labex entreprendre...

of 4 /4
n°18 - AVRIL 2017 LABEX ENTREPRENDRE publications L’INNOVATION ENTREPRENEURIALE : LE RÔLE DE LA COGNITION Université de Montpellier Reconnaître des opportunités et être capable de les saisir est l’essence même de l’entrepreneuriat. L’entrepreneur est au cœur de ce processus, il décide et agit pour transformer l’idée en un projet. Il doit générer de nouvelles idées, les évaluer, identifier celles qui constituent de bonnes opportunités d’affaires et enfin les mettre en action par la création d’un nouveau produit ou service. Les facteurs cognitifs sont reconnus comme fortement déterminants dans le processus de prise de décision et dans les comportements distinguant les entrepreneurs des non entrepreneurs (Baron, 2004; Mitchell et al., 2002). Le processus cognitif influence la manière dont les individus perçoivent, interprètent et transforment l’information. Par nature, il a ainsi un effet fort et direct sur la reconnaissance d’opportunités, sur la propension à les exploiter et sur la décision finale de lancer l’entreprise (Baron, 2004, 2007). À partir d’une expérimentation réalisée auprès de 70 jeunes entrepreneurs engagés dans une démarche d’innovation, ce numéro du Labex Entreprendre Publications 1 propose de se focaliser sur le rôle joué par les facteurs cognitifs et comportementaux dans le processus d’innovation entrepreneuriale. 1. Le Labex Entreprendre bénéficie d’une aide de l’Etat gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme “Investissements d’Avenir” portant la référence ANR-10-LABX-11-01.

Author: lamque

Post on 10-Sep-2018

222 views

Category:

Documents


0 download

Embed Size (px)

TRANSCRIPT

  • n18 - avril 2017

    LABEX ENTREPRENDREpublications

    LINNOVATION ENTREPRENEURIALE : LE RLE DE LA COGNITION

    Universit de Montpellier

    LABEX Entreprendre AGL ImprimeurRue de Lantissargues - Z.A. Maurin - 34970 LATTESTl. 04 67 07 09 80 - [email protected] / 04.67.07.09.80

    Assistante de directionValentina TomasTl. +33(0)4 34 43 23 [email protected]

    Entreprendre et innover durablement

    Fostering sustainable innovation and entrepreneurship

    www.labex-entreprendre.fr

    Labex EntreprendreUniversit Montpellier 1

    Facult dAdministrationconomique et Sociale

    Espace RichterAvenue Raymond Dugrand

    CS 5964034960 Montpellier cedex 2

    Tl : +33(0)4 34 43 23 11

    [email protected]

    www.labex-entreprendre.fr

    LABEX EntreprendreUniversit de Montpellier

    University of Montpellier

    SecrtariatAdeline FerreresTl. +33(0)4 34 43 23 [email protected]

    Universit de Montpellier 1 - Facult dAdministration conomique et SocialeEspace Richter - Avenue Raymond Dugrand - CS 59640 - 34960 Montpellier cedex 2 - Tlphone : +33(0)4 34 43 23 11

    [email protected]

    www.labex-entreprendre.fr

    Vos contacts

    DirectionKarim MesseghemTl. +33(0)4 34 43 23 [email protected]

    Labex Entreprendre

    Universit de MontpellierUniversity of Montpellier

    Un

    iver

    sit

    de

    Mon

    tpel

    lier

    Un

    iver

    sity

    of

    Mon

    tpel

    lier

    Chemise rabats Recto - Format 21,5 x 30,5 cm ferm -v2

    Pour toutes informations sur nos activits : www.labex-entreprendre.frContact : 04 34 43 23 11

    E-mail : [email protected]

    Reconnatre des opportunits et tre capable de les saisir est lessence mme de lentrepreneuriat. Lentrepreneur est au cur de ce processus, il dcide et agit pour transformer lide en un projet. Il doit gnrer de nouvelles ides, les valuer, identifier celles qui constituent de bonnes opportunits daffaires et enfin les mettre en action par la cration dun nouveau produit ou service.

    Les facteurs cognitifs sont reconnus comme fortement dterminants dans le processus de prise de dcision et dans les comportements distinguant les entrepreneurs des non entrepreneurs (Baron, 2004; Mitchell et al., 2002). Le processus cognitif influence la manire dont les individus peroivent, interprtent et transforment linformation. Par nature, il a ainsi un effet fort et direct sur la reconnaissance dopportunits, sur la propension les exploiter et sur la dcision finale de lancer lentreprise (Baron, 2004, 2007).

    partir dune exprimentation ralise auprs de 70 jeunes entrepreneurs engags dans une dmarche dinnovation, ce numro du Labex Entreprendre Publications1 propose de se focaliser sur le rle jou par les facteurs cognitifs et comportementaux dans le processus dinnovation entrepreneuriale.

    1. Le Labex Entreprendre bnficie dune aide de lEtat gre par lAgence Nationale de la Recherche au titre du programme Investissements dAvenir portant la rfrence ANR-10-LABX-11-01.

  • LABEX ENTREPRENDRE publications

    linnovation entrePreneuriale : le rle de la cognition

    Toute innovation commence par une ide crative, de mme lintroduction dune innovation ne survient pas si lindividu ne peroit pas une opportunit pour innover (Krueger, 2000). Toutefois, on constate frquemment des situations o des ides cratives qui, mme si elles sont originales, ne trouvent pas de place sur le march, ou bien des ides cratives qui, bien que disposant dun fort potentiel de march, ne sont jamais implmentes.Les tches concrtes effectues par lentrepreneur sont en effet trs diffrentes selon les stades du projet. Nous pouvons reprsenter schmatiquement la dmarche entrepreneuriale en trois grandes activits (mme si elles peuvent tre dcomposes plus finement) (voir figure 1) :

    1. Gnration de lide : Cette activit correspond la gnration dides avec comme but la rsolution dun problme, le comblement dun gap dans le march et/ou la rponse un besoin identifi (ou pas). Lentrepreneur doit comprendre le monde extrieur, avoir une pense divergente et un comportement dexploration.

    2. valuation de lopportunit : Ici lentrepreneur doit tre capable de distinguer les bonnes ides des mauvaises et de slectionner celles fort potentiel sur le march. Lentrepreneur doit reprer une opportunit pour laquelle il estime pouvoir investir des comptences, du temps, de leffort et de largent. Lvaluation dune opportunit concerne des tches telles que ltude du march, lanalyse financire, llaboration du business model entre autres.

    3. Implmentation de linnovation : Pour quune innovation soit implmente (ralise et mise sur le march), lindividu doit prendre la dcision de poursuivre lopportunit et passer lacte. Il doit rassembler les ressources ncessaires (montaires, humaines, technologiques) pour mener bien son projet tout en

    affrontant le risque li au projet. Il doit convaincre et recruter ses premiers clients, investisseurs, associs, etc. Ces activits font potentiellement appel des ressources cognitives diffrentes. De plus, il ne sagit pas dune trajectoire linaire, mais plutt dactivits imbriques qui interagissent entre elles et qui sajustent dans une logique de rvaluation et dvolution dans le temps et lespace (Messeghem & Sammut, 2011) : lide initiale est sans cesse revisite, le modle conomique rexamin, etc.

    Nos rsultats montrent que, si le niveau de crativit de lentrepreneur est un puissant prdicteur de son aptitude implmenter une innovation, sa capacit valuer des opportunits accentue cette relation et facilite le passage de la crativit la ralisation. Il doit tre capable de distinguer les bonnes ides des mauvaises et de slectionner celles fort potentiel sur le march. Avant de dcider daller plus loin avec une ide crative lentrepreneur doit reprer une opportunit pour laquelle il estime pouvoir investir des comptences, du temps, de leffort et de largent.

    la surconfiance, la Prise de risque et linnovation

    Nous avons considr dans ce travail diffrentes formes de jugements surconfiants (Bessire et Pouget, 2012) et examin leurs effets sur les diffrentes activits mobilises

    gnration dides cratives

    imPlmentation dides cratives

    evaluation doPPortunits

    Figure 1 : Linnovation entrepreneuriale

    quest ce que cest la surconfiance ?

    La surconfiance est dfinie comme une certitude excessive dune personne concernant la validit de ses croyances, connaissances, perceptions, prdictions, jugements et/ou dcisions. Cette surconfiance peut porter sur (i) ses propres aptitudes russir une activit (auto-efficacit), (ii) la probabilit dobtenir un rsultat (optimisme), (iii) la qualit dune estimation (excs de confiance stricto sensu).

  • LABEX ENTREPRENDRE publications

    dans un projet entrepreneurial. Prcisment, nous tudions le rle de la surconfiance relative ses aptitudes (sentiment dauto-efficacit), ses perspectives (optimisme) et la prcision de ses estimations (excs de confiance au sens strict, travers les tests dits de calibrage), sur la capacit innover et crer une entreprise. Nos rsultats montrent que la capacit dinnover des entrepreneurs est influence par la surconfiance et la prise de risque, mais surtout que leffet de ces derniers leur direction et leur intensit dpend de la nature de lactivit.Premirement, nous montrons que loptimisme a un effet contraire selon le stade du projet : positif sur la crativit mais ngatif sur la capacit dune part, valuer des opportunits et dautre part, implmenter des innovations.

    Deuximement, la surconfiance stricto sensu amliore sensiblement la capacit valuer des opportunits et implmenter des innovations. Elle contribue aussi la crativit mais avec moins dintensit. Les entrepreneurs les plus innovants sont 52% plus surconfiants que les entrepreneurs moins innovants.

    Egalement, une attitude positive envers le risque favorise la crativit, la capacit valuer des opportunits et implmenter des innovations. Les entrepreneurs les plus innovants sont 10% moins averses au risques que les entrepreneurs moins innovants.

    la surconfiance, la Prise de risque et la dcision dentrePrendre

    Toutefois, ce stade, notre tude ne conclut pas sur la capacit dun individu innovant rellement sauter le pas et crer une entreprise. Il sagit alors, partir dune innovation, de dcider de la mettre en uvre effectivement et de la lancer sur le march. Cela implique, non seulement de raliser techniquement un produit/service qui correspond aux besoins des futurs utilisateurs et den discerner les possibilits de succs commercial, mais aussi de passer lacte et de crer effectivement lentreprise.

    Le lancement et le pilotage dune startup ncessitent un ensemble daptitudes que les individus innovants (par exemple dans les domaines technologiques) pourraient ne pas avoir ou pensent ne pas avoir, ce qui alors constituerait un frein pour prendre la dcision de se lancer dans laventure (Angel Ferrero & Bessire, 2016). Ainsi, la question reste pose : pourquoi certains individus innovants dcident-ils de crer leur entreprise, et dautres ne le font pas ?

    Pour rpondre cette question nous avons ralis une deuxime tude2 auprs de 124 individus innovants issus dun environnement technologique similaire, mais dont 76 ont cr leur entreprise dans le cadre dun spin-off acadmique alors que 48 ne lont pas fait.

    Les rsultats montrent quune attitude positive et une forte tolrance vis--vis du risque, ainsi que la confiance dans ces comptences et capacits (Auto-efficacit) sont dterminants dans la transition du laboratoire la startup.3

    100 %

    90 %

    80 %

    70 %

    60 %

    50 %

    40 %

    30 %

    20 %

    10 %

    0 %

    Evaluation dopportunits

    81%

    71%

    65%

    52%

    39%

    26%

    50%

    56%

    76% 77%

    82%84%

    Crativit Excs de confianceAversionau risque Optimisme Auto-efficacit

    Entrepreneurs les moins innovantsEntrepreneurs les plus innovants

    Les profils des entrepreneurs

    Le comportement vis--vis du risque dun individu va au-del dune simple attitude, il est influenc par sa perception et linterprtation des risques, il dpend du contexte (Weber, Blais, & Betz, 2002).

  • LABEX ENTREPRENDRE publications

    Pour toutes informations sur nos activits : www.labex-entreprendre.frContact : 04 34 43 23 11

    E-mail : [email protected]

    Prconisations Pour les acteurs de lcosystme entrePreneurial

    1. importance de la prise en compte de la dimension cognitive pour favoriser le comportement entrepre-neurial et dinnovationNos rsultats montrent que linteraction entre diffrents facteurs cognitifs exerce une forte influence sur linnovation individuelle en favorisant ou non lvaluation et lexploitation de lide nouvelle. Un corollaire pratique de ce travail est de contribuer la prise de conscience des effets concrets et des implications de ces mcanismes cognitifs. La connaissance de leurs effets potentiellement positifs et ngatifs sur les diffrentes activits entrepreneuriales prsente un intrt pratique dans la manire de conduire la transformation dune ide crative en une innovation viable et un projet entrepreneurial

    2. Promouvoir une culture de prise de risque, par la stimulation et la reconnaissance de la confiance en soi, mais avec modration La surconfiance et la tolrance au risque sont de nature contrebalancer lincertitude, lasymtrie dinformation et le manque de ressources qui caractrisent le dfi dinnover et de crer une entreprise. Mais, en mme temps, trop de surconfiance et trop de prise de risque peuvent aussi constituer le ct sombre de lacte dentreprendre. Par exemple, tre trop optimiste produit des inefficiences parce que cela conduit poursuivre des opportunits dont les perspectives ont t survalues. De mme, la surconfiance stricto sensu conduit une plus grande capacit agir mais dautres tudes montrent que cette dernire peut nuire au dveloppement de lentreprise car les individus en excs de confiance ont tendance ne pas tenir compte des informations externes et prfrent agir selon leurs propres croyances. 3. apprendre adapter et utiliser stratgiquement les mcanismes cognitifsLa prise de conscience du rle des facteurs cognitifs peut, elle seule, tre un puissant moyen den stimuler les effets positifs ou au contraire den corriger les excs potentiels quils peuvent engendrer. Ainsi, analyser comment les entrepreneurs apprennent dune part, adapter leur comportement et dautre part, utiliser stratgiquement leurs mcanismes cognitifs pourrait tre la cl dentre une meilleure comprhension de lacte dentreprendre et dinnover.

    Ont particip cette tude : Maria Claudia Angel Ferrero et Vronique Bessire. Les acteurs remercient lensemble des entrepreneurs ayant particip lexprimentation, ainsi que les structures de lcosystme entrepreneurial qui ont contribu ltude.

    BibliographieAngel Ferrero, M. C., & Bessire, V. 2016. From Lab to Venture: Cognitive Factors Influencing Researchers Decision to Start a Venture. Journal of Enterprising Culture, 24(2): 101131.Baron, R. A. 2004. The cognitive perspective: a valuable tool for answering entrepreneurships basic why questions. Journal of Business Venturing, 19(2): 221239.Baron, R. A. 2007. Behavioral and cognitive factors in entrepreneurship: entrepreneurs as the active element in new venture creation. Strategic Entrepreneurship Journal, 1(12): 167182.Bessire, V., & Pouget, J. 2012. Excs de confiance et cration dentreprise : une synthse des approches cognitives, Finance, Contrle, Stratgie, 15(4): 1-19. http://fcs.revues.org/1209.Krueger, N., F. 2000. The cognitive infrastructure of opportunity emergence. Entrepreneurship Theory and Practice, 25(3): 523.Labex Entreprendre. 2012. Analyse de la trajectoire de dveloppement des entreprises incubes LRI: 176. Montpellier, France.Messeghem, K., & Sammut, S. 2011. Lentrepreneuriat. ditions EMS.Mitchell, R. K., Busenitz, L., Lant, T., McDougall, P. P., Morse, E. A., et al. 2002. Toward a Theory of Entrepreneurial Cognition: Rethinking the People Side of Entrepreneurship Research. Entrepreneurship Theory and Practice, 27(2): 93104.Weber, E. U., Blais, A.-R., & Betz, N. E. 2002. A domain-specific risk-attitude scale: measuring risk perceptions and risk behaviors. Journal of Behavioral Decision Making, 15(4): 263290.

    2. Cette tude a t ralise dans le cadre du programme de recherche ddi lObservatoire du chercheur-crateur dentreprise du Labex Entreprendre. Une partie des donnes utilises est issue de ltude sur lanalyse de la trajectoire de dveloppement des entreprises incubes LRI publi en 2012 par le Labex Entreprendre (Labex Entreprendre, 2012).

    3. Lensemble de cette tude a t publi en forme darticle dans la revue Journal of Entreperising Culture Volume 24, Numro 2 DOI: 10.1142/S0218495816500059