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n°18 - AVRIL 2017 LABEX ENTREPRENDRE publications L’INNOVATION ENTREPRENEURIALE : LE RÔLE DE LA COGNITION Université de Montpellier Reconnaître des opportunités et être capable de les saisir est l’essence même de l’entrepreneuriat. L’entrepreneur est au cœur de ce processus, il décide et agit pour transformer l’idée en un projet. Il doit générer de nouvelles idées, les évaluer, identifier celles qui constituent de bonnes opportunités d’affaires et enfin les mettre en action par la création d’un nouveau produit ou service. Les facteurs cognitifs sont reconnus comme fortement déterminants dans le processus de prise de décision et dans les comportements distinguant les entrepreneurs des non entrepreneurs (Baron, 2004; Mitchell et al., 2002). Le processus cognitif influence la manière dont les individus perçoivent, interprètent et transforment l’information. Par nature, il a ainsi un effet fort et direct sur la reconnaissance d’opportunités, sur la propension à les exploiter et sur la décision finale de lancer l’entreprise (Baron, 2004, 2007). À partir d’une expérimentation réalisée auprès de 70 jeunes entrepreneurs engagés dans une démarche d’innovation, ce numéro du Labex Entreprendre Publications 1 propose de se focaliser sur le rôle joué par les facteurs cognitifs et comportementaux dans le processus d’innovation entrepreneuriale. 1. Le Labex Entreprendre bénéficie d’une aide de l’Etat gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme “Investissements d’Avenir” portant la référence ANR-10-LABX-11-01.

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n°18 - avril 2017

LABEX ENTREPRENDREpublications

L’INNOVATION ENTREPRENEURIALE : LE RÔLE DE LA COGNITION

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Reconnaître des opportunités et être capable de les saisir est l’essence même de l’entrepreneuriat. L’entrepreneur est au cœur de ce processus, il décide et agit pour transformer l’idée en un projet. Il doit générer de nouvelles idées, les évaluer, identifier celles qui constituent de bonnes opportunités d’affaires et enfin les mettre en action par la création d’un nouveau produit ou service.

Les facteurs cognitifs sont reconnus comme fortement déterminants dans le processus de prise de décision et dans les comportements distinguant les entrepreneurs des non entrepreneurs (Baron, 2004; Mitchell et al., 2002). Le processus cognitif influence la manière dont les individus perçoivent, interprètent et transforment l’information. Par nature, il a ainsi un effet fort et direct sur la reconnaissance d’opportunités, sur la propension à les exploiter et sur la décision finale de lancer l’entreprise (Baron, 2004, 2007).

à partir d’une expérimentation réalisée auprès de 70 jeunes entrepreneurs engagés dans une démarche d’innovation, ce numéro du Labex Entreprendre Publications1 propose de se focaliser sur le rôle joué par les facteurs cognitifs et comportementaux dans le processus d’innovation entrepreneuriale.

1. Le Labex Entreprendre bénéficie d’une aide de l’Etat gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme “Investissements d’Avenir” portant la référence ANR-10-LABX-11-01.

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l’innovation entrePreneuriale : le rôle de la cognition

Toute innovation commence par une idée créative, de même l’introduction d’une innovation ne survient pas si l’individu ne perçoit pas une opportunité pour innover (Krueger, 2000). Toutefois, on constate fréquemment des situations où des idées créatives qui, même si elles sont originales, ne trouvent pas de place sur le marché, ou bien des idées créatives qui, bien que disposant d’un fort potentiel de marché, ne sont jamais implémentées.Les tâches concrètes effectuées par l’entrepreneur sont en effet très différentes selon les stades du projet. Nous pouvons représenter schématiquement la démarche entrepreneuriale en trois grandes activités (même si elles peuvent être décomposées plus finement) (voir figure 1) :

1. Génération de l’idée : Cette activité correspond à la génération d’idées avec comme but la résolution d’un problème, le comblement d’un «gap» dans le marché et/ou la réponse à un besoin identifié (ou pas). L’entrepreneur doit comprendre le monde extérieur, avoir une pensée divergente et un comportement d’exploration.

2. Évaluation de l’opportunité : Ici l’entrepreneur doit être capable de distinguer les bonnes idées des mauvaises et de sélectionner celles à fort potentiel sur le marché. L’entrepreneur doit repérer une opportunité pour laquelle il estime pouvoir investir des compétences, du temps, de l’effort et de l’argent. L’évaluation d’une opportunité concerne des tâches telles que l’étude du marché, l’analyse financière, l’élaboration du business model entre autres.

3. Implémentation de l’innovation : Pour qu’une innovation soit implémentée (réalisée et mise sur le marché), l’individu doit prendre la décision de poursuivre l’opportunité et passer à l’acte. Il doit rassembler les ressources nécessaires (monétaires, humaines, technologiques) pour mener à bien son projet tout en

affrontant le risque lié au projet. Il doit convaincre et recruter ses premiers clients, investisseurs, associés, etc. Ces activités font potentiellement appel à des ressources cognitives différentes. De plus, il ne s’agit pas d’une trajectoire linéaire, mais plutôt d’activités imbriquées qui interagissent entre elles et qui s’ajustent dans une logique de réévaluation et d’évolution dans le temps et l’espace (Messeghem & Sammut, 2011) : l’idée initiale est sans cesse revisitée, le modèle économique réexaminé, etc.

Nos résultats montrent que, si le niveau de créativité de l’entrepreneur est un puissant prédicteur de son aptitude à implémenter une innovation, sa capacité à évaluer des opportunités accentue cette relation et facilite le passage de la créativité à la réalisation. Il doit être capable de distinguer les bonnes idées des mauvaises et de sélectionner celles à fort potentiel sur le marché. Avant de décider d’aller plus loin avec une idée créative l’entrepreneur doit repérer une opportunité pour laquelle il estime pouvoir investir des compétences, du temps, de l’effort et de l’argent.

la surconfiance, la Prise de risque et l’innovation

Nous avons considéré dans ce travail différentes formes de jugements surconfiants (Bessière et Pouget, 2012) et examiné leurs effets sur les différentes activités mobilisées

génération d’idées créatives

imPlémentation d’idées créatives

evaluation d’oPPortunités

Figure 1 : L’innovation entrepreneuriale

qu’est ce que c’est la surconfiance ?

La surconfiance est définie comme une certitude excessive d’une personne concernant la validité de ses croyances, connaissances, perceptions, prédictions, jugements et/ou décisions. Cette surconfiance peut porter sur (i) ses propres aptitudes à réussir une activité (auto-efficacité), (ii) la probabilité d’obtenir un résultat (optimisme), (iii) la qualité d’une estimation (excès de confiance stricto sensu).

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dans un projet entrepreneurial. Précisément, nous étudions le rôle de la surconfiance relative à ses aptitudes (sentiment d’auto-efficacité), à ses perspectives (optimisme) et à la précision de ses estimations (excès de confiance au sens strict, à travers les tests dits « de calibrage »), sur la capacité à innover et à créer une entreprise. Nos résultats montrent que la capacité d’innover des entrepreneurs est influencée par la surconfiance et la prise de risque, mais surtout que l’effet de ces derniers – leur direction et leur intensité – dépend de la nature de l’activité.Premièrement, nous montrons que l’optimisme a un effet contraire selon le stade du projet : positif sur la créativité mais négatif sur la capacité d’une part, à évaluer des opportunités et d’autre part, à implémenter des innovations.

Deuxièmement, la surconfiance stricto sensu améliore sensiblement la capacité à évaluer des opportunités et à implémenter des innovations. Elle contribue aussi à la créativité mais avec moins d’intensité. Les entrepreneurs les plus innovants sont 52% plus surconfiants que les entrepreneurs moins innovants.

Egalement, une attitude positive envers le risque favorise la créativité, la capacité à évaluer des opportunités et à implémenter des innovations. Les entrepreneurs les plus innovants sont 10% moins averses au risques que les entrepreneurs moins innovants.

la surconfiance, la Prise de risque et la décision d’entrePrendre

Toutefois, à ce stade, notre étude ne conclut pas sur la capacité d’un individu innovant à réellement « sauter le pas » et à créer une entreprise. Il s’agit alors, à partir d’une innovation, de décider de la mettre en œuvre effectivement et de la lancer sur le marché. Cela implique, non seulement de réaliser techniquement un produit/service qui correspond aux besoins des futurs utilisateurs et d’en discerner les possibilités de succès commercial, mais aussi de passer à l’acte et de créer effectivement l’entreprise.

Le lancement et le pilotage d’une startup nécessitent un ensemble d’aptitudes que les individus innovants (par exemple dans les domaines technologiques) pourraient ne pas avoir ou pensent ne pas avoir, ce qui alors constituerait un frein pour prendre la décision de « se lancer dans l’aventure » (Angel Ferrero & Bessière, 2016). Ainsi, la question reste posée : pourquoi certains individus innovants décident-ils de créer leur entreprise, et d’autres ne le font pas ?

Pour répondre à cette question nous avons réalisé une deuxième étude2 auprès de 124 individus innovants issus d’un environnement technologique similaire, mais dont 76 ont créé leur entreprise dans le cadre d’un spin-off académique alors que 48 ne l’ont pas fait.

Les résultats montrent qu’une attitude positive et une forte tolérance vis-à-vis du risque, ainsi que la confiance dans ces compétences et capacités (Auto-efficacité) sont déterminants dans la transition du laboratoire à la startup.3

100 %

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Evaluation d’opportunités

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Créativité Excès de confiance

Aversionau risque Optimisme Auto-efficacité

Entrepreneurs les moins innovantsEntrepreneurs les plus innovants

Les profils des entrepreneurs

Le comportement vis-à-vis du risque d’un individu va au-delà d’une simple attitude, il est influencé par sa perception et l’interprétation des risques, il dépend du contexte (Weber, Blais, & Betz, 2002).

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Préconisations Pour les acteurs de l’écosystème entrePreneurial

1. importance de la prise en compte de la dimension cognitive pour favoriser le comportement entrepre-neurial et d’innovationNos résultats montrent que l’interaction entre différents facteurs cognitifs exerce une forte influence sur l’innovation individuelle en favorisant ou non l’évaluation et l’exploitation de l’idée nouvelle. Un corollaire pratique de ce travail est de contribuer à la prise de conscience des effets concrets et des implications de ces mécanismes cognitifs. La connaissance de leurs effets potentiellement positifs et négatifs sur les différentes activités entrepreneuriales présente un intérêt pratique dans la manière de conduire la transformation d’une idée créative en une innovation viable et un projet entrepreneurial

2. Promouvoir une culture de prise de risque, par la stimulation et la reconnaissance de la confiance en soi, mais avec modération La surconfiance et la tolérance au risque sont de nature à contrebalancer l’incertitude, l’asymétrie d’information et le manque de ressources qui caractérisent le défi d’innover et de créer une entreprise. Mais, en même temps, trop de surconfiance et trop de prise de risque peuvent aussi constituer le côté sombre de l’acte d’entreprendre. Par exemple, « être trop optimiste » produit des inefficiences parce que cela conduit à poursuivre des opportunités dont les perspectives ont été surévaluées. De même, la surconfiance stricto sensu conduit à une plus grande capacité à agir mais d’autres études montrent que cette dernière peut nuire au développement de l’entreprise car les individus en excès de confiance ont tendance à ne pas tenir compte des informations externes et préfèrent agir selon leurs propres croyances. 3. apprendre à adapter et utiliser stratégiquement les mécanismes cognitifsLa prise de conscience du rôle des facteurs cognitifs peut, à elle seule, être un puissant moyen d’en stimuler les effets positifs ou au contraire d’en corriger les excès potentiels qu’ils peuvent engendrer. Ainsi, analyser comment les entrepreneurs apprennent d’une part, à adapter leur comportement et d’autre part, à utiliser stratégiquement leurs mécanismes cognitifs pourrait être la clé d’entrée à une meilleure compréhension de l’acte d’entreprendre et d’innover.

Ont participé à cette étude : Maria Claudia Angel Ferrero et Véronique Bessière. Les acteurs remercient l’ensemble des entrepreneurs ayant participé à l’expérimentation, ainsi que les structures de l’écosystème entrepreneurial qui ont contribué à l’étude.

BibliographieAngel Ferrero, M. C., & Bessière, V. 2016. From Lab to Venture: Cognitive Factors Influencing Researchers’ Decision to Start a Venture. Journal of Enterprising Culture, 24(2): 101–131.Baron, R. A. 2004. The cognitive perspective: a valuable tool for answering entrepreneurship’s basic “why” questions. Journal of Business Venturing, 19(2): 221–239.Baron, R. A. 2007. Behavioral and cognitive factors in entrepreneurship: entrepreneurs as the active element in new venture creation. Strategic Entrepreneurship Journal, 1(1–2): 167–182.Bessière, V., & Pouget, J. 2012. Excès de confiance et création d’entreprise : une synthèse des approches cognitives, Finance, Contrôle, Stratégie, 15(4): 1-19. http://fcs.revues.org/1209.Krueger, N., F. 2000. The cognitive infrastructure of opportunity emergence. Entrepreneurship Theory and Practice, 25(3): 5–23.Labex Entreprendre. 2012. Analyse de la trajectoire de développement des entreprises incubées à LRI: 176. Montpellier, France.Messeghem, K., & Sammut, S. 2011. L’entrepreneuriat. Éditions EMS.Mitchell, R. K., Busenitz, L., Lant, T., McDougall, P. P., Morse, E. A., et al. 2002. Toward a Theory of Entrepreneurial Cognition: Rethinking the People Side of Entrepreneurship Research. Entrepreneurship Theory and Practice, 27(2): 93–104.Weber, E. U., Blais, A.-R., & Betz, N. E. 2002. A domain-specific risk-attitude scale: measuring risk perceptions and risk behaviors. Journal of Behavioral Decision Making, 15(4): 263–290.

2. Cette étude a été réalisée dans le cadre du programme de recherche dédié à l’Observatoire du chercheur-créateur d’entreprise du Labex Entreprendre. Une partie des données utilisées est issue de l’étude sur l’analyse de la trajectoire de développement des entreprises incubées à LRI publié en 2012 par le Labex Entreprendre (Labex Entreprendre, 2012).

3. L’ensemble de cette étude a été publié en forme d’article dans la revue Journal of Entreperising Culture Volume 24, Numéro 2 DOI: 10.1142/S0218495816500059