la ruine contemporaine

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LA RUINE CONTEMPORAINE Benjamin Revire Recherche sur ses opportunités pour l’Habitant, l’Architecte et l’Architecture. Directrice de Mémoire : Danielle Martin École Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg

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Mémoire de master à l'ENSAS dédié à la Ruine contemporaine. Quelles opportunités pour l'Habitant, l'Architecte et l'Architecture

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LA RUINE CONTEMPORAINE

Benjamin Revire

Recherche sur ses opportunités pour l’Habitant, l’Architecte et l’Architecture.

Directrice de Mémoire : Danielle MartinÉcole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg

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LA RUINE CONTEMPORAINE

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Achevé en Janvier 2015

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LA RUINE CONTEMPORAINE

Benjamin Revire

Recherche sur ses opportunités pour l’Habitant, l’Architecte et l’Architecture.

Directrice de Mémoire : Danielle MartinÉcole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg

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REMERCIEMENTS À

Ma mère pour ses relectures et ses encouragements répétés.

Mes amis pour nos discussions constructives et attentives.

Elodie Martini pour le savoir gra-phique et typographique qu’elle a su me transmettre.

Quico & Bodi pour m’avoir donner de leur temps en répondant à mes tergi-versations.

L’Erasmus et au Bike-Polo sans quoi ce mémoire n’aurait aucune profon-deur.

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AVANT-PROPOS Lors de mon voyage Erasmus à Madrid en 2011, j’ai été le témoin candide du mouvement des Indignés. La crise financière touchait de plein fouet les espagnols déplaçant ainsi les foules dans l’espace publique ibé-rique. Ces manifestations étaient la conséquence de l’extrême pauvreté, d’un sentiment accru de défiance dans les institutions gouvernemen-tales et de l’effondrement spécu-latif de l’immobilier. Mes voisins fouillaient les poubelles, les chantiers s’arrêtèrent, et la misère remplaça la pauvreté. Les Indignés (mouvement né à Madrid) défiant les pronostiques policiers s’employaient à affirmer leur pouvoir et leurs convictions sur les plus grandes places de la capitale. Embarqué par mon voisinage, je pre-nais part distant et curieux à tout ce tour de force. Le désarroi populaire face à l’écroulement momentanée d’un système, a poussé certains citoyens à agir. Conscients de l’état de déla-brement économique, sociétal et politique, l’autogestion est apparue comme un dispositif alternatif du-rable. Naturellement les citadins ont chercher un lieu propice à l’autoges-tion, les dents creuses, les chantiers arrêtés et les immeubles en ruine les ont accueilli. Là où la spéculation prenait place, les «casas occupadas» ont fleuri. Se regroupant en comité de quartier les citoyens ont investi les es-paces délaissés de Madrid. Cette atti-tude de survie est en partie due à une urbanité pullulante hispanique. Une telle posture quasiment instinctive a

profondément marqué mon par-cours. Le «patio maravillas» ou la «casa blanca»: deux exemples parfaits de squat à l’espagnol sont pour moi le point de départ d’une réflexion nouvelle et m’ont permis d’engendrer ce mémoire. L’image que j’ai de cette typologie de l’abandon a été transformé, renversant ainsi toute idée préconçue sur la ma-nière de faire de la Ville et de l’Ar-chitecture. C’est le recyclage et le réemploie à une autre échelle qui s’exprimaient dans ces nouveaux mouvements sociaux. Ces ruines et ces dents creuses ancraient les madrilènes dans la ville, elles devenaient pour certains d’entre eux une maison commune. Ces délaissés espagnols sont le ter-reau fertile d’idées nouvelles et de pratiques sociales fourmil-lantes de vie. Dès lors qu’elle est habitée, la ruine perd son caractère poétique. Dès que le chantier déserté est à nouveau colonisé, la honte laisse place au nouveau vernaculaire. Dès que la dent creuse est occupée, le sursis cesse pour devenir alors le ber-ceau d’une renaissance urbaine. Le caractère intermé-diaire et paradoxal de ces espaces m’interroge. Cette typologie est une évidence urbaine entre passé et futur, oscillant entre le dedans et le dehors, empreint de Culture et de Nature. Quelle posture les architectes adoptent ils devant elle? Ces espaces sont-ils une source d’inspiration pour eux ?

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ......................................................................................................p.13

1. PHÉNOMÈNE DE LA CRISE, UNE TYPOLOGIE DES DÉLAISSÉS.............p.18 1.1 L’architecture du gaspillage ou les monuments de l’inachevé. 1.2 Fragment d’architecture, un retour au sol inexorable.

1.3 La dent creuse, silhouette porteuse d’un espace en attente

2. LE CAS ESPAGNOL : DE LA RÉVOLTE À L’OPPORTUNITÉ.....................p.36 2.1 Réemploi du gaspillage 2.2 L’obsolète habité

2.3 Investigation du vide ou l’espace public autogéré

3. L’ARCHITECTE ET LES DÉLAISSÉS.................................................................p.52 3.1 L’architecte et l’inachevé 3.2 L’architecte et l’obsolescence 3.3 L’architecte et la latence

CONCLUSION..........................................................................................................p.68

BIBLIOGRAPHIE.......................................................................................................p.72

ANNEXES...................................................................................................................p.76

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Détro

it

Tabacalera,

centros sociales autogestionados

Patio Maravilla

Zaragoza et ses chantiers

inachevés Los Alicates, citoyens resposable

Rapport d’étude

sur la vitalité urbaine

& le piéton

Étude de quartier

Malasaña, Puerta del A

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Cours d

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Notion d

e l’Habite

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Usage exclusif du vélo

dans ma mobilité citadine

# Palette Project

2ème année

(2010-2011)

La Ville FertileLa Cité Chaillot

Lecture de Learnig from

Vernacular

Lecture de Contre l’Architecture

Court Metrage

Unfinished Italy

3ème année (2011-2013)

4ème année

(2013-2014)

Détroit, Ville Sauvage

Lecture de

Le piéton dans la Ville

Lecture de

Jane Jacob, Vie et D

éclin des

Grandes V

illes Am

éricaines

Voyage à

Zarag

oza

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o es u

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Retour sur la

modernité avec A. Pignol

Vestiges du rêve américain

Meffre et Marchand (Jonathan et Yves)

Lect

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k Bo

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anel

Crise des Sub-Primes

Naissance du mouvementdes Indignés à Madrid

Erasmus à Madrid

Serv

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Civ

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arti

cip

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Détroit

en faill

ite

Nouveau gouvernement

Espagnol

CRISE

LES COLIBRIS

AUTOGESTION

DECROISSANCE

FRICHES

RECYCLAGE URBAIN

RUINE URBAINE

HABITER

ESPACE

ARCHITECTE

NIVEAU DE VIEMODERNITE

AUTORITE

POGRESSISTE

SYSTEME

Madrid

Sicile

Athènes

Berlin

Zaragoza

Grenade

Premier diagramme de Octobre 2013

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INTRODUCTION Nous sommes une généra-tion qui vit avec le concept de patri-moine terrestre fini. Nous savons que nos ressources s’épuisent, que nous habitons dans un espace limité. Nous n’ignorons pas qu’un jour il n’y aura plus de pétrole et que nous payerons les excès de nos ancêtres pour des siècles d’exploitation de la Terre. La catastrophe fait partie de notre quo-tidien. Les inondations, les tsunamis, les cyclones là où il ne devrait pas y en avoir, les tremblements de terre et les guerres sont devenus des images familières. Nous sommes les enfants mélancoliques d’un temps où la no-tion même de finalité n’avait effleuré personne ou presque. Nous sommes à l’aube d’une fin. Cette idée n’est pas propre à mon entourage, elle est largement reprise dans la culture populaire à tra-vers les films hollywoodiens tels que 2012, Le jour d’après ou Melancho-lia. L’esthétique du Sublime réappa-raît sous un jour nouveau mettant en scène non plus le voyageur-philosophe devant un paysage montagneux mais un contemporain lambda ébahi dans la contemplation d’une Terre sans Humanité. A travers cette pléthore de métrage populaire l’idée transmise est celle du changement de paradigme. Un bouleversement catastrophique pourrait finalement être perçu comme bénéfique pour une entité plus impor-tante que l’Humanité : la Terre. Située aux antipodes de notre système de pensée actuelle, il est presque rassurant d’imaginer la fin de l’Homme. Les sociétés contempo-

raines sont source de mal être, nous sommes neurasthéniques et atten-dons notre mort avec impatience. En ajoutant au Sublime, le champ lexi-cal de la mort c’est la Vanité que l’on obtient Dans une méditation sur sa propre mort, l’Humanité est fascinée par la Fin. La Ruine est l’un des sym-boles des vanités contemporaines. Elle est ce qui reste d’un monde post-moderne métamorphosé par les ca-tastrophes. Les Ruines sont des mo-numents du passé glorieux regretté, exemptées de presque toutes préoccu-pations. Elles sont des symboles char-gés par l’inconscience d’une huma-nité candide. La Ruine nous fascine par son ambiguïté, par sa capacité de catalyser l’imaginaire et sa multipli-cité de lecture. Pour certains elle est le témoin d’un échec, pour d’autres elle est l’expression poétique d’une étreinte entre Nature et Culture, ou encore elle est l’ultime chaînon d’un inexorable retour à la poussière et au sol. Même à travers la culture hyper mondialiste, ce goût pour la ruine est présent. L’entreprise Redbull a sorti en Mai 2014, un court métrage tourné dans les ruines de Epécùen en Ar-gentine. Plus largement lors de mon Erasmus, j’ai pu faire l’expérience des espaces qu’on ne nous montre pas à l’école. Ces espaces sont devenus ré-curents lors de mon voyage et ont fini par former, pour moi, une typologie à part, celle de l’abandon. Cette catégo-rie d’espace distinct est presque anti-thétique de la ville telle que nous la vivons conventionnellement. Elle est souvent loin des préoccupations des architectes.

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Construction

phase chantier phase de dégénérescence

phase projectuelle

Cycle de Vie du bâti

Destruction

Consommation

Obsolescence, ruine, abandon

Dent Creuse,latence urbaine

Inachevé,gaspillage

Ruine Contemporaine

Réin

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Recy

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Réparer

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DéconstruireDétruire

Réutiliser

Dét

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Réinventer

Juxtaposer

Revitaliser

Bricoler

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CONSTAT & PROBLÉMATIQUE Notre société produit des espaces obsolètes délaissés et aban-donnés construits. Ils constituent une famille hétéroclite qui compose une partie de notre paysage contempo-rain. Quelles opportunités offrent ces espaces pour le citadin, l’archi-tecte et l’architecture ?

MÉTHODE Afin de fixer et de cerner pré-cisément le cadre de ce mémoire, je tenterai de définir précisément mon champ d’étude. La typologie de l’aban-don s’inscrit dans un cycle d’état du bâti. Du gros-oeuvre au retour à la poussière, le bâti passe successivement par plusieurs états qui le positionne dans le temps. La boucle convention-nelle d’un bâtiment se divise en trois grandes phases. La construction est la première étape de la vie d’un édifice. Une fois cette phase terminée, le bâti vit. Il est consommé, parfois plusieurs fois, il peut être restructuré, modifié à maintes reprises. Malgré la grande polyvalence de certains, il arrive que ces derniers tombent en désuétude. La destruction d’un édifice est due géné-ralement à son obsolescence ou à un événement extérieur, selon un laps de temps variable on le remplace par un autre bâti. Il laisse alors une cicatrice dans le continum urbain qu’on appelle dent creuse. Il arrive qu’au cours de ce cycle «logique» de vie il y ait des in-terruptions provocant des abandons du bâti. Un chantier non terminé, un batî quitté alors qu’il était toujours

utile, ou un vide laissé par la destruc-tion d’un immeuble marquant le tissu urbain définissent cette typologie de l’abandon. Ce sont spécifiquement ces typologies arrachées de ce cycle de vie du bâti que je préciserai dans une pre-mière partie. Dans un second temps, de manière rétrospective et par le prisme de plusieurs interviews, j’entrepren-drai d’analyser les réponses «vernacu-laires» des citadins face à cette typolo-gie. Leurs interventions transforment l’abandon en opportunité. Ils offrent à la Ville des nouveaux atouts. Ces lieux de flottement deviennent de nouveaux centres d’urbanités. Les citoyens com-pensent le manque de service par l’au-togestion. Mon expérience à Madrid illustrera ce propos. Cette typologie des délaissés offrent des appuis cultu-rels, sociaux, économiques et écolo-giques à la population ibérique. Enfin je terminerai par l’exa-men de différentes réactions d’archi-tectes préoccupés par ces enjeux. Je mettrai en exergue la qualité qu’ils puisent immédiatement ou indirecte-ment de cette typologie. Elle est à la fois architecturale mais aussi constructive, sociale et culturelle. Lorsque l’intérêt de l’architecte s’accorde avec ceux des usagers de la ville et les politiques, c’est une nouvelle pratique de l’archi-tecture qui s’invente. Je développerai d’abord l’essence dont tirent les archi-tectes de cette typologie de l’abandon. Nous verrons au travers de différentes études de cas comment s’établissent peu à peu des procédés de conceptions innoventes.

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1. PHÉNOMÈNE DE LA CRISE, UNE TYPOLOGIE DES DÉLAISSÉS.

1.1 L’architecture du gaspillage ou les monuments de l’inachevé. 1.2.1 Le cas español, étude de cas Seseña Nuevo

1.2 Fragment d’architecture, un retour au sol inexorable. 1.2.1 La friche industrielle, étude de cas Gunkanjima, Y.Marchand & R.Meffre 1.2.2 La friche résidentielle, étude de cas Détroit, Kévin Baumann

1.3 La dent creuse, silhouette porteuse d’un espace en attente 1.3.1 Etude de cas à Madrid

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Luis Galán García & Daniel Fernández Pascual, A Road trip through Madrid’s bubble challenge, Madrid, 2010

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1.1 L’architecture du gaspillage oules monuments de l’inachevé.

1.2.2 Le cas español, Etude de cas Seseña Nuevo

L’Espagne est l’un des pays de l’Europe qui a été le plus touché par la spéculation immobilière. Victime d’une «overdose de béton», l’Espagne a construit dans les années 2000 un parc immobilier impressionnant. Certaines villes sont aujourd’hui entièrement vides. L’offre n’était plus en lien avec la demande. Selon le journal el Mundo, fin 2011 on compte pas moins de 3 417 000 logements vacants en Espagne. Soit 13,2 % du total du parc immobilier d’Espagne, qui atteint 25 837 0001. Si l’on se concentre sur la capitale espagnole c’est plus de 337 212 logements qui sont inhabités. Il existe même aujourd’hui un commerce maffieux parallèle vendant ou louant des squats. Cette économie est l’un des symptômes de la crise multiforme qui frappe Madrid. Dans la banlieue proche de la capitale, la ville de Seseña Nuevo offrant 13 500 appartements neufs devait accueillir 40 000 habitants. En 2011 selon Instituto Nacional de Estadística (INE) elle abritait 5075 âme. La construction d’un quartier de logements ne produit pas nécessairement de la Ville. Après une décennie de développement immobilier sans précédent, Seseña Nuevo reste dans l’expectative. Le

photo-reportage de Luis Galán García & Daniel Fernández Pascual en 2011 rend compte de ces espaces en développement gelés dans le temps.

Nos deux photographes sont des architectes blogeurs formant avec d’autres, un groupe de réflexion sur le paysage contemporain. Daniel Fernández Pascual est à la base de ce collectif. Il est architecte, urbaniste et chercheur. Diplômé à la Escuela Tecnica Superior de Aquitecture de Madrid de l’Univesidad Politécnica. Il est aussi diplômé d’un Master Science of Urban Design de la Technische Universität Berlin et de Tongji University Shanghai. Actuellement, il conduit des recherches de thèse sur la spéculation, la souveraineté et les frontières territoriales concernant la crise immobilière espagnole.

Leurs points de vue photographiques nous exposent la ville de Seseña Nuevo en suspend. Ces images sont pâles et blafardes. C’est d’autant plus surprenant que nous sommes habitués à une Espagne haute en couleur. L’énergie culturelle ibérique est transportée par la symbolique des couleurs. Si ces dernières sont si estompées c’est pour nous montrer à quel point ces espaces sont en déclin. Coincés entre l’immensité du ciel et de la terre qui reprend peu à peu ses droits, les bâtiments présentés sont comme des mirages dans un désert. Le paysage post-chantier laisse présager une inactivité prolongée des entreprises du BTP. Les tranchées, et les trous

1 Maryni Martínez, 3.417.064 viviendas vacías, El Mundo, Madrid, Nov. 2011

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Luis Galán García & Daniel Fernández Pascual, A Road trip through Madrid’s bubble challenge, Madrid, 2010

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de fondations nous font penser à des espaces de no-man’s land. C’est comme si la guerre avait figé cette ville en devenir. C’est la sensation d’infini qui nous touche. Cette série de photos arrive un peu avant les premières analyses de L’INE en 2011. Elle rend compte de la lenteur de la bureaucratie espagnole à ouvrir les yeux sur les problèmes de leur temps. Ce climat de clivage entre une administration en retard et une population désœuvrée est l’une des raisons des tensions sociales qui accoucheront plus tard des Indignés. Tous les clichés sont pris à l’extérieur des bâtiments. Cela ren-force le sentiment qu’ils sont vides et inhabités. Les édifices terminés ou presque nous paraissent pourtant vivables. Ce paradoxe appuie l’inco-hérence urbanistique. Les photos sont toujours prises avec une certaine distance de leur sujet. L’espace laissé entre les bâtis et le photographe laisse transparaître une angoisse pesante. On se demande si c’est la réalité ou le fruit de notre imaginaire qui pro-duit ces images. Le photographe par ce procédé écarte toute possibilité de projection du spectateur dans l’inté-rieur des immeubles. En interdisant cela il fabrique une barrière psycho-logique qui fixe l’architecture dans une impasse irrationnelle. Entre ce paysage désertique et ces colosses de briques et de béton s’instaure une relation complexe. On ne sait pas si l’intensité de chantier est la résultante de ce paysage ou si la Nature est à l’origine ainsi. Le climat aride de la Meseta Central consolide

l’intuition qu’il est ardu de vivre en ces lieux. Pourtant dotés de l’électri-cité, d’éclairage urbain, de mobiliers, de trottoirs, de signalisation routière, ces lieux attendent patiemment des usagers à accueillir. Coincer entre le désir d’ha-biter et l’inachèvement, il est diffi-cile de se prononcer sur le futur de Seseña Nuevo. C’est un paysage hors du temps qui n’a pas eu l’opportunité d’écrire son histoire. A-t-on déjà vu ce quartier autrement ? Contempler ces bâtiments inachevés qui ont per-du leur sens avant même de s’en être chargé, nous permet un glissement esthétique vers la Ruine. Ils gisent sur ce plateau semi-désertique atten-dant une solution qui ne viendra peut être jamais. Ces pâles forteresses, sans histoire ni âme, se sont levées de terre pour répondre au rêve d’acces-sion à la propriété. Lors de mes visites dans ce quartier, une fois passé l’effroi de-vant la mégalomanie du concepteur de ce lieu, c’est la nostalgie qui m’a saisi. Seseña Nuevo est-elle dans le coma, ou est-elle morte née ? Pour-quoi garderait t-on cette ville ainsi ? Aujourd’hui des groupes d’artistes et d’architectes organisent des prome-nades à travers la ville. A première vue c’est sans intérêt. C’est comme traverser un décor de cinéma qui n’a pas servi ou comme se balader dans disneyland sans personne. Mais lorsque l’on se plonge dans l’atmos-phère produite par ce non-sens on comprend alors qu’il peut être inté-ressant de faire un tour à Seseña Nuevo car cette virée donne corps à

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Jigokudan « Escalier de l’Enfer », Ile d’Hashima, Japon, 2008

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un concept immatériel qui est la crise financière. Est-ce que cette ville est un monument érigé pour que l’on se rappelle des dangers de la spécula-tion financière ?

1.2 Fragment d’architecture, un retour au sol inexorable.

Le mot ruine vient du latin ruina, de ruere. Selon le dictionnaire Larousse: «c’est le processus de dégradation, d’écroulement d’une construction, pouvant aboutir à sa destruction complète; état d’un bâtiment qui se délabre, s’écroule»2 Si l’on cherche la définition étymologique le mot ruine cela vient de l’indo-européen commun *reu qui signifie «arracher, ouvrir en arrachant», radical dont sont aussi issus rudus «masse informe», rubus «ronce», runco «sarcler, faucher», rupes «antre», rumpo «rompre»3. C’est aussi : précipiter, faire tomber, jeter à terre, renverser, soulever, rouler, entraîner, arracher. Avec le champ lexical tiré de la génèse du mot ruine, on comprend alors qu’elle est un élément construit qui s’éffondre et redevient poussière. La relation entre l’Architec-ture et la ruine est étroite et ambiguë. Pour Auguste Perret «l’Architecture c’est ce qui fait les belles ruines»4. Cet aphorisme inverse la suite temporelle habituelle, Auguste Perret nous offre une définition de l’Architecture à tra-vers le prisme des ruines. Imaginait-il les ruines de ces bâtiments en les dessinant ? Malgré son demi siècle,

cette réflexion garde du sens. Cette maxime souligne la relation qu’ins-taure l’Architecture avec le temps, il inscrit sa pensée dans la continuité de celle des romantiques du XIXème siècle et encore avant, avec celle de Piranesi. On comprend alors la contamination intellectuelle de cette époque où l’on voit naître les préoc-cupations patrimoniales et le clivage entre Viollet le Duc et Ruskin.

1.2.1 La friche industrielle, Etude de cas Gunkanjima, Y.Marchand & R.Meffre

Y. Marchand & R. Meffre sont deux jeunes photographes fran-çais nés en 1981 à Orsay et en 1987 à Châtenay-Malabry. Discrets, il est difficile de trouver des informations sur eux. Ils s’attellent à photogra-phier les ruines depuis 2001, et se sont regroupés en binôme en 2002. Ils travaillent à la chambre photogra-phie 4/3. Ils résument leur processus synthétiquement : «En visitant des ruines, nous avons toujours essayé de nous focaliser sur des édifices remar-quables dont l’architecture incarne la psychologie d’une époque, d’un sys-tème, et d’en observer les métamor-phoses.» Yves Marchand & Romain Meffre s’évertuent à photographier les ruines culturelles, industrielles et résidentielles. Cherchant toujours le meil-leur point de vue et travaillant avec une chambre photographique en-combrante, leur photographie révèle avec objectivité un lieu. Ils s’efforcent

2 Dictionnaire Larousse, Paris, Larousse, 20003 Wikipédia, http://fr.wiktionary.org/wiki/ruo, Mars 20144 Claude (Roger), «Auguste Perret et la demeure», Formes et Couleurs n˚4, Maison du Livre Français, 1944

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Cour intérieure, depuis le bâtiment 17 vers le bâtiment 18, île d’Hashima, Gunkanjima, Japon, 2008

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à mettre en exergue la tension des espaces. Leur travail s’apparente d’avantage à une reconstitution digne des plus grands reporters minutieux. Souvent grâce à des clichés d’ar-chives, ils juxtaposent brutalement le passé et le présent. Nous ne sommes pas en présence de ruines roman-tiques dont la lente descente à la terre nous laisse rêveur. Ils nous exposent parallèlement l’apogée radieuse et le cadavre d’un espace. Cette série de photographies est publiée en 2013 après leur visite répétée sur l’île d’Hashima. Ancien fleuron minier japonais, l’île a été laissé à l’abandon en 1974 à cause du changement de paradigme énergé-tique. Bastion de la modernité, c’est en 1950 le lieu où la densité de popu-lation est la plus forte au monde. Au-jourd’hui c’est une île très fréquentée par les touristes. Le Japon demande que l’île soit classée au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Cette tentative fait débat car l’île a également été un haut lieu de crime de guerre pendant la Seconde Guerre Mondiale. Fleu-ron de la modernité pour certains et cimetière pour d’autres, Hashima souffre de nouvelles contradictions d’ordre politique, touristique et éco-nomique. L’île se trouve au Sud Ouest du Japon, au large de Nagazaki. Suite à l’évolution énergétique de 1974 au Japon l’île a été brutalement évacué. En rupture avec la mono-orientation du travail sur l’île, cette micro-société s’est effondrée du jour au lendemain. La dégradation et l’évacuation de l’île a été accéléré par le conditions natu-

relles difficiles du site. L’intérieur des bâtiments est souvent dans un état proche de celui de 1974, figé dans le temps et protégé par les vingt kilo-mètres de mer qui sépare Gunkanji-ma de Nagazaki. Cette série de photos à vocation documentaire nous permet d’établir différents degrés d’entre-deux. Il ne faut pas oublier que l’île se trouve au Japon dont l’une des spéci-ficités architecturales traditionnelles est souvent traduite par des degrés d’intériorités progressifs. Contrai-rement au travail de Baumann, ils explorent l’intérieur des ruines et nous dévoilent leurs entrailles. Per-dus entre l’intérieur et l’extérieur, les ravages de la Nature ne nous per-mettent pas toujours de distinguer clairement la limite. Jouant avec les percements, les perspectives et les mises en abyme, ils cherchent à nous perdre dans un dédale complexe de l’île post-apocalyptique. Ils exposent la perte des repères que le Temps a insufflé à ces espaces «au style aussi brutal que rationnel»5. Les ruines d’Hashima ont pour particularité d’avoir été laissé à la Nature pendant près de 30 ans. Le paradoxe de ce lieu est que d’une certaine manière c’est la Nature qui l’a protégé des pillards et des dégra-dations de l’Homme et qu’en même temps, elle opère sa digestion agoni-sante. La violence manifestée par la rapidité de l’arrachement à un lieu de vie combinée à 30 années de dé-suétude nous met devant une situa-tion inédite. Il est facile de restituer des scènes de vie tant les objets du quotidiens forment des indices. Ce

5 Meffre et Marchand (Jonathan et Yves), Gunkajima, Steidl, Göttingen, 2013

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Kévin Baumann ,http://www.100abandonedhouses.com/, 2012

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voyeurisme malsain est apaisé par la forte présence végétale qui nous déculpabilise d’être fascinés par ces images. Ce cocktail forme une vanité photographique puissante. La Nature reprend ses droits inexorablement sur l’Homme à très long terme. Le point d’équilibre a encore une fois été raté par l’Homme. Poussé à des fins industrielles il n’a pas su habiter l’île de manière durable. Capturant un état de dégra-dation du bâti avancé, on peut se demander si ces photos ne viennent pas saisir un dernier instant la poé-sie de ces ruines avant une réhabili-tation maladroite de ce site tant il est convoité par le tourisme aujourd’hui. Le revers de la médaille dû à la po-pularité du travail du duo de photo-graphes rend l’avenir de ces ruines nébuleux.

1.3.1 La friche résidentielle, Étude de cas Détroit, Kévin Baumann

K. Baumann est photographe amateur, il a fait ses études à Oakland en sociologie. Il travaille aujourd’hui comme Web développeur. Ce qui est curieux c’est qu’il n’a pas de forma-tion de photographe. Autodidacte et sans carcan académique c’est sa sen-sibilité propre qui l’a porté à s’inté-resser aux ruines de sa ville natale. Il nous offre un regard neutre sur les vestiges encore fumant de la Motor City. Aux Etat-Unis d’Amérique la maison individuelle est le loge-ment standard. La structure de ses

photos est très évocatrice de la catas-trophe photographiée. Cette série est tirée d’un travail qui date maintenant d’une vingtaine d’années. Elle a com-mencé en 1990 et continue de gran-dir. Aujourd’hui il a collecté environ 200 photographies sur 12 000 des maisons du quartier qu’il arpente. Il est l’un des précurseurs de ce genre de photographies. Lorsque Kévin Baumann dé-cide de photographier ces pavillons, il ne s’intéresse pas uniquement à la bâ-tisse mais également à l’espace qui la borde. Or chacune de ces façades sont en retrait d’environ 4 à 5 mètres de la chaussée. Si l’on décompose la photo-graphie on constate que cette bande est l’objet de presque la moitié de la composition. Florent Tillon l’exprime très bien: «Dans cette ville de l’hyper mobilité, celle qui avait été conçu par et pour l’automobile, il y a un univers qui s’est fossilisé : une succession de friches industrielles, et de friches résidentielles qui donne à Détroit un caractère rural. C’est une ville qui s’est ensauvagée tout simplement parce que la municipalité ne dispose plus des moyens pour aménager son territoire. Et par conséquent, il y a des pans entiers qui échappent à l’humanité, en tous cas, à sa capa-cité à travailler le territoire pour le rendre conforme à ses besoins.»6. Un tiers du sujet de la photographie est la ruine de l’espace public, la ruine du rêve américain. Ce sont les lézardes et les fissures du système américain qui nous prennent à la gorge dans ce cliché. C’est le jardin, et la belle pe-

6 «Pas la peine de crier», émission de Richeux (Marie), Podcast «la faillite» 2/5 : Detroit, Michigan : la ville en faillite, 17 Septembre 2013

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Kévin Baumann ,http://www.100abandonedhouses.com/, 2012

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louse tondue et entretenue autrefois avec ferveur qui est mise à mal. Si les banlieues américaines n’offrent pas ou peu d’espace public partagé, ces devantures compensaient et embel-lissaient largement ces quartiers de maisons individuelles. Elles les dis-tinguent de nos banlieues françaises. Florent Tillon résume syn-thétiquement le climat qui règne à Detroit : «les émeutes, les immenses inégalités renforcées par différentes politiques urbaines, les crises de l’industrie, la crise de l’automobile, et une sévère ségrégation sont les ingrédients d’une ville qui décroît qui rétrécit depuis plusieurs décen-nies et s’est vue déclarer en faillite cet été même»6. La population est à majorité noire à Détroit et 22,2% des habitations sont vacantes. Depuis 1950 Detroit a perdu la moitié de ses habitants pour abriter aujourd’hui 916000 âmes. Il y a environ 1/3 d’habitants qui vivent sous le seuil de pauvreté. Le photographe se place à l’extérieur de la ruine, il est face à elle. De manière parfaitement fron-tale c’est une élévation qu’il nous offre. Il nous est quasiment impos-sible de se projetter dans la ruine, elle paraît fermée, bloquée, barricadée. Comme si les fuyards dans un dernier élan d’espoir avaient abandonné leur habitat en fermant à clef leur bien. La notion de propriété est encore très présente, ces maisons sont en ruines mais elles appartiennent toujours à quelqu’un. Lorsque la maison n’est pas ermétique, ce sont les détritus, les restes de cramoisi qui l’habitent.

L’Homme n’est plus le bienvenu dans ces maisons. La Nature dévore lente-ment la peau de la maison. Elle digère avec le temps le bois des façades. La ruine retourne lentement à l’état de poussière et retombe vers le sol. Les ronces la protègent et mettent à l’écart les pillards et les intrus. La Na-ture s’approprie cet espace laissant à l’Homme une place fantômatique. Il ne peut plus monter car le temps a détruit l’escalier, et les douves de ronces inhospitalières escortent la batisse vers un retour à la terre. Le socle est devenu Nature, le corps de la bâtisse s’effrite et son toit part en lambeaux. Parfois la maison abrite en son âtre un arbre. Ces ruines sym-bolisent bien la déchéance de cette ville, ancien fleuron de l’industrie automobile américaine. L’absence de l’homme dans ces clichés montre que l’avenir doit se faire sans lui. La nature reprend ses droits sur les cendres du rêve américain et elles paraissent bien fertiles. Ces vanités puissantes reluisent de pessimisme où l’Homme n’a pas réussi à trouver un équilibre entre Nature et Culture. Il n’y a pas de futur pour l’Homme. La rupture du continum urbain marque aussi la composition photographique. On constate presque toujours que les maisons photogra-phiées sont seules et qu’elles n’ont plus de voisines. Certaines ont été ra-sées. Le processus de ruine s’acheve par la disparition totale du bâti, on comprend alors le sort promis aux demeures qui se dressent encore de-bout. C’est ce contraste plein-vide qui appuie la sensation de ruine.

6 «Pas la peine de crier», émission de Richeux (Marie), Podcast «la faillite» 2/5 : Detroit, Michigan : la ville en faillite, 17 Septembre 2013

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Photomontage de la dent creuse situé dans le quartier ultra touriste de l’Opéra de Madrid

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1.3 La dent creuse, silhouette porteuse d’un espace en attente

1.3.1 Etude de cas à Madrid

Pour clore l’étude du cycle de vie du bâti, nous terminerons par l’étude du vide laissé par la destruction d’un bâtiment. Durant la fin de mon année Erasmus à Madrid et dans le cadre d’un concours pour la marque Algeco, mon binôme et moi avons étudié pendant plusieurs mois les dents creuses de Madrid. Grâce à une série photographique, nous avons répertorié méticuleusement ces cicatrices urbaines. Lorsqu’un édifice est détruit, il laisse à la ville un volume vide porteur de l’absence. On imagine facilement la taille, les proportions, la vie qui se trouvait là avant. On déchiffre sur les pignons scarifiés l’usage qu’ils accueillaient. À la manière d’un archéologue on comprend couche par couche les marques laissées par les usagers successifs. Aujourd’hui la plupart des dents creuses madrilènes sont jonchées de détritus et des restes des matériaux qui jadis ont pu composer l’architecture de ces parcelles évidées. Elles attendent patiemment un projet qui viendra les réinvestir. Pour des raisons tierces et de crise, cette attente est souvent prolongée. Parfois pour spéculer et faire grimper le prix du foncier les propriétaires bloquent ce processus et cassent le cycle de vie du bâti. Cette latence dont

souffre la capitale est très rependue et chaque quartier porte son lot de dents creuses. Parfois, pour berner les touristes, la municipalité dresse une toile tendue avec l’ancienne façade afin de cacher temporairement l’angoissant vide. Cependant l’œil attentif ou le riverain habitué aux perspectives ne tombe pas dans le panneau. Pourquoi la mairie souhaite-t-elle cacher ces cicatrices ? Je pense que ces vides sont synonymes de problèmes, de crises et de pénurie. Elles exposent aux yeux de tous les entrailles des îlots et les flancs écorchés des bâtiments. Ainsi un pignon qui n’aurait jamais dû être mis à nu devient une immense surface disgracieuse. Le fantôme du bâtiment détruit devient un pesant souvenir pour le voisinage. Les belles continuités de façades sont rompues par ces espaces en creux et nous livrent le fonctionnement interne des immeubles. Les façades aveugles et intérieures deviennent prédominantes et, à la manière d’une blessure sur un beau visage, on ne voit plus que ça. La Nature reprend ses droits à l’intérieur de ces espaces. Les végétaux s’emparent du vide. Ces espaces échappent au contrôle de la Ville. Ces terrains vagues sont laissés à l’abandon pendant plusieurs années et cachés derrière les toiles, les ronces et les mauvaises plantes abondent. Le sol devient informe et grouille de vie. Un microcosme se forme à l’abri des activités des madrilènes. Il est presque toujours interdit d’entrer dans ces espaces. Des grilles

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La dent creuse en 2009

La dent creuse en 2014

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ou des toiles écartent la possibilité d’investir ces espaces pourtant sans danger. Ces respirations dans le tissu de la capitale espagnole sont d’autant plus mises en avant que la ville est dense. Les dents creuses dessinent de nouvelles places interstitielles, qui par le simple fait d’exister soulage le passant.

À la fois intouchables et ambigus ces espaces apportent des qualités tout en laissant planer l’angoisse et la crise. Une poétique du vide s’écrit au travers de ces creux. Comme des oeuvres d’art accrochées à un musée, ces espaces sont inaccessibles, impalpables et pourtant on ne peut nier leur valeur ajoutée. La série de photographies (ci-contre) nous renseigne sur une dent creuse située à côté de l’Opéra de Madrid. Les panoramas restituent l’intérieur de l’espace et les dernières photos nous renseigne sur son évolution. Ici, en 2012, on constate la débauche de moyens mis en oeuvre pour camoufler cet espace. Un structure gigantesque se dresse pour laisser apparaître dans un premier temps, l’ancienne façade puis dans un second temps, un affichage publicitaire. La continuité matérielle de façades est préservée et le creux obstrué. Sur les plus anciennes images satellites offertes par Google Earth, en 2000 on peut voir que cette parcelle était déjà dans l’attente d’un projet. Jusqu’en 2006, un arbre s’y dressait. Puis la parcelle vide a été «nettoyé» pour recevoir une future construction.

En vain car jusqu’en 2014, son état est passé de friche minérale, à celui de poubelle commune puis d’une oasis végétale pour revenir de nos jours à l’état de la dernière photo (ci-contre). L’histoire financière et projectuelle de cette parcelle est sûrement très chargée. Pourtant après presque deux décennies son état est restépratiquement identique.

Le système de constitution de la ville actuel n’atteint-il pas sa limite? Pourquoi la spéculation empêche-t-elle la Ville de rendre ces espaces aux usagers, même temporairement? Le chantier arrêté, le bâtiment obsolète comme le parcelle en latence sont toujours des lieux propices à la vie. Ces intervalles regorgent de qualités et une fois surmontée la honte ou l’angoisse de la décadence de notre temps, ces espaces deviennent des opportunités. Nous verrons dans un second temps, les interventions vernaculaires des usagers urbains. L’étude de la révolte des espagnols, face aux gaspillages de cette typologie, sera basée sur les trois temps de la première partie. Nous verrons les actions hispaniques sur les chantiers inachevés, sur les bâtiments abandonnés et sur les terrains en latence.

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2. LE CAS ESPAGNOL : DE LA RÉVOLTE À L’OPPORTUNITÉ 2.1 Réemploi du gaspillage 2.1.1 Okupa y Resiste à Barcelona 2.2 L’obsolète habité 2.2.1 Casas occupadas : Patio Maravillas 2.2.2 Collaboration politique : Tabacalera

2.3 Investigation du vide ou l’espace public autogéré 2.3.1 Campo de Cebada à Madrid

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Ces ruptures dans le cycle de vie du bâti nous paraissent souvent comme des fins en soi. Pourtant certaines postures prouvent que ces bâtiments inachevés ou à l’abandon, sont des opportunités pour d’autres. Paul Oliver en 1997 définit le vernaculaire comme l’architecture des gens7. Nous allons voir au travers de différentes études de cas comment les citadins espagnols se sont appropriés ces architectures des délaissés pour former un vernaculaire contemporain caractérisé par la débrouille, le réemploi, l’autogestion et le hors-norme. Leurs réponses sont le fruit de l’urgence et un pied de nez à la crise.

2.1 Réemploi du gaspillage

2.1.1 Okupa y Resiste à Barcelone

Ce travail de mémoire et mes visites répétées en Espagne m’ont mené dans la maison de mon ami Bodi. Rencontré au bord d’un ter-rain de bike polo (un sport urbain naissant), il m’a accueilli durant un voyage à Barcelone. J’ai pu expéri-menter la «Okupa y Resiste» durant une petite semaine au 59 Av. del Coll del Portell. L’adage de Lavoisier : «rien ne se perd tout se transforme» pourrait être accroché au dessus du seuil de la porte de l’immeuble. Dépassant d’un étage le vé-lum réglementaire de Barcelone, cet immeuble d’habitation a été laissé à l’abandon, inachevé, car il a été construit sans permis pendant la

période de chaos post-Franquisme. Directement abandonné avant d’être terminé, le chantier s’est stoppé dans les années 70. Depuis 21 ans main-tenant l’autogestion et le «squat» à l’espagnol organise la vie de ce bâti-ment. Aujourd’hui, seuls les pignons rendent compte de l’état premier du bâti. Les façades sont presque toutes peintes, les habitants se sont large-ment appropriés cet espace pour ex-poser la nature de leur habitat. C’est d’avantage l’intérieur qui manifeste le bricolage perpétuel du lieu. Les huisseries sont de deuxième main et les escaliers sont terminés à l’aide de planches de coffrage. Tout le réseau électrique et d’eau a été installé par les habitants. Il y a même internet et le wifi en libre accès. Les finitions sont quasiment absentes et le second oeuvre reste à l’état de chantier. La structure du bâtiment se décompose verticalement en une strate d’espaces plus ou moins pri-vatifs. On trouve au rez de chaus-sée un atelier partagé tenu par mon ami Bodi. Il s’affaire à la réparation et au recyclage de vélos et d’électro-ménagers. Il fabrique une montagne d’objets, avec et pour les habitants du quartier. Il y a également au rez-de-chaussée un bar participatif avec un espace de concert. Une laverie com-mune, les étendoirs et les espaces de services y trouvent leur place. Pour ma part, j’ai logé au premier l’étage. Celui-ci est dédié aux invités. Il est équipé d’une petite salle d’eau, d’une cuisine sommaire et d’un dortoir. Ensuite on trouve successivement un atelier photo et de peinture. Une

7 Oliver (Paul), Encyclopedia of Vernacular Architecture of the World, tome 21, 1997.

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Rez-de-chaussée arborant le «contre attaque du DIY»

L’immeuble de Bodi depuis le parc Guel

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large place est laissée aux artistes et Bodi m’explique qu’il partage sou-vent leurs ateliers avec ceux qui le souhaitent. Ensuite il y a des étages pour le logement des familles. Je n’y ai malheureusement pas eu accès. On trouve au tout dernier étage une for-midable terrasse commune avec un petit jardinet. C’est un belvédère à la vue panoramique imprenable pour les habitants. Un étage de trop qui a dû coûter cher au promoteur mais qui aujourd’hui est la carte de visite de la Okupa. En effet, ce dernier étage s’expose à tous les touristes du parc Guel, qui se trouve de l’autre côté de la rue. Le toit arbore fièrement la phrase «Okupa y Resiste» suivi du «A» des mouvements anarchites. Largement bercé par les mouvements indépendantistes, anar-chistes et par le do-it-yourself, le quartier de Garcia a été très engagé dans les mouvements socio-poli-tiques des dernières années. L’im-meuble de Bodi est un vrai modèle d’autogestion qui abrite une commu-nauté ouverte sur leur quartier et la ville. C’est un lieu d’urbanité, de mixi-té fonctionnelle et sociale. Toutes les décisions de fonctionnement interne se font par un système d’assemblée générale. Il n’y a pas de chef, de re-présentant, ou de comité, c’est en dé-mocratie directe qu’ils s’organisent. Au travers d’un bâtiment inachevé, cette communauté expérimente des nouvelles formes d’Habité. Le lien social est très fort dans cet immeuble, tous les voisins se connaissent et entretiennent des relations. Ils par-tagent la laverie, la terrasse, les ate-

liers de réparation et le bar associatif dans un seul et même immeuble. Ici «le vivre-ensemble» n’est pas qu’un grand concept politique. Il existe, évolue, s’expérimente et s’approprie. Outrepassant certaines lois et régle-mentations ils habitent et occupent ces lieux : «parce qu’il y a des gens sans maison et des maisons sans gens»7. Cet espace est né du be-soin primaire d’habiter dignement. S’efforçant de réemployer de multiples matériaux ces personnes ont fait preuve d’une ingéniosité qui leur permet d’habiter un chantier. Grâce à des récupérations et des cir-cuits parallèles de solidarité, ils conti-nuent de transformer leur habitat au grès de leurs besoins. L’absence de propriété, ou de loyer leur permet si l’assemblée l’autorise, de remanier l’espace et sa fonction. Un jour atelier de recyclage, un autre, salle de danse ou dortoirs temporaires, ils méta-morphosent leur foyer facilement parce qu’ils se sont affranchis de cer-taines contraintes. On peut souligner également que Bodi n’utilise jamais ma maison, mais la maison. Il sait qu’il n’est pas propriétaire. C’est un bien collectif régi par l’intelligence commune. Ce chantier est finalement passé du stade de l’inachevé à habitat expérimental, évolutif et flexible. On peut rapprocher l’Okupa à un certain type d’habitat en auto-promotion. Les habitants sont au coeur de l’archi-tecture et ils décident de leur habitat. Malgré l’avant-gardisme dont font preuve les habitants du 59 Av. del Coll del Portell, la vie de cet immeuble se joue actuellement au tribunal pénal

7Interview de Bodi réalisé en Septembre 2014, annexe

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Bricolage pour soutenir la charpente

Les marbres ont été arrachés avant le départ des anciens propriétaires.

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dont les habitants seront peut être bientôt expulsés. En rupture avec le système politique économique, social et financier depuis 20 ans la Okupa va peut être disparaître. Leur struc-ture autogérée a pourtant prouvé en se pérennisant qu’elle était viable.

2.2 : l’Obsolète habité

2.2.1 Casas occupadas : Le Patio Maravillas.

Les casas ocupadas ont une structure similaire à la maison de Bobi. Elles ont d’avantage un carac-tère collectif et fonctionnent grâce à des comités de voisinage. A l’origine ce sont des bâtiments abandonnés, délabrés ou non conformes avec par-fois déjà plusieurs décennies de vie. Ces espaces sont dans l’attente d’être détruits au profit de projets plus récents. On les nomme aussi Cen-tros Sociales Autogestionados (CSA) ou Espacios Polivalente Autoges-tionados (EPA) ou encore Centros Sociales Ocupados (CSO). On peut rapprocher ces casas ocupadas avec les squats français sur le fond, mais la forme qu’ils prennent en Espagne est très différente. Selon l’article 47 de la constitution espagnol établie en 1978: «Tous les Espagnols ont le droit de jouir d’une demeure digne et adéquate. Les pouvoirs publics devront promouvoir les conditions nécessaires et établiront les normes pertinentes pour faire ce droit ef-fectif, en réglant l’utilisation du sol conformément à l’intérêt général

pour empêcher la spéculation. La communauté participera aux plus-values que génère l’action urbaine des entités publiques»8 . Né le 1 juillet 2007 lors des manifestations de La Semaine de Lutte Sociale, le Patio Maravillas (PM) est un espace polyvalent et au-togéré situé dans le quartier central de Malasaña à Madrid. Depuis 7 ans le PM a squatté deux édifices : le pre-mier dans un collège abandonné où il est resté jusqu’à s’être fait déloger le 5 janvier 2009. Aujourd’hui il réside encore au 21 calle Pez. Des associations et un comi-té de voisinnage sont venus se gref-fer à l’équipe de départ, et peu à peu un univers est apparu. On y trouve un atelier de vélo gratuit, un atelier photo, des cours de yoga, de danse, d’espagnol, un magasin gratuit de vêtements, et un étage pour héber-ger pendant quelques nuits les plus nécessiteux. Les autres salles qui restent vides sont réservées aux ini-tiatives citoyennes. Tout le monde peut venir proposer une activité. Il peut y avoir des cours pour apprendre à faire du savon, jusqu’à l’organisation de dé-bats politiques sur le futur de l’Eu-rope ou encore des soirées salsa. C’est une source de vitalité immense et son rayonnement dépasse les frontières de l’Espagne. On peut y rencontrer toutes sortes de gens : du bureau-crate en costard cravate jusqu’au SDF venant chercher un peu de chaleur humaine. Lorsque l’on est dans le Pa-tio, plus rien ne nous différencie. Car

8 Interview de Gimeco (Quico) réalisé en Novembre 2014, annexe

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Atelier de réparation de vélo : la CicloCocina

Assemblée Générale d’inauguration du Patio Maravillas 21 Calle Pez.

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en allant là bas, tous partagent cette idée un peu anarchique de n’avoir ni dieu ni gouvernement. On pour-rait faire le rapprochement avec une forme de communisme, mais le Patio se revendique comme humaniste.Le Patio Maravillas est un condensé d’activités humaines. Le commerce n’a plus comme seul et unique but le profit mais aussi l’entraide et la solidarité. On peut venir déguster les bières les moins chères de Madrid, et y manger pour un fond de poche. Les bénéfices servent pour que le jour suivant puisse être de la même qua-lité. Il n’y a personne à payer puisque tous sont bénévoles. Le Patio est un lieu où s’exprime des liens sociaux très importants. Il rattache à la sos-ciété beaucoup de SDF qui viennent y trouver refuge. Il permet des réu-nions d’amis autour d’un rafraîchis-sement. C’est un lieu de rencontres et de partage où il est facile de tisser des liens d’amitié. La culture s’exprime par le biais des ateliers. On y enseigne toutes les types danses, le rock, la salsa, le tango, le flamenco... L’ate-lier photo fait perdurer la pratique de l’argentique et beaucoup de matériel de récupération est mis à disposition. Des expositions sont organisées très souvent où sont promus de petits ar-tistes locaux. Des cours d’espagnol gra-tuits, des cycles de conférences, des réunions d’information sont prépa-rés chaque semaine. C’est un lieu d’enseignement et de débat politique. Mais avant d’être un lieu, le Patio Maravillas est une idée, celle de l’au-togestion. Le Patio est une tentative

pour le moment réussie, d’une sorte d’utopie-réaliste humaniste où l’on recycle tout, où l’on combat pour le déclin de l’usage abusif de la voiture, où l’on débat de la ville que l’on a et celle que l’on voudrait. Le commerce ici devient du troc, on échange un sa-voir-faire contre des pièces de vélos. Chacun apporte un peu de ce qu’il sait et donne à celui qui veut bien l’écouter.

Le Patio se proclame n’ap-partenir à aucun parti politique et ne veut être mêlé à rien d’autre que la citoyenneté et l’Homme. Rien de tout ça n’est légal et le Patio a déjà démé-nagé une fois en 9 ans d’existence. C’est grâce au soutien de centaines de citoyens que ce dernier est toléré. De plus, tant que la crise perdurera, que des injustices aussi énormes existeront au sein de l’Europe et de l’Espagne je pense que le Patio conti-nuera de vivre de squats en squats, d’immeubles réhabilités et de mai-sons recyclées. Selon mon ami avocat Qui-co Gimeco, «il est possible d’être organisé en autogestion pour lutter contre cette société de la consomma-tion effrénée qui veut en finir avec nos ressources et avec notre huma-nité. Cela nous permet d’entrer dans une autre société basée sur une éco-nomie sociale pensée, par et pour les personnes»8. L’Architecture est alors le simple cadre propice à un change-ment de paradigme. Ces Centres So-ciaux Autogérés sont les murs protec-teurs du bourgeois du changement.

8 Interview de Gimeco (Quico) réalisé en Novembre 2014, annexe

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L’Architecture se met au service de l’Homme pour lui permettre de ré-tablir un équilibre sociétal et systé-mique.

2.2.2 Collaboration politique : la Tabacalera

Le bâtiment de l’ancienne usine du quartier Embajadores est une propriété du Ministère de la Culture par le biais de la Direction Générale des Beaux Arts (DGBA). L’usine est inscrite au patrimoine historique et est considérée comme un bien d’intérêt culturel. L’usine de tabac de Madrid a été fermé en 2000, juste après sa privatisation et la délocalisation de la production. Abandonnée pendant une dizaine d’années, son état s’est fortement dégradé. Pendant cette décénie, une lutte citoyenne s’est or-ganisée pour transformer l’ancienne industrie de tabac en bâtiment pu-blique. En 2007, le Conseil des Ministres décide de la création du Centre National des Arts Visuels (CNAV) qui résidera à la Tabacalera. Un concours est lancé en 2008 et sept agences sont contactées pour présen-ter une esquisse. En novembre 2009, le ministre de la culture présente le projet choisi, celui de Nieto et Sobe-jano. Le projet coûtera 30 millions d’euros et ne sortira jamais de terre. La DGBA propose un relai pour occu-pation partielle du bâti avec l’associa-tion de quartier. Etant déjà au coeur des débats sur l’avenir de l’usine, l’association à réuni des collectifs,

des habitants du quartier de Lava-piés, des associations voisines pour répondre à la demande du DGBA. Ils se sont ainsi engagés pendant un an à alimenter le C.S.A. la Tabacalera. Ce contrat a été renouvelé jusqu’en 2012 et à été prolongé pour une période de deux ans renouvelables jusqu’à huit ans. Depuis la Tabacalera expé-rimente la démocratie directe des citoyens dans la gestion de ce patri-moine commun. La culture populaire est au centre des liens sociaux. C’est un lieu d’expérimentation artistique, de réflexion critique sur notre temps, où les complexités ethniques, cultu-relles, et les manières d’habiter se confrontent. Gardant toujours leur porte ouverte sur les différentes pro-positions citoyennes il est facile d’or-ganiser des activités. On y trouve un quantité d’animations dont les plus populaires se sont pérénisées coloni-sant ainsi peu à peu la Tabacalera. L’hétérogénéité de ce lieu est remarquable. On peut y croiser à peu près n’importe qui et faire presque tout. Le patrimoine industriel désuet change d’orientation est devient un support formidable pour la vitalité populaire. C’est certainement parce qu’il était obsolète que tout est pos-sible à la Tabacalera. Loin d’une architecture contemporaine stérile, l’usine fait partie de l’identité des Madrilènes et leur permet une appro-priation facile. Jane Jacob l’exprime très bien : «Le temps [...] transforme des espaces utilitaires pour une gé-nération en espaces luxueusement vastes pour la génération suivante,

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Fêtes populaires et ateliers DIY de la Tabacalera

Espace en creux du Campo de Cebada.

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et telle construction tout à fait ba-nale à une époque donnée devien-dra une aberration architecturale très utile à l’époque suivante.»9. Il est nécessaire d’intégrer et de gar-der dans la Ville des espaces tels la Tabacalera. À la fois vétustes mais flexibles, appropriables et démocra-tiques, ces espaces s’intègrent avec force dans le quotidien et traversent le temps. L’Architecture ancrée dans la Culture prend racine et perdure. Malgré la perte d’un sens premier, si les architectes veulent que leurs bâti-ments franchissent les siècles comme la Tabacalera il est primordial qu’ils méditent à la souplesse, l’adaptabi-lité, et la proximité aux usagers que leurs oeuvres entretiendront. Manuel de la Ballina achevant l’usine en 1790 pensait-il que son bâtiment abriterait toujours autant de vitalité populaire en 2014 ? Y-a-t-il plus écologique qu’un bâtiment jouissant d’autant de longévité ?

2.3 Investigation du vide ou l’Espace Public Autogéré

2.3.1 Campo de Cebada à Madrid

Encore une fois Madrid étonne par son incessant fourmille-ment. Après le Patio Maravillas et l’accaparement des friches résiden-tielles puis la Tabacalera et la récu-pération du patrimoine obsolète, les madrilènes se sont attaqués à l’inves-tigation du terrain vague. En 2009, la destruction d’un équipement public a laissé un im-

mense vide de 5500m2 sous le niveau de la rue. Laissé vacant pendant une année, le terrain vague aux allures de chantier de fondation a été investi le temps d’une installation éphémère par un collectif d’artistes. Renouant avec le voisinage, cette dent creuse attendant un nouvel équipement a fait la joie du quartier de la Latina. Suite à cela, un regroupe-ment de voisins, d’associations, d’étu-diants en architecture se sont donnés la main pour former le Campo de Ce-bada. Collectivement ils ont exprimé la volonté d’investir cet espace latent. Suite à de nombreuses réunions l’as-sociation a accouché d’une série de demandes à négocier avec le Conseil Municipal. En Février 2011 un accord est trouvé qui cède provisoirement l’espace à l’association. Rapidement, le terrain vague a été nettoyé, et la municipalité a fourni des équipe-ments de base tel que l’eau, l’électri-cité, et quelques équipements spor-tifs pour le foot ball ou le basket ball. Les workshops ont suivi, appuyés par l’autogestion de l’espace public de son mobilier et de sa décoration. Des potagers dans des bacs ont fait leur apparition et les résidents locaux ont organisé périodiquement des cours de botanique et l’horticulture. Tout le mobilier conçu est déplaçable lais-sant au «Campo» son atout le plus important sa flexibilité. Du Tai-Chi, des courses d’obstacles, un cinéma en plein air, des piscines gonflables ont successivement animé la nouvelle place. Cet espace public autogéré né d’un consensus, est une expé-

9 Ouvrage traduit de l’américain par Parin-Senemaud (Claire), Jacobs (Jane), Déclin et survie des grandes villes américaines, Liège, Architecture + Recherches / Pierre Mardaga, 1991

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Etat premier du Campo de Cebada

Concert en plein air et appropriation du vide par les citoyens

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rience dont il y a beaucoup à tirer. Tout d’abord pour les bureaucrates qui n’ont par réussi à imposer le carcan administratif et normatif à un quartier vivace. Aucun problème n’a été relevé et toutes les tensions internes à la gestion du Campo de Cebada ont été réglé par le biais de l’assemblée et de la démocratie di-recte. L’association a su établir une relation symbiotique avec son admi-nistration et le résultat est époustou-flant. Lorsque la norme devient plus tolérante et flexible tout le monde en sort gagnant. Il y a également une leçon à tirer pour les urbanistes et les archi-tectes qui dessinent la ville et l’espace public : le contenu est parfois plus important que le contenant. Au Cam-po de Cebada, si l’on retire aux gens leurs initiatives, leur appropriation, leurs jardins, etc.., il ne reste qu’un vaste espace bétonné sans intérêt. La qualité de l’espace public est intrin-sèquement liée aux usagers et il est impossible de ne plus les prendre en compte dans la conception de la Ville. C’est le savoir faire et la dynamique collective qui ont fait de ce lieu latent une place où l’urbanité pullule. Il faut aussi prendre en compte la qualité et la poétique de l’éphémère et de l’indé-fini. Le Campo de Cebada a autant de visages qu’il a d’usagers. Il faut faire confiance à l’intelligence collective.

Les architectes et les urba-nistes ne devraient-ils pas descendre de leur piédestal et regarder ce qui se passe dans ce genre de lieux ? Com-ment peuvent-ils encore prétendre

pouvoir dessiner un espace public mieux que celui qui va l’habiter au quotidien ? Nous verrons dans une dernière partie ces architectes qui se penchent sur ces questions. Cer-tains d’entre eux puisent et tirent des enseignements de ces résolutions citoyennes. Alors, le vernaculaire est réinterprété, sa qualité est réinjectée et la poétique est réinsufflée à une architecture étouffée par la Norme. Dans l’entretien avec Rony Chebib le Directeur général de BTP Consul-tant le formule ainsi : «Je pense qu’il suffirait d’énoncer les performances importantes à atteindre [...] et de laisser les concepteurs trouver les solutions techniques permettant d’atteindre ces performances. Sinon, cela tue l’imagination et la réflexion de tous les acteurs.»10

Les Espagnols malgré le coup asséné par la crise multiforme, ont su rebondir grâce à différentes interventions sur ce patrimoine des délaissés. L’autogestion, la flexibilité, l’adaptabilité, l’appropriation sont les maîtres-mots de ces ingénieux survi-vants. Mon ami Quico résume bien la mentalité (d’une partie) des espa-gnols: les objectifs ont été atteint par les différents collectifs, en éliminant de leurs processus des termes comme «rentabilité», «bénéfice», «com-pétitivité», et en incluant d’autres comme «durabilité», «proximité», ou encore comme «solidarité».

10 Matière grise, Encore Heureux, édition du Pavillon de l’Arsenal, Paris, 2014

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3. L’ARCHITECTE ET LES DÉLAISSÉS

3.1 L’architecte et l’inachevé 3.1.1 Elemental, penser l’inachevé.

3.2 L’architecte et l’obsolescence 3.2.1 Wang Shu, disséquer l’obsolète. 3.2.2 Patrick Bouchain, le processus de revitalisation. 3.2.3 FNP Architecten & Haworth Tompkin, les vanités contemporaines. 3.3 L’architecte et la latence 3.3.1 Collectif Esto no es un solar, la latence outil de réinsertion sociale.

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Maisons jumelés lors de la livraison du projet

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Lorsque les architectes s’em-parent de ce vocabulaire et de cette typologie ce sont de nouvelles pra-tiques qui émergent. Plus proches des usagers et de la matière, de nom-breuses qualités se dégagent de cette synergie naissante. A la manière des architectes modernes tel le Corbusier et son voyage d’orient, les architectes contemporains tirent des leçons du vernaculaire actuel. Sources d’inno-vation et de réflexion, elles mettent à jour l’expression sans filtre, sans intermédiaire, du besoin primaire d’Habité. Grâce à l’étude de plusieurs projets nous verrons quels liens se sont tissés entre ces actions sponta-nées des citadins espagnols et l’ima-ginaire des architectes.

3.1 L’architecte et l’inachevé

3.1.1 Elemental ou penser l’inachevé.

Alejandro Aravena est le fon-dateur de la jeune agence chilienne Elemental. Un des récents travail lar-gement médiatisé est le plan d’urba-nisme conçu après le tsunami et le séisme qui ont quasiment détruit la ville de Constitución. Dans l’urgence, une réponse a été donné afin de ré-soudre la précarité de la situation. Le gouvernement chilien a saisi la pos-sibilité de transformer les ravages causés à la ville en améliorant les infrastructures et les services. Le plan d’urbanisme comprend un centre ci-vique avec une nouvelle bibliothèque, un théâtre, un stade et de nouveaux

espaces publics sont sortis de terre. Les logements concentrerons nos réflexions. Alejandro Aravena reven-dique son architecture proche des gens en les incluant dans son proces-sus de conception. Pour lui l’architec-ture participative n’est pas de faire valider aux usagers les réponses que les architectes offrent mais de com-mencer par se poser la bonne ques-tion. La proposition de Elemental comporte un module de maisons ju-melées «à moitié terminées». L’ina-chevé est affirmé dans la forme même du projet. Alejandro Araven résume son projet ainsi : «le bâtiment ini-tial doit constituer un cadre pour accueillir l’autoconstruction sans la contraindre.»11 L’analyse du projet de la maison jumelée nous permet d’avancer plusieurs qualités pro-duites par cet «inachevé».

Tout d’abord, on imagine assez facilement que cela a permis de réduire les coûts de construction. Construire une moitié de maison, c’est payer deux fois moins. Dans l’atmosphère d’urgence post-catas-trophe on comprend tout à fait la pos-sibilité de penser ce chantier habité. De plus ce procédé a fait gagner du temps lors du montage des maisons, autorisant le reloge-ment plus rapide des 482 familles. Les maisons sont en ossature bois. Il existe seulement deux modules un peu différents. Une fois la première construite, les ouvriers gagnent en efficacité pour construire la deuxième et ainsi de suite. Penser l’inachevé

11 Interview de Alejandro Aravena, Matière grise, Encore Heureux, édition du Pavillon de l’Arsenal, Paris, 2014

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Visite et explication du projet par l’équipe d’Elemental

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c’est aussi admettre que l’usager est acteur de son habitat. Cela offre une meilleure appropriation et une flexi-bilité propre à chaque propriétaire. Les familles font évoluer leur loge-ment en fonction de la vie et inventent leur mode d’Habité. La structure en alternance plein/vide concédée par l’architecte laisse champ libre aux usagers pour collaborer individuel-lement à la création de leur nouvelle ville. En se projetant dans une di-zaine d’années, on peut aisément sup-poser que ce procédé aura créé une diversité dans le continuum urbain. Le rythme créé par la succession du plein architecturé avec le plein ver-naculaire élaborera une continuité de façades savantes et variées. Ce dispo-sitif architectural valorise l’usager et le responsabilise. Il est aussi un puis-sant stimulateur d’identité. Partant d’un module type pour tous, il donne l’occasion à chacun de se démarquer et de personnaliser son logement jusqu’à la façade. Elemental n’en est pas à son coup d’essai puisque c’est son qua-trième ou cinquième projet de ce genre. Particulièrement adapté aux situations d’urgence, il montre que penser «l’inachevé» peut accoucher d’une vraie synergie architecte/habi-tant. Le parallèle avec l’immeuble de Bodi à Barcelone ne se trouve pas tant dans la forme du bâtiment ou dans un assemblage mais dans le rapport que l’architecture instaure avec l’habitant. Quand l’architecture inachevée se transforme en oppor-tunité pour l’Habité, les possibili-

tés de modifier son espace se trouve illimité. Elemental fait confiance aux habitants en leur laissant un pouvoir d’intervention directe et légal sur la Ville. Contrairement aux actions des madrilènes, dont une majeur partie se trouve en rupture avec le système administratif et politique, la propo-sition de Alejandro Aravena passe outre cette difficulté. Il court-circuite la norme et la bureaucratie et encou-rage les habitants à faire leur ville. On peut supposer que l’urgence de la si-tuation l’a aidé à faire avaler la pilule aux administrateurs. A. Aravena endosse une nou-velle casquette pour l’architecte, celle de catalyseur de la diversité.

3.2 L’architecte et l’obsolescence

3.2.1 Wang Shu, disséquer l’obsolète.

Wang Shun dirige l’agence Architecture Amateur Studio, primé (un peu à son insu) en 2013 du Pritz-ker Prize. Cet architecte cherche à faire la couture entre l’architecture traditionnelle chinoise et la brutalité de la modernité. L’étude de cas sur laquelle nous nous pencherons se situe aux alentour des villages d’une vallée où tout a été rasé pour laisser place à deux nouveaux bâtiments de l’admi-nistration chinoise. De villages, il ne restait que des gravas, des tuiles cas-sées et des briques. Ningbo est une métropole proche de la péninsule de Shanghaï. Elle profite de l’hégémonie

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de la croissance économique géné-rée par l’activité de cette dernière. Le musée et les bâtiments administratifs de Wang Shu s’insèrent dans un parc au sud de la ville où se trouvaient d’anciens petits villages. La croissance chinoise est fulgurante, et les villes sont dans une phase d’extension foudroyante et souvent précipitée: «notre base de travail, c’est ça, c’est la ruine. Vous n’avez même pas le temps de réflé-chir que le site est déjà démoli à une vitesse fulgurante»12. L’Économie rend et la Finance rendent obsolète tout un pan de la culture chinoise. Aujourd’hui, l’architecture en Chine fait face à un dilemme. Coincées de-vant le syndrome de Bilbao la plupart des villes cherche à s’inscrire sur la carte des métropoles à la mode. De plus, une grande partie de la pro-duction architecturale vise à se rap-procher d’un style à l’occidentale ou à la japonaise pour s’adapter à la demande du nouveau riche chinois. L’approche chinoise de l’architecture traditionnelle ne peut plus faire face au rythme des changements imposé par une croissance exponentielle. Pour Wang Shu, il y a une parenté avec la montagne chinoise, et les grottes. La façade représente la montagne où les percements sont les grottes méditatives des moines bouddhistes d’un ancien temps. Le processus de construction l’appa-rente à la construction des couches géologiques dont la nature seule a le secret. Le carcan institutionnel et ad-ministratif s’est retourné contre lui. Au lieu de produire une architecture

totalement contrôlée Wang Shu a su laisser une part de création à ses ou-vriers. La modénature des parois ex-térieures ne correspondent donc pas au dessin initial. Elle est le fruit du hasard et de la complicité de l’ouvrier avec l’architecte. Il y avait plus de 20 types de gravas, de tuiles et de pierres différentes à mettre en oeuvre. Cette construction s’apparente à une suc-cession archéologique de strates géo-logiques sédimentaires. Avec l’aide de l’aléatoire Wang Shu a produit un mur qui noue une tension mimétique avec son sous-sol mais puise sa maté-rialité dans le réemploie des déchets issus de la destruction des anciens villages voisins. Dans sa conférence inau-gurale de l’école de Chaillot il s’ex-prime sur ce phénomène: «Quand je regarde, je ne vois pas des ruines. C’est dommage que ce soit dans cet état mais l’on peut y découvrir de l’intérêt. Là par exemple [...] c’est cet état de délabrement qui vous révèle une vrai image de son passé»12 Il retourne la situation avec positivisme et saisit à sa convenance l’essence des traditions constructivistes. Le déchet, l’obsolète et les bâtiments désuets forment pour lui une source d’infor-mations presque archéologique et lui autorise un regard instructif sur le passé. Whang Shu résume ici assez bien sa philosophie face à la ruine: «Nous déplaçons notre classe au milieu de ces débris. Et on apprend énormément de choses. C’est comme dans un hôpital, vous devant un patient, il est en train d’être opéré et c’est à ce moment là que la leçon

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Restaurant du Lieu Unique à Nantes. L’espace laisse apparaître son passé et accueille les nouveaux usages

Bar du Lieu Unique à Nantes. Les expérimentations de Bouchain prennent place avec élégance dans l’ancien

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devient intéressante»12. En réalité il n’est pas seulement nostalgique d’un patrimoine traditionnel fauché par la vitesse de l’économie chinoise, mais aussi, du temps où l’architecte pou-vait prendre le temps de penser. Aujourd’hui, à la manière de Léonard de Vinci et des premiers mé-decins qui auscultaient les cadavres pour révéler les mécanismes du corps humain; Wang Shu examine l’oeuvre du temps absous et devient archéo-logue et anthropologue. Il est dans la lignée des architectes Piranésiens car il aurait pu exprimer lui même cette adage de Piranèse: «La ruine permet de prendre la mesure des stratifica-tions et des méthodes d’appareillages qui présidaient à l’édification»13.

3.2.2 Patrick Bouchain, le processus de revitalisation.

Patrick Bouchain est un ar-chitecte qui travail avec l’Histoire, il a pour leitmotiv de ne faire prati-quement que de la réhabilitation. Il a toujours comme base de travail un existant social, un existant culturel qu’il soit physique ou immatériel qui permet de continuer le maillon de la vie. Il est fermement opposer aux ar-chitectes de la «table rase» et met en exergue les savoirs de la construction dans ses expérimentations. Il se rat-tache à la «tradition» pour construire l’avenir. Lorsqu’il travaille avec l’exis-tant, il intervient quasiment toujours avec de faibles moyens pour revitali-ser des bâtiments ou des friches à la

dérive. Il s’attache aux bâtiments les plus plus simple, loin des grandes institutions ou du pouvoir qui font vivre l’Histoire. Il déplore la politique du monument français et son ineffi-cacité à transmettre le passé aux nou-velles générations car ils ne sont pas représentatifs de la vie quotidienne des gens. Ce sont les bâtiments agri-coles, les industries ou les petits équi-pements de quartier qui faisaient la ville. Nos monuments, nos opéras grandioses, nos mairies renaissantes, et tout le Patrimoine qui traverse les siècles est toujours présent que parce qu’il y avait ces bâtiments «banals» à encadrer. Dans des projets comme le Lieu Unique à Nantes en 1999, la Condition publique à Roubaix, c’est l’éphémère et la dimension tem-porelle qui sont la clef de voûte des projets. Cet état lui permet d’accéder à une architecture expérimentale et lui concède l’erreur, la recherche et le retour arrière. Chaque projet est une nouvelle expérience avec les savoir-faire locaux, les ressources voisines et la culture du lieu. Il est le chef d’orchestre d’une grande troupe de la construction. Ce qui l’intéresse dans ces installations de réhabilitation c’est d’échapper à la règle normale, à la règle classique qui confère à l‘ar-chitecture cette abstraction de la sté-rilisation bureaucratique. Il retourne la réglementation contre elle grâce à l’argument temporel : ses projets sont soit disant «éphémère». Pour-tant le Lieu Unique a maintenant 16 ans derrière lui. Grâce à cet argument de l’éphémère, le théâtre Zingaro da-

12 Conférence Inaugurale de l’école de Chaillot tenu par Wang Shu, http://webtv.citechaillot.fr/video/lecon-inaugurale-wang-shu-francais, Paris, 2012.13 Augé (Marc), Le Temps en ruines, Paris, Galilée, 2003.

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tant de 1989, est sorti de terre malgré la classification inconstructible du terrain. Il renverse le schéma habi-tuel de l’architecte qui construit pour l’éternité et insiste sur le fait que l’acte de construire est transitoire. Il s’oppose à l’institutionnali-sation de l’architecture et, en cela, son travail est apparentable aux actions urbaines spontanées des espagnols. C’est grâce à une conjonction entre le commanditaire, l’histoire, l’expéri-mentation, et les usagers qu’il arrive a donner des réponses aussi fortes et franches. En revitalisant les friches il cherche a redonner le sens aux lieux tout en les rendant contemporains. Il ne se voit que comme le chef d’or-chestre des constructeurs. Ainsi il rend l’architecte non figé et autorise le bâtiment à encore évoluer dans l’avenir.

3.2.3 FNP Architecten & Haworth Tompkin, les vanités contempo-raines.

FNP Architecten & Haworth Tompkin partageront une même étude de cas pour la similarité de leur travail. Le pavillon de FNP Archi-tecten (ci-contre) s’insère dans une ancienne porcherie datant de 1780. La batisse laisse sa carcasse mal-en-point pour l’expérimentation des architectes allemands. Partiellement détruite pendant la Seconde Guerre mondiale, la petite porcherie a été laissé à l’abandon jusqu’en 2008. Le Dovecote studio est un ancien

pigeonnier datant de l’époque Victo-rienne. Nous avons affaire ici à l’his-toire banale de deux bâtiment ruinés, ils font parti du paysage quotidien commun. L’ancienne porcherie en Allemagne, dans la région de Rhein-land-Pfalz. Pour ce qui est du Dove-cote studio, il est situé sur la côté ouest de l’Angleterre dans le village de Snape. Lorsqu’on étudie le travail de FNP Architekten on observe que c’est leur seul travail engagé avec la ruine. Le cas de Haworth Tompkin est un peu différent car son instal-lation vient clore un dispositif d’un ensemble plus grand et complet de réhabilitation d’une ancienne friche industrielle. Il s’est également inté-ressé plus récemment à d’autres pro-grammes s’intégrant à l’intérieur de bâtiment proche de la ruine. Il s’in-terroge assez régulièrement sur les enjeux urbains des ruines, et du bâti ancien. Les deux architectes jouent avec une double peau: l’une ancienne qui borde et limite, l’autre à l’écriture légère qui questionne la proximité avec la première. Une tension s’ins-taure entre les deux. Cet espace exté-rieur, interprétable comme un joint creux entre le dedans et le dehors n’est pas habité mais fait partie d’un seuil créant une rupture. Le Unser S(ch)austall joue davantage avec les vides et l’alcôve. À l’arrière de la por-cherie un deuxième seuil plus franc installe un vrai entre-deux. Les percements des greffes et le joint creux entre l’ancien et le nouveau vont de paire pour lais-ser la Nature et le temps continuer

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Dovecote Studio lors de sa livraison

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leur oeuvre sur la première peau. La porcherie comme le pigeonnier ont seulement été stabilisés pour éviter un écroulement soudain. Mais cette peau est toujours dans une phase de lente digestion. Ces bâtiments sont engagés dans un processus de retour au sol. Les installations mini-malistes maintiennent cette dégéné-rescence. Je dirais même qu’elles en profitent pour s’élever un peu plus, pour se magnifier davantage. Plus particulièrement pour le Dovecote studio (ci-contre) qui utilise la ruine comme soubasement pour projeter une forme architectonique puissante qui le surélève. Il n’y pas de rapport d’égalité entre la Nature et la Culture, ici c’est l’Homme qui veut maîtriser l’obsolescence et le temps. Il y a une sorte d’orgueil d’architecte dans le Dovecote. Le Unser S(ch)austall se veut plus modeste et par sa greffe, vient protéger l’ancien en lui offrant un nouveau toit. Il y a plus de respect et de courtoisie dans cette bâtisse. Les deux greffes entre-tiennent des rapports différents avec leur ruine respective. L’un le protège, l’autre en abuse. Pourtant ces deux conceptions se rapprochent par le lâ-cher-prise caractérisé par une nature végétale qui continue de dévorer la peau de la ruine. On observe ici deux pensées nuancées dans l’usage de l’obsolète. L’une assume l’utilisation poétique pour sublimer une architec-ture pure et contemporaine; l’autre est dans une forme de biomimétisme du bernard-l’hermite se cachant à l’intérieur mais n’assume pas com-plètement le romantisme de la ruine.

Il n’y a pas de porté sociale, l’accent est d’avantage mis sur le culturel. Aucune des deux agences ne joue la carte de la restauration, ni même de la réhabilitation. C’est la poétique du «temps pure»14 d’une autre époque qui s’opère au travers de ces projets. Ces architectes sont nostalgiques d’une ère où la société produisait des «ruines lentes»15. Ils s’insèrent dans l’ultime cycle du temps. Les bâtis avec lesquels ils travaillent sont l’oeuvre du temps qui passe, non issus de la violence d’un événement tierce.

3.3 L’architecte et la latence

3.3.1 Collectif Esto no es un solar, la latence comme outil de réinsertion sociale.

Esto no es un solar, traduisez par «Ceci n’est pas une dent creuse», est une stratégie de régénération urbaine pour renouveler des espaces dégradés et en désuétude dans de nouveaux espaces publics à travers des processus de participation cita-dine. Ce programme d’interven-tions est né dans le cadre d’un plan d’emploi et d’une commission de ges-tion de la part du Conseil municipal à Saragosse. Le montant du plan d’em-ploi en 2009 s’élevait à 1 000 000 euros répartis en 700.000 euros pour engager du personnel et 300.000 pour le projet. Grâce à ce plan d’em-ploi il a été possible de faire travailler entre 2009 et 2010, 105 personnes choisies selon des critères comme le

14 Augé (Marc), Le Temps en ruines, Paris, Galilée, 2003.15 Leblanc (Antoine), La conservation des ruines traumatiques, un marqueur ambigu de l’histoire urbaine,L’espace géographique, Dunkerque, 2010.

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Jardins partagés de la dent creuse n°3 dans le quartier de la Magdalena à Saragosse

Terrain de basket temporaire et les associations sportive de quartier

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temps passé au chômage, le taux de chômage dans la famille, l’expérience professionnelle, la motivation, la for-mation et les savoir-faire afin de va-loriser la réinsertions des personnes les plus démunies. Le programme a été dirigée et porté par l’architecte Patrizia Di Monte. Elle commente: «c’est la première fois que se pose un programme de ce type au niveau na-tional. Son objectif sera expérimen-tal et aura une portée importante de recherche de sociologie urbaine en impliquant directement toutes les associations vicinales présentes dans les environnements de chaque dent creuse. Le nom même que nous avons donné au projet indique une volonté de changer l’identité de ces espaces au-delà de la réalité».

Le programme prévoit la réalisation de différentes tâches. Tout d’abord une mise en confor-mité des parcelles est effectuée. Dans un premier temps il faut trouver des propriétaires d’accord pour céder temporairement leur terrain à l’expé-rimentation. Puis les dents creuses sont nettoyées et sécurisées. L’objec-tif est de passer du «Ceci est une dent creuse» à «ceci n’est pas une dent creuse». L’équipe pluridisciplinaire qui accompagne Patrizia Di Monte est composé de 2 dessinateurs-archi-tectes, des employés et des ouvriers de la construction ainsi que les asso-ciations citadines propres à chaque dent creuse. Ils forment une cellule de recherche qui s’occupe d’attacher un programme en fonction des besoins

de chaque site. Patrizia di Monte, afin d’enrichir sa proposition, cherche un amarrage socioculturelle et s’appuie sur les associations de quartier. Le projet est déjà approprié avant qu’il soit terminé. Elle n’est qu’un soutien à la culture populaire et tient le rôle de médiateur avec la technocratie. Sur plus de 32 000 m² l’ex-périence engendre de nouveaux es-paces verts, aires de jeux et sportives. Le coût moyen de ces espaces publics est d’environ 20 euros par m². Esto no es un solar s’est étendu à 14 dents creuses, dans les 13 quartiers de Sara-gosse. La latence urbaine devient un révélateur d’usage en dormance et a permis à une ville subissant un taux de chômage de près de 25% de faire travailler 100 personnes. La dimen-sion participative du projet et son faible coût du projet ont autorisé une plus grande attention sociale, socié-tale et urbaine. On peut imaginer qu’une partie des installations que l’on trouve à Saragosse auraient pu être auto-produite par les habitants eux mêmes. Le rapprochement avec la spontanéité du Campo de Cebada s’arrête là. Ces deux projets ont les mêmes vertus communautaires car l’intervention financière de la muni-cipalité a permis de réinsérer dans le monde du travail 105 citadins aupa-ravant dans des conditions précaires. L’architecte, ici, porte une nouvelle casquette de philanthrope et de médiateur.

16 Di Monte (Patrizia), https://estonoesunsolar.wordpress.com/, Saragosse, 2009.

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CONCLUSION Synthèse Ouverture

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Construction

phase chantier phase de dégénérescence

phase projectuelle

Cycle de Vie du bâti

Destruction

Consommation

Obsolescence, ruine, abandon

Dent Creuse,latence urbaine

Inachevé,gaspillage

Ruine Contemporaine

Réin

terp

réte

r

Recy

cler

Réparer

Démanteler

DéconstruireDétruire

Réutiliser

Dét

ourn

er

Compléte

r

Réinventer

Juxtaposer

Revitaliser

Bricoler

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La Ville telle que nous la connaissons aujourd’hui laisse de nombreux espaces interrompus dans leur développement. Ces ruptures dans le cycle de vie de bâti forment une typologie à part entière et par-tagent des caractéristiques similaires. Suspendues dans le temps, ces ruines contemporaines issues de l’inadver-tance de la constitution urbaine, sup-portent plusieurs paradoxes. Le pre-mier tient dans la tension produite entre la Nature et la Culture. Roland Mortier l’exprime ainsi : «Le charme de la ruine consiste dans le fait qu’elle présente une oeuvre humaine tout en produisant l’impression d’être une force de la nature.»17. Ces erreurs sont des franges où s’exerce l’oeuvre du temps après la désertion de l’Homme.

Les chantiers inachevés, les bâtiments abandonnés et les dents creuses sont légions dans la pénin-sule ibérique. La perversion de notre époque pousse, pour des raisons poli-tiques, économiques, culturelles, ou sociales à investir ces ruines contem-poraines. En Espagne de nombreux exemples dévoilent l’étendu des po-tentialités de ces espaces à la marge. Recelant de nombreuses qualités, un nouveau vernaculaire s’exprime au travers des ruines contemporaines. Elles soutiennent et font vivre la culture populaire espagnole, le lien social, la création artistique, et voient naître de nouvelles politiques locales. L’autogestion de ces lieux met en exergue les qualités et l’habileté des espagnols.

Au travers d’espaces autre-fois victimes de la spéculation, de l’in-dividualisme, de la surconsommation et de l’ultra libéralisme, ils expéri-mentent un nouveau vivre-ensemble dont certains architectes savent tirer profit. En réinventant et réinterpré-tant ce vernaculaire, les architectes font évoluer leur pratique. Devenant poètes, philanthropes, anthropo-logues, médiateurs politique, cata-lyseurs de diversité, ils s’installent à nouveau au coeur des pratiques constructives. L’humanisme est au centre de leur réflexion. Ils ouvrent de manière exemplaire la voie aux jeunes pour une architecture plus proche des gens, culturelle, locale, réemployée, hors-norme et durable. C’est à la marge de notre société actuelle que naissent des pro-jets non-conformistes portant des valeurs comme la fraternité, la soli-darité, ou l’égalité. Fermement enra-cinée dans une culture, une histoire chaque réponse est unique, propre à une époque et une géographie. Il n’y a pas un modèle reproductible et les re-cettes n’existent pas. Ces architectes tolèrent de bousculer leur mécanique professionnelle grâce à leur faculté de remise en cause, d’adaptation et de synthèse. À contre courant de la production actuelle, ils exposent au monde qu’il est possible de sortir de l’entrave de la crise multiforme, et qu’elle peut être, si l’on sait regarder autrement, génératrice de grandes innovations projectuelles.

16 Mortier (Roland), La poétique des ruines en France, ses origines, ses variations, de la Renaissance à Victor Hugo, Librairie Droz, Genève, 1974

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CONFÉRENCES- Wang (Shu), Leçon inaugurale de l’Ecole de Chaillot, Le 22 Mai 2012, [page consultée le 12 Mars 2014], disponible sur internet : http://we-btv.citechaillot.fr/video/lecon-inau-gurale-wang-shu-francais. html

EXPOSITIONS- Cité de l’Architecture & du Patri-moine, exposition La ville fertile, Paris, 2011.

DOCUMENTAIRESAgneskrichner (Alice), Ruines modernes, Detroit : espoir pour une ville, 45 minutes, Gebrueder Beetz filmproduktion, 2011- Tillon (Florent), Détroit Ville Sau-vage, Ego Productions, 80 minutes, 29 Avril 2011.

PODCAST RADIOPHONIQUE -Pas la peine de crier», émission de Marie Richeux, Podcast «la faillite» 2/5 : Detroit, Michigan : la ville en faillite, 17 Septembre 2013

WEBBIBLIOGRAPHIE- Baunman (Kévin), 100 abandonedhouses, Juin 2012, [page consul-tée le 17 Novembre 2013], dis-ponible sur internet : http://www.100abandonedhouses.com/- Di Monte (Patrizia) , [page consul-

tée le 13 Janvier 2014] disponible sur internet : https://estonoesunsolar.wordpress.com/- Fernández Pascual (Daniel), page consultée le 13 Septembre 2014] disponible sur internet : http://www.deconcrete.org/2011/03/16/a-road-trip-through-madrids-bubble-challenge/- Gigon (Louise), Les ruines de Detroit: terreau fertile pour la créati-vité, Juillet 2013, [page consultée le 26 Novembre 2013], disponible sur internet : http://www.influencia.net/fr/actualites1/out-the-box,ruines-detroit-terreaufertile-pour-creati-vite,123,3628.html- Griffioen (James), the disappearing city, [page consultée le 17 Novembre 2013] disponible sur internet : http://www.jamesgriffioen.net/- Hladik (Murielle) Habiter le temps, ou la poétique des ruines, Mars 2010, [page consultée le 13 Décembre 2013], dispo-nible sur internet : http://www.kwansei.ac.jp/s_sociology/atta-ched/6899_57183_ref.pdf

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ANNEXES Dossier iconographique Interview originale & traduite de Quico Gimeco Interview originale & traduite de Bodi

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Dossier iconographique

- Pages 18 & 20 : photos de Galán García (Luis) & Fernández Pas-cual (Daniel), disponible sur internet : http://www.deconcrete.org/2011/03/16/a-road-trip-through-madrids-bubble-challenge/, Madrid, 2010

- Pages 22 & 24 : photos et images d’archives tirées de Meffre et Mar-chand (Jonathan et Yves), Gunka-jima, Steidl, Göttingen, 2013

- Pages 26 & 28 : photo de Baun-man (Kévin), 100 abandoned houses, Juin 2012, [page consul-tée le 17 Novembre 2013], dis-ponible sur internet : http://www.100abandonedhouses.com/

- Page 30 : photomontage person-nel, série de dents creuses, Madrid, Février 2012,

- Page 32 : photos issues de Google Street View, Madrid, 2009 et 2014

- Page 36 : Photo satellite de Google Earth, Okupa y Resiste, Barcelona, 2014,

- Page 38 : Photo du blog Mémoire en Béton, disponible sur internet : http://memoireenbeton.wordpress.com/, Novembre 2013,

- Page 40 : série de Sanabria (Gus-tavo), Heridas Abiertas, 22 sep-tembre 2010, disponible sur internet : https://www.flickr.com/photos/sanabria-/

- Page 42 : photos de Bocho, dispo-nible sur internet : http://fotofork.patiomaravillas.net/main.php

- Page 44 : plans de la Tabacalera, disponible sur internet : http://lata-bacalera.net/c-s-a-la-tabacalera-de-lavapies/planos-de-tabacalera/

- Page 46 : photos panoramiques personnelles de la Tabacalera, Ma-drid, 2012 Ainsi qu’une photo satellite de Google Earth, Campo de Cebada, Madrid, 2014

- Page 48 : croquis et photos du Campo de Cebada, issue du face-book de l’association disponible sur internet : https://www.facebook.com/pages/El-campo-de-Ceba-da/180735625274126, 2014

- Page 52 & 54 : photo de Villaverde, Constitución, tiré du site internet de Elemental disponible sur internet : http://www.elementalchile.cl/

- Page 54 & 56 : Photo de Iwan Baan pour Wang Shu, disponible sur inter-net : http://www.iwan.com/, 2009,

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- Page 58 : photo du Lieu Unique directement issues de leur site inter-net : http://www.lelieuunique.com/site/presentation/le-lieu-de-vie/

-Page 60 : photo de la façade du S(ch)austall disponible sur internet : http://fnp-architekten.de/projekte/swe/pro01.html

- Page 62 : photo, plan et coupe du Dovecot Studio disponible sur inter-net : http://www.haworthtompkins.com/built/proj04/index.html

- Page 64 : photo des installations du collectif Esto no es un solar dispo-nible sur internet : https://estonoe-sunsolar.wordpress.com/

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1) Puedes hablarme del movimiento de las casas ocupadas ? Porqué hay tantas ? La Constitución Española de 1978 establece en sus artículos 33 y 47 lo siguiente:

Artículo 33 1. Se reconoce el derecho a la propiedad pri-vada y a la herencia.2. La función social de estos derechos delimi-tará su contenido, de acuerdo con las leyes.3. Nadie podrá ser privado de sus bienes y derechos sino por causa justificada de utilidad pública o interés social, mediante la correspon-diente indemnización y de conformidad con lo dispuesto por las leyes. Artículo 47 Todos los españoles tienen derecho a disfrutar de una vivienda digna y adecuada. Los poderes públicos promoverán las condi-ciones necesarias y establecerán las normas pertinentes para hacer efectivo este derecho, regulando la utilización del suelo de acuerdo con el interés general para impedir la especu-lación. La comunidad participará en las plusvalías que genere la acción urbanística de los entes públicos. En el Estado Español, y más concre-tamente en Madrid y Zaragoza (que son las ciudades en las que he vivido y conozco la Oku-pación), podemos encontrar dos tipos: * El primero son los Centros Sociales Okupados (C.S.O.) o Centro Sociales Autoges-tionado (C.S.A.). Esta suele ser una Okupación de mayor connotación política, en la que un grupo de personas decide okupar/liberar un espacio que se encuentra abandonado para darle un uso colectivo y social. Se trata de es-pacios autogestionados en los que una asam-blea compuesta por personas de distinta índole deciden la forma de organizarse y de organizar el centro, las actividades que se realizan, los servicios que se ofrecen, etc. En la ciudad donde yo vivo, Zara-goza, un ejemplo es el C.S.O. Kike Mur, (cono-cido en la calle como “La Okupa”). En nuestra ciudad siempre ha habido algún C.S.O. o C.S.A. abierto y funcionando, a pesar de que la Admi-nistración se empeñe en desalojarlos y crimi-nalizar a sus promotores. El C.S.O. Kike Mur se encuentra ubi-cado en la antigua cárcel del obrero barrio de Torrero, en lo alto de la ciudad. La cárcel, edi-ficio de dominio público, cerró en los años 90 y desde entonces el edificio estuvo abandonado.

El ayuntamiento prometió abrir un centro cívico para ofrecer servicios a los vecinos del barrio pero, como es habitual no llevó a cabo ningún proyecto y el espacio continuó aban-donado hasta que la asamblea de “La Okupa” decidió entrar en el edificio y liberarlo, hace ya más de tres años. Desde entonces el Kike Mur ofrece desde clases de costura, idiomas, artes marciales, comidas populares, ciclos de música y cine, festivales y conciertos, hasta una tienda gratis, un taller de bicicletas, y muchas otras cosas. Hace un año se creó en el C.S.O. Kike Mur una Oficina de Viviendas para Oku-par (Oficina V.P.O.), que ofrece asesoramiento técnico y jurídico a todas aquellas personas que tienen interés o necesitan okupar. Todas las semanas acuden varias personas, familias, madres y padres, incluso ancianos que nece-sitan un lugar donde poder vivir con dignidad y que su baja economía no se lo permite (nor-malmente se trata de gente que se sitúa por debajo del umbral de la pobreza). También acuden jóvenes y no tan jovenes que quieren llevar a cabo una Okupación más política y que se plantean entrar a vivir en una casa pro-piedad de un gran banco, o entrar en un local propiedad de una empresa constructora que ha quebrado, para iniciar allí un C.S.O. * El segundo tipo de Okupación es para uso de vivienda. Es el caso de una persona que entra en una casa abandonada o en com-pleto desuso (mayoritariamente) y lo okupa para establecer allí su vivienda habitual. Tam-bién se dan los casos de personas activistas que okupan casas propiedad de los bancos o grandes empresas inmobiliarias, como medio de lucha contra su sistema capitalista y espe-culativo. Continuando con mi ciudad, Zarago-za tiene 700.000 habitantes y en ella hay unas 75.000 casas sin habitar. En el año 2013 se pro-dujeron 600 desahucios de personas que echa-ron de sus casas a la calle por haber dejado de pagar sus préstamos hipotecarios o alquileres a los bancos (no contamos a los particulares). En su mayoría fueron personas con una muy baja economía, y que no fueron protegidas por la Administración del Estado Español. No creo que haga falta explicar porque la gente se ve en la necesidad de okupar una casa abandonada, en desuso, o propiedad de un gran banco. Así grosso modo, la Okupación es algo muy heterogéneo, está lleno de posibili-dades, y está muy presente en nuestra socie-

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dad. Ayer mismo en el C.S.O. Kike Mur se hizo un taller técnico sobre instalaciones eléctricas y cerraduras! 2) Porqué (según tu opinion) son distin-tas de lo qué conocemos en Francia ? Hace años tuve la suerte de vivir una temporada en Niza, pero no conocí la Okupa-ción que se practicaba allí, ni tampoco en las otras ciudades en las que estuve de visita, por lo que no conozco realmente como es la Oku-pación en Francia. Ya tengo algo pendiente en mi lista de cosas por hacer!

3) Qué relaciones tienen con la Ley de España ? Con el poder politico ? La Okupación de inmuebles en el Estado Español no es algo que haya surgido en los últimos años. Se viene haciendo desde siempre, ya que siempre ha habido una parte de la población, por pequeña que fuere, que no ha tenido recursos suficientes para comprar o alquilar una casa, y la Administración del Esta-do tampoco se ha encargado de proporcionár-sela. De este modo siempre ha habido gente que ha okupado por necesidad. La legislación del Estado Español está pensada para proteger la propiedad pri-vada por encima de otros derechos fundamen-tales. No es más que la transcripción al papel del triunfo del liberalismo en los procesos constituyentes del siglo XIX y XX, tanto aquí como en Francia, como en Sebastopol! El Código de Derecho Civil Español (del año 1889) ya preveía la okupación, no solo protegiendo al propietario, sino también al okupante, que podía llegar a ser el propietario de la casa si pasaba mucho tiempo habitando en ella. Pero todo cambió en el año 1995 cuando se reformó el Código Penal Español y se introdujo como delito la acción de ocu-par una casa/inmueble de otra persona sin su consentimiento, aunque fuera sin utilizar violencia (rompiendo la puerta por ejemplo) o intimidación (es decir, la acción menos grave, penalmente hablando, de todos los tipos de okupación). Hasta entonces no era delito, pero a partir de ese año se criminalizó la okupación, tanto si era por “supervivencia”, como si era un acto de reivindicación política contra el siste-ma establecido. De este modo, mientras la Ad-ministración del Estado se olvidaba de miles y miles de familias sin hogar, que en ocasiones se veían en la extrema necesidad de entrar a

vivir en una casa abandonada, al mismo tiem-po protegía todavía más la propiedad privada anteponiéndola a muchos otros intereses gene-rales. En la actualidad si okupas en el Es-tado Español para establecer un C.S.O. en tu barrio, o para vivir en una casa abandonada, y el propietario del inmueble te denuncia, po-drías terminar siendo condenado por un “deli-to de usurpación de inmueble” y condenado a una pena multa de unos 6 meses (en este delito las penas no son privativas de libertad, no son para mandarte a la cárcel). El problema es que en muchos casos la Policía, siguiendo órdenes de sus superiores, además de por el delito de okupar, te acusa de otros delitos como el de robo (cuando en la mayoría de los casos quien entra a Okupar no lo hace para robar nada ya que eso produce unas consecuencias más graves) o el delito de atentado a la autoridad (porque los okupas se resisten al desalojo del edificio), que sin son castigados con privación de libertad. De este modo, por el simple hecho de intentar vivir con dignidad en una casa que nadie utiliza, o de ofrecer a tus vecinos un espacio público en el que puedan desarrollar sus proyectos, te acabas viendo inmerso en un procedimiento judicial que puede terminar in-cluso en la cárcel. Así se defiende el sistema en el que vivimos de la gente que, en contra de la más estricta propiedad privada, decide saltarse sus normas para vivir de manera más colectiva y solidaria.

4) Qué opinas de la autogestion ? Antes de nada creo que es impor-tante entrar a conocer el significado de la pala-bra “autogestión” en toda su extensión. Un organismo oficial como es la Academia de la Lengua Española define en su diccionario la autogestión como el sistema de organización de una empresa según el cual los trabajadores participan en todas las deci-siones. Así pues, vemos como la Academia encargada del cuidado, desarrollo y evolución de nuestro lenguaje se centra exclusivamente en el aspecto económico y mercantilista de la palabra, propio de una sociedad democrá-tica capitalista. Si queremos ir más allá de los límites que nos impone el Poder desde arriba, podemos entender la autogestión como algo más abierto que una mera organización de los medios de producción de una empresa. Yo, personalmente, entiendo la au-togestión como la forma de organización colec-

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tiva y social según la cual un grupo de personas decide poner en común todos los conocimien-tos y medios necesarios para conseguir un de-terminado fin. Un claro ejemplo es la Okupa-ción de un espacio público abandonado por la Administración, para construir en él un Centro en el que se desarrollen distintas actividades y se ofrezcan servicios que cubrán necesidades de la población. Hay miles de ejemplos de proyectos autogestionados que se están desar-rollando en todas nuestras ciudades y pueblos, y el número va en aumento. Vemos a nuestro alrededor cómo se organiza la gente, cómo funcionan las diver-sas iniciativas, como dan sus frutos y como se consiguen los objetivos marcados por los diferentes colectivos, eliminando de esos pro-cesos términos como “rentabilidad”, “bene-ficio”, “competitividad”, e incluyendo otros como “sostenibilidad”, “proximidad”, o “soli-daridad”. Por ello, entiendo que tenemos que continuar organizándonos autogestionada-mente en todos los ámbitos de nuestra vida cotidiana, tanto en lo personal como en lo profesional, tanto a la hora de asociarnos en el barrio para consumir alimentos ecológicos producidos de manera local, como para tra-bajar en red con el resto de pequeñas inicia-tivas empresariales y sociales, que ponen en común experiencias y medios de producción, apoyándose de manera solidaria y avanzando colectivamente hacia algo más grande. De esta manera somos capaces de predicar con nues-tro ejemplo. Gracias a ello nuestros vecinos, que viven alejados de esta realidad, pueden entender cómo es posible organizarse auto-gestionadamente, siendo la única manera real para luchar contra esta sociedad del consumo desenfrenado que está acabando con nuestros recursos y con nuestra humanidad. Ello nos permite entrar en otra sociedad basada en una economía social pensada por y para las perso-nas. Hace 100 años se vivía así en los pequeños pueblos. Los campesinos recogían las cosechas y cuando sobraba se repartían entre todos los vecinos del pueblo o se guardaba, y cuando faltaba se compartía con aquellos a los que no les había llegado. Entonces todos tenían sufi-ciente, y si ahora nosotros seguimos luchando y esforzándonos de manera conjunta y solida-ria volveremos a tener todos suficiente, y sin darnos cuenta habremos cambiado de sistema.

………………… Abogado y ciclista.

1) Peux-tu me parler du mouvement des maisons occupées ? Pourquoi y a-t-il tant ?La Constitution Espagnole de 1978 établit dans ses articles 33 et 47 le suivant :

l’Article 33 1. Se reconnaît le droit à la propriété privée et à l’hérédité.2. La fonction sociale de ces droits délimitera son contenu, conformément aux lois.3. Personne ne pourra être privée de ses biens et droits mais pour une cause justifiée d’utilité publique ou d’intérêt social, au moyen de l’in-demnisation correspondante et en conformité avec le disposé par les lois. Article 47 Tous les Espagnols ont le droit de jouir d’une demeure digne et adéquate. Les pouvoirs pu-blics devront promouvoir les conditions né-cessaires et établiront les normes pertinentes pour faire ce droit effectif, en réglant l’utilisa-tion du sol conformément à l’intérêt général pour empêcher la spéculation. La communauté participera aux plus-values que génère l’action urbaine des entités publiques. Dans l’État Espagnol, et plus concrè-tement à Madrid et à Saragosse (que ce sont les villes dans lesquelles j’ai vécu et connais l’Oku-pación), nous pouvons trouver deux types :

* Le premier ce sont les Centres Sociaux Occupés (C.S.O.) ou Centres Sociaux Autogérés (C.S.A.). Cette dernière à d’avan-tage l’habitude avoir une plus grande conno-tation politique, dans laquelle un groupe de personnes décident occuper/libérer un espace qu’ils ont trouvé abandonné pour lui donner un usage collectif et social. Il s’agit des espaces autogérés formé par une assemblée composée par des personnes de caractère distinct qui décident la forme et la manière organiser le centre (les activités qui sont réalisées, les ser-vices qui s’offrent, etc..) Dans la ville où je vis, Saragosse, il y a un exemple est le C.S.O. : Kike Mur (plus connu sous le nom la «Okupa»). Dans notre ville il y a toujours eu un C.S.O. ou un C.S.A. ouvert et fonctionnel malgré le fait que l’Admi-nistration s’entête à les déloger et à criminali-ser à ses promoteurs. Le C.S.O. Kike Mur trouve placé dans l’ancienne prison du quartier ouvrier de Torrero, dans le haut de la ville. La prison, un

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édifice public, a fermé dans les années 90 et est abandonné depuis. Le conseil municipal a promis ouvrir un centre civique pour offrir des services aux voisins du quartier mais n’a pas réalisé de projet et l’espace est resté négligé jusqu’à ce que l’assemblée de «Okupa» a déci-dé d’entrer dans l’édifice et de le libérer, il y a déjà plus de trois ans. Depuis le Kike Mur offre des classes couture, de langue, d’arts martiaux, de cuisine populaire, des cours de musique et de cinéma, des festivals et des concerts, un magasin gratuit, un atelier de bicyclettes, et beaucoup d’autres choses. Il y a un an a été créé dans le C.S.O. Kike Mur un «Agence d’immeuble à occuper» (l’Agence I.A.O.). L’agence offre une consul-tation technique et juridique à toutes ces per-sonnes qui ont un intérêt ou ont besoin d’oc-cuper. Toutes les semaines, arrivent quelques personnes, de familles, des mères, des parents, incluant des vieillards qui ont besoin d’un lieu pour vivre avec dignité et qui ne dispose pas ou peu d’argent (il s’agit normalement des gens qui se situent au-dessous du seuil de la pau-vreté). Il arrive aussi des jeunes et des moins jeunes qui veulent réaliser un «squat» plus politique et qui projette de commencer à vivre dans une maison une propriété d’une grande, ou à entrer dans local qui appartient à une en-treprise de BTP qui a fait faillite, pour initier là un C.S.O.

* Le deuxième type «d’Okupación» est pour l’habitat. C’est par exemple le cas d’une personne qui entre dans une maison abandonné ou tombé en désuétude complète et l’occupe pour établir là sa maison. Il y a aussi des activistes qui occupent la propriété des banques ou de grandes entreprises immo-bilières et lutte ainsi contre son système ultra-capitaliste et spéculatif. En continuant avec ma ville, Sara-gosse a 700.000 habitants, il y a environ 75.000 maisons sans habiter. En 2013 il y a environ 600 expulsions de personnes qui sont été mise à la rue pour avoir cessé de payer ses prêts hypothécaires ou locations aux banques. En majorité se sont des personnes à faible re-venu et qui n’ont pas été protégés par l’Admi-nistration de l’État Espagnol. Je ne crois pas qu’il faille expliquer pourquoi les gens se voient dans la nécessité d’occuper une maison aban-donné, ou une propriété d’une grande banque. L’Okupación est quelque chose de très hétéro-gène, plein des possibilités, et est très présent

dans notre société. Hier encore, dans le C.S.O. Kike Mur s’est fait un atelier technique sur des installations électriques et les serrures ! 2) Selon toi, les maisons occupés ou squat sont-ils distincts de ceux que nous connaissons en France ? Il y a quelques années j’ai eu le chance de vivre une saison à Nice, mais je n’ai pas connu «l’Okupación» qui était pratiquée là bas, ni non plus dans les autres villes que j’ai visité. Sûrement parce ce que je ne connais pas réellement comme c’est qu’est «l’Okupación en France. Une chose de plus à faire sur ma liste.

3) Quelles relations les maisons occu-pées ont elles avec la Loi espagnol? Et avec le pouvoir politique ? L’occupation d’immeubles dans l’État Espagnol n’est pas quelque chose qui a surgi dans dernières années. Il y en a depuis toujours puisque qu’il y a toujours existé une partie de la population qui n’a pas eu des res-sources suffisants pour acheter ou pour louer une maison. L’Administration de l’État non plus ne s’est pas chargée de la leur fournir. De cette façon il y a toujours eu des gens qui occupe par nécessité. La législation de l’État Espagnol est pensée pour protéger la propriété privée d’autres droits fondamentaux. Ce n’est rien d’autre que la transcription papier du triomphe du libéralisme dans les processus constituants du XIXe et XXe siècle, tant ici comme en France, comme à Sebastopol ! Le Code de Droit Civil Espagnol (de 1889) prévoyait déjà «l’Okupación», non seulement en protégeant le propriétaire, mais aussi à l’occupant, qui pouvait arriver à deve-nir le propriétaire de la maison une fois passé beaucoup de temp à l’habiter. Mais tout a changé en 1995 quand le Code Pénal Espagnol s’est réformé et que qu’il a été introduit comme délit d’occuper une mai-son / immeuble d’une autre personne sans son consentement, bien que ce soit fait sans utiliser la violence ou l’intimidation. Jusqu’à mainte-nant ce n’était pas un délit, mais à partir de cette année «l’okupación» est devenu crimi-nelle, que ce soit pour survivre que ce soit un acte de revendication politique contre le sys-tème établi. De cette façon, l’Administration de l’État a oublié des milliers et des milliers de familles sans le foyer, qui parfois était dans la nécessité extrême de commencer à vivre dans

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une maison abandonné, mais en même temps protégeait encore plus la propriété privée en la faisant passer avant beaucoup d’autres intérêts généraux. Actuellement, si tu occupes dans l’État Espagnol, pour établir un C.S.O. dans ton quartier, ou pour vivre dans une maison aban-donnée et que le propriétaire de l’immeuble te dénonce, tu pourrais finir par être condamné par un «délit d’usurpation d’immeuble» et condamné à une peine d’environ 6 mois avec sursis. Le problème consiste que dans beau-coup de cas la Police, en suivant des ordres supérieurs, en plus du délit d’occuper, t’accuse d’autres délits comme le vol ou le délit d’atten-tat à l’autorité (parce que les occupants se dé-battent à l’expulsion de l’édifice), et sont fina-lement punis avec privation de liberté. De cette façon, par le fait simple d’essayer de vivre avec dignité dans une maison que personne n’uti-lise, et d’offrir à tes voisins un espace public dans lequel ils peuvent développer des projets, tu termines immergé dans une procédure judi-ciaire et tu peux même finir en prison. Ainsi se défend le système dans lequel nous vivons où des gens contre une propriété la plus stricte privée décident d’outrepasser ces normes pour vivre d’une manière plus collective et solidaire.

4) Que penses tu de l’autogestion ? Avant rien, je crois qu’il est impor-tant de commencer à connaître la signification du mot «autogestion» dans toute son étendue.Un organisme officiel comme l’Académie de la Langue Espagnole définit dans son diction-naire l’autogestion comme le système d’orga-nisation d’une entreprise selon lequel les tra-vailleurs participent à toutes les décisions. Donc, nous voyons comme l’Académie chargée du soin, de développement et une évolution de notre langage se concentre exclusivement sur l’aspect économique et mercantiliste du mot, propre à une société démocratique capitaliste. Si nous voulons aller au-delà des limites que le Pouvoir qu’on nous impose depuis là-haut, nous pouvons entendre l’autogestion comme quelque chose de plus ouvert qu’une organi-sation simple des moyens de production d’une entreprise. Personnellement, j’entends l’auto-gestion comme la forme d’organisation col-lective et sociale selon laquelle un groupe de personnes décident de mettre en commun toutes les connaissances et moyens nécessaires pour obtenir une fin déterminée. Un exemple

plus clair : «l’Okupación» d’un bâtiment public abandonné de l’Administration, pour construire dedans un Centre dans lequel des activités distinctes se développent et des ser-vices s’offrent couvrant les nécessités de la po-pulation. Il y a des milliers d’exemples de pro-jets autogérés qui se développent dans toutes nos villes et villages, et le nombre est en aug-mentation. Nous voyons tout autour de nous comment les gens s’organisent, comment les diverses initiatives fonctionnent, comme elles portent des fruits et comme ils sont obtenus. Les objectifs marqués par différents collec-tifs, en éliminant de ces processus les termes comme «une rentabilité», «un bénéfice», «une compétitivité», et en incluant d’autres comme «une durabilité», «une proximité», ou «une solidarité». Par cela, j’entends que nous de-vons continuer de nous organiser de manière autogéré dans tous les domaines de notre vie quotidienne, personnel et dans le profession-nel, il faut continuer de nous associer dans le quartier pour consommer des aliments éco-logiques produits de manière locale, comme pour travailler dans un réseau de de petites initiatives patronales et sociales, qui mettent en commun des expériences et des moyens de production, grâce à un appuie solidaire. De cette façon nous seront capables de montrer l’exemple. Grâce à cela nos voisins, qui vivent éloignés de cette réalité, peuvent comprendre comment il est possible d’être organisé en autogestion, pour lutter contre cette société de la consommation effrénée qui veut en finir avec nos ressources et avec notre humanité. Cela nous permet d’entrer dans une autre société basée sur une économie sociale pensée par et pour les personnes. Il y a 100 ans nous vivions ainsi dans les petits villages. Les paysans partageaient les récoltes et quand il en restait ils répartissaient le surplus. Et lorsqu’il manquait les paysans se partageaient ce sur-plus. Alors ils avaient tout suffisamment, et si maintenant nous continuons de lutter en nous efforçant d’une manière conjointe et solidaire nous recommencerons à avoir tout suffisam-ment, et sans nous rendre compte nous aurons changé d’un système.

Quico Gimeco Avocat et cycliste

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1) Puedes describirme un poco el funcio-namiento de la casa ? en la casa vivimos unas 25 personas y el funcio-namiento es asambleario (todas las decisiones se toman por consenso en la asamblea)2) Desde cuando esa casa esta ocupada? Porqué ?La casa lleva okupada 21 años(se okupo 6-9-93) aunque la casa estaba abandonada desde finales de los 70 (debido a que es una construc-cion ilegal) construida durante el caos de la transicion. fue construida sin permisoel porque es sencillo hay gente sin casa y casas sin gente3) Cuantas personas viven acqui ?actualmente somos unas 25 personas adultos y niños4) Qué habéis echo para fijar/terminar la casa?En la casa nunca llego a vivir nadie y estaba sin terminar. Al entrar lo primero que hubo que hacer fue limpiar (imaginate 20 años abandonada) habia gatos muertos ,cagadas de palomas etc. Despues poco a poco tirar cable de luz ,tuberias de agua,poner cristales,baños y todo lo que quedaba por acabar de la casa pues habia muchas cosas que no estaban acabadas5) La lucha para el derecho de vivir en esta casa sigue siendo complicado con el ayutamiento ? Actualmente la situacion sobre la okupacion esta dificil ,actualmente se juzga por lo penal y con jucio expres( en 2 meses te pueden echar) y puede denunciar cualquiera no hace falta que sea el dueño pese a todo se siguen okupando casas pues mucha gente no tiene otra opcion y la ciudad esta llena de casas vacias(ahora muchas en propiedad de los bancos debido a las hipotecas impagables que ofrecian)6) Qué tal son las relaciones con el bar-rio, y su gente ?los vecinos es algo dificil ,nosotros despues de tantos años somos unos vecinos mas antiguos del barrio y tenemos contacto con mucho de ellos pero siempre hay otros que piensan que somos unos caraduras(si ellos pagan porque nosotros no)pero con la malloria hay buen rollo e incluso vienen a actividades que reali-zamos en la casa

1)Peux tu me décrire un peu le fonction-nement de la maison ? 25 personnes vivent dans la maison. Le fonc-tionnement est «asambleario» toutes les décisions sont prises avec consentement dans

l’assemblée.2) Depuis quand la maison est elle occu-pée? Pourquoi ?La maison est «okupada» depuis 21 ans (occupée le 6/9/93) bien que la maison fût abandonnée depuis la fin des année 70 (parce que c’est une construction illégale) durant le chaos de la transition. Elle a été construite sans permis. Le pourquoi est simple il y a des gens sans maison et des maisons sans gens. 3) Combien de personne vivent ici ? Actuellement nous sommes 25 adultes et en-fants.4) Qu’est ce que vous avez fait pour ter-miné la maison ? Dans la maison personne n’a jamais vécu et elle n’a jamais été fini. Après être entré, la premier chose qu’il a fallu faire c’était nettoyer (imagine-toi 20 ans aban-don) il y avait des chats morts, des fientes de pigeons etc.. Après, peu à peu nous avons ins-tallé les câbles pour la lumière et l’électricité, des tuyauteries de l’eau, mettre des fenêtres, les baignoires et tout ce qui restaient pour finir de la maison. Il y avait beaucoup de choses qui n’étaient pas terminées.5) La lutte pour continuer à vivre dans la maison continuer à rester compliqué? A l’heure actuel, la situation sur la «okupa-cion» est difficile. Notre situation se joue au tribunal pénal et tribunal «express». Dans 2 mois ils peuvent nous jeter et ils peuvent dé-noncer n’importe lequel d’entre nous. Ils n’ont pas besoin que ce soit notre représentant. Mal-gré tout, nous continuons à occuper la maison puisque beaucoup de gens n’ont pas d’autre option. La ville cette pleine de maisons vides ! De nos jours elles sont souvent la propriété des banques à cause des hypothèques impayables qu’ils demandent6) Comment sont les relation avec le quartier, et le voisinage ?Avec les voisins c’est parfois difficile. Après tant d’années sommes les voisins plus anciens du quartier et avons un contact avec beaucoup de voisins. Mais il y en a toujours certains qui pensent que nous sommes des sans-gênes. Il se disent «si je paient (des impôts) pourquoi eux non ?». Mais avec le majorité il y a un bon entente et ils viennent même aux activités que nous réali-sons dans la maison.

Bodi

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Impression, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg Reliure, Revire Benjamin

Achevé d’imprimer en Janvier 2014