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Conseil d’Etat de France Council of State of France ASSOCIATION INTERNATIONALE DES HAUTES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES INTERNATIONAL ASSOCIATION OF SUPREME ADMINISTRATIVE JURISDICTIONS CONGRES DE CARTHAGENE (2013) « Le juge administratif et le droit de l’environnement » Rapport du Conseil d’Etat de France 1

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES HAUTES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

INTERNATIONAL ASSOCIATION OF SUPREME ADMINISTRATIVE JURISDICTIONS

CONGRES DE CARTHAGENE (2013)

« Le juge administratif et le droit de l’environnement »

Rapport du Conseil d’Etat de France

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

I. LES SOURCES DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

1) Quelles sont les sources nationales intéressant le droit de l’environnement

(constitutionnelles, législatives, règlementaires, …) ? Quelles sont les autorités

compétentes pour les édicter (gouvernement, Parlement, Etats fédérés, agences,

collectivités territoriales…) ?

Le droit de l’environnement s’est construit, en France, sur des bases législatives (a),

complétées par des dispositions réglementaires, mais possède également, depuis 2005, des

fondements constitutionnels (b). Les autorités classiquement en charge de l’édiction des

normes législatives et réglementaires sont compétentes en matière de droit de

l’environnement (c).

a. Deux lois sont généralement considérées comme le socle originel du droit moderne

de l’environnement en France : la loi n°76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la

nature et la loi n°76-663 relative aux installations classées pour la protection de

l’environnement. Depuis lors, la production législative dans le domaine de l’environnement a

été régulière et conséquente : loi sur les enquêtes publiques des projets ayant des incidences

sur l’environnement (1983), loi sur la montagne (1985), loi sur le littoral (1986), lois sur

l’eau, les déchets et le bruit (1992), loi sur l’air (1996), loi sur la prévention des risques

technologiques et naturels (2003), nouvelle loi sur l’eau (2006) ou encore lois sur les

organismes génétiquement modifiés et la responsabilité environnementale (2008).

Ces lois sectorielles ont été complétées par des approches plus générales avec la loi

n°95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, qui a

donné une cohérence générale au droit de l’environnement en énonçant les objectifs

poursuivis ainsi que les grands principes applicables en cette matière. Les lois dites

« Grenelle », issues d’un processus de concertation poussé associant les acteurs intéressés, ont

marqué une nouvelle évolution majeure de ce cadre législatif (loi n° 2009-967 du 3 août 2009

de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement et loi n°2010-

788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement).

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

Au regard de la multitude des instruments législatifs dans le domaine de

l’environnement, l’idée d’une codification a très tôt pris corps. Il a toutefois fallu attendre le

18 septembre 2000 pour que soit approuvé un tel code, qui est depuis lors régulièrement

complété. Ce code contient également les dispositions réglementaires prises pour l’application

des lois relatives à l’environnement, qui sont elles aussi très nombreuses.

b. La volonté de doter la France d’un véritable pacte écologique a conduit à l’adoption

de la Charte de l’environnement avec la loi constitutionnelle n°2005-205 du 1er mars 2005. Le

préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 renvoie donc désormais à la Charte de

l’environnement au même titre qu’à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de

1789 et au préambule de la Constitution de 1946. Le Conseil constitutionnel (décision

n°2008-564 du 19 juin 2008) et le Conseil d’Etat (CE, ass., 3 octobre 2008, Commune

d’Annecy, n°297931) ont reconnu que l’ensemble des droits et devoirs reconnus dans la

Charte ont valeur constitutionnelle.

L’adoption de la Charte de l’environnement en 2005 a conduit à un nouveau partage

des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire : en vertu des dispositions de

cette Charte, les conditions et limites d’exercice de certains droits en matière

environnementale relèvent désormais du domaine de la loi. Il en va ainsi, par exemple, du

droit à l’information et à la participation du public aux décisions ayant une incidence sur

l’environnement garanti par son article 7, ayant conduit à l’adoption de la loi n° 2012-1460 du

27 décembre 2012 relative à la mise en œuvre du principe de participation du public.

c. La France étant un Etat unitaire, la question de l’éventuelle répartition des

compétences entre Etat fédéral et Etats fédérés ne se pose pas. Le Parlement est chargé du

vote de la loi. En matière environnementale, la plupart des normes réglementaires sont

adoptées par le Gouvernement. Les départements, les communes et, dans une moindre

mesure, les régions, disposent également de certaines compétences. Le pouvoir réglementaire

des principales agences en matière d’environnement (Autorité environnementale, Agence de

l’environnement et de la maîtrise de l’énergie…) est réduit.

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

2. Quelles sont les sources supra-nationales (droit international public général,

conventions régionales, …) dont le juge fait application en matière de droit de

l’environnement ?

Depuis 1986, la protection de l’environnement est un objectif poursuivi au travers

d’une politique spécifique par l’Union européenne, ainsi que l’affirment les traités

constitutifs, dont le droit influence nécessairement le droit français. L’Union européenne a

ainsi adopté des textes nombreux – environ 250 à l’heure actuelle – et couvrant de multiples

domaines. Sont en particulier concernés la protection de la faune et de la flore, de l’eau, de

l’air, le traitement des déchets, la gestion de substances et organismes potentiellement

dangereux, dont les organismes génétiquement modifiés ou les produits chimiques, les études

d’impact, l’information et la participation du public ou encore la responsabilité

environnementale.

En matière environnementale, il est donc extrêmement fréquent que le juge fasse

application de normes issues du droit de l’Union européenne ou de normes nationales assurant

la transposition en droit interne de telles normes. Mais il peut également être conduit à faire

application des très nombreuses conventions internationales auxquelles la France est partie,

dès lors que les stipulations de celles-ci sont d’effet direct. Parmi les conventions

internationales régulièrement invoquées devant le juge administratif, il est possible de

mentionner la convention de Berne du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie

sauvage et du milieu naturel de l’Europe ainsi que la convention d’Aarhus du 25 juin 1998 sur

l’accès à l’information, la participation du public aux processus décisionnels et l’accès à la

justice en matière d’environnement.

3. Le juge administratif applique-t-il des principes généraux du droit de

l’environnement ? A-t-il contribué à dégager / révéler de tels principes ?

L’émergence des principes généraux du droit de l’environnement a été le fait du

législateur avec l’adoption de la loi du 2 février 1995, qui énonce des principes généraux,

placés en tête du code de l’environnement. L’adoption de la Charte de l’environnement a

contribué à constitutionnaliser ces principes.

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

Le juge administratif précise le contenu de ces principes et en assure l’application.

En ce qui concerne le principe de précaution par exemple, le Conseil d’Etat accepte de

suspendre une décision lorsqu’un moyen tiré de la méconnaissance de ce principe est de

nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision (CE, sect., 25 septembre 1998,

Association Greenpeace France, n°194348, à propos de l’ancienne procédure de sursis à

exécution). Le Conseil d’Etat reconnaît dorénavant à ce principe une valeur constitutionnelle

et, sans qu’il ne soit besoin d’une traduction législative, ce principe s’impose aux pouvoirs

publics comme aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs

(CE, 19 juillet 2010, Association du quartier « Les Hauts de Choiseul », n°328687).

Toutefois, ce principe n’a ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique

d’excéder son champ de compétence et d’intervenir en dehors de ses domaines d’attributions

et, notamment, ne permet pas à une autorité publique locale de porter atteinte aux pouvoirs de

police conférés, dans une matière donnée, aux autorités de l’Etat. Concrètement, le principe

de précaution ne peut avoir pour effet de permettre à un maire de s’immiscer dans l’exercice

d’un pouvoir d’autorisation appartenant à une autorité nationale, comme cela est le cas

notamment en matière d’implantation d’antennes de téléphonie mobile (CE, 26 octobre 2011,

Commune de Saint-Denis, n°326492) ou de dissémination volontaire d’organismes

génétiquement modifiés (CE, 24 septembre 2012, Commune de Valence, n°342990).

Le Conseil d’Etat est également attentif à donner leur pleine portée aux autres

principes du droit de l’environnement et à les articuler avec les normes existantes, comme le

principe d’accès aux informations en matière d’environnement et de participation (par

exemple CE, ass., 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, n°297931), le principe de prévention

(par exemple CE, 4 août 2006, Comité de réflexion, d’information et de lutte anti-nucléaire et

autre, n°254948) ou encore le principe du pollueur-payeur (CE, 15 avril 2011, Association

Après-mines Moselle-Est, n°346042).

Il le fait, si besoin est, après un dialogue avec d’autres juridictions et en particulier le

Conseil constitutionnel et la Cour de justice de l’Union européenne.

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4. Le droit de l’environnement est-il reconnu comme un droit de l’homme ou un

droit fondamental au sens constitutionnel ou conventionnel ?

La Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle, proclame en son article

1er que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la

santé ». Ce droit est assorti d’un devoir, celui « de prendre part à la préservation et à

l'amélioration de l'environnement » (article 2 de la Charte de l’environnement).

Le Conseil Constitutionnel dégage des deux premiers articles, dont il fait une lecture

commune, une obligation générale de vigilance, à raison de l’activité exercée, s'imposant non

seulement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives, mais à toute personne. Ainsi,

le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé est reconnu

comme un droit à effet horizontal et d'application directe. De plus, il résulte de la lecture de

cette décision du Conseil constitutionnel que l’obligation de vigilance existe indépendamment

des obligations de prévention et de réparation des atteintes à l'environnement encadrées par la

loi. Concrètement, le Conseil constitutionnel déduit de ces dispositions la possibilité de

rechercher la responsabilité de celui qui aurait manqué à cette obligation de vigilance (Conseil

constitutionnel, 8 avril 2011, décision n° 2011-116-QPC).

Les implications juridiques de ce droit à vivre dans un environnement équilibré et

respectueux de la santé demeurent encore à préciser. La question de savoir, en particulier, si

l’article 1er de la Charte permet de caractériser une « liberté fondamentale » au sens des

dispositions relatives au référé-liberté, permettant au juge de prendre toutes les mesures

nécessaires à la sauvegarde de cette liberté, n’a pour le moment pas été explicitement tranchée

(voir ci-dessous).

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme illustre ce qui a pu être

nommé un phénomène « d’écologisation des droits fondamentaux » (M. Bothe, « Les droits

de l’homme et le droit de l’environnement », Mélanges Alexandre Kiss, 1998, p. 112). En

l’absence de mention d’un droit à l’environnement dans la convention européenne des droits

de l’homme, la Cour s’est fondée sur les articles 8 (droit au respect de la vie privée et

familiale) et 2 (droit à la vie). Deux affaires emblématiques peuvent illustrer ces avancées.

Dans son arrêt Tatar c/ Roumanie tout d’abord, en date du 27 janvier 2009, la Cour a estimé, à

propos de l’emploi de cyanure de sodium pour l’exploitation de minerais, que l’existence d’un

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

risque sérieux pour la santé et le bien-être fait peser sur l’Etat des obligations positives

d’évaluation des risques et d’adoption des mesures adéquates « capables de protéger les droits

des intéressés au respect de leur vie privée et de leur domicile, et plus généralement à la

jouissance d’un environnement sain et protégé ». Dans une décision Oneryildiz c/ Turquie

ensuite, en date du 30 novembre 2004, la Cour a précisé que l’obligation positive pour les

Etats de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie s’applique dans le

domaine particulier des activités dangereuses, comme l’exploitation d’une décharge.

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II. LA COMPETENCE DU JUGE ADMINISTRATIF EN MATIERE

D’ENVIRONNEMENT

1) Le contentieux de l’environnement relève-t-il exclusivement ou partiellement

de la compétence du juge administratif ? Les juridictions judiciaires sont-elles

également compétentes ? Existe-t-il des juridictions spécialisées ?

2) Quels sont les critères de répartition des compétences (vis-à-vis des juridictions

judiciaires et des juridictions spécialisées) ?

Le contentieux de l’environnement ne relève pas exclusivement de la compétence du

juge administratif. Sont également particulièrement concernés le juge civil, le juge pénal et le

juge constitutionnel.

Il n’existe pas en France de juridiction spécialisée en matière d’environnement.

Les règles de répartition des compétences en cette matière sont semblables à celles

applicables de manière générale. Selon une approche traditionnelle, le juge administratif est

compétent pour « l’ensemble des règles de droit public qui s’appliquent à l’activité

administrative » (D. Truchet), c’est-à-dire en particulier pour les actes et comportements des

personnes publiques dès lors qu’ils ne relèvent pas d’une conduite semblable à celle des

personnes privées, mais aussi en ce qui concerne les actes et comportements de certaines

personnes privées, chargées de la mise en œuvre d’un service public et qui utilisent pour ce

faire des procédés exorbitants du droit commun. Le juge civil est, pour sa part, compétent

pour les litiges s’élevant entre les personnes privées, tandis que le juge pénal est compétent

pour la sanction des infractions et de comportements délictueux ou criminels. Le juge

constitutionnel est pour sa part compétent pour examiner la constitutionnalité des lois.

Il n’existe pas, en matière environnementale, de « blocs de compétence » semblables à

ceux qui ont pu être créés dans d’autres matières, conduisant à regrouper dans les mains d’un

même juge l’intégralité d’un contentieux.

Au sein de la juridiction administrative, il n’existe pas non plus, dans l’organisation de

la juridiction administrative française, de formations de jugement à proprement parler

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

spécialisées dans le droit de l’environnement. Les affaires en matière d’environnement sont

traitées par des formations de jugement généralistes, qui sont par ailleurs chargées de

plusieurs autres contentieux. En revanche, le contentieux de l’environnement est le plus

souvent affecté dans sa totalité à l’une voire exceptionnellement à deux des chambres d’un

tribunal administratif ou d’une cour administrative d’appel ou à l’une des sous-sections du

Conseil d’Etat. Son volume, relativement modeste, n’est pas tel que ce contentieux doive être

partagé entre un grand nombre de formations de jugement. Cette organisation crée néanmoins

de facto une forme de spécialisation dans la chambre ou la sous-section en question.

3) En cas de compétence du juge administratif, quelle est la juridiction

compétente en premier ressort ? Et en appel ?

Il n’y a pas, en matière environnementale, de dispositions spécifiques relatives à la

répartition des compétences au sein de la juridiction administrative. Sauf exceptions, ce sont

donc les tribunaux administratifs sont compétents pour statuer en premier ressort. Lorsque la

voie de l’appel est ouverte, les cours administratives d’appel sont compétentes. Par exception,

le Conseil d’Etat peut être compétent en premier et dernier ressort notamment en ce qui

concerne les décrets et les actes réglementaires pris par les ministres et les autorités à

compétence nationale ainsi que les recours dirigés contre les décisions prises par l’Autorité de

sûreté nucléaire au titre de sa mission de contrôle et de régulation.

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III. LA PROCEDURE PRECONTENTIEUSE ET CONTENTIEUSE

1) L’accès à la justice

1.1. Quelles sont les conditions de recevabilité des actions introduites par les

personnes physiques (obligation de justifier d’un intérêt ou d’un droit subjectif

lésé, actio popularis…) ?

En droit administratif français, l’intérêt pour agir est apprécié de manière objective. Le

requérant doit, dans le contentieux de l’annulation d’un acte administratif, faire état d’un

intérêt qui serait mis en cause par la décision attaquée. Il n’est pas exigé que le requérant

justifie d’un droit lésé.

Un tel intérêt est évident lorsque l’acte contesté est une décision individuelle

défavorable qui le vise directement. S’agissant des recours contre les décisions individuelles

concernant d’autres personnes que le demandeur ou contre des mesures règlementaires,

l’intérêt pour agir s’apprécie au regard de l’objet de la demande (et non des moyens ou

arguments présentés) et n’est pas subordonné à la lésion d’un droit subjectif ou à l’existence

d’un préjudice. Il s’apprécie, de manière objective, au regard de l’invocation par le requérant

d’un intérêt personnel, légitime, direct et certain pour demander l’annulation en excès de

pouvoir de l’acte qu’il soumet au contrôle du juge.

C’est par une démarche pragmatique que le juge administratif apprécie l’existence ou

non d’un intérêt pour agir. Cet intérêt est traditionnellement apprécié assez largement. En

matière d’installations classées pour la protection de l’environnement et de protection des

eaux, l’intérêt pour agir est apprécié, en particulier, au regard des objectifs poursuivis par ces

polices spéciales tels qu’ils sont mentionnés dans le code de l’environnement (respectivement

articles L. 511-1 et L. 211-1 du code de l’environnement).

Dans le champ du droit de l’environnement, les notions de proximité géographique et

de voisinage constituent souvent un déterminant important dans l’appréciation de l’existence

ou non d’un intérêt pour agir de même que, en matière de pollution et de nuisances, le fait

d’être exposé à celles-ci. A titre d’exemple, le requérant dont la propriété est située à moins

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

d’un kilomètre d’éoliennes de 120 mètres de hauteur est, selon que celles-ci soient visibles de

sa propriété ou non, recevable à introduire un recours pour excès de pouvoir contre

l’autorisation de construire (CE, 15 avril 2005, Association des citoyens et contribuables de la

communauté de communes Saane-et-Vienne et autres, n°273398). De même, des personnes

publiques étrangères ont un intérêt à agir contre des décisions prises par un préfet au bénéfice

d’une société, autorisant des déversements dans un fleuve dont elles exploitent les eaux. La

circonstance que cette exploitation ait lieu plusieurs centaines de kilomètres en aval des

déversements ne permet pas pour autant de dénier leur intérêt pour agir (CE, 18 avril 1986,

Société Les Mines de Potasse d’Alsace c/ Province de Hollande septentrionale, n°53934).

Dans un sens inverse, le requérant dont la résidence est située à plus de deux cents kilomètres

des limites d’un parc national, dans une commune dont le territoire n’est pas, même

partiellement, compris dans le périmètre de ce parc, ne présente pas d’intérêt pour agir contre

le décret de création de ce parc (CE, 3 juin 2009, Canavy, n°305131).

La condition d’un intérêt pour agir personnel, légitime, direct et certain, n’est pas

remise en cause par la Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle, dont l’article

2 dispose que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration

de l'environnement ». Le Conseil d’Etat a en effet récemment jugé que cet article ne saurait,

par lui-même, conférer à toute personne qui l'invoque un intérêt pour former un recours pour

excès de pouvoir à l'encontre de toute décision administrative qu'elle entend contester (3 août

2011, Mme Buguet, n°330566). En d’autres termes, cet article n’instaure pas, en droit français

de l’environnement, une sorte d’actio popularis.

1.2 Quelles sont les conditions de recevabilité des actions introduites par les

personnes morales, notamment pour les associations, les ONG et pour les

personnes publiques ayant des compétences en matière d’environnement ?

Existe-t-il des présomptions d’intérêt pour agir ?

Les associations de protection de l’environnement constituent des acteurs majeurs de

la défense des écosystèmes et, depuis 1976, elles peuvent bénéficier en droit français d’un

statut spécial d’« associations agréées de protection de l’environnement ». La procédure de

l’agrément vise, pour les pouvoirs publics, à sélectionner les associations qui bénéficieront de

droits spécifiques de participation à la politique environnementale. Mais ce statut a également

des conséquences contentieuses.

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

Le régime actuel de l’agrément est largement issu de la loi du 2 février 1995 relative

au renforcement de la protection de l’environnement (actuellement article L. 141-1 du code de

l’environnement). Pour être agréée, une association doit exercer son activité depuis au

minimum trois ans, avoir pour objet statutaire la protection de la nature, l’amélioration du

cadre de vie, la lutte contre les pollutions et nuisances et être suffisamment représentative au

regard du cadre territorial dans lequel elle œuvre.

Au plan contentieux, l’association agréée bénéficie d’une présomption d’intérêt à agir

pour contester toute décision « ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités

statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du

territoire pour lequel elles bénéficient de l’agrément dès lors que cette décision est intervenue

après la date de leur agrément » (article L. 142-1 du code de l’environnement). Comme le

rappelle cette dernière disposition législative, cette présomption est subordonnée à un certain

nombre de conditions et, en particulier, à un rapport direct entre la décision attaquée et l’objet

social du requérant. Cette exigence est en effet toujours contrôlée par le juge administratif, qui

l’aborde toutefois de manière souple. En revanche, a été abandonné le contrôle effectué entre

l’étendue du territoire couvert par l’association et l’étendue du projet.

L’absence d’agrément ne prive bien entendu pas les autres associations d’un accès

plutôt aisé au juge administratif, mais celles-ci ne bénéficient pas d’une présomption d’intérêt

pour agir. Une association non agréée présente donc un intérêt à attaquer une décision qui

porterait atteinte aux intérêts qu’elle s’est donnée pour but de défendre, dès lors que son

champ géographique d’action, tel que déterminé par ses statuts, correspond aux effets de la

décision litigieuse. Ainsi, classiquement, une association dont le champ d’action est national

ne pourra agir contre une décision ayant des effets clairement circonscrits localement. Le

Conseil d’Etat adopte toutefois une jurisprudence assez accueillante sur le sujet. Par exemple,

l’absence de délimitation, dans les statuts de l’association, du ressort géographique de son

action, ne signifie pas nécessairement que celle-ci ait un champ d’action national. Le Conseil

d’Etat se fonde sur d’autres indices pour déterminer celui-ci avec précision et, par conséquent,

juger de la recevabilité de la requête (CE, 25 juin 2012, Collectif antinucléaire 13 et autres,

n°346395). Il faut également signaler que les associations de protection de l’environnement et

du cadre de vie peuvent avoir intérêt pour agir contre une décision prise sur la base d’une

législation non environnementale mais dont les effets sur l’environnement sont manifestes,

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

comme la création d’une zone de développement de l’énergie éolienne (CE, 16 avril 2010,

Brocard et Association Rabodeau Environnement, n°318067).

On précisera enfin que le législateur cherche à limiter l’accès à la justice

d’associations de circonstances, créées pour une occasion spécifique, en matière de droit de

l’urbanisme. Ainsi, aux termes de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, une association

n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si

elle est constituée avant que n’intervienne l’affichage en mairie de la demande du

pétitionnaire.

2) La procédure

2.1. Existe-t-il un mécanisme de recours administratif préalable (facultatif ou

obligatoire) ?

Il n’existe pas, en droit français, de recours administratif préalable obligatoire en

matière environnementale. Un recours administratif facultatif peut toujours être engagé.

Celui-ci interrompt le délai de recours contentieux, sauf exception, en matière d’installations

classées pour la protection de l’environnement par exemple (solution traditionnelle

récemment confirmée par CE, 21 décembre 2007, Groupement d’irrigation des Prés de la

Forge et autres, n°280195).

2.2. Dans quels délais après l’intervention de la décision administrative, l’action

doit-elle être introduite (délais de droit commun, délais spécifiques en fonction du

demandeur…) ?

Le délai classique d’introduction du recours contre une décision administrative dans le

contentieux de la légalité, qui est de deux mois, est applicable en matière environnementale.

Certaines exceptions existent toutefois. Elles concernent en particulier les tiers en ce

qui concerne la contestation des autorisations octroyées aux installations dangereuses. Ainsi,

pour les installations nucléaires de base, ce délai est fixé législativement à deux années, alors

qu’il n’est que de deux mois pour le demandeur et l'exploitant de l'installation nucléaire de

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

base et le propriétaire du terrain, « en raison des dangers que le fonctionnement de

l'installation nucléaire de base ou le transport peuvent présenter pour la santé des personnes et

l'environnement », (article L. 596-23 du code de l’environnement). En ce qui concerne les

installations classées pour la protection de l’environnement, le délai de recours pour les tiers

était, jusqu’au 30 décembre 2010, en ce qui concerne la majorité de ces installations, de

quatre ans à compter de la publication ou l’affichage de l’acte attaqué et pouvait, le cas

échéant, être prolongé de deux ans après la mise en service de l’installation. Depuis 2010, ce

délai a été réduit à un an avec une prolongation possible de six mois, toutes les ICPE étant

alignées sur le même régime, sauf les éoliennes pour lesquels le délai de recours des tiers est

de six mois.

2.3. Le recours est-il suspensif ? Si non, existe-t-il des procédures d’urgence

(suspension, mesures conservatoires, …) ?

En droit administratif français, le principe est que le recours juridictionnel n’est pas

suspensif.

Face à une mesure portant atteinte à l’environnement, les requérants peuvent saisir,

comme pour tous les types de contentieux, le juge des référés qui, face à une situation

d’urgence et en cas de doute sérieux sur la légalité de la décision en cause, pourra prononcer

la suspension de son exécution dans l’attente du jugement de la légalité de cette décision au

fond. Outre ce référé-suspension, il existe également des procédures préparatoires destinées à

l’établissement de faits ou de tout élément utile à l’examen ultérieur d’un éventuel litige, qui

peuvent être particulièrement utiles par exemple dans des affaires de responsabilité

environnementale ; il s’agit du référé-constat (article R. 531-1 du code de justice

administrative), par lequel le juge désigne un expert devant constater sans délai des faits

susceptibles de donner lieu à un litige, et du référé-instruction (article R. 532-1 du code) par

lequel peuvent être ordonnées « toute mesure utile d’expertise ou d’instruction ». On peut

également citer le référé-mesures utiles (L. 521-3 du code), qui permet à son juge d’ordonner

« toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision

administrative ».

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

Des dispositions particulières existent néanmoins dans le droit français pour les

demandes de suspension en matière de protection de la nature et de l’environnement. Ces

référés « spéciaux » peuvent être utilisés, d’une part, en cas d’absence d’enquête publique

préalable, d’autre part, en cas de conclusions défavorables du commissaire enquêteur lors

d’une enquête publique. Le premier de ces deux référés « spéciaux » est aussi le plus ancien ;

il a été introduit par la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature. Le second est

issu de la loi dite « Bouchardeau », du 13 juillet 1983 relative à la démocratisation des

enquêtes publiques et à la protection de l’environnement. Tous deux figurent aujourd’hui dans

le code de justice administrative et dans le code de l’environnement.

Article L. 554-11 du code de justice administrative :

« La décision de suspension d'une autorisation ou d'une décision d'approbation d'un

projet d'aménagement entrepris par une collectivité publique obéit aux règles définies

par l'article L. 123-16 du code de l'environnement ».

Article L. 554-12 du code de justice administrative :

« La décision de suspension d'une décision d'aménagement soumise à une enquête

publique préalable obéit aux règles définies par l'article L. 123-16 du code de

l'environnement ».

Article L. 123-16 du code de l’environnement :

« Le juge administratif des référés, saisi d'une demande de suspension d'une décision

prise après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la

commission d'enquête, fait droit à cette demande si elle comporte un moyen propre à

créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci.

Il fait également droit à toute demande de suspension d'une décision prise sans que

l'enquête publique requise par le présent chapitre ait eu lieu.

L'alinéa précédent s'applique dans les mêmes conditions en cas d'absence de mise à

disposition du public de l'évaluation environnementale ou de l'étude d'impact et des

documents visés aux articles L. 122-1-1 et L. 122-8. / (…) »

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

Ces deux référés « spéciaux » dérogent au droit commun du référé suspension1 par le

fait qu’ils ne sont pas soumis à une condition d’urgence. La suspension est de droit dès lors

que les critères sont remplis : conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou absence

d’enquête publique, d’une part, doute sérieux en l’état de l’instruction sur la légalité de la

décision, d’autre part. Le juge n’opère donc pas, contrairement au référé-suspension classique,

la balance des intérêts en présence au titre de l’appréciation objective et globale de l’urgence.

Pour apprécier si les conditions prévues par l’article L. 123-16 du code de

l’environnement sont remplies, le juge ne s’en tient pas aux apparences : il peut ainsi regarder

l’avis favorable d’un commissaire enquêteur ou d’une commission d’enquête, mais assorti de

véritables réserves ou conditions, comme un avis défavorable au sens du référé en matière de

protection de l’environnement. Cette lecture pragmatique opérée par le juge tend à donner une

plus grande portée à ces référés environnementaux.

Si le juge des référés pour la protection de l’environnement ne peut, en principe,

refuser la suspension lorsque les conditions de l’article L. 123-16 du code de l’environnement

sont remplies, une exception à ce principe a été admise récemment (CE, sect., 16 avril 2012,

Commune de Conflans-Sainte-Honorine et autres, n° 355792) : en dépit de la rédaction

impérative de l’article L. 123-16 du code de l’environnement et même si l’un des moyens

invoqués paraît propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de

la décision contestée, un pouvoir d’appréciation a été reconnu à titre exceptionnel au juge des

référés environnementaux lorsque la suspension de l’exécution de cette décision « porterait à

l’intérêt général une atteinte d’une particulière gravité ». Étaient en cause des arrêtés

modifiant la circulation aérienne à l’approche de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ; la

suspension de l’exécution de ces arrêtés, pris pourtant après avis défavorable de la

commission d’enquête, aurait compromis la continuité et la sécurité du trafic aérien et aurait

porté à l’intérêt général une atteinte particulièrement grave. La demande de suspension a donc

été rejetée. Ces référés spéciaux, qui correspondent à des hypothèses très restrictives,

représentent une part très faible des procédures d’urgence en droit de l’environnement. Le

référé suspension « de droit commun » est en effet la procédure la plus souvent utilisée.

1 Dans le cadre du référé suspension « de droit commun » (article L. 521-1 du code de justice administrative), l’exécution de la décision contestée peut être suspendue lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Pour apprécier si la condition d’urgence est remplie, le juge opère une balance entre plusieurs intérêts, publics et privés, de façon concrète, globale et objective.

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Enfin, il convient de relever qu’à ce jour, comme cela a déjà été dit, le droit à vivre

dans un environnement sain et respectueux de la santé, consacré par l’article 1er de la Charte

de l’environnement, n’a pas été reconnu comme liberté fondamentale au sens de la procédure

de référé-liberté (L. 521-2 du code de justice administrative), procédure dans laquelle les

délais de jugement sont particulièrement brefs (délai de 48h après la saisine) et où les

pouvoirs du juge pour faire cesser immédiatement l’atteinte à la liberté en cause sont

particulièrement importants. Si une atteinte grave et manifestement illégale à ce droit a été

déjà été invoquée devant le juge du référé-liberté, celui-ci n’a jamais a eu à se prononcer

directement sur l’existence d’un tel droit, du fait soit de l’absence d’urgence, soit d’absence

de doute sérieux de la légalité de la décision contestée, qui sont les deux autres conditions du

référé-liberté.

2.4. Existe-t-il d’autres particularités procédurales spécifiques à ce champ du

droit ?

On peut souligner que, dans un domaine attenant au droit de l’environnement, le

contentieux de l’urbanisme, il existe certaines règles de recevabilité particulière qui ont pour

but de renforcer la sécurité juridique des autorisations délivrées. Il faut souligner, entre

autres :

- l’obligation pour le requérant qui attaque une autorisation d’urbanisme de notifier sa requête

tant à l’auteur de la décision attaquée qu’à son bénéficiaire (article R. 600-1 du code de

l’urbanisme) ;

- que le délai de recours contre une autorisation d’urbanisme ne commence à courir qu’à

compter de l’affichage du permis sur le terrain (article R. 600-2 du code de l’urbanisme) ;

- qu’aucun recours contre une autorisation d’urbanisme n’est plus recevable un an après

l’achèvement de la construction (article R. 600-3 du code de l’urbanisme) ;

- que l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme limite la possibilité, à l’expiration d’un délai

de six mois à compter de la prise d’effet d’un document d’urbanisme, d’invoquer par voie

d’exception, c’est-à-dire au travers du contrôle d’un autre acte pris par application de ce

premier document, des moyens tenant à la légalité externe de ce document, sauf à ce qu’il

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existe des vices substantiels tenant à la mise à disposition et à la participation du public ou au

contenu de ces documents.

Il n’existe pas d’autres particularités procédurales spécifiques au champ du droit de

l’environnement.

3) Les pouvoirs du juge

3.1 Quels sont les pouvoirs d’instruction du juge (expertise, amicus curiae, visite

sur place, communication de données par l’Etat ou les opérateurs

économiques…) ?

Le recours à l’expertise est la mesure d’instruction la plus employée. Il est prévu par le

code de justice administrative (article R. 621-1). L’expertise peut être ordonnée à la demande

des parties ou de l’une d’elles mais le juge peut également l’ordonner d’office. Le juge n’est

pas lié par les demandes des parties et l’opportunité d’une telle décision échappe d’ailleurs au

contrôle du juge de cassation. La mesure d’expertise peut également être ordonnée par le juge

dans le cadre d’une procédure de référé.

Il appartient à la formation de jugement de définir la mission de l’expert, qui ne porte

jamais sur des questions de droit, étant inclus dans ces problèmes les questions de

qualification juridique des faits, qui sont l’apanage des seuls juges. En outre, l’expert ne

participe jamais à la formation de jugement. Les frais d’expertises sont le plus souvent mis à

la charge de la partie perdante.

Les experts à qui une mission est donnée par un tribunal administratif sont en général

choisis sur une liste. En vertu de l’article R. 222-5 du code de justice administrative,

applicable aux cours et tribunaux, « Chaque année, le président procède, s'il y a lieu, à

l'établissement du tableau des experts près la juridiction qu'il préside ». Toutefois, le choix

de l’expert demeure libre, le président du tribunal ou de la cour choisissant les experts, en

vertu de l’article R. 621-2, sans être tenu par leur inscription au tableau. Mais même indicatif,

le tableau a bien pour objet de fournir aux présidents des juridictions une liste d’experts afin

de les aider dans leur choix.

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Le contentieux de l’environnement est un domaine dans lequel le recours à l’expertise

est régulièrement, surtout en 1er ressort devant les tribunaux administratifs. Il est plus courant

que les parties fournissent elles-mêmes des expertises au soutien de leurs requêtes ; pour une

large part, elles sont jugées suffisantes par le juge qui n’en ordonne pas d’autres. On

comprend l’importance d’une telle utilisation dans un domaine, où, tant en raison de leur

aspect technique (sur des données en matière industrielle, sanitaire, chimique, biologique…),

que des méthodes utilisées (identification de zones de pollution potentielle, visite et

détermination de l’historique du site…) constats et expertises peuvent vite s’avérer

techniques.

Le décret du 22 février 2010, relatif aux compétences et au fonctionnement des

juridictions administratives, a autorisé les présidents de juridiction à désigner au sein de leur

juridiction un magistrat chargé des questions d’expertise et du suivi des opérations d’expertise

: désignation et remplacement des experts, empêchement et récusation des experts, incidents

de l’expertise (refus de production de documents), taxation des experts et détermination du

débiteur en cas de référé, allocation provisionnelle et difficulté de paiement de cette

allocation, organisation d’une séance d’instruction. Cette disposition vise à créer un

interlocuteur unique dans la juridiction. C’est la version administrative du « juge du contrôle

des expertises » institué dans le monde judiciaire. Environ 2/3 des présidents des tribunaux

administratifs ont utilisé cette nouvelle faculté ; le magistrat nommé pour exercer ces

fonctions de suivi des expertises est le plus souvent un président de chambre.

Le code de justice administrative prévoit plusieurs autres moyens d’instruction. La visite des

lieux, à laquelle le Conseil d’Etat a recouru dès le XIXème siècle pour la délimitation du

domaine public maritime, connaît aujourd’hui un nouveau regain en matière de contentieux de

l’environnement. Une telle visite peut être organisée, plus souvent par les tribunaux

administratifs que par le Conseil d’Etat, pour apprécier la réalité et l’intensité de nuisances ou

en matière de protection des sites. L’exemple le plus récent de visite opérée par le Conseil

d’Etat est celle organisée dans le cadre du recours dirigé contre l’arrêté déclarant d’utilité

publique le projet de ligne électrique à haute tension dans les gorges du Verdon (CE, 10

juillet. 2006, Assoc. interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de

Sainte-Croix, n° 288108). La visite des lieux se fait en présence des parties et le procès-verbal

en est dressé ; elle peut être décidée à l’initiative du juge ou à la demande des parties.

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Le code de justice administrative prévoit également d’autres moyens d’enquête, comme

l’« enquête à la barre » ou encore l’avis technique sollicité lorsqu’une question technique ne

requiert pas d’investigations complexes (l’avis n’est pas établi selon une procédure

contradictoire mais il est en revanche communiqué aux parties). Ces moyens sont, de manière

générale, peu utilisés.

3.2 Le juge exerce-t-il un contrôle limité à la régularité de la procédure ? Son

contrôle porte-t-il sur le fond de la décision ?

3.3 Le juge exerce-t-il un contrôle de légalité ? d’opportunité ?

Le contrôle qu’exerce le juge administratif, sauf très rares exceptions, n’est pas limité

à la seule régularité de la procédure mais porte également sur le fond de la décision, sous

réserve que de tels moyens soient soulevés par les requérants.

Le contrôle qu’il effectue dans le cadre du recours pour excès de pouvoir demeure

toujours un contrôle de légalité de la décision. Le juge administratif se refuse en effet à tout

contrôle de l’opportunité et refuse, par exemple, de comparer en matière d’aménagement du

territoire l’intérêt du projet soumis à son contrôle au regard de variantes alternatives (CE, ass.,

28 mars 1997, Fédération des comités de défense contre le tracé est de l’autoroute A 28,

n°165318). Toutefois, sans aller jusqu’à reprendre la formule du professeur Delvolvé selon

laquelle s’il n’y a jamais de contrôle de l’opportunité, il y a toujours opportunité dans le

contrôle, il est cependant évident que des considérations d’opportunité peuvent parfois guider

les solutions adoptées.

3.4 Quelle est l’intensité du contrôle du juge ?

Le contrôle qu’exerce le juge peut, de manière schématique, être soit un contrôle

restreint, dit « de l’erreur manifeste d’appréciation », soit un contrôle normal. La tendance

générale, en contentieux administratif, au cours des dernières années, est celle d’un

approfondissement continu du contrôle.

Le contrôle restreint est pratiqué dès lors qu’une plus grande marge de pouvoir

discrétionnaire est laissée à l’administration, par exemple lorsque sont en cause des

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appréciations scientifiques ou techniques poussées. Il en va ainsi par exemple lorsque, suite à

l’adoption d’un plan de protection de l’atmosphère, sont mis en cause les scénarios

d’évolution de la pollution ou l’analyse des sources de celle-ci (CE, 26 mars 2008,

Association des Amis de la Terre, n°300952). Des considérations plus générales peuvent

guider le juge dans le choix d’un contrôle plus restreint, et notamment la volonté de conserver

une liberté d’action pour les personnes publiques dans des choix que l’on pourrait qualifier de

politiques.

Toutefois, dans la plupart des cas, le contrôle exercé par le juge administratif n’est pas

restreint à celui de l’erreur manifeste d’appréciation. Cela est le cas dès lors qu’il s’estime en

mesure de porter une appréciation entière sur les éléments en débat, même si ceux-ci

présentent un caractère technique. Cela est le cas, par exemple, lorsque le juge administratif

exerce un contrôle normal sur la délimitation, par l’autorité administrative, d’un site Natura

2000 de protection de la faune et de la flore (CE, 2 novembre 2005, Association Coordination

des syndicats de la baie de l'Aiguillon et autres, n°269007), sur la décision par laquelle un

bassin hydrographique ou un système aquifère sont inscrits sur la liste des zones de répartition

des eaux (CE, 8 juillet 2005, Association départementale des irrigants de la Dordogne et

autres, n°261739) ou encore sur l’exclusion, par un décret de classement d’une forêt comme

forêt de protection, de certaines parcelles du périmètre du classement (CE, 22 mai 2012,

Association de défense des propriétaires privés fonciers et autres, n°333654). De manière

générale, lorsqu’est en cause le respect de la hiérarchie des normes, notamment le respect

d’objectifs fixés dans des directives européennes, le juge national exerce un contrôle normal

sur le respect de ces objectifs.

Le contrôle exercé est parfois asymétrique. Ainsi, le contrôle est restreint lorsque

l’autorité administrative ne met pas en œuvre le principe de précaution, illustrant la marge

d’appréciation dont elle dispose à cette fin (CE, 19 juillet 2010, Association du quartier « Les

Hauts de Choiseul », n°328687) mais il est en revanche normal lorsque des mesures sont

adoptées par l’autorité administrative pour mettre en œuvre le principe de précaution (CE, 30

janvier 2012, Société Orange France, n°340992).

Enfin, une dernière forme de contrôle doit être mentionnée. Un contrôle spécifique, dit

contrôle du bilan, s’est en effet développé pour juger de l’utilité publique des projets. Ainsi,

ne peut être déclaré d’utilité publique un projet que si les atteintes qu’il porte à la propriété

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privée ainsi que les inconvénients en termes financiers, écologiques et sociaux, ne sont pas

excessifs eu égard à l’intérêt qu’il présente. Ce contrôle, inauguré par l’arrêt Ville Nouvelle

Est (CE, Ass., 28 mai 1971, Rec. p. 409), donne une place particulière aux préoccupations

environnementales dans la détermination de l’utilité publique d’un projet d’aménagement. Il

est vrai que la doctrine considère de manière générale que les exemples d’annulation fondés

sur la théorie du bilan pour insuffisance d’utilité publique ont été peu nombreux et qu’ils

révèlent en réalité l’exercice par le juge d’un contrôle restreint. Le Conseil d’Etat a toutefois,

sur cette base, censuré des projets importants, tels que l’autoroute transchablaisienne, le

barrage de la Trézence ou la ligne à haute-tension entre les postes de Boutre et de Broc-Carros

qui devait franchir le site des gorges du Verdon (respectivement CE, ass., 28 mars 1997,

Association contre le projet de l’autoroute transchablaisienne, Rec. p. 121 ; CE, 22 octobre

2003, Association SOS Rivières et environnement, Rec. p. 417 ; CE, 10 juillet 2006,

Association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix,

des lacs et sites du Verdon, n° 288108, Rec. p. 332).

3.5 Quelles sont les mesures susceptibles d’être décidées par le juge ?

- Le juge peut-il seulement annuler la décision ou dispose-t-il d’un pouvoir de

réformation ?

Les pouvoirs dont dispose le juge diffèrent selon qu’il se place dans le cadre du

contentieux de l’excès de pouvoir ou du plein contentieux.

En excès de pouvoir, le juge dispose du pouvoir d’annuler la décision et, sur demande,

d’enjoindre à l’administration d’agir dans un sens déterminé.

En plein contentieux ou contentieux de pleine juridiction, en revanche, le juge

administratif dispose d’un pouvoir de réformation de la décision administrative, qui peut

l’amener à substituer sa décision à celle de l’administration. Le caractère de plein contentieux

découle d’un choix qui peut être jurisprudentiel ou législatif. En matière environnementale,

dans de nombreuses décisions, le contentieux est de pleine juridiction. Le code de

l’environnement mentionne par exemple qu’existe un recours de pleine juridiction en ce qui

concerne les décisions relatives à l’agrément des associations de protection de

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

l’environnement, aux installations classées pour la protection de l’environnement, aux

installations nucléaires de base, aux rejets nuisibles en mer ou encore aux sanctions qui

peuvent être prises par l’autorité administrative en de nombreuses matières (eau, air et

atmosphère…).

- A-t-il un pouvoir de sanction ? Peut-il l’exercer de sa propre initiative ou doit-il

être invité à le faire par l’une des parties ?

Le juge administratif ne dispose pas d’un pouvoir de sanction autonome mais il se

prononce sur les sanctions qui ont pu être arrêtées par l’autorité administrative. Ce pouvoir

n’existe que dans le contentieux répressif de la contravention de grande voirie, dès lors

qu’existe une atteinte au domaine public (voir infra).

- Peut-il accorder des dommages-intérêts ? Si oui, à partir de quels éléments le

montant des dommages-intérêts est-il calculé ?

Dans le cadre d’actions en responsabilité, le juge administratif peut accorder des

dommages et intérêts. Il le fait sur la base des demandes présentées par le requérant et sous

réserve que celles-ci soient justifiées. Le juge administratif, en particulier, peut indemniser les

« troubles dans les conditions d’existence » ou les « troubles de toute nature » pour prendre en

compte les divers désagréments auxquels peuvent être exposés les requérants en cas de

pollutions ou de nuisances.

Il n’y a pas à l’heure actuelle, en droit administratif, de méthode reconnue permettant

de calculer un dommage écologique. Dans les quelques affaires traitant de cette question, sert

de base au calcul de l’indemnisation la preuve apportée par les requérants des coûts de

dépollution ou de réintroduction d’espèces qu’ils ont supportés.

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

- A-t-il le pouvoir d’obliger à une remise en état ? Est-ce une obligation ou une

simple faculté pour le juge de prononcer cette remise en état ? Sous quelle forme

la remise en état se présente-t-elle (compensation physique, compensation

financière…) ?

Un principe cardinal du droit français est celui de la réparation par équivalent et il est

généralement considéré qu’il appartient donc seulement au juge de prononcer à l’encontre du

responsable des dommages et intérêts.

La réparation en nature permettrait toutefois souvent, en matière d’environnement, une

meilleure compensation des dommages causés.

Dans certains cas très spécifiques, une réparation en nature peut être envisagée. Tout

d’abord, un courant jurisprudentiel très marginal existe de longue date (CE, 23 novembre

1906, Sieur Bichambis c. Ville de Narbonne : Rec. p. 854), par lequel en matière de

dommages de travaux publics, le juge condamne le requérant à des dommages et intérêts ou,

« si mieux n’aime », c’est-à-dire si le requérant le préfère, à effectuer une réparation en

nature. Ensuite, et il s’agit d’un cas moins confidentiel, en cas d’atteinte au domaine public et

dans le cadre de la contravention de grande voirie, le juge administratif peut ordonner toute

mesure visant à assurer et restaurer l’intégrité matérielle du domaine public. La sanction

prononcée privilégie alors souvent la fin de l’atteinte et la restauration des milieux naturels.

Enfin, le juge peut enjoindre à la destruction d’un ouvrage public notamment si celui-ci porte

une atteinte à l’environnement (a contrario, CE, 13 février 2009, Communauté de communes

du canton de Saint-Malo de la Lande, n°295885).

De manière plus générale, il faut souligner le développement actuel de deux

mouvements complémentaires. D’une part, en ce qui concerne les exploitations et installations

dangereuses pour l’environnement, une stratégie préventive est développée dans la

réglementation afin de s’assurer que des mesures de remise en état sont arrêtées dès la

procédure d’autorisation de cette installation. Le juge administratif peut donc être amené à se

prononcer sur ces mesures. Ensuite, dans le cadre de la directive de l’Union européenne

n°2004/35 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la

réparation des dommages environnementaux, le choix de la réparation en nature est considéré

comme premier par rapport à une réparation par équivalent subsidiaire. S’il est conduit à

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Conseil d’Etat de France Council of State of France

26

appliquer les dispositions nationales de transposition de cette directive, le juge administratif se

prononcera aussi sur des mesures de remise en état. Mais il n’y a à ce stade pas de

jurisprudence.

Enfin, dans le cadre général de ses pouvoirs d’injonction comme en matière de référé-

liberté, le juge administratif peut, le cas échéant, ordonner à l’administration de prendre les

mesures nécessaires afin de faire cesser une atteinte à l’environnement et, éventuellement, de

limiter cette atteinte. Le juge des référés a par exemple suspendu l’exécution de la décision

par laquelle un porte-avion, voué au démantèlement mais chargé de produits toxiques, devait

être démantelé en Inde. S’il n’a pas prononcé d’injonction de retour dans le port d’attache,

c’est uniquement parce que cette mesure n’était pas nécessaire : la décision impliquait

simplement que ce porte-avion, le Clemenceau, qui faisait alors route vers l’Inde, ne puisse

être démantelé dans ce pays tant que le juge du fond n’avait pas statué sur la requête (CE, 15

février 2006, Association Ban Asbestos France, n°288801).

IV. LES SUITES DE LA DECISION JURIDICTIONNELLE

1) Existe-t-il des mécanismes spécifiques destinés à assurer l’exécution des

décisions juridictionnelles rendues en matière environnementale (pouvoir

d’injonction, astreintes, autres mesures de coercition contre l’administration ou

les opérateurs économiques) ?

Il n’existe pas de mécanisme spécifique destiné à assurer l’exécution des décisions

juridictionnelles en matière environnementale. Le juge administratif dispose à cette fin d’un

pouvoir d’injonction et d’astreinte préventif, sur demande du requérant.

2) Quelles sont les voies de recours ouvertes contre cette décision ? Sont-ce les

voies de recours de droit commun ?

Une demande de liquidation d’astreinte peut être introduite en cas de non-respect de

l’injonction prononcée. De manière générale, une phase amiable précède toute décision

juridictionnelle visant à assurer l’exécution de la décision.