Kaya

Etpuismerde

©Kaya,2020

ISBNnumérique:979-10-262-6297-8

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Chapitre1.Prisedeconscience

Janvier2015

Nousvivonsau traversdenotrepropre regardetdeceluidespersonnesquinousentourent.Maismoi,Edda, jevivaisavec lapeurauventrequ’onnemevoitqu’àtraverslapertedemamère–j’étaisalorsâgéedecinqans,presquesix.

Unjour,jenesaispourquoi,unemassedecellulesanormaless’estmultipliéedans son cerveau, de façon plutôt incontrôlée. Ces cellules se formèrentrapidement,etcommencèrentàprendreplacedanslestissusvoisins.Uneespèced’espaceSchengeninopiné.Quelquessemainesplustard,dernièred’unefratriedetroisenfants,jedevenaislaseulefemmedelamaison.

J’étaislaseulenana,ilestvrai,maisj’étaisaussidevenuelequatrièmegarçon.J’avais le choix, je pouvais être la petite fille adorée et chérie. Ou bien lenouveau petit gars. Je pouvaism’habiller commemes frères, avoir lesmêmesactivités qu’eux, tout faire comme eux (sauf uriner debout, à mon granddésespoir)etàlafoisjoueràlamaîtresse.J’aimaisêtreaussibienl’ombrequelalumière.

Jouer àActionMan, faire des concours de rots, descendremes figurines deZidane et Desailly en regardant les matchs de l’équipe de France en 98,m’amuser avec mon yoyo, regarder Dragon Ball Z, avoir un amourinconditionnel pour les joggings, aller au foot trois fois par semaine. Ne paspleurer,crier,serrerlesdents,avoirpeur,nepaslemontrer,nepasmemaquiller,passermesjournéesà jouerà laGameCube,enregrettant laNintendo64.Êtrecoriace,avoirlescheveuxenbataille,disposerd’unearméedebaskets,fairedusport, éclater de rire. Embêter les autres, faire la course, lancer des défis.Tomber,sefrotter,serelever.

Soit.

Mais aussi jouer à la marchande, me moquer, hasarder, risquer, pleurer,chanter, sourire, fouiller. Faire l’avion avec mon frère, dessiner, écrire despoèmes, danser commeune folle.Me coiffer, refuser demettre les affaires demesfrères,laisserlaporteouvertelorsquejemettaisdumascara,voirlesourireencoindemesprocheslorsquej’enfilaisunejupe.Discuterpendantdesheures.

Edda Elvin Santorre. C’est comme ça que je m’appelle. Ma mère voulaitm’appelerEddaetmonpèreElvin.C’estmamèrequiagagné.Jesuislaseuledemafamilleàavoirdeuxprénoms.Çamefaitmarrer,parcequej’aitoujourseul’impressiond’êtreàlafoisunefilleetungarçon.Onpourraitdirequ’Eddac’est mon côté féminin, et que Elvin c’est mon côté masculin. Mes parentsavaientdûsentircettedualitéalorsquej’étaisencoredansleventredemamère.

Engrandissant,mesdeuxcôtésavaientdumalàcohabiter.Ilsm’apportèrentbeaucoupdequestionnements,etd’étatsd’âme.

Unjour,Yukamedemanda:

—Laféminité,çareprésentequoipourtoi?

—Aucune idée.Toutceque jesais,c’estquependant longtemps, j’mesuispassentieféminine.

—Bon.Ettupensesquec’estdûàquoi?

—Quand t’esunefille tu tedoisd’êtrepolie,de temaquiller,deporterdeshabitsappropriés,oud’êtrecoiffée.Ilfautpastropjurer,pasêtretropvulgaire,pasabordercertainssujets.

—Tucroispasquec’estdanstatêteça?

—J’m’excuse,mais quand on est une fille, c’estmal vu de dire : « Putainc’estdégueulasse!»Faudraitdire:«Cen’estpastropàmongoût.»Pourquoilesgarçonsauraient-ilsledroitd’avoirunlangagepluspénétrant?

—Ok.Enattendant,toi,tuparlesbiencommeunebourrine.

—Oui.«Çamecasselescouilles!»c’estmaphrasefavorite.Pasparcequej’aime la vulgarité. Parce que je la trouve puissante. Et tu sais ce que je vaisentendre après ? « Ce n’est pas beau dans la bouche d’une femme. »Évidemment!Maisquiaditqueçal’étaitplusdanslabouched’unhomme?

—Qu’est-cequiteplaîtàtoi,alors?Teconteniroupasserpourunebarbare?

—Cequimeplaîtàmoi,c’estdeparleretrirevéritablement!Mesentirlibredem’exprimercomme j’enai envie. J’m’en fousdemarcher avecgrâce,moi.C’qui m’importe c’est de marcher tout court, et de profiter de la balade, meconcentrer sur ce quim’entoure plutôt que sur la façon dont jemarche !Mesentirbelleplutôtquedeme fairebelle. J’préfère apprendreàm’aimer,plutôtquedemesentirbelledansleregarddesautres.

—Alorstuvois,tusaistrèsbiencequec’estlaféminité.Tutel’esappropriéesanst’enrendrecompte.

—La féminité c’est avoir confiance en soi. Être libre.Admettre.Consentir.Supporter.Êtreunefemme,c’estexprimersesémotions.

—Alors,maintenanttutesensfemme?

—J’mesenslibre.Jepeuxparleravecmasensibilitésanséprouverdegêne.Envrai,Yuka, tu veuxque je te dise : la féminitéest propre à chacune. C’estquelquechosequisedévoile.C’estimpalpable.

—Ducoup,t’aspasréponduàmaquestion:c’estquoilaféminité?

—C’est de s’assumer pleinement, naturellement.En fait, j’crois qu’il suffitseulementd’accepterd’êtrebruteetsanssubterfuges.

J’avais enfin trouvé une des explications qui me permettraient de medécouvrir.Enfinuneréponseàl’undemesnombreuxquestionnements.

Leplusdurrestaitàfaire:

Décelertouteslesautres.

Désormais, je lesavais, jemenaisuneguerrecontremoietmoiseule.Et, jecroisquec’estlecombatleplusdifficiled’unevie.Unduelquipeutdeveniruncarnage, un beau carnage. Il me faudrait alors être patiente. Le trésor que jevoulaiséperdumenttrouvern’étaitpeut-êtrepasunesolutionmaisunequestion,desquestions,cesquestionsquejemeposaistant.

Jesavaisquelesréponsesétaientprobablementenmoi,maisjenepouvaispasm’empêcher de penser que j’avais besoin de signes extérieurs, d’indices, degestes,d’avertissementsouencoredesymbolespouressayerdecomprendrecequim’arrivait. Et lorsque j’essayais de les chercher parmoi-même, j’écrivais.C’était comme un brouhaha, un sacré chuintement. Là, arrivaient lesclaquements, lesmurmures, puis les pétarades, les ronflements, une putain derumeurfinissantparunputaindevacarme.

«C’esttroisheuresdumatin,jeferaismieuxdedormirmaisjenepeuxpas.Unsyndromede laconnerieoude l’illusion,vasavoir.Jenepeuxpasdormirseulec’estcedontjemepersuademoi-même,maisfinalementjen’ensaisrien.Aufond,n’est-cepascequej’aitoujoursfait,mepersuaderdechosesdontjenesaisrien?Oualorsfuirleschosesquejesaislemieux?Leslarmesmemontent.Mesveinesplusqu’apparentes surmesbras, toutesgonflées,dilatées,presqueprêtes à se déchaîner. On peut les deviner à travers un drap épais. Elles seremplissentausouffledemoncœur,quilui,batàtoutevitesse.Commesic’étaitses dernièresminutes de vie, ses dernièresminutes de course, il finira par unsprint.Est-cequec’estvraicetteconneried’avoirpeurdedormirtouteseule?Ouest-cequec’estparcejesaisquelorsquejedorsc’estdutempsperdupourfaireavancerlessolutionsàmesinterrogations?Peut-êtrequejeréfléchistropavantdedormir.Cequejeredouteleplusdanslefaitdedormir,c’estlemomentoùjesaisquejenecontrôleplusrienmaisquemoninconscientlefait,lorsqueje fais ces rêves éveillés. Lorsque je me regarde dans un miroir, je fonds enlarmes.Est-ceparcequejevoislerefletdecequejesuisréellement?Uncorpsenquêted’âme,desouffle,devolonté,d’entendement.

Probablementquecetravailquej’aifaitm’aideraetcettepagailleincessanteest sûrement en train de m’aider également. Mais, qu’est-ce qui cloche chezmoi?Pourquoijepensetoujoursaupire?Jevoudraisvivreavecuncancer,ouungouffrede souffrancequelqu’il soit.Commes’il fallaituneexcusevalablepour se battre ou sangloter. Chercher désespérément comment sortir de cettefrénésiepsychologique.Commesi j’avais tantbesoindecette zonedeconfort.Par pitié, dites-moi simplement que c’est autre chose. Un jour oserais-jevraiment porter ce « Il n’y a pas de règles » sur la chair, moi qui ne suisfinalement pas capable de suivre les conseils que je m’occupe sans cesse dedonnerauxautres? Je vais vivrepour lesautres,mais jusqu’àquand?Vivrejusqu’àleregretter?Jeveuxéprouver,endurer,supporterparcequejel’auraidécidé.Metorturer l’esprit,neplussentirmesmembrespourenfinnepouvoirressentirquemonâme,etêtrelibreden’envouloirqu’àmoi-même.Jeneveuxpas rester là à attendre, temporiser, suspendre, subir mes émotions et cesépreuves. Je veux passer une nuit blanche juste pour pouvoir sentirmes yeuxépuisésauplushautpoint.Harassermonesprit,quetoutmonêtresoitéreintéautantquejelesuisdecesconneries.