir le

gisement, et ceci est une opération coûteuse et risquée. Le problématique du partage des

rentes entre propriétaires de la ressource (généralement, sauf dans la législation américaine,

les Etats) et firmes exploratrices-productrices, est par conséquent plus complexe.

Le cas le plus simple est celui où l'Etat propriétaire du gisement a fait l'exploration,

évalué le gisement - donc évalué les rentes différentielles qu'il permettra de dégager

éventuellement par rapport à ses concurrents - et le met aux enchères face à des

exploitants. S'il y a concurrence entre ceux-ci, et concurrence généralisée des capitaux,

l'Etat doit pouvoir s'approprier la totalité des rentes différentielles. On se retrouve dans le

cadre du schéma agricole ricardien, à l'épuisabilité de la ressource près. Les firmes sont de

simples exploitants achetant sur un marché des gisements déjà découverts et évalués.

Mais ce cas n'est pas le plus fréquent. De fait, sa forme pratique serait plutôt : les Etats font

l'exploration, l'évaluation, et assurent eux-mêmes la production, le tout en ayant

éventuellement recours à des prestations de service. On trouve cette configuration de plus

en plus fréquemment dans le secteur pétrolier, mais elle n'est pas généralisée.

Second cas : Ce sont des entreprises, dont l'objectif est la rémunération maximale à long

terme des capitaux, qui font l'exploration, et qui donc prennent les risques de cette activité.

Le point de vue des entreprises

Dans ces conditions, du point de vue des entreprises, il est "normal" que la part des rentes

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qui leur revient couvre au moins :

• les dépenses de recherche infructueuses, où qu'elles aient été effectuées, donc un coût

statistique moyen de découverte d'un gisement.

• une "prime de risque" justifiée par le fait que l'activité d'exploration étant plus risquée

qu'une activité industrielle normale, le taux de profit sur les découvertes exploitées doit

être supérieur à ce qu'il est dans des activités plus "sûres".

La conception qui sous-tend cette position est que la qualité d'un gisement appartient, au

moins partiellement, à son inventeur, à celui qui l'a découvert, car sans lui il "n'existerait"

pas.

Si les entreprises arrivent à imposer cette conception, cela peut conduire, localement, à

l'existence de taux de profit très élevés sur des opérations particulièrement réussies

(découverte plus facile que la moyenne d'un gisement plus riche que la moyenne).

Certains auteurs22 qualifient cette part des rentes qui doit "légitimement" revenir aux

opérateurs de "rente minière", car elle est spécifique à ce secteur en raison du caractère

risqué de l'exploration.

Le point de vue des Etats

Du point de vue des Etats, s'il apparaît légitime que les entreprises revendiquent un profit

moyen sur les capitaux directement investis sur leur propre territoire, il est plus contestable

que ces entreprises revendiquent une part de la rente différentielle, qui est issue des qualités

d'un gisement constituant une richesse nationale, part qui, de plus, servirait en pratique à

financer de l'exploration hors du territoire, ainsi qu'une prime de risque difficile à évaluer.

L'Etat est d'autant plus fondé à adopter cette attitude que s'il attend le moment où il pourra

faire exploiter le gisement par une entreprise publique nationale, il s'appropriera alors

effectivement la totalité de la rente différentielle.

On le voit, ces positions sont difficilement conciliables, surtout dans le cas où un territoire

est assez mal connu et que personne ne connaît a priori le coût statistique de découverte sur

ce territoire et la qualité moyenne des gisements qu'il contient.

On perçoit cependant qu'un compromis puisse être trouvé si la part des rentes différentielles

qui est laissée à l'entreprise est réinvestie par celle-ci dans l'exploration ou l'évaluation de

22 Par exemple André GIRAUD dans "Géopolitique du pétrole et du gaz" Technip - 1986.

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gisements sur le même territoire. Dans la pratique, ce type de compromis se matérialise

sous la forme de dispositions fiscales telles que la "Provision pour Reconstitution de

Gisements" (PRG) qui autorise les entreprises à constituer des provisions déductibles du

revenu imposable à condition qu'elles soient réinvesties localement. Mais ce type de

compromis n'est pas à même de régler totalement le conflit.

Dans la réalité, la part des rentes qui revient aux entreprises et aux Etats dépend donc des

rapports de force entre ces deux catégories d'acteurs. Ces rapports sont eux-mêmes

déterminés par de multiples facteurs parmi lesquels les principaux sont les capacités de

chacun des acteurs de se passer des autres, ou du moins de les mettre en concurrence.

De plus, il est bien évident que ces facteurs sont eux-mêmes influencés par l'environnement

politique et géopolitique. Pendant la période coloniale, le problème se posait de façon très

différente d'aujourd'hui. Même dans les Etats formellement indépendants, le droit de

s'approprier les rentes différentielles était facilement "acheté" par les compagnies aux

notables locaux par quelques royalties. Après les indépendances, convaincus d'avoir été

spoliés dans la phase antérieure, les nouveaux gouvernements ont cherché à s'approprier

l'essentiel des rentes différentielles et dans la mesure du possible, à créer des rentes de

monopole. Aujourd'hui certains Etats réduisent leurs prétentions pour attirer des capitaux

extérieurs dans l'exploration-production.

2. Les instruments de partage des rentes

Tout contrat de partage des rentes entre Etats et opérateurs doit trouver unesolution à un double problème :- un problème d’incertitude partagée, portant sur le prix futur du minerai ainsique le volume et la qualité exacts du minerai existant dans le gisement- un problème d’asymétrie d’information : la compagnie est cependant a priorimieux informée des quantités et qualités prévisibles que l’Etat, car c’est elle quia fait l’explorationOn peut classer les modalités contractuelles de partage des rentes en troisgrandes catégories, décrites dans le tableau suivant :Type de contrat Traits principaux Type de partage des rentesRoyalties L’Etat reçoit une somme fixe

à l’octroi de la concessionpuis une royalty de X partonne extraite

L’opérateur reçoit la majeurepartie des rentes, et prend lerisque de prix.

Contrats de partage deproduction

Voir ci dessous Les rentes sont partagées,selon une clef définie àl’avance entre Etat etopérateur

Contrat de service L’Etat loue les servicesd’exploration et deproduction à l’opérateur

L’opérateur reçoit unerémunération « normale »pour ses activités et l’Etatl’essentiel des rentes

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Les contrats de partage de production

Une formule fréquente dans l’industrie pétrolière, pour partager les rentes entre Etats et

compagnies, est le contrat de partage de production.

Le principe est le suivant. Lors de la mise en exploitation du gisement, la compagnie

récupère d’abord tous ses investissements d’exploration et de développement du gisement

avec un profit « normal ». Ensuite, la production est partagée selon une clef x/(1-x) entre la

compagnie et l’Etat. L’Etat peut d’ailleurs demander à la compagnie de vendre sa part de

brut pour son compte.

Cette formule a d’abord l’avantage de répartir automatiquement l’augmentation des rentes

qui résultent d’une augmentation du prix de marché (et la diminution en cas de baisse).

Le paramètre crucial est évidemment x. Il est négocié entre la compagnie et l’Etat au cas

par cas. Il y a évidemment asymétrie d’information. La compagnie connaît mieux la qualité

du gisement que l’Etat, puisqu’elle a fait l’exploration. Mais si la découverte a eu lieu dans

une province pétrolière bien connue, l’Etat a des informations sur les gisements du même

type exploités dans le passé. Il peut donc mieux négocier.

On voit bien que pour la compagnie, la rentabilité finale d’un gisement dépend crucialement

de ce paramètre x. Il y a donc deux métiers stratégiques dans la production pétrolière : celui

de l’exploration et de l’évaluation des gisements, et celui de négociateur des contrats

pétroliers.

On comprend aussi les bases économiques de la corruption. Une légère augmentation de la

part revenant à la compagnie peut s’acheter par un versement sur un compte en Suisse.

3. Conséquences du partage des rentes

Les entreprises ne sont pas intéressées par le niveau des prix de production d'un gisement en

soi, mais par ce qui leur restera du produit des ventes après la ponction fiscale.

Ainsi, si les pays producteurs disposant des meilleurs gisements sont aussi ceux qui

s'approprient l'essentiel des rentes, l'exploration faite par les compagnies privées (ou

publiques mais gouvernées par une logique de rentabilisation des capitaux) s'orientera vers les

zones fiscalement favorables même si les prix de production et les risques de l'exploration y

sont élevés.

C'est ce qui explique pour une large part le nombre de forages pétroliers fait aux USA et la

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faiblesse relative extrême, eu égard à l'immensité des réserves à bas coût, de l'exploration au

Moyen-Orient. Dans cette zone, les Etats s'appropriant l'essentiel des rentes, il est logique

qu'ils assument eux-mêmes les risques de la recherche. L'intensité de celle-ci dépendra alors

surtout de leur propre politique de développement à long terme de la production.

La géographie du partage des rentes explique ainsi largement celle de

l'exploration, qui à son tour détermine la structure de l'offre future.

4. Le prix des gisements

Il s'agit en réalité du prix du droit d'exploiter un gisement.

C'est une question directement liée à la précédente, car en théorie, le prix de ce droit est

égal à la valeur actuelle des revenus futurs dont on se prive en le cédant, donc à

la valeur actuelle des rentes auxquelles ce droit donne... droit.

Comme ces rentes sont difficiles sinon impossibles à prévoir avec précision, les prix

effectifs des gisements reflètent en réalité les anticipations des acteurs concernant les

prix futurs des minerais, l'évolution des politiques fiscales et tous les autres facteurs pouvant

influencer le niveau des rentes.

Dans tous les cas, un gisement qui ne procure aucune rente différentielle, donc un gisement

marginal (comme d’ailleurs la terre marginale dans l’agriculture), a une valeur nulle ( mis à

part la rente d’épuisabilité décrite au chapitre 3, mais dont nous avons vu que la valeur était

quasi nulle dans la plupart des cas).

5. Conclusion

Résumons-nous. Il existe toujours des rentes différentielles. Leur partage ne peut relever

strictement d'une logique micro-économique en raison du caractère incomplet de

l'information sur les gisements à découvrir et leur coût de découverte. Il est influencé par des

facteurs politiques et géopolitiques, et par le degré de concurrence entre industriels et entre

détenteurs de gisement. Mais la géographie du partage des rentes influence le comportement

des acteurs industriels, en particulier leurs cibles pour l'exploration, et donc modifie à terme

la structure de l'offre qui à son tour détermine l'importance et la localisation des rentes

différentielles.

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Chapitre 10. Le tournant des années 80 :

des prix producteurs aux prix de bourse

Au début des années 70, les pays industrialisés sont inquiets des risques de pénuries de

matières premières, élaborent des politiques d'approvisionnement et constituent des stocks

de sécurité. Au début des années 80, les prix s'effondrent sous l'effet d'une énorme

surproduction, ils touchent les plus bas niveaux depuis la crise des années 30, ils resteront

profondément déprimés jusqu'en 1987.

Au début des années 70, les pays du Tiers Monde exportateurs de matières premières

pensent pouvoir suivre l'exemple de l'OPEP. Ils exigent un "Nouvel Ordre Economique

Mondial" et croient tenir enfin, en raison de la dépendance des pays du Nord, une arme pour

l'imposer. L'exploitation de leurs richesses naturelles leur paraît être le levier privilégié de

leur développement. A la fin des années 80, les pays du Tiers Monde à spécialisation

primaire sont parmi les plus endettés, les matières premières apparaissent comme une

malédiction, la spécialisation du pauvre. Ils ont vu s'envoler devant eux, pour rejoindre les

pays riches, les "nouveaux pays industrialisés", pauvres en ressources naturelles et qui ont

parié sur l'industrie et l'avantage de leurs bas coûts de main-d'oeuvre.

Jusqu'au début des années 70, les prix des matières premières fluctuaient, certes, pour les

raisons structurelles évoquées ci-dessus. Mais ces fluctuations restaient limitées, de nombreux

marchés étaient contrôlés par un petit groupe de firmes et d'Etats. A partir du milieu des

années 70, les fluctuations s'accentuent, des tensions temporaires emportent certains prix à

des niveaux inconnus depuis la guerre de Corée, elles sont bientôt suivies d'effondrements.

De nouveaux entrants forcent les portes, la concurrence s'intensifie, les guerres de prix se

généralisent, les producteurs perdent le contrôle des marchés, le rôle des bourses de

commerce et des marchés à terme s'accroît.

Le but de ce chapitre est de montrer que ces évolutions ne sont pas conjoncturelles. Elles

sont le reflet dans le monde des matières premières du tournant que prend l'économie

mondiale dans les années 70. Les matières premières ont changé de monde parce que le

monde a changé.

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1. Deux grandes ruptures et un scénario d'ensemble

Les deux ruptures qui sous-tendent les bouleversements des industries et des marchés des

matières premières ne sont autres que les deux ruptures fondamentales de l'économie

mondiale : la fin de la croissance fordiste dans les pays industrialisés, moteur des "trente

glorieuses" et la fin de l'ordre international mis en place après la seconde guerre mondiale.

La croissance fordiste, fondée sur la production de masse de biens de consommation de

masse, qui fut le moteur de la croissance exceptionnelle (en rythme, en durée et en régu-

larité) des pays industrialisés après 1945, manifeste au cours des années 1970 des signes

d'épuisement : ralentissement des gains de productivité et saturation de nombreux marchés

ont provoqué un net fléchissement des rythmes de croissance des secteurs auparavant

moteurs, sans que d'autres prennent immédiatement le relais, ce qui explique en partie le

ralentissement de la croissance économique globale. Les secteurs les plus dynamiques de la

demande sont désormais certains services (en particulier de santé) et des biens dont le

contenu en énergie et en matières premières est nettement plus faible (électronique,

informatique, télécommunications) tandis que la miniaturisation et les progrès techniques

allégeaient et rendaient plus économes en matériaux et en énergie les biens traditionnels. De

plus, les régimes alimentaires évoluent vers la consommation de produits moins riches et

plus préparés, ce qui accroît la valeur ajoutée sur les produits primaires tout en ralentissant le

rythme de croissance de leur consommation.

Or, les pays industrialisés consommaient et consomment encore de loin la plus large part des

matières premières produites dans le monde. Le net fléchissement de leurs consommations

entraîne donc celui de la demande mondiale. Il en sera ainsi tant que le Tiers Monde, dont la

consommation potentielle est évidemment encore immense, n'aura pas pris le relais. Encore

peut-on prévoir que les grands pays très peuplés (Chine, Inde, Indonésie, Brésil) essaieront

par tous les moyens de satisfaire par eux-mêmes leurs besoins, et que, donc, la demande

internationale ne s'accroîtra pas à la mesure de leur consommation.

Les premiers craquements dans l'ordre économique international mis en place autour de

1945 se font entendre dès le début des années 70. Cette déstabilisation, dont la cause

fondamentale est que l'Europe et surtout le Japon ont rapidement monté en puissance et

rattrapé les Etats-Unis, se manifeste dans de nombreux domaines. Les deux principaux, pour

ce qui est de leurs effets sur le monde des matières premières, sont le système monétaire et

les relations commerciales internationales.

Avec la déclaration de l'inconvertibilité du dollar en or en 1971, et les accords de la

Jamaïque (1976) qui entérinent un système de change flottant entre les principales mon-

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naies, on passe d'un système relativement stable où les prix des matières premières, très

généralement exprimés en dollars, se mesurent plus ou moins dans la même unité que les

coûts de production (exprimés dans des monnaies nationales qui entretiennent des rapports

relativement stables avec le dollar), à un système où les unités de mesure des prix et des

coûts peuvent varier du simple au double en quelques années (cas par exemple du yen qui

passe d'une parité de 249 Y/1$ en 1982 à 168 Y/1$ en 1986, ou encore du dollar australien

qui passe de 1,14 $ en 1980 à 0,67 $ en 1986 ou du rand sud-africain qui passe de 1,28 $ en

1980 à 0,44 $ en 1986, pour prendre deux pays gros exportateurs de matières premières).

Ceci bouleverse évidemment la situation de compétitivité relative des différents producteurs

de façon complètement irrationnelle, c'est-à-dire sans rapport avec leur compétitivité réelle

mesurée par leurs avantages naturels, techniques et de coûts de main d'oeuvre, avantages

comparés avec des étalons monétaires reflétant la compétitivité globale des économies. Les

modes de régulation antérieurs au sein de chaque filière en sont donc gravement perturbés.

Ce phénomène est évidemment général et influence aussi les conditions de la compétitivité

de l'industrie manufacturière, mais il est particulièrement ressenti dans les industries

primaires dans la mesure où la concurrence mondiale porte essentiellement sur les prix23

Quant aux relations commerciales internationales, elles sont marquées par des

affrontements d'une sévérité croissante. Jusqu'à la fin des années 60, une division

internationale du travail pyramidale et hiérarchisée entraînait la complémentarité plutôt que

la concurrence des différentes zones économiques. La forte croissance économique

d'ensemble et l'ouverture régulière et progressive de toutes les économies stimulaient

vigoureusement la croissance d'échanges qui paraissaient mutuellement bénéfiques. Le

ralentissement de la demande mondiale, le rattrapage de l'Europe et du Japon capables de

concurrencer les Etats-Unis sur les biens manufacturés de haute technologie, l'émergence des

nouveaux pays industrialisés dans les biens manufacturés bas de gamme, puis leur montée en

qualité ont transformé les échanges de ces produits en champ de batailles commerciales.

Mais les matières premières, inévitablement, n'ont pas échappé à cette aggravation de la

concurrence globale. Chaque fois qu'ils le peuvent, les Etats s'en servent pour améliorer leurs

termes de l'échange globaux où, c'est particulièrement le cas des Etats-Unis, pour riposter

contre des attaques sur d'autres fronts. Les affrontements s'étendent désormais aux services.

Il est significatif à cet égard que les points les plus conflictuels de l’« Uruguay Round » aient

été les matières premières agricoles et les services.

Telle est donc la toile de fond devant laquelle va se jouer l'histoire des évolutions des

différents marchés : cassure nette des rythmes de croissance de la consommation, instabilité

23 Ainsi, pour prendre un exemple, une hausse du dollar pénalise relativement moins les exportations deBoeing, et tout particulièrement du Boeing 747 qui n'a pas de concurrent hors des Etats-Unis, que celles demétaux ou de céréales (du moins, si celles-ci ne sont pas subventionnées, ce qui n'est pas le cas).

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monétaire, concurrence commerciale entre zones beaucoup plus vive. Et le même scénario,

avec des différences liées aux spécificités des industries et au rôle des Etats, va se répéter.

Donnons-en les grandes lignes, avant d'analyser plus en détail ce qui s'est passé pour chaque

grande catégorie de matières premières.

Début des années 70 : l'inflation mondiale s'emballe sous l'effet d'un boom économique

accompagné de création monétaire excessive. La demande se tend sur tous les marchés de

matière première. Dans ce contexte d'ensemble, mais chacune pour des raisons particulières

aussi, les prix mondiaux des produits de base flambent : pétrole en 1973 bien sûr, mais aussi

métaux en 1973 et surtout 1974, soja et blé en 1973, phosphates en 1974, sucre en 1974.

Certes, les prix retombent très vite, pétrole mis à part, mais ceci est attribué à la brusque et

profonde récession de 1975, provoquée par la violence du choc pétrolier. La reprise

d'ailleurs ne se fait pas attendre, confortant l'hypothèse de ceux qui parlent de cycle

conjoncturel particulièrement accentué. Dans les années 79 et 80, les prix remontent à

nouveau et certains marchés connaissent des crises aiguës telles celle du cobalt en 1978 (le

prix passe d’une moyenne de 5,5$ par livre en 1977 à une moyenne de 11,5$ en 1978, avec

une pointe de 45 en novembre) en raison des troubles au Katanga, ou celle du titane en 1979

liée à l'arrêt temporaire des exportations soviétiques d'éponge de titane ou encore la

spéculation des frères Hunt sur l'argent qui pousse l'once à plus de 90 $ en 1979, avant

qu'elle ne retombe à 10 $. Des intempéries provoquent également une nouvelle flambée du

sucre en 1980.

Pendant cette période, les Etats des pays industrialisés sont surtout préoccupés de leur

sécurité d'approvisionnement. Dès 1975, des mesures sont prises destinées à renforcer l'ex-

ploration minière et à diversifier les zones de production. Certains pays, tels la France, qui

ne disposent pas de stocks stratégiques, décident d'en constituer pour les métaux les plus

sensibles. Les industriels consommateurs cherchent à passer des contrats à long terme avec

les producteurs et facilitent ainsi le financement de nouveaux projets, d'autant que l'argent

est abondant : les taux d'intérêt réels sont très faibles ou négatifs jusqu'en 1978 et les banques

internationales cherchent activement à recycler les pétrodollars dans le Tiers Monde.

Quant aux Etats du Tiers Monde, stimulés par l'exemple des énormes rentes de l'OPEP, ils

investissent dans les matières premières, source, pensent-ils, du financement de leur

développement.

Cependant, la consommation a déjà commencé à fléchir en tendance. Mais cette rupture,

masquée par les fluctuations conjoncturelles d'une économie mondiale chahutée par le

premier choc pétrolier, personne ne l'aperçoit, ou alors personne ne la croit durable. Ainsi,

lorsque sous le double effet du second choc pétrolier et des politiques monétaires restrictives

destinées à casser (elles y parviendront) l'inflation mondiale, le monde s'enfonce dans la

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longue dépression des années 81, 82 et 83, d'énormes surcapacités apparaissent sur tous les

marchés. Les prix s'effondrent. Alors, parmi les producteurs, s'engage une lutte acharnée

pour survivre et éliminer les plus faibles, lutte rendue inégale et incertaine tant par les

fluctuations monétaires que par l'intervention directe des Etats. Toutes les structures de

contrôle des marchés éclatent. C'est la plus longue et la plus profonde dépression des prix

des matières premières depuis la grande crise des années 30.

Le système des positions et des forces se modifie profondément. Les industries se

restructurent, à des rythmes et à des degrés cependant variables. Si bien qu'à partir de 1987,

certains prix se redressent, quand d'autres restent déprimés. Mais celles des industries qui ont

désormais surmonté la crise en sortent profondément transformées. Elles ont changé de

monde : la demande est désormais ralentie et moins prévisible, le potentiel de croissance des

consommations s'est déplacé vers certains pays du Tiers Monde, les acteurs industriels sont

généralement plus nombreux, en tout cas, ils ont des stratégies beaucoup plus hétérogènes.

La section suivante présente plus en détail cette histoire pour l'industrie minière et

métallurgique.

2. Crise et restructuration de l'industrie minière et métallurgique

La cassure autour du milieu des années 70 des rythmes de croissance de la consommation

mondiale des métaux et même des minerais non métalliques a été particulièrement

spectaculaire.. Pour prendre correctement la mesure de ce phénomène, on peut le présenter

ainsi : si les rythmes de croissance de la période 50-73 s'étaient poursuivis au-delà de 1973,

on aurait consommé quinze ans après, en 1988, 1,87 fois plus d'acier, 2,71 fois plus

d'aluminium, 1,53 fois plus de cuivre que dans la réalité. Or, 15 ans, c'est un horizon que les

industriels, qui construisent des mines et des usines d'une durée de vie de 20 à 30 ans, sont

obligés de prendre en considération dans leurs décisions.

Ce qui est fondamental, c'est que ce ralentissement ne s'explique pas seulement par celui de

la croissance économique d'ensemble, mais a des causes plus structurelles qui se traduisent par

la baisse des intensités24 d'utilisation des matières premières minérales dans les pays

industrialisés. Cette chute des intensités s'explique à son tour par l'emboîtement de quatre

phénomènes :

• la diminution de la part de l'industrie dans le PIB,

24Intensité d'utilisation = consommation par unité de PIB.

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118

• au sein de l'industrie la diminution de la part des secteurs forts consommateurs de

matières premières,

• au sein même de ces secteurs des progrès techniques conduisant à la miniaturisation et à

allégement des objets, ainsi qu'à des substitutions de métaux par des plastiques et des

composites,

• enfin au niveau de la consommation de minerais brut :l'augmentation de la part de

recyclage.

Il s'agit donc d'un phénomène structurel et non conjoncturel.

Pour tenir compte de cette évolution des consommations, les investissements de capacité

auraient dû chuter considérablement dans la seconde partie des années 70. Or, le rythme

d'investissement s'est maintenu tout au long de la décennie, conduisant, au cours du

retournement de conjoncture succédant au second choc pétrolier, à l'apparition d'énormes

surcapacités.

En fait, de nombreux facteurs expliquent ce surinvestissement des années 70, et la quasi

totalité des acteurs y ont contribué. Tout d'abord, la rupture des tendances d'évolution de la

demande était difficilement perceptible, car dans l'évolution heurtée de l'économie mondiale

de 1973 à 1982, elle était cachée par d'amples fluctuations annuelles des consommations,

s'accompagnant parfois de flambées de prix, comme en 79-80. De plus, avant 1980, la

conviction générale des hommes politiques et des industriels était que le ralentissement de la

croissance économique n'était que conjoncturel ("c'est de la faute de l'OPEP") et que les

trente glorieuses allaient devenir quarante ou cinquante.

Ensuite il est apparu, dans les années 70, de nouvelles opportunités d'entrer dans l'industrie

par le bas de l'échelle des coûts de production, ce qui a justifié des investissements offensifs

indépendamment de la situation du marché. Les progrès de la prospection ont par exemple

permis de découvrir de nouveaux gisements très riches (étain au Brésil, qui rentre en force

sur ce marché). Ou encore, l'écart qui s'ouvre à partir de 1973 entre l'électricité à base de

pétrole et l'hydroélectricité ou l'électricité à base de charbon à très bon marché a incité les

détenteurs de rentes énergétiques à les valoriser en produisant des métaux très forts

consommateurs d'énergie comme l'aluminium. Ainsi, les nouvelles usines d'aluminium au

Brésil, au Canada, en Australie, au Venezuela et dans le Golfe ont dans un premier temps

compensé les fermetures des usines sur électricité au fioul au Japon et aux Etats-Unis,

rendant beaucoup plus long le processus ultérieur de résorption des capacités excédentaires.

De nombreux pays producteurs du Tiers Monde, maîtres depuis peu de leur industrie

nationale, ont cherché à pousser la production et à s'intégrer en aval en reconvertissant une

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part de leurs rentes dans ces secteurs exportateurs et en s'endettant massivement. Ils

croyaient que les rentes persisteraient et financeraient leur développement... Ils ont

d'ailleurs été fortement incités dans cette voie par les banques internationales qui à l'époque

finançaient n'importe quel projet présentant une simple apparence de rentabilité dans le

Tiers Monde, et par des taux d'intérêt réels faibles sinon négatifs. Ils l'ont également été par

les consommateurs : ayant perdu leur intégration amont au profit des compagnies publiques

des pays producteurs, les consommateurs (sidérurgistes, métallurgistes, voire

transformateurs) ont généralisé les politiques d'approvisionnement mises en œuvre dès les

années 60 par les Japonais avec l'Australie. Il s'agit de signer des contrats à long terme

d'achat de minerai pour favoriser le financement de grands projets exportateurs. Il est

évident que les consommateurs non intégrés sur l'amont ont intérêt à l'entretien d'une

certaine surcapacité..., du moins jusqu'au moment où celle-ci peut pousser leurs fournisseurs à

s'intégrer en aval pour venir les concurrencer sur leurs propres marchés.

Dans les industries encore dominées par quelques grandes firmes qui contrôlaient les prix (cas

du nickel ou du molybdène par exemple), les leaders ont cherché à conserver leur part

relative de marché, condition du contrôle des prix, parfois au prix d'investissements

excessifs et marginaux en terme de coût de production, mais dont ils espéraient qu'une

demande soutenue et le maintien de leur contrôle sur le marché permettrait de les

rentabiliser. Enfin, la seconde partie des années 70 voit l'entrée massive des compagnies

pétrolières dans le secteur minier. Disposant d'énormes rentes à réinvestir, elles achètent des

compagnies entières, notamment aux Etats-Unis, et leur fournissent les moyens financiers

de se développer. Une exceptionnelle convergence de comportements soit justifiés par des

opportunités de coût, soit relevant de véritables fuites en avant, soit fondés sur le maintien

des stratégies passées, dans une absence générale de perception des ruptures sous-jacentes des

tendances de la consommation conduit donc, au début des années 80, à d'énormes

surcapacités, qui selon les marchés vont de 20 à 40 même 50 % de la consommation !

Les stocks s'accumulent chez les producteurs, de véritables guerres des prix s'enclenchent,

toute discipline concurrentielle disparaît, conduisant à l'abandon des systèmes de prix

producteurs (aluminium, nickel, molybdène) au profit de cours de bourse ou de marché libre.

L'accord de l'étain s'effondre en 1985. Les grandes compagnies ont bien essayé de réagir par

les moyens classiques : pour résorber leurs stocks des firmes comme INCO (nickel), AMAX

(molybdène) ferment leurs unités de production pendant des mois en 1982 et 1983 . Face à

des concurrents agressifs, elles ne font que perdre des parts de marchés. La course à

l'abaissement des coûts s'engage alors, particulièrement dans les zones à monnaie forte

(Etats-Unis jusqu'en 1985). Les résultats sont d'ailleurs spectaculaires : une firme comme

Phelps Dodge (cuivre aux Etats-Unis) presque moribonde en 1982 obtient des réductions de

coût de 33% en 4 ans, tandis que d'autres pays (Australie, Afrique du Sud, Canada, certains

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pays du Tiers Monde) laissent filer leurs monnaies. Tant que la surcapacité n'est pas

résorbée, la baisse des coûts entraîne celle des prix. Cette résorption prendra des années et

s'accompagne de profondes restructurations : les firmes se concentrent sur leurs points forts,

accentuent la désintégration verticale des filières, se regroupent, et absorbent les plus faibles.

Fin 1987, l'offre est assainie sur la plupart des marchés de métaux non ferreux, la demande

repart, tirée par les pays en voie d'industrialisation rapide du Tiers Monde, et les prix se

redressent. Ils atteignent alors rapidement des niveaux jugés excessifs (car favorisant des

substitutions) par les producteurs eux-mêmes et chacun pense que cela ne va pas durer, que le

cycle infernal surcapacité, crise, envolée des prix, va reprendre. En effet, l'industrie minière

et métallurgique mondiale sort de la crise des années 80 structurellement transformée et plus

instable, pour deux raisons principales :

- la consommation croît désormais plus lentement et n'est donc plus à même d'absorber aussi

rapidement qu'auparavant la surcapacité conjoncturelle ;

- l'industrie est généralement, au stade des commodités, moins concentrée et plus

hétérogène. INCO, FALCONBRIDGE et SLN qui, en 1965, contrôlaient 79 % de la

production métallurgique de Nickel n'en contrôlent plus que 48 % en 1986. Les six anciens

majors de l'aluminium qui assuraient en 1972, 65% de la production d'aluminium primaire

(84% en 1965), n'en assurent plus que 46% en 1982. Les nouveaux entrants, qui sont

généralement moins intégrés sur l'aval vont pour certains chercher à le faire.

Prenant acte de ces nouvelles conditions, les grandes entreprises des pays industrialisés ont

entrepris de redéployer leur croissance. Tout en cherchant généralement à conserver un

noyau, bien placé en termes de coût, de production de commodités, elles nouent des alliances

en amont pour assurer leurs approvisionnements et cherchent à se diversifier vers l'aval, à

spécialiser leurs produits et à nouer de véritables relations de partenariat avec leurs clients

(donc à sortir des commodités pour aller vers la production de matériaux à plus haute valeur

ajoutée et évolutifs) et elles s'appuient sur leurs métiers de base pour se diversifier

latéralement. Les grands producteurs de commodités du Tiers Monde mais aussi d'Australie,

qui sont plus éloignés de l'aval (en termes géographiques mais surtout en capacité à avoir des

relations commerciales et techniques suivies) sont plus "coincés" sur les commodités et

risquent de plus souffrir de l'instabilité structurelle de l'industrie.

Ainsi, c’est bien une transformation de la structure de l’industrie, vers des

structures beaucoup plus concurrentielles que celles qui prévalaient dans les

années 50 à 70, qui explique l’instabilité des prix et le fait que les prix de bourse

soient devenus les prix de référence pour un bien plus grand nombre des

commodités minérales, au détriment du système des prix producteurs.

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Chapitre 11. Structure de l’industrie

et formation des prix dans l’histoire du pétrole

Ce chapitre est un résumé du chapitre 5 de : « Géopolitique du pétrole et du gaz », André

Giraud et Xavier Boy de la Tour - Editions Technip, 1987, auquel on se référera pour plus de

détails.

Introduction : Structure de marché et évolution des prix

Le graphique ci-dessus retrace l’évolution en $ constant du prix du pétrole, de l’origine de

l’industrie à la fin des années 80.

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On constate une succession de phases de relative stabilité et de phases de fluctuations. Ces

changements correspondent à des modifications de structure de l’industrie. C’est

essentiellement le rapport Structure de l’industrie - Formation des prix que nous allons

examiner dans ce chapitre.

1. Les pionniers

Le premier usage du pétrole a été le pétrole lampant, destiné à l’éclairage. On s’est intéressé

au raffinage du pétrole brut pour fabriquer une huile d’éclairage minérale quand les huiles

animales et végétales alors utilisées sont devenues chères sous l’effet de l’épuisement des

ressources.

En 1859 à Titusville en Pennsylvanie, le Colonel Drake fore à 10 m et trouve du pétrole.

C’est immédiatement une ruée vers l’or noir, permise par la législation américaine qui rend

propriétaire du sous-sol le propriétaire du sol.

Jusque vers 1875, l’industrie, tant au niveau de l’extraction, qu’à celui du raffinage, a une

structure compétitive. Conséquence : les prix du pétrole brut et des produits raffinés

(essentiellement le pétrole lampant) sont extrêmement fluctuants : 20 $ par baril en 1859,

0,5 $ en 1861, par exemple.

2. La constitution des « Majors »

Rockfeller et la Standard Oil

John Rockfeller construit rapidement un empire industriel fondé exclusivement sur le

raffinage. Il a compris qu’on ne pourrait jamais contrôler le stade de l’extraction aux Etats-

Unis. Par contre le raffinage est susceptible d’économies d’échelle. Il acquiert plusieurs

raffineries, joue sur la standardisation et la qualité du produit (« Standard » oil), puis propose

aux raffineries concurrentes de former avec lui un « trust » (il invente la formule). Ainsi, il

parvient entre 1880 et 1900 à contrôler entre 80 et 90% de la capacité de raffinage et de

distribution aux Etats-Unis.

Conséquence : la Standard Oil stabilise les prix, à un niveau modéré, pour empêcher de

nouveaux entrants, mais procurant néanmoins de confortables profits : 19 % de ROE pour

les actionnaires du trust entre 1982 et 1992. Les prix oscillent entre 0,7 et 1 $/bl.

Cette position de monopole conduit à un procès « anti-trust » en 1911. (Le Sherman Act,

passé expressément pour combattre le monopole de la S.O., date de 1890). La Standard Oil

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est démantelée en plusieurs dizaines de compagnies, dont trois grandes qui vont faire partie

des futures « majors ».

- Exxon

- Mobil

- Socal

sont leurs noms actuels.

Le Texas

Mais Rockfeller a eu finalement tort de ne pas s’intéresser directement à la production de

brut. La découverte de très grands gisements au Texas va donner lieu au début du siècle à la

fondation de multiples compagnies, dont deux vont devenir des majors : Gulf et Texaco.

Shell

Hors des Etats-Unis, la situation est la suivante au début du siècle. Aux Pays-Bas, H.

Deterding, l’autre grand nom des débuts de l’histoire pétrolière, a fondé la Royal Dutch,

compagnie qui exploite du pétrole en Indonésie. En 1907, il fusionne avec une compagnie

britannique de transport maritime et de négoce, la Shell, pour former la Royal Dutch Shell.

La majorité des capitaux est hollandaise.

Les marchés de Shell sont l’Europe, où elle est en vive compétition avec la Standard, et

l’Extrême-Orient. En 1918, elle parvient à contrôler 75 % de la production hors Etats-

Unis, en ayant diversifié ses sources : Asie, Mexique, Russie. C’est la Shell qui construit et

opère les premiers pétroliers.

Cela fait 6 « majors ». La septième (on appellera les majors : « les sept soeurs ») est une

création de l’Amirauté britannique et surgit du Moyen-Orient.

3. Les prises de position au Moyen-Orient

La Perse

Un aventurier, d’Arcy, obtient du Shah de Perse une concession d’exploitation de pétrole et

de métaux précieux sur l’ensemble de la Perse (sur intervention de la Russie, la concession

sera réduite à la moitié sud). Mais il échoue à trouver du pétrole et se trouve à court de

capitaux.

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Sous l’impulsion de l’Amirauté, le gouvernement britannique rentre au capital. En effet, la

marine de guerre envisage de passer au mazout, et le gouvernement s’inquiète de la sécurité

des approvisionnements. Le pétrole jaillit en 1908. En 1909, le gouvernement britannique

augmente sa part et contrôle l’Anglo-Persan Oil Company, future British Petroleum,

septième soeur. La célèbre raffinerie d’Abadan est construite dès 1912.

L’Empire ottoman

Avant la première guerre mondiale, l’empire ottoman, qui exerce normalement sa

souveraineté sur la Turquie, tout le Moyen-Orient et l’Egypte, est l’objet d’intenses rivalités

entre puissances européennes.

L’Angleterre réussit à en détacher le Koweït en 1913, pour des raisons pétrolières, et

s’assure des concessions. En 1914 est formée une compagnie la « Turkish Petroleum

Company » où les Anglais (Shell et BP) sont majoritaires, la Deutsche Bank ayant 25 %.

Elle obtient une concession sur l’ensemble de l’empire.

La guerre et les négociations pétrolières de l’après-guerre

La guerre manifeste le caractère stratégique du pétrole, non seulement pour la marine, mais

pour les chars qui ont permis la victoire des alliés.

Le gouvernement français suscite la création de la CFP (futur Total) en 1924.

Les Américains veulent faire entrer leurs compagnies au Moyen-Orient, dont les Allemands

sont évidemment expulsés.

Dans l’empire ottoman démembré, d’intenses manoeuvres diplomatiques conduisent aux

évolutions suivantes.

Des compagnies américaines (Exxon, Mobil, Gulf) entrent dans la TPC devenue Irak

Petroleum Company, ainsi que la CFP. Quatre compagnies américaines : Socal, Texaco,

Mobil et Exxon détacheront plus tard l’Arabie Saoudite du «territoire » initial de la TPC et

forment ensemble un consortium pour exploiter dans ce pays.

Reflétant l’affirmation des Etats-Unis comme première puissance mondiale à l’issue de la

grande guerre, la géopolitique pétrolière de l’après-guerre se traduit donc par l’entrée en

force des majors américaines au Moyen-Orient (sauf en Perse et au Koweït qui restent

« britanniques »).

De 1911, année du démantèlement de la Standard Oil, à 1928, les sept soeurs sont parties à

l’assaut du monde, faisant pleinement jouer, dans les négociations et traités de l’après-

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guerre, la puissance politique de leurs Etats d’origine respectifs. Dans cette phase de

conquête des zones potentiellement riches en brut, la concurrence est très vive entre elles.

Cela se traduit (cf. graphique) par d’importantes fluctuations de prix, amplifiées par la

demande de guerre

A partir de la fin des années 20, les positions principales sur les ressources étant acquises, un

nouveau marché : les carburants automobiles étant en plein essor (la consommation

mondiale a doublé entre 1910 et 1920 et de nouveau entre 1920 et 1930 s’établissant à 200

000 tonnes - à comparer à 3 milliards de tonnes aujourd’hui), les majors décident de

stabiliser le jeu.

4. L’organisation du marché par le Cartel des sept soeurs

Il apparaît en effet que le Moyen-Orient recèle des gisements immenses exploitables à des

coûts très inférieurs aux coûts marginaux américains. Les Etats-Unis assurent à l’époque les

2/3 de la production mondiale. Une concurrence acharnée au Moyen-Orient, accompagnée

de la possibilité pour de nouvelles compagnies d’y entrer, ferait chuter les prix, ruinerait une

bonne partie de l’industrie pétrolière américaine, entraînerait une forte volatilité des prix.

Les sept soeurs jugent alors plus intéressant de s’entendre. Cela se fera par deux accords.

L’accord de la ligne rouge

En 1928, l’ensemble des compagnies présentes dans l’IPC, ayant tracé sur la carte du

Moyen-Orient une « ligne rouge » entourant l’ancien empire ottoman (à l’exclusion du

Koweït, du Sinaï et de l’Egypte), décident de n’intervenir que conjointement à l’intérieur de

cette ligne et de tout faire pour empêcher l’arrivée de nouveaux entrants.

L’accord d’Achnacarry

A la fin de l’été 1928, dans le château en Ecosse de Deterding, un véritable accord (secret)

de cartel est signé entre Shell, Exxon et BP, auquel se joindront très vite les quatre autres

majors. Les trois dispositions fondamentales de cet accord sont les suivantes :

- Acceptation par les membres de leur volume actuel d’affaire comme base de référence pour

les accroissements futurs (en clair : les parts de marché sont figées).

- Mise à la disposition des autres des installations existantes (transport, raffinage, etc.) de

chacun si elles ne sont pas saturées, de manière à optimiser l’utilisation des capacités

globales et à minimiser les coûts logistiques.

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- En chaque point du monde, le prix des produits pétroliers est fixé comme s’ils avaient été

raffinés en Louisiane et exportés par le Golfe du Mexique, quelle que soit leur origine réelle.

La neutralisation du marché américain

Mais l’accord ne pouvait s’étendre aux innombrables compagnies américaines (les

« indépendants » des majors contrôlent, dans les années 20, 70% de la production de brut

américain, mais seulement 25% du raffinage) et donc concerner les exportations des Etats-

Unis. C’est l’Etat fédéral lui-même qui va se charger de réguler le marché américain. Non

pour conforter l’oligopole des sept soeurs à l’extérieur des Etats-Unis, mais pour maîtriser

un développement interne qui devenait anarchique sous le double effet d’une compétition

acharnée, et de la loi américaine sur la propriété du sous-sol. L’exploitation de grands

gisements pouvait en effet être morcelée en une multitude de concessions, conduisant à

d’énormes inefficacités. Le gouvernement régule donc directement les quantités produites en

Amérique par un système de quotas.

Le règne des sept soeurs

De 1930 à 1970, le cartel règne donc sur l’industrie pétrolière mondiale (hors USA). Il

pratique une politique de prix stables et plutôt décroissants (en fonction des gains de

productivité) pour stimuler la demande tout en s’assurant des rentabilités élevées (cf.

graphique).

5. L’effritement du pouvoir des majors

L’affrontement avec les Etats producteurs

A l’époque, il n’existait pas de marché, donc de prix international du pétrole brut. Hors du

territoire américain, le brut circulait en effet pour l’essentiel au sein des majors et entre

elles.

Les taxes versées aux Etats l’étaient donc sur la base d’un prix fictif, purement fiscal, qui

servait à calculer les redevances « ad valorem » et le bénéfice imposable des compagnies.

De longue date, les Etats producteurs indépendants (ils l’étaient au Moyen-Orient et en

Amérique latine) ont cherché à améliorer leur part des rentes pétrolières. La première

tentative eut lieu au Mexique. En 1938, un conflit entre le gouvernement et les compagnies

pétrolières se solde par la nationalisation de ces dernières et la création d’une compagnie

nationale : PEMEX. Le cartel montre alors sa puissance : il boycotte PEMEX, et pas une

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goutte de pétrole ne s’exporte du Mexique.

Après-guerre, le Venezuela, utilisant des méthodes plus progressives, parvient à obtenir

en 1948 le partage 50/50 des bénéfices de l’exploitation (sur la base d’un prix fiscal qui

reste fixé par les compagnies). La formule se généralise rapidement à l’ensemble des

pays producteurs.

En 1950, l’Anglo-Iranian (future BP), seule compagnie importante exploitant dans le pays,

y refuse l’application du principe 50-50. Le gouvernement nationaliste du Dr Mossadegh

nationalise la compagnie en 1951. Même cause, mêmes effets : le pétrole iranien est

boycotté. Cependant, les Américains sont favorables à un compromis. Mossadegh est

renversé par un coup d’Etat en 1953 (le coup installe le Shah qui sera lui même renversé par

la révolution islamique en 1978). En échange de ce service rendu par la CIA, des compagnies

américaines rentrent dans l’Anglo-Iranian, qui accepte de relever les taxes comme le

demandait initialement le gouvernement iranien.

L’OPEP est créée en 1960. Pendant dix ans, elle tentera, sans succès d’obtenir par la

négociation un relèvement de la part des rentes revenant aux Etats.

L’arrivée des « Indépendants » américains au Moyen orient et en Afrique

Dans les années 60, les plus grandes des compagnies indépendantes américaines sortent des

Etats-Unis et cherchent des concessions au Moyen-Orient et dans le reste du monde. Pour

avoir une chance de les obtenir, elles proposent généralement (secrètement) des clauses

fiscales plus favorables aux pays producteurs. Occidental Petroleum parvient ainsi à obtenir

des concessions en Lybie, et va jouer un rôle décisif dans la suite.

Les compagnies nationales européennes

La seconde guerre mondiale a évidemment confirmé le caractère stratégique du pétrole. La

France et l’Italie se dotent de compagnies nationales à capitaux publics, chargées d’assurer

une meilleure sécurité d’approvisionnement. La future Elf explore dans les colonies

françaises, en particulier elle découvre du pétrole et du gaz au Sahara algérien. Sans colonies,

la compagnie italienne ENI, dirigée par Enrico Mattei, est très agressive au Moyen-Orient.

Jouant du nationalisme des pays producteurs, proche de l’URSS avec qui l’ENI est en

affaires, Mattei propose des contrats très intéressants pour les pays producteurs (75/25 au

lieu de 50/50). Il obtient des concessions. L’avion qui le transporte explose un jour en plein

vol...

Dans les années 60, le cartel des sept soeurs ne peut donc empêcher l’arrivée de ces deux

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catégories de nouveaux entrants. Son pouvoir de marché s’effrite, les prix baissent, ce qui

accroît le mécontentement des pays producteurs. (cf. graphique).

6. La prise de pouvoir de l’OPEP

La rupture de 1970

Le véritable basculement date de 1970. En 1969, le colonel Khadafi prend le pouvoir en

Lybie. En 1970, profitant d’une crise du fret en raison de la saturation des moyens de

transport, il exige des compagnies (Shell et Occidental en particulier) un relèvement du prix

fiscal. Shell résiste, Armand Hamer, le Président d’Occidental, grand ami de l’URSS et des

pays du Tiers Monde, accepte. La brèche est ouverte. De 1970 à 1973, l’OPEP obtient

régulièrement de petites hausses du prix fiscal, pour maintenir ses revenus qui s’érodaient

sous l’effet de la baisse des prix nominaux , de l’inflation aux Etats-Unis et de la baisse du $

après l’abandon de la parité fixe avec l’or en 1971.

Parallèlement, les pays les plus nationalistes, s’appuyant sur la déclaration de 1962 de

l’ONU reconnaissant la souveraineté des Etats sur leurs ressources naturelles, nationalisent

les compagnies pétrolières : Algérie en 1971 (51% du pétrole et 100% du gaz). Irak en

1972, Lybie en 1973. Cette fois sans rétorsions, mais le plus souvent avec indemnisation.

Même les pays les plus « modérés », par l’accord de New York de 1972, prévoient

d’acquérir la majorité dans les compagnies opérant sur leur territoire en 1982. Les choses

iront plus vite.

Le premier choc pétrolier

La guerre du Kippour

Dix jours après le début de la guerre le 6 octobre 1974, les pays de l’OPEP décident de

réduire leur production et déclarent un embargo total vers les pays soutenant Israël (E.U.,

Pays-Bas, Portugal et Afrique du Sud). Le 16 octobre puis le 23 décembre, les pays de

l’OPEP décident de deux hausses qui quadruplent le prix du pétrole.

En 1974, les nationalisations s’accélèrent, l’ensemble des Etats producteurs du Tiers Monde

acquièrent le contrôle de leurs ressources. Dans les pays de l’OPEP, des compagnies

nationales sont créées, qui reçoivent les actifs nationalisés.

On sait maintenant que le gouvernement des Etats-Unis était favorable à la hausse et l’a

encouragée. Certes, il aurait préféré un doublement et réagira à cette hausse « excessive » en

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initiant la création de l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) qui regroupe, face à

l’OPEP, les pays consommateurs riches. L’attitude favorable à la hausse provenait, outre de

l’analyse du caractère inéluctable de l’exercice de la souveraineté sur les ressources, de la

déconnexion croissante entre le prix international du pétrole, orienté à la baisse dans les

années 60, et le prix intérieur américain, supérieur car l’industrie nationale était protégée

par des barrières douanières.

7. Le changement de structure du marché du brut

L’industrie pétrolière était jusqu’en 1970 un oligopole de firmes globales verticalement

intégrées « des puits à la pompe ». Cet oligopole a vu se développer une frange compétitive

de firmes privées et publiques de plus petite taille dans les années 60.

La nationalisation des gisements dans le Tiers Monde casse l’industrie en deux et crée un

véritable marché du brut. Les majors contrôlaient 98% du brut hors Etats-Unis et pays

socialistes en 1950, 78% en 1966 (effet de l’entrée de la frange), mais seulement 10% en

80.

Sur le marché du brut, c’est désormais l’OPEP qui constitue un oligopole. Au départ,

jusqu’après le second choc pétrolier des années 79-81, le prix de référence mondial est un

prix producteur. Il est régulièrement ajusté par l’OPEP.

Un marché « spot » se développe cependant, qui cote un prix de marché libre, tandis que des

transactions à terme s’organisent. Ce marché spot connaît un grand développement à

l’occasion du second choc pétrolier. Les prix s’y envolent en effet, et le prix producteur suit

avec retard. Il est donc extrêmement intéressant d’acheter au prix officiel et de revendre sur

le marché libre. Des négociants tels Mark Rich y feront fortune.

Après le second choc pétrolier, le prix producteur est abandonné. Les prix de référence sont

désormais des prix de bourse (Brent et WTI) et les marchés à terme se développent.

Cela ne signifie pas que la structure de l’industrie soit devenue concurrentielle, comme nous

allons le voir au chapitre suivant. Elle reste un oligopole (constitué d’une partie des firmes

publiques de l’OPEP, en l’occurrence celles des pays du Golfe Arabo-Persique) avec frange

compétitive. Mais cet oligopole est par bien des aspects moins cohérent et donc solide que

celui que constituaient les majors.

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Chapitre 12. La plage d'équilibre des prix du pétrole

(Economie, politique et incertitude dans la formation des prix du pétrole)

Ce texte est une version française, modifiée et réduite, d’un article de P.N. Giraud paru dans

la revue « Energy Policy », vol. 23, n° 1, pp. 35-49, 1995

1. Introduction

L’imbrication de facteurs politiques et économiques dans l’évolution historique des prix du

pétrole a été et reste tenue pour une évidence par la quasi-unanimité des experts. Les

analyses diffèrent largement, par contre, quant à la nature exacte de cette imbrication et

l’importance relative des deux types de facteurs. Depuis le milieu des années 80, on constate

une tendance à majorer, par rapport aux analyses antérieures, le rôle des facteurs

économiques, et à réinterpréter en ce sens l’histoire pétrolière récente.

Ainsi, dans les années 70, l'OPEP a été majoritairement analysée comme un cartel capable

de fixer les prix à n'importe quel niveau en dessous de ceux des énergies de substitution.

Aujourd'hui, certains auteurs affirment qu'elle n'a jamais eu de véritable pouvoir de marché.

A l’autre extrême, des experts tels que le Professeur Mabro, tout en reconnaissant que les

prix au jour le jour sont bien fixés par des marchés «libres» et fluctuent donc comme ceux

des autres commodités, estiment que ces fluctuations se maintiennent autour de niveaux

moyens caractéristiques d'épisodes» de l’histoire pétrolière. Ces épisodes sont séparés par

des crises. Après une crise, ce sont, selon Mabro (1991 a), des facteurs essentiellement

politiques qui déterminent le nouveau niveau de stabilité relative, et ce, au sein d’une large

plage de niveaux possibles.

Cet article propose des éléments de clarification de l’articulation entre facteurs économiques

et politiques dans la formation des prix du pétrole. Ceci exige d’abord une définition de ce

que sont les facteurs politiques.

La première section discute donc de définitions, ce qui, curieusement, est rarement fait dans

la littérature. Le caractère généralement implicite de ce que sont les facteurs économiques et

politiques est à l’évidence une source de malentendus.

La seconde section propose une définition du «prix d’équilibre dynamique» d’un marché de

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commodité minérale. Le point essentiel est le suivant. Lorsque : i) des acteurs contrôlent

d’importantes réserves à bas coût (ce qui est le cas dans l’industrie du pétrole), ii) ces acteurs

ne veulent pas ou ne peuvent pas adopter des comportements relevant d’une «rationalité

économique substantielle»25, alors l'analyse économique ne permet pas de déterminer un

prix d’équilibre dynamique unique. Par contre, elle permet de définir une plage de prix

d'équilibre au sein de laquelle peuvent s'exprimer des préférences politiques.

La troisième section tire de ce qui précède la définition d’un certain nombre de seuils et de

plages de prix du pétrole qui permettent de clarifier l’articulation des facteurs économiques

et politiques dans la formation des prix.

La quatrième vérifie que ce modèle permet une interprétation de l’évolution du prix du

pétrole depuis le début des années 70.

2. Facteurs économiques et facteurs politiques

Le fait qu’une large part des flux pétroliers internationaux provient du Moyen-Orient et de

la CEI, zones qui sont politiquement instables (depuis plusieurs décennies, pour la première,

et probablement pour de nombreuses années encore pour les deux), rend évidemment le

marché du pétrole particulièrement vulnérable à des événements affectant ces zones, tels que

les troubles civils et les guerres entre États. De tels événements peuvent être qualifiés de

"politiques" sans soulever de difficultés sémantiques, même si de puissants intérêts

économiques y interviennent.

Ce qu'il est par contre nécessaire de clarifier, c'est la délimitation de l'économique et du

politique dans le fonctionnement "normal" du marché pétrolier. Autrement dit, dans les

décisions prises par des acteurs industriels et des États, en matière de : investissements, taux

d’utilisation des capacités de production, taxes, réglementations touchant la production, le

transport, la consommation, etc.

Il doit d’abord être souligné que le fait qu’un marché ait une structure oligopolistique

n'implique pas qu’il y ait place pour des décisions politiques. Lorsqu'un acteur dispose d’un

pouvoir de marché, l'exercice de ce pouvoir au mieux de ses intérêts économiques propres ne

peut être qualifié de politique. Ainsi un groupe de producteurs dominants qui, confronté à la

concurrence d’une frange de «price takers», fixe une trajectoire de prix destinée à

maximiser la somme de ses revenus actualisés se comporte de manière économique. Si tel

était le cas de l'OPEP, il n'y aurait rien de politique dans la détermination des prix du

25 Au sens de H. Simon (1978).

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pétrole, en dehors des périodes de crise provoquées par les "événements" évoqués ci-dessus.

De même, se comportent de manière économique, les États des pays qui taxent la

consommation de certains produits pétroliers, exploitant la faible élasticité à long terme de

leur demande au prix et privant ainsi les États des pays producteurs d’une rente à laquelle

eux même pourraient prétendre s'ils s’organisaient pour exercer un pouvoir de marché.

Même la taxe sur les énergies fossiles envisagée par la Commission de l’UE dans les années

90 pour lutter contre l’effet de serre, qui fut considérée par l’OPEP comme une mesure

"politique" (i.e. sans justification économique) hostile, devrait être définie comme une

décision économique si l’on pouvait prouver : i) qu’il s’agit de la mesure la plus efficace

(c’est-à-dire la moins coûteuse collectivement) de lutter contre les conséquences de

l’augmentation de l’effet de serre, ii) que le coût de la taxe est inférieur aux coûts de l’effet

de serre qu’elle permet d'éviter (ce qui suppose que l’on soit capable d’évaluer

monétairement ce type d’externalité).

En bref, sont incontestablement des décisions économiques celles qui relèvent d'une

"rationalité substantielle". Selon H. Simon (1978), un acteur se comporte de manière

substantiellement rationnelle lorsqu'il classe tous les états futurs possibles du monde selon un

système de préférence, qu'il leur affecte des probabilités d'occurrence conditionnelles à ses

propres actions et à celles des autres, et qu'il prend alors les décisions conduisant à

l'espérance de satisfaction maximum. Cela suppose d'abord qu'il puisse connaître les états

futurs du monde ainsi que les liens entre ses décisions, celles des autres acteurs et ces états

futurs. Cela suppose ensuite qu'il puisse toujours comparer deux états du monde, donc que les

variations des paramètres qui définissent ces états soient commensurables. Dans ces

hypothèses, on peut construire pour chaque acteur une fonction d'utilité dont les variables

sont tout ou partie de ces paramètres. Les décisions des acteurs résultent alors d'une

maximisation sous contrainte de cette fonction d'utilité26.

Quelles que soient les structures de marché, autrement dit, quelles que soient les répartitions

initiales des droits de propriétés sur les facteurs de production, si toutes les décisions prises

par les acteurs sont guidées par une rationalité substantielle, on peut construire des modèles

purement économiques, qui détermineront, par exemple, le prix du pétrole.

Ce noyau de décisions économiques étant défini, il faut donc examiner la nature des

décisions qui n'en font pas partie, c'est-à-dire des décisions :

26 Remarquons que pour un producteur, maximisation d'une fonction d'utilité ne signifie pas nécessairementmaximisation du revenu ou du profit, qui n'en sont que des cas particuliers. L'objectif d'un producteur peutêtre, par exemple, d'obtenir un revenu donné. Son utilité croîtra alors tant qu'il ne l'aura pas atteint, puisdécroîtra s'il dépasse le niveau désiré. Comme on le verra, des modèles économiques du marché pétrolier ont étéconstruits sur ce genre d'hypothèse (cf. Cremer et Salehi-Isfahani 1989).

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• soit qui portent sur des redistributions hors marché de droits de propriété, en particulier

des droits sur les facteurs de production,

• soit qui ne relèvent pas d'une rationalité substantielle. Ce cas, à son tour, se divise en

deux : i) soit que les acteurs ne disposent pas de l'information, de la capacité de calcul, du

temps, etc., pour prendre les décisions qui maximisent leur utilité, ii) soit, plus

fondamentalement, qu'il n'est pas possible de construire une fonction d'utilité pour les

acteurs, ce qui est le cas lorsque les paramètres qui déterminent leurs choix ne sont pas

commensurables27 .

La redistribution hors marché des droits de propriété

Dans les modèles économiques, les droits initiaux de propriété sont considérés comme

exogènes. Le fonctionnement même des marchés modifie certes en permanence la

répartition des droits, y compris naturellement des droits sur les facteurs de production. Mais

l'économie ne permet pas de dire qu'une répartition initiale est supérieure à une autre, sauf à

considérer que les utilités de deux acteurs sont comparables, ce qu'elle se refuse généralement

à faire. Des décisions de modifications hors marché (c'est-à-dire ne résultant pas d'une

transaction marchande librement et réciproquement consentie) de droits de propriété ne

peuvent donc pas être considérées comme des décisions économiques. Lorsque c'est un État

qui prend ce genre de décisions, on peut les qualifier de politiques, dans un premier sens de ce

terme. Sont dans ce cas, par exemple, les nationalisations d'actifs privés.

La rationalité procédurale

Lorsque l'information sur l'avenir possible est incomplète, c'est-à-dire lorsque les états futurs

du monde ne sont pas connus avec précision, ou lorsqu'on peut les connaître mais qu'on est

incapable de leur attribuer des probabilités d'occurrence, la maximisation d'une fonction

d'utilité est en théorie impossible.

En pratique, c'est également le cas lorsqu'une organisation manque de temps ou de moyens

d'information et de "calcul" pour le faire. Elle agit alors selon une rationalité qu'Herbert

Simon a qualifiée de "procédurale". D'une part les décisions sont moins guidées par des

objectifs de maximisation d'une utilité (revenus, profits, etc.) que par des objectifs

d'obtention d'un niveau "satisfaisant" d'utilité. D'autre part, les décisions prises dépendent de

l'organisation elle-même : de l'expérience acquise, de ses "routines" internes de

fonctionnement.

27 En d'autres termes lorsque l'acteur est face à des choix multicritère.

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Les théoriciens de l’économie des organisations et des approches évolutionnistes ont

cependant cherché à modéliser ce type de comportement. Dans ces modèles, les agents

n’optimisent pas globalement mais localement, c’est-à-dire qu’ils prennent des décisions

« proches » de ce qu’ils ont déjà fait et savent faire. Ceci donne lieu à des phénomènes de

« path dependency » (les trajectoires suivies dépendent à chaque instant du passé) qui, s'ils

ne sont pas calculables par un algorithme d'optimisation, sont au moins simulables.

Malgré ces louables efforts théoriques, on peut considérer que ce type de décision est en

partie de nature politique quoique dans un sens différent du précédent. Ici c’est l’histoire

d’une organisation, en particulier les conflits et les crises qu'elle a traversées, c'est aussi le

système de valeurs de la société dans laquelle elle est plongée qui éloignent la décision de

celle qui aurait été prise sous l’effet d’une rationalité économique substantielle, sans que cet

écart soit modélisable et prédictible.

Le poids de le rationalité procédurale est d'autant plus fort que les acteurs sont, comme le

joueur d'échec en fin de partie, en "Zeitnot", c'est-à-dire dans l'urgence d'une situation de

crise. Il n’est point question alors de calculer le pour et le contre de chaque décision possible

: l’organisation agit par réflexe, et ses réflexes sont conditionnés par son histoire.

Cependant, dans cette conception, l'organisation est aussi un lieu d'apprentissage. Lorsqu'une

organisation se trouve dans un environnement entièrement nouveau, sa rationalité

procédurale conduira dans un premier temps à des décisions éventuellement très différentes

de celles qui auraient permis d'atteindre l'optimum économique de l'acteur (si tant est qu'on

puisse le reconstituer a posteriori). Chaque décision est alors une sorte de pari, un test sur le

fonctionnement du monde réel, en particulier sur le comportement des autres acteurs. Si

l'environnement se stabilise, les décisions peuvent converger, grâce au processus

d'apprentissage vers une rationalité "économique" c'est-à-dire substantielle, et le poids des

influences politiques, au second sens ici défini, diminuera.

Les objectifs non monétaires

La troisième catégorie de décision relève éventuellement d’une rationalité substantielle

(mise en rapport de moyens et d’une fin clairement définie parmi tous les états possibles du

monde), mais dont la fin ne peut s’exprimer en termes monétaires, et n’est donc pas

commensurable avec des objectifs économiques.

C’est le cas par exemple de la « sécurité des approvisionnements » pour un pays

importateur de pétrole. On peut certes imaginer qu’un État calcule le niveau « optimal » de

dépendance à l’égard des importations pétrolières en fonction de divers scénarios de crises et

de l’évaluation de l’ensemble des conséquences économiques de ces scénarios. De telles

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tentatives ont été faites, mais sans grand succès. Dans la pratique, il est évident que

l’appréciation du niveau souhaitable de dépendance échappe à l’évaluation monétaire. En

d'autres termes, l'État d'un pays importateur ne peut calculer des arbitrages tels que : un peu

moins de sécurité contre un peu plus de croissance ou réciproquement.

Un autre exemple intéressant, parce qu’il a été utilisé dans la construction de modèles

«économiques» du marché pétrolier28 est l'hypothèse que certains États producteurs limitent

leurs objectifs de revenus pétroliers à leur «capacité d’absorption»29. Tout dépend en effet

de ce qui détermine cette «capacité d’absorption». Si on fait l’hypothèse que les États

producteurs limitent leur revenus (donc leur production à prix donné) parce que, d'une part

leur capacité interne d’investissements est limitée et que, d'autre part, ils affectent un

coefficient de risque élevé aux placements financiers extérieurs, alors c’est une décision

économique. En effet le niveau de revenu souhaité est dans ce cas calculable en fonction de

paramètres bien définis et évaluables monétairement. Mais cette hypothèse est

extrêmement fragile, car ce qui limite la capacité interne d’investissement, particulièrement

dans le long terme, reste en vérité assez mystérieux.

Mieux vaudrait faire l’hypothèse que, comme l’ont montré de nombreuses études30, la rente

pétrolière a des effets politiquement déstructurants tant qu’internes qu’externes. Dans ces

conditions, la rente est à la fois une condition du maintien au pouvoir des gouvernements

des pays rentiers et une menace permanente, par ses effets déstructurants, contre la stabilité

de ce pouvoir. Le niveau de rente "souhaité" par ces gouvernements, qui en effet n'est pas

nécessairement le niveau maximum "économiquement" accessible sur le long terme, serait

alors fondamentalement déterminé par des objectifs de survie politique à court, voire à très

court terme. Les facteurs qui déterminent ce niveau sont évidemment très complexes et non

évaluables monétairement. On peut citer, par exemple : le volume de rente à redistribuer (et

éventuellement à investir de manière productive) dans et à l'extérieur du pays, le niveau

d'armement souhaité, etc.

La différence est ici essentielle, puisque dans le premier cas, on retrouve une rationalité

modélisable en termes économiques et donc des comportements prédictibles, et dans le

second cas des objectifs susceptibles de varier significativement dans le temps, en fonction

de l’appréciation des dirigeants politiques, sans que les paramètres économiques aient

changé.

28 Cf. par exemple : Cremer et Salehi-Isfahani (1989).29La question n'est pas ici de savoir si les Etats producteurs du Golfe, par exemple, se comportent aujourd'huiainsi, mais d'examiner si cette hypothèse, qui a été faite par certains modèles économiques du marché dupétrole, repose sur un comportement "économique" des acteurs30 Pour une analyse récente, cf. par exemple O. Bomsel (1992).

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Les décisions de ce troisième type peuvent être qualifiées de politiques au sens le plus

classique du terme, puisque les objectifs qu'elles poursuivent sont de l’ordre de la sécurité des

États et de la stabilité des gouvernements.

L'industrie pétrolière : une forte intensité de décisions politiques

Il est à notre avis incontestable que des décisions politiques, dans l’un des trois sens ainsi

définis (ou une combinaison de ces types) ont été et seront prises dans l’industrie pétrolière.

On objectera, évidemment, qu’il en est toujours ainsi dans le monde réel, quel que soit le

secteur. Néanmoins, il est des industries où l’hypothèse d’un comportement économique

substantiellement rationnel de la quasi-totalité des acteurs est une approximation

satisfaisante de la réalité. L’analyse économique peut alors se déployer : elle modélise les

rapports entre ces comportements et les trajectoires de prix et de production, compte tenu

des données structurelles (élasticité à court et à long terme de la demande et de l’offre au

prix, structure des coûts, nombre et concentration des acteurs, etc.). Une fois les hypothèses

posées, le résultat est unique. Les modèles économiques sont déterministes31.

L’industrie pétrolière se caractérise cependant à notre avis par une intensité de décisions

politiques forte, quoique pas nécessairement constante. La raison en est que, parmi

l'ensemble des acteurs (firmes, négociants, spéculateurs, États, etc.) intervenant dans

l'industrie pétrolière, les seuls pour lesquels une rationalité économique substantielle est une

approximation raisonnable de leur comportement sont : les firmes pétrolières soumises à

une contrainte de valorisation du capital (essentiellement les firmes occidentales32), les

négociants et les spéculateurs. Or les premières ne contrôlent plus désormais qu'une part très

minoritaire de la production mondiale de pétrole brut. Par conséquent les différents modèles

de l’industrie pétrolière qui ont été proposés depuis 20 ans : modèles de cartels, d'oligopole

de Stackelberg, compétitifs, compétitifs avec simples objectifs de revenus minimum de

certains producteurs, etc., qui par nature supposent une rationalité économique substantielle

à tous les acteurs, sont très loin d'être satisfaisants33 .

En utilisant notre typologie des décisions politiques, on peut caractériser l'histoire pétrolière

récente de la manière suivante. L'industrie pétrolière a tout d'abord connu un ensemble de

décisions politiques, au premier sens du terme, d'importance majeure dans le début des années

31 Nous n’ignorons pas les problèmes «d’inconsistance dynamique» que peuvent soulever des comportementsavec anticipations rationnelles en avenir incertain. La solution peut alors être indéterminée ou instable. Maisl’effort des économistes consiste précisément, en modifiant les hypothèses, à lever ces indéterminations. Cf.par exemple Newbery (1981).32 On peut également y adjoindre les compagnies publiques de certains pays producteurs du Tiers Monde ycompris de certains petits producteurs de l'OPEP qui se comportent en simples "price takers", c'est-à-dire quicherchent à maximiser leur production au prix du marché.33 Cf. par exemple Gately (1984 ) et Griffin (1985) pour des analyses critiques et des tests de ces modèles.

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70 : la nationalisation des gisements dans les pays de l'OPEP34. Or, dans certains de ces

pays, ceux du Golfe arabo-persique, il s'agit des gisements aux réserves les plus abondantes et

à plus bas coût de développement de la planète. Il est clair, comme on le verra ci-dessous,

que les décisions concernant ces gisements sont cruciales dans l'équilibre à long terme du

marché pétrolier. Ce sont donc des droits de propriété fondamentaux dans l'organisation et

le fonctionnement de l'industrie pétrolière qui ont alors changé de main. En conséquence :

d'une part de nouveaux acteurs, dotés de rationalités procédurales spécifiques, sont apparus

dans l'industrie : les Etats des pays de l'OPEP, l'OPEP en tant que telle, et d'autre part ces

acteurs ont dû, pendant les années qui ont suivi, apprendre l'usage de leurs nouveaux droits.

L'apprentissage a, en particulier, porté sur les réactions aux prix de la demande mondiale et

de la production hors OPEP. Les années 70 et 80 ont donc été des périodes à forte intensité

de décisions politiques, d'abord du premier puis du second type. Mais évidemment aussi du

troisième type : ainsi de la mise en place de politiques d'approvisionnement et de

développement volontariste d'énergies de substitution dans certains pays importateurs et

naturellement de l'imbrication croissante, avec l'afflux des rentes pétrolières au Moyen-

Orient, entre politique de prix du pétrole et conflits dans la région.

S'agissant des pays de l'OPEP, ou du moins de certains d'entre eux, certains experts font

aujourd'hui l'hypothèse que l'intensité de décisions politiques a commencé à décroître à la fin

des années 80. Ceci en raison des processus d'apprentissage et donc de l'affaiblissement et de

la perte de spécificité des rationalités procédurales de ces acteurs. Ce mouvement pourrait

les conduire à des décisions se rapprochant de manière croissante d'une rationalité

économique substantielle35. Cette hypothèse ne serait recevable que si la région du Moyen-

Orient connaissait une stabilité politique croissante. A notre avis, ce n'est pas le cas. Parmi

d'autres facteurs, dont l'absence de résolution de la question palestinienne, les effets

politiques déstabilisants de la forte concentration des rentes pétrolières aux mains de

quelques États continueront d'exister. Ainsi, même si les acteurs dont dépendent l'évolution

des capacités et de la production au Moyen-Orient sont a priori mieux armés, en raison de

l'expérience qu'ils ont accumulée depuis 20 ans, pour agir selon une rationalité économique,

il est certain que des décisions politiques de troisième type (commandées par des objectifs de

stabilité des gouvernements et de sécurité des États) continueront d'influencer l'industrie

pétrolière.

34 Nous n'entrerons pas ici dans une discussion juridique précise. Ce qui compte c'est que le pouvoir deprendre les décisions d'exploration, de développement et de production a changé de main dans ces pays.35 Pour preuve de cette "maturité" économique, ces experts mettent en avant, par exemple, une attitudedésormais plus ouverte à des coopérations avec les compagnies pétrolières occidentales.

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Que peut l'analyse économique ?

L’analyse économique est-elle pour autant désarmée, et faut-il se résigner à soutenir, comme

certains, que le prix du pétrole est fondamentalement politique ? A notre avis, non.

L'analyse économique peut, par exemple, déterminer s’il existe des trajectoires de prix qui,

sans maximiser les revenus des acteurs, peuvent néanmoins être décidées et tenues par eux.

Renonçant ainsi à l'inutile ambition de déterminer la trajectoire optimale, elle permet de

cerner l'espace des possibles au sein duquel peuvent se déployer les changeantes

préférences politiques.

Nous le montrerons en définissant d’abord une notion de prix d’équilibre dynamique d’un

marché de commodités minérales.

3. Le prix d'équilibre dynamique

Définition du prix d'équilibre dynamique

Définissons le prix d'équilibre dynamique, sur un marché de commodités minérales, comme

celui qui égalise le taux de croissance des capacités et celui de la consommation.

Un marché de commodité minérale ne peut être stable que s'il existe en permanence un

"coussin" de capacités de production excédentaires par rapport à la consommation

moyenne. Ce coussin est nécessaire pour absorber les fluctuations conjoncturelles de la

demande (c'est-à-dire de la consommation plus la demande de stocks) et les éventuelles

défaillances de certaines capacités de production.

En son absence, l'équilibre de l'offre et de la demande ne pourrait être rétabli qu'à travers de

fortes fluctuations de prix, en raison de la faible élasticité à court terme au prix tant de la

production que de la consommation. Le marché ne serait donc pas stable. Inversement, ce

coussin ne doit pas être trop important, car des capacités excédentaires excessives

favorisent le déclenchement de guerres des prix36.

Le prix d'équilibre dynamique du marché est en conséquence celui qui entretient un coussin

satisfaisant. A partir d'une situation d'équilibre initiale, c'est donc bien celui qui fait croître

les capacités au même rythme que la consommation.

36 Dans l'histoire du pétrole, on a connu des chocs sur les prix lorsque le coussin a été insuffisant ou excessif.En 1979-1980, les capacités excédentaires, compte tenu de la demande de stocks provoquée par la révolutionen Iran puis la guerre Iran-Irak, avaient disparu. En 1986, elles étaient devenues trop importantes et tropinégalement réparties.

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Le cas de l'industrie pétrolière

De nombreux experts pétroliers ont, depuis fort longtemps, défendu la thèse que si tous les

développements nécessaires au remplacement des champs épuisés et à la croissance de la

demande avaient été réalisés uniquement dans les zones à plus bas coût, la répartition de la

production pétrolière mondiale serait bien différente de ce qu'elle est, et les prix du pétrole

auraient évolué tout autrement (cf. par exemple Frankel, et le résumé de ses thèses dans un

article récent : Frankel, 1989).

Aujourd'hui encore, il est évident qu'une stricte logique économique d'allocation optimale des

ressources, que devrait promouvoir un fonctionnement compétitif de l'industrie, conduirait à

ce que toutes les extensions de capacité soient faites dans la zone des réserves à plus bas coût

de production, donc au Moyen-Orient. En effet, dans les pays riverains du Golfe arabo-

persique : Arabie Saoudite, Koweït, Émirats, Iran, Irak, les compagnies productrices

nationales, entièrement aux mains des États, pourraient, si les États le désiraient, satisfaire

collectivement toute l'augmentation de la demande mondiale de pétrole pendant encore des

décennies.

Or les compagnies nationales de ces pays ne se comportent pas ainsi. Dans l'industrie du

pétrole, il est donc nécessaire, au sein des acteurs qui détiennent le pouvoir d'augmenter les

capacités, de distinguer deux groupes, suivant le modèle classique de l’oligopole avec frange

compétitive.

Le premier regroupe l'ensemble des acteurs, qui, en ce qui concerne l'augmentation des

capacités (par l'exploration et le développement des gisements) se comporte en "price-

takers" selon des critères essentiellement économiques de maximisation de leurs revenus37.

Ils constituent la frange. Le second regroupe ceux qui, quelles qu'en soient les raisons, ne

développent pas leur capacité autant qu'il serait rentable de le faire à un prix donné et pour

un taux de rentabilité "normal" dans l'industrie pétrolière compte tenu de la classe de risque

de ces investissements. Ils constituent le cœur de l’oligopole. Font partie du coeur

aujourd'hui : sans conteste les compagnies productrices des pays du Moyen-Orient, peut-être

quelques autres dans l'OPEP (Libye par exemple). Font partie de la frange : les compagnies

internationales, la plupart des compagnies publiques des pays de l'OPEP à forts besoins

financiers et des compagnies publiques des autres pays producteurs38.

37 Ici naturellement intervient la question de savoir si ils considèrent leurs réserves comme un stock ou unflux, autrement dit si leur comportement de développement de ces réserves inclura une optimisation intertemporelle selon les règles mises en évidence par Hotelling ou pas. Mais ce problème, techniquementintéressant, est de second ordre ici.38 La CEI mériterait une analyse particulière dans laquelle nous n'entrerons pas ici, pour simplifier.

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141

Dans les modèles "économiques" d'oligopole avec frange compétitive, le problème du

prix d’équilibre peut être résolu, du moins en théorie, en attribuant au coeur un certain

type de rationalité économique substantielle, par exemple : maximiser collectivement ses

revenus actualisés ou encore maintenir un niveau de revenu constant dans le temps.

Mais pour adopter un tel comportement il faudrait que les producteurs du coeur connaissent

la courbe de consommation et la courbe d'offre de capacité de la frange39. S'ils ne les

connaissent que très imparfaitement, leur comportement sera plutôt guidé par une

rationalité procédurale et donc influencé par des facteurs politiques, dans le second sens que

nous avons donné à ce terme. De plus, il faudrait supposer qu'ils n'aient pas d'autres objectifs,

de nature politique au troisième sens défini ci-dessus (objectifs non évaluables en termes

monétaires), ce qui n'est à l'évidence pas le cas au Moyen-Orient.

Quelles que soient les raisons et les procédures de leur comportement réel, le point essentiel

de cette analyse reste le suivant. Sur un marché de commodités minérales, à partir du

moment où existe un groupe de producteurs disposant de réserves longues à bas coût

d'extraction qui ne se comportent pas selon une rationalité économique substantielle, alors

l'analyse économique ne permet pas de déterminer un prix d'équilibre dynamique unique. Par

contre, elle permet de définir une plage de prix d'équilibre au sein de laquelle peuvent

s'exprimer les préférences politiques.

Sur cette base, il est possible d'analyser de manière plus précise le comportement des

producteurs du coeur et la dynamique récente de l'industrie pétrolière mondiale.

4. Seuils et plages de prix du pétrole

Dans cette section, l'objectif est de déterminer des seuils et des plages de prix du pétrole qui

permettent d'expliciter l'articulation des facteurs économiques et politiques dans la

formation des prix.

Le prix de marché en situation compétitive

Sur les marchés pétroliers, les prix sont désormais quotidiennement fixés par confrontation

39 Il faut noter que la courbe de consommation ne dépend pas uniquement, dans le cas du pétrole, de lacroissance mondiale, du prix du pétrole et de ses substituts. Ainsi les décisions des pays consommateurs enmatière de fiscalité des produits pétroliers déplacent cette courbe, toutes choses égales par ailleurs. C'estévidemment la raison de l'hostilité de l'OPEP aux projets de taxes destinées à lutter contre l'effet de serre. Demême, la courbe d'offre de capacité de la frange pourrait être significativement modifiée par des décisions, dansles pays concernés, d'allégement de la fiscalité sur la production pétrolière.

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des offres et des demandes de stocks. Ces offres et demandes de stocks sont déterminées par

les écarts entre les stocks réels détenus par les producteurs et les consommateurs (ainsi que

les négociants éventuellement), qui évoluent en fonction des flux de production et de

consommation et les stocks désirés par ces mêmes acteurs, qui eux dépendent de paramètres

techniques mais aussi crucialement de leurs anticipations. Le rôle de ces anticipations dans

les fluctuations des prix de marchés a été amplement démontré par l'histoire récente. Ce

sont elles qui expliquent très largement les flambées de prix des années 79 et 80, ainsi que

pendant la crise du Golfe en 90-91. Un modèle de court terme du marché du pétrole qui

ignorerait l'influence du gonflement subit des stocks désirés lors de ses épisodes et qui ne

prendrait en compte que les fondamentaux du marché (flux de production, de consommation

et niveau normal des stocks "outils") serait incapable d'expliquer ces flambées de prix40.

Le marché du pétrole (comme de toutes commodités minérales) est donc naturellement

instable. De plus, de nombreux auteurs, depuis Frankel41, ont démontré que, s'il était soumis

à des comportements strictement "compétitifs" de chacun des acteurs, ses marges de

fluctuations seraient très larges, compte tenu :

i) de la quasi inélasticité à court terme de l'offre en cas de chute de prix, en raison de ce que

les coûts évitables42 sont une part faible des coûts totaux,

ii) de l'inélasticité à court terme de l'offre au prix en cas de flambée dès que l'utilisation

maximum des capacités est atteinte,

iii) de la quasi inélasticité à court terme de la demande au prix dans les deux sens.

S'agissant des fluctuations des prix de marché, on peut donc faire une première partition et

distinguer quatre zones de prix du pétrole (Figure 3).

Inférieurement, se trouve la zone de prix plancher économique. Le prix du pétrole

pénétrerait inévitablement dans cette zone en cas de guerre des prix menée sans aucune

40 Notons au passage que des marchés à termes liquides à plusieurs échéances dont des échéances éloignées (6mois ou plus) sont, de ce point de vue, un facteur de stabilisation, même si ils peuvent introduire une volatilitéà plus court terme (cf. ci-dessous).41 Pour un bilan des analyses de Frankel, cf. Frankel (1981).42 En économie, les seuls coûts évaluables sont ceux d'une décision et ils s'évaluent toujours par rapport à unesituation de référence où cette décision n'est pas prise. Les coûts évitables sont les coûts que la décisiond'arrêter la production d'un gisement permet d'éviter par rapport à une situation où on continue de produire.Contrairement à ce qui est parfois avancé, ce ne sont pas simplement les coûts opératoires. Il faut y ajouter lescoûts de reconstitution du baril en terre. Si de plus les décisions de cesser de produire, puis de reprendre laproduction entraînent des coûts spécifiques (indemnité de licenciement ou de chômage technique, coûtd'entretien des puits pendant l'arrêt etc.), il faut retrancher de la somme ci-dessus le total de ces coûts diviséepar le nombre de barils non produits. Cela implique que toute évaluation précise des coûts évitables exige uneanticipation de la durée de la fermeture, donc de l'évolution future des prix. En présence de coût defermeture/ouverture des puits significatifs, la décision d'arrêter ne sera pas prise, même si les prix descendenten dessous de (coûts opératoires + coûts de reconstitution), si la baisse des prix en dessous de ce niveau est

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entrave d'ordre extra-économique, c'est-à-dire dans laquelle chaque acteur serait un pur

"price-taker" maximisant ses profits (en fait minimisant ses pertes). Cette zone est bornée

supérieurement par les coûts évitables des gisements marginaux. Quel est ce niveau ?

Adelman (1986) estime qu'un prix de 12 $43 n'aurait que peu d'effet immédiat sur la

production nord-américaine, mais il stopperait tout développement et la production

déclinerait donc année par année sur les gisements en exploitation. Selon lui, il est

nécessaire que le prix descende jusqu'à 6 $/bl pour provoquer la fermeture immédiate de la

moitié de la capacité de production aux Etats-Unis (il faudrait descendre à 3 $ pour que la

même chose se produise en mer du Nord). Mabro (1991) estime le plancher encore plus bas :

2,5 $/bl. Considérons donc que la zone de prix plancher commence en dessous de 8 $. Au

sein de cette zone plancher, s'exercent donc des forces purement économiques qui ramènent

automatiquement à l'équilibre offre/demande.

Supérieurement, se trouve la zone plafond de freinage économique. Lorsque, sous l'effet

d'une demande excédant l'offre, le prix augmente, les forces de rappel qui réduisent le

déséquilibre initial ne s'exercent ni instantanément, ni avant que le prix ait atteint un certain

niveau. Ces forces agissent sur la demande et sur l'offre. Sur la demande, il s'agit : i)

d'économies dites de "comportement" qui peuvent agir rapidement, car par définition elles

n'exigent pas d'investissement, mais seulement si les prix augmentent significativement, ii)

de substitutions par des énergies concurrentes. Ces substitutions ne peuvent être rapides que

dans des installations biénergies, or le volume concerné est désormais faible pour les produits

pétroliers. Au-delà, des investissements sont nécessaires. Qu'ils soient ou non entrepris

dépend alors crucialement non tant du niveau atteint par les prix que des anticipations des

consommateurs sur l'évolution future des prix, iii) des effets macro-économiques induits par

de fortes augmentations des prix du pétrole, qui ralentissent la croissance mondiale. Dans ce

cas, le délai de réaction est évidemment de plusieurs mois, au minimum. Du côté de l'offre,

l'expérience a montré que les capacités, même apparemment saturées, ne sont jamais

totalement inflexibles. Sur de nombreux champs, des investissements marginaux permettent

dans des délais courts des accroissements marginaux de production. Mais ici encore, les

anticipations sur l'évolution future des prix interviennent.

Quatre types de force agissent donc pour rétablir l'équilibre du marché. Elles se caractérisent

par des intensités qui dépendent : du niveau de prix, des anticipations sur son évolution, du

temps, et ceci à des degrés différents. Certaines agissent dès que les prix augmentent mais

lentement, c'est-à-dire avec une intensité faible voire nulle au départ, d'autres ont une

intensité plus forte et/ou plus rapide, mais qui ne se manifeste qu'à des niveaux de prix (réels

jugée devoir être de courte durée.43 Les données de Adelman ont été converties en $ de 1991 en utilisant comme déflateur l'indice des prix àl'exportation des produits manufacturés de l'OCDE.

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et anticipés) élevés.

Une fois engagée par une demande excédant les capacités immédiatement disponibles, la

hausse des prix ne peut qu'être rapide, car le processus de déséquilibre est d'abord cumulatif :

la hausse des prix augmente la demande de stock et accroît donc le déséquilibre. Pour le

pétrole, comme pour la plupart des commodités minérales, les forces de freinage ne

commencent à agir pour réduire efficacement un déséquilibre initial significatif qu'à des

niveaux de prix élevés, c'est-à-dire très supérieurs aux coûts des producteurs marginaux44.

Tel un objet spatial rentrant dans l'atmosphère, les prix sont d'abord très peu freinés, puis les

forces de freinage augmentent, avec le prix et le temps.

On peut donc parler de zone plafond de freinage économique. Sa limite inférieure est

difficile à préciser (comme l'est la limite extérieure de l'atmosphère terrestre). Plutôt qu'une

limite, il faudrait représenter graphiquement une densité croissante de forces. Pour

simplifier, admettons que le freinage commence à s'exercer à partir de 30 $ et s'intensifie à

partir de 40 $/bl.

Les trois types d'instabilité des prix de marchés

Entre la zone de prix plafond de freinage économique et la zone plancher se trouve la zone

d'instabilité naturelle des prix de marchés en situation compétitive. Si en effet l'industrie

pétrolière était compétitive au sens de la théorie économique, c'est-à-dire si aucun acteur

n'avait le pouvoir d'influencer les prix, les prix oscilleraient violemment entre les deux

zones extrêmes qui seraient en vérité les seules positions stables du marché. La moindre

surcapacité engendrerait une surproduction, puisque chaque producteur aurait intérêt à

fonctionner à pleine capacité. La surproduction provoquerait une chute des prix qui les

conduirait au plancher. En effet, aucune réduction de production n'est économiquement

rationnelle avant que les prix n'atteignent le plancher, c'est-à-dire le niveau des coûts

évitables des opérations marginales. Ils resteraient ensuite au plancher jusqu'à ce que la

surproduction soit résorbée. Ceci fait, la moindre augmentation durable de la demande les

enverrait dans la zone plafond où se reconstitue la surcapacité, et ainsi de suite. On a là un

mécanisme qui engendre, sur les marchés de commodités minérales compétitifs, une

instabilité de grande ampleur (puisque zone plancher et zone plafond sont très éloignées) que

nous qualifierons d'instabilité de premier type.

44 Deux remarques : i) Dans le cas des métaux, une cinquième force de rappel est l'augmentation du recyclage,c'est-à-dire le recours à l'autre source de métal qui sont les déchets. C'est, dans certains cas, la principale forcede rappel. Elle n'existe pas pour le pétrole. ii) Les forces de freinage peuvent très bien ne commencer à agirefficacement qu'au dessus du niveau de prix d'un substitut ou de la "backstop technology". Il est clair en effetque celle-ci n'est mise en oeuvre et n'agit comme force de rappel que si les acteurs sont convaincus que les prixvont se maintenir durablement au dessus des niveaux de substitution.

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De nombreux métaux connaissent ce genre d'instabilité. Mais l'industrie pétrolière ne s'est

trouvée dans cette situation, au cours de son histoire, qu'à ses débuts aux États-Unis. Par la

suite, sauf période exceptionnelle, il s'est toujours trouvé des groupes d'acteurs pour stabiliser

les prix grâce à la mise en oeuvre de capacités poumons. Ce rôle est joué, depuis la

nationalisation des gisements dans la première moitié des années 70, par un sous-ensemble

de l'OPEP, aux contours d'ailleurs variables, et dans lequel on trouve tout ou partie, selon les

époques, des producteurs du coeur qui a été défini ci-dessus, ainsi que certains producteurs de

la frange. Remarquons que ceci est indépendant des positions affichées par tel ou tel. Dans

l'industrie pétrolière, compte tenu de la faiblesse des coûts marginaux par rapport au prix,

tout producteur qui ne sature pas ses capacités de production fait jouer à une partie de ses

capacités le rôle de capacité poumon.

Cette stabilisation par le jeu des capacités poumons est évidemment loin d'être parfaite. Ces

capacités ne peuvent en effet pas moduler leur production au jour le jour, ni même aussi vite

que se modifient les anticipations et les stocks désirés dont on a dit l'influence sur les prix de

marchés. Elles peuvent néanmoins tenir les prix dans une fourchette de 2 à 3 $ d'amplitude

avec des périodes (non nécessairement régulières) d'environ plusieurs mois. Ce type de

fluctuations, que nous qualifierons d'instabilité de second type, est inévitable dans le cadre du

fonctionnement d'un véritable marché. Mais elles ne gênent en vérité personne, puisque les

marchés à terme et leurs instruments dérivés sont faits pour que les opérateurs puissent s'en

protéger, et qu'elles n'ont pas d'incidences macro-économiques significatives.

Cependant les instruments financiers dérivés des contrats d'échange de pétrole et de produits

introduisent eux-mêmes un troisième type d'instabilité dont l'amplitude peut dépasser le $/bl

et dont les périodes sont beaucoup plus courtes : de l'ordre du jour ou de la semaine.

Les fluctuations du second et du troisième type peuvent être réduites par une amélioration

du fonctionnement des marchés, physiques et financiers. Les fluctuations du premier type,

répétons-le, ne peuvent être maîtrisées que par une mise en oeuvre efficace de capacités

poumons. Le problème, essentiel pour les détenteurs de ces capacités, est alors de savoir

autour de quel niveau les prix peuvent être durablement stabilisés (c'est à dire pendant

plusieurs années ) et si ce niveau est unique ? C'est ici que nous retrouvons la notion de prix

d'équilibre dynamique et le rôle des producteurs du coeur.

Les prix d'équilibre dynamique

En ce qui concerne les prix d'équilibre dynamique, il est à nouveau possible de déterminer

économiquement trois zones de prix, en se référant à l'analyse présentée en section 2.

La zone inférieure, que nous appellerons zone 1 est délimitée supérieurement par le plus bas

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des prix d'équilibre dynamique défini ci-dessus : celui qui permettrait un financement rentable

dans les zones à plus bas coût de la totalité des augmentations de capacités nécessaires pour

faire face à l'augmentation de la consommation à ce prix, compte tenu de l'épuisement des

gisements existants. Il est relativement facile d'évaluer la limite supérieure de cette zone, qui

est donc le prix d'équilibre en situation de compétition entre les producteurs à bas coût et à

réserves importantes, donc les producteurs du coeur. En effet, compte tenu de l'importance

des réserves à bas coût des producteurs du coeur et du caractère relativement plat de la

courbe de coût de développement de ces réserves ce prix d'équilibre minimum dépend peu de

la courbe de demande Adelman (1986) l'évalue autour de 5 $/bl 45. Nous reprenons cette

estimation dans la Figure 3.

Remarquons que le fait que ce prix d'équilibre dynamique compétitif est d'un niveau inférieur

au plancher du prix de marché, défini pour les coûts évitables des gisements marginaux, est le

signe incontestable que l'industrie n'a pas fonctionné dans le passé de manière compétitive.

Si cela avait été le cas, le second devrait être nettement inférieur au premier.

Si les prix restaient durablement dans cette zone 1, les investissements seraient par

définition insuffisants. Une fois résorbée l'éventuelle surcapacité initiale, le choc pétrolier

deviendrait inévitable.

A l'autre extrême, la zone supérieure, notée zone 3 est délimitée inférieurement par le

maximum des prix d'équilibre admissibles par le coeur. Nous faisons en effet l'hypothèse que

les producteurs du coeur, même s'ils sont incapables, par manque d'information, de

maximiser leurs revenus ou s'ils ne souhaitent pas le faire pour des raisons politiques, ont

néanmoins des objectifs minimums en ce qui concerne leurs revenus. On peut, par exemple,

estimer que la stabilité de leur production et donc de leurs revenus est pour eux un objectif

minimum. Un prix plus élevé, qui conduirait à une réduction continue de la demande

résiduelle qui s'adresse à eux, déclencherait une réaction de leur part, sous la forme d'une

guerre des prix pour reconquérir des parts de marchés. D'autres objectifs du même type

peuvent leur être prêtés : le maintien non de leurs revenus, mais de leur part de marché, ce

qui ferait croître leurs revenus comme la demande mondiale de pétrole, ou encore : une part

constante du revenu mondial, etc.

Si la détermination de l'objectif de revenu minimum admissible relève à l'évidence d'une

analyse politique, les prix qui correspondent à chaque hypothèse d'objectif peuvent être

économiquement déterminés, pourvu que soit connue la courbe d'offre de capacité de la

frange et celle de la consommation mondiale. Certains modèles du marché pétrolier mondial

ont estimé cette limite, dans l'hypothèse de constance de la production de l'OPEP, aux

45 Cf. note 23.

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environs de 28 $/bl. L'OPEP dans son ensemble n'étant pas le coeur, le prix qui conduirait à

une constance de la production du coeur serait plus bas. Supposons-le égal à 25 $ 46.

La zone intermédiaire, notée 2 est une zone de prix d'équilibre dynamique du marché

pétrolier. Tous les prix de cette zone 2 sont des prix d'équilibre dynamique en ce sens qu'ils

permettent le financement des développements nécessaires pour faire face à l'augmentation

de la consommation à ce prix. Ce qui différencie ces développements, c'est leur répartition

géographique entre les producteurs du coeur, donc les zones à bas coût et ceux de la frange.

Au plancher de cette zone, seuls les développements chez les producteurs du coeur peuvent

être financés. Au plafond de cette zone, les producteurs du coeur se contentent d'entretenir

une capacité de production constante.

La signification de cette zone d'équilibre dynamique est donc la suivante. Aucune force

économique ne s'oppose à ce que les producteurs du coeur choisissent n'importe quel

niveau de prix au sein de cette zone, et le maintienne durablement.

Il suffit en effet pour cela :

1) Que, du point de vue des augmentations de capacité, ils se comportent collectivement

vis-à-vis de la frange comme le coeur d'un oligopole de Stackelberg : au niveau de prix

choisi, ils laissent la frange faire toutes les augmentations de capacité qui sont pour elle

rentables à ce prix et ils complètent de manière à faire face à l'augmentation prévisible de la

consommation et à conserver le volume nécessaire de capacité excédentaire indispensable à

la régulation conjoncturelle de l'offre.

2) Qu'ils utilisent, eux seuls ou en association avec certains producteurs de la frange, les

capacités poumons ainsi maintenues pour stabiliser effectivement le marché autour du

niveau choisi.

Ces deux conditions sont suffisantes mais elles sont également nécessaires. Leur nécessité

désigne, a contrario, les sources potentielles d'instabilité : i) un désaccord, implicite ou

explicite, entre producteurs du coeur sur le niveau de prix souhaitable au sein de la zone

46 Ainsi le DOE des Etats-Unis estimait en 1992 qu'avec un prix, restant constant de 1990 à 2000, de 15 $/bl, lademande adressée à l'OPEP augmenterait de 11,1 Mbj en 2000, et avec un prix de 25 $ de 3,4 Mbj. Le prix quiconduirait à une demande constante est donc supérieur à 25 $. Une simple règle de trois (grossièreapproximation) le situe à 28 $. De son côté, l'OPEP (Miramadi and Ismail, 1992) donne pour 21 $ uneaugmentation de 6,8 Mbj de la demande adressée à l'OPEP en l'an 2000 et pour 30 $ une réduction de 2,2 Mbj.Une règle de trois situerait donc à nouveau à 28 $ le prix conduisant à une demande constante. Mais il s'agit,dans ces estimations, de la demande adressée à l'OPEP. Pour en déduire celle adressée au coeur, c'est-à-direessentiellement les pays du Golfe, il faudrait connaître l'évolution de la production à ce prix de l'OPEP horscoeur, qui dans notre hypothèse fait partie de la frange. Si, à ce prix de 28 $, cette production devait croître, cequi est probable, alors le plafond serait plus bas. Nous l'avons supposé de 25 $. Cette estimation ne résulted'aucun calcul précis. On aura compris que ce papier a, avant tout, une ambition de clarification

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d'équilibre dynamique, ii) même en cas d'accord, une mauvaise coordination inter temporelle

des décisions d'investissement. Dans les deux cas, soit les capacités poumons disparaissent,

soit elles augmentent excessivement, ce qui peut faire éclater la cohésion au sein des

producteurs poumons. La régulation de court terme n'est alors plus possible. Il faut en

particulier souligner que, au sein de la zone 2 de prix d'équilibre dynamique, les producteurs

du coeur doivent (par définition du plafond de la zone) augmenter leurs capacités. Par

définition également, ils peuvent le faire, car dans cette zone ces investissements sont pour

eux rentables (il n'y a que dans la zone 1 qu'ils ne le seraient pas). Une forte tension sur les

prix résultant d'une insuffisance d'investissements peut donc en théorie toujours être évitée

si les prix se maintiennent dans la zone d'équilibre, mais à condition que les producteurs du

coeur fassent à temps les extensions de capacités requises.

Comme nous l'avons indiqué ci-dessus, la difficulté, pour les producteurs du coeur, c'est

d'estimer le plafond de la zone d'équilibre dynamique. Même s'ils disposaient d'estimations

précises des coûts de développement dans les différentes zones (du coeur et de la frange) et

de l'élasticité de long terme de la demande de pétrole au prix, resteraient les inconnues que

sont : i) la croissance économique mondiale, ii) d'éventuelles nouvelles découvertes

significatives dans la frange (ce qui, bien sûr, influencerait le rythme de développement des

capacités dans cette zone, donc, pour un prix donné, la demande résiduelle adressée aux

producteurs du coeur), iii) l'évolution des politiques, en particulier fiscales, des pays

consommateurs et des producteurs de la frange.

Quoi qu'il en soit, cette analyse permet de préciser l'articulation des facteurs économiques et

politiques dans l'évolution des prix du pétrole.

En effet la zone 2 définit :

• l'espace où des préférences politiques, au troisième sens défini ci-dessus, peuvent

s'exprimer. C'est-à-dire la poursuite par les producteurs du coeur d'objectifs qui ne sont

pas évaluables en termes monétaires, et qui relèvent la stabilité des gouvernements et de

la sécurité des États,

l'espace au sein duquel, même si tous les acteurs visent des objectifs économiques, mais que

l'impossibilité de connaître et même de probabiliser les États futurs du monde les empêchent

de "calculer" les moyens, les tests (le coeur fixe un niveau de prix et observe l'évolution de

la demande qui s'adresse à lui, pour éventuellement modifier ce niveau) ne sont, a priori, pas

déstabilisants et donc le processus d'apprentissage peut converger.

méthodologique.

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C'est uniquement dans la zone 2 que le prix du pétrole peut être politiquement influencé.

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Toute tentative de maintenir le prix dans les zones 1 et 3 provoque la mise en oeuvre de

forces économiques qui le feront inévitablement sortir de ces zones. En ce sens, le prix du

pétrole ne saurait échapper aux lois de l'économie de marché. Mais peut-on affirmer pour

autant, comme le font certains experts et hommes d'État, surtout depuis le contre-choc

pétrolier de 1986, que les facteurs politiques sont impuissants à écarter, autrement que

temporairement, les prix du pétrole d'un niveau économiquement déterminé par les seules

forces du marché. A notre avis, non. Les facteurs politiques, tels que nous les avons définis,

peuvent durablement influencer les prix du pétrole au sein de la zone 2.

Les préférences politiques du coeur et des Etats-Unis

Les préférences politiques, qui peuvent donc s'exprimer librement au sein de la zone 2, sont

d'abord celles des producteurs du coeur. Dans l'industrie extractive, ceux qui détiennent les

réserves à bas coût sont toujours, in fine, les maîtres du jeu. Mais ceux-ci peuvent

difficilement, dans le monde actuel, s'abstraire des préférences politiques des grands pays

importateurs de l'OCDE, et avant tout des Etats-Unis. Ils ne peuvent pas non plus ignorer

les contraintes financières qui pèsent sur certains producteurs de la frange, lourdement

endettés auprès des pays de l'OCDE. Ainsi, par exemple, s'il était prouvé qu'au sein de la

plage d'équilibre, c'est un prix d'environ 12 $/bl qui maximiserait les revenus actualisés des

producteurs du coeur, il est peu probable qu'ils auraient les moyens politiques de tenir ce prix

longtemps, alors qu'ils en ont les moyens économiques. Et ceci pour deux raisons : i) les

pressions politiques des autres producteurs de l'OPEP, dont malgré tout le coeur a besoin

pour partager avec lui la charge de la régulation à court terme du marché, ii) les pressions

politiques des Etats-Unis.

Les Etats-Unis sont, quant au prix "souhaitable" du pétrole (même si, bien évidemment, ils

se gardent d'employer cette formule) dans une position ambiguë, en raison de la présence en

leur sein de groupes d'intérêts opposés sur cette question. Des prix bas allègent la balance

commerciale et favorisent la croissance, mais pénalisent gravement l'industrie pétrolière

américaine (et plus généralement les producteurs américains d'énergie fossile) et conduisent

inévitablement à une dépendance pétrolière extérieure rapidement croissante. Des prix

élevés sont favorables à l'industrie énergétique américaine, à l'indépendance énergétique, et

sont désormais soutenus par nombre d'écologistes. On peut donc difficilement parler d'une

préférence des Etats-Unis pour un niveau de prix très précis. Il y a plutôt une certaine plage

d'indifférence au sein de laquelle la position du gouvernement se fixe en fonction du poids

relatif des groupes de pression et de sa perception du degré d'acuité et de priorité des

principaux problèmes qu'influencent le prix international du pétrole. Mais cette plage se

situe sans conteste au-dessus d'un seuil déterminé essentiellement par la question de la

dépendance extérieure et de la sécurité d'approvisionnement, donc un seuil politiquement

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déterminé47.

Ainsi, seuls les prix situés dans la partie supérieure de la zone 2, disons au-dessus de 15-16

$, sont à la fois des prix d'équilibre dynamique et des prix politiquement acceptables par les

principaux acteurs. Bien évidemment cette frontière est susceptible d'évoluer, notamment

en fonction de la perception par les Etats-Unis des problèmes de sécurité

d'approvisionnement, perception elle-même dépendante de la situation géopolitique

mondiale, de la situation politique régionale, du contenu et de la solidité de leur alliance avec

l'Arabie Saoudite, etc.

Ce schéma d'analyse peut être testé en vérifiant s'il autorise une interprétation cohérente de

l'essentiel des faits majeurs de l'histoire pétrolière depuis la fin des années 60.

5. Une interprétation des grandes fluctuations du prix du pétrole

depuis la fin des années 60

Les grandes fluctuations des prix du pétrole depuis la fin des années 60 peuvent à notre avis

s'interpréter ainsi (Figure 4).

Avant 1973, le prix se trouvait à la frontière basse de la zone 2. Dans le Golfe arabo-

persique, le prix en 1970 était de 1,20 $/bl. En utilisant comme déflateur l'indice du prix des

exportations de l'OCDE, cela équivaut à un prix de 3 $ en 1985, qui peut être comparé aux

coûts de développement des réserves de l'OPEP qu'Adelman48 a évalué pour la fin des années

70 (en $ 85). Le résultat est qu'il est supérieur à ce coût pour les pays du Golfe, mais

inférieur aux coûts du Venezuela, du Nigeria et du Mexique. La question est donc de savoir si

en 1973, avec un prix se maintenant autour de 1,2 $, les pays du Golfe auraient pu à eux

seuls continuer à satisfaire la croissance de la consommation qui, à l'époque, était de 7% par

an (monde non communiste)49. La réponse, en termes strictement économiques, est oui.

Leurs réserves et leurs coûts de production inférieurs aux prix le leur auraient permis. Mais

pour cela, il aurait fallu : i) que les compagnies internationales qui opéraient alors dans ces

47 Durant le premier choc pétrolier, en 1974, H. Kissinger avait explicitement fixé ce seuil, en indiquant quepour les Etats-Unis, le prix du pétrole "raisonnable" était de 7 $/bl, soit en $ de 1992 (Déflateur : indice de prixdes exportations de l'OCDE) : 17 $/bl... En réalité Kissinger parlait de 7 $ comme un "maximum", au-delàduquel les économies occidentales seraient selon lui "étranglées". Mais dans le contexte conflictuel del'époque "maximum" peut parfaitement se traduire par "satisfaisant".48 Adelman (1986) p. 17.49 Notons que pratiquement, c'est ce qu'ils avaient fait jusqu'alors. Entre 1963 et 1973, la consommation dumonde non communiste a augmenté de 23,5 Mbj, la consommation du monde non communiste hors Etats-Unisde 17,5 Mbj et la production au Moyen-Orient de 14 Mbj (passant de 7 à 21 Mbj). Ceci, compte tenu de ce queles Etats-Unis s'étaient, à l'époque, presqu'isolés du reste du monde en matière pétrolière, confirme unesituation quasi compétitive.

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pays y investissent massivement, ii) que les Etats-Unis se satisfassent de la déconnexion de

leur marché intérieur du marché mondial. Ces deux conditions ne furent pas remplies. Dès la

fin des années 60, et tout particulièrement depuis les révolutions algérienne et libyenne, les

compagnies internationales sont convaincues que le nationalisme des pays producteurs ne

pourra plus être indéfiniment contenu. Les risques de nationalisation deviennent réels, et

elles ne sont pas décidées à investir autant qu'il serait nécessaire dans les pays du coeur.

Quant aux Etats-Unis, ils sont décidés à sortir de leur isolement pétrolier50. Dans ces

conditions, le choc pétrolier était inévitable, comme on l'admet généralement aujourd'hui.

Mais pas à strictement parler pour des raisons économiques : les prix n'étaient pas vraiment

dans la zone 1 (ce qu'illustre la Figure 4), où le choc est économiquement inévitable, mais à

la frontière inférieure de la zone 2 : à ce niveau, la moindre restriction, d'origine politique,

des investissements dans le golfe devait provoquer une tension sur les prix.

De 1974 à 1979, le prix se trouvait aux limites supérieures de la zone 2. Il a en effet

engendré un développement vigoureux des capacités hors du coeur. Cette croissance, compte

tenu des délais de développement, a commencé à se concrétiser en fin de période, tandis que

des substitutions et économies d'énergie étaient mises en oeuvre. Les chocs pétroliers de

1979 et 1980 ont été provoqués par de subites augmentations des stocks désirés plus que par

une réelle saturation des capacités de production. Néanmoins on peut estimer que le coeur

n'a peut-être pas suffisamment développé ses capacités dans la période. Si le choc n'avait pas

eu lieu, et si la croissance mondiale s'était prolongée dans le début des années 80 au même

rythme, il est probable que les parts de marché du coeur, après avoir augmenté dans la

seconde moitié des années 70 en attendant que les capacités hors OPEP développées grâce

aux prix plus élevés viennent en production, se seraient ensuite stabilisées. C'est ce qui nous

fait dire qu'on était aux limites supérieures de la zone 2.

Le second choc pétrolier fait par contre nettement passer les prix dans la zone 3. D'autant

plus que le plancher de cette zone s'abaisse avec le déplacement de la courbe de

consommation dû au ralentissement de la demande mondiale51. La demande adressée au

coeur décline alors rapidement, ce qui provoque le contre-choc de 1986.

Si l'on met de côté l'épisode de la guerre du Golfe, où les prix ne subissent, en finde compte, qu'une violente fluctuation conjoncturelle, à quel niveau se sont-ilsstabilisés depuis l'été 1986 ? Incontestablement au sein de la zone d'équilibre

dynamique, dans le bas de la zone que nous avons définie ci-dessus commepolitiquement acceptable par les Etats-Unis.

50 Cf. note 28 ci-dessus.51 Dans la Fig. 4, nous n'avons pas fait varier le niveau plafond (qui détermine une demande constante adresséeau coeur) en fonction de la croissance mondiale. Pour le faire, il faudrait disposer d'évaluations fiables desélasticité de long terme : i) de la demande mondiale de pétrole au PIB mondial et au prix, ii) de l'offre de lafrange au prix, ce qui à notre connaissance n'est pas le cas.

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Figure 4. Prix du pétrole et zone d'équilibre dynamique(déflateur : ind. des exports de produits manufacturés de l'OCDE)

0,00

5,00

10,00

15,00

20,00

25,00

30,00

35,00

40,00

Zone 2 d'équilibre dynamique

Zone 1 : choc pétrolieréconomiquement inévitable

Zone 3 : instabilité dynamique car lademande adressée aux producteurs du

coeur décroît

prix du pétrole

plafond plancher économique

plancher de dépendance

Ainsi, depuis la fin des années 60, le marché du pétrole, après avoir échappé au contrôle

oligopolistique des majors, a connu d'amples fluctuations qui lui ont fait parcourir toutes les

zones de prix que nous avons définies. En conséquence, l'ensemble des acteurs a clairement

constaté, non pas quelles étaient les limites précises de la zone d'équilibre, car ces limites on

l'a dit, ne sont pas déterminables avec précision, mais qu'une telle zone existait bien. Le

coeur de l'OPEP, en particulier, a donc connu un processus d'apprentissage, qui lui a fait

tester l'existence d'un plafond de la zone d'équilibre dynamique.

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