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C1IAKM S ANIMÉ GII-IS INTRODUCTION À L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON ÉDITIONS TRADITIONNELLES 32, rue des Fossés-Saint-Bemard 75005 PARIS

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  • C1IAKM S ANIMÉ GII-IS

    INTRODUCTION À L’ ENSEIGNEMENT

    ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    ÉDITIONS TRADITIONNELLES32, rue des Fossés-Saint-Bemard

    75005 PARIS

  • INTRODUCTIONÀ L’ENSEIGNEMENT

    ET AU MYSTÈRE DE

    RENÉ GUENON

    Nouvelle édition augmentée d’une préface

  • DU MÊME AUTEUR

    Études- La Doctrine initiatique du Pèlerinage (Paris, 1982, 1994).- L'Esprit universel de l ’Iskun (Alger, 1989 ; Paris, 1998).

    Lo Spirito universale d e ll’Islam (Rimini, 1999).- Marie en Islam (Paris, 1990 ; Alger, 1990).- René Guénon et Vavènement du troisième Sceau (Paris,

    1991).- Les sept Étendards du Califat (Paris, 1993).- Etudes complémentaires sur le Califat (Paris, 1994).

    Traductions commentées- Poèmes métaphysiques de l’Émir Abd al-Qâdir (Paris, 1983,

    1996).- Les trente-six Attestations coraniques de l ’Unité commen

    tées par Ibn Arabî (Paris, 1994). Première édition sous le titre Le Coran et la fonction d ’Hermès (Paris, 1984).

    - Textes sur le jeûne d’ibn Arabî (Alger, 1990 ; Paris, 1996). The secrets o f the Fast (Paris, 1999).

    - La Prière du Jour du Vendredi d’ibn Arabî (Paris, 1994).- Le Livre des Chatons des Sagesses d’ibn Arabî (Paris, 1997-

    1998).

    Articles- Remarques complémentaires sur Om et le symbolisme polaire

    (Études Traditionnelles, n° 449).- La fonction d ’Abraham et l ’Occident : Abd al-Qâdir et René

    Guénon (la Règle d’Abraham, n° 1)- Ma al-Bannâ ? (la Règle d’Abraham, n° 1).- La Sainte Égide (Vers la Tradition, n° 69).- Le Maître de l ’Or (Vers la Tradition, n° 72, 73, 74, 75, 76,

    77, 78, 80, 82).- Respecter les convenances (Connaissance des Religions,

    n° hors série sur Frithjof Schuon). Compte rendu de ce numéro (Vers la Tradition, n° 79).

    - Une interprétation cosmologique des Fusûs (Connaissance des Religions, n° 60)

    - Bouddhisme et Christianisme dans l ’œuvre de René Guénon (Connaissance des Religions, n° 61 )

    - Les Voies dans l ’ésotérisme islamique (Vers la Tradition, n° 81 ).

  • Charles-André Gilis

    INTRODUCTION À L’ENSEIGNEMENT

    ET AU MYSTÈRE DE

    RENÉ GUÉNON

    ÉDITIONS TRADITIONNELLES32, rue des Fossés-Saint-Bernard

    75005 PARTS

  • Copyright. Tous droits réservés pour tous pays

  • PRÉFACE À LA DEUXIÈME ÉDITION

    La première édition de cet ouvrage a été publiée il y a une i/iiinzaine d ’années. Le terme «au jo u rd ’hui », lorsqu’il figure dans le texte, se rapporte à cette période, celle qui a suivi la parution des grands Cahiers marquant le centenaire de la naissance de René Guénon. A l ’époque, il s ’agissait pour nous de n ‘pondre à une tentative de désacralisa tion de sa fonction, nicnée par une coalition d ’auteurs déjà quelque peu oubliés : Robert Amadou, Jean-Pierre Laurant, M arie-F rance James. Notre ouvrage proposait une interprétation nouvelle de cette loi ici ion à la lumière des enseignements de Vésotérisme isla- mitpie auquel R ené Guénon a v a it é té ra ttach é de longue dote : qu ’il s ’agisse de son inspiration, de son initiation, de son investiture, de la génèse de son œuvre, des grandes étapes de sa< iit rière traditionnelle, de son passage à l ’Islam, de ses études• ni le Christianisme, c ’est toujours aux principes énoncés dans /< s doctrines du Tasawwuf que nous avions eu recours. Cette interprétation n ’a rien perdu de sa vérité et de son actualité et, à notre connaissance, aucune autre n ’a été proposée depuis. Seul le contexte et les circonstances ont changé, rendant nécessaire une présentation nouvelle. La plupart des mises au point que nous avons fa ites sur des points particuliers ont conservé leur intérêt, même si certains périodiques mis en cause, notamment lvVn;iissance Traditionnelle, ont cessé de paraître. Seuls quelques /•tissages concernant Pierre Collard ont été supprimés, car nul ne songe plus à nier l ’Islam de René Guénon.

    M. Jean Borella, l ’unique doctrinaire survivant, est devenu un cas. Les critiques que nous avions formulées à son encontre, tnyyes parfois trop abondantes, se sont révélées prémonitoires.

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    Son récent ouvrage Ésotérisme guénonien et Mystère chrétien est un monument d ’incompréhension qui n ’échappe, ni au ridicule, ni à l ’odieux : au ridicule, quand il oppose au soi-disant ésotérisme guénonien « la figure étonnante de Claudine Moine, celle que le Père Guennou, qui l ’a découverte, a surnommée la “Couturière m ystique” » (1 ); à l ’odieux, car la présentation caricaturale q u ’il donne de l ’enseignement de Guénon sur l ’initiation l ’amène à évoquer d ’une façon insidieuse, tantôt « un prométhéisme foncier qui nous paraît incompatible avec la spiritualité » (2), tantôt « l ’exaltation babélienne de la puissance humaine, la révolte contre Dieu, voire l ’utilisation luciférienne de la n a tu r e » (3). P lu s récem m en t encore, il é c r iv a i t : « Maintenant, une question demeure, la plus redoutable : si les thèses guénoniennes ne trouvent de confirmation que dans la science la plus antitraditionnelle, la plus bornée et la plus anti- spirituelle, q u ’en est-il de ces thèses elles-mêmes ? » (4) Ce travestissement subtil, qui tend à présenter René Guénon comme un auteur antitraditionnel et même luciférien, est, hélas, caractéristique d ’un Catholicisme aujourd’hui dangereusement vidé de toute présence initiatique ; il exprime la rancœur de philosophes et de clercs qui ne se sont jam ais remis de Thumiliation que l ’enseignement de René Guénon, par sa qualité souveraine, leur avait infligée ; il prolonge une vieille haine impuissante dont on décèle les traces dès l ’époque de Madame Denis-Boulet (5) : il nous souvient d ’avoir eu entre les mains le fac-sim ilé d ’une lettre que Guénon lui avait adressée, où il déclarait : « La réalisation métaphysique peut être regardée en quelque sorte comme une prise de possession des états supérieurs, c ’est-à-dire comme une “ascension” de l ’être récdisée dans ces é ta ts» ; et où une plume sacrilège avait tracé dans la marge les mots « Vade rétro Satanas » (Recule, Satan) ! Pour en fin ir avec cette contrefaçon du Catholicisme représentée de nos jours par M. Borella, nous pensons ne pouvoir mieux faire que citer cet extrait d ’une des

    (1) Cf. p. 374.(2) Cf. p. 356.(3) Cf. p. 358.(4) Cf. Vers la Tradition, n°78, p. 75.(5) Cf. infra, p. 69.

  • PRÉFACE A LA DEUXIÈME ÉDITION

    dernières lettres de cette merveilleuse série (6) : « C ’est toujours une chose extrêmement grave, quand on est en présence d ’une doctrine véritablem ent traditionnelle, que de vouloir la taxer d"'erreur” ou de s ’exprimer à son égard d ’une façon peu respectueuse. »

    Si nous nous sommes attardé un moment sur ce cas, c ’est aussi en raison de son caractère un peu désuet et anachronique. \pparemment, M. Borella est devenu presque seul de son espèce,

    car le changement le plus remarquable intervenu depuis la p remière édition de notre ouvrage est que chacun aujourd’hui se réclame, peu ou prou, de René Guénon. Alors qu ’à l ’époque il importait avant tout de souligner le caractère unique et incomparable de son enseignement, celui-ci n ’est plus guère contesté. La cause principale de cette nouveauté considérable nous paraît être le discrédit je té sur l ’œuvre de Frithjof Schuon, qui a longtemps fourni un alibi commode à ceux qui entendaient se prévaloir d ’une certaine fidé lité traditionnelle tout en rejetant les affirmations de René Guénon au sujet de l ’initiation chrétienne. In façade, tout le monde est à présent « p o u r» René Guénon ; plus personne, ou presque, n ’est ouvertement « co n tre» . Très significative, à cet égard, est l ’évolution des périodiques qui, suite à l ’affa iblissem ent, p u is à la suspension des Etudes Traditionnelles, ont surgi dans leur sillage : Vers la Tradition et< onnaissance des Religions. Le premier présentait à l ’origine une double devise ; l ’une : « Tout ce qui est traditionnel est notre » f a is a i t d irec tem en t référen ce à F r ith jo f Schuon ; l'autre: «F ace au monde moderne une seule révolution : la l llADITION » évoquait un certain style « évolien » typique des pi entiers numéros de la revue. Le second périodique avait été fondé par Léo Schaya précisément pour pouvoir accueillir en tonte liberté les écrits de Schuon et des représentants de ce q u ’il huit bien a p p e le r le schuonism e. Or, que constatons-nous aujourd'hui ? La double devise a disparu en tête de Vers la IVadilion dont la Direction voit désormais en René Guénon sa

    référence m ajeu re », F r ith jo f Schuon é ta n t ren ié san s vergogne ; quant à Connaissance des Religions, elle tente d ’opé- iei depuis quelque temps une véritable mue : son Catalogue

    IM Datée du 28 ju ille t 1921.

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  • IN I k( )| )( l( ’TK)N A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

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  • PRÉFACE A LA DEUXIÈME ÉDITION

    la quête « initiatique » et des autorités exotériques comme le Recteur de la Mosquée de Paris sont invités ès qualités. Mens il v a, à nos yeux, beaucoup plus grave. Lorsque, par référence à la notion de tradition primordiale, son Directeur appelle de ses vœux la mise en place d ’une « organisation » qui réaliserait ■■ une solidarité spirituelle entre les diverses form es traditionnelles » (7), il se fait, apparemment en toute bonne foi, le champion d ’une entreprise fallacieuse qui méconnaît, entre autres choses, la vocation eschatologique de l ’Islam. Il serait peut-être excessif d ’y voir une résurgence occidentale de ce que René< luénon appelle « la révolte des kshatriyas », mais il est en tous eus bien certain que l ’action dite « traditionnelle » n ’engage ici que l ’individualité de son auteur. Comment peut-on, dans ces conditions, considérer Guénon comme une référence majeure et déclarer que « Vers la Tradition n ’est au service que de la t radition » ?

    La déviation spécifique illu strée p a r Connaissance des Religions - dont le premier numéro date de Juin 1985 - n ’est pas du même ordre. Elle est contenue en germe dans le titre du premier ouvrage de Frithjof Schuon : De l’unité transcendante• 1rs religions. Il ne s ’agit pas d ’examiner s ’il valait mieux parler< le « form es traditionnelles » p lu tô t que de « religions » de manière à s ’en tenir aux notions définies par René Guénon, ou \/ l'expression «u n ité transcendante » convenait pour désigner l'aspect principiel dont ces form es dépendent, mais bien de souligner que le Principe était envisagé ici, non pas au degré métaphysique de l ’Essence et des Attributs, meus bien dans ses rapports avec les religions envisagées comme telles. C elles-ci purent ainsi une importance q u ’elles n ’avaient nullement dans I enseignement de René Guénon. La naissance de la revue marqua une étape supplémentaire dans ce processus d ’éloignement : •lesonnais ce n ’est plus le Principe dont il importe d ’acquérir la< onnaissance, mais uniquement les form es multiples et contingentes à travers lesquelles il se manifeste. À partir de là, la p résentation de la publication reflète un certain embarras. Comme la ■■ connaissance des religions » ne signifie finalem ent pas i;/ and chose, on la définit comme une sorte de fourre-tout :

    Sp iritu a lité , M étaph ysiqu e, C osm olog ie , A n th ropo log ie ,

    ( 7) (T. le n° 73, p. 21-22.

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    Symbolisme, Sciences et Arts traditionnels », tout y est... sauf l ’esprit de synthèse, irrémédiablement compromis pa r cette énum ération lim inaire. On ne le répétera ja m a is assez : René Guénon ne s ’est intéressé aux religions et aux form es traditionnelles que dans la mesure où celles-ci sont le support et le véhicule de la Doctrine immuable et universelle qui seule importe à ses yeux. Il les a considérées, au pis comme des déviations, aux mieux comme des langages et des vêtements divers. Ici encore, on s ’est éloigné, pour des motifs injustifiables du point de vue traditionnel, d ’une publication « exclusivement consacrée aux doctrines métaphysiques et initiatiques » pour lui substituer un ersatz.

    Le choix des deux revues dont nous venons d ’étudier l ’orientation peut paraître arbitraire ou limitatif ; il se justifie cependant, car, à la différence des autres, leur naissance ne peut être dissociée des troubles qui agitèrent les Etudes Traditionnelles après la disparition de Michel Vâlsan, suivie de notre propre départ en mai 1977 : à une époque où celles-ci paraissaient encore, la création de publications nouvelles perm ettait à ceux qui se sentaient mal à l ’aise dans une revue devenue la proie de factions doctrinaires rivales, ou qui en étaient exclus pour des motifs qui n ’avaient plus rien de commun avec son orientation proclamée, d ’utiliser des supports d ’expression plus conformes à leurs aspirations particulières. Toutefois cette explication ne tient compte que des apparences, car, si l ’on veut aller au fond des choses, on s ’aperçoit que la situation ainsi créée n ’avait rien de fortuit et comportait un symbolisme révélateur de fonctions initiatiques dépassant de loin les individualités concernées. Ce que nous avons ici en vue ne relève rien moins que d ’un degré où l ’ésotérisme islamique situe ce qu ’il appelle les « disputes du Plérôm e Suprême » (8). Il y avait en effet une relation trop étroite entre la fonction de René Guénon et l ’organe d ’expression privilégié offert par les Etudes pour que l ’on ait pu s ’écarter de celles-ci sans qu ’interviennent des réalités d ’ordre supérieur. En l ’occurrence, la doctrine q u ’il convient d ’évoquer est celle du « Maître des trois mondes » que René Guénon a magistralement

    (8) Cf. Cor., 3 ,4 4 : « T u n ’étais pas auprès d ’eux lo rsqu’ils jetèren t leurs calam es pour savoir lequel d 'en tre eux prendrait en charge M arie ; et tu n ’étais pas avec eux lorsqu’ils se disputèrent ».

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  • PRÉFACE A LA DEUXIÈME ÉDITION

    exposée au chapitre IV du Roi du Monde. Il y mentionnait une fonction suprême à laquelle « appartient la plénitude des deux pouvoirs sacerdotal et royal, envisagés principiellement et en (fuelque sorte à l ’état indifférencié », ces deux pouvoirs étant ensuite distingués l ’un de l ’autre « pour se manifester ». Comme tout symbolisme, celui-ci comporte des applications multiples. Dans le cas présent, il apparaît que l ’aspect sacerdotal correspond plutôt à Connaissance des Religions, revue placée sous la guidance des « lumières angéliques » (9), et l ’aspect royal complémentaire à Vers la Tradition, revue d ’« action traditionnelle » qui est devenue, tout naturellement, l ’organe d ’expression d ’un certain nombre de guénoniens rattachés à la Franc-Maçonnerie f 10). Il n ’y aurait en tout cela rien que de très légitime, si ces aspects n ’avaient été envisagés au départ dans un sens particula- i iste dont elles n 'ont jam ais pu se dégager par la suite, en dépit de leurs efforts pour rassembler le plus de collaborations p o ssibles et tenter d ’effacer la faute originelle qui avcdt marqué leur naissance. Cette double manifestation tendancieuse contribua à mettre en relief le rôle axial dévolu aux Études Traditionnelles chaque fo is q u ’elles furent dirigées par des êtres conscients de ce i/ue représente la fonction initiatique suprême et de son lien avec lu Doctrine dont René Guénon demeure l ’incomparable interprète. Eux seuls avaient la possibilité de rassembler et d ’unir lions une diversité ordonnée et harmonieuse les applications multiples que l ’on pouvait légitimement tirer de son enseignement. Dons ces conditions, Vaffaiblissement, puis la disparition des I .Indes ont revêtu une signification exemplaire. Il ne nous paraît pas exagéré, ni hors de propos, de rappeler ici ce que René Guénon indiquait dans le dernier chapitre D’Autorité spirituelle n pouvoir temporel, à savoir q u ’au moyen âge, l ’Empereur i(présentait le pouvoir royal et le Pape l ’autorité sacerdotale, lundis que la fonction suprême, qui comprend en principe lesileux autres, n ’y « a va it pas de représentation visib le» . Ceci u ‘est pas étranger au fa it que, toujours selon Guénon, « si l'Occident revenait à un état normal et possédait une organisa

    it) ( T. le num éro 60, p. V.110) Un certain nom bre d ’autres ont rejoint La Règle d ’Abraham , revue de conception étroite et de statut subalterne en tant qu ’elle est l’organe d ’une '.tu irté qui se borne à 1’ « É tude des Religions du L ivre ».

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  • i i I !•( H>1X 11()N A I,’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    lion sociale régulière, on y trouverait beaucoup de Kshatriyas et peu de Brahmanes » et que, d ’autre part, « la religion, entendue dans son sens le plus strict, est une chose proprement occidentale » (11). Comment ne pas voir que la première de ces deux remarques s ’applique de manière plus directe à Vers la Tradition et la seconde à Connaissance des Religions. Comment ne pas voir surtout que la suspension des Études Traditionnelles fut le résultat d ’une réaction typiquement occidentale à l ’égard de ce qu ’elles représentaient ainsi que le triomphe d ’un esprit factieux prolongeant celui qui, au moyen âge, avait empêché l ’instauration d ’une société pleinement traditionnelle en Occident. A partir de là, l'axialité principielle de la Doctrine transmise et rappelée par René Guénon apparaissait à nouveau avec le caractère purement oriental qui avait été le sien à l ’origine. Ainsi que nous l ’écrivions dans notre ouvrage: «Seuls les “guénoniens” véritables, ceux qui, selon l ’expression de Michel Vâlsan, ont témoigné d ’une fidélité parfaite de tous les côtés à l ’enseignement de leur grand prédécesseur, ont repris et développé cet aspect de sa doctrine, guidés et encouragés en cela p a r les données très riches que leur proposait la tradition orientale à laquelle tous, semble-t-il, ils appartenaient » (12). L ’aspect doctrinal dont il s ’agit est celui qui se rapporte au « C en tre» ou « Plérôme » suprême, tandis que la « tradition orientale » n ’est autre quel ’ Islam.

    A ce point de vue, à la fo is « critique » et décisif quelle est la situation de l ’Occident un demi-siècle après la mort de René Guénon ? Du côté maçonnique, on met en avant une « initiation virtuelle » ainsi que la notion cl’ « Arche vivante des symboles » qui sont, l ’une et l ’autre, incontestables. Toutefois, on voit mal comment une organisation qui, dans le meilleur des cas, ne peut proposer qu 'une réalisation des « Petits Mystères » et la restauration d ’un Saint Empire, pourrait servir de support formel à une synthèse doctrinale universelle qui, de toute évidence, est hors de la portée des moyens dont elle dispose. Au sein du Christianisme, qui donc se soucie aujourd’hui de l ’enseignement de René Guénon ? Du côté romain, l ’ésotérisme est nié et rejeté en bloc. Du côté de l ’Orthodoxie, on chercherait en vain un

    (11) Cf. chap. IV.(12) Cf. infra, la fin du chapitre II.

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  • PRÉFACE A LA DEUXIÈME ÉDITION

    auteur acceptant ses indications relatives à l ’initiation chrétienne. Par ailleurs, les mises au point de Michel Vâlsan sont systématiquement ignorées, ainsi que notre propre contribution à l'étude des «orig ines de la religion chrétienne » (13), qui nous paraît pourtant de nature à confirmer définitivement ce qu'a dit René Guénon. Nous savons mieux que personne que les données dont nous avons fa it état sont élémentaires ; q u ’elles devraient et pourraient aisém ent être com plétées ; mais nous ne sommes guère encouragé à le faire par les pieuses surdités auxquelles, t/uoi que l ’on puisse dire ou écrire, on se heurte toujours inévitablement. On notera, pour ce qui concerne l'Orthodoxie, que son rejet de l ’autorité romaine la conduit à une méconnaissance de certa in s, s y m b o le s du C en tre S u prêm e qui, d a n s le ( hristianisme, ont toujours été exclusivement attachés à la fon ction papale : le Palladium, la tiare, le Souverain pontificat. (14). Ou'il soit bien clair q u ’en rappelant tout ceci nous n ’entendons nullement empêcher qui que ce soit de croire et de pratiquer ce i/u'il veut, ou de suivre la voie spirituelle qui lui convient, ni contraindre directement ou indirectement quiconque à embrasser l'Islam : là ikrâha lï-d-dîn (il n ’y a pas de contrainte en matière Je religion). Simplement, nous pensons q u ’on ne peut pas à la lois prétendre œuvrer à un redressement occidental dans le sens voulu par René Guénon et faire f i des fondements doctrinaux sur lesquels son œuvre est bâtie : lui seul a fixé le but et les moyens pour y parvenir ; et ceux-ci ne sont pas « religieux » au sens courant et purement exotérique du terme (15).

    Si, dans nos études et nos ouvrages, nous n ’avons reconnu de pleine autorité traditionnelle q u ’à nos trois maîtres : René Guénon, M ichel Vâlsan et Ibn Arabî, c ’est avant tout parce i/ii 'ils confèrent un enseignement sans égal sur les Hiérarchies sacrées qui ont en charge le gouvernement caché des affaires du monde : le Cheikh al-Akbar, par les révélations qu'il donne, au chapitre 73 des Futûhât, sur la fonction polaire dans l ’ésoté- lisme islamique ; le Cheikh Abd al-Wâhid (René Guénon) par

    ( I ) C T. infra, le chapitre XI.( I l ) La négation de ce Centre a notam m ent pour effet de rendre irrém é- iliiihlc la division du Christianism e entre Rom e et les Églises d ’Oricnt.( I.S) Cf. supra, p. 12.

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    son exposé magistral de la doctrine du Roi du Monde ; enfin le Cheikh Mustafa Abd-al-Azîz (M ichel Vâlsan), p a r ses précisions sur le rôle de l ’Assemblée des Saints (Dîwân al-Awliyâ) et du Plérôme Suprême (al-Mala’u al-A’lâ) ( 16). Toutes ces notions culminent dans celle du Califat muhammadien qui les résume et, initiatiquement, les synthétise : telle est, en définitive, la source principielle unique dont l ’œuvre de René Guénon tire toute sa légitimité doctrinale. Il ne suffit donc pas de parler à son sujet d ’une simple « référence », même qualifiée de majeure et considérée comme plus importante que les autres. Ce q u ’il convient d ’affirmer ici, c ’est l ’actualisation d ’une autorité universelle s ’imposant à tous pa r la force de la Vérité, au même titre que la Loi sacrée qui en est le support formel. Dans cette perspective, les écrits de Michel Vâlsan sont revêtus d ’une autorité comparable, car ils procèdent d'un même Dépôt prim ordial de Science et de Louange divines : ils ont ainsi à la fo is la vocation et la capacité de montrer le complémentarisme fonctionnel de l'enseignement guénonien et de la révélation muhammadienne, de la Doctrine immuable et de la Méthode providentielle qui, traditionnellement, lui correspond. Du reste, cette autorité est inhérente, non pas aux œuvres de ces deux maîtres, mais bien à l ’enseignem ent transcendant dont ils sont les interprètes. C ’est pourquoi, à l ’exemple du Prophète de l ’Islam, René Guénon s ’est toujours présenté comme un simple serviteur de la Vérité révélée dès l ’origine ; il n ’a jam ais prétendu inventer ou instaurer une Voie nouvelle, et sûrement pas, comme le suggérait naguère M. Jean-Pierre Laurant (17), e t peu t-ê tre d ’autres au jou rd’hui, une organisation prétendum ent fon dée sur son enseignement, qui s ’ajouterait ou se superposerait aux form es et aux institutions providentielles déjà existantes. Pour qui a bien compris ce point fondamental, l ’Islam ne peut plus apparaître sim plem ent comme une religion parm i les autres. La form e muhammadienne jouit, de Droit divin, d ’un statut privilégié qui la distingue de toute autre en vue de l ’accomplissement d ’une fonction eschatologique universellement attestée et qui, comme tout ce qui relève directement des Grands Mystères, est préser-

    (16) Cf. ses textes sur l’investiture du C heikh al-A kbar au C entre Suprêm e, sur les Hauts G rades de l’É cossism e et sur Jeanne d ’Arc.(17) Cf. infra, p. 122.

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  • PRÉFACE A LA DEUXIÈME ÉDITION

    vée par son origine des dérives spéculatives des modernes. Il ne v 'agit donc pas, en d ép it de ce que ceux-ci veu len t fa ire accroire, de donner une valeur absolue à ce qui relève d ’un ordre contingent et relatif; ou, encore moins, de favoriser arbi- irairement une form e déterminée sous l ’impulsion d ’un prétendu■ zèle du néophyte » ; mais bien de reconnaître une réalité traditionnelle qui, en principe comme en droit, s ’impose aujourd’huiii tous. La proclamation publique, pour la première fo is dans l'histoire, d ’une doctrine de la Vérité universelle devait nécessairement prendre appui sur une form e sacrée universelle. Or,< clle-ci est déjà présente, de sorte que le plan divin apparaît, sans plus de contradiction ; plus aucune concurrence ou rivalité ne subsiste entre les form es diverses. La révélation islamique est iiilêquate au genre humain tout entier car son prophète législateur a été envoyé à l ’ensemble des hommes, alors que les prophètes antérieurs n ’ont jam ais eu en charge que des peuples particuliers. Quant au Bouddhisme et au Christianisme, leur statut d'exception est lié, comme nous l ’avons montré., à. l ’idée d ’un

    dépassement de la Loi » (18), de sorte q u ’ils ne peuvent, par leur constitution même, s ’opposer en rien à la souveraineté uni- r

  • i I KM >1 )l ( ' I l< )N A IENSEIGNEM ENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    veri table et / ’ aboutissement secret de l ’œuvre de René Guénon, t/ui apportait en retour les clés de l ’eschatologie akbarienne. Les défenseurs occidentaux de cette œuvre, constamment tentés de voir dans ce que nous affirmons une dérive particulariste ou exclusiviste, feraient bien de réfléchir à ceci : les pires adversaires de renseignement de Michel Vâlsan, les plus réticents à reconnaître son autorité, sont aujourd’hui des musulmans qui, pour des raisons inverses de celles que nous avons exposées, refusent d ’intégrer à leur vision de l ’Islam, voire même à leur vision de Vésotérisme islamique, la doctrine du Centre Suprême. Alors que les Occidentaux ne peuvent admettre la proclamation d ’une form e unique abrogeant toutes les autres, c ’est l ’idée d ’une autorité universelle indépendante de la forme islamique au sens strict, aussi bien dans sa Loi commune que dans ses Voies spirituelles, que ces musulmans rejettent en aveugles, sans voir que seule cette fonction suprême peut justifier la vocation eschcitologique de la tradition dont ils se réclament ; et qu ’elle est seule aussi à détenir le Dépôt de la Science sacrée totale et totalisatrice que le Tasawwuf appelle « la Science des premiers et des derniers » ; celle que les Réalisés muhammadiens ont reçu en héritage, celle dont René Guénon fut l ’inégalable interprète. De ce côté, le désir de promouvoir l ’Islam ou de montrer l ’excellence de la révélation muhammadienne peut conduire aux pires déconvenues lorsque cette science est rejetée, que ce soit pa r ignorance, par incompréhension pure et simple, ou par sectarisme. Ici encore, une présentation traditionnelle de l ’ésotérisme islamique implique un recours à l ’autorité de M ichel Vâlsan, seul à même de préserver de l ’illusion et de l ’erreur. Une des déformations les plus courantes est aujourd’hui de parler à tout propos de « mysticisme islamique », en dépit des mises en garde répétées de René Guénon sur ce sujet : c 'est là un moyen fo r t peu honnête, mais malheureusement très efficace, d ’occulter la nature véritable du Tasawwuf. Très répandu dans les milieux universitaires, il montre une fois de plus la collusion entre l ’islamologie officielle et la subversion du monde moderne.

    Une autre déviation caractéristique est celle de « maîtres spirituels » qui écartent toute référence à la Doctrine suprême au nom des prérogatives attachées à leur fonction de guidance. Ce rejet reflète le plus souvent une limitation de leur propre

    18

  • PRÉFACE A LA DEUXIÈME ÉDITION

    degré et trahit aussi une méconnaissance de leur subordination a une hiérarchie plus centrale, d ’une autre nature que la leur. Le discrédit actuellement je té sur l ’œuvre de Frithjof Schuon pourrait être médité avec profit p a r ceux qui seraient tentés de le suivre dans cette voie. Citons deux cas qui nous paraissent exemplaires. Le prem ier est celui d ’Abd al-Wâhid Pallavicini qui n'n pas hésité à faire publiquement état, dans ses écrits, de sa qualité de Cheikh, ce que même Schuon a eu la sagesse de ne iiunais faire. M. Pallavicini se réfère à l ’enseignement de René i iuénon jusqu 'à un certain point, meus jam ais à celui de Michel \'disan, se privant ainsi de toute possibilité de synthèse avec la

    1 1< >cl ri ne akbarienne. Sa position rejoint en fa it, selon une variante islamique, celle des deux revues que nous avons mentionnées plus haut et apparaît par là comme typiquement « occidentale ». Ceci explique son succès auprès de ceux qui, à des titres divers, se préoccupent de la fam euse « intégration en I urope de la communauté musulmane ». Le second cas, inverse ilu précédent, illustre à quelles extrém ités on en est arrivé aujourd'hui. Il s 'ag it d ’une musulmane dont nous tairons le iii'iii, qui entend prolonger une élite d ’origine arabe : elle rejette d o n c en bloc toute référence à René Guénon et à Michel Vâlsan,• ilhuit ju squ ’à interdire la lecture de leurs œuvres à ceux de ses disciples qui sont entrés en Islam grâce à e lles! Dans un cas< on une dans l ’autre, ces maîtres s ’efforcent de discréditer ceux •/ni dem eurent a ttach és aux enseignem ents de la D octrine suprême en les traitant d ’« intellectuels », suggérant ainsi, par malveillance ou p a r ignorance de la situation réelle, l ’existence d une incompatibilité entre leur fidélité traditionnelle et toute ta me de réalisation métaphysique, et fixant par là même les limites de leur propre légitimité.

    Tel est donc, pour nous, l ’état actuel de l ’œuvre guéno- nienne. Son excellence doctrinale n ’est plus guère contestée, mais elle fa it l ’objet à présent d ’une hostilité plus subtile, moins• n sèment décelable, et partant plus dangereuse : il convient de la ilelmsquer chaque fo is que cela demeure possible. Nous termine- loiis ces rem arques en rappelant trois paro les tirées de la ‘>wi:csse christique, la mieux connue en Occident et la plus poul ie de l ’enseignement eschatologique de l ’Islam. Comme nous l'avons dit, la doctrine unique exposée par René Guénon,

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    Michel Vâlsan et Ihn A rabî est celle du Verbe universel résidant au Cœur du Monde, dont ces trois maîtres, chacun selon sa fonction et sa modalité initiatique propre, sont les représentants. Au Cheikh Mustafa Abd al-Azîz revient plus particulièrement la parole christique : « La pierre que ceux qui bâtissaient avaient rejetée est devenue la tête de l ’angle » ; à ceux qui acceptent pour une part l ’enseignement du Cheikh Yahyâ A bd al-W âhid et qui le rejettent pour une autre s ’applique p lu tô t la parole : « Parce que tu n ’as été ni chaud ni froid, Je te vomirai de ma bouche » ; enfin , c ’est aux disciples du Cheikh al-Akbar, le « Soufre Rouge » détenteur de la doctrine du Califat muhamma- dien, que les Gens du « goût initiatique » peuvent à bon droit rapporter la parole : « Si le Sel s ’affadit, avec quoi le salera-t- on ? »

    C.-A. G.

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  • CHAPITRE PREMIER

    I /ENSEIGNEMENT ET LA FONCTION

    L’enseignement de René Guénon est l ’expression particulière, révclce à l’Occident contemporain, d’une doctrine métaphysique et initiatique qui est celle de la Vérité unique et univer-< Ile. 11 est inséparable d ’une fonction sacrée, d ’origine upra-individuelle, que Michel Vâlsan a définie comme un « rap-

    l»« l suprême» des vérités détenues, de nos jours encore, par l'Orient immuable, et comme une «convocation» ultime com- piniant, pour le monde occidental, un avertissement et une pro- mrsse ainsi que l’annonce de son «jugement ».

    Si simple et évidente qu’elle soit, cette façon de comprendre IHnvre guénonienne est généralement méconnue ou négligée il.ms les présentations qui en sont données. Ces dernières années ni tout, elles se sont distinguées par leur nombre plus que par

    I' ni qualité, chacun s’autorisant de son propre chef à en disser- i

  • IN TRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    tionnel auquel Guénon se réfère est assimilé dans les faits à une pensée profane et traité de même : une multitude de détails sont critiqués de manière à mettre en cause sa science et à réduire l’autorité de ses jugements.

    Il y a plus grave encore. Dès 1973, M. Robert Amadou posait la question « pour ou contre Guénon ? » avec l ’intention proclamée de montrer que « le guénonisme n’égale pas la tradition », ce qui n’est qu’un truisme et permet de passer habilement à côté du point essentiel, à savoir le lien indissoluble qui unit l’enseignement de Guénon à la fonction centrale qu’il représente pour l ’Occident. Une telle interrogation renferme en réalité un piège dans lequel sont tombés ceux qui s’imaginent qu’il suffit de se placer dans le camp des « défenseurs » de son œuvre pour pouvoir aborder le domaine des vérités essentielles dont elle est le véhicule. Il convient de préciser, hélas, qu’aujourd’hui il ne subsiste le plus souvent aucun rapport entre la qualité de « guénonien » et le respect véritable de la Tradition et de ses exigences. Pourtant, il n’est d’autre critère ici que celui de la fidélité scrupuleuse et totale à la Doctrine qui, de par son essence, n’a rien de commun avec l ’esprit de système ou un sectarisme quelconque. De là, s ’il est opportun de rappeler que le « guénonisme n’égale pas la tradition », il nous faut ajouter aussitôt, afin d ’éviter toute m éprise, que la question « pour ou contre Guénon ? » est le type même du dilemme antitraditionnel et subversif puisqu’il ne laisse de choix véritable qu’entre l ’hostilité et la caricature.

    L’enseignement transmis par René Guénon exige avant tout d’être reconnu et suivi : il s ’impose à nous par la force de la Vérité. Ceux qui le refusent se disqualifient par là-même : comment pourraient-ils prétendre encore œuvrer de façon efficace et durable dans la voie qu’il a tracée en vue du redressement traditionnel du monde occidental ? C ’est Guénon qui a posé les principes et déterminé les critères, en sorte que ceux qui vinrent après lui se placèrent forcément dans la perspective des applications contingentes et des conséquences que l’on pouvait tirer de ses écrits ; de fait, ses successeurs durent se situer et se déterminer par rapport à ce qu’il représentait, alors que lui-même, durant tout le temps de sa carrière terrestre, ne se détermina jamais vraiment que par référence à la Tradition.

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  • L’ENSEIGNEMENT e t l a f o n c t io n

    La volonté de minimiser et de réduire l ’autorité de Guénon, le droit proclamé hautement - ou réclamé tout bas par ceux qui lirsilent à pousser l ’inconvenance jusqu’à l’insolence - de « gué- noniser un tem ps, vo ire de tem ps en tem ps, sans être j'iicnonien », l ’assimilation toute superficielle établie entre son n livre et celle d’autres auteurs ou « penseurs » d’origine occiden- u k \ reposent en définitive sur un malentendu. On ne peut comparer que ce qui est comparable: l’enseignement de Guénon ne

    n irait être compris et « situé » valablement, d’un point de vueii.ulilionnel, que par analogie avec d’autres qui sont du même nuire, celui de Dante par exemple. Sa fonction relève en effet• I un domaine que l’ésotérisme islamique désigne au moyen duii une Tàsarruf. Il s ’agit, comme l’a indiqué Michel Vâlsan, du■ j'.ouvernement ésotérique des affaires du m onde», ce qui n’a

    m u de commun avec le fait de guider des disciples sur la voie de lii réalisation métaphysique, mais implique en revanche une auto- nic indiscutable, aussi bien dans l’ordre de la pure doctrine que 1 l,ins celui de la détermination des normes et des critères destinés i susciter, à inspirer et à légitimer l ’action. Si. les fonctions de

    r.uidance» et de «gouvernem ent» peuvent coïncider chez un Hi. inc être, il importe néanmoins de les distinguer avec le plush .nul soin et de préciser qu’une investiture ou une compétence diablement exercée dans un des deux domaines ne comporte

    un (moment par elle-même la possibilité et le droit d’intervenir i mis l’autre.

    I a doctrine métaphysique et la norme traditionnelle n’ont i n 1rs pas commencé avec Guénon qui a eu la charge de les..... . et de les représenter face à la déviation et à la subver-i"ii du monde moderne. Au sein de ce dernier, son œuvre appa-

    i mi comme exceptionnelle et irremplaçable, tant par sa portée •iu. par son envergure. Il est aberrant de vouloir en diminuer i i IIci et l’influence alors qu’on est incapable, en fait aussi bien >|ii ni droit, de lui en substituer l’équivalent. Il importe de le■ i|'|>rliT avec toute la netteté nécessaire : l’Occident ne retrou- 'i.i sa vocation et son orientation traditionnelles que dans le

    !• l'iri de la fonction de René Guénon et par une fidélité sans i nlli a son enseignement.

    Son autorité dans le domaine du Tasarruf est indémontrable i' pu sa source même ; elle demeure intrinsèque à ses jugements

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    dont la vérité s’imposera seulement lorsque le cours des choses l’aura, d’une façon ou d’une autre, vérifiée et rendue explicite. Si l’on objecte que c ’est là une pétition de principe, nous répondrons qu’il en va de même pour tout ce qui est d’origine traditionnelle et non-humaine, et qui échappe de ce fait au contrôle de la raison et de la conscience individuelle. L’expression « pétition de principe » signifie d’ailleurs ici qu’il s’agit effectivement de recourir à l’autorité principielle pour accéder à une vérité que l ’intellect créé et conditionné est incapable d ’atteindre par ses propres forces. Néanmoins, la fonction majeure que Guénon représente pour le monde occidental comporte dans ses interventions un aspect de lumière et de miséricorde, une évidence que le regard intérieur perçoit de telle sorte que le cœur s ’apaise. Toute révélation - et son œuvre en fut une - s ’accom pagne d ’indications et de «p reu ves» que l ’intelligence saisit sans peine lorsqu’elle est orientée par une intention droite.

    On remarque tout d’abord que la « convocation » du monde occidental est formulée dans ses livres de manière explicite, et que les voies tracées en vue de son redressement traditionnel y sont détaillées avec une précision et une clarté extrêmes. En cette matière plus qu’en toute autre, rien de ce que Guénon a déclaré n’a été laissé au hasard. Son œuvre constitue en outre une véritable somme doctrinale qui intègre et rend intelligible pour un public non préparé à les comprendre tout « l’ensemble des formes et des idées traditionnelles ». C’est bien là, comme l ’écrivait Michel Vâlsan, « le miracle intellectuel le plus éblouissant produit devant la conscience moderne ». Miracle d’expression, car en ce domaine la maîtrise de Guénon est vraiment prodigieuse : il a forgé, avec un art suprême et une souveraine aisance, les concepts permettant aux Occidentaux de partir de ce qu’ils connaissaient pour les conduire à saisir ce qu’ils ignoraient tout à fait ou avaient oublié depuis longtemps. Miracle aussi d’ouverture, car les significations métaphysiques élevées, dont ces concepts devenaient ainsi les porteurs, étaient appliquées en vue d’une interprétation illuminatrice des symboles de tous ordres relevant de la Science sacrée. Dès lors son travail prenait, sur le plan formel cette fois, une signification universelle dans la mesure où il offrait une méthode pouvant amener à une compréhension en profondeur, aussi totale que possible, des dif-

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  • L’ENSEIGNEMENT ET LA FONCTION

    liTcntes Révélations qui, dès l ’origine du cycle humain, furent les véhicules et les supports de la Doctrine immuable ; et cela au moment où l’envahissement du monde occidental moderne les I.usait pour la première fois coexister, d’une manière le plus souvent chaotique, dans la conscience de nos contemporains. Ici encore, l’apport de son œuvre est unique car les auteurs qui, en< évident, se placèrent à un autre point de vue que le sien furent leiluits par là même à n’envisager que des aspects plus particuliers : seule l ’adéquation apparemment meilleure de ces aspects à l'é lu d e de trad ition s qui, com m e le B ou d d h ism e et le< ïuïstianisme, occupent, nous le verrons, une place tout à fait péeiale au sein de l ’univers traditionnel, pouvait donner l’illu- 1011 qu’on avait, en quelque sorte, « corrigé » ce qui, chez

    «iiirnon, sem blait à tort unilatéral et incom plet. Bien au< nutraire, c ’est le caractère universel et totalisateur de son enseignement qui explique que celui-ci puisse fournir les clés permet- iiiul aux Occidentaux de pénétrer à l ’intérieur de toute doctrine meiaphysique quelle qu’elle soit, par la compréhension de ses i pecis fondamentaux, et d’interpréter selon leurs significations \ < niables les symboles présents dans les diverses formes traditionnelles. Très rares cependant sont ceux qui ont pu mesurer par• n \ mêmes ce qu’une telle possibilité renferme, prenant ainsi ' niiscience d’une manière directe de la richesse et de l ’envergure n el les de la somme guénonienne : on ne s ’étonnera pas qu’à leurs yeux les restrictions plus ou moins intéressées que l ’on■ lirrehe encore de divers côtés à lui assigner paraissent, par■ "iuparaison, bien vaines et de peu de poids.

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  • CHAPITRE II

    LA QUESTION DU ROI DU MONDE

    Dans la perspective d’ouverture et d’universalité que nous• iv o n s évoquée, l’œuvre de René Guénon apparaît comme unique■ 11< o ie à un autre titre. En effet, les conditions très particulières, « i même exceptionnelles, qui sont celles de la phase actuelle du■ m le humain, rendaient possible l ’exposé public de certaines

    i niés que des raisons d’opportunité avaient commandé jusqu’àhih* époque récente de tenir cachées. Nous pensons ici avant tout i l.i doctrine du Roi du Monde, qui peut être considérée comme mi apport spécifique de l’enseignement guénonien. Même dans11 Iradition islamique, où les allusions relatives à la fonction nprême du Centre du Monde sont pourtant particulièrement

    nombreuses et claires, on n’en trouve jamais la mention expli- i llr. On remarque aussi, à partir de la seconde moitié du XIXe are le, époque qui précéda directement celle de Guénon, une ni le d’hésitation, fort curieuse à noter, portant sur l ’opportunité

    • I autoriser le dévoilement de données relatives à cette question■ li lors que, du fait des conditions cycliques nouvelles, il devenait possible : c ’est Saint-Yves d ’Alveydre détruisant les exem- pl.lires de la Mission de l ’Inde, parce que, selon Barlet, il fut

    averti de source certaine» que la publication de ce livre pou- ail être « inopportune » ; c’est Argos qui, se livrant à une expé-

    n. iiee de psychométrie, obtient une vision dont il interprète le n Millat en fonction des précisions «trop grandes» que Guénon alliaient fournies dans son ouvrage sur le Roi du Monde ; c ’est■ niin et ceci est moins connu - l ’émir Abd al-Qâdir l’Algérien

    ippiétant, sur un point qui touche de très près à la question du 1 ' nlre Suprême, à écrire « une chose à laquelle, à ma connais

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    sance, personne n’a eu accès avant moi », et recevant l’Ordre divin exprès de garder le silence (1). Cet incident est d’autant plus significatif que la fonction de l ’émir vis-à-vis du monde occidental annonce justement de manière immédiate celle de Guénon.

    La publication du Roi du Monde revêt donc, dans l’œuvre de ce dernier, une importance exceptionnelle qui concerne cette fois non plus le seul Occident mais tout l’ensemble de l ’univers traditionnel. Il s’agit d’un véritable « signe des temps », de nature providentielle et miséricordieuse, ainsi que d’une preuve manifeste au sujet de la fonction de Guénon. Ses adversaires - et ceux qui refusent le plus souvent de se déclarer tels - ne s’y sont pas trompés en soulignant tout ce qui pouvait contribuer à discréditer l ’existence, voire l ’idée, d ’une Hiérarchie Suprême essentiellement indépendante des révélations et des formes traditionnelles, dont elle est par ailleurs l ’unique source. Certains, que leur participation active aux journées de mai 1968 et leur refus de la « dictature des maîtres » qualifient, paraît-il, spécialement pour s ’exprimer au sujet de Guénon, ont été jusqu’à déclarer sans pudeur qu’on ne pouvait qu’« éclater de rire à la lecture de son Roi du Monde, de ce délire sur le Centre Caché » (2). A vrai dire, ce genre d’hilarité est de ceux qui nous donneraient plutôt froid dans le dos. Quant au « délire », il implique, si nous comprenons bien, que l ’existence de ce Centre devrait être considérée comme une invention pure et simple, surgie de l’imagination d’une sorte de malade, ce qui, au-delà de l ’inconvenance inouïe à l ’égard de Guénon, fait bon marché des symboles précis et concordants qui se rapportent à la Hiérarchie Suprême au sein des différentes traditions. Sans doute notre rieur consi- dère-t-il, du haut de son magistère journalistique, que ces symboles ne sont eux-m êm es rien d ’autre que le produit d’un « délire collectif des peuples » ?

    On remarque en tous cas que le terme dont il use constitue une inversion caractérisée, peu faite pour nous rassurer (3), de la

    (1) Cf. Le Livre des Haltes, M a w q if 86.(2) Cf. le D ossier H sur René G uénon, p. 219.(3) L’usage du term e « délire » et le recours à la dérision contre la doctrine du Centre Suprêm e trahissent im m anquablem ent la « sottise du D iable ».

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  • LA QUESTION DU ROI DU MONDE

    i L'alité véritable. En effet, si un maître comme Ibn Arabî, dont I autorité ne peut être contestée, situe le Centre caché du Monde tliins le « monde des similitudes », cela signifie qu’effectivement lü fonction correspondante n’appartient pas au domaine de la métaphysique pure, où elle serait d’ailleurs sans objet, mais bien .1 un degré d’existence où les vérités principielles sont revêtues 'est prendre les choses à rebours. Un tel procédé revient à mettre en cause l’idée même d’une Tradition d’origine non- liumaine et trahit, par son usage, une intention subversive. Nous .1 jouterons encore, pour ceux que continue d’intriguer la question• le savoir s’il existe une hiérarchie spécifiquement «hum aine» .ittaehée à ce Centre, que la localisation d’une telle hiérarchie ne pourrait être vérifiée par des moyens extérieurs et profanes, puisque sa manifestation dans le monde coiporel n’est que le upport de sa réalité véritable qui demeure toujours, de par son essence, « secrète » et inaccessible.

    De son côté, M. Marco Pallis est disposé à admettre « le symbolisme du Centre ou des centres qui l’expriment dans les n.ulitions respectives». Au terme d’une longue étude critique, il lecuse néanmoins « le “Roi du Monde” tel que nous l ’avons• onnu », c ’est-à-dire par l’intermédiaire de René Guénon, au point de se demander « que devient alors le livre qui porte son nom et qui, sans Ossendowski et son énoncé problématique, on lit forcément revêtu une forme autre que celle qui nous est i.imilière, si tant est que ce livre aurait vu le jour ? » (4) Nous ne ieviendrons pas sur les arguments invoqués par M. Pallis - à la plupart desquels il a déjà fort bien été répondu - pour souligner plutôt le rapport étroit de la question ainsi soulevée avec celle• |iu nous intéresse dans ce chapitre. Lorsqu’on lit attentivement

    ' I > Ihid., p. 154.

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  • INI K< )l il K 11( )N A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    son élude, on s ’aperçoit en effet que ce n’est pas tant l ’idée du « Centre Suprême » qui est de nature à le gêner, mais celle d’une fonction, ou plus exactement d’une « triple fonction » attachée à ce Centre. Celui-ci n’est pas récusé en tant qu’il peut faire l ’objet d’une « quête» ou d’un «p èlerin age» traditionnel, mais bien, semble-t-il, en tant qu’il comporte en même temps une source d’autorité qui lui est propre. La restriction apportée par M. Pallis apparaît dès lors d’autant plus grave que la fonction d’autorité suprême dont le Centre initiatique du Monde est le siège est précisément celle que Guénon a eu pour mission de représenter de façon directe au sein du monde occidental. C’est d’ailleurs pourquoi il a tenu à déclarer, dès le premier chapitre de son livre sur le Roi du Monde : « indépendamment des témoignages que M. Ossendowski nous a indiqués de lui-même, nous savons, par de tout autres sources, que les récits du genre de ceux dont il s ’agit sont chose courante en M ongolie et dans toute l’Asie centrale ». Il engageait sur ce point son autorité propre ; c ’est donc bien cette dernière qui est visée en réalité - et aussi paradoxalement confirmée - par M. Pallis.

    Maintenant, com m e, toujours selon Guénon, « il existe quelque chose de semblable dans les traditions de presque tous les peuples », nous tenons à préciser pour conclure, à l’intention de ceux qui seraient tentés de voir encore dans la doctrine exposée dans cet ouvrage une simple « pétition de principe », que les « trois fonctions suprêmes » sont en vérité parfaitement connues dans les régions d’Asie qui sont si familières à M. Pallis. Ce dernier n ’a décidém ent pas de chance quand il s ’en prend à Guénon, car nous sommes en mesure d’affirmer que nulle part sans doute les fonctions dont il s’agit n’ont donné lieu à une représentation figurée aussi développée et précise. Nous songeons avant tout à celle où Manjuçri (qui brandit le glaive de lumière pour dissiper l’ignorance et porte sur son épaule le Livre de la Connaissance Suprême, c ’est-à-dire de la Prâjnapâram itâ) apparaît en tou ré, d ’ un cô té , par A v a lo k itê sh w a ra (le Bodhisattwa de la Compassion), et, de l’autre, par Vajrapânî (le Bodhisattwa de la Puissance). Ces trois figures sont d’autant plus remarquables qu’elles sont envisagées, en conformité totale avec renseignement de Guénon, dans leur relation avec les trois mondes. En effet, la partie cosmologique qui accompagne habi-

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  • Les « trois fonctions suprêmes » dans le Bouddhisme thibétain.

    LA QUESTION DU ROI DU MONDE

    inullement cette représentation comporte, autour d’un carré cen- n.il qui symbolise l’Empire «terrestre», d’une part les « tri- l'i.mimes », correspondant au «m onde intermédiaire» qui est• fini des « actions et réactions concordantes », et d’autre part un /• xliaque, correspondant quant à lui au domaine de la manifestation « cé leste» et supra-individuelle. Il s ’agit donc, on le voit, d une représentation très complète (5). Dès lors, il est permis de Im• user qu’au lieu de demander « l ’avis des autorités tradition- miles compétentes », ce qui dans son cas n’allait peut-être pas.tus risques, M. Pallis aurait été mieux inspiré de regarder tout nnplement dans la bonne direction, ce qui lui aurait évité sans

    doute bien des méprises et des mésaventures.Tout ceci montre que la référence exp licite au Centre

    Suprême du Monde et à son Chef marque, plus que tout autre i pecl de l ’œuvre de Guénon, le caractère incomparable et privi- li fie que sa fonction revêt en Occident ; elle explique l’ampleur.... verselle de son enseignement telle que nous avons tenté de lad. finir, et constitue enfin une véritable pierre de touche pour< < ux qui ont répondu à son appel et ont compris son message, '.mis en effet les « guénoniens » véritables, ceux qui, selon l ’ex- l'irvsion de Michel Vâlsan, ont témoigné d’« une fidélité parfaite

    i 0 D’autant plus q u ’elle com porte égalem ent le m antra représenté par la !11111ie des « dix fois p u issan ts» (N am tchouw angdan ), qui est un sym bole• lin » i du Centre Suprêm e.

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    de tous les côtés à l ’enseignement » de leur grand prédécesseur, ont repris et développé cet aspect de sa doctrine, guidés et encouragés en cela par les données très riches et convergentes que leur proposait la tradition orientale à laquelle tous, semble-t- il, ils appartenaient. Ce dernier point demande toutefois à être précisé davantage, ce qui sera l ’occasion d ’examiner de plus près la nature essentielle et la source métaphysique de ces « trois fonctions suprêmes » auxquelles nous venons de faire référence.

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  • CHAPITRE III

    UNE INSPIRATION PROPHÉTIQUE

    I >;ms lès pages qui précèdent, nous avons fait appel, pour• ■ l.iner certains points décisifs, à des données appartenant à la i* nlilion islamique. Si un recours aux doctrines ésotériques de i Islam nous paraît en effet indispensable pour interpréteri " livre et le cas à tous égards exceptionnel de René Guénon,■ > .1 parce que cette tradition possède, en raison de sa position■ .■ Ii(|iie et de sa vocation récapitulative dans l’ordre doctrinal, 'm . iiseignement très complet et précis sur les différentes fonc- ii"ii\ et possibilités que comporte le domaine initiatique tel qu’iluh\iste encore, ainsi que sur les modes d’inspiration correspondu iiv Il ne faut pas perdre de vue que les études écrites par

    • .m non sur ce sujet, si fondamentales qu’elles soient, ne consti- iinnl, comme il l ’a souligné, que de simples «aperçus» qui111 sent de côté bien des questions : ce serait une grave erreur il. s ’en tenir aux seuls points de vue qu’il a envisagés de manière expresse. D ’une façon plus générale, rien ne serait plus . mili aire à l ’esprit de son enseignement que de considérer son '•■livre comme une sorte de «corp u s» doctrinal fixé une fois l'i'iii toutes ; on constate cependant que bon nombre de ceux qui 111!1 e 111 et critiquent Guénon ne disposent le plus souvent I .mires ressources que les indications qu’il a données lui-même I iir. ses ouvrages, et qu’ils ont assimilées à la mesure de leurs

    moyens.

    Ainsi, on remarquera que les études magistrales publiées l'.ii Michel Vâlsan sur René Guénon, sur d’autres sujets se rap- p"i i-uil aux organisations initiatiques et aux conditions de la " 111 .al ion métaphysique, tirent une grande part de leur vérité et

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    de leur force d’une connaissance approfondie, très élaborée sur le plan technique, des doctrines du Tasawwuf. Cette référence n ’est pas toujours form ulée de manière explicite, de sorte qu’elle peut passer inaperçue chez ceux qui n’ont pas eu accès par eux-mêmes à cette source privilégiée de l’enseignement traditionnel. Pourtant, il en est résulté, principalement au sujet de Guénon, des écrits d’une qualité et d’une autorité incomparables. Tout l ’essentiel a été dit dans les grands textes vâlsa- niens, et il n’y avait a priori aucune raison d’y ajouter quoi que ce fût.

    Dès lors, une intervention nouvelle ne pouvait se justifier qu’en considération de la littérature abondante qui a paru sur l ’œuvre guénonienne au cours des dernières années. Ces publications ont fait apparaître de nombreux malentendus nouveaux qui appelaient à leur tour des mises au point et des précisions complémentaires : il devenait nécessaire de souligner certains aspects et d’en développer d’autres pour tenter de mettre un terme à ces incompréhensions.

    Dans cette perspective, nous jugeons indispensable de souligner tout d’abord le fait que, bien loin d’être purement théorique - Coomaraswamy rappelait à juste titre que « du point de vue de la philosophie traditionnelle, “théorique” n’est rien moins qu’un terme de mépris » - l’enseignement de Guénon procède en réalité d’une source sacrée que les doctrines islamiques désignent par le terme nubuwwa , c ’est-à-dire « prophétie ». Il convient de rappeler ici la distinction fondamentale établie par les Maîtres du Tasawwuf entre la prophétie dite « légiférante », qui comporte l ’établissement de règles ou de statuts nouveaux, et la « prophétie générale » qui ne comporte pas cet aspect. On sait que la prophétie légiférante a pris fin avec l ’achèvement de la révélation muhammadienne et qu’elle a été « s c e llé e » par le Sceau des E n voyés d iv in s ; en revanche, la prophétie générale demeure toujours accessible à ceux qui possèdent et réalisent initiatiquement la qualification correspondante : c ’est uniquement de cette dernière qu’il peul être question à propos de Guénon. D ’autre part, seule la prophétie légiférante peut énoncer éventuellement des règles obligatoires pour l ’en sem b le de ceux auxquels s ’adresse le M essage divin, alors que la prophétie générale n ’implique rien

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  • UNE INSPIRATION PROPHÉTIQUE

    'l

  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    de revêtir fut celle d’un « serviteur de la Vérité ». Il convient de souligner d’ailleurs, plus qu’on ne l’a fait jusqu’ici, l ’accord profond, qui n’a certes rien de fortuit, entre cette attitude et les exigences de la « norme muhammadienne » selon laquelle la réalisation métaphysique est envisagée en Islam. Dès lors, ce n’est ni à sa personne, ni à son œuvre, que la qualité prophétique peut être légitimement rapportée, mais bien à l’essence même de la Science dont il avait reçu le don. Affirmer cette qualité engage ainsi à reconnaître tout ce qui constitue la réalité propre de son enseignement. Les idées exposées par Guénon ne peuvent être envisagées en aucune façon comme le produit d’une spéculation individuelle. Leur apparence théorique, inévitable à partir du moment où il s ’exprimait par la plume et se refusait à tout engagement direct dans le domaine de l’action, ne doit pas faire oublier, d’une part, que toute son œuvre a été écrite avec l ’intention de préparer à la réalisation de la Vérité métaphysique aussi bien dans ses modalités intérieures et initiatiques que sur le plan extérieur : « Quand je parle de métaphysique, je pense surtout à la réalisation » écrivait-il en ce sens à Noëlle Maurice-Denis ; d’autre part et surtout, que la source de son enseignement se situe à un degré métaphysique où l’affirmation de la Doctrine s ’identifie à l ’expression même de la Volonté principielle, de sorte qu’elle est véritablement inséparable de la réalisation de l ’Ordre divin en ce monde.

    Ces considérations rejoignent d’une façon fort directe celles qui ont été développées au chapitre précédent à propos du Roi du Monde et de la fonction de René Guénon en Occident. À cet égard, on remarque en outre que le Coran définit la « mission prophétique » en des termes très significatifs : « O Prophète (nabiyyu), en vérité Nous t’avons envoyé comme un Témoin (shâhidan), un Annonciateur de bonne nouvelle (mubachchiran) et un Avertisseur (nadhîran) » (Cor., 33, 45). Bien que ce verset se rapporte avant tout au Prophète de l ’Islam, il est interprété par les représentants du Tasawwuf, et notamment par Qâchânî, en tant qu’il s’applique aussi à la nubuwwa initiatique telle que nous l ’avons envisagée plus haut. Le terme shâhidan n ’a d’ailleurs pas seulement le sens de « témoin », en l ’occurrence celui de « témoin de la Vérité » ; il désigne aussi, selon ce Maître, la qualité de « l’être qui contem ple» et qui, ayant été

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  • UNE INSPIRATION PROPHÉTIQUE

    •• envoyé vers les créatures », s ’adresse à elles « sans être voilé par la multiplicité à l’égard de l ’Unité métaphysique essentiel le », ce qui est une définition aussi exacte que possible de la Ionction traditionnelle assum ée par Guénon. L’annonce de

    bonne nouvelle » est comprise, quant à elle, en tant qu’elle se h-1ère à « ceux dont la prédisposition originelle est sans défaut dans la lumière du vrai », ce qui correspond égalem ent de manière parfaite, dans le monde occidental, à ceux qui « par leur “con stitu tion in térieu re” ne sont pas des “hom m es modernes”, qui sont capables de comprendre ce qu’est essentiel- lemcnt la tradition, et qui n’acceptent pas de considérer l’erreur profane comme un « “fait accom pli” ». C ’est à ceux-là que< inénon « a toujours entendu s ’adresser exclusivement » pour leur annoncer la «bonne nouvelle», c ’est-à-dire la possibilité d'œuvrer efficacement en vue d’un redressement et d’une réali- •ai ion métaphysique véritable, tout d’abord en eux-mêmes, puis autour d ’eux. L’« avertissem en t », en fin , toujours selon Oaehânî, vise tous ceux dont la prédisposition est contraire, et '•importe une menace d’exclusion et de disgrâce. Dès lors, si l’on donne au mot « témoin » le sens de « celui qui a vu par lui- meme », on peut dire de Guénon qu’il a été effectivement un

    Témoin de la Vérité unique et universelle » pour reprendre, n i encore, une expression de Michel Vâlsan ; ce sens correspond au premier des trois termes coraniques envisagés ci-dessus• i se rapporte aussi, du point de vue principiel, à la réalité axiale et transcendante du Centre du Monde. En revanche,• liiand la fonction de celui-ci est considérée à partir de la mani- i' '.talion cosmique, elle apparaît comme double et se polarise en mi «pouvoir de vie et de m ort», ce qui équivaut par ailleurs aux deux aspects de « Miséricorde» et de «R igueur» impliques par toute manifestation terrestre de la Sakîna. A partir de la, si l ’on veu t parler en core de G uénon com m e d ’un

    témoin », et même plus spécialement comme d’un « témoin de la Tradition », il importe de préciser avec le plus grand soin Mil il s ’agit en ce cas d’un aspect fonctionnel correspondant au iioisième terme coranique qui a été mentionné, celui de nadhî- /.///, c ’est-à-dire d’un témoignage à charge lié à la «crise du monde moderne» et porté directement au nom du Centre lui- meine.

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    La triple qualification énoncée dans le verset cité évoque donc clairement la réalité initiatique du Centre du Monde, source véritable de toute prophétie, ce qui donne à la « convocation » adressée à l ’Occident par l ’intermédiaire de René Guénon sa dimension et sa signification ésotérique réelles. Dès lors, on comprend mieux les raisons profondes pour lesquelles Michel Vâlsan indiquait que cette convocation « contient en même temps une promesse et un avertissement », tout en précisant que c ’est en rapport avec la « présence de vérité » providentiellement assurée par l ’œuvre guénonienne « que devra se définir la position exacte de l ’O ccident en général et du Catholicisme en particulier ». On le voit, les données islamiques auxquelles nous nous sommes référé ici pour rendre compte de la fonction de René Guénon corroborent d’une manière frappante les considérations développées au chapitre précédent sur le caractère unique et incomparable de son enseignement, et cela, pour ceux qui ont quelque connaissance de la « mission traditionnelle» de l ’Islam, n’a assurément rien qui puisse surprendre.

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  • CHAPITRE IV

    L’INITIATION ET L’INVESTITURE

    Nous-l’avons dit, René Guénon a toujours distingué soigneusement « entre la conception des vérités métaphysiques qui, en \i, échappe à toute limitation individuelle, et leur exposition formulée, qui, dans la mesure où elle est possible, ne peut■ onsister qu’en une sorte de traduction en mode discursif eti.iiionnel». Il n’a revendiqué l’infaillibilité que pour la Doctrine .eule, non pour son office d’interprète et d’écrivain, ce qui ne signifie d’ailleurs nullement, comme certains pourraient être tentes de le déduire, qu’il ait méconnu la qualité prophétique de son inspiration. S ’il sem ble effectivem ent que dans son œuvre publique Guénon n’a pas fait de référence directe à son propre• as, se bornant à l’évoquer de façon allusive et voilée, il s ’est montré parfois plus explicite dans ses relations épistolaires ou \ n baies avec des particuliers. On relève surtout, à cet égard, sa déclaration très nette faite au Docteur Tony Grangier selon l.iquelle « sa Vérité était impersonnelle, d’origine divine, transmise par Révélation, détachée et sans passion » : ce propos, tenu■ i une époque où Guénon ne se présentait pas extérieurement ' omme musulman, constitue en effet une définition parfaitement adéquate de cette « prophétie générale » dont il a été question au » liapitre précédent.

    Une lettre que Guénon adressa en 1936 à Coom aras- uüiny contient une allusion plus précise encore. A propos d’un .irliele que ce dernier avait écrit sur sayyidnâ al-Khidr, il lui indiqua en effet : « votre étude... est très intéressante, et les rap- IHochements que vous y avez signalés sont tout à fait justes au point de vue symbolique ; mais ce que je puis vous assurer, c ’est

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    qu’il y a là-dedans bien autre ch ose encore que de sim ples “légendes”. J’aurais beaucoup de choses à dire là-dessus, mais il est douteux que je les écrive jamais, car, en fait, ce sujet est de ceux qui me touchent un peu trop directement. » Cette déclaration confirme entièrement celle qui avait été faite au Docteur Grangier, car sayyidnâ al-Khidr représente par excellence, au sein de la tradition islamique, la fonction de « prophétie générale ». En outre, il fait partie des quatre prophètes qui n’ont pas été atteints par la mort corporelle et qui forment ainsi, comme Michel Vâlsan l ’a magistralement établi dans son article sur Les derniers hauts grades de l ’Écossisme, « la hiérarchie fondamentale et perpétuelle de la tradition dans notre monde ». Cette hiérarchie est celle du « Centre Suprême hors de la forme particulière de l ’Islam et au-dessus du centre spirituel islam ique» : l ’identification de ce Centre comme la source de la nnbuwwa non légiférante se trouve donc également confirmée.

    Maintenant, la mention d’al-Khidr fait référence aussi à un mode exceptionnel de réalisation initiatique correspondant à la « voie des Afrâd » ou des « Solitaires » qui, selon ce qu’en dit Guénon, se situe « en dehors de ce qu’on pourrait appeler la juridiction du “Pôle” (El-Qutb), qui comprend seulement les voies régulières et habituelles de l ’initiation ». Il s ’agit en effet de « quelque chose de plus “direct”, et qui est en quelque sorte en dehors des fonctions définies et délimitées, si élevées qu’elles soient». C’est donc en partie à son propre cas qu’il faisait allusion, dans le texte intitulé A propos du rattachement initiatique, lorsqu’il évoquait un rattachement pouvant se produire « quand certaines circonstances rendent la transmission normale impossible, puisque leur raison d’être est précisément de suppléer dans une certaine mesure à cette transmission », mais concernant exclusivement « des individualités possédant des qualifications qui dépassent de beaucoup l’ordinaire et ayant des aspirations assez fortes pour attirer en quelque sorte à elles l ’influence spirituelle qu’elles ne peuvent rechercher par leurs propres moyens ». Nous disons que ces lignes se rapportent au cas de Guénon en partie seulement, tout d’abord parce qu’il ajoutait aussitôt que « même pour de telles individualités, il est encore plus rare, l ’aide fournie par le contact constant avec une organisation traditionnelle faisant défaut, que les résultats obtenus comme consé

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  • L’INITIATION ET L’INVESTITURE

    quence de cette initiation n’aient pas un caractère plus ou moins fragmentaire et incomplet », ce qui, manifestement, ne pouvait s’appliquer à lui ; ensuite et surtout parce que dans un autre article : Sagesse innée et sagesse acquise , il envisageait aussi le cas de l ’être pour qui « l’initiation, au lieu de n’être tout d’abord que virtuelle comme elle l ’est habituellement sera... immédiatement effective ».

    Le caractère mystérieux du statut privilégié de René Guénon lient précisément à l’intervention d’une influence spirituelle opérant « en dehors des voies régulières et habituelles de l’initiation », c ’est-à-dire indépendamment des organisations initiatiques existantes, aptes à conférer un rattachement initiatique régulier. On remarquera d’ailleurs que le texte sur la Sagesse innée mentionne le cas de l’être qui « reconnaît » en quelque sorte les degrés de la Voie « comme les ayant déjà en lui, d’une façon qui peut être comparée à la “réminiscence” platonicienne, et qui est même sans doute au fond une des significations de celle-ci » ; pour cet être, les i iles et les symboles initiatiques « apparaissent comme s’il les avait toujours connus, d’une façon en quelque sorte “intemporelle”, parce qu’il a effectivement en lui tout ce qui, au-delà et indépendamment des formes particulières, en constitue l’essence même». ( ’cs deux citations, comme les précédentes, sont directement applicables à Guénon lui-même.

    De là, il convient de préciser que la mention de sayyidnâ al- Khidr faite à son propre sujet ne concernait pas seulement la manière dont s ’était ouvert pour lui l ’accès à la réalisation métaphysique ; elle évoquait aussi la nature exceptionnelle de l ’in- lluence qui s ’était manifestée pour lui conférer d’une manière immédiate, et sans l ’intervention d’aucun intermédiaire, une véritable investiture en vue d’une mission sans précédent au sein du monde occidental contemporain. Les indications que l’on irouve dans son œuvre montrent bien que cette mention ne s’explique vraiment qu’en relation avec la fonction majeure qui lui avait été ainsi dévolue. On mesure à cette occasion toute la complexité du rôle attribué à Khidr, dont les interventions providen- iii'Iles peuvent correspondre à des situations très diverses. On remarque d’ailleurs qu’en Islam, où les modes normaux de rattachement ne font habituellement pas défaut, la rencontre de l ’être avec ce prophète s ’opère le plus souvent, non pas au début du

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    processus initiatique, mais bien dans son cours même dont elle inaugure une phase nouvelle et décisive, comme le montre justement le récit coranique de M oïse et d’al-Khidr.

    Dans le cas de Guénon, il faut insister encore sur le fait qu’une initiation de ce type, en dehors des modes et des moyens qu’il a définis lui-même comme normaux, n’en était pas moins parfaitement régulière. Rappelons ici qu’il a précisé de façon très nette que, même dans les cas exceptionnels, « il s ’agit bien toujours du rattachement à une “chaîne” initiatique et de la transmission d ’une influence spirituelle, quels qu’en soient d’ailleurs les moyens et les modalités, qui peuvent sans doute différer grandement de ce qu’ils sont dans les cas normaux, et impliquer, par exemple, une action s ’exerçant en dehors des conditions ordinaires de temps et de lieu ». De telles interventions, qui ne se produisent pas par le canal des organisations initiatiques existantes et n’impliquent même pas forcément la présence d’un intermédiaire « humain », ont en effet une origine strictement « traditionnelle » et sont d’ailleurs envisagées en Islam comme un « Don » divin conféré à l’être de façon immédiate et sans considération d’un mérite individuel quelconque.

    Il serait naturellement tout à fait vain de rechercher les circonstances exactes qui ont entouré les débuts de la carrière initiatique de René Guénon. L’allusion, dans le dernier texte cité, à une « action s ’exerçant en dehors des conditions ordinaires de temps et de lieu » est bien propre à décourager toute approche extérieure ou tout recours à une méthode purement « historique». Son secret est de ceux que l ’on ne peut circonscrire ; il faut accepter et respecter son mystère. Tout ce que l’on peut dire avec certitude est que son rattachement initiatique s ’opère, au plus tard, en 1907, car, dès le commencement de 1908, on perçoit les effets du changement intervenu et comme l’éclosion d’un double « miracle ». Le premier concerne la personne même de Guénon qui fait preuve, dès lors, de la plus grande maîtrise, aussi bien en matière doctrinale que dans le domaine plus contingent des actions et des réactions humaines ( 1 ). En particulier, pour ce qui concerne la doctrine, on demeure stupéfait devant le jaillisse-

    (1) « Les convictions se sont changées en certitudes » observe à ce propos M. Jean-Pierre Laurant. C ’est vraim ent peu dire !

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  • L’INITIATION e t l ’in v e s t it u r e

    ment de cette pensée insolite et vraie qui fuse avec science et• niitude dans toutes les directions à la fois, comme à partir d’un< mire d’intellection subitement ouvert. Ce dernier est évoqué missi par l’extrême « concentration » de l’expression. Dans un Uwle comme Les conditions de Vexistence corporelle , ou encore dans les notes de Y Archéomètre, on observe en effet une sorte de pirssion intérieure liée à la brusque abondance d’idées qui nemu pas encore entièrement canalisées, et que l’on ne retrouvera

    plus dans les écrits de la maturité. En même temps, Guénon .illinne son autorité, saisit toute occasion pour présenter la Doctrine, dénonce des erreurs diverses, prend ses distances à l'égard de ceux qui les soutiennent, ce qui le conduit, par ru'inple, à se retirer du Congrès Spiritualiste et Maçonnique de l‘>08, choqué par une phrase de Papus affirmant la vérité de la irincarnation. Dès ses débuts, on constate que ses interventions ne sont aucunement celles d’un pur théoricien. Le souci des ipplications et d’une action tendant à modifier la mentalité ambiante est immédiatement perceptible, ce qui montre une fois• li* plus que l ’enseignement, chez lui, est inséparable de la fonction. La polémique s’engage dès 1908 et le climat qui se crée ne disparaîtra plus jamais entièrement, ni de son vivant, ni après sa mort. Au demeurant, ne peuvent s ’en étonner que ceux, plus nombreux qu’on ne croit, qui confondent doctrine et théorie, miséricorde et tolérance : les mentalités spéculatives ignorent loui de ce qu’implique véritablement une fonction magistrale, m (ont lorsqu’elle s’exerce dans l ’ordre doctrinal. Il est bien vrai,

    t omme l’enseignait Michel Vâlsan, que les grands métaphysi- i ims ont toujours été des polémistes et ce n’est assurément pas ..ins raison profonde que l’« encre des savants » est assimilée en I l.im au « sang des martyrs ». Si sereine et détachée que puisse '•ire son apparence, une affirmation doctrinale relève en réalité ion jours de cette « guerre sainte » qu’il y a obligation de mener,• Inique fois que les circonstances le permettent, contre l’igno- i;ince et l’erreur.

    Le second « miracle » est étroitement lié au premier et n’en> .1 même, au fond, qu’une simple conséquence. Il se manifeste d;ins l’extraordinaire intensité des mouvements d’idées et de personnes qui s’observe autour de Guénon à ce moment précis. La diversité et la complexité des situations où il se trouve mêlé, leur imbrication et leurs modifications incessantes sont d ’ailleurs

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    moins remarquables que la qualité même des interventions d’origine traditionnelle que l’on constate durant la courte période qui va de 1908 à 1912. Une des plus étonnantes est sans doute cette présence soudaine de la Baraka akbarienne qui s ’actualise pendant quelques mois par l’intermédiaire d’Abd al-Hâdî, nom islamique du peintre suédois John Gustav Agelii. Pour mesurer le caractère insolite de l ’événement il faut savoir que, même en terre d’Islam, des manifestations de ce niveau sont loin d’être ordinaires ou fréquentes ; a fortiori sont-elles, en Occident, tout à fait exceptionnelles. En vérité, les seules que l’on puisse déceler se situent à plusieurs décades d’intervalle par rapport à l ’époque d’Abd al-Hâdî, tout en présentant l’une et l’autre un rapport fort curieux et digne de remarque avec René Guénon : il s’agit, d’un côté, de l ’émir Abd al-Qâdir l ’Algérien qui séjourna en France de 1848 à 1852 et dont la fonction à l ’égard de l ’Occident apparaît, du point de vue islamique, comme celle d’un véritable précurseur de Cheikh Abd al-Wâhid ; de l’autre, de Michel Vâlsan qui, d’une manière particulièrement significative, s’affirme dès 1948 à la fois comme le meilleur défenseur que l ’enseignement de Guénon ait jamais eu et comme le fondateur des études akbariennes en Occident.

    Si exceptionnelle qu’elle soit, cette présence à Paris, en 1911, d’une influence spirituelle de l ’ordre le plus élevé provenant de l’ésotérisme islamique ne représente pourtant qu’un élément parmi beaucoup d’autres. On note d’ailleurs que l’enchaînement complexe d’actions et de réactions diverses qui s ’opère à ce moment aura pour effet, au-delà d’une agitation apparente où le meilleur côtoie le moins bon et quelquefois le pire, de mettre Guénon en possession d’une foule d’indications et d’enseignements reliés, cette fois, de façon circonstanciée et précise, aux formes traditionnelles actuellement présentes dans le monde. Ces transmissions lui conféreront un avantage unique et d’une valeur inestimable, à la mesure de la fonction supérieure qui était la sienne : on ne peut pas se défendre de l’impression que certains in term édiaires, com m e Abd al-H âdî lu i-m êm e ou encore Matgioi, ont en réalité été suscités tout spécialement pour remplir cette mission à l’égard de Guénon.

    Toutefois, le point essentiel est que les influences spirituelles qui convergent à ce moment vers lui à partir de centres initia

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  • L’INITIATION ET L’INVESTITURE

    tiques particuliers, et par l’intermédiaire d’individualités ayant qualité pour représenter les grandes traditions métaphysiques de l'Orient, apparaissent comme une conséquence de l ’événement majeur constitué par son investiture. Ceci explique que René< iuénon ne s ’est jamais présenté comme le porte-parole d’une tradition déterminée ou d ’une organisation initiatique quelle qu’elle soit. L’excellence de sa qualification et la force peu commune de son aspiration spirituelle eurent pour effet, tout d’abord, d'attirer la «Bénédiction» transcendante qui présida à son ini- lialion, ensuite, à un second degré, de diriger vers lui, en vue d une action suprême à l ’égard du monde occidental, l’aide et le support des centres traditionnels orientaux dont l’activité subsistait encore. Outre l’appui d’origine islamique que nous avons mentionné, il faut citer celui de la tradition extrême-orientale, moins aisé à repérer et à déterminer sur le plan historique, mais fort riche au point de vue de l’apport doctrinal. Enfin, et surtout,I Hindouisme, dont le rôle fut essentiel, au point que pendant près d’un quart de siècle certains ont pu s ’y méprendre et imaginer que Guénon ne s ’était assigné d’autre but que celui de représenter en Occident les doctrines et la tradition hindoues. Faute d’une attention suffisante pour percevoir la portée et l ’envergure trelies de l ’œuvre guénonienne, une partie de la critique, notamment celle qui émanait des milieux néo-scolastiques, se trouva prise à contre-pied; jusqu’à nos jours encore, il semble bien qu’elle ne s ’en soit jamais complètement remise. Cette intervention de l ’Hindouisme s’est opérée, elle aussi, par des voies que l'on ne pourra sans doute jamais élucider totalement.

    La présence autour de Guénon de représentants qualifiés des t militions à partir desquelles se développèrent les trois grandes i ivilisations orientales ne peut en tous cas être mise en doute.< )n sait, du reste, qu’il a confirmé lui-même à André Préau que i est à « l ’enseignem ent oral d ’orientaux » qu’il devait la connaissance qu’il possédait «d es doctrines de l ’Inde, de l ’éso- terisme islamique et du Taoïsme ». De son côté, Michel Vâlsan, considérant « l ’Hindouisme, le Taoïsme et l ’Islam » dans une perspective analogue, y voyait les «trois formes principales du inonde traditionnel actuel, représentant respectivem ent le Moyen-Orient, l’Extrême-Orient et le Proche-Orient, qui sont, dans leur ordre et sous un certain rapport, comme les reflets des

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  • INTRODUCTION A L’ENSEIGNEMENT ET AU MYSTÈRE DE RENÉ GUÉNON

    trois aspects de ce mystérieux Roi du Monde dont justement René Guénon devait, le premier, donner la définition révélatrice... ». La mention faite ici du Roi du Monde est indicative d’une confirmation de la « mission » de Guénon, venue du Centre Suprême qui agissait cette fois par le biais des formes et des institutions traditionnelles extérieures ; sa signification prend du reste une dimension nouvelle quand on l ’envisage en relation avec la naissance initiatique « sans intermédiaire » que nous avons mentionnée.

    Il est possible de préciser les correspondances entre les « trois aspects » auxquels le texte de Michel Vâlsan fait référence et les formes traditionnelles qui manifestent leur présence autour de Guénon à ce moment ; ce point n ’est pas sans intérêt pour la compréhension de son rôle et de sa fonction. Ces correspondances ne sont pas toujours évidentes du fait que toute tradition intégrale comporte nécessairem ent ces aspects dans leur ensemble ; toutefois, nous pouvons les déterminer sans grandes difficultés en recourant aux indications qui figurent dans son œuvre même. Si, en effet, par référence aux alphabets sanscrit et arabe, l ’Hindouisme est sym bolisé par une demi-circonférence dont la convexité est tournée vers le haut et l ’Islam par la demi-circonférence inférieure qui lui est complémentaire, il est évident que ces deux traditions représentent analogiquement et dans le même ordre, d’une part le monde céleste et principiel, de l ’autre celui de la manifestation corporelle et terrestre. La tradition extrême-orientale symbolise alors de manière plus directe le « monde intermédiaire », ce qui se justifie aisément par référence à l ’« idée de vie » que Guénon, dans son Introduction générale à l ’étude des doctrines hindoues, identifiait à une « conception que l ’on peul rendre, sans trop d’inexactitude, par “solidarité de la race” » ; en effet, il définissait à son tour cette dernière comme F« élément caractéristique », et surtout comme le principe d ’unité, de la tradition chinoise. Cet aspect est évoqué aussi par une indication fort énigmatique de l ’ésotérism e islam ique. Elle relève, sem ble-t-il, d’un enseignement propre au Cheikh al- Akbar, et figure dans les Fusûs al-Hikam à la fin du chapitre sur Seth. Suivant cette donnée, « c ’est sous l’égide de Seth que naîtra le dernier des engendrés du genre humain. Il sera

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  • L’INITIATION ET L’INVESTITURE

    porteur de ses Mystères (2). Il n’y aura pas, après lui, d ’autre• nj’cndré d’entre les hommes : il est en effet le “Sceau des engendrés” (khâtam al-awlâd). II lui naîtra une sœur qui sera mise au monde juste avant lui et contre les pieds de laquelle .fia sa tête. Sa naissance se produira en Chine et sa langue M-i'a celle de son pays natal ».

    Rappelons que c ’est précisément dans le monde intermé-■ h.nrc que doit s’opérer la réunion, à la fin du cycle, des réalitésii.ulilionnelles représentées par les deux demi-circonférences• liiiil il a été question plus haut. La figure complète sera reconstitua' alors, tandis que la signification solaire qui lui correspond ■i rapporte essentiellement à la manifestation finale, dans l’ordre temporel, du « Califat » universel et de ses secrets, dont l I •inpire chinois constitue, par excellence, le symbole annonciateur.

    i ’ i C 'e s t-à -d ire des M ystères de Seth . Le m ot w alad, trad u it ici par ■ njvndré », désigne l ’enfant en tant q u ’il est issu de l’union de ses père et

  • CHAPITRE V

    UNITÉ ET DIVERSITÉ DE L’ENSEIGNEMENT

    Dans son texte sur L'écôrce et le noyau, René Guénon, utilisant ici encore des données islamiques, évoque et commente une triple distinction : celle de la haqîqa, qui est « la vérité ou