contos amadou koumba

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S'il avait Ie ventre derriere lui, ce ventre Ie mettrait dans un tr~u. S'il n'est que de vous nourrir, une seule femme suffit. Rendre un salut n'a jamais ecorche Ia bouche. Demandez-vous a I' aveugle de vous affirmer si Ie coton est blanc ou si Ie corbeau est bien noir ? Si tu plais au Bon Dieu, les hommes 9-et'apprecient pas outre mesure. l' eau ne cuira ja;na.is Ie poisson qu'elle a ,vu naitre et ,qu'elle a eleve. La promesse est :tllle couverture bien epaisse mais qui s' en couvre grelottera am grands froids. Avoir Ia meme haie mitoyenne n' a jamais donne deux champs de meme etendue. BIRAGO DIOP estneen 1906a Ouakam, banlieue de Dakar. Boursier, il devient veterinaire en1933 et exerce en brousse jusqu'a la seconde guerre mondiale, II est en 1958 I'ambassadeur du Senegal a Paris, avant de se fixer a Dakar, BIRAGO DIOP a ecrit "Les Contes d'Amadou Koumba" puis "Les Nouveaux Contes d'Amadou Koumba" !publies en 1947 et 1958) ; plus tard, "Leurres et Lueurs" et "Contes et Lavanes", 111111111111111111111111 9 782708 701670 birago diop,., _'

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Page 1: Contos Amadou Koumba

S'il avait Ie ventre derriere lui,ce ventre Ie mettrait dans un tr~u.

S'il n' est que de vous nourrir,une seule femme suffit.

Rendre un salutn' a jamais ecorche Ia bouche.

Demandez-vous a I'aveugle de vousaffirmer si Ie coton est blancou si Ie corbeau est bien noir ?

Si tu plais au Bon Dieu, les hommes9-et'apprecient pas outre mesure.

l'eau ne cuira ja;na.is Ie poissonqu' elle a ,vu naitre et ,qu' elle a eleve.

La promesse est :tllle couverturebien epaisse mais qui s'en couvregrelottera am grands froids.

Avoir Ia meme haie mitoyennen'a jamais donne deux champs

de meme etendue.

BIRAGO DIOP est ne en 1906 a Ouakam, banlieue de Dakar. Boursier, il devientveterinaire en 1933 et exerce en brousse jusqu'a la seconde guerre mondiale,II est en 1958 I'ambassadeur du Senegal a Paris, avant de se fixer a Dakar,BIRAGO DIOP a ecrit "Les Contes d'Amadou Koumba" puis "Les NouveauxContes d'Amadou Koumba" !publies en 1947 et 1958) ; plus tard, "Leurres etLueurs" et "Contes et Lavanes",

1111111111111111111111119 782708 701670 birago diop,., _'

Page 2: Contos Amadou Koumba

DU MEME AUTEURAUX EDITIONS PRESENCE AFRICAINE :

LES NOUVEAUXCONTES D'AMADOU KOUMBA.LEURRES ET LUEURS, poemes.CONTES ET LA VANES (Grand prix litteraire de I

I 'Afrique noire d 'expression fran(:aise 1964). '

LES CONTESD' AMADOU KOUMBA

PRESENCE AFRICAINE25 bis, rue des Eeales - 75005 Paris

64, rue Camat - Dakar

Page 3: Contos Amadou Koumba

©Presence Ajricaine, 1961,Droits de reproduction, de traduction, d'adaptation

reserves pour to us pays,

La loi du II mars 1957 n'autorisant, aux termes des alineas 2 et 3 de I'article41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement reservees a I'usagedu copiste et non destinees a une utilisation collective », el d'autre part, que « lesanalyses ei les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration », touterepresentation ou reproduction integra Ie ou partielle, faite sans Ie consentementde I'auteur ou de ses ayanls droit ou ayants cause est illicite (alinea I" de I'article40). Celie representation ou reproduction, par quelque procede que ce soit, consti-luerait donc une contrefa~on sanclionnee par les articles 425 et suivants du codepenal.

Ames fiUes :

NENOU et DEDEEpour qu 'eUes apprennent et n 'ou-b/ient pas que I 'arbre ne s 'efevequ 'en enfonfant ses racines dans faTerre nourriciere,

Page 4: Contos Amadou Koumba

- Bake, tu dors ?- Qui, grand-mere!Tant que je repondais ainsi, grand-mere savait

que je ne dormais pas, et que, tremblant defrayeur, j 'ecoutais, de toutes mes oreilles et detous mes yeux fermes, les contes terrifiants ouintervenaient les Genies et les Lutins, les Koussaux longs cheveux.. ou que, plein de joie commeles grands qui ecoutaient aussi, je suivais Leuk-le-Lievre, madre et gambadant, dans ses intermi-nables aventures au cours desquelles if bernaitbetes et gens au village comme en brousse etjusque dans la demeure du roi.

Quand je ne repondais plus a la question degrand-mere, ou quand je commen~ais a nier que jedormisse, ma mere disait : «Il faut aller Ie cou-cher », et grand-mere me soulevait de la natte quise rafraichissait dans I 'air de la nuit et me mettaitau lit apres queje lui eusfait promettre, d 'une voix

Page 5: Contos Amadou Koumba

pleine de sommeif, de me dire la suite Ie lendemainsoir, car en pays noir, on ne doit dire les contes quela nuit venue.

Grand-mere morte, j'eus dans mon entouraged'autres vieilles gens, et, en grandissant a leurcote, «j'ai bu l'infusion d'ecorce et la decoctionde racines, j 'ai grimpe sur Ie baobab ». Je mesuis abreuve, enfant, aux sources, j' ai entendubeaucoup de paroles de sagesse, j'en ai retenu unpeu.

J'ai vu et j'ai entendu les derniers M'Banda-katts (clowns chanteurs et danseurs) ; j 'ai entendules Ritikatts sur leur violon monocorde, qui n 'haitqu 'une calebasse tendue d 'une peau de lbard,faire parler, rire et pleurer un crin de cheval.J'ai entendu les Lavankatts reciter d'une traite IeCoran tout en tier, et, pour se delasser de leurexploit, meler aux versets sac res la satire auxdepens des jeunes flUes laides et des vieilles avari-cieuses.

Plus tard, sous d'autres cieux, quand Ie tempshait sombre et Ie soleif malade, j 'ai ferme souventles yeux et, de mes levres, montaient des Kassaks

. que I 'on chantait dans «la Case des Hommes» ;j 'ai ecoute ma mere et surtout grand-mere qui disaitencore les deboires de Bouki-l 'Hyene, poltronne etvaniteuse, les malheurs de Khary Gaye, I 'orpheline,les tours de Djabou N'Daw, I 'enfant terrible, lestriomphes de Samba Seytane, Ie diabolique et lesavatars d 'Amary-le-Devot.

Ce retour fugitif dans Ie passe recent temperaitl'exif, adoucissant un instant la nostalgie tenace etramenait les heures claires et chaudes que I 'onn 'apprend a apprecier qu 'une fois que l'on en estloin.

Lorsque je retournai au pays, n 'ayant presquerien oublie de ce qu 'enfant j'avais appris, j'eus Iegrand bonheur de rencontrer, sur mon long chemin,Ie vieux Amadou Koumba, Ie Griot I de ma famille.

Amadou Koumba m 'a raconte, certains soirs - etparfois, de jour, je Ie confesse - les memes his-toires qui bercerent mon enfance. II m 'en a apprisd 'autres qu'if emaillait de sentences etd'apophtegmes ou s 'enferme la sagesse desancetres.

Ces memes contes et ces memes legendes - aquelques variantes pres - je les ai entendus egale-ment au cours de mes randonnees sur les rives duNiger et dans les plaines du Soudan, loin duSenegal.

D 'autres enfants, pareifs a celui que je fus, etd'autres grands, semblables ames aines, les ecou-taient avec la meme avidite sculptee sur leur visagepar les fagots qui jlambaient haut. D 'autres vieillesfemmes, d 'autres griots les disaient, et les chantsqui les entrecoupaient et que tous reprenaient enchceur, haient souvent rythmes par Ie roulement dutam-tam, ou scandes sur une calebasse renversee .La meme frayeur entrait dans I 'auditoire avec lessouffles de la brousse, et la meme gaiete qui enfan-tait Ie rire. La frayeur et la gaiete qui palpitent auxmemes heures, dans tous les villages africainsqu 'enveloppe la vaste nuit.

Si je n 'ai pu mettre dans ce que je rapporte I 'am-biance ou baignaient I 'auditeur que je Jus et ceux

(1) Griot : Terme du vocabulaire colonial franco-africain ==Diati au Soudan, Gw!wi!l au Senegal (de I'arabe Qawwal reci-

. tant de la secte Soufi) : conteur, chanteur, genealogiste, deposl-taire de la tradition qui est uniquement orale.

Page 6: Contos Amadou Koumba

que je vis, attentifs, fremissants ou recueillis, c 'estque je suis devenu homme, done un enfant incom-plet, et partant, incapable de recreer du merveil-leux. C'est que surtout il me manque la voix, laverve et la mimique de mon vieux griot.

Dans la trame so!ide de ses contes et de ses sen-tences, me servant de ses !ices sans bavures, j 'aivoulu, tisserand malhabile, avec une navette hesi-tante, confectionner quelques bandes pour coudreun pagne sur lequel grand-mere, si elle revenait,aurait retrouve Ie coton qu 'elle fila la premiere,. etou Amadou Koumba reconnaftra, beaucoup moinsvifs sans doute, les coloris des belles etofJes qu'iltissa pour moi naguere.

Sortir de son propos - sou vent a peine y etreentre - pour mieux y revenir, tel faisait a I' accoutu-mee Amadou Koumba, dont je rapporterai les ditset dont un jour sans doute je conterai les faits.

Souvent, sur un mot de I'un de nous, il nousramenait loin, bien loin dans Ie Temps. Souventaussi, un homme qui passait, Ie geste d'une femme,faisaient surgir de sa memoire des contes et lesparoles de sagesse que Ie grand-pere de son grand-pere avait appris de son grand-pere.

Le long de la route du Sud que nous avionsremontee un jour durant, des carcasses recurees ablanc par les charognards, et des cadavres a tous lesstades de putrefaction avaient remplace les bomesqui n'avaient jamais existe. Cadavres et carcassesd' anes qui apportaient au Soudan les charges decolas de la Cote.

Page 7: Contos Amadou Koumba

J'avais dit : « Pauvres anes !qu'est-ce qu'ilsendurent ! »

- Tu les plains, toi aussi ? avait replique Ama-dou Koumba. C'est bien de leur faute pourtant s'ilsen sont 13 aujourd'hui; s'ils sont les esclaves desesclaves ... Si les ordres - imp6ts et prestations -de Dakar retombent, apres avoir passe du Gouver-neur au Commandant de cercle, du Commandant decercle au Chef de Canton (sans oublier I'Interprete),du Chef de Canton au Chef de village, du Chef devillage au Chef de famille, du Chef de famille surleur echine 3 coups de triques. Comme jadis (car jene crois pas qu'il y ait quelque chose de change) duDamel-Ie-roi aux Lamanes-vices-rois, des Lamanesaux Diambours-hommes libres, des Diambours auxBadolos de basse condition, des Badolos auxesclaves des esclaves ... Si l'ane en est aujourd'huiou il en est, c'est qu'ill'a bien cherche.

Aux temps anciens, bien anciens, dont ils n'ontcertainement pas comme nous perdu la memo ire, lesanes, comme tous les etres sur terre, vivaient libresdans un pays ou rien ne manquait. Quelle premierefaute commirent-ils ? Nul ne l'a jamais su et nul neIe saura jamais peut-etre. Toujours est-il qu'un jourune grande secheresse devasta Ie pays sur lequels'abattit la famine. Apres des conseils et despalabres interminables, il fut decide que la reine Fariet des courtisanes s' en iraient 3 la recherche deterres moins desolees, de regions plus hospitalieres,de pays plus nourriciers.

Au royaume de N'Guer qu'habitaient leshommes, les recoltes semblaient plus belles qu'enaucun autre pays. Fari voulut bien s'y arreter. Maiscomment disposer sans risques de toutes ces bonneschoses qui appartenaient aux hommes? Un seul

moyen peut-etre : se faire homme soi-meme. MaisI:homme cede-t-il volontiers 3 son semblable ce quilui appartient, ce qu' il a obtenu 3 la sueur de sesbras? Fari ne l'avait jamais entendu dire. A lafemme, peut-etre, I'homme ne devait rien refuser,puisque, de memoire d'etre vivant, I'on n'avaitjamais vu un male refuser quelque chose 3 unefeme lie ou la battre - 3 moins qu'il ne rut foucomme un chien fou. Fari decida donc de resterfemelle et de se metamorphoser en femme, sa suiteegalement.

Narr, Ie Maure du roi de N'Guer, etait peut-etreIe seul sujet du royqume a pratiquer sincerement lareligion du Coran. A cela, il n'avait aucun merite,puisqu'il devait se montrer digne de ses ancetres quiavaient introduit par la force l'Islam dans Ie pays.Mais Narr se distinguait encore des autres par sacouleur blanche d'abord, ensuite par ceci qu'il nepouvait pas garder Ie plus infime des secrets. Et denos jours encore, I'on dit d'un rapporteur « qu'il aavale un Maure ».

Narr etait donc pratiquement fervent et ne man-quait aucune des ,cinq prieres de la joumee. Que I nefut pas son etonnement, un matin, en allant faire sesablutions au lac de N'Guer, d'y trouver des femmesqui se baignaient. La beaute de I'une d'elles qu'en-touraient les autres etait telle que I' eclat du solei!naissant en etait temi. Narr oublia ablutions etprieres et vint en courant reveiller Bour, Ie roi deN'Guer:

- Bour! Bilahi! Walahi! (En verite! au nomde Dieu.) Si je mens, que I'on me coupe Ie cou !J'ai trouve au lac une femme dont la beaute ne peutse decrire ! Viens au lac, Bour! Viens! Elle n'estdigne que de toi.

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Bour accompagna son Maure au lac et ramenala belle femme et sa suite. Et fit d'elle son epousefavorite.

Quand I'homme dit a son caractere : «Attends-moi ici », a peine a-t-il Ie dos toume que Ie caracteremarche sur ses talons. L'homme n'est pas Ie seula souffrir de ce malheur. L'ane, comme les autrescreatures, Ie partage avec lui. C'est pourquoi Fari etses courtisanes, qui auraient du vivre heureuses etsans souci a la cour du roi de N'Guer, s'ennuyaientet languissaient chaque jour davantage. II leur man-quait tout ce qui fait la joie et Ie bonheur pour unenature d'ane : braire et peter, se rouler par terre etruer... Aussi demanderent-elles un jour a Bour, pre-textant les grandes chaleurs, l'autorisation, qui leurfut accordee, d'aller se baigner tous les jours au cre-puscule dans Ie lac. .

Ramassant les calebasses, les marmites et tous lesustensiles sales, elles allaient ainsi, tous les soirs, aulac ou, rejetant boubous et pagnes, elles penetraientdans I'eau en chantant :

eta it parti en pelerinage a La Mecque. Fatiguees etheureuses, Fari et sa suite reprenaient leur corps defemme et s'en retoumaient chez Bour, calebasses etmarmites recurees.

Les choses auraient pu peut-etre durer toujoursainsi, si Narr avait peri en chemin; s'il avait ete prisla-bas vers l'est dans un royaume bambara, peulhou haoussa et maintenu en esclavage ; ou s'il avaitprefere demeurer, Ie restant de ses jours, pres de laKaaba pour etre plus pres du paradis. Mais Narrrevint un beau jour, et justement a la tombee de lanuit. II alia, avant de saluer Ie roi, vers Ie lac. II yvit les femmes, et, cache derriere un arbre, il ecoutaleur chanson. Son etonnement fut plus grand que Iejour ou illes y avait trouvees, en les voyant se chan-ger en anesses. II arriva chez Bour, mais il ne putrien dire de ce qu'il avait vu et entendu, tant il futfete et questionne sur son pelerinage. Mais, aumilieu de la nuit, son secret, qui s' etait mis en tra-vers du couscous et du mouton dont il s'etait gave,l'etouffait. II vint reveiller Ie roi :

- Bour! Bilahi ! Walahi! Si je mens, que I'onme coupe la tete, ta femme la plus cherie n'est pasun etre humain, c' est une anesse !

- Que racontes-tu la, Narr ? Les genies t'ont-ilstoume la tete sur Ie chemin du salut ?

- Demain, Bour, demain, inch allah ! je te Ieprouverai.

Le lendemain matin, Narr appela Diali, Ie griot-musicien du roi et lui apprit la chanson de Fari.

- Apres Ie dejeuner, lui dit-il, lorsque notrereine favorite caressera sur sa cui sse la tete de Bourpour qu'il s'endorme, au lieu de chanter la gloiredes rois defunts, tu joueras sur ta guitare et tu chan-teras la chanson que je viens de t'apprendre.

Fari hi !han !Fari hi !han !Fari est une tinesse,

Ou est Fari La reine des tinesQui emigra et n 'est pas revenue?

Au fur eta mesure qu'elles chantaient, elles setransformaient en anesses. Elles sortaient ensuite del'eau, courant, ruant, se roulant et petant.

Nul ne troublait leurs ebats. Le seul qui l'eut pufaire, Ie seul qui sortit du village au crepuscule pourses ablutions et la priere de Timiss, Narr-le-Maure,

Page 9: Contos Amadou Koumba

C'est a La Mecque que tu as appris cettechanson? s'enquit Diali, curieux comme tout griotqui se respecte. .- Non! Mais tout a I'heure, tu verras la pms-

sance de ma chanson, repondit Narr-Ie-Maure.Bour somnolait donc, la tete sur la cuisse de sa

favorite, pendant que Narr racontait a nouveau so~pelerinage, lorsque Diali qui, jusque-Ia, fredonnaItdoucement en fr61ant sa guitare, se mit a chanter:

Soudain, la jambe de la reine qui supportait la tetede Bour se raidit et sous Ie pagne apparut un sabotet puis une patte. L'autre jambe se transforma, sesoreilles s'allongerent, son beau visage egalement...Rejetant son royal epoux, Fari, redevenue anesse,ruait au milieu de la case, decrochant la macho irede Narr-Ie-Maure. Dans les cases voisines, dans lescuisines, dans la cour, les ruades et les hi! han!indiquaient que les sujettes de Fari avaient, ellesaussi, subi Ie meme sort que leur reine. .Comme leur reine, elles furent maitrisees a coups

de triques et entravees ; de meme que tous les anesqui, inquiets du sort de leur reine et de leursepouses, partirent a leur recherche et passaient parIe royaume de N'Guer.Et c'est depuis N'Guer et depuis Fari, que les

anes peinent a coups de triques et trottent, charges,par tous les sentiers, sous Ie soleil et sous la lune.

Fari hi !han !Fari hi !han !

La reine tressaillit. Bour ouvrit les yeux. Dialicontinua:

Fari hi !han !Fari est une anesse.

Bour, dit la reine, en pleurant, empeche Dialide chanter cette chanson.- Pour quelle raison, ma chere femme? Je la

trouve tres jolie, moi, dit Ie roi.- C'est une chanson que Narr a apprise a La

Mecque, expliqua Ie griot.- Je t'en supplie, mon maitre! gemit la favorite.

Arrete-Ie. Elle me fait mal au creur, car on la chantechez nous aux enterrements.- Mais ce n' est pas une raison pour faire taire

Diali, voyons !Et Diali chantait toujours :

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Certes, 0010, Ie chef de la tribu des singes, avaitun peu exagere en visitant, cette nuit-Ia, Ie champde pasteques de Demba. II avait du convoquer Ieban et I'arriere-ban de ses sujets, qui ne s'etaient pascontentes d'arriver a la queue leu leu et de faire lachaine pour se passer les pasteques une a une. lisavaient, en bandes, saute et franc hi la haie d'eu-phorbes. Les euphorbes sont les plus betes desplantes, elles ne savent que larmoyer, mais pourqu'elles larmoient, il faut qu'on les touche. 0010avait touche aux euphorbes et a autre chose encore.Lui et sa tribu avaient saccage tout Ie champ. liss'etaient conduits comme de vulgaires chacals ; ettout Ie monde sait que, si les chacals passent pourles plus grands amateurs de pasteques que la terreait enfantes, ils demeurent egalement, jusqu'a nosjours, les etres les plus mal eleves qui vivent sousIe soleil, ou plut6t sous la lune.

0010 et sa tribu s'etaient comportes comme devrais fils de chacals parce qu'ils savaie!1t fort bien

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que ces pasteques n'etaient pas celles du vieux Med-jembe qui, lui, avait jadis administre une si bellecorrection a l'aleul de tous les singes qu'il lui avaitpele les fesses. La marque, ainsi que Ie souvenir, enetaient restes a jamais a toute sa descendance.

Demba se serait certainement comporte commeIe vieux Medjembe, puisque Golo avait agi commeThile-Ie-chacal, qui, lui aussi, eut jadis affaire avecIe premier cultivateur de pasteques, mais Golo niaucun de ses sujets n'avaient attendu I'arrivee deDemba.

Golo avait exagere, c'est entendu, et Demban'avait pas ete content, Ie matin, en decouvrantI' etendue des degats faits dans son champ ; mais dela a passer sa colere sur Koumba sa femme, il yavait un fosse. Ce fosse, cependant, Demba Ie fran-chit en meme temps que Ie seuil de sa demeure.

II trouva que l'eau que Koumba lui offrait agenoux en Ie saluant n'etait pas assez fraiche. IItrouva que Ie couscous etait trop chaud et pas assezsale et que la viande etait trop dure, il trouva quecela etait ceci et que ceci etait cela, tant il est bienvrai que I'hyene qui veut manger son petit trouvequ'il sent la chevre ...

Las de crier, Demba se mit a rouer Koumba decoups, et, fatigue de la battre, il lui dit :

- Retourne chez ta mere, je te repudie.Sans mot dire, Koumba se mit a ramasser ses

effets et ustensiles, fit sa toilette, revetit ses plusbeaux habits. Ses seins pointaient sous sa camisolebrodee, sa croupe rebondie tendait son pagne den' galam. A chacun de ses gracieux mouvements,tintaient ses ceintures de perles et son parfum ente-tant aga<;ait les narines de Demba.

Koumba prit ses bagages sur sa tete et franchit Ie

seuil de la porte. Demba fit un mouvement pour larappeler, mais il s'arreta et se dit : « Ses parents mela rameneront. »

Deux, trois jours, dix jours passerent sans queKoumba revint, sans que les parents de Koumbadonnassent signe de vie.

L' on ne connait I'utilite des fesses que quandvient l'heure de s'asseoir. Demba commen<;ait asavoir ce qu' etait une femme dans une maison.

Les arachides grillees sont de fort bonnes choses,mais tous les gourmets, et meme ceux qui ne man-gent que parce que ne pas manger c'est mourir, sontd'accord pour reconnaitre qu'elles sont meilleuresen sauce sucree pour arroser la bouillie de mil, ousalee et pimentee pour accommoder Ie couscous auxharicots. Demba voyait venir Ie moment ou il seraitoblige d'etre de cet avis. Son repas du jour ne luietait plus porte aux champs; et, Ie soir, il allumaitlui-meme Ie feu pour griller arachides ou patatesdouces.

11 est defendu a I'homme fait de toucher a unbalai, et pourtant, comment faire quand la poussiere,les cendres, les coques d'arachides et les epluchuresde patates envahissent chaque jour un peu plus Iesol de la case?

L'on ne travaille vraiment bien que Ie torse nu.Mais lorsque la journee finie, on endosse son bou-bou, I'on voudrait bien que ce boubou ne soit pasaussi sale que Ie foie d'un chien; et pourtant, est-ildigne d'un homme qui merite Ie nom d'homme deprendre calebasse, savon et linge sale et d' aller a lariviere ou au puits faire la lessive ?

Demba commen<;ait a se poser toutes ces ques-tions, et beaucoup d'autres encore. Sa sagesse, peut-etre un peu en retard, lui repetait : « L' on ne connait

Page 12: Contos Amadou Koumba

I'utilite des fesses que quand vient I'heure de s' as-seoir. »La continence est une vertu bien belle, sans aucun

doute, mais c'est une bien pit~tre compagne. Elle esttrop mince pour remplir une couche et Demba trou-vait maintenant son lit trop large pour lui seu\.Koumba, par contre, s'apercevait, chaque jour qui

passait, que I'etat de repudiee pour une femme jeuneet accorte, dans un village rempli de jeunes hommesentreprenants, n'avait absolument rien de desa-greable, bien au contraire.Qui voyage avec son aine et son cadet fait Ie plus

agreable des voyages. A I'etape, I'aine s'occupe detrouver la case et Ie cadet fait Ie feu. Koumba, quietait retoumee chez elle, qui y avait retrouve sesainees et ses cadettes, et qui, en outre, passait a leursyeux pour avoir tant souffert dans la case de sonmari, etait gatee et choyee par tout Ie monde.Quand il y a trop a ramasser, se baisser devient

malaise. C'est pourquoi les griots-chanteurs et lesdialis-musiciens, aux sons de leurs guitares, exhor-taient en vain Koumba a choisir parmi les preten-dants qui, des Ie premier soir de son arrivee, avaientenvahi sa case. Ce n'etait, apres Ie repas du soir,que chants et Iouanges des griots a I' adresse deKoumba, de ses amies et de ses pretendants, quemusique des dialis rappelant la gloire des ancetres.Un grand tam-tam etait projete pour Ie dimanche

qui venait, tam-tam au cours duquel Koumba devaitenfin choisir entre ses pretendants. Helas ! Ie samedisoir, quelqu'un vint que personne n'attendait plus,et Koumba moins que quiconque. C' etait Demba,qui entrant dans la case de ses beaux-parents, leurdit :- Je viens chercher ma femme.

- Mais, Demba, tu I'as repudiee !- Je ne I'ai point repudiee.On alia chercher Koumba dans sa case, que rem-

plissaient amis, griots, pretendants et musiciens.- Tu m' as dit de retoumer chez ma mere,

declara Koumba, et elle ne voulut rien savoir pourreprendre Ie chemin de la case de son epoux.II fallut aller trouver les vieux du village. Mais

ceux-ci ne surent qui, de I'epoux ou de I'epouse,avait raison; qui des deux croire, ni que decider :Koumba eta it revenue toute seule dans la demeurede ses parents, d'ou elle etait partie en bruyante etjoyeuse compagnie pour la case de son marL Septjours, puis sept autres jours et encore sept joursavaient passe et Demba n'etait pas venu la reclamer,donc elle n'avait pas fui, selon toute vraisemblance,la coucne de son epoux ; une femme est chose tropnecessaire pour qu' on la laisse s' en aller sans motifgrave. Cependant, une lune entiere ne s' etait pasecoulee depuis Ie depart de Koumba de la demeurede son mari et son retour dans la case familiale ; laseparation pouvait, si les epoux voulaient s' en-tendre, ne pas etre definitive, car Demba n'avait pasreclame sa dot ni ses cadeaux. Et pourquoi ne lesavait-il pas reclames ?- Parce que, justement, repondit Demba, je

n' avais pas repudie ma femme.- Parce que, justement, pretendit Koumba, tu

m' avais repudiee.En effet, I' epoux qui repudie sa femme perd la

dot payee aux beaux-parents et les cadeaux faits ala fiancee et ne peut plus les reclamer. Mais quin' a pas chasse son epouse n' a a reclamer ni dot, nicadeaux.La question eta it trop claire pour la subtilite de

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ces sages vieillards, qui les envoyerent a ceux deM'Boul. De M'Boul, Demba et Koumba furent aN'Guiss, de N'Guiss a M'Badane, de M'Badane aThiolor. Koumba disait toujours : «Tu m'as repu-diee », et Demba disait partout : «Je ne t'ai pasrepudiee. »

Us allerent de village en village et de pays enpays, Demba regrettant sa case et son lit et les cale-bassees de couscous, Ie riz si gras que I'huile enruisselait des doigts a la saignee du bras ; Koumba,pensant a sa courte liberte, a sa cour empressee, auxlouanges des griots, aux accords des guitares.

Us fluent a Thioye, ils furent a N'Dour. L 'undisait touJours : non! l'autre disait partout : si ! Lesmarabouts, dans les pays musulmans, cherchaientdans Ie Coran, feuilletaient Ie Farata et la Sounadont les preceptes nouent et denouent les liens dumariage. Chez les Tiedos patens, les feticheurs inter-rogeaient les canaris sacres, les cauris rougis au jusde colas et les poulets sacrifies. Koumba disait par-tout: «Tu m'as repudiee. » Demba disait toujours :« Je ne t'ai pas repudiee. »

Ils arriverent un soir enfin a Maka-Kouli.Maka-Kouli etait un village qui ne ressemblait a

aucun autre village. Dans Maka-Kouli, il n'y avaitpas un chien, il n'y avait pas un chat. Dans Maka-Kouli, il y avait des arbres aux ombrages frais etepais, tamariniers, fromagers et baobabs, il y avaitdes tapates encerclant les demeures, des palissadesentourant la mosquee et les cours ensablees de lamosquee ; il y avait des cases en paille et la mos-quee en argile. Or arbres, tapates, paille des cases etmurs de la mosquee sont endroits ou Khatj-Ie-chien,malappris jusqu' en ses vieux jours, leve la patte atout instant; et I'urine de chien plus que tout autre

urine, quelle que soit la partie du corps ou Ie pan duboubou qui y touche, reduit a neant la plus ferventedes prieres.

L' ombre des arbres est faite pour Ie repos deshommes et pour leurs palabres et non pour les urinesdes chiens, pas plus que Ie sable fin qui tapissait lescours de la mosquee, sable blanc comme du sucreque des aniers allaient chercher chaque lune sur lesdunes qui bordent la mer, ne pouvait servir de depo-toir a Woundou-Ie-chat qui y cacherait ses incon-gruites. C'est pourquoi, dans Maka-Kouli, il n'yavait ni un chien ni un chat. Seuls s'y roulaient dansla poussiere et se disputaient les os, pour s' amuser,les tout petits enfants qui ne savaient pas encore par-ler; car, a Maka-Kouli, des qu'un enfant pouvaitdire a sa mere: «Maman, porte-moi sur ton dos »,on l'envoyait a l'ecole apprendre Ie Fatiha et lesautres sourates du Coran.

Demba et Koumba arriverent done un soir aMaka-Kouli. La demeurait, entoure de ses ferventsdisciples, Madiakate-Kala, Ie grand marabout quiavait fait l'on ne savait plus combien de fois Ie pele-rinage de La Mecque.

Du matin au soir et souvent du soir au matin, cen'etait dans ce village que prieres, recitations de lita-nies, louanges a Allah et a son prophete, lectures duCoran et des Hadits. '

Demba et Koumba furent re9us dans la demeurede Madiakate-Kala comme Ie sont, dans toutes lesdemeures, les voyageurs venus de tres loin. Koumbadina en compagnie des femmes et Demba partageaIe repas des hommes.

Lorsque, tard dans la nuit, il fallut aller se cou-cher, Koumba refusa d' accompagner Demba dans lacase qui leur avait ete preparee :

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«Mon mari m'a repudiee », expliqua Koumba;et elle raconta Ie retour des champs de Demba encolere, les cris qu'elle avait subis et les coupsqu'elle avait re<;us. Demba reconnut avoir crie, oh !mais pas si fort qu'elle Ie pretendait ; il avoua avoirleve la main sur sa femme, mais ce n'avait ete quequelques bourrades de rien du tout; mais il nel'avait point repudiee.

- Si, tu m'as repudiee !- Non, je ne t'ai point repudiee !Et la discussion alia it renaitre lorsque Madiakate-

Kala intervint et dit a Tara, la plus jeune de sesfemmes:

- Emmene Koumba avec toi dans ta case, nouseclaircirons leur affaire demain, « inch allah ! »

Les deux epoux allerent donc se coucher chacunde son cote, comme chaque soir depuis cette nuit demalheur que Golo et sa tribu d'enfants gates, igno-rant sans doute les consequences de leurs actes, ous'en moquant tout simplement (ce qui etait beau-coup plus probable car les singes savaient tout cequi se passait chez les hommes), avaient employeea saccager Ie champ de pasteques.

Un jour nouveau se leva et semblable aux autresjours de Maka-Kouli, s'ecoula en labeur et en prie-res; en labeur pour les femmes, en prieres pour leshommes.

Madiakate-Kala avait dit la veille : «Nous eclair-cirons leur affaire demain s'il plait aDieu. »

Cependant la journee passait sans qu'il ait niappele ni interroge les deux epoux. Koumba avaitaide les femmes aux soins du menage et a la cuisine.Demba avait participe aux prieres des hommes etecoute les commentaires du savant marabout.

Le soleil, sa journee terminee, avait quitte son

champ arrose d'indigo ou deja, annon<;ant une bellerecolte pour la nuit, poussaient les premieres etoiles.Le muezzin, successivement aux quatre coins de lamosquee, avait lance aux vents du soir I' izan, I' ap-pel des fideles a la priere du crepuscule.

Madiakate-Kala, I'iman, guida ses talibes sur Ielong et rude chemin du salut si plein d'embuches.

Les corps se courberent, se plierent, les fronts tou-cherent Ie sable blanc comme du sucre, les tetes seredresserent, les corps se releverent et les genu-flexions se succederent au rythme des versets sac res.A la derniere, les tetes se tournerent a droite, puis agauche, pour saluer l'ange de droite et l'ange degal!che.

A peine finit-il de dire : «Assaloumou aley-koum », que Madiakate-Kala se retourna brusque-ment et demanda :

- Ou est I'homme qui a repudie sa femme ?- Me voici, repondit Demba au dernier rang des

fideles.- Homme, ta langue a enfin devance ton esprit

et ta bouche a consenti a dire la verite.«Dites a sa femme de retourner tranquillement

chez sa mere, son mari a reconnu devant nous tousqu'il l'avait repudiee. »

Voila pourquoi, dit Amadou Koumba, I'on parleencore chez nous du jugement de Madiakate-Kala.

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Quand la memoire va ramasser du bois mort, ellerapporte Ie fagot qu'il lui plait...

L'horizon bouche m'encercle les yeux. Les vertsde I'ete et les roux de I'automne en alles, je chercheles vastes etendues de la savane et ne trouve que lesmonts depouilles, sombres comme de vieux geantsabattus que la neige refuse d' ensevelir parce qu' ilsfurent sans doute des mecreants ...

Mauvais tisserand, I'hiver n'arrive pas a egrenerni a carder son coton ; il ne file et tisse qu'une pluiemolle. Gris, Ie ciel est froid, pale, Ie solei! grelotte ;alors, pres de la cherninee, je rechauffe mesmembres gourds ...

Le feu du bois que I'on a soi-meme abattu etdebite semble plus chaud qu'aucun autre feu ...

Chevauchant les flammes qui sautillent, mes pen-sees vont une a une sur des sentiers que bordent etenvahissent les souvenirs.

Soudain, les flammes deviennent les rougesreflets d'un soleil couchant sur les vagues qui ondu-

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lent. Les flots fendus forment, sur Ie fond qui fuit,des feux follets furtifs. Las de sa longue course, Iepaquebot contoume paresseusement la Pointe desAlmadies ...

- Ce n'est que 9a les Mamelles ? avait demandeune voix ironique a cote de moi. ..

Eh ! oui ! Ce n'etait que 9a, les Mamelles, Ie pointculminant du Senegal. A peine cent metres d'alti-tude. J'avais dl1 Ie confesser a cette jeune femmequi avait ete si timide et si effacee au cours de latraversee, que je n' avais pu resister ai' envie de l' ap-peler Violette. Et c'est Violette qui demandait, en semoquant, si ce n'etait que 9a les Mamelles, et trou-vait mes montagnes trop modestes.

J'avais eu beau lui dire que plus bas, puisqu'ellecontinuait Ie voyage, elle trouverait Ie Fouta-Djal-lon, les Monts du Cameroun, etc., etc. Violette n'enpensait pas moins que la nature n'avait pas faitbeaucoup de frais pour doter Ie Senegal de ces deuxridicules tas de laterites, moussus ici, denudes la...

Ce n'est que plus tard, apres ce premier retour aupays, bien plus tard, qu'au contact d'AmadouKoumba, ramassant les miettes de son savoir et desa sagesse, j' ai su, entre autres choses, de beaucoupde choses, ce qu' etaient les Mamelles, ces deuxbosses de la presqu'lle du Cap-Vert, les demieresterres d' Afrique que Ie soleH regarde longuement Iesoir avant de s'abimer dans I<YGrande Mer ...

Quand la memoire va ramasser du bois mort, ellerapporte Ie fagot qu'illui plait...

Ma memoire, ce soir, au coin du feu, attache dansIe meme bout de liane mes petites montagnes, les

epouses de Momar et la timide et blonde Violettepour qui je rapporte, en reponse, tardive peut-etre, ason ironique question, ceci que m'a conte AmadouKoumba.

Lorsqu'il s'agit d'epouses, deux n'est point unbon compte. Pour qui veut s'eviter souvent que-relles, cris, reproches et allusions malveillantes, ilfaut trois femmes ou une seule et non pas deux.Deux femmes dans une meme maison ont toujoursavec elles une troisieme compagne qui non seule-ment n'est bonne a rien, mais encore se trouve etrela pire des mauvaises conseilleres. Cette compagnec'est l'Envie a la voix aigre et acide comme du jusde tamarin.

Envieuse, Khary, la premiere femme de Momar,l'etait. Elle aurait pu remplir dix calebasses de sajalousie et les jeter dans un puits, il lui en seraitreste encore dix fois dix outres au fond de son cceurnoir comme du charbon. II est vrai que Kharyn'avait peut-etre pas de grandes raisons a etre tres,tres contente de son sort. En effet, Khary etait bos-sue. Oh ! une toute petite bosse de rien du tout, unebosse qu'une camisole bien empesee ou un boubouample aux larges plis pouvait aisement cachero MaisKhary croyait que tous les yeux du monde etaientfixes sur sa bosse.

Elle entendait toujours tinter a ses oreilles les crisde « Khary-khougue! Khary-khougue!» (Khary-la-bossue !) et les moqueries de ses compagnes dejeu du temps ou elle etait petite fille et allait commeles autres, Ie buste nu; des compagnes qui luidemandaient a chaque instant si elle voulait leur pre-

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ter Ie beM qu'elle portait sur Ie dos. Pleine de rage,elle les poursuivait, et malheur a celle qui tombaitentre ses mains. Elle la griffait, lui arrachait tresseset boucles d'oreilles. La victime de Khary pouvaitcrier et pleurer tout son saoul ; seules ses compagnesla sortaient, quand elles n' avaient pas trop peur descoups, des griffes de la bossue, car pas plus qu'auxjeux des enfants, les grandes personnes ne se me lenta leurs disputes et querelles.

Avec l' age, Ie caractere de Khary ne s' etait pointameliore, bien au contraire, iI s'etait aigri comme dulait qu'un genie a enjambe, et c'est Momar qui souf-frait maintenant de I'humeur execrable de sa bossuede femme.

Momar devait, en allant aux champs, emporterson repas. Khary ne voulait pas sortir de la maison,de peur des regards moqueurs, ni, a plus forte raison,aider son epoux aux travaux de labour.

Las de travailler tout Ie jour et de ne prendre queIe soir un repas chaud, Momar s'etait decide aprendre une deuxieme femme et il avait epouseKoumba.

A la vue de la nouvelle femme de son mari,Khary aurait du devenir la meilleure des epouses, laplus aimable des femmes - et c'est ce que, dans sanaivete, avait escompte Momar - il n'en fut rien.

Cependant, Koumba etait bossue, elle aussi. Maissa bosse depassait vraiment les mesures d'une hon-nete bosse. On eut dit, lorsqu' elle toumait Ie dos, uncanari de teinturiere qui semblait porter directementIe foulard et la calebasse poses sur sa tete. Koumba,malgre sa bosse, etait gaie, douce et aimable.

Quand on se moquait de la petite Koumba-Khoughe du temps OU elle jouait, buste nu, en luidemandant de preter un instant Ie bebe qu'elle avait

sur Ie dos, elle repondait, en riant plus fort que lesautres : «c;a m'etonnerait qu'il vienne avec toi, iIne veut me me pas descendre pour teter. »

Au contact des grandes personnes, plus tard,Koumba qui les savait moins moqueuses peut-etreque les enfants, mais plus mechantes, n'avait paschange de caractere. Dans la demeure de son epoux,elle restait la meme. Considerant Khary comme unegrande sreur, elle s'evertuait a lui plaire. Elle faisaittous les gros travaux du menage, elle allait a lariviere laver Ie linge, elle vannait Ie grain, et pilaitIe mil. Elle porta it, chaque jour, Ie repas aux champset aidait Momar a son travail.

Khary n'en etait pas plus contente pour cela, bienau contraire. Elle eta it, beaucoup plus qu'avant, aca-riatre et mechante, tant I' envie est une gloutonnequi se repait de n'importe quel mets, en voyant queKoumba ne semblait pas souffrir de sa grosse bosse.

Momar vivait donc a demi heureux entre ses deuxfemmes, toutes deux bossues, mais I'une, gracieuse,bonne et aimable, I' autre, mechante, grognonne, etmalveillante comme des fesses a I'aurore.

Souvent, pour aider plus longtemps son mari,Koumba emportait aux champs Ie repas prepare dela veille ou de l'aube. Lorsque binant ou sarclantdepuis Ie mat in, leurs ombres s'etaient blotties sousleurs corps pour chercher refuge contre I' ardeur dusoleil Momar et Koumba s'arretaient. Koumba fai-, .sait rechauffer Ie riz ou la bouillie, qu' elle partagealtavec son epoux ; tous deux s'allongeaient ensuite a}'ombre du tamarinier qui se trouvait au milieu duchamp. Koumba, au lieu de dormir comme Momar,lui caressait la tete en revant peut-etre a des corpsde femme sans defaut.

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Le tamanlller est, de tous les arbres, celui quifoumit I'ombre la plus epaisse ; a travers son feuil-lage que Ie soleil penetre difficilement, on peut aper-cevoir, parfois, en plein jour, les etoiles; c'est cequi en fait l'arbre Ie plus frequente par les genies etles souffles, par les bons genies comme par les mau-vais, par les souffles apaises et par les souffles insa-tisfaits.Beaucoup de fous crient et chantent Ie soir qui, Ie

matin, avaient quitte leur village ou leur demeure,la tete saine. IIs etaient passes au milieu du jour sousun tamarinier et ils y avaient vu ce qu'ils ne·devaientpas voir, ce qu'ils n'auraient pas dfi voir: des etresde l'autre domaine, des genies qu'ils avaientoffenses par leurs paroles ou par leurs actes.Des femmes pleurent, rient, crient et chantent

dans les villages. qui sont devenues folIes parcequ'elles avaient verse par terre l'eau trop chauded'une marmite et avaient brule des genies qui pas-saient ou qui se reposaient dans la cour de leurdemeure. Ces genies les avaient attendues a l'ombred'un tamarinier et avaient change leur tete.Momar ni Koumba n'avaient jamais offense ni

blesse, par leurs actes ou par leurs paroles, lesgenies; ils pouvaient ainsi se reposer a l'ombre dutamarinier, sans craindre la visite ni la vengeance demauvais genies.Momar dormait ce jour-la, lorsque Koumba, qui

cousait pres de lui, crut entendre, venant du tamari-nier, une voix qui disait son nom; elle leva la teteet apen;ut, sur la premiere branche de I' arbre, unevieille, tres vieille femme dont les cheveux, longs etplus blancs que du coton egrene, recouvraient Ie dos.

Es-tu en paix, Koumba ? demanda la vieillefemme.- En paix seulement, Marne (Grand-mere),

repondit Koumba.- Koumba, reprit la vieille femme, je connais

ton bon cceur et ton grand merite depuis que tureconnais ta droite de ta gauche. Je veux te rendreun grand service, car je t'en sais digne. Vendredi, ala pleine lune, sur la collin~ d'argile de N.'Guew, lesfilles-genies danseront. Iu lras sur la collme lorsquela terre sera froide. Quand Ie tam-tam battra sonplein, quand Ie cercle sera bien anime, quand sansarret une danseuse remplacera une autre danseuse,tu t'approcheras et tu diras a la fille-genie qui seraa cote de toi :- Tiens, prends-moi l'enfant que j'ai sur Ie dos,

c'est a mon tour de danser.Le vendredi, par chance, Momar dormait dans la

case de Khary, sa premiere femme.Les derniers couches du village s' etaient enfin

retoumes dans leur premier sommeil, lorsqueKoumba sortit de sa case et se dirigea vers la collined' argile. . ,De loin elle entendit Ie roulement endlable du

tam-tam et les battements des mains. Les filles-genies dansaient Ie sa-n'diaye, toumoyant l'uneapres I'une au milieu du cercle en joie. Koumbas' approcha et accompagna de ses claquements demains Ie rythme etourdissant du ta.m-tam et I.e tour-bilIon frenetique des danseuses qut se relayale,nt. .Dne deux trois ... dix avaient toume, toume, fal-

sant v~ler bdubous et pagnes ... Alors Koumba dit asa voisine de gauche en lui presentant son dos :- Tiens, prends-moi I'enfant, c'est a mo~ tou~.La filIe-genie lui prit la bosse et Koumba s enfillt.

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