dépression en médecine générale

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Dépression en médecine générale Katja Magalon-Bingenheimer 1 , David Magalon 1 , Xavier Zendjidjian 2 , Laurent Boyer 2 , Ygal Griguer 3 , Christophe Lançon 1 1. Assistance publique des hôpitaux de Marseille, hôpital Sainte-Marguerite, 270, boulevard Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France 2. Assistance publique des hôpitaux de Marseille, hôpital de la Conception, 147, boulevard Baille, 13005 Marseille, France 3. Médecine générale, 6, rue du Docteur-Bertrand, 13008 Marseille, France Correspondance : David Magalon, Assistance publique des hôpitaux de Marseille, hôpital Sainte- Marguerite, 270, boulevard Sainte-Marguerite,13009, Marseille, France. [email protected], [email protected] Disponible sur internet le : 7 novembre 2012 Presse Med. 2013; 42: 419428 ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com Psychiatrie / Me ´decine Ge ´ne ´rale 419 Mise au point Key points Depression in general practitioner Identification of Major Depressive Disorder (MDD) can be easily done by asking systematically the following ques- tions. During the last month: ‘‘Did you lose interest and pleasure for the things that you usually like and enjoy?’’ ‘‘Have you lost energy, or do you feel abnormally tired or depressed?’’ Physical symptoms of MDD are more frequent for patients supported by general practitioner. Patients suffering from a general medical affection are more likely to present a risk of MDD. Treatment of MDD for patients suffering from a general medical affection must be identical to that of patients not suffering from a medical affection. Objective of the antide- pressant treatment is the complete remission and not only the response. Evaluating precisely the symptoms of depression in pretherapetical phase allows to facilitate distinction of side effects of a treatment versus residual symptoms of depression. Treatment must be taken during a sufficient period: 6 to 9 months for a first Major depressive episode up to entire life for the most serious cases of recurrent MDD. Points essentiels Le repérage du trouble dépressif majeur (TDM) peut être facilement réalisé en posant systématiquement les ques- tions suivantes. Au cours du dernier mois : « Avez-vous perdu tout intérêt et plaisir pour la plupart des choses qui vous plaisent habituellement ? », « Avez-vous perdu votre entrain ou vous sentez-vous inexplicablement fatigué ou déprimé ? » Les symptômes physiques de la dépression sont plus fréquents chez les patients pris en charge en médecine générale. Les patients souffrant d’une affection médicale générale sont plus à risque d’avoir un TDM. Le traitement du TDM des patients souffrant d’une affection médicale doit être identique à celui du TDM des patients ne souffrant pas d’une affection médicale. L’objectif du traite- ment antidépresseur est la rémission complète et non pas la simple réponse au traitement. Évaluer précisément la symptomatologie dépressive en phase préthérapeutique permet ensuite de plus facilement distinguer effets secondaires du traitement et symptômes résiduels de la dépression. Le traitement doit être pris pour une durée suffisante : de 6 à 9 mois pour un premier Épisode dépressif majeur (EDM) jusqu’à la tome 42 > n84 > avril 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.09.008

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Page 1: Dépression en médecine générale

Presse Med. 2013; 42: 419–428� 2012 Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

Psychiatrie / Medecine Generale

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Key points

Depression in general practitio

Identification of Major Depreseasily done by asking systemtions. During the last month:

pleasure for the things that you uyou lost energy, or do you feel abPhysical symptoms of MDD arsupported by general practitiongeneral medical affection are mMDD.Treatment of MDD for patienmedical affection must be idesuffering from a medical affectpressant treatment is the compthe response.Evaluating precisely the sypretherapetical phase allows teffects of a treatment versus resiTreatment must be taken dur9 months for a first Major deprefor the most serious cases of re

tome 42 > n84 > avril 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.09.008

Dépression en médecine générale

Katja Magalon-Bingenheimer1, David Magalon1, Xavier Zendjidjian2, Laurent Boyer2,Ygal Griguer3, Christophe Lançon1

1. Assistance publique des hôpitaux de Marseille, hôpital Sainte-Marguerite, 270,boulevard Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France

2. Assistance publique des hôpitaux de Marseille, hôpital de la Conception, 147,boulevard Baille, 13005 Marseille, France

3. Médecine générale, 6, rue du Docteur-Bertrand, 13008 Marseille, France

Correspondance :David Magalon, Assistance publique des hôpitaux de Marseille, hôpital Sainte-Marguerite, 270, boulevard Sainte-Marguerite,13009, Marseille, [email protected], [email protected]

Disponible sur internet le :7 novembre 2012

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sive Disorder (MDD) can beatically the following ques-‘‘Did you lose interest andsually like and enjoy?’’ ‘‘Havenormally tired or depressed?’’

e more frequent for patientser. Patients suffering from aore likely to present a risk of

ts suffering from a generalntical to that of patients notion. Objective of the antide-lete remission and not only

mptoms of depression ino facilitate distinction of sidedual symptoms of depression.ing a sufficient period: 6 tossive episode up to entire lifecurrent MDD.

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Points essentiels

Le repérage du trouble dépressif majeur (TDM) peut êtrefacilement réalisé en posant systématiquement les ques-tions suivantes. Au cours du dernier mois : « Avez-vousperdu tout intérêt et plaisir pour la plupart des choses quivous plaisent habituellement ? », « Avez-vous perdu votreentrain ou vous sentez-vous inexplicablement fatigué oudéprimé ? »

Les symptômes physiques de la dépression sont plusfréquents chez les patients pris en charge en médecinegénérale. Les patients souffrant d’une affection médicalegénérale sont plus à risque d’avoir un TDM.Le traitement du TDM des patients souffrant d’une affectionmédicale doit être identique à celui du TDM des patients nesouffrant pas d’une affection médicale. L’objectif du traite-ment antidépresseur est la rémission complète et non pas lasimple réponse au traitement.Évaluer précisément la symptomatologie dépressive enphase préthérapeutique permet ensuite de plus facilementdistinguer effets secondaires du traitement et symptômesrésiduels de la dépression.Le traitement doit être pris pour une durée suffisante : de 6 à9 mois pour un premier Épisode dépressif majeur (EDM) jusqu’à la

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Making the patient aware of the main side effects of thetreatment that he will face rapidly (digestion troubles essen-tially) is a simple way to reduce the risks of early abandon ofthe treatment.

vie entière dans le cadre des formes les plus graves de TDMrécurrent.Prévenir le patient des principaux effets secondaires d’appa-rition rapide (troubles digestifs essentiellement) est un moyensimple de diminuer le risque d’arrêt précoce du traitement.

K Magalon-Bingenheimer, D Magalon, X Zendjidjian, L Boyer, Y Griguer, C Lançon

Depuis une dizaine d’années, la compréhension du troubledépressif a changé : d’une perspective à court terme focaliséesur l’épisode dépressif, elle a évolué vers une approche à longterme. On sait en effet que les troubles dépressifs majeurs(TDM) sont pour la plupart d’entre eux récurrents [1,2].Ce trouble psychiatrique connaît une forte prévalence vieentière : 9 à 15 % pour les hommes [3–6] et 17 à 27 % pourles femmes [3–6]. L’importance des taux de rechute et derécidive en fait un trouble qui tend à la récurrence, voire à lachronicité. Au moins 60 % des sujets ayant souffert d’unépisode dépressif vont en connaître un second. Ce chiffreaugmente avec le nombre d’épisodes passés. Ainsi, les patientsqui ont eu trois épisodes ont 90 % de risque d’en développer unquatrième [1,2]. En dépit de cela, de nombreuses étudesdémontrent que le TDM reste souvent méconnu et insuffisam-ment diagnostiqué et traité. Dans les pays développés, onestime que seuls 35 % des malades souffrant de dépressionsont correctement soignés [7]. Sous-diagnostiqués et sous-traités, ce trouble a un pronostic péjoratif et est maintenantconsidéré comme un trouble chronique aussi invalidant que lediabète, l’asthme ou l’hypertension artérielle. Les traitementsvisent à la fois à obtenir la rémission la plus complète possiblede l’épisode dépressif, à la maintenir et à prévenir, au longcours, la récurrence dépressive. Ils reposent en premier lieu surl’association pharmacothérapie et psychothérapie [8].La caractéristique essentielle de l’Épisode dépressif majeur(EDM) est une humeur dépressive ou une perte d’intérêt oude plaisir pour presque toutes les activités, persistant au moinsdeux semaines. Les critères diagnostiques de l’EDM selon leDSM-IV sont exposés dans l’encadre 1.Une étude, la Global Burden of Disease (GBD), menée encollaboration par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)et la Banque Mondiale montre que le TDM occupe une placeimportante dans les causes d’incapacité ou d’invalidité. Cetteétude prédisait en 1996 qu’en 2020, les troubles dépressifsmajeurs seraient la deuxième cause mondiale de handicap, autroisième rang dans les pays en voie de développement et à lapremière place dans les pays développés [9]. En réalité lors desa réactualisation en 2004, la GBD a montré que le troubledépressif unipolaire est la principale cause d’années de vieperdues pour cause d’incapacité aussi bien dans les paysdéveloppés que dans les pays en voie de développement[10]. Les résultats de la GBD ont conduit l’OMS à recommander

que la dépression soit au centre des tentatives d’améliorationde la santé mentale et de la qualité de vie dans les paysdéveloppés. La Haute Autorité de Santé (HAS) [11] et l’OMS [9]préconisent de modifier les stratégies de prise en chargeactuelles du TDM. D’une perspective à court terme focaliséesur l’épisode dépressif, elles ont évolué vers une approche àlong terme. Cette approche doit maintenant être globale etfavoriser l’amélioration de la perception de la maladie par lepatient, le repérage de la dépression en médecine générale etla coordination entre médecins généralistes et psychiatres.

Dépression en médecine générale

Épidémiologie de la dépression en médecinegénéraleOn trouve une situation similaire en France et en Europeconcernant la prise en charge de la dépression [12–14]. Laplupart des personnes souffrant de dépression sont prises encharge en soins primaires. Le patient s’adresse préférentielle-ment à son médecin généraliste dans 50 à 60 % des cas et cedernier est responsable de 60 % des prescriptions d’antidépres-seurs. La prévalence des troubles dépressifs dans une popula-tion de patients consultant en soins primaires est de 11,7 %. Detous les troubles psychiatriques concernant cette population,les troubles dépressifs sont les plus fréquents suivis des trou-bles anxieux (10,2 %). Parmi les patients dépressifs consultanten soins primaires, un peu plus de la moitié sont reconnuescomme tels. Seule une minorité de ces patients sont invités àconsulter un spécialiste. Parmi les patients détectés, seule lamoitié d’entre eux bénéficie d’un traitement médicamenteux,plus souvent de type anxiolytique ou hypnotique qu’antidé-presseur [2,15].

Consultations tardives et retard au diagnostic

L’étude Depression Research in European Society (DEPRES I et II)illustre les obstacles qui entravent l’accès aux soins des sujetsdéprimés [12,13]. Selon cette étude menée en 1995 dans6 pays européens, plus de 2 personnes déprimées sur5 n’ont pas consulté, et parmi celles souffrant d’un EDM, plusd’un tiers n’a pas eu recours aux soins. Quand ils consultent, lessujets déprimés s’adressent préférentiellement à leur généra-liste (51 %), tandis que moins de 10 % s’adressent à unpsychiatre. Le motif de consultation est rarement la dépressionelle-même [12,13].

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Encadre 1

Critères diagnostiques d’un épisode dépressif majeur selon le DSM-IV [1]

A. Au moins cinq des symptômes suivant doivent avoir été présents pendant une même période d’une durée de deux semaines et avoir

représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins un des symptômes est, soit une humeur dépressive, soit

une perte d’intérêt ou de plaisir.

N.B : ne pas inclure des symptômes qui sont manifestement imputables à une affection médicale générale, à des idées délirantes ou à des

hallucinations non congruentes à l’humeur.

1) Humeur dépressive présente pratiquement toute la journée, presque tous les jours, signalée par le sujet (par exemple, se sent triste ou

vide) ou observé par les autres (par exemple, pleure).

2) Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités pratiquement toute la journée, presque tous les

jours (signalé par le sujet ou observée par les autres).

3) Perte ou gain de poids significatif en l’absence de régime (par exemple, modification du poids corporel en un mois excédant 5 %), ou

diminution ou augmentation de l’appétit presque tous les jours.

4) Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.

5) Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours (constaté par les autres, non limité à un sentiment subjectif de fébrilité

ou de ralentissement intérieur).

6) Fatigue et perte d’énergie presque tous les jours.

7) Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (qui peut être délirante) presque tous les jours (pas seulement

se faire grief ou se sentir coupable d’être malade).

8) Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les

autres).

9) Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées suicidaires récurrentes sans plans précis ou tentative de suicide

ou plan précis pour se suicider.

B. Les symptômes ne correspondent pas aux critères d’Épisode mixte.

C. Les symptômes induisent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans

d’autres domaines importants.

D. Les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d’une substance (par exemple, substance donnant lieu à un abus,

un médicament) ou d’une affection médicale générale (par exemple, hypothyroïdie).

E. Les symptômes ne sont pas mieux expliqués par un deuil, c’est-à-dire la mort d’un être cher, les symptômes persistent pendant plus de deux

mois ou s’accompagnent d’une altération marquée du fonctionnement, de préoccupations morbides de dévalorisation, d’idées suicidaires,

de symptômes psychotiques ou d’un ralentissement psychomoteur.

Dépression en médecine généralePsychiatrie / Medecine Generale

La principale raison expliquant que les patients déprimésconsultent tardivement est que nombre d’entre eux n’ontpas vraiment conscience de leur maladie et envisagent encoremoins le recours au système de soins. Si l’on interroge lespatients déprimés n’ayant pas eu recours au soin, plus de 80 %des patients souffrant d’un EDM n’ont même pas envisagé deconsulter un médecin. Les raisons avancées sont multiples :� le sentiment d’être assez « fort » pour surmonter ces

difficultés ;� le sentiment que la dépression est incurable et qu’il ne faut

attendre aucune aide du corps médical ;� la crainte de ce que pourrait penser l’entourage ;� la peur d’être hospitalisée ;� la peur de devoir prendre un éventuel traitement.

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Lorsque le patient consulte, les principales raisons pour lesquellesle médecin généraliste a du mal à poser le diagnostic sont :� l’existence de plaintes somatiques : en médecine générale,

26 % des sujets déprimés ont pour motif de consultation unesouffrance ou des difficultés psychologiques, alors que 34 %consultent pour des « douleurs » et les autres pour de diversesplaintes somatiques ;

� l’existence d’une maladie somatique associée : à intensité etsymptomatologies dépressives comparables, le sujet ayant unemaladie somatique associée sera deux fois moins souventconsidéré comme déprimé. Par ailleurs, la prévalence de ladépression est doublée chez les patients souffrant d’unemaladie chronique par rapport à la prévalence en populationgénérale ;

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Encadre 2

Principaux symptômes psychologiques, physiques etcomportementaux dans le trouble dépressif majeur

Symptômes psychologiques

� Humeur dépressive

� Irritabilité

� Anxiété/Nervosité

� Perte d’intérêt/Manque de motivation

� Troubles de la concentration

� Diminution marquée du plaisir

� Hypersensibilité au refus ou à la critique

� Perfectionnisme/Obsessions

� Indécision

� Pessimisme/Désespoir

� Sentiment d’impuissance

� Distorsions cognitives

� Anxiété

� Baisse de l’estime de soi, sentiment de dévalorisation

� Culpabilité excessive

� Penser à la mort ou au suicide

� Penser à faire du mal aux gens

Symptômes comportementaux

� Pleurs

� Conflits interpersonnels

� Crises d’angoisse

� Évitement des situations anxiogènes

� Diminution de la productivité

� Isolement social

� Évitement de l’intimité émotionnelle/sexuelle

� Diminution des activités de loisirs

� Développement de rituels/compulsions

� Hyperinvestissement dans le travail

� Usage et abus de substance

� Victimisation

� Auto-mutilations

� Tentatives de suicide

� Comportements violents

Symptômes somatiques� Fatigue

� Bras ou jambes lourdes

� Insomnie ou hypersomnie

� Baisse de l’appétit

� Perte de poids

� Augmentation de l’appétit

� Prise de poids

� Baisse de la libido

� Troubles de l’érection

� Anorgasmie

� Mal de tête

� Tension musculaire

� Troubles gastro-intestinaux

� Palpitations cardiaques

� Sensations de brulure ou de picotement

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� l’intensité de la dépression : plus la dépression est d’intensitélégère et plus elle est difficile à diagnostiquer. Plus ladépression est d’intensité sévère et plus elle est facile àdiagnostiquer (seules 7,5 % des dépressions sévères ne sontpas diagnostiquées en médecine générale) ;

� l’absence de traitement antidépresseur antérieur ou dedétresse psychologique exprimée sont aussi des facteurslimitant l’identification du TDM en médecine générale [11].

La fréquence des plaintes et des comorbidités somatiques,chez les patients suivis en médecine générale, doit fairechercher les symptômes psychologiques, physiques et compor-tementaux associés à la dépression [16]. L’ensemble dessymptômes psychologiques, physiques et comportementauxtrouvés dans le TDM sont en réalité bien plus nombreux queceux décrits dans le DSM-IV (encadre 1). La plupart de cessymptômes sont synthétisés dans l’encadre 2.Dans ce contexte, les troubles dépressifs peuvent par consé-quent rester longtemps méconnus du patient et de son méde-cin. Une revue de la littérature [7] permet de conclure que 50 à70 % des sujets déprimés ne sont pas reconnus comme tels parleur médecin lors de la première consultation. L’apparition dupremier EDM survient en moyenne à 30 ans. La mise en placedu premier traitement survient en moyenne à 33 ans. Il existedonc un délai de 3 ans entre l’apparition du premier EDM et lamise en place du premier traitement [17]. Ce délai de 3 ansentre l’apparition de la maladie et la mise en place du premiertraitement a un impact péjoratif sur l’évolution de la maladiepuisqu’on estime qu’un retard de plus de 6 mois à la mise enroute d’un traitement antidépresseur après l’apparition dupremier EDM diminue considérablement les chances d’obtenirune rémission complète [18]. Ces résultats soulignent l’impor-tance de l’identification et du traitement précoce des patientssouffrant de dépression.

Des traitements parfois inadaptés

Poser correctement le diagnostic de TDM ne suffit pas toujours àmettre en place un traitement adéquat. Les résultats de l’en-quête ESEMeD [19] montrent que la prescription de benzo-diazépines et d’hypnotiques reste encore supérieure à celle desantidépresseurs dans le TDM. Dans cette étude, parmi lespersonnes qui répondaient aux critères de TDM dans l’annéeou au cours de la vie, 43 et 29 % respectivement avaient pris untraitement anxiolytique ou hypnotique et 29 et 16 % un

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Symptômes résiduels de la dépression les pluscaractéristiques [23]

AnxiétéTroubles de la libidoTroubles de l’appétitSensation de fatigueRéactivité au stressAltération de l’image de soiPessimismeDysphoriePerte de motivationÉmoussement affectifTroubles de sommeil

Dépression en médecine généralePsychiatrie / Medecine Generale

traitement antidépresseur. Par ailleurs, lorsqu’un traitementantidépresseur est mis en place, il est souvent prescrit à une dosetrop faible et pendant une durée trop brève. En France, 75 % despatients souffrant de TDM ont des doses d’antidépresseursinférieures aux doses préconisées [20]. Des idées reçues con-cernant les psychotropes peuvent augmenter la réticence à laprise correcte d’un traitement médicamenteux, surtout si cedernier est prescrit sur plusieurs mois ou années [21].La rémission « la plus complète possible » [22] est l’objectif dutraitement antidépresseur. Le terme rémission est utilisé lors-que presque tous les symptômes dépressifs ont disparu. Lepatient ne se sent pas seulement mieux, il se sent bien. Si lorsde la période de rémission le patient n’a plus aucun symptômedépressif, on parle de rémission complète. Si le patient a encorequelques symptômes dépressifs, que l’on qualifie de résiduels,on parle de rémission incomplète.Les symptômes résiduels les plus caractéristiques [23] sontrésumés dans l’encadre 3. Ces symptômes résiduels sont plusfréquents qu’on ne le pensait habituellement. Dans la descriptiondu TDM, le DSM-IV [1] avance qu’un an après un diagnosticd’EDM, 40 % des sujets remplissent encore les critères d’EDM,20 % sont en rémission partielle et seulement 40 % sontasymptomatiques. La persistance de ces symptômes résiduelsest reconnue comme un des principaux facteurs de récurrence del’EDM. Diverses études ont évalué le poids des symptômesrésiduels dans le risque de récidive de l’EDM. Une étude multi-centrique longitudinale prospective [24] a suivi sur 15 ans despatients guéris d’un EDM. À l’issue de cette longue période desuivi, 85 % des sujets avaient rechuté, mais seulement 58 % dansle sous-groupe des patients en rémission complète, et restésasymptomatiques durant au moins 5 ans. Pour les auteurs, lapersistance de symptômes résiduels après un premier épisodedépressif serait un puissant indice prédictif de récurrence. Plu-sieurs études ont montré que la fréquence des épisodes ul-térieurs était plus importante en présence de symptômesrésiduels et que le délai avant rechute était raccourci. La première

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étude importante à ce sujet [25] montrait un risque de récidivede 76 % dans les 10 mois suivant la rémission pour le groupe enrémission partielle versus 25 % dans le groupe en rémissioncomplète. Pour finir, une étude collaborative avec un suivi despatients sur 10 ans, [26] montre que le délai avant rechute ourécidive d’un nouvel EDM, suivant la rémission d’un épisode,passe de 68 semaines à 23 semaines selon que le patient était enrémission complète ou partielle. Ainsi, il semble primordial enpratique quotidienne de « traquer » les symptômes résiduels dela dépression et de ne pas hésiter à adapter les posologies ou àchanger de traitement antidépresseur pour arriver à la rémissionla plus complète possible afin d’améliorer le pronostic desmaladies dépressives.La guérison de l’épisode dépressif survient après une périodede rémission de 4 à 9 mois. Masand au travers d’une revue de lalittérature de 2003 a recensé les principaux obstacles à larémission complète de l’EDM en médecine générale [27].Ces obstacles sont surtout liés au patient et au médecin.Les obstacles à la rémission liés au patient sont :� le manque de compréhension et d’acceptation du diagnostic

de dépression ;� la réticence à prendre des médicaments ;� l’absence de soulagement perçu du fait du délai d’action

légèrement retardé des antidépresseurs ;� un abandon précoce dès l’amélioration des symptômes ;� et le coût des médicaments.Les obstacles à la rémission liés aux médecins sont :� une sous-estimation de la présentation somatique de la

dépression ;� une attribution des symptômes physiques à des causes autres

que la dépression ;� des difficultés de communication et de disponibilité avec le

patient ;� un traitement non adapté aux besoins du patient ;� un dosage et une durée de traitement insuffisant.Ainsi, le médecin généraliste peut jouer un rôle clé dansl’amélioration de l’observance du traitement en repérant eten éliminant :� les obstacles à la rémission complète liés aux patients

(stigmates de la maladie, attentes irréalistes à l’égard dutraitement, information sur le traitement, sa nécessaireadaptation posologique, son efficacité, sa tolérabilité et saprise à long terme) ;

� les obstacles liés au médecin (dose ou durée insuffisante,manque de communication avec le patient).

Problèmes des médecins généralistes dans la priseen charge du trouble dépressif majeur et solutionsproposées

Une enquête postale réalisée récemment auprès des médecinsgénéralistes du Nord-Ouest de la France a identifié les diffi-cultés perçues par les médecins généralistes dans la prise en

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K Magalon-Bingenheimer, D Magalon, X Zendjidjian, L Boyer, Y Griguer, C Lançon

charge des patients dépressifs et a analysé leurs propositionspour y remédier [28].Il ressort de cette étude que 28 % des médecins généralistesconnaissent réellement les guides de pratique clinique de laprise en charge d’un TDM. L’insuffisance de l’offre de soinsspécialisés est remise en cause. L’accès aux soins spécialisés estjugé difficile et quand il est possible la communication avec lespsychiatres est considérée comme insuffisante. Par ailleurs, lesmédecins généralistes souhaitent pour remédier à leurs diffi-cultés de prise en charge du TDM, à la fois des réponsesalternatives (remboursement des prises en charge psycholo-giques), des aides à leur propre intervention (réalisation d’unguide de pratique clinique à l’usage des médecins généralistes)et un recours amélioré aux soins spécialisés en psychiatrie parl’intermédiaire d’un réseau de soins des troubles dépressifs.

Outils de dépistage du trouble dépressif majeur enmédecine générale

L’HAS [11] souligne l’intérêt d’utiliser en pratique courante lesdeux questions suivantes pour le repérage des sujets àrisque de dépression.« Au cours du dernier mois :� Avez-vous perdu tout intérêt et plaisir pour la plupart des

choses qui vous plaisent habituellement ?� Avez-vous perdu votre entrain ou vous sentez-vous inexpli-

cablement fatigué (ou déprimé) ? »

Une réponse positive à ces deux questions est associée à unesensibilité de 96 % et une spécificité de 57 %. En cas de réponsepositive à l’une des deux questions ou aux deux, le diagnosticdoit être confirmé par un entretien clinique sur la base descritères diagnostiques du TDM selon le DSM-IV [29].Le Patient Health Questionnaire (PHQ) est à ce jour le seul outild’aide au diagnostic sous forme d’auto-questionnaire, quipermet d’identifier, selon les critères du DSM-IV, les principauxtroubles psychiatriques rencontrés en médecine générale(troubles dépressifs, anxieux, somatoformes, du sommeil,des conduites alimentaires). Il peut être rempli en 10 minutesenviron par les patients en salle d’attente. Il a été validé ensoins primaires aux États-Unis (sensibilité 75 % ; spécificité90 %). Seuls les modules sur la dépression et le trouble paniqueont été validés en Europe. Il n’est malheureusement pasactuellement validé en France mais il pourrait faire à l’évidenceun bon outil d’aide au diagnostic des troubles psychiatriques enmédecine générale. L’auto-évaluation reste soumise à certainsbiais et notamment, comme le souligne les auteurs, à unetendance à la minimisation des symptômes chez certainspatients déprimés [30].Il apparaît dans ce contexte, que l’utilisation d’échelles d’hétéro-évaluation telles que la Mongomery-Asberg Depression RatingScale (MADRS) [31] permet d’améliorer le dépistage et decompléter le bilan clinique. Ces échelles fournissent un bonindice de gravité globale et sont sensibles au changement.

En outre, elles sont d’utilisation facile et rapide en activitéclinique quotidienne. Enfin, la répétition de ces échelles au fildes consultations permet de « monitorer » la réponse thérapeu-tique.

Suggestions à destination des médecins généralistesconcernant la prise en charge du trouble dépressifmajeurÉvaluer la dépression

Bilan cliniqueAvant toute chose, il semble nécessaire de souligner que la miseen place d’une alliance thérapeutique entre le patient et sonmédecin est un élément fondamental dans la prise en charge destroubles dépressifs. Elle ne se résume pas à l’idée de bienveil-lance et est une composante essentielle du diagnostic et dutraitement des épisodes dépressifs. Cette démarche fait inter-venir la notion de temps (dont le médecin généraliste manquesouvent) pour que le patient puisse exprimer ses plaintes entoute confiance. Elle permet, par la qualité relationnelle et leséléments recueillis, de lever les dernières hésitations diagnos-tiques, d’informer le patient et d’envisager avec lui les dif-férentes stratégies thérapeutiques. Une étude française apermis d’élaborer une typologie des différents types d’alliancethérapeutique existant entre le médecin et son patient dans lestroubles dépressifs [32]. Elle en dénombre quatre : l’allianceclinique (38 % des binômes), l’alliance fusionnelle (27 %) l’alli-ance de raison (18 %) et l’alliance difficile (17 %).Dans l’alliance clinique, le binôme gère la dépression commeune autre maladie somatique. Le diagnostic et le traitementsont acceptés sans difficulté. Le patient ne demande pas plus detemps au médecin. La relation est plutôt clinique sans affectexcessif, avec un bon niveau de confiance du patient et les deuxpartenaires sont satisfaits de la prise en charge globale.Dans l’alliance fusionnelle, le diagnostic et le traitement sontacceptés sans difficulté. Le patient a beaucoup d’attentes. Lemédecin doit le rassurer mais sans que cela lui pèse, car il sesent dans une véritable relation de partenariat. La transparenceest une clef de voute de leur relation et les deux partenairessont satisfaits de la prise en charge.L’alliance de raison est une relation qui vient à bout des difficultéset des réticences. L’annonce du diagnostic est souvent malacceptée par le patient, qui ne le pressentait pas. Le patientétant réticent à reconnaître sa maladie, le médecin doit souventfaire des examens cliniques préalables pour conforter le diag-nostic. Le traitement est mis en place plus tardivement et il estégalement difficile à accepter par le patient. Néanmoins, re-ssentant un médecin proche de ses préoccupations et qui prendson temps pour l’écouter, le patient est au final satisfait de saprise en charge et un relationnel de bonne qualité se crée.L’alliance difficile signe un relatif échec de la relation. Le diag-nostic est difficile à énoncer pour le médecin et difficile à accepterpour le patient. Le traitement est prescrit tardivement, changé

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Principales classes médicamenteuses pouvant induire un étatdépressif

Analgésiques

� Par exemple : pentazocine

Antihypertenseurs

� Par exemple : Clonidine, diurétiques, méthyldopa, propranolol,

réserpine,

Anticancéreux

� Par exemple : Azathioprine, bléomycine, mithramycine,

vinblastine, vincristine

Antituberculeux

� Par exemple : cyclosérine

Corticoïdes

� Par exemple : cortisone

Digitaliques

� Par exemple : digoxine

Anti-inflammatoires non steroïdiens

� Par exemple : indométacine, phénacétine, phénylbutazone

Sédatifs

� Barbituriques, benzodiazépines

Dépression en médecine généralePsychiatrie / Medecine Generale

plus souvent qu’habituellement, avec une difficulté pour lemédecin à parler des effets indésirables et un tâtonnementperçu par le patient. La relation est plus conflictuelle : le médecinne se sent pas dans une relation de partenariat, il cache deschoses à son patient, en particulier ses hésitations. Le patientcache également des choses à son médecin, il perçoit un manquede transparence, reproche au médecin de n’être pas proche deses préoccupations, de ne pas prendre le temps de l’écouter et dene pas être disponible.Cette typologie a pour principal intérêt de montrer :� qu’un médecin est engagé dans des alliances thérapeutiques

très différentes selon le patient qu’il prend en charge ;� que le type d’alliance thérapeutique mis en place avec son

patient influence considérablement la prise en charge à pluslong terme.

Le bilan clinique a plusieurs objectifs : confirmer le diagnostic dedépression, obtenir un score de base avec l’aide d’une échelled’hétéro-évaluation, effectuer le recueil des antécédents médi-caux, chercher des troubles cognitifs chez les sujets à risque etchercher des antécédents d’accès maniaques ou hypomaniaque.Un bilan exhaustif de la symptomatologie selon les critèresDSM-IV d’un EDM est nécessaire pour confirmer le diagnostic.L’utilisation d’une échelle d’hétéro-évaluation comme laMADRS avant la mise en place du traitement a un triple intérêt :� objectiver à l’aide d’un score chiffré le diagnostic de

dépression avec le patient ;� permettre un suivi objectif de l’amélioration de l’EDM sous

traitement ;� détecter par la suite d’éventuels symptômes résiduels de la

dépression afin de proposer au patient une adaptation desposologies d’antidépresseurs ou éventuellement une mod-ification du traitement antidépresseur.

Il faut faire un recueil des antécédents médicaux et des traite-ments prescrits :� la recherche d’une dysthyroïdie clinique ;� les médicaments susceptibles d’induire une dépression

(corticostéroïde, bêtabloquants, . . .) doivent être arrêtés sipossible. Les différents traitements susceptibles d’induire unEDM sont recensés dans l’encadre 4.

On doit chercher systématiquement des troubles cognitifs chezles populations à risque comme le sujet âgé ou les patientsayant des dépressions chroniques ou résistantes. Chez la per-sonne âgée, il est possible que la dépression prenne la formed’une démence (pseudo-démence) avec des troubles cognitifssévères. Généralement la pseudo-démence se développe enquelques semaines alors que la démence évolue plus lente-ment. Par ailleurs, dans le cadre de la pseudo-démence, lespatients ont généralement conscience de leurs troubles cog-nitifs. Il est de toute façon indiqué afin de poser le diagnostic detraiter ce type de patient par antidépresseur pendant au moinsdeux mois pour évaluer si l’état démentiel est réversible avecl’amélioration de l’humeur.

tome 42 > n84 > avril 2013

Il faut rechercher systématiquement des antécédents hypoma-niaque ou maniaque à l’interrogatoire ou à l’aide d’une échellecomme l’échelle d’hypomanie de Angst [33].

Bilan paracliniqueLe bilan paraclinique de base comprend un bilan sanguinincluant la TSH, la calcémie, une formule sanguine simple etla glycémie à la recherche de maladies somatiques sous-jacentes.Le reste du bilan paraclinique est fonction de l’examen clinique.Une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale doitsystématiquement être discutée dans le cas d’un TDM récur-rent.

Screening et monitoring de la dépression

Une fois le diagnostic posé, la phase de traitement peut débuter.La première phase du traitement consiste à faire évoluer lasymptomatologie dépressive du patient vers une réponse, puisvers la rémission complète (c’est-à-dire « se sentir bien » et passeulement « se sentir mieux »). Des évaluations répétées pen-dant cette phase sont nécessaires afin d’identifier les patientsnon-répondeurs, en rémission partielle ou inversant trop rapide-ment leur humeur (souvent au bout d’une à deux semaines detraitement) afin de pouvoir réadapter le traitement. La répétitiondes échelles d’hétéro-évaluation comme la MADRS semble êtreun bon outil pour orienter le médecin généraliste dans sesstratégies thérapeutiques. L’objectif est la rémission complète

425

Page 8: Dépression en médecine générale

426

Encadre 5

Facteurs de risque de récidive ou de passage à la chronicité [34]

Sexe fémininNombre, durée, espacement (au moins 2 EDM en 4 ans en plus del’épisode en cours), sévérité des épisodes précédentsPersistance de symptômes résiduels pendant le traitement ou larémission de l’EDMAutres facteurs de risque :

� Âge lors du premier EDM > 60 ans ou < 30 ans

� Récidive rapide

� Antécédents familiaux d’EDM

� Non prise en compte des événements de vie qui ont précipité

l’apparition du ou des EDM précédents

� Traumatismes, séparation ou deuil précoce

� Addictions, y compris le tabagisme

� Environnement familial, social et/ou professionnel insuffisant

ou stressant, contexte économique précaire

K Magalon-Bingenheimer, D Magalon, X Zendjidjian, L Boyer, Y Griguer, C Lançon

de l’EDM. Il peut être nécessaire lors de cette phase de réadapterle traitement antidépresseur plusieurs fois en fonction de sonefficacité ou de ses effets secondaires. Une fois ce stade atteint,le traitement doit être maintenu pendant 6 à 9 mois à laposologie ayant entraîné la rémission complète. Avant l’arrêtdu traitement, il faut éduquer le patient à l’auto-évaluation deses symptômes de rechute ou de récurrence dépressive. Cetteétape est nécessaire pour permettre la réinstauration rapide dutraitement antidépresseur en cas de rechute ou de récidivedépressive. Enfin, chez les patients ayant un trouble dépressifchronique ou très sévère une psychothérapie est recommandéeen plus du traitement pharmacologique.La mise en place d’un traitement antidépresseur au long coursdoit être envisagée après trois EDM ou plus en quatre ans ou plusespacés mais avec un cumul des facteurs de risque. La moléculeantidépressive utilisée doit être la molécule active en phaseaiguë. La question de la durée du traitement de prévention desrécurrences n’est que partiellement éclaircie. Elle peut aller de3 ans jusqu’à prendre un traitement à vie en fonction de laprésence de facteurs de risque de récidive [34] (encadre 5), del’intensité de la symptomatologie du TDM et de la présence derécurrence lors des tentatives d’arrêt du traitement. Il ne faut pashésiter à solliciter ponctuellement l’avis d’un spécialiste pourrépondre à cette question.

DiscussionLe repérage de la dépression en médecine générale reste unpoint central de la prise en charge des patients souffrant deTDM. En effet, le pronostic du TDM est conditionné par sonrepérage et son traitement précoce afin de diminuer le risquede récurrence et de chronicisation de la maladie. Le TDM estfréquent en médecine générale puisqu’il représente 11 % de la

file active [12–14]. Si des questions explicites sur l’humeur nesont pas posées, il devient alors très difficile de poser lediagnostic de TDM. En effet, la grande fréquence dessymptômes somatiques de la dépression et la présence d’af-fections médicales rendent le diagnostic plus compliqué. L’HASrecommande de poser deux questions en pratique courante[11] afin de favoriser le dépistage du TDM en médecinegénérale (« Au cours du dernier mois : avez-vous perdu toutintérêt et plaisir pour la plupart des choses qui vous plaisenthabituellement ? Avez-vous perdu votre entrain ou vous sentez-vous inexplicablement fatigué ou déprimé ? »). Il est probableque si ces deux questions étaient régulièrement posées lors del’examen clinique du médecin généraliste, le TDM pourrait êtrediagnostiqué beaucoup plus précocement.Poser correctement le diagnostic ne suffit pas toujours à mettreen place un traitement adéquat. En France, 75 % des patientssouffrant de TDM ont des doses d’antidépresseurs inférieures auxdoses préconisées [20]. Une des priorités, afin d’améliorer laprise en charge du TDM en médecine générale, reste donc laformation du médecin généraliste à son repérage et à sa prise encharge.Le repérage des cas les plus sévères ne pose pas réellement deproblème [11]. En revanche, lorsqu’une affection médicalegénérale ou lorsque les symptômes physiques du TDM prédo-minent, le repérage devient alors beaucoup plus difficile [11].Une formation à destination des médecins généralistes devraittenir compte de ces particularités cliniques.Le traitement est souvent prescrit à dose insuffisante et pendantune durée trop courte. Une enquête, réalisée en France en2010 auprès des médecins généralistes, montre que seulement28 % d’entre eux connaissent réellement les guides de pratiqueclinique concernant le TDM [29]. Lors de cette étude, les médecinsgénéralistes demandent l’élaboration d’un guide de pratiqueclinique spécialement destiné à leur usage. Les principaux mes-sages à délivrer dans ce guide sont synthétisés dans l’encadre 6.Deux points non évoqués précédemment semblent particu-lièrement importants à souligner :� les médecins généralistes doivent être sensibilisés aux

stratégies médicamenteuses dans le TDM par la réactualisa-tion des guidelines actuels et doivent orienter le patient versune consultation spécialisée dès qu’ils sont confrontés à unépisode compliqué (présence de symptômes résiduels,récurrence dépressive ou rechute précoce) ;

� une information doit être apportée sur les techniquesthérapeutiques nouvelles (comme la stimulation magnétiquetranscrânienne ou encore les nouvelles stratégies d’associa-tions médicamenteuses) et sur la « démystification » deméthodes thérapeutiques interventionnelles telles que l’elec-troconvulsivothérapie. En effet, il semble que la méconnais-sance de ces techniques soit à l’origine du retard de la mise enroute de traitements plus incisifs avec pour risque uneaugmentation des résistances thérapeutiques par la suite.

tome 42 > n84 > avril 2013

Page 9: Dépression en médecine générale

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Encadre 6

Guide de pratique clinique : Principaux messages à délivrer auxmédecins généralistes sur la prise en charge du troubledépressif majeur (TDM)

Le repérage du TDM peut être facilement réalisé en posantsystématiquement comme questions : « Au cours du dernier mois :

� Avez-vous perdu tout intérêt et plaisir pour la plupart des choses

qui vous plaisent habituellement ?

� Avez-vous perdu votre entrain ou vous sentez-vous

inexplicablement fatigué ou déprimé ? »

Les symptômes physiques de la dépression sont plus fréquentschez les patients pris en charge en médecine générale.Les patients souffrant d’une affection médicale générale sont plusà risque d’être atteint d’un TDM.Le traitement du TDM des patients souffrant d’une affectionmédicale doit être le même que celui du TDM des patients nesouffrant pas d’une affection médicale.L’objectif du traitement antidépresseur est la rémission complèteet non pas la simple réponse au traitement.Évaluer précisément la symptomatologie dépressive en phase pré-thérapeutique et en phase thérapeutique permet ensuite de plusfacilement distinguer les effets secondaires du traitement et lessymptômes résiduels de la dépression.Le traitement doit être pris pour une durée suffisante : de 6 à9 mois pour un premier EDM jusqu’à la vie entière dans le cadredes formes les plus graves de TDM récurrent.Prévenir le patient des principaux effets secondaires d’apparitionrapide (troubles digestifs essentiellement) est un moyen simple dediminuer le risque d’arrêt précoce du traitement.

Dépression en médecine généralePsychiatrie / Medecine Generale

L’HAS [11] et l’OMS [9] préconisent de modifier les stratégies deprise en charge actuelles du TDM. D’une perspective à courtterme focalisée sur l’épisode dépressif, elles ont évolué versune approche à long terme. Cette approche doit maintenantêtre globale et favoriser l’amélioration de la perception de lamaladie par le patient, le repérage de la dépression en méde-cine générale et la coordination entre médecins généralistes etpsychiatres.Ces objectifs ne peuvent être atteints qu’en envisageant unepolitique de santé publique à l’exemple du programme deNuremberg [35] ou du programme EAAD [36]. Le programmede Nuremberg a duré deux ans. Il associait une campagne desensibilisation massive auprès du grand public et des profes-sionnels de santé. Le programme EAAD est la déclinaison duprogramme de Nuremberg à l’échelle européenne. Une cam-pagne de santé publique organisée par l’INPES en 2007 a eulieu en France [37]. Cette campagne intitulée « La dépression :en savoir plus pour en sortir » proposait un guide à destinationdu grand public et des professionnels de santé, des spots vidéoet la création d’un site Internet d’information sur la dépression.Elle a duré six mois. Le guide et les spots vidéo sont encore

tome 42 > n84 > avril 2013

consultables sur internet. La phase active de la campagne desensibilisation a été probablement trop courte pour avoir uneffet sur le long terme notamment au niveau de la stigmatisa-tion des troubles mentaux en général et de la dépression enparticulier. Cette campagne n’a pas fait l’objet d’une évaluationspécifique (suicide, augmentation de la détection du TDM,amélioration de la prise du traitement, . . .) alors que le pro-gramme de Nuremberg a démontré son efficacité notammentau niveau de la prise en charge du suicide.La coordination entre médecins généralistes et psychiatres doitaussi être développée. Selon l’enquête réalisée en Franceauprès des médecins généralistes, l’accès aux soins spécialisésen psychiatrie est jugé difficile et la communication avec lespsychiatres est considérée comme insuffisante [28]. Les solu-tions proposées lors de cette enquête sont :� l’ouverture par les psychiatres de consultations sans rendez-

vous comme le font beaucoup de médecins généralistes ;� la mise en place d’une permanence téléphonique afin de

pouvoir disposer d’un avis ponctuel ;� une amélioration de la lisibilité du circuit de soins en

psychiatrie ;� l’ouverture d’une structure d’accueil spécifique des patients

souffrant de TDM ;� l’envoi régulier au médecin traitant d’un courrier sur la prise

en charge psychiatrique de son patient ;� un renforcement de la collaboration entre médecine de ville

et médecine hospitalière.En résumé, les médecins généralistes demandent un accès auxsoins spécialisés qui soit facile, rapide et clairement défini.

ConclusionLe TDM est un problème de santé publique. C’est un trouble quitend fréquemment à la récurrence et qui est une sourceimportante d’invalidité. Il est essentiellement pris en chargeen médecine générale. Le retard diagnostic est la règle et ilimpacte négativement le pronostic évolutif du TDM. L’HAS etl’OMS préconisent de développer de nouvelles stratégies deprise en charge en favorisant l’amélioration de la perception dela maladie par le patient, le repérage de la dépression enmédecine générale et la coordination entre médecins généra-listes et psychiatres. Ces objectifs ne peuvent être atteint qu’enenvisageant une politique de santé publique. Dans ce contexte,les médecins généralistes ont un rôle important à jouer en :� améliorant la détection des patients souffrant de dépression

en posant des questions spécifiques sur l’humeur ;� mettant en place un traitement antidépresseur à posologie

adaptée ;� cherchant systématiquement les symptômes résiduels après

la mise en place du traitement antidépresseur ;� orientant vers le psychiatre, pour avis spécialisé, les patients

souffrant de dépression récurrente, chronique ou en présencede symptômes résiduels ;

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� réactualisant leurs connaissances sur les nouvelles thérapeu-tiques de la dépression comme la stimulation magnétiquetranscrânienne.

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Déclaration d’intérêts : David Magalon, Katja Magalon-Bingenheimer,Xavier Zendjdjian, Ygal Griguer déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêtsen relation avec cet article. Christophe Lançon a des conflits d’intérêts en tantqu’intervenant à des EPU organisés par les laboratoires Lilly, Otsuka, Bms,Astra-Zeneca, Jansen, Lundbeck, Schering-Plough, Genopharm, Merck.

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