quelle est l’étendue de la rhétorique selon hermogène ? dans les assemblées, les tribunaux et...

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Quelle est l’étendue de la rhétorique selon Hermogène ? Dans les assemblées, les tribunaux et … partout * RUI MIGUEL DUARTE Centro de Estudos Clássicos da FLUL [email protected] 1. Introduction Au prologue de son livre sur les divisions des questions politiques (connu davantage comme Περὶ στάσεων ou dans le titre latin De statibus), Hermogène écrit (St. I 1.1-5) : Πολλῶν ὄντων καὶ μεγάλων, ἃ τὴν ῥητορικὴν συνίστησι καὶ τέχνην ποιεῖ, καταληφθέντα τε ἐξ ἀρχῆς δηλαδὴ καὶ συγγυμνασθέντα τῷ χρόνῳ σαφῆ τε τὴν ὠφέλειαν παρεχόμενα τῷ βίῳ κἀν ταῖς βουλαῖς κἀν τοῖς δικαστηρίοις καὶ πανταχοῦ. « Nombreux et importants sont les éléments qui composent la rhétorique et qui en font un art, puisque ce sont des connaissances qu’on a un jour acquises, puis progressivement organisées et puisqu’ils ont dans la vie publique une utilité certaine tant dans les assemblées délibérantes que dans les tribunaux et que partout ». 1 Cette présentation réfléchit d’abord, en paraphrase, la définition com- mune de l’art depuis Zénon de Citium, passée à la tradition stoïcienne, selon laquelle un des traits qui constituent un art est précisément l’utilité : σύστημα ἐκ καταλήψεων συγγεγυμνασμένων πρός τι τέλος εὔχρηστον ἐν τῷ βίῳ « un système de conceptions acquises par l’exercice visant une fin utile dans la vie » 2 . Cette * Recebido em 03-02-2013; aceite para publicação em 22-04-2013. Nous sommes très reconnaissants à M. Michel PATILLON, ex-Directeur de Recherche à l’I.R.H.T. (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes) – institut appartenant au C.N.R.S. (Centre National de la Recherche Scientifique), de France, pour la révision du texte français, aussi bien de l’étude en lui-même que des traductions des textes grecs. 1 Pour Hermogène, nous renvoyons à l’édition critique de M. PATILLON, Corpus rhetoricum II, Paris, Belles Lettres, 2009. 2 Cf. VON ARNIM, SVF I 21 frg. 73, Sextus Emp. Adu. math. XI 182. cf. SVF II 30-31 frg. 93-97. EVPHROSYNE, 41, 2013

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Abstract: In the preface of his treatise Περὶ στάσεων, Hermogenes explicitly mentions the usefulness of the art (i.e. rhetoric) to deliberative and forensic issues (the first two species of rhetoric speech), and also πανταχοῦ (in every occasion). In Hermogenes’ view what does πανταχοῦ exactly means? That is the problem. Hermogenes’ scholiasts were not indifferent to it and they discussed it. Would it refer to the third species (the panegyric or epidictic), as one would logically presume? If that is so, the panegyric has a larger spectrum of speech situations. This interpretation has been put under fire: this could be interpreted otherwise, Hermogenes was not addressing the panegyric at all. The various interpretations on the matter shall then be brought to light, confronting them one with the others and with Hermogenes’ own words.Key Words: Hermogenes’ Περὶ στάσεων ; panegyric; « in every occasion ».

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  • Quelle est ltendue de la rhtorique selon Hermogne ?

    Dans les assembles, les tribunauxet partout *

    Rui Miguel DuaRteCentro de Estudos Clssicos da FLUL

    [email protected]

    1. Introduction

    Au prologue de son livre sur les divisions des questions politiques (connu davantage comme ou dans le titre latin De statibus), Hermogne crit (St. I 1.1-5) :

    , , .

    Nombreux et importants sont les lments qui composent la rhtorique et qui en font un art, puisque ce sont des connaissances quon a un jour acquises, puis progressivement organises et puisquils ont dans la vie publique une utilit certaine tant dans les assembles dlibrantes que dans les tribunaux et que partout .1

    Cette prsentation rflchit dabord, en paraphrase, la dfinition com-mune de lart depuis Znon de Citium, passe la tradition stocienne, selon laquelle un des traits qui constituent un art est prcisment lutilit : un systme de conceptions acquises par lexercice visant une fin utile dans la vie 2. Cette

    * Recebido em 03-02-2013; aceite para publicao em 22-04-2013. Nous sommes trs reconnaissants M. Michel Patillon, ex-Directeur de Recherche

    lI.R.H.T. (Institut de Recherche et dHistoire des Textes) institut appartenant au C.N.R.S. (Centre National de la Recherche Scientifique), de France, pour la rvision du texte franais, aussi bien de ltude en lui-mme que des traductions des textes grecs.

    1 Pour Hermogne, nous renvoyons ldition critique de M. Patillon, Corpus rhetoricum II, Paris, Belles Lettres, 2009.

    2 Cf. Von aRniM, SVF I 21 frg. 73, Sextus Emp. Adu. math. XI 182. cf. SVF II 30-31 frg. 93-97.

    EVPHROSYNE, 41, 2013

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    utilit se voit dans plusieurs circonstances : dans les assembles, les tribu-naux et partout.

    On peut discerner l une allusion la trinit des genres rhtoriques. Le systme trinitaire tait devenu canonique, peut-on dire, et la tradition de lart set trouve pour toujours marque dune telle empreinte. Cest Aristote (Rh. I 3 1358a-b) qui a tabli les trois genres, classifi leurs buts, les diff-rentes situations communicationnelles o chacun pouvait tre utilis, les types dauditeurs et de spectateurs dont ils relevaient.

    Les deux premiers genres ont une application bien prcise, quHermo-gne na pas laiss de rappeler (St. I 1.4-5). La rfrence aux assembles () renvoi au genre (dlibratif); celle aux tribunaux () renvoie au judiciaire (juridique). Hermogne dit que lart rhtorique peut tre utile partout . Peut-il y avoir l une rf-rence, indfinie, au troisime genre ? En effet, le troisime genre est un cas diffrent, ses limites sont plus floues.

    On peut bien le voir par les dsignations quon lui a donnes dans les traditions rhtoriques grecques : appel chez Aristote, la tradition rhtorique lui a attribu dautres appellations : ou . Les tches du genre sont lloge, ou la louange, en grec 3 et , et le contraire, , le blme4.

    Dautre part, et voici le sens vident des mots hermogniens, le genre pidictique est appropri pour plusieurs circonstances et situations commu- nicationnelles. Chacune de ces situations entrane la constitution dune espce distincte. Le rhteur Mnandre ( ) en nomme quelques-unes. Il y a le , le discours dambassadeur (423.6-424.2); le , couronnement, (422.5-423.5), le , lexhortation nuptiale (405.14-412.2), et l (418.5-422.4), discours funbre5. Mnandre traite aussi dune autre espce de discours de noces, l, lpithalame (399.11-405.13), proche du et cependant une espce diffrente : dans celui-l, on prenait le bien du mariage comme un acquis en lui-mme, mais il fallait en dmontrer les bnfices, travers une thse ; le se situait un moment postrieur des noces, tant une

    3 Sur l cf. Mnandre le rhteur D. A. Russell et N. G. Wilson (d.), Menander Rhetor, Oxford, Clarendon Press, 1981, 368.4 Sp. ; M. HeatH, Menander : a Rhetor in Context, Oxford, Oxford University Press, 2004 ; Nikolaos de Myra, loc. cit., 37.8-9,11, Anonyme, Com-mentaires au dHermogne R14 185.16-17, Introduction la rhtorique dHermo-gne, ib., 293.21.

    4 Le cycle scolaire des exercices prparatoire (), qui prcdait dans leparcours scolaire lcole du rhteur, comprenait, entre autres exercices, l et le (un seul exercice double versant chez Alius Thon dAlexandrie, cf. Aelius Thon. Progymnasmata, d. et traduction par M. Patillon et giancaRlo Bolognesi, Paris, Les Belles Lettres, 1997). Chez le Pseudo-Hermogne aussi, mais Aphthonios les sparait en deux exercices (cf. Corpus rhetori-cum I, d. et traduction par M. Patillon, Paris, Les Belles Lettres, respectivement pp. 194-198 ; 131-140). Nikolaos de Myra (, d. par J. Felten, Leipzig, 1913, 47.4-58.18; voir la traduction par geoRge a. KenneDy, Progymnasmata. Greek Textbooks os Prose Composition and Rhetoric, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2003, pp. 154-162) les groupe aussi.

    5 Un des discours funbres les plus clbres lgus par lAntiquit est lpitaphe dePricls (cf. Thucydide 2.35-46).

  • QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 209

    ( une exhortation engager les rapports sexuels )6. Sopatros, commentateur dHermogne, parle en outre dun (W5 23.10-11), un discours pour un dpart en voyage, qui se prononce prs dun port7.

    On ne peut quapercevoir quelles pourraient tre les possibilits et de quelle ampleur pourraient tre les occasions propices prononcer un discours pidictique. Toutes ces situations ont en commun le caractre solennel. Le de la formulation hermognienne rend-il compte de cette versatilit du troisime genre ? Hermogne lui-mme enseigne ailleurs quon peut recourir aux encomiastiques qui conviennent, soit dans lexamen des types de personnes (St. I 7.1-3), lors de lexamen des points capi-taux () du vouloir et du pouvoir dans ltat de cause de la conjecture(III 7.1-3; III 8.1 sqq.), et dans le point de la qualit, qui se tire aussi de lexamen de la personne, dans ltat de cause de la dfinition (IV 12.4 sq.). Donc, le troisime genre nest pas utile strictement pour la seule production de discours dloge ou de blme.

    Tout cela na pas laiss les commentateurs indiffrents. Et des dbats critiques staient engags ce sujet, du fait de limprcision du terme . La formulation du rhteur est triple : la rhtorique se pratique et est utile pour la vie, dans les tribunaux, les assembles et partout . Luni-versalit de la rhtorique serait-elle accomplie par le troisime genre ? Il fautavouer quil serait tentant de le penser. Cela parat vident, du fait de la rhtorique en tant quune trinit, et forcment tout prolgomne la rhto-rique devait sy reporter8. QuAristote ait t linaugurateur et lesprit tut-laire de la division en trinit, voil qui tait, dirait-on, incontournable. Toute-fois, cela nest pas sr. Dans cette tude on passera en revue les hypothses avances ce sujet par les exgtes, sans oublier de les confronter avec les

    6 Voir ce sujet RutH WeBB, Praise and Persuasion : Argumentation and Audience in Epideictic Oratory , in Elizabeth Jeffreys (ed.), Rhetoric in Byzantium : Papers from the Thirty-Fifth Spring Symposium of Byzantine Studies, Society for the Promotion of Byzantine Studies Ashgate, 2003, pp. 127-136, spcialement pp. 129-130.

    7 Le texte de Sopatros nous a t transmis travers deux traditions : la directe, repr-sente par le Marcianus Graecus 433 (Mr), dont le texte a t dit par C. Walz, Rhetores Graeci vol. V (W5), p. 211 ; et iindirecte, transmise par le Parisinus Graecus 2923 (Py), texte dit par C. Walz, Rhetores Graeci vol. IV (W4), pp. 39-846, o on rencontre des commentaires quon peut attribuer Sopatros, amnags et mlangs avec dautres de Syrianus et de Marcellinus, et avec encore dautres de provenance incertaine. La collation entre les deux traditions permet de voir que le commentateur qui a compos Py cite abondamment, soit littralement soit en paraphrase, le Sopatros qui se lit dans Mr (et W5). Il nous faudrait un nouveau texte critique de ces importants commentaires, mais ce travail devra se fonder sur la collation pas pas des deux traditions. W5, parfois, corrige le texte partir de W4, ou de ldition aldine, mais son travail est quand mme fautif sur plusieurs points. Par exemple, des textes parallles dans les deux ditions (W4 et W5) ont des ponctuations diffrentes.

    8 Cf. par exemple, le prambule anonyme dit par M. Patillon, op. cit., 15.6-8 p. 35. Cependant, comme Patillon rappelle (loc. cit., n. 79), un systme plus ancien ne distinguait que deux genres, le dlibratif et judiciaire, et des espces, parmi lesquelles lloge et le blme. Cf. le tmoignage de Quintilien 3.4.11 propos dIsocrate, le dbut original de la Rhet. Al., tel quon peut la reconstituer (voir Rhtorique Alexandre, dition et traduction par P. cHiRon, Paris, Les Belles Lettres, 2002, pp. LXXXIX ss.). Platon, Soph. 222 galement ne connat que deux divi-sions, lart du discours judiciaire et celui de la harangue devant le peuple.

  • 210 RUI MIGUEL DUARTE

    mots mmes dHermogne, qui peuvent fournit en quelque sorte les cls interprtatives dont on a besoin. Quaurait donc Hermogne vraiment voulu dire par l ?

    2. Que signifie ?

    Donnons la parole aux commentateurs. Nous le ferons par ordre chro-nologique.

    Certains anciens commentateurs ont jug quHermogne aurait voulu parler du troisime genre. Sopatros fait tat de ces avis (W5 9.29-31) : voudrait dire le pangyrique, car, jugent-ils, il y a plusieurs lieux et occasions pour le pangyrique. Plus bas Sopatros prcise (W5 23.8-14) : ceux qui pensent ainsi allguent quil y a beaucoup de lieux et de temps du pan-gyrique, qui est utile en toutes occasions, par exemple, une oraison pour un dpart en voyage prs dun port, un pithalame chez soi et une pitaphe prs dun tombeau.

    Sopatros, scoliaste dHermogne et sophiste de la 2e moiti du IVe sicle9, se heurte ces exgtes. Ils auraient par l, dit le scoliaste, rfut la dfense que Porphyre avait faite de la dfinition de rhtorique selon Minucianus (W5 9.14-22). Celui-ci disait que lorateur parlera de toute question politique 10. Or, Minucianus na pas expliqu ce quest un orateur, ni ce quest lart oratoire, ni na parl de la totalit de lart, mais uniquement dune partie, celle des genres judiciaire et dlibratif. Ce que Porphyre dit de Minucianus, entend Sopatros, convient aussi expli-quer le propos dHermogne.

    Dans la suite (W5 9.23-14.18) Sopatros discute les arguments des deux cts. Le scoliaste donne des exemples de passages de Dmosthne et Eschine, et encore de lHistoire prtrite des Athniens o lon rencontre lloge dans des discours relevant des autre genres (comme le Sur la cou-ronne) ; en outre, il sengage parfois dans des raisonnements de nature philo-sophique (par exemple, sur les rapports entre le genre et les espces). Si longue que cette discussion soit, on nen citera que quelques extrais pouvant rendre le plus clairs possible les arguments qui sopposent. Dabord il expose les objections vis--vis les arguments de Porphyre (W5 9.23-11.29)11.

    , , . , , . ,

    9 Cf. pour une notice G. A. KenneDy, Greek Rhetoric, pp. 104-109, et S. glcKneR, Sopa-tros (10) , RE, IIIA/1, 1927, col. 1002-1006.

    10 Cf. ce sujet M. HeatH, Porphyrys rhetoric , F1a pp. 149 ss ; et Porphyrys Rhetoric :Texts and Translation , pp. 4 et 2 = 415F Smith) ; la dfense de Minucianus (cf. Marcellinus frg. F1b Heath = 415bF Smith = R14 293.14-26 Porphyre = W4 35.20-32 ; frg. F1c Heath = 415aF Smith = Athanase R14 181.13-15. discute par la suite (W5 9.23-14.18).

    11 Nous avons amnag la ponctuation du texte, et bien aussi introduit des corrections au texte.

  • QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 211

    , 12 . 13 . , [] , ; , , . , , ; [] , . , . , , , , . , , .

    Telle est cette dfense. Voyons si elle se tient bien, et prsentons des argu-ments dans les deux sens, ceux qui soutiennent cette dfense et ceux qui la rfutent. Les uns la rfutent par esprit querelleur avec des arguments tels que ceux-ci : il traite de la totalit de la rhtorique et que laffirmation de Porphyre nest pas vraie. Premirement, en effet, lauteur lui-mme dit : tant dans les assembles dlibrantes que dans les tribunaux et que partout. Or, partout veut dire le pangyrique, car, disent-ils, il y a plusieurs lieux et occasions pour le pangyrique. Plus loin, il revient sur ce sujet et dit : il faut employer dans lordre les lieux de lloge qui leur conviennent, de sorte que lAuteur lui-mme reconnat que le pangyrique est inclus dans ces deux genres. On peut le dmontrer non seulement partir de ces lieux, mais aussi de la nature mme des choses [] Comment donc le pangyrique nest-il pas compris dans ces parties, ds lors quune question toute entire contienne lloge ou le blme ? Comment le pangyrique ny est-il pas compris, quand nous connaissons une rgle gnrale : toute chose et tout art qui partagent avec une autre chose le mme propos et la mme fin, appartiennent cette chose dont ils partagent le but et le propos. Si donc le but du pangyrique est de louer et blmer, et si blmer et louer font partie du dlibratif et du judiciaire, comment le pan-gyrique nen ferait-il pas partie ? [] Disons donc que le pangyrique a desdiffrences par rapport au juridique et au dlibratif, pour autant il na vrai-ment aucune diffrence par rapport la rhtorique. Ayant donc intitul son uvre Art rhtorique, il a trait aussi de cette matire. Car sil lavait intitul Art du discours judiciaire et du dlibratif, il aurait trait bon droit des parties de la rhtorique. Mais lannonce du propos nomme et englobe la tota-lit de lart. Et si on lui accorde quil avait tout pouvoir de ne pas lenglober, cette omission mme est une faute, ds lors que la fin promise tait dcrire un trait sur le genre, et quil na crit, ce quils disent eux-mmes, que sur les espces et non sur la totalit du genre. En effet, le titre est Art rhtorique et la rhtorique comprend les trois espces, de sorte quil tait oblig de parler de lensemble. [] Et voil ce qui concerne la rfutation du raisonnement de Porphyre.

    12 : cod. Quand la source des corrections nest pas signale, les conjectures sont les ntres.

    13 Herm. op. cit. I 7.2-3.

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    Puis (W5 11.30-14.18) Sopatros rfute ces objections et donne raison Porphyre :

    14 15 . 16 , , . 17 18 , . [] , . , , , , . [] . , , - ; . , , , . [] , , 19. [] , , ; , , . , , , 20 . 21 , 22 , [] .

    Mais si on veut lui donner raison et contrer ces attaques, rfutons-les et abor-dons chacune delles de la faon suivante. Quand il dit, comme il le fait, tant dans les assembles dlibrantes que dans les tribunaux et que partout cela a une autre interprtation, dont nous parlerons dans notre commentaire23, et cela ne dsigne pas le pangyrique. En revanche, dire il faut employer dans lordre les lieux de lloge qui leur conviennent, cela montre que le pangy-rique nest pas inclus dans son but. [] Quand il dit de les employer au besoin, il nest pas ds lors en train de les enseigner. Quant largument que la nature des actes tablit que le pangyrique est inclus [] nous dirons ceci : toute chose incluse dans une autre perd sa nature et devient cette chose quelle rejoint et qui linclut. [] Mais on peut dire la mme chose du pangyrique. Quand on

    14 ego: cod.15 ego: cod.16 ego: cod.17 W5: cod.18 ego: cod.19 ego: cod.20 Mnandre rht. De epideiktiko 423.6-424.2 : cod.21 ego: cod.22 om. cod.23 W5 23.6-24.5.

  • QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 213

    lemploie lappui du dlibratif et du judiciaire, il devient ce en quoi il est inclus et cesse dtre pangyrique : comment serait-il encore pangyrique sans garder le but du pangyrique ? Ce but inclut lamplification des bienfaits recon-nus24. Si lon admet que les procs et les dlibrations servent tablir des faits controverss, mme si le pangyrique sy trouve examin des milliers de fois, aussi longtemps quil nest pas examin selon son but, il nest plus du pan-gyrique. [] Quant leur argument que les espces sont la mme chose que le genre, et que celui qui traite le genre doit traiter galement les espces, il nest pas correct : elles sont la mme chose par le genre, non par la diffrence. Quand on traite une chose toute seule on na absolument pas besoin de traiter la totalit des choses ; [] Cest cause de cela que la rhtorique est divise en trois parties, parce que ses espces sont diffrentes entre elles : comment donc le pangyrique pourrait-il tre la mme chose que le judiciaire et le dlibratif, sil est une des espces de la rhtorique ? Ds lors quil est une espce, il nest plus la mme chose, mais il a une diffrence par rapport aux autres espces. Et il nest pas la mme chose, parce que le pangyrique a pour espces non seulement lloge et le blme, mais aussi plusieurs autres, les discours dambas-sadeur, de couronnement , lexhortation nuptiale, lloge funbre, etc. La troisime partie nest donc pas la plus dmunie et cela mme entre dans les autres, selon sa propre nature, ne reprsente pas le pangyrique. Car ce nest pas la partie qui comprend le tout, mais le tout qui comprend la partie. [] On est donc daccord que largument de Porphyre est fort.

    Le scoliaste est ferme : linterprtation de Porphyre tient ; nest pas le pangyrique ; et mme quand on fait usage des ressources de ce genre dans des discours relevant des deux autres, elles cessent dtre pangyriques et deviennent une autre chose.

    Plus bas Sopatros revient sur la question (W5 23.8-32) ; dabord, sur lavis de ceux qui disent que le pangyrique est impliqu dans , parce que celui-ci a plusieurs lieux et temps (W5 23.8-10 lemme I 1.3-5 ). Pour lui, en revanche, le terme a une plus largetendue. Et il explicite (W5 23.27-29) : ainsi que pour et (I 1.1), le terme na dautre propos que de faire la louange de larhtorique, et de souligner, par rapport la dernire partie de la dfinition traditionnelle de lart ( cf. St. I 1.4 ), que son champs dapplication est universel et ne se restreint nullement ces deux seuls lieux et occasions, cest--dire, aux assembles et aux tribu-naux. Il ny a donc pas aucun rapport avec le pangyrique.

    Le Sopatros de la tradition indirecte (W4 52.25-30 lemme I 1.1-7 ) reporte aussi que certains pre-naient comme une rfrence au dlibratif et au judiciaire ( , ).

    24 Voir W5 16.22-23. Dorigine inconnue, cette dfinition est traditionnelle : sur le cf. Nicolas de Myra, Progymnasmata 37.8-9,11 Prolgomnes anonymes Hermo-gne, W6 14-16, Prolgomnes au dHermogne (du cod. Par. 3032) R14 230.3-4, Prolgomnes anonymes au dHermogne, ib., 246.13-15, Commentaires la rhto-rique dHermogne ib. 293.11-13, Jean Doxapatre, Prolgomnes au dHermogne, ib., 312.22-24 ; sur l cf. Mnandre le rhteur ed. D. a. Russell et n. g. Wilson 368.4, Nikolaos de Myra, loc. cit., 37.8-9,11, Anonyme, Commentaires au dHermogne R14 185.16-17, Introduction la rhtorique dHermogne, ib., 293.21.

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    En effet, , on peut faire des dmonstrations non seulement dans les assembles ou dans seuls tribunaux, mais aussi partout .

    galement Syrianus (R2 9.24-10.8 lemme I 1.3-5 = W4 45.7-46.2), au sicle suivant25, lui aussi commentateur dHermogne, voit plus au-del. On peut concevoir le pangyrique en deux sens. Dabord, on dit pangyrique au lieu dune autre chose, par exemple, dhymnes aux dieux, de louanges dhommes vivants ou dcds, dexhortations, de chants funbres, de rpr-hensions pour immoralits et dloges de la vertu. Dautre part, il peut tre combin avec les autres genres, le judiciaire ou le dlibratif26.

    Dans la suite (R2 10.8-15 = W4 46.2-10), le commentateur soccupe pro-prement de . A son avis, le terme concerne les trois genres rhto-riques, aussi bien dans les occasions publiques dans les assembles et les tribunaux, et aussi au thtre , que dans les prives , dans le priv, des pres aux fils, des matres aux disciples, des amis ses compagnons, on met en lumire la conduite suivre, on loue la bonne conduite et on dcide pour le mieux de ce qui est juste . Cela dit, le ne renvoie srement pas strictement au troisime genre, dont il ne parle pas, mais le dpasse. Cela signifie que la rhtorique peut tre utile dans tous les domaines et pour toutes les affaires de la vie sociale. Il faut conclure : les genres dlibratif et judiciaire dpassent les troites frontires des assembles et des tribunaux pour simpliquer au sein des rapports humains les plus intimes. En effet, que cest que conseiller une telle ou telle conduite, sinon le but du dlibratif ; ou que cest que louer les bonnes actions, sinon pratiquer le pangyrique ;

    25 Cf. G. A. KenneDy, op. cit, p. 109-112. Ldition des commentaires de Syrianus Hermo-gne, , est celle de H. RaBe, Rhetores Graeci vol. II, Leipzig, Teubner, 1893 (R2).

    26 Les exemples donns sont Sur la couronne de Dmosthne (de lan 337 av. J.-C.), pour le discours dlibratif, et le Pangyrique dIsocrate (380 av. J.-C.), de discours judiciaire. MaisSyrianus a srement tort. Le texte parallle, dit le contraire, avec raison : le premier est judi-ciaire, ce dernier dlibratif. Le premier a t plaid comme dfense contre un procs juri-dique ouvert que lui avait t ouvert par Eschine. Il vaut nanmoins la peine rapporter ce que dit lAnonyme P des combinaisons de diffrents genres rhtoriques dans le mme et seuldiscours, notamment le Sur la couronne (1.23.1-5 daprs les texte critique de R. M. O. DuaRte, Comentrios au tratado sobre os estados de causa por autor annimo, Aveiro, Universidade de Aveiro, 2006 = W7 116.5-10, lemme St. I 3.5) : , , . , , , , , . Quand le discours est complexe, on peut tout y ren-contrer, comme dans Sur la couronne. En effet, dans ce discours on rencontre les trois espcesrhtoriques. Le but envisag par lui est la justice, qui est du judicaire propre, mais il est confirm grce au pangyrique, son tat de cause est le pragmatique, qui appartient proprement au lieu de lopportun, celui-ci tant le but que le dlibratif vise. Le commentaire de lAnonyme ne veut pourtant pas dire que le Sur la couronne puisse tre pris pour un discours dlibratif, tant donn les circonstances o il a t prononc ; il doit tre compris comme un loge ce discours, si parfait qui comprend en lui-mme des caractristiques des trois genres. Le Pangy-rique dIsocrate, son tour, en dpit de son nom, est surtout et sans aucun doute une harangue, prononc devant les pangyries (assembles solennelles) dAthnes ; son but tait de conseiller (le but propre du dlibratif) les Athniens et les Grecs mettre fin leurs dissensions et se rassembler contre le danger perse.

  • QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 215

    ou do vient quon juge, quon prononce un avis sur ce qui est ou non juste, sinon de ce que les juges font dans les tribunaux ?

    Un autre commentateur que notre rhteur, vivant au mme sicle de Syrianus, Marcellinus (W4 57.9-58.27 lemme I 1.4-5)27, pense le contraire.Il fait dabord tat de lavis dautres, qui jugent quHermogne ne parle pas du pangyrique. Cest un avis quil contre, affirmant (W4 58.3-5) quil ny a rien dabsurde ce que se rapporte au pangyrique. Le techno-graphe, pense-t-il (W4 58.9-12), na pas utilis le mot pangyrique, car sil lavait fait, il aurait montr le nom seul. Que signifie le pangyri-que se voit du fait que celui-ci se combine avec dautres genres cela en opposition ce que jugeait Sopatros, quune espce, quand elle se combine avec dautres, y est absorbe. Hermogne dit pangyrique pour montrer sa qualit (W4 58. 11-12). Et il explique (W4 58.12-27)

    , , , . [], , , , . , . , .

    En effet, avec partout cest le pangyrique qui est appel, non seulement parce quil est nomm en son propre nom dans de plusieurs lieux, mais parce que le judiciaire mme et le dlibratif se forment du pangyrique. En effet, il y faut que les accusateurs dnigrent et pareillement que les conseillers louent ou blment. Si quelquun dit quon rencontre un dlibratif dans le pangyrique aussi [], alors si, dit-il, la raison pour laquelle partout dsigne le pangy-rique, cest quil se combine aux autres espces, il aurait d, tant donn que le dlibratif se mle aussi au pangyrique, employer pour le dsigner le mot partout. Nous dirons donc que si on spare le dlibratif du pangyrique, il reste encore le pangyrique. En revanche, si on spare le pangyrique du judi-ciaire et du dlibratif, on nest plus en conditions de se servir de ces deux espces.

    Luniversalit de la rhtorique saccomplit donc au moyen du pangy-rique, celui-ci est le genre de base de ldifice du discours rhtorique. Sans son concours rien ne subsiste, mais il peut subsister tout seul.

    Les scolies anonymes P28 interprtent aussi comme rfrence au pangyrique 1.11.1-23 = W7 108.20-109.24 (lemme I 1.4-5). Le commen-

    27 Pour une notice cf. G. A. KenneDy, op. cit, pp. 112-115.28 La dsignation P, valant pour une famille de scolies, compos de Pa (Parisinus Graecus

    1983) et Pc (Parisinus Graecus 2977), est due H. RaBe, Rhetoren Corpora , RhM, 67, 1912, p. 323. De Pa nous avons plusieurs descendants ; en revanche, de Pc on nen connat aucun. Pour une dition critique partielle de ces scolies, correspondant W7 (cH. Walz, Rhetores Graeci,vol. VII, pp. 104-245) cf. la thse R. M. DuaRte, op. cit. Pour une mise jour de la connais-sance des rapports entre les manuscrits et la proposition dun stemma codicum, cf. idem, The transmission of the text of the P scholia to Hermogenes , RHT, n. s. vol. V, 2010,

  • 216 RUI MIGUEL DUARTE

    taire traverse, comme celui de Sopatros, les voies de la philosophie. Par exemple, son avis les mots dHermogne concernent forcment les trois genres, et le scoliaste voit comme raison quils relvent des trois parties de lme, selon le modle de la psychologie platonicienne, exprim dans de Phaedrus (le mythe du cocher) et dans Rep. 439d-e et 440e-441b. En effet, on doit aussi Platon la formulation dun art oratoire reposant sur la psycho- logie, notamment cause de ladquation des moyens de persuasion chaque type psychologique particulier (Phaedrus 271a-272b), ce qui a influenc toute la thorie rhtorique des affectus depuis Aristote (Rh. livre 2). LAnonyme crit :

    , . , , . , . . , , , , , . . . [] , . . , , , [] , , . , .

    Par ces termes le technographe montre que les espces de rhtorique sont trois, limitation des trois facults de lme. Je dis la rationnelle, lirascible et la concupiscente. De cette manire, lespce dlibrative relve de la ration-nelle, la judiciaire de lirascible et la pangyrique de la concupiscente. Si en effet toutes les espces se font prsentes dans toutes ces facults, chaque espce convient mieux, au moins, la partie de lme laquelle elle est particu-lirement attache. Quand il dit tant dans les assembles, il prsente lespce dlibrative ; et quand il dit que dans les tribunaux, il prsente la judiciaire ; enfin, par lexpression et que partout , il fait rfrence la pangyrique, car cette espce de discours se rpand partout. Cela est vident par les buts mmes. En effet, le but de la pangyrique est ce qui est noble, qui apparat en mme temps que les buts des autres espces, savoir: lopportun, qui est le but de la dlibrative, et le juste, le but de la judiciaire. On dit que lopportun et le juste sont nobles. Mais on ne peut pas dire que le noble soit du tout opportun, ni mme juste. [] Certains disent que lespce pangyrique ne se montre pas au moyen de lexpression et que partout, parce que le propos du rhteur est les tats de cause et que dans le discours pangyrique aucune cause nest en

    pp. 25-42. P au IXe sicle (cf. le stemma M. Patillon, Corpus rhetoricum II, p. LXXXVI) continueet enrichit le travail de compilation et amalgame de sources, qui, pour lessentiel, avait t fait avant la fin du VIe (cf. idem, Corpus rhetoricum I, p. LXVI, et Anonyme de Sguier : Art dudiscours politique, Paris, Les Belles Lettres, 2005, p. XVII ss ; et R14, p. XXII). Patillon dsigne ce travail, par un compilateur anonyme, comme .

  • QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 217

    dbat. Pourtant, en premier lieu, lexpression et que partout serait apparem-ment superflue. Deuximement, les tats de cause ne sont pas toujours absents de lespce pangyrique, mais il arrive quelle discute aussi une cause, comme dans le discours pangyrique politique [] De cette manire, pour mettre en relief lespce pangyrique, il crit et que partout, parce que nous dlibrons dans les assembles, que nous jugeons dans les tribunaux et que nous dcla-mons des pangyriques partout.

    Les deux premiers genres sont contenus dans le troisime loppor-tun et le juste sont nobles ; mais celui-ci nest pas contenu dans les autres tout noble nest pas forcment opportun ou juste, il est plus que ceux-ci. Et de nouveau aux deux premiers genres rhtoriques sont attribues des circonstances prcises, tandis que le troisime gagne la prminence, cest lui le genre rhtorique vraiment universel.

    Le dernier commentateur, notre connaissance, avoir abord cette question tait Maxime Planude (W5 235.6-13 lemme I 1.5 ), au XIIIe sicle. Ce commentateur est du mme avis de Marcellinus : est le pangyrique. Mais cela permet deux interprtations : lune, parce quon peut prononcer un loge soit dans les deux autres types de discours, soit partout ; lautre, que le rhteur emploie ce terme la place de tous autres types darts verbaux, tels que le potique ou le dialectique. Comme chez Syrianus, cet emploi est admis par synecdoque. Quoi quil en soit, on ne plaide ni on ne dlibre partout, mais ou peut louer partout. Luniversalit de la rhtorique est atteinte grce au pangyrique.

    3. Le troisieme genre : un genre a part

    Lintelligence des intentions dHermogne est, comme on a vu, varie. Nanmoins, elle ne peut pas se passer dun retour au dbut, dun examen du propos et du programme du rhteur.

    Voyons donc (I 2) :

    , .

    Je ne parle pas de la division des genres en espces ni de celle des touts en parties ; sans doute cela nest pas une petite partie de la rhtorique ; toutefois notre propos pour linstant ne sera pas celui-l, mais la division des questions politique en ce quon appelle les points.

    A lpoque dHermogne on connaissait trois genres (dlibratif, judi-ciaire et pidictique ou pangyrique). Chacun de ces genres se divisait en deux espces, respectivement, lexhortation et la dissuasion, laccusation et la dfense, lloge et le blme. Les discours produits partir de chaque espce taient leur tour des touts, chacun deux pouvant avoir des parties, en plus ou en moins grand nombre en fonction de chaque cole et thoricien29.

    29 Cf. ib., p. 84 n. 2.

  • 218 RUI MIGUEL DUARTE

    Il parat invitable de rappeler la dfense par Porphyre de la dfinition de la rhtorique de Minucianus, laquelle Sopatros juge pouvoir sappliquer aussi bien au propos de notre rhteur : il ne parle pas de la totalit du systmerhtorique, mais dune partie prcise de lart30.

    Quest quun question politique ? Le savoir est essen-tiel pour saisir quelle est lampleur du propos du technographe. Hermogne le dfinit ainsi (I 3.1-5) :

    , ,

    Et dabord il faut dire ce quest une question politique : cest une contesta-tion en paroles et particulire fonde sur les lois tablies dans chaque pays et portant sur ce qui est tenu pour le juste, sur le beau ou lopportun, soit sur tous la fois, soit sur les tels ou tels.

    LAnonyme P lexplique ainsi (An. P 1.17.6-7 = W7 112.23-113.1 lemme I 2.4-5) : Il appelle question politique ltat de cause : politique, parce que le point en dispute a en vue la situation de la vie poli-tique . Donc, les affaires politiques sont celles de la , de la vie de la cit31.

    La formulation hermognienne permet au pralable deux constatations. Dabord, cette liaison intime entre une certaine conception de la rhtorique et les questions politiques pourrait tre rapproche bien videmment dela dfinition quen donnait lcole dHermagoras le Jeune (rapporte par Sopatros W5 15.16-18 : les disciples dHermagoras disent quelle est la comptence de bien parler propos des questions politiques 32. Ceci montre quHermogne aurait pu peut-tre se laisser influencer par Hermagoras, ou au moins par une tradition commune aux deux. La deuxime hypothse, qui serait plutt la vraie, aurait pu remonter Hermagoras lAncien, puisque des tmoins de ce Hermagoras reportent la formulation (cf. Sextus Empiricus, Adu. math. II 62 [p. 96.9-11 MutscHMann-Mau, Hermag. Mai T 1233]), qui dclare que la tche de lorateur est de traiter dune manire aussi persuasive que possible la question politique pose .

    En outre, la formulation hermognienne touche la rhtorique mme et son rle, notamment parce que dans la suite (I 3.5-7) Hermogne oppose la recherche du juste, du beau ou de lopportun relatifs et partiels celle des

    30 Cf. le commentaire de Jean Doxapatre (d. F. WoeRtHeR, Hermagoras. Fragments et Tmoignages, Paris, Les Belles Lettres, 2012, Hermag. Min. T 5 [= III 4b MattHes], qui cite des exgtes qui disaient que par ces mots Hermogne visait ses rivaux dans lart Hermagoras (le Jeune) et Minucianus. Celui-ci est un contemporain, quoique plus g, dHermogne.

    31 Cf. linterprtation de VolKMann, Die Rhetorik der Griecher und Rmer, 1885, p. 13.32 Cf. le commentaire de F. WoeRtHeR, op. cit., Hermag. Min. T 3 et pp. 174 ss.33 Cf. le commentaire ibid., pp. 71 ss.

  • QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 219

    vrais ( )34 : cette distinction est au cur de lopposition tradition-nelle entre la rhtorique et la philosophie, vieille de plusieurs sicles35.

    Et chez les commentateurs elle a suscit bien de divergences dopinion, qui renvoient au sujet de notre tude. Apparemment Hermogne parle de la rhtorique et de la trinit des genres de discours, car il en cite les fins coutumires : le juste, du judiciaire ; le beau, de lpidictique ; lopportun, du dlibratif. Et quelques-uns ont estim quil parlait videmment de la tri-nit des genres, comme le rapporte Sopatros W5 31.18-21 (lemme I 3.3-5). Le scoliaste rfutera plus bas (W5 32.3-20) cette interprtation. A son avis le but dHermogne nest pas de dfinir la rhtorique en gnrale, ni ses divi-sions en espces, mais dexposer ce quest la question politique :

    , , , . , . , , . , . | . o . ; 36

    Ceux qui disent quil traite des trois espces oratoires, ne se rendent pas compte quils oublient le principal, savoir que son but nest pas de dfinir la rhtorique, dont ces termes reprsentent les espces, mais la question poli-tique. Et le principal est que lloge nest pas une question, mais plutt un bien reconnu. Et sils parlent de conflit sur le beau, en disant, par ignorance de la nature du pangyrique, quil dsigne par ces mots le pangyrique, ils en igno-rent en outre la dfinition. En effet sa nature ne connat pas un conflit, mais un loge et une amplification des mrites reconnus quelquun, raliss dans le pangyrique. Et la dfinition de lloge est : amplification de mrites reconnus.On est donc daccord quil ne traite pas des trois espces de la rhtorique. Comment en effet aurait-il pu vouloir en traiter, lui qui a dit plus haut : je ne parle de la division du genre en espce ni de celle du tout en parties ? 37

    34 Et aussi les universels, cf. a propos de cette affirmation dHermogne lAnonyme P 1.21 = 114.3-115.9.

    35 Cet antagonisme entre la rhtorique et la philosophie, dfinie en de tels termes, remonte la systmatisation faite par Hermagoras lAncien. Cf. F. WoeRtHeR, op. cit., Hermag. Mai., T 17 et le commentaire p. 91 sq. Cf. M. HeatH, Hermogenes On Issues. Strategies of Argument in Later Greek Rhetoric, Oxford, Clarendon Press, 1995, p. 62 dpouille comme suit la dfinition hermo-gnienne de la question politique, en fonction de contenus et perspectives, qui peuvent tre particuliers : les hypothses sont opposes aux thses, qui sont gnrales ; pratiques : le juste, le beau et lopportun concernent des actions humaines et sopposent aux question thoriques ; relatifs : cette question concerne une action donne en fonction des rgles et normes dune com-munaut donne, en opposition aux questions philosophiques, qui sont universelles et absolues.

    36 La ponctuation a t amnage.37 Au XIe sicle, Jean Doxapatre jugeait correcte une autre interprtation, selon laquelle

    chacun des trois concernait un genre de question : le juste, les qualifications judiciaires ; le beau, les lgales ; lopportun, les pragmatiques. Cest une interprtation qui ne tient plus la grande

  • 220 RUI MIGUEL DUARTE

    Dans le pangyrique on ne soulve pas normalement des questions ou des conflits, il en est par consquent exclu du but du technographe.

    Avanant dans le dpouillement de son propos, Hermogne divise ltat de cause de la (qualification rationnelle) en deux (II 4-5) : si elle a affaire un acte futur, on aura un tat de cause pragmatique ; si elle porte sur un acte pass, on aura une qualification judiciaire. On reconnat bien l lune des distinctions entre le discours dlibratif et le judiciaire, celle en fonction du temps futur ou pass. Le temps prsent, qui appartient lpi-dictique, en est absent38. En plus, toute la division des tats de cause, et aussi les exemples de cas traits pour des dclamations dcole, ne concernent que des causes de droit ou des actions politiques engager. On na donc pas que les deux premiers genres de discours, le pangyrique y est hors toute consi-dration.

    4. Conclusion

    Certains ont compris que se rapportait au genre pangyrique. Dautres ont jug quil ny avait pas de raisons pour y voir le moindre signal dune telle exgse. Selon ceux-ci la proposition mme du sujet du trait par son auteur le rend clair. Son intention nenglobe pas toute la rhtorique, mas la seule question politique ; celle-ci concerne les situations de la vie com-munautaire, les dbats qui portent sur des valeurs sur lesquelles la socit est btie, et qui rglent les rapports sociaux. Cest--dire, la rhtorique des assembles et des tribunaux. Le troisime genre ne comprend en principe pas de contestation, il est donc exclu du jeu.

    Cela, nanmoins, ne veut pas dire que le pangyrique soit du tout man-quant ; au contraire, le praticien des discours avait les lieux de lloge disposition pour ses plaidoyers ou ses harangues. Si le pangyrique, pour quelques-uns (cf. Sopatros W5 32.17-18), est lamplification de mrites recon-nus, il est facile de voir quelle est son utilit, par exemple, pour lexamen des personnes dfinies (dans ltat de cause de la dfinition St. IV 12.4 sq. ;cf. aussi I 5.3-5). Les genres peuvent se mlanger dans un mme et seul discours39, comme dans la rhtorique sophistique dcole de la Seconde Sophistique, qui tait cense imiter et prparer les discours de la vie relle (St. I 1.4 ), et da laquelle Hermogne est un bon exemple. C'est une

    division trinitaire de la rhtorique, mais au systme des tats de cause. Il cite cette interprta-tion propos dHermagoras lAncien, qui affirmait que la rhtorique avait pour objet la dlib-ration et le procs lgal (T 33 = III 5 MattHes). Sur le commentaire de Doxapatre aux dHermogne, cf. S. glcKneR, ber den Kommentar des Johannes Doxapatres zu den Staseis des Hermogenes, Kirchhain N.-L., Schmersow, 1909.

    38 La distinction a t tablie par Aristote, Rh. I 3 1358b, o nonobstant il est aussi ques-tion du troisime genre.

    39 On peut rencontrer des causes pangyriques, cf. lanonyme P 1.23.10-13 = W7 116.18-22. Voir le commentaire de M. Patillon, op. cit., p. 86 n. 6. En outre, il ny a pas de discours relevant de genres purs, les genres se mlangent. Par exemple, le Sur la couronne de Dmos-thne est dlibratif par ltat de cause, judiciaire par la fin, mais utilise le pangyrique pour la confirmation. Le Contre Leptine est pragmatique par ltat de cause dlibratif, envisageant lopportun, mais sa fin est judiciaire (voir ibid. 1.23.1-8 = W7 116.5-15).

  • QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 221

    rhtorique, parfois spcieuse, qui samusait avec un monde fictif que D. A. Russell a dnomm comme sophistopolis, le monde artificiel des Sophistes, habit de ses personnages-type, ses lois, ses histoires, ses cas juridiques et dlibratifs pour exercices artificiels dcole et pour le plaisir des dbats et des controverses40, les ou declamationes publiques. L, les sujets taient restreints des pices dloquence dlibrative ou juridique. Le troi-sime genre en est cart. Mnandre-le-Rhteur 331.16 ss. Sp.)41 le dit dans lintroduction de son livre sur le genre pidicti-que, dont lobjet exclut les dmonstrations () dloquence poli-tique : qui sont les locutions profres par les Sophistes ; cest la (des exercices pratiques de dbats), un discours pidictique (). La sparation entre les deux genres politiques, dun ct, et le troisime de lautre, devient claire42.

    40 Cf. ce sujet le livre classique de D. A. Russell, Greek Declamation, Cambridge,Cambridge University Press, 1983, les deux premiers chapitres (pp. 1-38). Le double rle des est soulign (pp. 12-15) : en tant quexercice pratique; et en tant que littrature imagina-tive. Il est impossible de crer en cole les tensions des tribunaux, les motions relles, lodeur de la culpabilit et du dol. Un grand nombre dauteurs anciens ont effectivement dnonc ces exercices comme des fraudes. Un autre aspect de la littraturisation de la pratique est que les dclamateurs ne parlaient pas en leur propre nom, mais comme sils taient des personnages historiques du pass ou de personnages-types, au sujet de cas qui navaient que peu dutilit pour la vie concrte et pour la majorit des lves de dclamation de lcole hellnistique et romaine. Voir en particulier le tmoignage de Synsios De insomniis 20 (403-404 aprs J.-C.), o il raconte quil avait assist une chaleureuse altercation entre un vieillard de quatre-vingt-dix ans et un autre orateur dans un thtre public, sur un sujet fictif. Ce vieillard tait Libanios, lun des plus renomms reprsentants de la Seconde Sophistique.

    41 Russell, op. cit., p. 10.42 A la dernire partie du trait 380-413 (d. H. RaBe, Hermogenis opera,

    Leipzig, Teubner, Rhetores Graeci vol. VI, Leipzig, Teubner, 1913), qui accompagne le comme les deux seuls traits authentiques du corpus hermognien (cf. M. Patillon,La thorie du discours chez Hermogne le rhteur. Essai sur la structure de la rhtorique ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 1988, p. 13, e Corpus rhetoricum I, p. 166), le rhteur, lorsquil disserte propos de la catgorie stylistique de la (lhabilet), caractrise les genres rhtoriques.Il en distingue trois types : lloquence politique ( ), lloquence politique pure ( ) et lloquence pangyrique pure ( ). Cette distinction com-plique apparemment les choses, dautant plus parce quHermogne, lorsquil oppose (388.15 sq.) le discours pangyrique et le politique, parle dun style mixte, le politique pangyrique ( ). Ce discours est lintersection de deux ensembles (M. Patillon, Hermogne, lart rhtorique, Paris, LAge dHomme, 1997, p. 486, n. 2). En effet, dit Hermogne quil existe des questions la fois politiques et pangyriques. Politique, ici, il faut comprendre le dlibratif. Les limites des discours ne sont pas toujours claires. Nanmoins, Hermogne tranche : il y ena aussi dautres discours purs, quil traite aprs. Deux choses sont retenir ici : dabord, ladsignation peut se confondre avec le tout court ; dautre part, lopposition, / . Telle opposition est renforce par le dpouillement du plus beau discours pangyrique (387.5-395.2), dont le meilleur reprsentatif en prose est Platon, comme Dmosthne est le modle du discours politique (380.20 sq.). La posie, dit-il, est gale-ment un type de pangyrique, et le plus pangyrique de tous les discours (389.7-9). Les types de discours sont dcrits en fonction de leur style (cf. St. I 25.5-9). Le traitement que en donne Her-mogne montre bien le fait quon se trouve en pleine route vers une rhtorique qui est de plus en plus laffaire de littrature (cf. C. Ruiz MonteRo, Hermgenes, Sobre las formas de estilo, trad. espagnole, Madrid, Gredos, 1993, p. 68). Et cela, en effet, rend plus nette lopposition fondamen-tale entre ces deux rhtoriques : lune qui est pratique (le ), lautre qui est au un sens large le , au caractre festif qui est propre de toute littrature de type ludique (Patillon op. cit., p. 484, n. 1).

  • 222 RUI MIGUEL DUARTE

    Et juste titre, dirai-t-on, car seuls les deux premiers genres sont un terrain par nature fertile engager des polmiques.

    SigleS

    4 = Syriani, Sopatri et Marcellinus, Scholia ad Hermogenis status, d. cH. Walz, Rhetores Graeci, vol. 4, Stuttgart et Tbingen, 1833, pp. 39-846.

    W5 = d. cH. Walz, Rhetores Graeci, vol. 5, Stuttgart e Tbingen.

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    aBStract: In the preface of his treatise , Hermogenes explicitly mentions the usefulness of the art (i.e. rhetoric) to deliberative and forensic issues (the first two species of rhetoric speech), and also (in every occasion). In Hermogenes view what does exactly means? That is the problem. Hermogenes scholiasts were not indifferent to it and they discussed it. Would it refer to the third species (the panegyric or epidictic), as one would logi-cally presume? If that is so, the panegyric has a larger spectrum of speech situations. This inter-pretation has been put under fire: this could be interpreted otherwise, Hermogenes was not addressing the panegyric at all. The various interpretations on the matter shall then be brought to light, confronting them one with the others and with Hermogenes own words.

    Key WordS: Hermogenes ; panegyric; in every occasion .