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LE DILETTANTE Extrait de la publication

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Les Chiens écrasés

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DU MÊME AUTEUR

Les Baltringues,Le Dilettante, ;

«Folio», .

Le 18,Le Dilettante, ;

«Folio», .

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Ludovic Roubaudi

Les Chiens écrasés

l e d i l e t t a n t e, rue Racine

Paris e

le dilettante, rue Racine

Paris e

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© le dilettante,

ISBN ---

Couverture : Di Marco

978-2-84263-432-2

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à Mademoiselle K.

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Et l’autre navet qui continue de trinquer avecla famille. Un coup pour la morte ! Un couppour le père ! Pour la mère, les tantes et tout lesaint-frusquin de la famille… à n’en plus finir.Et plus l’alcool coule dans nos gorges et moinsla décence nous habite. Déjà on titube sur nosjambes fatiguées et nos paroles ne sont plusque des borborygmes au lieu d’être des condo-léances. Bientôt on commencera à sourire etpuis à rigoler bêtement en se poussant du coudedevant les blagues salaces qu’on s’échangerasous l’éclat brillant des boules de Noël du sapinen plastique. Une honte.

Et un autre toast ! un nouveau. Mais cettefois-ci je refuse et réclame un verre de leurOrange Bubble de chez l’épicier du coin. Unegrande bouteille en plastique mou à étiquetterouge avec marqué dessus, en jaune avec des

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petites bulles dessinées en noir, «Pétillant ».Mais c’est une erreur. Ce truc est pire encoreque leur rouge limé (une monstrueuse vinassequ’ils coupent à la limonade). C’est du centpour cent pur produit chimique mélangé à dupet de pauvre qui aurait mangé une orangeblette… pouah!

Le père qui m’apostrophe :– L’a pas bonne mine le journaliste.T’as faim,

gamin?– Ouais! c’est ça… un petit creux. On n’a rien

mangé depuis ce matin.– Heula… môman, t’as pas une graine pour

le journaliste?– Non, non, madame, ne vous dérangez pas.

On va y aller de toute façon. Hein, Casa, qu’onva y aller?

– Si tu le dis, Grand. On va y aller.– Allez, vous en prendrez bien un dernier

pour la route?– Non, non, vraiment il faut qu’on y aille… il

est tard, on doit trouver un restaurant et unhôtel.

– Beuh,vous ne trouverez rien d’ouvert par ici.Faudrait que vous vous en retourniez à Arras.Mais là-bas non plus y a pas grand-chose.Vousdevriez faire le souper avec nous.

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Et voilà la trappe du piège qui me claque aunez. Misère de misère ! Comment voulez-vousdire non dans un cas comme celui-là? Avec lecercueil de la fille sur la table de la salle àmanger et toute la famille en deuil qui nousregarde. Impossible de se défiler. Impossible deleur dire que j’en ai marre de leur baraquesurchauffée, marre de leur drame qui ressembleà tous les drames qu’on couvre semaine aprèssemaine avec Casa, marre de leurs tronchesinsensées, marre de leur mauvaise bouffe et deleur alcool à deux balles qui brûle l’estomac etronge le cerveau, marre de passer de misère enmisère en faisant gaffe de ne jamais m’y prendreles pieds, marre de ces fêtes de Noël qui grimentles intérieurs d’éclats de joie factices.

Mais que pouvais-je dire à ce père qui meregardait avec espoir? À toute cette famille quicrevait de peur de se retrouver devant le cercueilde leur fille sans aucune autre aide que leurchagrin et l’incapacité qu’ils avaient à l’expri-mer en mots? Que pouvais-je faire?

– C’est vraiment gentil… je ne sais commentvous remercier.

– Faites pas tant de manières. Si on s’aidaitpas quand on est dans le souci, c’est là que la vieserait dure.

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Nous étions arrivés dans le bled le matinmême Casa et moi. On l’appelait Casa parcequ’il était né à Nice… un jeu de mots un peufacile, je reconnais. Mais c’était comme ça. Etpourtant son truc à lui c’était plutôt le blanc.Tous les jours à onze heures on devait luitrouver un rade pour qu’il se tape son gorgeon.Sans cela il n’était plus capable de cadrercorrectement la moindre photo. Même lescontretypes il les ratait. C’est pour dire à quelpoint il tremblait sous l’effet du manque!

Mais malgré ça, Casa était le seul photo-graphe avec lequel j’aimais partir en repor-tage… d’abord parce qu’il était sérieux, ensuiteparce qu’il était sympa et rassurant et puis enfinparce qu’il avait l’alcool gai. Et ça, ça compte lagaieté… parce que avec notre métier à la noixon en a foutrement besoin. C’est du sport pourtrouver quotidiennement des ressources afin decontinuer à rire dans le marais du drame danslequel nous passons notre vie. Alors d’avoir undrôle avec soi, ça n’a pas de prix.

En plus il avait une voiture, ce qui est tou-jours mieux qu’une location… une R18…«l’American II »… bleue. Avec deux liserésargent tout le long de la carrosserie à hauteurdes poignées de portes… très chic. Je le cham-

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brais toujours sur sa bagnole. C’était comme unrite entre nous. Lorsqu’il passait me prendreavant de partir sur un reportage je me moquais.

– Tu sais que t’es beau dans ta Cadillac,Casa… non franchement. Elle te transfigurecette caisse. Toi qui as plutôt le physique deRobert Castel, quand t’es dedans on dirait leKing. Sans blague, si tu veux draguer n’en sorsjamais, c’est ta seule chance.

Même s’il était du Sud, de Nice plus précisé-ment, il n’avait pas le genre exubérant Casa. Sesmains ne bougeaient pas quand il parlait et il nevous appelait jamais mon ami en ouvrant grandles bras quand il vous croisait dans la rue. Mêmele pastis il n’en raffolait pas. Ses parents étaientdes paysans bretons qui étaient descendus sur laCôte pour y vendre leurs bras à ramasser lesmelons et les pêches… en somme il était du Sudplus par pauvreté que par adoption.

Petit avec une bouille ronde, une mèche decheveux bruns qui lui tombait sur le front vers lagauche, et une moustache poivre et sel au-dessus d’une bouche qui rebiquait sur le haut àforce de sourire.

Il parlait en roulant les « r »… un peu commeces voix radiophoniques que l’on entendait dans

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les années trente… un parler qui a disparu…comme a disparu l’accent parisien au profitd’un accent de banlieue commun à toutes lesjeunesses périphériques.

Dès qu’il était ému il attrapait la ceinture deson pantalon à deux mains et la secouait endisant : «Oh, le con! Oh, le con!»

La photographie n’était pas forcément unepassion chez lui… Les choses s’étaient en-quillées toutes seules. Entré à seize ans commegarçon d’étage à Air liquide, il avait été pris enmain par le responsable du service photo. De filen aiguille, il était passé au labo puis à laphoto… et enfin à la presse. Il avait la techniquemais pas l’âme de la photo… on ne lui endemandait pas plus d’ailleurs… comme à moi.

Dans notre duo mon boulot c’était d’écrire lepapier, de rapporter la substantifique moelledes affaires crapoteuses que nous couvrions.

C’était justement pour découvrir cette moelleque nous nous étions retrouvés dans le coron deBilly-Montigny, un bled minier de la périphéried’Arras. Une histoire d’une écœurante banalité :Christelle, la victime, une jeune femme de dix-huit ans, avait été criblée de chevrotines par sonpetit copain qui pensait, à tort, qu’elle le trom-

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pait avec un petit vieux chez qui elle faisait leménage deux fois par semaine pour gagner troissous.

C’est Casa qu’avait trouvé l’affaire dans LaVoixdu Nord.Au départ, je l’avais envoyé paître.

– Elle est nulle ton affaire. Il n’y a pas troislignes à faire dessus… et puis merde c’est Noël.On pourrait peut-être se trouver un truc à lamontagne.

– Peut-être. Mais moi je me taperais bienune soupe à l’oseille, une carbonade, un petitfromage de Bergues et une boulette rouged’Avesnes. Ça te dirait pas de te taper la clocheà la Gueuse?

– C’est quoi une carbonade?–Tu ne connais pas la carbonade?– Ben non.– Alors il n’y a plus à tortiller, Grand. Je vais

prévenir Rochembault qu’on part sur le coup.

Rochembault c’était le rédacteur en chef dujournal. Un petit chauve à la peau mate, decinquante, cinquante-cinq ans peut-être. Unventre proéminent et les manches de chemiseperpétuellement relevées sur des avant-braspoilus avec une gourmette en or au poignetdroit. En plus de s’occuper de nos papiers et de

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leurs titres, il nous pistait à distance pour savoirsi on ne se la coulait pas trop douce sur nosreportages. On devait lui téléphoner matin, midiet soir pour lui raconter par le détail les résultatsde nos investigations.

Il y avait bien quinze ans qu’il n’était plusretourné en reportage mais il connaissait encoretous les trucs pour les avoir pratiqués pendantde longues années. Impossible de l’enfumer enracontant que l’affaire se goupillait mal alorsqu’on avait tout en main pour pouvoir carotterune ou deux journées de repos aux frais dujournal. Dans notre dos il appelait les localiers,les flics, le palais de justice… une fois même, surun meurtre du côté de L’Isle-sur-la-Sorgue, ilavait appelé l’hôtel, parce que c’était l’été etqu’il y avait une piscine, pour s’assurer qu’ondécarrait bien le matin pour ne revenir que le soir.

Malgré ça je ne peux pas dire que Rochem-bault ait été un fumier. Non! C’était un bonrédacteur en chef et un bon meneur d’hommes.On le craignait mais on le respectait car il étaitcapable par ses relations de nous sortir des infor-mations que nous n’arrivions pas à récupérer.

On partait souvent en fonction de nos enviesgastronomiques du moment. C’était une petite

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gâterie qu’on s’offrait pour se doper le moral.Pas des restos de luxe, non! Des petits trucsqu’on trouvait dans le Michelin ou qu’on serepassait entre confrères. Souvent d’ailleurs onse souvenait des affaires par les bouffes.

Si j’avais su ce jour-là ce qu’elles allaient nouscoûter les boulettes d’Avesnes de Casa, je meserais cassé une jambe. Et puis j’y serais allé enrampant.

Nous étions d’abord passés à Arras. On avaitrendez-vous avec le rédacteur du journal localpour récupérer quelques infos, les adresses et lespremières photos. Son bureau se trouvait dansune petite rue pavée derrière la grande placeaux arcades. Un vrai capharnaüm aux murs grisavec, sur une vaste table inclinée, des grandsclasseurs de toile cartonnée bordeaux qui conser-vaient les archives du journal sur plusieursannées. Au sol des cartons de courriers, desboîtes de pellicules photo vides montées les unessur les autres comme au «chamboule-tout», despapiers en pagaille. Des affiches de voyage auxmurs… et au fond de tout ça, notre gars.

C’était un grand lymphatique au ventreadipeux. Boudiné été comme hiver dans un pullbleu marine sale sous une saharienne sans

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manche. Il avait des cheveux poivre et sel trèscourts plantés en arrière de son front et despetites lunettes rondes en acier posées en boutde nez.

Martingal il s’appelait. Je le connaissais unpeu car j’avais déjà travaillé avec lui sur deuxautres coups. Gentil mais mollasson.

Dès qu’on essayait de le bousculer il se ca-ressait le haut du front avec le plat de la main,comme s’il tentait d’aplatir une mèche de che-veux qu’il aurait eue dans le temps, en marmon-nant des phrases incompréhensibles pleinesde «heu» et de «hmmm». Mis à part cette len-teur, il aurait pu être bon s’il n’avait eu le vicedes bourrins.Toute sa paye y passait avec régu-larité… et pas que sa paye d’ailleurs… sa femmeaussi après qu’il eut été pour une énième foisratiboisé sur un tuyau soi-disant en or. Mais iln’y avait rien à faire. Malgré les casquettes àrépétition, les huissiers, l’interdiction bancaire,les déboires sentimentaux, l’expulsion de sonappartement, il continuait à parier sa chemisesur les plus tocards des bourrins.

– Mon problème c’est que je suis coincé ici…si j’étais à Paris ce serait différent. Je pourraisentrer en contact avec les entraîneurs… et alorslà ça cracherait.

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À chaque fois il nous demandait si on neconnaissait pas un canard parisien qui embau-chait. On ne répondait jamais non. On se con-tentait de dire qu’on allait voir, se renseignermais que c’était dur parce que les places étaientrares et chères. De toute façon je ne le voyaispas gagnant dans le métier, le père Martingal.Placé à la rigueur mais tout juste… et encore.Enfin ! Après avoir récupéré deux photos dela victime et des photocopies des trois articlesqu’il avait écrits dessus, on l’a emmené déjeuneravec nous.

Casa a pris sa carbonade, moi la soupe àl’oseille, lui un steak frites.

– Je ne sais pas ce que vous allez tirer de cetteaffaire. Il n’y a rien dedans. Il s’est cru cocu et ill’a tuée. C’est tout.

–Vu sous cet angle il n’y a effectivement rienà raconter. Mais un meurtre c’est le croisementde plusieurs histoires. Suffit d’en remonter lecours et de les raconter.

– De toute façon moi je m’en fous. C’est votreaffaire désormais.

– Et pourquoi s’est-il cru cocu le meurtrier?– Ah ça, je n’en sais rien… peut-être qu’elle

en avait un autre après tout. Ou alors il y en a unqui la regardait d’un peu près.Vous savez ce que

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On ne voyait pas de lumière par les jointsmal assurés de la grande porte de bois. Onn’entendait pas de bruit mais j’étais sûr de latrouver là. J’ai frappé du poing plusieurs foissans réponse.

– Je ne sais pas si tu m’entends, Mademoi-selle et après tout je m’en fous. Je ne cherchepas de pardon ni à présenter ma défense. Non.Je veux juste parler… juste dire ce que j’ai surle cœur. Tout à l’heure sur la route j’ai vu unchien écrasé. C’est drôle, hein ! ? Enfin drôle,je m’entends.Tu connais l’autre nom des faitsdivers : les chiens écrasés. Oui, c’est comme çaqu’on parle des petites affaires avec lesquellesje gagne ma vie. Les petits meurtres, lesaffaires crapoteuses, les crimes de sang, lesviols, les braquages… tous ces articles qu’onlit avec délices et que l’on oublie aussi vite. Ce

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sont des chiens écrasés. On s’arrête pourregarder la tripe et le sang sans même se poserla question du nom du chien ou de sa race. Ons’abreuve de malheur à deux balles et ça suffit.Mon boulot à moi c’est de bien décrire tousces cadavres de chiens qui jalonnent les routesde France. Jusqu’à aujourd’hui je n’y voyaispas de mal… au contraire même. Parce quej’étais payé, j’avais l’impression de ne pas êtrecomme les autres… parce que c’était monmétier, je pensais que je pouvais n’être jamaiséclaboussé du sang de mes chiens écrasés.Aujourd’hui je trouve que le sang de Cédricsalit autant mes mains que les yeux deslecteurs. Je vais rester ici, Mademoiselle. Jevais arrêter de croire que regarder c’est fairequelque chose. Je ne sais pas si je vais pouvoiraider les SDF mais au moins je vais essayer.Voilà. C’est tout… et puis je voulais aussi tedire qu’après t’avoir bien regardée, j’avaisenvie de faire quelque chose avec toi… maisbon…

Je suis resté devant la porte close pendantquelques instants et puis j’ai tourné le dos. J’aifait trois pas et j’ai entendu la porte s’ouvrir.

– Au fait, Grand… c’est quoi ton prénom?– Pourquoi? C’est important un prénom?

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