d l a b v l b r a h i m a -...
TRANSCRIPT
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D l A B V l b r a h i m a
L E R E C l T COU R T=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
EMILIA PARDO1
B A ZAN THEr"1ATI qUE
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ET PROCEDES NARRATIFS
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Thse pour le Doctorat de 3me Cycle
Prsente devant l'Universit de Paris-Sorbonne
CP a ris IV)
-= -=-=-= -=-= -=-
Directeur de recherches
Monsieur le Professeur Maurice MDLHD
1 9 8 3
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l N T R o D u c T l o N
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I~ 0 u sn' a v 0 >l.?, vou l u tu die rIa u cou r s du pr sen t t ra -
1vailJqu'une partie de l'oeuvre d'Emilia Pardo Bazan ses rcits
courts, nous proposant de suivre chez elle la formation de l'art
du conte, genre littraire qui, considr souvent comme mineur,
est en ralit un des plus exigeants,car il oblige l'crivain
une grande conomie de moyens et une pleine ma!trise dans l'or-
ganisation de la matire narrative.
Au moment de b~tir notre plan de travail, il nous a
sembl qu'il ne fallait pas nous borner l'analyse de quelqu~s
textes particulirement significatifs ou spcialement russis,car
nous tions convaincu qu'Emilia Pardo Bazcin n'est pas seulement
l'auteur d'une srie de contes d'intrt variable, mais l'archi-
tecte d'un monument unique dans la littrature espagnole des der-
nires dcennies du XIX me sicle, d'une vraie Comdie Humaine
hispanique comparable celle de Balzac ou celle de Benito Prez
Galdo's.,
Ces deux vastes ensembles taient constitus par des grands:,
tableaux - romans - celui de Do~a Emilia par des contes.
Comdie Humaine miniaturise, certes,mais qui ouvre un ventail
thmatique plus large qu'aucun autre avec ses 568 contes o dfile
toute la socit espagnole de l'poque et,
ou se posent tous les
problmes qui agitaient les esprits des contemporains.
Un si vaste ensemble constitu par des rcits crits
et publis a toutes les poques de la vie de l'auteur, c'est--dire
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de 1879 a 1921,devait forcment avoir un caractre volutif. Nous
essayerons~~n consquen~e,de faire apercevoir au lecteur la mul-
tiplication progressive des penses, des cratures et des sujets,
c'est--dir~ l'volution du contenu des cont~s au fur et mesure
qUE!' le XIX me sicle touch~ sa fin et que se lve l'aube du
XX me , au fur et mesure aussi que la romancire devient sensible
de nouveaux problm~s ou qu'elle se fait l'cho de nouvelles
proccupations~tant5tparticulires aux espagnols de l'poque,
tantet plus gnralement ressenties dans l'Europe entire.
Une autre volution que nous voulons suivre travers
le vaste corpus qui fait l'objet de notre tude est celle des
techniques narratives. Il s'agit presquE de surprendre l'crivain
lorsqu'il met de l'ordre dans son domaine imaginaire, et, l, si-
gnaler ses efforts lorsqu'il construit le rcit, ou dceler ses
ruses lorsqu'il veut tonner parvenir enfin dnombrer les trs 1
divers procds narratifs employs par Pardo Baz~n. On se risquera
m~me, surtout pour des rcits appartenant l'poque de l'appren-
tissage de Dona Emilia dans l'art de conter, d'en sonder les fai-
blesses.
En effet, notre travail se veut presque purement
critique. Nous laisserons de ct la biographie de Dona Emilia,
bien connue dE nos jours gr~ce l'admirable thse de Madame
N. Clmessy nous ngligerons aussi - et pour la mme raison -
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tout ce qui concerne le~Jid~es morales ou philosophiques de la
Comt~sse lorsqu'elles n'interviennent pas directement dans l'uni-
vers de ses fictions narratives.
Nous pr~frons - rp~tons-le - demander compte la
romancire des secrets de son faire, en essayant de nous initier
ses habilits, ses clairages, a ses techniques de composi-
tion. Nous voudrions surtout parvenir analyser efficacement sa
manire personnelle de distribuer la matire narrative, de condui-
re l'action, de s'attaquer aux difficults propres chaque type
de rcit court.
~
C'est d'aillers dans ce sens que Dona Emilia
elle-mme, dans ses crits thorico-historiques, concevait la
critique, une critique qui ne condamne jamais subjectivement les
oeuvres dont elle rend compte et qui n'en fait pas non plus l'apo-
logie, mais les analyse pour en dgager les traits qui les ren-
dent originales, uniques, sans hsiter, l'occasion, en mon-
trer les dfauts de fabrication ou signaler ces fautes pour
lesquelles un grand crivain devient, l'espace d'un paragraphe,
un artisan maladroit.
Contenu et forme du r~cit sollicitent donc en mme
temps notre attention sans pour autant l'parpiller. Bien au con-
traire, il serait souvent difficile de sparer l'un de l'autre,
-
- s -
puisqu len littrature chaque sujet choisi se doit de comporter
sa propre forme d'expression et que lorsque l'crivain entreprend
de raconter une histoire, mme la plus simple, il se voue un
travail d'laboration, de composition, de construction dont le
rsultat sera sans aucun doute dtermin par les rapports qui
s'tablissent entre ses lments constitutifs lesquels posent,
selon la nature de chaque sujet,des exigences irrductibles.
En somme, et pour terminer, les questions que nous
suggre la collection de rcits courts d'Emilia Pardo BazJn se-
raient les suivantes:
sur quels centres d'intrt porte sa com~unication avec le lec-
- quels sont les thmes qui la composent?
ii
C' est--dirJ1,
teu r ?
- Comment se prsente chaque priode de la vie
littraire de l'auteur le contenu objectif de ses rcits?
- Sous quelle forme se ralise la communication
auteur-lecteur? (Prsence de l'auteur dans la narration, forme
autobiographique, monologue intrieur, narrateur (ou narrateurs)-
tmoin (s), dialogue, discours indirect libre etc ... )
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- Sou squ e). s art i fic e s s t ru c tu rel s son t pr sen ts
les pisodes de l'histoire? (Rele du premier et du dernier para-
graphe du conte - annonce et mot de la fin -).
- Et finalement, jusqu' quel point peut-on encore
parler au sujet d'Emilia Pardo Baz~n et de ses contes de ralisme,
de naturalisme ou de symbolisme?
Dernire question tout fait subsidiaire, notre
avis, car la codification de chaque rcit selon la tendance re-
prsente par ces ismes est en fait insparable de son sujet et d~
sa forme expressive. Nous poserons nanmoins la question la
production courte de Doha Emilia dans le seul but de ne pas n-
gliger l'insertion historique de l'oeuvre, tout en avouant que
nous sommes en la matire plus sceptique encore que ne l'tait
la Comtesse elle-mme laquelle, vrai dir!!!, n'avait jamais accep-
t d'endosser aucune de ces discutables tiquettes; elle tait
parfaitement convaincue d'un fait: au cas o ralisme voudrait
dire copie de la ralit il y avait de fortes chances que plus
la copie serait fidle et efficac~ plus elle s'lverait la
catgorie de symbole de la vie humaine, atteignant par l, lib-
re des contingences de temps et de lieu, ce degr de gnralisa-
tion que l'on attribue l'idalisme.
Tel est, en somme, le programme de la prsente tude,
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qui pourrait se rsumer en deux mots
le qUOI et le COMMENT dans les contes d'Emilia
1Pardo Bazan. Subsidiairement dans le cours du travail il faudra
sans doute ~ plusieurs reprises rpondre ~ la question QUAND?
A QUEL MOMENT?
Nous tenons ~ remercier ici Monsieur le Professeur
MOLHD qui a bien voulu diriger nos recherches et Madame Blanca
MDLHD qui nous a toujours aid de ses conseils et de ses sugges-
tians.
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Pre m i re par t i e
-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-
LA THEMATIQUE DE LA PRODUCTION DE
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
~ 1
DONA EMILIA PARDO BAlAN
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
-
CHA PIT REl
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
ETENDUE THEMA1IqUE DU RECIT COURT
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-1
D'EMILIA PARDO BAlAN: UN PANORAMA EXHAUSTIF
-=-=-=-=-=-~-=-=-=-=-=-=-=-=~=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
DE LA SOCIETE ESPAGNOLE DE LA RESTAURATION
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
LE MILIEU RURAL: LES PAYSANS - LE HOBEREAU - LES CURES - LES
MEDECINS - LES BOUTIqUIERS - LES OUVRIERS - LES RELIGIEUSES - LES
MARGINAUX - LES MALFAITEURS - LA FEMME CAMPAGNARDE.
LES GENS DE LA MER.
LE MILIEU URBAIN : LA VILLE DE PROVINCE.
MADRID SPLENDEURS ET MISERE DE LA CAPITALE - LES METIERS
INCONGRUS - LES PETITS EMPLOYES - LE SOUS-EMPLOI - LES NANTIS.
LES PROBLEMES ETERNELS: L'AMOUR ET LA CONJUGALITE - LES PERVER-
SIONS SENSORIELLES - L'EUTHANASIE - LA PEINE DE MORT - LA POLITIQUE -
LA MORALE - LA RELIGION - LE FANTASTIqUE - L'EVOCATION IDEALISTE DU
PASSE.
-==0000000000000==-
En choisissant comme sujet du prsent travail l'ensemble
des rcits courts de Dona Emilia Pardo1
Bazan, nous avions certes
espr nous trouver en prsence d'un vaste panorama de la vie
meespagnole du XIX sicle. Mais le voir de prs, ce panorama,
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aux composantes les plus diverses, nous a surpris par son carac-
tre presque exha~if, au point qu'il nous semble aujourd'hui le
plus large qu'un crivain espagnol de cette poque ait russi
brosser.
En effet, aucun des romanciers de la Restauration
n'a apport la littrature narrative un rpertoire de person-
nages aussi complet que celui qu'offre l'ensemble des rcits
courts de Dona Emilia, lequel embrasse toutes les classes et
toutes les couches de la socit espagnole du XIX me sicle
finissant. Rappelons seulement, pour appuyer notre affirmation,
que le romancier qui passe pour le plus grand peintre de la vie
,~ /espagnole sous la monarchie restau.er~~~oes 8B~~~bons, Benito Perez
, ~' (Q...
.1 C s..Galdos, dont l'oeuvre est considp~e~ la ~~mdie Humaine
de l' [spagn e con t empora i n e a beau \~;ai re. ~1c~r!Jm)e;Jalzac lu i-m~me,, l ' . l \c", ./ / concurrence a 'etat CiVl sa gra\r.1:G,7 f-r'esQ,ljJ'-e/de la vie quoti-
":~~dienne de son pays comporte nanmoins de grandes lacunes. En
effet, le monde rural manque presque totalement car le romancier
n'accorde aux paysans que de rarissimes r~les de personnages
secondaires. Il Y a, bien sr, d'autres productions encore plus
limites du point de vue qui est pour l'instant le n~tre. C'est
le cas de Valera, de l'aristocratique Valera, lequel se rvle
incapable de peindre les petits gens de l'atelier ou de la
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boutique, les terrassiers ou les mineurs, les hommes de la mer
ou les esclaves du sillon. Dans ses oeuvres, seuls l'aristocrate
et le bourgeois trouvent droit de cit, si ce n'est les villa-
geois plus ou moins styliss de son Andalousie natale.
Quant Pereda, c'est encore autre chose le roman-
cier de la Montana est toujours mal l'aise dans la peinture
du beau monde de Madrid. Il ne sait dpeindre que ~hobereau
de la rgion de Santander, le paysan aux moeurs ancestrales de
sa province, le p~cheur de ses c~tes et les rudes habitants de
ses montagnes et)au mieux,la bourgeoisie commerante de Santander,
la ville portuaire.
Qu'il nous soit permis de n'opposer Dona Emilia
que ces trois cas significatifs pour appuyer notre premire
affirmation Pardo Baz~n est le seul crivain de la fin du
XIX me sicle qui a t capable de promener son regard du haut
en bas de l'chelle sociale, sans ngliger aucun des secteurs
qui composent son inpuisable varit.
En premier lieu, dans les contes de la campagne,
l'auteur atteint la vie profonde du milieu rural. Le long de
ses pages se c~toient le villageois madr, capable de plaisantes
farces - que vengan aqu{, El pinar del t{o Ambrosio - le
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paysan ignorant, superstitieux, avare et, pour toutes ces rai-
sons, r~fractaire ~ la m~decine moderne - Bajo la losa, Curado,
Atavismos - et le rustre cupide et brutal capable de crimes
effroyables (Un destripador de anta~o, Gedrgicas, Dios castiga,
En el pueblo).
Or la vision v~riste de la romanci~re, sa peinture
parfois cruelle de la vie paysanne ne l'emp~che pas de souligner
~ et l les aspects positifs de l'existence des pauvres gens de
la campagne galicienne. Elle nous montre des familles rurales
capables de l'hospitalit~ la plus g~n~reuse et la plus franche
ou du d~vouement le plus total : La gallega, El peregrino, Sara
y Agar. Elle ~voque aussi la jeunesse paysanne avec ses joies et
ses f~tes, ses amours et ses r~ves. En somme,si elle sait d~crire
la mis~re et l'ignorance des campagnards, elle parvient ~gale
ment ~ d~peindre l'all~gresse des bals traditionnels, occasion
pour les jeunes d'heureuses rencontres. Rappelons pour m~moire
les charmants couples de Cuesta abajo, de Lumbrarada.
Dans les contes du terroir les silhouettes gracieuses
ou rebutantes du monde paysan, se m~lent souvent ~ des personna-
ges relevant d'autres cat~gories sociales, comme le vieux hobe~
reau, si enracin~ dans le vieux pays qu'il se confond avec le
laboureur. Cupide, born~ et opini~tre comme lui, il connatra
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parfois une fin tragique COcho nueces). Dans d'autres cas,
le viel hidalgo campagnard est bon enfant, aimable et complai-
sant l'gard de ces paysans qu'il connat si bien (El ~ltimo
baile) .
On retrouve aussi dans ces contes de la terre, le
cur du village tant~t charitable envers les humbles (Obra de
misericordia, Madre 9alle9a, Los escarmentados), tant~t ivrogne
et dvergond (La salvaci6n de Don Carmelo) le mdecin rural
consciencieux et dvou (Obra de misericordia) ou ent~t et
vendicatif (Ocho nueces), le boutiquier hant par la peur des
voleurs (El invento), le matre d'cole pdant (Ocho nueces),
les ouvriers ruraux affams r~vant de mangeaille (El " xes te"),
les religieuses dont la vocation - problme pineux - est sou~ent
ngative (La reja), les marginaux, malfaiteurs de tout acabit
les bandits (InGtil), les voleurs (El puno), les profanateurs
de tombes (No 10 invento) ...
La femme paysanne inspire le plus vif intr~t
notre conteur qui nous en a trac un rpertoire infiniment vari,
allant de la demi-prostitue (La hoz, La argolla), jusqu' la
martyre de la chastet hroque - Dalinda - en passant par
l'pouse exemplaire (La galle9a, El montero, Sara y Agar) et
surtout par la m~re aimante (La guija, Madre gallega).
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Elle n'exclut ni l 'huTrible mgre (Un destripador de antano,
La capitana), ni l'pave humaine victime de l'alcoolisme (La
Corpana) ou de la lpre (La Deixada).
Lam e r, lac ~ te, les po r t s de p ~ che fa sc i ne n t
Dona Emilia autant que les campagnes de l'intrieur, peut-~tre
parce qu'elle est sensible la menace que l'Ocan fait toujours
peser sur ceux qui y cherchent leur subsistance: (La ganadera,
El panuelo, Tiempo de animas).
A ces nombreux contes de paysans et de marins s'op-
posent les contes de la ville, avec ses ateliers, ses glises,
ses rues, ses cafs, ses h~tels, ses gares. Dans ces rcits les
bals et les th~tres, sont le lieu o s'talent l'infamie et
le vice, les douleurs et les misres, l'amour et les frustra-
tions les plus poignantes. Car la ville est pour Pardon Bazan
une vraie fourmilire de pauvres ~tres dboussols qui se heur-
tent leurs destins. Elle dpeint la ville de province (Mari-
neda) o elle dcouvre les ouvriers d'ateliers soumis aux mauvai~
traitements et aux humiliations incessantes des patrons (Un duro
falso) , l'aristocratie provinciale vaine et arrogante ~Cobar-.,dia ?) et le milieu bohme des tudiants (La soledad). Dans
d'autres contes, c'est la capitale, Madrid, qu'elle voque.
Madrid avec ses foules besogneuses et sa socit lgante cible
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de tous les regards. &rj2 en 1/j132, (Jona Emilia montrait son
intr~t pour la grande ville avec la publication de El ruido
qui pose le problme des nuisances, origine des troubles et de
la dchance mentale et physique d'un pote. A partir de cette
date, de nombreux thmes lis aux structures sociales de la
capitale viendront complter la srie, surtout celui de la
misre anonyme des grands centres urbains. Le signal est donn
en 1893 avec la parution de Sobremesa qui transcrit tape par
tape l'extinction d'une femme et de ses cinq enfants en proie
une extr~me indigence dans un insalubre faubourg madrilne.
Puis le ton devient sarcastiqu~ l'auteur semble chercher les
cas les plus absurdes, les plus incongrus, car la misre trouve
ou invente des professions inimaginables. C'est le cas du jeune
garon qui offre son sang aux puces savantes pour gagner quelques
sous (Restoran) et celui de l'tudiant prpos aux bruitages dans
un th~tre ; son tr.avail, son seul gagne-pain, consiste aboyer
dErrire le rideau lorsque le dialogue de la pice fait rfrence
un chien (Irracional 19[J1). Dans la m~me,
annee 1901, avec
Sin Esperanza Do~a Emilia redcouvre le monde triqu des petits
employs. Elle l'avait dj voqu dans des recueils antrieurs;.
ds 1893, anne o~ elle avait publi Sedano, un tableau accablant
de la petite bureaucratie besogneuse sans autre horizon qu'une
promotion alatoire et difficile. En 1905 avec 8romit~ elle va
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plus loin. C'est le m~m~ milieu touffant o se fait jour l'es-
prit mdiocre de ces employs sans envergure qui s'exerce en
cruelles plaisanteries contre le plus faible et le plus fragile
d'entre eux jusqu' l'acculer au dsespoir.
Le drame .du sous-emploi qui est au centre des proc-
cupations profondes du moment n'chappera pas non plus l'atten-,
tion de Dona Emilia. Il constitue le thme de Naufragas.
En contraste avec ces tableaux de la misre brosse,
de la vie mdiocre des petits salaris redingote lime et
pardessus dfratchi,se trouvent les contes qui ont pour cadre
les milieux opulents de la capitale, l o rgnent les modes
trangres, le dandysme snob et les raffinements de la plouto-
cratie fortune et oisive. On y voit vivre la jeunesse infatue
qui se prlasse dans les fauteuils d'un club aristocratique,
les dandys qui mettent tout en oeuvre pour se procurer le valet
de chambre le plus styl, le plus flegmatique et le plus "anglais"
(John) ou ceux qui, pour mriter l'estime de leurs pairs, ne
rpugnent pas s'attribuer les exploits les plus extravagants
(Jactancia).
En m~me temps qu'elle labore cette vaste fresque
d'une socit infiniment htroclite et complexe, la romancire
porte son regard sur les grands problmes qui se posent
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~'humanit~ de tous les~~emps, et sur les passions qui l'agitent
et qui l'angoissent. C'est l'amour sous tous ses aspects vague
illusion d'adolescence (Primer amor, Temprano y con sol) ou
tourment, fixation obs~dante, hantise sexuelle envahissant une
existence tout entire, (Remordimiento, Un parecido).
Etroitement li~ ce thme d'amour, celui de la
conjugalit~ occupe une large place dans l'oeuvre de Dona Emilia,
laquelle semble s'attarder volontairement sur les aspects tant~t
positifs, tant~t destructeurs du mariage. Dans La Doda, elle
d~peint la joie bruyante de la f~te, le plantureux repas o le
jeune couple savoure son bonheur sur un fond envotant de fleurs
odorantes qui s'~talent jusqu'au ruisseau d~licieux. Dans La
Camarona, elle ~voque les promenades en mer qui firent les plus
beaux jours d'un ravissant jeune m~nage et elle d~crit dans
Las tijeras la parfaite entente d'un vieux couple. On pourrait
ins~rer dans cette s~rie Gloriosa viudez o la veuve d'un ~minent
~crivain d~funt vit sous l'emprise du souvenir dans une profonde
mlancolie. N~anmoins cet ~panouissement des jours heureux, cette
parfaite comp~n~tration qui fait le bonheur de quelques ~tres
privil~gi~s ne cachent pas l'~crivain les misres de la vie
conjugale, les heurts, les disputes interminables, les inqui~
tudes et les frustrations qui assombrissent la vie des poux,
les causes multiples qui expliquent l'~chec du couple, lassitude,
m~sentente ou, pire encore,l'adultre et ses corollaires qui
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viennent dtruire le foyer. Dans Perla rosa c'est un mari qui
dcouvre, boulevers,-la trahison de sa femme; dans La risa
c'est l'pouse qui, trompe, meurtrie par la trahison du mari,
sombre dans une intermittente dmence. P8rfois l'amour bafou
cherche vengeance, c'est le cas de La enfermera o la femme
trompe finit par mettre fin aux jours de l'infidle. Le regard
de Dona Emilia s'arr~te plusieurs reprises sur des cas curieux
ou singuliers, la timidit d'un grand amour (S!, senor) ou
l'trange mcanisme d'une rupture (Vivo retrato, Champ~la, La
niebla, La redada, El encaje roto). Nous trouvons dans ses contes
des femmes dominatrices et acari~tres - Navidad - ou d'autres qui
imposent aux hommes leurs caprices les plus pervers - Los
pendientes - mais nous y trouvons aussi les domines, les sou-
mises, les effaces (Feminista). On nous fait sonder le nuage
de mensonge qui couvre l'horizon des couples dsunis, la frus-
tration et la dtresse de la femme prive d'enfants (La est~ril).
Dans plusieurs rcits, l'auteur s'attaque au problme de l'enfant
non souhait qui, parce qu'illgitime, fruit d'une union que la
socit condamne, ne suscite que des sentiments de rejet ou de,
honte (El comadron, Los escarmentados). Ces rcits particulire-
ment effrayants de la maternit maudite s'opposent d'autres
o la mre aimante est blesse mort par l'indignit du fils.
On touche dans ceux-l~ au problme de la d~linquance des adoles-
cents ou des jeunes: (Un gemeln).
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~otre crivain ne reculant pas devant l'atroce,
beaucoup de ses contes -~nt pour thme le crime (Nieto deI cid,
In~til, Nuestro senor de las barbas, La cita). quelques-un1s de
ces r~cits violents et durs retracent des silhouettes effroyables
de bandits endurcis et impitoyables. La femme n'est pas absente
de cette sinistre galerie o La capitana a une place de choix.
Dans la de~nire poque de sa production, Dona
Emilia cde a la curiosit trs g~n~ralis~e la fin du
XIX me sicle et au dbut du XX eme pour le thme des perversions
sensorielles ou mentales. Non pas que le sujet soit tout fait
nouveau dans l'oeuvre de notre ~crivain qui, comme jadis Balzac,
comme plus tard le Galdbs de la premire poque, comme tous les
grands romanciers du XIXme
sicle, s'tait dj pench sur les
bizarreries pathologiques, sur ce que Freud appellera un jour
"l'inquitante tranget", bien avant que ces phnomnes ne
deviennent un topique littraire. Dj en 1883, tout au dbut
de sa carrire, l'crivain avait montr dans El indulto les
ravages mortels de la peur, de la peur qui tue. La peur tait
de nouveau en 1893 le sujet de La Calavera. De sombres pein-
tures de nvroses apparatront plus tard dans son oeuvre.
[] Il pas se, en 1s; lJ [] dan s El es gue let 0, dur ci t des ta t s 0 bses-
sionnels la rvlation des drames qu'ils dclenchent. Oans
Eximente, de 1905, l'angoisse obsdante pousse la victime au
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- 20 -
suicide. El clavo dcrira en 1913 la fin tragique d'un nvros.
Il se pend ~ un clo~qui pendant de longs jours a constitu sa
continuelle obsession. Dans d'autres contes encore, des causes
diverses sont ~ l'origine d'une alination mentale l'altra-
humaine
l'opinion publique et qui
tion des rapports conjugaux ou affectifs (La risa, Aire, La
se~orita Aglae).
Il faut avant tout souligner qu'crits avec une
froide concision presque scientifique, ces rcits sont trs
loin du pathtisme que l'on a souvent reproch certains ro-
manciers "naturalistes" trop emports sans doute par l'exemple
du gigantisme de Zola.
Les contes de Do;;'a Emilia POS,.,.E;.~\:,,'a,u,~~i ~ et l~
L ~c.., c -1/ '"..,~. .-_ --. l~~.~les grands et pineux problmes qui agLte~~ pilod~quementf (C' "'\;- '~/'. \ ;\\
t r 0 u b l e n t t o'j El u r s,,
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- 21 -
La cration artistique a, elle aussi, sa place dans
cette vaste explorati~ de la nature humaine - Inspiraci~n et
Perlista dcrivent les multiples difficults qui se succdent
dans la gnration de l'oeuvre d'art et le r~le mystrieux que
joue l'inspiration.
~ertains rcits voquent le douloureux chec de
l'artiste (El ruido, Linda, En verso).
La politique a aussi sa place dans les contes de
Dona Emilia. Ils dnoncent le climat de violence o se droulent
les luttes partisanes. Ds 1891, Viernes Santo campait avec
force la silhouette du "cacique" qui, dans la campagne gali-
cienne, dcide, sans crainte ni vergogne d'employer la manire
forte pour soumettre les opposants sa politique locale et pour
briser toute vllit de rsistance. Dans des rcits plus tardifs,
la terreur que la tyrannie des "caciques" fait rgner dans la
population rurale constituera un thme important (Madre gallega
(1896), El voto de Rosina (1899), Ardid de guerra (1903), scnes
dsolantes de la vie politique o l'crivain n'hsite pas
assombrir la peinture des moeurs parlementaires de l'Espagne
de son temps. Nous y reviendrons.
Mais ce n'est pas tout le temps passant, le champ
d'observation de Dona Emilia s'est sans cesse largi. Nous nous
proposons de montrer comment aprs 1890, il lui arrive de
J .... _~
-
- ! 2 -
laisser de c~t le rcit raliste pour entra!ner son lecteur
dans le domaine de la ~brale et de la philosophie en lui livrant
sous forme de brefs apologues le fruit de ses mditations sur
les ternels problmes de la condition humaine: l'homme devant
la mort (Reconciliaci~n), l'euthanasie (El guinto), les rapports
entre les hommes (Las veintisiete, La moneda del mundo) ou de
l'homme avec l'infini (Dioses).
Nous nous attarderons aussi sur les contes religieux
contrepoids "idaliste" que Dona Emilia a oppos au pessimisme
II na turaliste ll de ses contes noirs. La Nochebuena en el Infierno,
La Nochebuena en el Purgatorio, La Nochebuena en el Limbo, La
Nochebuena en el Cielo pourraient ~tre l'hommage de la roman-
cire - qui s'est toujours proclame fidle chrtienne et catho-
lique pratiquante - au souvenir ~mprissabl de Dante.
Cette petite ttralogie de la vie future serait une
sorte de Divine Comdie en miniature insre dans la vaste
Comdie Humaine, version hispanique, que constitue l'ensemble,
des oeuvres courtes de Pardo Bazan. Mais ce serait la Divine
Comdie cre par un esprit moderne, continuateur sa faon,
de la tradition hispanique ouverte par les rasmistes de l'po-
que de Charles quint. Ainsi dans La Cena de Cristo il est ques-
tian d'un homme qui a cherch Dieu dans la solitude du clo!tre.
Du,ill'abandonne enfin, pour vivre dans le monde et se consa-
crer aux affai res. Et c'est l qu'il rencontre le Christ. Le
-
- 2J -
jour o~ il sauve la vie du concurrent d~loyal qui l'a ruin~,
J~sus vient sous l'a~ect d'un pauvre mendiant partager son
repas. Ce qui prouverait bien la justesse de la sentence de
l'humaniste de Rotterdam IIMonachatus non est pietas. 1I
Mais comme si l'interprtation chrtienne de la vie
humaine n'puisait pas toutes les formes de concevabilit, Dona
Emilia ne se refuse pas au thme antique du fatum dans des con-
tes comme El destino ou El sinD. Le fantastique un peu la ma-
nire de Poe ne lui est pas non plus interdit. Ainsi dans~tire
eativo l'auteur introduit son lecteur dans un monde de phnom-
nes tranges qui vhiculent la maladie et la mort, c'est le
souffle venimeux d'une monstrueuse salamandre, redoute de tout
un village, qui provoque celle inluctable d'un jeune paysan.
Dans d'autres rcits de thme analogue, le conteur se rserve
le droit de confier des apparitions surnaturelles l'amorce
d'une heureuse mtamorphose de la pauvre crature humaine: c'esi
le cas de Mariposa de pedrer{a,
ou la visite nocturne d'un papil-
Ion marque le dbut de la clbrit et de la richesse prodi-
gieuses d'un jeune artiste qui longtemps a fui ses semblables,
pour s'enfermer dans la douloureuse conscience de sa pauvret.
Souvent au fantastique viennent se greffer des d-
tails pittoresques, d'un pass idalis. Ainsi dans Siglo XIII,
la vue d'un mendiant en qu~te de la charit des humbles pay-
sans pr~te des considrations nostalgiques sur la foi des
sicles mdivaux.
-
[Jn l'a vu, Dona Emi:La ne recule devant aucun aspect
des moeurs de la soci~t espagnole de son temps ni devant aucun
des problmes qui V tourmentent les hommes. Dans ses contes on
passe de l'ironie ou de la tendresse l'horreur macabre, de la
peinture des sentiments les plus nobles celle de la cruaut
la plus odieuse ou de la sauvagerie la plus primitive ce qui
va de pair avec la varit de la faune sociale que l'auteur nous
a prsente. Dona Emilia ne se refuse rien son regard va du
rustre anonyme au noble le plus titrF!, de l'ouvrier affam au
bourgeois nanti, de la servante d'auberge ou de ferme la du-
chesse. Tant~t elle s'attarde sur la grisaille des vies mdio-
cres, tant~t elle dvoile au-del de l'horizon visible l'univers
trange du dlire ou le monde clat du fantastique.
Tel est le panorama d'ensemble, rapidement voqu
et dont l'tude complte est bien au-dessus des modestes ambi-
tions de notre travail. 11 faut tenir compte en effet, que l'en-
semble des contes de Oona Emilia atteint le nombre de 58 (1).
Ce chiffre comporte un nombre important de contes dj publis
en recueils (2). Il faut compter outre ces contes une bonne quan-
tit d'autres - ils sont au nombre de 162 - jamais recueillis
en volume que lion trouve parpills dans divers priodiques
et revues de l'poque (3).
-
N
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o E 5
-=-=-=-=-:-=-=-=-
1. Madame Nelly Clmessy en a fait deux cataloguEs exhaustifs -
l'un chronologique, l'autre alphabtique - lesquels avec
l'essai de classification par g~nre - qui les accompagne -
constituent aujourd'hui un instrument de travail indispen-
sable tous ceux qui s'intressent de prs l'oeuvre de
conteur d'Emilia Pardo Bazn.
Centre de Recherches Hispaniques, Paris, 1971.
2. Titre des recueils et date de leur parution en librairie
La dama joven y otros cuentos (1885), Cuentos Escogidos (1891~
Cuentos de Marineda (1892), Cuentos Nuevos (1884), Cuentos de
Navidad (1894), Arcos Iris (1895), Cuentos de Navidad y de
Reyes (1898, 1902), Cuentos de Amor (1898), Cuentos de la
Patria (1898), Cuentos Sacroprofanos (1899), Un destripador
de Antano (1900), En tranvla (1901), Cuentos Antiguos (1902),
Lecciones de Li teratura (1906), El fondo del Alma (1907),
Sud-Exprs (1909), Cuentos Tragicos (1912), Cuentos de la
Tierra (1922).
-
- 25 -
Tou s ces r ecu e ils d e :~,n tes 0 n t t r uni s plu s t a r d a v e c les
romans de l'auteur, en deux tomes, par l'dition Aguilar, Madrid,
11947 sous le titre de : Emilia Pardo Bazan : Obras completas
(Novelas y Cuentos) on y relve 389 contes,
3. La liste des publications et des priodiques contenant des
contes jamais recueillis en volume:
El Imparcial (1890 - 1920), El Nuevo Teatro Cr{tico (1891),
Blanco y Negro (1895 - 1918), La "Ilustracin Art{stica"/
(1896), El Liberal (1897), Madrid Comico (1898), Pluma y
LQpiz (1901), El Heraldo (1905), La Ilustracidn Espanola y
Americana (1908 - 1915), La Noche (1911 - 1912), Nuevo
/Mundo (1914), La Esfera (1914 - 1921), Los Contemporaneos
( 19 16), Ra z a Es p a il01 a (19 19 - 192 1 ),
-=-=-=-=-=-=-
-
CHA P 1 T R E 1 1
=o=o=o=o=o=o=o=o~o=o=o=o=o=o=
EVOLUTIor~ IN l'tRN E DU lICOSTUMBRISMOll
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
A L'UNIVERSALITE
-=-=-=-~-=-~-=-=-
LES DEUX PERIODES: 1879 - 18.91 ET 1891 - 1921 - CE qUE L'ON
~
A APPELE LE "NATURALISME " D'EMILIA PARDO BAZAN : LE CONTE NOIR:
CRUAUTE, EVOCATION DE L'HORiUR ET DU MACABRE-
,DETERMINISME ET LIBERTE - DU REFUS OU DETERMINISME SOCIAL A
L'OPTIMISME CATHOLIqUE.
-==UOOOOoooOOOOO==-
C'est l'intrieur d'une norme masse de matire
narrative que nous voyons dfiler tous les aspects de la socit
espagnole de l'poque. Mais ce n'est l qu'un premier constat
rvlant l'aspect le plus vident de la production de Dona
Emilia: la varit de ses sujets. Il en reste un autre, non
moins immdiatement apparent qu'il conviendra d'voquer sans
plus tarder, c'est le caractre volutif de cette immense pro-
duction.
-
- 28 -
LES DEUX PERIODES 1&19 1891 ET 1891-1921
Il convient tout d'abord de signaler les deux p-
riodes qui marquent la vie littraire de l'crivain. La produc-
tion des douze premi~res annes (1879 - 1891) totalise dix-huit
contes. Sur ce nombre, certes peu considrable, on est frapp
de constater que les th~mes relatifs la capitale espagnole
sont presque absents tandis que la majorit des contes crits
durant cette priode dpeignent avec insistance la cadre rural
ou citadin de la Galice, pays natal de l'auteur. Pour ces pre-
mi~res peintures de moeurs, Dona Emilia, marque par la lecture
des grands romanciers ralistes espagnols de la gnration de
1868, devait procder comme l'avait fait l'cole "costumbristall,
en recherchant avant tout le pittoresque et la couleur locale.
Ainsi la srie des faits divers qu'ouvre en 1883 Nieto del Cid}
sert de prtexte la peinture de paysages, ctes ou montagnes,
mais aussi et surtout celle de la mis~re et la grossiret
des ruraux que quelque reste de nobles instincts ne parvient pas
cacher. La prfrence de l'crivain pour la peinture du terroir
natal vient peut-tre, du fait qu'il tait, mieux que tout autre
milieu, celui qui offrait la meilleure garantie de russite
l'crivain dbutant.
Mais partir de 1891, comme pour dpasser ce
"costumbrismo" provincialiste qui l'aurait enferme dans les
-
- 2Y -
limites troites de sa Fgion,~
Pardo Bazan choisit d'inclure
dans son univers roman~~que Madrid. Elle publiait alors Crimen
libre qui met en sc~ne une histoire dont le cadre n'est autre
que la capitale espagnole. D~s lors, et sans jamais atteindre
la force des descriptions que Galdbs nouS a laisses de la capi-
tale espagnole, Madrid sert de fond aux rcits les plus divers
de Dona Emilia qui, au fil des annes, a su atteindre une dimen-
sion littraire de plus en plus universelle.
Le th~me paysan n'est pas exclu pour autant bien
au contraire il reviendra souvent : Viernes santo, En el nombre
deI Padre, El peregrino, Las tapias deI camposanto, La santa de
Karnar, El baile de Querub{n, et tant d'autres rcits ruraux qui
alternent avec les contes religieux La Nochebuena en el Infierno,
La Nochebuena en el Purgatorio - et les histoires fantastiques
lesquelles prendront une place de plus en plus importante dans
les derni~res annes de la vie de la romanci~re.
Une telle volution n'est certainement pas le fait
du hasard. On peut la constater galement dans les oeuvres roma-
nesques de Dona Emilia puisqu'il faut attendre 1889 pour que
deux de ses romans - Insolaci~n et Morri~a - comportent des pi-
sodes dont Madrid sera le cadre alors que les romans antri~urs~
Pascual Lopez (1679), La Tribuna (1882), El Cisne de Vilamorta
(1885), Los pazos de Ulloa (1886), La madre Naturaleza (1887) -
gardaient un caract~re exclusivement rgional.
-
- 3U -
Un tel largissement du cadre d'action de ses
rcits dnonce avant ~out le dsir de notre crivain de s'ins~rer
pleinement dans son temps. C'est srement ce qui explique la di-
versit de son oeuvre o partir de 1891, tous les courants
littraires de l'poque se trouvent reprsents. Notre t~che ne
consistera pas uniquement recenser toutes les tendances artis-
tiques dont Dona Emilia s'est fait successivement l'cho tout
au long de sa carrire, mais analyser la forme spcifique
qu'elles prennent dans son oeuvre puisqu'elle a toujours su, en
les adoptant,garder son accent personnel et l'originalit de
son temprament crateur.
Il nous faudra donc passer dans nos analyses du
type de rcit qui, porte ou semble porter, l'empreinte du "natu-
ralisme" ceux de ses contes qui relveraient du no-idalisme
symboliste de la fin du sicle. Et cela sans luder le vrai pro-
blme que pose au critique l'oeuvre tout entire de Dona Emilia,
la coexistence toutes les epoques de sa production de la pein-
ture raliste la plus crue et d'un idalisme qui serait parfois
une remanence romantique mais toujours une expression trs pro-
fonde et authentique de sa sensibilit. Tel sera l'objet des
pages qui vont suivre.
-
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/CE qUE L'DI\! A APPELE L.E "NATURALISME" D'EMILIA PARDO BAZAN
LE CONTE NOIR CRUAUIE, EVOCATION DE L'HORREUR ET DU MACABRE.
Le " na turalisme ll a t souvent dfini comme une
approche exhaustive de la ralit qui ne recule pas devant aucun
de ses aspects, m~me ceux que l'on considre comme empreints
d'extr~me laideur, les plus rpugnants ou effrayants. Nous ne
souhaitons en aucune faon discuter le bien fond de cette dfi-
nition, laquelle on pourrait certes opposer le fait que dj
le romantisme avait revendiqu le droit de l'crivain se ser-
vir du laid et de l'horrible en vue d'obtenir une haute effica-
cit expressive. Hugo ou Petrus Borel, qui n'ont jamais t
catalogus comme " na turalistes", avaient puis abondamment dans
ces sources d'expressivit qui sont l'atroce, le lugubre et m~me
le rpugnant.
quoi qu'il en soit,. ce que l'on a appel " na tura-
lisme", trs associ la dmarche narrative d'Emile Zola qui
en avait donn la thorie, a t considr comme le courant
littraire o s'insre l'oeuvre de la Comtesse de Pardo 8az~n.
Elle-m~me en crivant La cuestitn palpitante avait contribu
tablir l'opinion selon laquelle le roman du XIXme sicle avait
ouvert le champ de la narration l'observation de la ralit
sous tous ses aspects, et mme,a ceux qui semblaient longtemps
interdits l'oeuvre d'art. Un de ces aspects serait le thme du
macabre et de l'atroce que Dona Emilia a trs abondamment trait
dans ses contes o nous voyons souvent des personnages mourir
dans des circonstances extr~mement horribles.
-
- 32 -
A cet gard Un destripador de antano, rcit d'un
e f f r 0 y a blem e urt r e, p..eu t 0 f f r i r, u ri e x e mpIe sig nif i c a tif. En
effet, pour payer le loyer de la ferme o se trouve le moulin
de son mari, une femme assassine une orpheline qui lui a t
confie, et cela afin de vendre sa graisse un pharmacien qui,
selon la rumeur publique, en fait l'onguent l'aide duquel il
soigne ses malades. Dans ce cas prcis seule l'histoire est
atroce l'auteur passe rapidement sur le meurtre de la malheu-
reuse jeune fille dont il vite la description. En revanche, dans
bien d'autres contes, le thme tragique s'accompagne des plus
effroyables dtails sur lesquels la romancire insiste, comme
si elle cdait un parti pris bien arr~t. Dans de tels rcits,pas
Dona Emilia n'pargne~ son lecteur, aussi souvent que l'anecdote
l'y autorise, les dtails les plus atroces tels que les descrip-
tions d'horribles mutilations dont ses personnages sont victimes.
Dans In~til, les meurtriers d'un vieillard gardien
d'un ch~teau procdent de la faon la plus sauvage pour faire
avouer leur victime la cachette de son bas de laine:
"Ils tra!nrent sans peine le vieillard jusqu'au
foyer qu'il venait de garnir et qui brlait en crpitant et en
clairant d'un reflet rouge le ventre du chaudron et le trpied
sur lequel reposaient les marmites. Ils cartrent celles qui
taient plus prs du bord et, en poussant Carmelo pour l'obliger
plier les genoux, ils appuyrent ses deux mains sur les brai-
ses." (1)
-
- 3.3 -
Le vieillard s'vanouit sous l'effet de cette
premire torture mais l~s malfaiteurs redoublent l'opration,
aprs l'avoir ranim
"Et lentement avec une rage froide ils tendirent
ses paumes sur le brasier qui se ravivait en petites flammches
o brillait la rsine des pins. Les os sarmenteux du vieillard
crpitaient en peau et tguments; ils brlaient mais le corps
de l'homme, dj inerte ne s'agitait plus." (2)
Insensibles l'horreur de leur exploit, les mal-
faiteurs regrettent seulement que leur coup ait chou cause
de la faiblesse de leur victime et avec une cruaut infernale
ils accablent le vieillard de svices inimaginables jusqu'
aboutir son anantissement le plus total
"D'un coup de pied on le poussa au fond du foyer.
Ses v~tements, ses cheveux blancs prirent feu. Il ne fit pas un
seul mouvement. Il brlait mieux que l'amadou, mieux que le bois
vermoulu." (3)
Dans d'autres contes il s'agit de la description
des cadavres rigides sur leur lit de mort, envelopps dans leur
suaire. Dans Consuelos, une couturire a perdu son enfant. Bou-
leverse par ce drame, elle accueille l'ouvrier qui apporte le
cercueil
" le cercueil o on allait dposer tout jamais
l'enfant de Maria Vicenta tait orn de lisires bleues sur fond
-
- J 4 -
blanc et garni ~ l'int~rieur d'une satinette rose assez criarde.
C'~tait ce que l'on faisait de plus ~l~gant Areal~Selme remar-
qua avec ~tonnement ~~j la couturire n'admirait pas le petit
cercueil. Elle venait d'arr~ter son regard longuement sur la
paillasse o reposait le petit cadavre que l'on avait habill~ de
son costume du dimanche et du gilet de laine blanche aux glands
multicolores. Sur son minuscule visage p~le, on vovait des taches
violac~es, t~moignages de furieux baisers." (4)
Lorsqu'il s'agit d'un meudre, les d~tails les plus
impressionnants renforcent le caractre violent de l'action.
Dans Los buenos tiempos, une comtesse fait tuer son mari infidle
pendant son sommeil :
"Et tandis que la dame l'~clairait avec le cierge
de l'oratoire, le paysan d~chargea un coup, un autre, dix autres
sur le front, sur le visage, sur la poitrine. L 'homme endormi ne
broncha pas il para1t qu'au premier coup de hache ses veux
s'ouvrirent avec effroi aprs rien. 1I (5)
Toute la brutalit~ primaire de certains tableaux
de GoVa se fait jour dans les pages de Reconciliados. Deux
pavsans s'entretuent pour un lopin de terre:
IIRoque venait de tomber, entra!n~ par la force m~me
aveC laquelle il avait voulu assener le coup, puisant ainsi
dans cet ~lan tout ce qui lui restait d'~nergie. Et en le vovant
terre, l'autre ramassa sa houe et cette fois, le frappa juste.
La t~te rsonna comme une marmite qui se fend. Puis, il lui
assena un vigoureux coup de houe qui brisa ses os et ses
c~tes . " (6)
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- 35 -
Des dtails froces plongent le lecteur dans un
uni ver s d 1 pou van t e e"tl v. d e cau che ma r. Ain s i dan s [1 b rad e mis e r i -
cordia la terrible description de la peste qui dcime un vil-
lage. Le cimeti~re regorge de cadavres; l'crivain insiste sur
l'odeur nausabonde qu'exhalent les corps entasss:
Il Les manations dlt~res de tant de chair
humaine entasse sur les champs de bataille, mal couverte par
la terre m~re, horrifie de voir ses entrailles ainsi profa-, Ilne es . (7)
Tr~s diffrent est le cas de Suerte macabra o le
th~me du cadavre profan tourne l'humour noir. Un marchand de
couleurs madril~ne dcouvre qu'il a gagn la loterie; mais le
billet gagnant se trouve chez un de ses amis en province. Or,
cet ami vient mourir subitement; le hros arrive chez la veuve
et fouille sans succ~s la chambre du dfunt. La veuve se souvient
au bout de trois jours de recherches infructueuses, que son mari
portait le jour de son dc~s une redingote neuve. Le billet est
srement, dit-elle, dans la poche de cette redingote avec la-
quelle il a t enterr. Apr~s avoir obtenu l'autorisation de
procder l'exhumation du cadavre, le marchand, accompagn de
la veuve et d'un gardien du cimetire, se prcipite sur la tombe
de son ami. La description qui suit est d'un effectisme postro-
mantique o l'horreur a comme cadre l'ombre nocturne et le mugis-
sement de la temp~te :
Il et le soir o on ralisa le lugubre exploit
-
- 36 -
il ~clata une temp~te horrible; le vent sifflait a travers les
cyprs noirs, et le sourd et imposant murmure de l'Ocan avait
des ton spI a i n tif s , i-ijlp r c a toi l' e set 1 a l' mCJ ya Il t s, d ~sel a me urs
surhumaines tristes et menaantes que l'on aurait cru le lugu-
bre concert de voix de morts." (8)
La puanteur de cadavre d~j dcompos porte a son
comble l'horreur de la scne:
" Ils d fil' en t 1 e s .p u 1 cre ; e t qua n d ils sou 1 e-
vrent le couvercle de zinc, la premire bouffe de pourriture,
la puanteur cadavrique SI engouffra. non seulement dans le riez
mais encore dans l'~me de Don Donato." (9)
Mais, oh drision! le corps qui est en effet dans
un tat de putrfaction avance,' est tout nu. Il a t dpouill
de ses v~tements, sans doute par des voleurs de cimetires dont
la visite a prcd celle du marchand de couleurs
"Don Donato vit un visage pouvantable, dj
vert des yeux ouverts, vernis et terrifiants, une oarbe bourif
fe, des lvres livides . Le cadavre tait nu !" (10)
Il faut bien remarquer que dans les contes de Do~a
Emilia l'horreur n'est pas toujours ncessairement physique, car
si la chair humaine se dcompose et devient matire puante, il
y a aussi des sentiments qui ravagent lr~me et qui,comme un
acide corrosif,la dtruisent. Alors la mort est la fin d'un
processus impitoyable. Un de ces sentiments est la peur, cette
-
:n .
insurmontable angoisse qui souvent tue dans les rcits de la
Comtesse. Mieux qu'auc~~ autre conte El indulto nous dcrit ce
processus d'anantissement de l'tre moral sous l'emprise de la
peur. Un terrible crime a eu lieu dans un village galicien o un
forcen a tu, pour la voler, la mre de sa femme. Cette dernire
l'a dnonc et l'assassin est condamn vingt ans de bagne.
Lors du procs il s'est rpandu en menaces. Si jamais il sort
de prison ce sera pour se venger en tuant celle qui lia dnonc.
Les annes passent. Un jour, la femme apprend que son mari a
bnfici d'une large amnistie accorde par le roi. La malheu-
reuse cherche la protection de la loi. Son mari l'a menac de
mort, elle est en danger ... Mais ses frayeurs nlveillent pas
d'cho auprs des autorits. Son mari libr, elle devra repren-
dre la vie commune. Alors commencent les heures d'attente cruelle,
aussi terribles que celles d'un condamn mort a la veille de
son excution. Et la fin l'homme arrive. Son geste n'est pas
meurtrier mais tout simplement autoritaire. Il exige son dtner,
puis il donne l'ordre la femme de se coucher dans le vieux
lit conjugal, car il veut dormir. C'est dans ce lit, c'est au
cours d'une nuit d'attente atroce que le coeur de l'pouse
cesse de battre. La peur l'aura tue.
que de semblables thmes relvent ou ne relvent
pas de l'esthtique "naturaliste", une chose est certaine, ils
n'puisent pas, le moins du monde, l'oeuvre de Do?i'a Emilia, car
ce que l'on appelle, tort ou raison, "idalisme" garde tou-
jours une place trs importante dans l'ensemble de ses rcits
-
j8 -
brefs, et parce que, ma.tJlr l'horreur de ses contes noirs, il
se dgage de cet ensemble une sorte d'optimisme mtaphysique
qui vient sans doute des ides que l'auteur professe sur la
condition humaine.
DETERMINISME ET LIBERTE
Si la Comtesse s'tait propose de donner au public
ds 1883 une analyse objective des derniers courants de la litt-
rature narrative en France, ralisme et naturalisme, elle n1en-
tendait pas pour autant faire acte d'allgeance aux doctrines
que Zola avait proclames dans Le roman exprimental. Elle n'en-
tendait en aucun cas s'adscrire aucune cole, elle n'tait pas
pr~te adhrer aucune thorie. Mais, mme sur ce point, sa
culture et son intelligence l'empchaient d'~tre dupe de sa rpu-
gnance se laisser cataloguer et tiqueter. Une petite voix
ironique, celle de son exceptionnelle lucidit, lui disait tout
bas que quoi qu'elle pOt faire, elle finirait par ~tre affilie
d'office une cole, range parmi les reprsentants d'un mouve-
ment littraire:
"Qui n'aime pas se proclamer indpendant? -,crit-elle dans La Cuestion palpitante, et qui ne se croit
pas exempt de l'influence, non seulement des autres crivains
mais surtout de l'atmosphre intellectuelle qu'il respire?
Cependant} ce n'est pas au plus grand talentueux qu'il est permis
de se vanter d'une telle exemption; tout le monde, qu'on le
-
- 39 -
sache ou non, qu'on le veuille ou non, appartient ~ une ~cole
laquelle la post~rit~ l'affilie en ne tenant pas compte de
ses protestations et en s'occupant de ses actes. La post~rit~,
c'est--dire, les savants, les ~rudits et les critiques futurs
~n proc~dant avec ordre et logique, mettront chaque ~crivain l
o il devra se trouver, et diviseront et classifieront et con-
sid~reront les. plus grands g~nies comme les repr~sentants d'une
~poque litt~raire c'est ainsi qu'on fera demain, parce que
c'est ainsi qu'on a toujours fait. Malheur l'~crivain qu'au-
cune ~cole ne r~clame comme sien! Il (11)
Elle serait donc classe, que cela lui plaise ou
pas, parmi les romanciers naturalistes, mais elle tient beau-
coup d~clarer bien clairement les divergences qui l'opposent,
du point de vue thorique, Emile Zola.
Ces divergences portent sur un point fondamental,
le d~terminisme que Zola proclame r~gir aussi bien le cerveau
de l'homme que la pierre du chemin.,
Selon Pardo Bazan, l'cole
naturaliste conduite par Zola, en prenant appui sur les th~ories
scientifiquesr~pandues en son temps par Claude Bernard et Darwin,
n'avait fait que II pas ser de l'ancien fatalisme paIen au d~termi-
nisme mat~rialiste. Il (12) Car, Ill' esth~tique naturaliste entend
~par montrer et mettre en ~vidence la b~te humaine~ le fait de
soumettre la pens~e et la passion aux m~mes lois que celles qui
d~terminent la chute d'une pierre et de ne tenir compte que
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- 40 -
des influences physiques et chimiques abstraction faite de la
spontani t individuelle. Il (13)
Or, cette mthode, affirme Dona Emilia, ne peut
aboutir qu' des rsultats bien limits II par voie de consquence
logique, le naturalisme s'oblige ne s'occuper que de la ma-
tire, expliquer le drame de la vie humaine par l'instinct
aveugle et la concupiscence effrne. L'crivain, s'il est par-
tisan rigoureux de la mthode lance par Zola, se voit dans
l'obligation de procder une sorte de slection entre les
facteurs qui peuvent dterminer la volont humaine. Et, en
choisissant toujours ceux qui sont externes et tangibles, il
fait abstraction de ceux qui relvent du domaine moral, intime
et dlicat. 1I (14)
Voil qui est clair, Madame de Pardo Baz~n refuse
le naturalisme particulier de Zola qui, IInourri des mythes de
la science, sa nouvelle idole ll (15), rduit la libert et le
champ d'observation de l'crivain. La Comtesse elle, croit fer-
mement la libert humaine tout en admettant que celle-ci est
sans doute limite par llinfluence du milieu et des conditions
physiologiques; de l, ncessit pour le romancier de ne pas
tronquer 11 homme, de l'tudier tout entier, corps et ~me. (16)
Cependant, certains contes de Pardo Bazn offrent
des donnes qui, compares avec ces affirmations, autorisent
-
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bien des interrogations sur l'ternel problme Le destin de
l'homme est-il fix d'avance, ou bien peut-il le faonner par
ses actes librement choisis?
Il Y a tout lieu de se poser de telles questions
car, en effet, en dpit des prlses de position antifatalistes
dont nous venons de faire tat plus haut, on retrouve dans les
contes de notre romancire le thme de fatum trait selon la
plus pure tradition antique. Clest dans La tigresa que nous en
avons la meilleure illustration. Au dbut du rcit, il est ques-
tion d'un jeune prince sur qui pse une lourde menace de mort
il mourra inexorablement de faon tragique, lui a-t-on prdit.
Les vnements s'enchanent de faon conduire le jeune monar-
que la mort il consulte un ascte qui lui propose d'abandon-
ner son pouvoir royal pour se consacrer une vie de pnitence;
le prince s'y refuse et malgr toutes les prcautions qu'il prend,
il tombe sous les griffes d'une tigresse qui lui tranche les
veines du cou. D'ailleurs, le narrateur n'avait-il pas trouv
le moyen de dire - comme pour tourner en drision les vaines
tentatives du prince, lorsque celui-ci sombrait dans la plus
profonde dtresse l'ide de sa mort prochaine - que "Le
Destin, quand il nous cherche, sait nous trouver partout o
nous nous cachons. 1I (17)
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- 42 -
Tout porte donc croire que notre crivain - m~me
si le court rcit visait un but moral quelconque (responsabilit
morale de la victime qui, par orgueil, n'a voulu renoncer ni
ses richesses ni au pouvoir ni l'adulation de ses sujets, pour
suivre l'appel du destin) - semble souscrire l'acceptation d'un
autre dterminisme qui n'est pas celui de Zola, celui du destin
implacable que rien ne semble arr~ter, une fois en marche.
Mais quand dans El sino, le hros prdit son destin
cruel ("On m'a mille fois r~p~t que rien ne me russirait et
que mon sort sera funeste" (18), s'obstinait-il dire), l'cri-
vain ne laisse place aucune issue possible; le rcit s'ordonne
selon un enbha1nement rigoureux de p~rip~ties pour aboutir au
dnouement prtabli. C'est en effet en mer, au cours de la tra-
vers~e de Lisbonne Rio de Janeiro, que le destin frappe sous
la forme d'une temp~te qui surprend un navire. C'est du pont de
ce navire que les vagues arrachent le jeune homme qui, amer,
n'avait pas cess d'annoncer son malheur. Plus encore, lorsque
l'accident se produit, le narrateur ne fera qu'insister - comme
pour opposer la force toute drisoire de la volont~ humaine
celle transcendante du destin - sur les efforts vains de ceux
qui entreprennent les travaux de sauvetage. Les autres voyageurs
se livrent en effet des tentatives dsesp~r~es de sauvetage
-
- 43 -
en lanant dans l' eau I:1?"~ cordage du navire que la victime, que
l'on se pla!t appeler lI offrande expiatoire ll , saisit de toutes
ses forces. Mais trop tard, la fureur des vagues rduit nant
tous ces efforts et le malheureux garon est tout jamais englou-
ti par la mer.
,La pos~ion de Pardo Bazan qui privilgie la notion
de la responsabilit humaine (position base sur la conception
chrtienne du libre arbitre et de la possible, toujours possible
rhabilitation de l'individu) para!t difficilement conciliable
avec la faon dont elle traite la fatalit dans certains de ses
contes. N'a-t-on pas affaire au dterminisme, au fatalisme dso-
lant que l'crivain condamnait?
DU REFUS DU DETERMINISME SOCIAL A L'OPTIMISME CATHOLIQUE
Ce qui en revanche, est tout fait clair, c'est
que notre romancire part en guerre contre toutes les formes du
dterminisme social qu'elle juge absurde et aberrant. Elle voue
le plus grand mpris tous les conformismes, elle condamne une
socit qui impose ses prjugs et son dogmatisme hypocrites
ceux de ses membres qui s'cartent des chemins battus.
Tous les thmes d'exclusion sociale apparaissent
un moment ou l'autre dans l'oeuvre de Dona Emilia. La
-
- 44 -
f i 11 e - mre : une f i 11 ', -q u i P0 rte une nfan t du h a sa rd dan s ses
entrailles devient une rprouve aux yeux de tous, m~me de ses
parents. Mais pour le mdecin de village dont les dceptions ont
fait un misanthrope et un isol "elle n'est qu'une victime,
qu'une victime" (Los escarmentados).
Le mariage lui-m~me est une institution rgie par
l'intr~t et soumise l'autorit des familles. Transgresser la
loi de celles-ci peut entraner des consquences f~cheuses voire
dramatiques
La fille peut manquer sa vie de femme parce qu'elle
a os rvler, sous l'emprise de l'alcool, sa rpugnance pour
le mariage que les parents lui imposent. Abandonne de tous,
elle n'aura d'autre refuge que la prostitution (Champana).
Le pre peut blesser mort sa fille parce qu'elle a
contract des liens contraires ses intr~ts (Las medias rojas).
La socit n'a pas cess de dresser des barrires
l'honneur reste un lment sur lequel repose toute la socit
qui ne peut se soustraire son emprise, c'est par l que la
socit moderne revient ainsi la barbarie des peuples primi-
tifs.
Un paysan imbu du code intransigeant de l'honneur
abat lui-m~me d'une balle dans la t~te son fils qui a vol
(Justiciero).
-
- 45 -
La guerr~!ait des victimes dont on s'empresse
d'accepter le stupide sacrifice, devenu chose juste et normale
au nom de l'honneur national que l'on exalte avec vhmence
(Poema humilde).
Tout cet ensemble de dnonciations reste trs pro-
. ~che du message du roman naturallste auquel Pardo Bazan a souvent
emprunt thmes, techniques et procds tout en proclamant mille
fois sa conception chrtienne traditionnelle de l'homme o rsi-
dent ensemble les forces du Bien et du Mal mais qui garde toujour
la libert de choisi~4par voie de consquence, la responsabilit
morale. A lui de s'apercevoir du mauvais virage qu'il est en
train de prendre et de le redresser. Soumettre l'homme la
seule loi des influences physiologiques, reviendrait lui con-
tester son essence divine, l'animaliser et tomber par l
dans le plus redoutable pessimisme.
Cet optimisme essentiel qui nat de la certitude
que l'homme est libre et capable par l de faire tout moment
dle meilleur choix informe bien des contes de Pardo Bazan.
Qu1il nous suffise d'en retenir deux: Desguite,
que nous analyserons ailleurs, o un ~tre aigri et hargneux par-
vient touffer la voix de son ressentiment et suivre celle
de sa conscience subitement veille au contact avec l'innocente
-
- 46 -
tendresse d'une jeune fille. Cette m~me voix c'est l'imminence
de la mort qui la fait entendre au protagoniste de El tornado,
jeune ecclsiastique, au moment m~me o il slappr~te sduire
une belle veuve en abusant de sa crdulit. (19)
-
- 47 -
1\1 o T E 5
-=-=-=-=-=-=-=-=-
1. Cuentos deI Terruno, Dbras Completas, d. Aguilar, Madrid,
1947, T. II, page 1506 : "Arrastraron facilmente al anciano
hacia el fuego que acababa de recebar, y que ardla restallan-
do, enrojeciendo la oscura panza deI pote y las trbedes en
que descansaban las allas. Desviaron las mas proximas, y
arrodillanto a Carmelo de un empujon, le apoyaron ambas ma-
nos en la brasa."
2. Ibid., page 1505 : "V despacio, con rabia fria, le exten-
dieron las palmas sobre el brasero, avivado por llamitas
cortas, en que se evaporaba la resina deI pino. Crujian,
desnudBndose de piel y tegumento, los secos huesos, al tos-
tarse, el cuerpo, inerte va, no se revolvia."
3. lb id., pa 9 e 1505 :,
"De un puntapi le empujaron mas adentro
deI hogar. La llama prendio en la ropa y en el pela canoso
No hizo un movimiento. Ardia mejor que la yesca y la madera
apolillada."
-
4.
- 48 -
Cuentos del Terr~p, ~, 1. II, page 1487 : Il . 'el caJon
donde iban a guardar para siempre al nino de Mara Vicenta
lucla simtricas listas azules sobre fondo blanco, e inte-
riormente un forro chillon de percalina rosa. No se hacia
en Areal nada mas elegante. Con extraneza nota Selme que la
costurera no admiraba el pequeno fretro. Acababa de fijar
ahincadamente la vista en el jergon donde reposaba el cuer-
pecito, amortajado con el traje de los dlas de fiesta y la
marmota de lana blanca y monos de colores. Sobre la cara
diminuta, palida, se velan manchas amoratadas, senales de
besos furiosos. 1I
5. Cuentos de Amor, ~, T. 1, page 1374 : IIY. mientras la se-
nora alumbraba con la vela de cera del oratorio, el labri ego
1descargo un golpe, otro, diez en la frente, cara, el pe-
cho .. El dormido no chisto : parece que al primer hachazo
abrib unos ojos muy espantados . , y luego, nada."
6. Cuentos de la Tierra, ~, 1. lI, page 1762 : IIRoque acababa
de caer, arrastrado por la propiCLi ~ '"fuaza con que habla que-rido asestar el golpe, consumiendo en tal arranque cuanto
'"le restaba de energla. Y, al verle en tierra, el otro reco-
gia del suelo su azada, y ya esta vez fu certero. La cabeza
"sono como una olla que se parte. Luego, un azadonazo vigoro-
so quebro huesos y costillas ... Il
-
.7. Cuentos de la Tie..-r,:r;a, D.C., T. II, .page 1719 : " la emana-
ci6n deletrea de tanta carne de hombre hacinada en los cam-
pos de batalla, mal cubierta por la tierra madre, horrori-
zada de ver Sus entraffas profanadas as!."
8. Cuentos Dramaticos, ~, T. l, page 1649 :" y la noche
en que se realizo la l~gubre hazana era de tormenta horrible;
sil baba el viento entre los negros cipreses, y el sordo e
imponente murmurio del Dcano tenfa tonDs de queja de mal-
dicion y de llanto ; clamores sobrehumanos por 10 amenaza-
dores y tristes, parecidos a un coro de voces de muertos."
9 Ibid., page 1649 : "Destapiaron el nicho ; y cuando
se alza la tapa de zinc, la primera bocanada de putrefaccion,
el hedor cadavrico dia,
a Don Donato."
J
mas que en las narices, en el alma
10. Ibid., page 1649 : "Don Donato . via una cara espantosa,
verde ya ; unos ojos abiertos, vidriados y aterradores, una
barba fosca, unos labios llvidos ..
ba desnudo !"
, ... ; jEl cadaver esta-
11. Emilia Pardo Bazan, La cuestion palpitante, Anaya,Il
Salamanca, 1970, page 183 : dA quin no agrada blasonar de
independiente, 1Y qUlen no se cree exento del influjo, no
-
s610 de otros autoresr.~ino hasta deI ambiente intelectual que
respira? No obstante, ni al mavor ingenio es licito jactarse
de tal exencion todo el mundo, spalo 0 no, quiralo 0 no,
pertenece a una escuela a la cual la posteridad le afila no res-
petando sus protestaciones V atendiendo a sus actos. La posteri-
dad, le afila no respetando sus protestaciones V atendiendo a
sus actos. La posteridad, 0 dlgase los sabios, eruditos y cri ti-
cos futuros, procediendo con orden y logica, pondran a cada es-
critor don de deba hallarse, y dividiran y clasificaran y consi-
deraran a los mas claros genios como representantes de una poca
literaria aSl se hara manana, porque aSl se hizo siempre . . AVJ
deI autor a quien no reclame para si escueba alguna !II
12. Ibid., page 38 : IIDe un fatalismo providencialista, hemos
pa sadD a otro materialista. 1I
13. Ibid., page 42 : IIS ometer el pensamiento y la pasidn a las
mismas leyes que determinan la calda de la piedra ; conside-
rar exclus ivamente las influencias f{sico-qu~micas, prescien-
diendo hasta de la espontaneidad individual, es 10 que se
propone el naturalismo V 10 que Zola llama en otro pasaje
de sus obras IImostrar y poner de realce la bestia humana ll 1I
14. Ibid., page 42 IIPor 16gica consecuencia, el naturalismo
s~ obliga a no respirar sinD deI lado de la materia, a
-
- 51 -
explicar el drama de l~ yida humana por medio del instinto ciego
y la concupiscencia desenfrenada. Se ve forzado el escritor ri-
gurosamente partidario del mtodo proclamado por Zola, a verifi-
car una especie de seleccion entre los motivos que pueden deter-
minar la voluntad humana, eligiendo siempre los externos y tan-
gibles y desatendiendo los morales, !ntimos y delicados. u
15. Yves Chevrel, Le naturalisme, Presses Universitaires de
France, Paris, 1982, page 74.
16. Boris de Tannenberg, l'Espagne littraire, (Portraits d'hier
et d 'aujourd 'hui), Toulouse, 1903, page 304.
17. Cuentos Tragicos, ~, T. l, page 1829 : "El Destino, cuando
nos busca, sabe encontrarnos dondequiera que nos ocultemos."
18. Cuentos Nuevos, O.C., T. II, page 1701: " - A ml me ha repe-
tido mil veces que nada me saldrfa bien y que mi suerte sera
funesta -"
19. Les contes cits dans DU REFUS DU DETERMINISME SOCIAL A
L'OPTIMISME CATHOLIQUE sont respectivement extraits de
Otros Cuentos, o.C., T. l, page 1977.
Cuentos de Amor, O.C., T. l, page 1354.
-
- 52 -
Cu en t 0 s de laT i e rra ,~[J C., T. II, page 1706.----Cuentos drarnaticos, ~, T. l, page 1624
Historias y Cuentos de Galicia, O.C., T. l, page 1553.
Cuentos de Arnor, O.C., T. l, page 1318.
Cuentos Nuevos, O.C., T. II, page 1621.
-=-=-=-=-=-=-=-=-
-
CHA P l T R E III
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
'1
L'IDEALI~E EN QUESTION
-=-=-=-~-=-=-=-=-=-=-=-=-
LE RECIT A DEUX TONS: RESURGENCE DE L'IDEALISME ROMANTIqUE.
REMINISCENCES ROMANTlqUE50U SIGNES AVANT-COUREURS DU MODERNISME?
L'IDEALISME DES CONTES RELIGIEUX.
-==0000000000000==-
LE RECIT A DEUX TONS RESURGENCE DE L'IDEALISME ROMANTIQUE.
Il arrive en effet trs souvent que le "ralisme"
de Dona Emilia, command par un souci scrupuleux d~ dtail et
de l'exactitude se trouve en contraste dans le corps d'un m~me
rcit, avec l'expression de la plus tendre mlancolie et du plus
vague idalisme de signe romantique. Cet trange dualisme n'avait
pas chapp l'esprit critique de Menndez y Pelayo qui crivait
" je continue croire, et bien d'autres avec
moi, que chez Madame de Pardo 8az~n la posie, l'idalisme et
l'inspiration chrtienne sont naturels et spontans tandis que
le naturalisme est artificiel, postiche et appris." (1)
Laissons de c~t les termes pjoratifs que Don
Marcelino applique au "naturalisme" de la Comtesse et qui ne
sont que l'expression de ses prjugs, pour retenir seulement
,.,
-
- s'-+ -
dans sa phrase le constat de la curieuse dualit que nous signa-
lions quelques lignes plus haut.
Il est d'ailleurs fort possible que le phnomne
"dpasse le cas personnel de Pardo Bazan et qu'il soit gnral
tous les romanciers espagnols de sa gnration qui ne seraient
jamais parvenus se librer entirement de la gangue romantique
laisse dans leur esprit par leurs lectures de jeunesse. C'est
bien ce que semble souligner Mariano Baquero Goyanes au cours
l' " ., t t l XIX m ed une etude consacree preClsemen au con e espagno du
sicle. En comparant les crivains Maupassant il affirme que
les espagnols ne se sont jamais dpartis de certains procds
romantiques :
IIfVlaupassant - crit Baquero Goyanes - est un narra-
teur sans truquages, sans effectismes, dont l'objectivit n'a pas
son pareil parmi les auteurs de contes de son temps. Les espa-
gnols sont gnralement plus passionns, plus ports chercher
les dnouements surprenants . Il (2)
Do~a Emilia tait bien consciente de cette dualit
qui tait en elle et qui ne pouvait pas manquer de percer dans
ses crits:
liMai , comme dans mille autres occasions
-
- 55 -
semblables, je pestais contre cette coquine de dualit qui est
la mienne, contre cette complexit de mon tre qui, tout en me
permettant de sentir la valeur inestimable de l'illusion poti-
que m'oblige en mme temps l'analyser, et, par consquent,
la dtruire Il (3)
Parmi les multiples aspects que peut prendre ce que
DOfla Emilia appelle 1I1'illusion potique ll se trouve l'vocation
d'un pass idalis, gnralement le Moyen Age, tel que l'avaient
dcrit les disciples de Walter Scott et qui par l'influence
qu'ont lon~temps exerce leurs oeuvres, a gard un grand pouvoir
de suggestion lyrique. Pardo Baz~n n I y chappe pas. Souvent dans
ses contes cet idalisme historico-fantastique donne lieu l'mer
gence dans le rcit de vieilles lgendes religieuses lies des
dvotions ou des superstitions populaires mdivales au point
que lion se croit revenu ce qu'on appelait en 1830 le II s tyle
cathdrale ll Voici les premires lignes de El peregrino
Il Il s son t loi n, b i en loi n, ces j 0 urs d e foi na ive
qui ne nous sont voqus que par les pierres dores, par les
licheffi et les rtables des vieilles glises o campent des
figures mystiques. Il (4)
Ce pass certes lointain et aboli peut nanmoins,
parce qu'il a laiss ses traces sur les pierres et dans les ~mes,
redevenir prsent ou se confondre avec le prsent. On ne saura
-
- 56 -
jamais dans quel sicle est n le plerin qui, sur le chemin
de Saint-Jacques, a demand un g!te ~un couple de vieux paysans.
Ce plerin qui expie un horrible crime, qui a fait le voeu de
dormir ~ la belle toile le reste de sa vie et de soupoudrer
son pain de poussire avant de le porter sa bouche, d'o
vient-il? Ne vient-il pas d'un trs lointain pass, condamn
qu'il est poursuivre sans halte ni rpit son voyage ternel?
Dans Siglo XIII l'annonce semble donner ce m~me
ton au rcit qui va suivre:
"Les mendiants professionnels m'intressent, m'atti-
rent. Ils sont un reste du pass; ils sont aussi archaIques,
aussi authentiques qu'un meuble ou qu'un mail " (5)
Mais quelques lignes plus loin nous commenons
nous apercevoir que la prose de notre romancire devient ironi-
que :
,"Dans ce chemin qui va au petit village, ce chemin
bord de chvrefeuilles en fleur qui embaument l'air, je rencon-
tre, au pied du marronnier, un aveugle. Il possde tout de suite
pour moi un peu de la posie mlancolique du crpuscule qui en-
toure sa silhouette. Je crois pratiquer un sport du Moyen Age
en lui donnant quelques pices de cuivre soit en passant devant
la porte de quelque petit sanctuaire soit en m'arr~tant de broder
-
- 57 -
une tapisserie alors que je suis assise sur le banc de pierre
d'une fen~tre gothique. 1I (6)
Inutile de souligner l'quivalence aum~ne = sport
du Moyen Age ou les poncifs de la ch~telaine charitable qui
s'arr~te devant le sanctuaire ou qui brode dans le creux d'une
fen~tre ogive. Il n'y a pas de doute: l'auteur regarde d'un
oeil moqueurces lettrs esthtes, dont elle est, et leur got
pour l 'historicisme lI ar tiste ll Car cette fois l'analyse l'emporte
sur l'idalisme brumeux. Si le mendiant professionnel qui hante
les chemins de sa vieille Galice peut subsister c'est seulement
parce que dans ces campagnes arrires et pauvres le paysan,
exclu de tous les avantages de la civilisation moderne, ne con-
na!t d'autres loisirs que les histoires de colporteurs et men-
diants qui parcourent les chemins; lI e t qu'il trouve peut-~tre
le seul plaisir de son existence obscure dans les runions de
ces cratures dguenilles et factieuses, qui leur faon
trouvent toujours le mot juste et moqueur, de ces routiers char-
gs d'exprience qui ont appris sur les chemins toutes les nou-
velles du pays. Il (7)
C'est pourquoi le paysan ternel, immuable, ce
paysan de tous les temps qui nia rien reu du sicle o~ il vit
-
- 5B -
et auquel des sicles pa9Bs nlont lgu qu'un rude idal
de charit chrtienne, apaise la faim du mendiant de passage
et lui offre sous le hangar un sac de paille pour le repos de
la nuit.
"A deux pas de la civilisation voil~ comme sur
une peinture mystique le foyer franciscain ouvert au mendiant." (8)
Mais cette fois la "peinture mystique" a t expli-
que, analyse dans son contexte qui n'est autre que ce que bien
des annes plus tard Oscar Lewis devra appeler "l'anthropologie
ou la culture de la pauvret."
Par ailleurs, pour rendre sensible cette ambivalence
prsent-pass, l'auteur se sert souvent dans les dialogues de
ses contes d'un langage archasant qui pour tre vivant dans la
Galice de son temps ne suggre pas moins l'cho des sicles
r vol us. On y lit , en e ff e t des mot s co mm e :
en de, estades (9), tenedes, onde (10),1vlstedes, vos ( 11) , metervos (12),sedes,
veredes, sabedes, ~, callare (13)
verdade (14) etc .
-
- 59 -
Ce sont ~s paysans et les mendiants ternellement
immuables qui s'en servent. Mais lorsque dans Siglo XIII la roman-
cire semble se moquer de son r~ve II go thique li elle se sert ironi-
quement cette fois de ses expressions archasantes chres aux
romantiques telles que : doguiera,
alpendre ou zanfona.(15)
,fenestra, moneda de vellon,
Ces exemples l'aide desquels~ nous venons
d'analyser le phnomne d'ambivalence que Dona Emilia appelle
son dualisme n'puisent pas toutes les formes de rupture de
ton que l'on peut relever dans ses rcits courts.
Regardons de prs un exemple de double tonalit trs
curieuse dans La gallega. L'auteur prsente dans la premire par-
tie du conte la description d'un type humain, la femme galicienne,
description b~tie la faon de l'ethnologue qui donnerait les
traits physiques de la race ("grande taille, les yeux pers ou
bleus, les cheveux ch~tains et abondants, le visage plein,
aux pommettes plates, les lvres paisses . Il (16)) le
mode de vie et les comportements ensuite, c'est--dire les moeurs
et le caractre, rsultant du contexte socio-conomique dans le-
quel elle vit. La pauvret de la rgion impose en effet aux
hommes l'migration longue ou saisonnire qui a une grave rper-
cussion dans la vie du couple. Le mari abandonne donc gnralemen"
-
- bU -
sa femme et ne revient ~u foyer que de temps ~ autre pour lui
faire un enfant. Sa vie solitaire oblige la galicienne ~ assumer
les plus dures besognes. C'est ~ elle que reviennent le travail
de la terre et le soin du btail ("ell e dfriche, sme, arrose,
fait la rcolte, bat le lin et le tisse . " (17) ). Il lui incom-
be galement d'lever les enfants et de s'occuper d'un grand-pre
souvent grognard et despotique.
Ce sont toutes ces raisons qui font de la galicienne
une femme endurcie par la besogne incessante et pnible. Sa misre
et son archasme sont illustrs par la description de l'intrieur
de sa maison o elle partage la seule pice d'habitation avec les
animaux domestiques, vaches porcs et poules, dont les excrments
recouvrent p~le-m~le le sol.
Mais aprs cet expos presque scientifique, nous
tombons, le rcit avanant, sur l'vocation du folklore paysan
dans le plus pur style "costumbrista" que n'aurait pas reni,
un crivain postromantique comme Fernan Caballero. En effet,
le costume populaire galicien, la danse traditionnelle et la
musique rgionale y sont dcrits avec un enthousiasme esthticiste
vident. Les jours de grande f~te voici la jeune galicienne
garnie de ses atours les plus brillants : ch~le jaune canari
ou rouge fonc, jupe vermillon sur jupon safran, chaussures de
-
- 61 -
cu ira t taches av ec un-~-galon bl eu, foul a rd bl anc avec pro fu sion
de ramages, lourd collier en filigrane d'or, longuesboucles
d'oreille et coquilles d'argent qui retiennent le petit mantelet
de soie verte Et cette masse de couleurs danse d'un pied lger
la "muneira ll au son mlancolique du biniou et sous la pluie d'or
et de rubis des fuses qui clatent dans le ciel d't.
Nous avons l, en somme, une image pare de tout
l'clat luxueux de la soie, du velours et des mtaux prcieux
qui est l'oppos de la sombre silhouette de l'esclave de la
terre bientet brise par les plus dures besognes que l'on nous
prsentait quelques paragraphes plus haut. D'ailleurs Dona Emilia
ne manquera pas, comme pour expliquer l'esthtisme idalisant de
ce deuxime volet, de regretter que toutes ces beauts du folklore
paysan qu'elle vient d'numrer soient en train de disparatre
tout jamais
IIV~tements, danses, moeurs, souvenirs qui, comme
un vieux tableau, estompent et effacent les annes, disparaissent
peu peu. 1l (18)
Comment analyser cette veine lIidaliste ll qui par-
court comme une stratification, discontinue mais constante, toute
la masse de l'oeuvre narrative de Dona Emilia?
-
- 62 -
-~
REMINISCENCES ROMANTIQUES OU SIGNES AVANT-[OUREURS DU
MODERNISME?
"L'idalisme" en question peut s'expliquer, s'il
appara!t dans des rcits anciens, comme un reliquat postromanti-
que; par contre lorsqu'il se prsente dans un conte de la der-
nire poque de la vie de Dona Emilia, il rejoint le courant
europen du dbut du sicle dont le cas limite fut en peinture
le pr-raphalisme.
En tant que reliquat romantique, il visait mettre
en valeur "les beauts potiques et morales" du christianisme
selon la rece~te de Chateaubriand. Nous l'avons dj dit le
"style cathdrale" fait irruption dans l'oeuvre de Dona Emilia
toutes les poques de sa production.
Mais il a plus. L'estampe postromantique brosse
a une priode ancienne peut curieusement annoncer la vignette -
enluminure chre aux crivains modernistes du dbut du XXemesi-
cl e.
Que l'on nous permette, pour tayer notre affir-
mation, une analyse comparative de deux textes du m~me thme que
nous rapportons en version originale
"4 .... niLa Borgonona de Dona Emilia, conte de 1885, et
-
- 63 -
~lor de Santidad de Don1
Ramon deI/
VallE'-Inclan, de 1904. Le
, -.J
premier a pour herone "La Borgonona", lE' sE'cond Adeqa, toutes
les deux voquE's comme des silhouettes fmininE's de vieille
lgE'ndE'. RE'gardons chez nos deux crivains galiciens quelques
points de similitude dans la dE'scription de ces protagonistes.
"La Borgon'ona"
sentada en un poyo ante
la puerta de la granja, hilan-
do su rueca.
Adega (Flor de Santidad
Sentada al abrigo de unas piedras
clticas, doradas por l{quenes
milenarios, hilaba una pastora ...
i-nn la rueca.
co po con mesura acompasada y
lenta ...
/el copo se abrIa y un
tenue hilo, que asemejaba/de oro, partla de la rueca
ligera al huso danzarfn.
Velando el-v
rebano, hilaba su
Con las manos cruzadas,
parecfa como en xtasis. (1C3)
/Suspirando cruzo las manos
sobre el candida seno como
para cobijarlo y rezar. (la)
Quant aux deux plerins qu'elles accueillent, les
deux crivains leur prte1lt des traits bien semblables:
-
- 64 -
"La Borgonona"
Un sayal gris, que era todo el
un puro remiendo, le r~figuarda
ba mal del frIo.
. Le condujo a una sala baja
donde habla extendida paja fres-
ca, y en seguida, volvindose a
la cocina, intenta cenar.
. , solo quedaba del misione-
rD la senal de su cuerpo en la
la paja donde habla dormido.
. por el estrecho sendero
abierto entre las vinas camina-
ba despacio hacia la granja.
traia la cabeza descubier-
ta, desnudos los pies y muy
matratados de los guijarros, y
apoyabase en un palo de espi-
no. (21)
Flor de Santidad
El sayal andrajoso del peregrino
encendla en su corazon la llama
de cristianos sentiITentos.
En el fondo del establo habla
una montana de heno, y Adega
condujo al mendicante de la
mano
habla desaparecido, y solo qUE
daba el santo hOYo de su cuerpo
en la montana de heno .
caminaba despacio y con
fatiga por aquel sendero entre
tojos.
Las espinas desgarraban sus
pies descalzos, y en cada
gota de sangre florecla un
liTio (22).
Une si troublante ressemblance nous porte penser
que, m~me dans le cas o Valle-Inclan - qui prenait son bien
l~ o il le trouvait - s'est inspir de "La Borgo~ona" pour
crire les premires pages de Flor de Santidad il fallait bien
que le conte, dj~ ancien de Dona Emilia eOt de quoi inspirer
un rcit moderniste. Le narrateur de "La Borgoiiona" prsente
l'histoire comme un r~ve "gothique" qui l'a pour ainsi dire
envoClt :
" depuis que j'ai lu la miraculeuse histoire
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que je vais raconter (l~tssant de c~t~ tout scrupule et non
sans introduire quelques modifications), je peux dire que j'ai
vcu en compagnie de l'hrone, et que ses aventures m'ont sembl~
comme une s~rie de vignettes de missel, bord~es d'or et de cou-
leurs et capricieusement enlumin~es, ou comme un vitrail de
cath~drale gothique, avec ses personnages v~tus de bleu-turquoise,
pourpre et jaune d'amarante." (23)
C'est le m~me prestige d'un pass~ id~alis~ par l'art
que Valle-Inclan exprime par le truchement du narrateur dans
FIor de Santidad lors de l'arrive du plerin prs du sanctuaire
o Adega garde son troupeau d'agneaux
"il paraissait ressusciter la pnitente dvotion du
temps ancien au moment o toute la Chrtient croyait voir dans
la vertu c~leste le Chemin de Saint-Jacques." (24)
Le m~me procd de recul dans le temps, une fois
pass au r~pertoire moderniste se transforme sous la plume du
grand pote en prose qu'est Valle-Inclan, en une qu~te savante
d'harmonie, de musicalit et de rythme laquelle aucune richesse
ne serait trangre, richesse des couleurs et des formes, ri-
chesse des matires somptueuses sensuellement ~voques.
Le narrateur de la Comtesse s'extasiait dj devant
un dcor de raffinement et de luxe :
"La Borgo~ona vici una cama suntuosa, sitiales ricos
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Dans se~~nnes de jeunesse Do~a Emilia avait lu
avec passion les grandes popes chrtiennes, de Dante Klops:tok
en passant par Milton. Ses Nochebuenas (Nochebuena en el Infierno
Nochebuena en el Purgatorio, Nochebuena en el Limbo) reprsentent
l'cho un peu tardif de ces lectures et sa contribution au thme
des ternelles demeures. Ecrites en 1891 - 1892, elles ouvrent
la voie la srie de contes religieux que Pardo Baz~n ne cessera
plus d'enrichir jusqu' la fin de sa vie.
Si l'on ne s'en tient qu'aux sujets qu'ils dvelop-
pent et que l'on ne les considre que globalement, on constate
que ces contes religieux, tardiPs, s'organisent en trois groupes
fondamentalement distincts.
Le premier est la reprise savante du message vang-
lique fait d'amour, d'humilit, de pauvret. Ainsi dans Jesusa,
une enfant malade veut mourir sur la paille en mmoire de la
naissance de Jsus, aprs avoir oblig ses parents donner la
plupart de leur fortune pour soulager les misres et les souf-
frances des pauvres.
La seconde catgorie est plus symbolique. L encore
Dona Emilia reprend le message biblique en y adaptant une leon
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- bD -
V una mesa preparadaBtln sus relucientes platos de estano ,
sus jarras de plata para el agua y el vino, su dorado pan, sus
bollos de especias y un pastel de aves y caza que ya tenta medio
alzada la cubierta tostadita. lI (25)
1Ce qui magnifi~ dans la prose de Valle-Inclan
donne la description suivante :
lIViv{an en capillas de plata cincelada, bordadas1de pedrerla como la corona de un rey." (26)
Bref, des motifs no-romantiques prsents dj
en 1885 dans l'oeuvre de Madame de Pardo Bazn rappara1tront
dix-neuf ans plus tard dans la prose la plus caractrise du
modernisme, celle de la premire priode Valle-Incln.
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- tJ'j -
de morale. Tel est le ~as de Jes~s en la Tierra o Jsus visite
la demeure des mortels. Il n'y rencontre que des vilenies, la
haine et la violence. Il voit aussi la religion des riches, la
crche de No~l, vrai bijou pour enfants milliardaires, le rveil-
lon de grand luxe, une vraie orgie paYenne plus raffine, qui
est aussi celle qocSDffrent les pillards qui ont dpouill et
achev les victimes d'un naufrage.
"C'tait donc pour cette race l~ qu'il tait n
dans une table et qu'il tai t mort sur une croix!" (28)
Dans le troisime groupe, on evoque les cueils
contre lesquels peuvent chavirer les ~mes de ceux qui aspirent
la perfection par la voie de l'ascse. Ainsi El pecado de
Yemsid, ce prince persan qui se laisse aller au pch de Satan,
~ l'orgueil. Son orgueil le perdra lorsqu'il voudra ~tre reconnu
comme un dieu par ses sujets.
Dans La penitencia de Dora, une belle pnitente qui
s'est voue toutes les mortifications de la chair risque de
se perdre lorsque le dmon la tente en rveillant dans son coeur
des sentiments qui restent toujours latents sous la bure et le
cilice: la nostalgie de l'amour conjugal et l'instinct maternel.
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Ce group~~e contes religieux comprend des rcits
de miracles comme Vidrio de colores publi en 1899 dans BLANCO
V NEGRO (nO 388) o l'on raconte celui d'un dominicain en mission
dans le Midi de la France dvoy par l'hrsie et par la corrup-
tion des moeurs.
D'autres rcits retracent les origines des conver-
sions survenues par l'irruption du surnaturel dans la vie d'un
homme solitaire. Ainsi La mascara le hros raconte sa propre
conversion ne d'un r~ve au cours duquel il a engag son dialo-
gue avec la mort.
Il faut toutefois remarquer que