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1 VIVRE SOURD EN ANGLETERRE Rapport de Découvertes Voyage Zellidja, du 15 juillet au 12 août 2009, Angleterre Alice Mimoun, Premier voyage Zellidja.

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des sourds anglais

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VIVRE SOURD EN ANGLETERRE

Rapport de Découvertes Voyage Zellidja, du 15 juillet au 12 août 2009, Angleterre

Alice Mimoun,

Premier voyage Zellidja.

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FICHE SIGNALETIQUE

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SOMMAIRE

INTRODUCTION 4

PREMICES 7

LA PLACE DES SOURDS DANS LA SOCIETE 12

A. L’ADULTE 12

B. L’ENFANT 15

ACCESSIBILITE 18

A. TELEVISION 18

B. TRAVAIL 23

RECIT DE VIE 25

LE MOT DE LA FIN 27

REMERCIEMENTS 28

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INTRODUCTION

orsque j’ai présenté mon projet, celui-ci s’intitulait « Des sourds Anglais face à leur Histoire ». J’avais la volonté de comparer les récits de vies des personnes que je rencontrerai avec l’Histoire Nationale des Sourds. Cependant, il s’avère que je n’ai pas trouvé d’Histoire Nationale des Sourds comme il en existe

en France. J’ai obtenu des bribes d’évènements communs, comme des lois mises en place par l’Etat pour l’accessibilité des Sourds, mais comparé à l’Histoire Française, et du coup à ce que je pensais pouvoir découvrir, ce ne sont que de brefs éléments, qu’ils soient politiques, sociaux ou culturels. Durant mon voyage, je me suis rendue compte que mon sujet ne collait pas à la réalité de la vie des Anglais. J’ai d’abord pensé que mon sujet était trop précis. Et puis avec un peu plus d’expérience et de recul, j’ai réalisé que ce que je souhaitais atteindre était bien enfoui et peu maîtrisé par les personnes que j’ai rencontrées. Par conséquent, je reste persuadée que cette Histoire Nationale des Sourds existe bel et bien mais je pense que je n’ai pas su trouver les bonnes personnes, ou que je ne suis pas parvenue à poser les bonnes questions pour accéder à cette partie cachée, celle que je souhaitais comprendre. Lors de la préparation de mon projet, et ce jusqu’à mes premiers jours sur place, je pensais que rester un mois en Angleterre serait déjà suffisant pour voir émerger des éléments importants pour mes recherches. Grand mal me pris ! Il m’aurait certainement fallu deux mois pour trouver les bons contacts. Egalement deux ou trois pour les rencontrer, recueillir leurs témoignages. Et quelques mois pour trouver et visionner les documents correspondants à mon sujet. Enfin, il m’aurait certainement fallu une meilleure préparation de mon approche et une meilleure maîtrise de la langue pour en saisir les subtilités.

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Il aurait été idiot de ma part de vouloir écrire sur l’Histoire des Sourds en Angleterre avec si peu d’éléments. Je me suis longtemps demandé quel serait le thème le plus pertinent au regard de cette expérience. J’ai vécu un peu moins d’un mois chez des personnes sourdes, partagé leur quotidien, recueilli leurs témoignages… C’est pourquoi j’ai choisi d’intituler ce projet « Vivre Sourd en Angleterre ». Tout au long de mon voyage, j’ai été tour à tour surprise, déçue, interrogative, révoltée, contente … et bien d’autres, en observant ces gens dans leur quotidien. Il est vrai que je connais très bien la communauté sourde et sa culture, en France, pourtant, la vie des sourds anglais est assez différente de celle que je connais, en France. A mon sens, nous partons tous avec des a prioris dans la vie, peu importe l’éventuelle volonté de n’en avoir aucun, c’est impossible. Comme je le disais dans ma lettre d’impressions, je suis partie pleine de préjugés, et ce n’est qu’au cours de mon voyage que je m’en suis rendue compte. Mais finalement, peut être que ces préjugés que j’avais ont rendu mes découvertes plus impressionnantes pour moi.

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PREMICES

ertains éléments doivent être mis en lumière, sans quoi, il est difficile de saisir pleinement l’intérêt de mon projet.

Le nombre d’êtres humains qui naissent sourd, ou perdent l’usage total de l’audition avant l’acquisition du langage, c'est-à-dire le plus souvent avant l’âge d’un an, est encore sous estimé par la plupart d’entre nous. Il y a certainement beaucoup plus de Sourds autour de vous que vous ne l’imaginez. De plus, il existe plusieurs degrés de surdité, allant de légère à profonde qui se mesurent en perte de décibels. Pour ma part, je me suis intéressée uniquement aux Sourds ayant une surdité sévère ou profonde. [Surdité sévère : Perte moyenne entre 70 et 90 dB = la parole peut être perçue à voix très forte, près de l’oreille et seuls les bruits forts le sont encore. Surdité profonde : Perte moyenne entre 90 et 120 dB = La parole n’est plus du tout perçue et seuls les bruits très puissants le sont. Lorsque la perte moyenne atteint 120 dB, plus rien n’est perçu.] Il faut savoir que les sourds ont longtemps été mal considérés et mal traités, et cela dure encore. Lorsqu’une personne est sourde, j’entends donc à un degré sévère ou profond, elle ne peut pas parler. Or de nombreuses personnes ont voulu que les sourds « parlent ». Ils ont mis en place un système d’oralisation pour les Sourds, avec des séances de rééducation orthophoniques et par l’interdiction de l’usage de la Langue des Signes. Cependant, la langue première d’un Sourd est la Langue des Signes.

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Cela reviendrait à rééduquer à tout prix une personne en fauteuil roulant pour qu’elle marche, alors qu’elle en est incapable. Certes, cela pourrait fonctionner pour quelques pas, mais pas sur la durée puisqu’elle n’en a pas les capacités corporelles. Donner la vue à un aveugle de naissance serait de la même manière totalement absurde. Qui plus est, les Sourds, qui ne peuvent donc pas parler, sont coincés dans leur communication quotidienne. Comment téléphoner lorsque l’on n’entend pas ? Comment se faire comprendre d’une personne entendante si elle ne maîtrise pas la Langue des Signes ? Comment comprendre un film s’il n’est ni sous-titré, ni traduit en Langue des Signes ? Ce sont toutes ces petites choses de notre quotidien qui sont inaccessibles aux Sourds et dont on ne se rend pas compte qu’elles sont si faciles pour nous. Malheureusement, de nos jours les enfants Sourds sont de plus en plus intégrés scolairement. Particulièrement depuis la loi du 11 février 2005 (Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées) qui impose, entre autre, aux établissements scolaires d’accueillir tout enfant, handicapé ou non. Mais pour les Sourds, qui dit intégration, dit oralisation. A moins que ses petits camarades et ses professeurs connaissent la Langue des Signes, l’enfant Sourd va devoir se débrouiller pour parler avec eux et comprendre. Certains enfants sont en intégration et suivent les cours avec l’aide d’un interprète, ce qui lui permet d’avoir un enseignement dans sa langue, mais dès qu’il se retrouve dans la cour de récréation, il est perdu. Les écoles de Sourds ont tendance à disparaitre en grande partie à cause de cette idée d’intégration. C’est un grand malheur pour les Sourds. De plus, les enfants sont de plus en plus en situation d’oralisation à cause des appareillages auditifs. Il en existe deux sortes : l’appareil auditif et l’implant cochléaire.

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L’appareil auditif est une sorte d’amplificateur de sons qui se place dans l’oreille et revient sur l’arrière de l’oreille. D’ailleurs pas mal de personnes âgés s’en servent. L’implant cochléaire est également un amplificateur de sons, mais il est installé par chirurgie, dans le cerveau, au niveau de la cochlée. L’implant cochléaire, une fois installé ne pourra jamais être retiré, sans quoi la personne mourrait. Le plus dramatique, c’est que les enfants sourds sont implantés de plus en plus tôt. J’en vois parfois à 3 ans, déjà implantés. Un grand nombre de Sourds se battent contre cet appareil, qui ne donne pas l’audition, comme on le dit, mais qui crée des ondes et donc des sons. Mais cela n’a rien a voir avec l’ouïe telle que nous la connaissons, nous, entendants. Prenez un enfant Sourd, né de parents entendants qui ne connaissent pas la Langue des Signes. Il y a quelques années, une trentaine environ, les enfants Sourds se retrouvaient à l’école et signaient entre eux, se racontaient des histoires, parfois même l’actualité. Dans cette situation, les enfants n’ayant pas accès à leur propre langue dans leur cadre familial, l’avaient dans le cadre scolaire. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les enfants Sourds deviendront pour beaucoup des adultes en mal identitaire et n’auront peut être jamais accès à leur propre langue, ou alors tard. Le dernier élément à saisir est que la Langue des Signes n’est pas universelle. Chaque pays a sa propre Langue des Signes. La Langue des Signes Française (LSF) est complètement différente de la British Sign Language (BSL). Par exemple, l’alphabet en LSF se fait à une seule main, tandis que celui de la BSL nécessite l’utilisation des deux mains. A mon arrivée en Angleterre, je ne connaissais rien à la BSL, pas même l’alphabet.

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C’est avec ces éléments, que je suis partie en Angleterre. Je pensais y trouver une meilleure accessibilité pour les Sourds. Je pensais y trouver des éléments différents, plus avancés, meilleurs… mais je suis partie avec mes préjugés, et je m’étais trompée…

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LA PLACE DES SOURDS DANS LA SOCIETE

a. L’adulte

La place réservée aux Sourds dans la société n’a pas toujours été encourageante pour eux. Lorsque j’ai interrogé des Sourds âgés de plus de 60 ans, j’ai observé qu’ils ont eu indéniablement des parcours similaires. Ils m’ont raconté qu’à l’époque de leur scolarisation, ils étaient formés à des métiers manuels. Une fois leur scolarisation terminée, la plupart du temps, autour de 16 ans, ils étaient embauchés par des entreprises de couture, de menuiserie, de fabrication de meubles, etc. A cette époque, il y avait très peu de chômage, la plupart des personnes, sourdes ou entendantes avaient un travail. Puis vint une période où de nombreuses entreprises ont fermé pour se délocaliser, et ont donc licencié. Retrouver du travail par la suite fut difficile, particulièrement pour les Sourds. De nouvelles entreprises sont crées mais les postes offerts contiennent souvent une partie téléphonique, inaccessible aux Sourds. Les entreprises qui reposent sur le travail manuel disparaissent de plus en plus. Mais ce qui pose encore plus de difficultés aux Sourds, c’est que pour tout travail, il faut « être apte à communiquer », et ce, même s’il s’agit de faire du ménage. Les rares postes de travaux manuels étaient occupés par des entendants. Ils étaient mineurs ou travaillaient sur des bateaux. Mais a force de travailler dans des conditions défectueuses en comparaison avec celles que l’on

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observe de nos jours. Leurs doigts devenaient noirs, ils tremblaient et devenaient Sourds. Du coup, ils étaient licenciés et recevaient une pension de compensation. Apprenant cela, les Sourds ont réclamé un droit équivalent. Le gouvernement a accepté, « pour les faire taire » m’a dit David. La vie actuelle des Sourds est très différente de ce qu’elle était à leur époque. Leurs amis ils les ont connus à l’école, et ont grandis ensemble. Aujourd’hui, avec l’intégration, il est plus difficile de se faire des amis, et le niveau de Langue faiblit. Beaucoup de choses ont changé en quelques années. A l’époque, les Sourds pouvaient uniquement prétendre à un poste d’ouvrier. De nos jours, ils sont enseignants, managers, réalisateurs, universitaires… mais peu d’entre eux parviennent à un poste haut placé. Ce sont des postes plus valorisants comparés à un poste en qualité d’ouvrier. Malgré tout, les Sourds restent très souvent « en dessous » des entendants sur l’échelle hiérarchique. Mes conversations avec ces Sourds âgés d’au moins 60 ans ont enrichies mon point de vue concernant la place accordée aux Sourds dans la société. A l’époque, il est vrai que les Sourds travaillaient à des postes d’ouvriers et c’est probablement une des raisons pour lesquels les Sourds se sont longtemps contentés de la place qui leur était donnée. A l’école, le principal enseignement qui leur était dispensé était l’apprentissage d’un métier. Ils ont été très peu sollicités sur des points réflexifs, notamment sur des réflexions personnelles. Ils ont été formés pour travailler avec leurs mains, non pas pour réfléchir, ce qui a bien arrangé le gouvernement, des années durant, puisqu’ils n’avaient pas à s’occuper de la volonté des Sourds.

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Néanmoins, les Sourds, durant des années, se sont rencontrés, et se rencontrent encore dans les Deaf Clubs (Clubs de Sourds) des villes où ils habitent. Pour certains, leurs meilleurs souvenirs se sont déroulés dans le Deaf Club. Les enfants s’y rencontrent, jouent ensemble pendant que les parents bavardent autour d’une bière. Pourtant, tous les Sourds n’ont pas cette expérience. Pour pouvoir aller dans un Deaf Club, encore faut-il en connaître l’existence, et connaître une personne qui pourra nous informer du prochain rendez-vous. Par conséquent, bien souvent, on retrouve dans ces Deaf Clubs des familles de Sourds, des personnes qui font partie de la communauté sourde. Aujourd’hui, de nombreux Deaf Club ont fermé et ceux qui subsistent, ne sont pas tous en bonne forme. C’est seulement récemment que les Sourds, avec l’apparition de l’interprétariat en BSL et le nombre croissant d’interprètes, ont commencé à avoir accès à une part plus importante de l’information.

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b. l’enfant

De nos jours, les parents d’enfants sourds doivent se battre pour que leurs enfants puissent avoir accès à une éducation bilingue, particulièrement pour une éducation en BSL directement. Les enfants sont de plus en plus placés dans des établissements « classiques », en intégration avec les enfants entendants. Cependant, ceci pose le souci de l’apprentissage dans sa langue maternelle. Tout être humain devrait avoir droit à une éducation dans la langue qu’il pratique couramment, celle qui lui correspond. Or les enfants placés en intégration ne peuvent saisir la totalité de l’enseignement. Ils sont perdus, dans une situation qui ne leur correspond pas, qui ne leur plaît pas. De plus, bien souvent, avec l’intégration, l’enfant sourd est victime des moqueries de ses camarades, ou se retrouve seul dans son coin, ses camarades étant lassés de la difficulté à communiquer avec lui. La BSL se répand petit à petit, et de plus en plus de parents d’enfants Sourds prennent des cours de BSL pour pouvoir communiquer avec leur enfant. Mais ce n’est pas suffisant. Les enfants Sourds ont besoin de côtoyer des adultes Sourds. Ils ont besoin de références, d’un modèle pour comprendre que ce n’est pas parce qu’ils sont Sourds qu’ils ont moins de valeur qu’un enfant entendant. Il est également important que les enfants sourds puissent se rencontrer, être amis, jouer ensemble, partager leur vie d’enfant. Malheureusement, la situation est loin d’être aussi idéale. Beaucoup d’enfants sourds sont isolés au milieu d’un monde d’entendants, dans lequel il a des difficultés à se faire une place. A Bristol, j’ai eu la possibilité de visiter une sorte de centre de loisirs pour enfants sourds. Chaque été, le Deaf Center de Bristol se transforme en centre de loisirs et accueille des enfants et des jeunes, de 5 à 17 ans.

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Le centre les accueille dans ses locaux et leur propose diverses activités et sorties. Ils apportent chacun leur déjeuner et choisissent de participer ou non à telle ou telle activité. Tous les animateurs sont sourds, mais leur travail est délicat en ce qui concerne les enfants. En effet, ils sont confrontés à plusieurs catégories d’enfants : Les enfants Sourds, qui s’expriment en BSL. Les enfants Sourds, qui ne s’expriment pas en BSL, et donc oralisent. Ce sont souvent des enfants qui ont un implant cochléaire. Les enfants entendants, qui s’expriment en BSL, parce qu’ils ont des parents ou un frère, une sœur Sourd(e). Ce centre accueille environ une quinzaine de « petits », âgés de 5 à 11 ans, et une vingtaine de « grands » âgés de 12 à 17ans. En arrivant dans ce centre, j’ai été un peu surprise. Les petits étaient occupés à dessiner tous ensemble sur une grande bande de papier installée au sol. Du côté des grands, aucune activité proposée. Ils étaient tous réunis dans la même pièce à discuter, se chamailler et se railler les uns les autres. J’ai fait part de mon étonnement à Ian, le directeur qui m’a répondu que le but n’est pas de les mettre en activité à tout prix. S’ils ont envie de ne « rien faire » à part discuter, libre a eux. Ils viennent quand ils veulent, mais souvent ils viennent tous les jours, et participent aux activités qu’ils souhaitent. Ici, aucune contrainte, aucune obligation en dehors des règles de vie. Il est vrai que tout au long de leur scolarité, une grande partie d’entre eux sont brimés, obligés de faire ceci ou cela. En venant ici, ils se font des amis, ou retrouvent leurs amis des années précédentes, côtoient d’autres jeunes Sourds, et c’est le principal.

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Le sujet est un peu différent pour les plus petits. Eux ont besoin d’un cadre précis et d’activités. Ian m’a expliqué qu’ils essayent au maximum de leur donner des activités communes, durant lesquelles ils se parlent, jouent et deviennent amis. Il serait impossible de laisser la même autonomie aux petits comme aux grands, c’est évident ! Pour moi, ce centre reste dans l’esprit du Deaf Center qu’il est toute l’année, c'est-à-dire un lieu de rencontre pour les Sourds.

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ACCESSIBILITE

a. Télévision

Même si je m’attendais à une part plus importante d’accessibilité pour les Sourd, j’ai été surprise de constater ce qui avait déjà été mis en place pour eux. Ma première surprise a été la télévision. Le soir même de mon arrivée, nous sommes réunis dans le salon chez Tessa et aux alentours de 23h, Robert, le mari de Tessa change de chaine. Quelle n’est pas ma surprise en voyant un reportage surmonté dans un coin d’une interprète qui traduit en BSL tout ce qui est dit. Je fais part de ma surprise et Robert m’explique que malheureusement c’est souvent tard le soir. Chaque chaine télévisée doit passer environ 5% de ses programmes traduits en BSL selon une loi instaurée environ dix ans auparavant. Je suis aussi surprise car les couleurs des sous-titres sont différentes de celles que je connais (en France). En regardant bien, je réalise qu’une couleur représente les paroles d’un personnage/acteur/journaliste. Une couleur équivaut à une voix. Je trouve cela vraiment bien pensé. En France, il existe cinq couleurs : blanc pour la personne qui est face à la caméra, jaune pour celle qui est hors champ, rouge pour les bruits divers tels que les bruits de pas ou claquements de porte, violet pour la musique, et vert pour un discours traduit d’une langue étrangère. Ce qui est gênant avec ce système, c’est qu’en cas de dialogue où les deux protagonistes sont face à l’écran, nous ne savons pas lequel s’exprime. Le lendemain soir, Nicholas, le fils, donnait une conférence au nom de l’association BSLBT (British Sign Language Broadcasting Trust). Le but étant d’expliquer le combat que mène la BSLBT auprès de la télévision.

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La BSLBT souhaite atteindre plusieurs objectifs. Cette association se bat pour qu’un plus grand nombre de programmes télévisés soient traduits en BSL et que des programmes réalisés par des Sourds ou avec des comédiens/présentateurs Sourds soient diffusés. Les membres de la BSLBT organisent des conférences depuis quelques années afin de référencer les programmes que les Sourds aiment regarder. A la suite de cela, ils luttent en faveur de leur traduction. Elle souhaite aussi par ce combat, offrir aux Sourds un plus grand choix de programmes accessibles en BSL, et à des heures plus correctes, au lieu des plages horaires incohérentes : tard le soir ou en pleine journée. Le deuxième point visé est de négocier avec la télévision afin qu’elle offre plus d’opportunités de travail aux Sourds, à tous niveaux de production. Finalement, nous sommes invités à nous rentre sur le site de l’association : www.bslbt.co.uk. Je suis donc allée le voir de plus près. Sur la page d’accueil, une personne nous accueille en BSL. Au premier regard, je me suis dit « Oh c’est bien », mais en y réfléchissant, je me suis dit « heureusement ». Le comble serait qu’une association se batte pour plus de communication en BSL n’en ait aucune trace sur son site ! J’ai également entendu parler d’une série : « Wicked ». C’est en visitant le site internet de la BSLBT que j’ai réalisé à quel point cette série est importante pour eux. Je m’attendais à une série TV dans le style des séries à l’américaine avec des personnages, une histoire et des rebondissements. Que nenni ! Il s’agit d’une série de reportages présentée par deux personnes sourdes qui nous emmènent à la rencontre de Sourds qui ont créé/réalisé quelque chose ou bien qui sont intéressants. Je n’ai pas eu l’occasion de regarder tous les épisodes malheureusement, mais le peu que j’en ai vu m’a bien plu !

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Page d’accueil du site internet de la BSLBT

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Page d’accueil du site internet du programme « Wicked »

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Il existe également d’autres programmes en BSL que l’on peut trouver sur le site de la BSLBT. Par exemple, “Under the Lamp with Carolyn” est une émission dans laquelle Carolyn reçoit des personnes Sourdes, discute avec elles de leur travail ou de leur vie. Un moment de l’émission est également consacré à un(e) artiste Sourd(e), présentation de son travail et petite entrevue. Dans un autre genre, en se rendant sur le site de « Snapshot », vous pourrez suivre le quotidien de Sourds dans des situations particulières. Pour le moment, le premier épisode est consacré aux Sourds atteints de la maladie Parkinson, et le second concerne des jeunes filles enceintes, ou mères-ados.

Under the lamp with Carolyn Snapshot

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b. Travail

Tessa m’a parlé d’une subvention qui s’appelle « Access To Work » (ATW). Il s’agit d’une aide financière pour les Sourds qui ont besoin d’interprètes pour leur travail. Tessa bénéficie de 40 heures d’interprétariat par semaine. Elle fait appel aux interprètes, donne la note à ATW qui règle directement l’interprète. Tessa ne débourse rien. Le souci majeur, c’est que peu de Sourds connaissent l’existence de cette aide financière. Quand elle en parle à son entourage, beaucoup sont surpris et ils ne pensaient pas qu’une telle subvention pouvait exister. Malheureusement, c’est à eux de trouver Access To Work, et de les contacter. Tous les Sourds n’obtiennent pas le même nombre d’heures d’interprétariat par semaine. Il faut leur soumettre un dossier de demande de subvention, et bien souvent, prouver par un quelconque moyen qu’ils ont réellement besoin d’interprètes. De plus, ce dossier doit être refait chaque année. Tessa pense que le gouvernement n’en parle pas pour limiter les dépenses. Je trouve ça triste et révoltant cette manière de procéder. On crée une subvention pour avoir la paix si on nous reproche quoique ce soit concernant l’accessibilité des Sourds au travail, mais on n’en parle pas, pour que ça nous coûte le moins possible. Soit on le fait, et on donne la chance à tous les Sourds d’en profiter, soit on le fait pas, et on assume les luttes des personnes concernées pour avoir un accès. Et ce qui est d’autant plus révoltant, c’est que les interprètes ne sont pas là QUE pour les Sourds. D’accord c’est eux qui sont sourds, mais c’est nous qui sommes entendants. Et dans un cas comme dans l’autre, nous avons tous besoin d’un interprète pour communiquer.

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Ça relance le fameux débat sur la normalité. Qu’est ce que le normal ? Est-ce qu’entendre ou être Sourd est normal ou anormal ? Ce n’est pas parce qu’il y a plus d’entendants sur Terre que cela fait d’eux la normalité. Car dans ce cas, on pourrait remonter au temps de la préhistoire et s’interroger : comment communiquaient-ils entre eux ? Par gestes ? Par mots ? La question reste en suspend de mon côté, mais elle est à prendre en considération.

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RECIT DE VIE

J’ai rencontré Sara grâce à Siobhan. Une femme extraordinaire, au parcours exemplaire. [Rencontre le 27/07/09] Sara est née dans une famille entendante. Elle était la seule sourde. Sa grand-mère travaillait avec des Sourds avant que Sara naisse. Sa mère s’est battue pour qu’elle aille dans une école de Sourds. Elle voulait que des deux filles aient la même éducation, chacune dans sa langue. A 16 ans, Sara a quitté l’école de Sourds. Elle a pleuré tout le long du chemin jusqu’à chez elle car elle pensait ne plus jamais avoir l’occasion de revoir des Sourds excepté ses amis. A ce moment, elle n’avait aucune connaissance des Deaf Clubs ou autres associations. Elle a ensuite été maire de sa ville durant deux ans (de 18 ans à 20 ans) à la suite de son père. Etant sourde, elle ne s’en croyait nullement capable, mais son père insistait tant, lui disant que c’était possible, et elle l’a fait. Du coup, elle a pris confiance en elle et a réalisé qu’elle était capable de grandes choses, même si elle était sourde. Elle a rejoint la DWHP (Deaf Woman Health Project) qu’elle a geré Durant quatre ans. En 2000, la DWPH est devenue la DWPO (Deaf Woman Health Organisation).

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Elle a ensuite monté une association nommée « Look After Your Heart » et depuis octobre 2008 elle est à la tête de la DWWB (Deaf Woman Well Being). Elle est également à la tête d’une association depuis deux mois. Cette association est dans sa ville, et elle se bat pour que les Sourds de cette ville aient les mêmes conditions d’accessibilité que ceux de Bristol. Elle espère que d’ici quelques temps quelqu’un prendra la relève après elle. Son but est de monter le projet, lancer le combat pour montrer que c’est possible. Dès qu’elle aura l’occasion de passer le témoin, elle le fera. Elle trouve complètement anormal que dans sa ville, si proche de Bristol, il n’y ait pas les mêmes conditions d’accessibilité qu’à Bristol. Elle dit qu’il y a peu de Sourds qui se battent et que c’est vraiment dommage. Pour moi, le récit de vie de Sara représente tout à fait ce que j’ai découvert au fil de mon parcours. Je ne pouvais pas mieux expliquer la situation qu’elle ne me l’a décrite, et je n’ai pas voulu trahir ses dires.

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LE MOT DE LA FIN

Conclure ? Cela signifierait la fin. Or il n’y a pas de fin à ce voyage. Ce fut un début. Le début d’une vie d’aventures, de découvertes et de rencontres ! Il ressort beaucoup de choses positives de ce voyage, mais malgré tout, subsistent pour moi quelques regrets. Entre autres, celui de ne pas avoir pris assez de photos, surtout des personnes que j’ai rencontrées. Je dois avouer que j’étais tellement « à fond » dans mes découvertes et mes rencontres que j’en ai un peu oublié mon appareil dans mon sac. Et puis à certains moments, je me suis dit « Oh, plus tard, j’ai le temps » et en fin de compte, le temps est passé bien trop vite. Et la fin, tiens, justement, parlons en… Au début de mon voyage, je me suis dit « Ohlàlà, 1 mois mais ça va être très long » et puis, au fil des jours, malgré les mauvaises passades, j’en suis venue à me dire le contraire. Je n’avais pas envie de rentrer, surtout sachant ce qui m’attendait juste après. Hé oui, 2 jours après mon départ, je partais en vacances avec mes parents en Turquie, dans un hôtel loin de tout. Je me sentais touriste à l’idée d’y aller, et je n’aimais pas ce sentiment, alors que je me sentais voyageuse, baroudeuse en étant là, en Angleterre…

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REMERCIEMENTS

Beaucoup de gens me disent qu’ils sont fascinés par la LSF, qu’ils aimeraient pouvoir comprendre. Jusqu’à ce voyage, je n’ai jamais « compris » ce qu’ils pouvaient ressentir puisque j’ai grandi avec la Langue des Signes. Mais depuis mon voyage, c’est différent. J’ai été comme une entendante qui ne connaît pas la Langue des Signes, fascinée par la BSL. Subjuguée même… c’est beau. Et j’ai tout de suite eu envie d’apprendre la BSL. De communiquer avec ces personnes qui s’expriment avec leurs mains et non pas leurs cordes vocales. Avec des signes et non pas des mots. Aujourd’hui, je peux dire que je comprends, que je connais ce ressenti lorsque quelqu’un me parle de sa fascination pour la LSF. Je porte un nouveau regard sur la LSF et d’une manière générale, sur les Langues des Signes. Aujourd’hui je saisis la valeur de mon savoir. En quelque sorte, la valeur ajoutée au « simple » être humain que je suis. Pour ceci, et pour tant d’autres raisons, je tiens à remercier certaines personnes. Une pensée toute particulière à Tessa, Robert, Nicholas & Iona Padden &Duncan qui m’ont accueillie les bras grand ouverts, comme un membre de leur famille et qui ont guidé à la fois mes premiers « babillements » en BSL et mes premiers pas dans la Communauté Sourde Anglaise.

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Je remercie Linda, de m’avoir emmenée avec elle à son travail, de m’avoir présenté à ses collègues. Un immense Merci à Clark et Carolyn Denmark de m’avoir si bien accueillie et de m’avoir remonté le moral après mon « séjour catastrophe ». Merci à Judy de m’avoir fait confiance sans me connaître, au point de me prêter une clé de sa maison. Merci à toutes les personnes qui m’ont hébergée, à toutes celles qui ont croisé ma route, et qui ont fait de mon voyage ce qu’il a été, ce qu’il est. Je remercie ma petite sœur, Mélissa de m’avoir soutenue pendant mon voyage. Je remercie mon papa et ma maman pour m’avoir encouragée à me lancer. Je les remercie du fond du cœur pour leur soutien ainsi que de nous avoir baigné dans la culture sourde et la langue des signes depuis notre naissance. Je remercie Arnaud, mon chéri d’avoir supporté mes sautes d’humeur, mon stress et mon caractère de cochon durant toutes les étapes de ce voyage, de la préparation du projet au rendu de ce dossier final. Je remercie tout particulièrement Cléa, ainsi que tous les autres baroudeurs de Zellidja pour le soutien mutuel que l’on s’est apporté durant la rédaction de nos projets, de nos rapports et même pour certains durant nos voyages. Je remercie Aurélie de m’avoir parlé de cette magnifique association.

Enfin, je remercie par-dessus tout, ZELLIDJA, sans qui rien n’aurait été possible. Merci d’exister, merci

d’avoir cru en moi, merci de m’avoir donné ma chance, merci, merci, merci. Tous les « merci » de l’univers seraient insuffisants pour représenter ma gratitude.

Alice.